La tradition orthodoxe en France (P. M.A Costa)

LA TRADITION ORTHODOXE EN FRANCE

Les premiers siècles

J.O.I.E. n° 7 – septembre 1986

Nous n’entendons pas par « tradition orthodoxe » simplement le christianisme byzantin. Cette expression désigne la tradition apostolique telle qu’elle a été introduite dans si grand nombre de pays, particulièrement la France ancienne c’est-à-dire la Gaule transalpine. Cette tradition, implantée dans les pays occidentaux comme en Orient et en Afrique, y a subsisté et s’y est développée. Les schismes ont ensuite affecté gravement la transmission du dépôt. Depuis dix siècles, c’est aux Églises orientales, de culture byzantine, qu’a été confiée la garde du précieux trésor de l’Orthodoxie. Ce trésor toutefois ne s’identifie pas définitivement avec ces églises et elles n’en ont pas le monopole. Dans les lignes qui suivent nous montreront quelques aspects de le tradition orthodoxe en France à l’époque ancienne, à l’époque de l’Église indivise.

Le christianisme dans la France ancienne c’est-à-dire en Gaule est d’origine apostolique, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres pays du bassin méditerranéen et aussi quelques pays de l’Europe centrale comme par exemple la Roumanie. La Gaule n’a pas d’abord été évangélisée par Rome. Ce n’est que plus tard que cette grande Église locale s’est imposée comme centre en inspirant une seconde vague d’évangélisation. Dès le premier siècle l’annonce de la Résurrection, noyau du message chrétien, fut entendue dans les grandes villes du midi de la France, en langue grecque et non pas latine. La prédication de l’apôtre Paul a pu retentir dans quelque synagogue de Juifs hellénisés ou sur quelque place publique de villes comme Marseille ou Narbonne. Un de ses disciples, saint Crescent, a, d’après la IIème épître à Timothée (2 Tim. 4, 10), prêché aussi en Gaule en remontant la vallée du Rhône. Il passe notamment pour avoir évangélisé la ville de Vienne.

Une tradition rapporte encore la venue en Provence de saint Lazare que Jésus a ressuscité ; il aurait été le premier évêque de Marseille. Le souvenir des sœurs Marthe et Marie reste attaché à la ville de Tarascon et aux grottes de la Sainte Baume. Un disciple direct du saint apôtre Pierre, saint Trophime, est devenu évêque d’Arles.

La ville de Marseille mérite, au titre de l’orthodoxie occidentale, une étude particulière. Mais la ville de Lyon aussi est une capitale du christianisme apostolique en Gaule. Comme Marseille, il y avait depuis longtemps à Lyon des colonies grecques et juives avec lesquelles les tout-premiers chrétiens furent en relation. Le fameux martyr des chrétiens de Lyon en 177 révèle l’existence d’une Église déjà, très développée, nombreuse et structurée. Elle était présidée par l’évêque Pothin originaire d’Asie où il avait été disciple de saint Polycarpe de Smyrne. La foi de l’Église de Lyon nous est bien connue par les écrits du grand saint Irénée vénéré dans l’Église universelle. Il s’avère que cette foi est rigoureusement la même que celle des Orthodoxes d’aujourd’hui ; c’est pourquoi les Orthodoxes de tous les pays connaissent saint Irénée et le prient.

Saint Irénée était né en Asie mineure vers l’an 130. On ne sait à quelle date il est venu en Occident. Mais, il était prêtre à Lyon en 177 au moment des persécutions et évêque de cette ville en 199. Il était, comme saint Pothin, un disciple de saint Polycarpe, lui-même était disciple direct de saint Jean l’Évangéliste. Il défendit la foi orthodoxe contre les erreurs de son temps, en particulier la fausse gnose qui nie le mystère de l’Incarnation. Il disait à ce sujet : « Le Verbe de Dieu, poussé par l’immense amour qu’Il nous portait, s’est fait ce que nous sommes afin de nous faire ce qu’Il est lui-même ».

La vie et l’œuvre de saint Irénée (Contre les hérésies, Exposé de la prédication apostolique) nous montrent à l’époque ancienne l’existence d’une tradition orthodoxe bien implantée, liée aux communautés de langue grecque et utilisant cette langue pour la Sainte Liturgie et pour l’enseignement. Le rôle de l’Empire romain reste à cette époque un rôle purement politique et administratif. On ne voit pas non plus que l’Église de Rome ait eu au 1er ou au 2ème siècles une influence culturelle ou missionnaire. Le christianisme en Gaule à l’origine semble beaucoup plus lié à la culture grecque qu’à la culture latine. Très vite cependant la latinité combinée aux données locales va donner un christianisme gallo-romain.

A l’époque ancienne si l’on parle des évêques et des prêtres, il ne faut pas pour autant négliger la responsabilité des laïcs, caractéristique importante de l’Orthodoxie. Bien sûr, pour des raisons matérielles, les documents historiques nous transmettent surtout les noms de ceux qui présidaient les communautés. Mais la sainteté du peuple orthodoxe de Gaule est bien connue aussi. Si nous reprenons l’exemple de la ville de Lyon on donnait une sainte Blandine qui figure aux nombre des martyres qui souffrirent la persécution en 177. Son nom est tout à fait latin. D’après la lettre envoyée par les Églises de Lyon et de Vienne aux Églisesd’Asie, Blandine était une esclave et elle fut torturée à mort avec ses compagnons Maturus, Sanctus, Attale et Ponticus. Ceci nous montre que la foi orthodoxe était enracinée dans le peuple même du lieu.

La tradition orthodoxe a en France des bases très anciennes, comme on peut le voir. D’origine rigoureusement apostolique, elle a fait la synthèse de plusieurs cultures : la culture gauloise locale, la culture latine, la culture juive et la culture grecque. Les noms portés par les saints révèlent leur origine ethnique très variée. Toutefois l’unité de la foi et de l’Esprit est très connue. Profondément enracinée dans le sol gaulois par le sang des martyrs, cette Église a su défendre la foi contre des erreurs mortelles. Elle entretenait une communion rigoureuse avec l’Orthodoxie universelle, c’est-à-dire la couronne formée par toutes les Églises locales. Elle est à ce titre un modèle pour l’Orthodoxie aujourd’hui.

Père Marc-Antoine Costa de Beauregard
Extrait du bulletin Roumain « Vestitorul »