ORTHODOXIE en OCCIDENT
Père François Méan – Lausanne
Extraits du « BULLETIN ORTHODOXE »,
organe d’information des paroisses orthodoxes de suisse romande
attachées à l’Église Orthodoxe de France, n° 76-77 Mai-juin-juillet 1990
ÉDITORIAL
Peut-on être orthodoxe sans appartenir à la tradition liturgique d’une Église d’Orient ? Pour nous, qui avons fait le choix d’adhésion à l’Église orthodoxe dans sa branche occidentale, le paradoxe est là : reçus dans l’Orthodoxie, nous y avons grandi dans un autre rite que le rite byzantin, et pourtant proche de celui-ci. Comment a-t-il été possible que renaisse une Église orthodoxe en Occident ayant son caractère propre et puisant sa source dans la tradition de l’Église des Gaules ?
Le livre tout juste sorti de presse de Maxime Kovalevsky, document à la fois rigoureux et vivant, écrit par un homme dont l’autorité est perçue dans tous les milieux, répond aujourd’hui exhaustivement à cette question (Orthodoxie et Occident : Renaissance d’une Église locale, Maxime Kovalevsky, Carbonnel éditeur 1990). Puisse ce livre de première référence, dont nous recommandons la lecture à tous ceux qui aime l’Orthodoxie, recevoir bon accueil non seulement parmi tous les orthodoxes désireux de s’informer avec exactitude, mais aussi dans les milieux chrétiens de l’Occident préoccupés du renouveau du christianisme au seuil du troisième millénaire !
Nous sommes persuadés qu’un examen sans préjugé peut convaincre beaucoup de nos frères de tradition byzantine de la justesse de la voie choisie. Quant à nous, que nous reste-t-il sinon à essayer de vivre à la hauteur du don reçu et à témoigner patiemment de ce que nous sommes ! La tâche est grande de rendre compte, dans l’humilité, non seulement de la Foi orthodoxe universelle, mais de la totalité de ce qui nous a été confié dans la situation où nous avons été appelés, à savoir également cette caractéristique orthodoxe occidentale qui est typiquement la nôtre. Tiens fermement ce que tu as reçu, afin que nul ne te ravisse ta couronne, recommande le Seigneur à l’ange de l’Église locale de Philadelphia (Apo. 3, 11).
La Tradition orthodoxe distingue deux types d’identité dans l’Église chrétienne : l’identité fondamentale que procure l’identité de la Foi universelle orthodoxe et la concorde entre Églises-Sœurs de même foi, et l’identité – seconde dans l’ordre, mais également irréductible – de la personnalité des Églises particulières respectant la corrélation qui doit exister entre l’origine, la civilisation, la langue, le culte, la spiritualité et la vocation des nations. Le dynamisme initié à la Pentecôte suppose l’appropriation du Don de l’Évangile par chaque hypostase ecclésiale des Églises-Sœurs – l’Épouse qui a l’Agneau pour Époux. La tradition orthodoxe des Gaules, alors que l’Église était indivise, appartient à l’Orthodoxie universelle ! Nous voulons le confesser et en vivre.
Saint Césaire d’Arles, ce grand évêque de l’Occident, commentant le passage de l’Apocalypse déjà cité plus haut écrit : « Ainsi parle le Saint et le Véridique, qui tient la clé de David, c’est-à-dire le pouvoir royal, Qui ouvre et personne ne ferme, Qui ferme et personne n’ouvre… Voici que Je tiens devant toi la porte ouverte »(Apo. 3, 7-8).« Le Seigneur dit cela, écrit saint Césaire, pour que personne ne puisse affirmer que quelqu’un a le pouvoir de fermer même en partie la porte que Dieu ouvre à l’Église dans le monde entier ».
Pendant le Temps de Pâques, les portes royales des iconostases restent ouvertes, ce qui signifie que le Ressuscité, Seigneur du Ciel, visite son peuple comme au temps de l’Église des disciples afin de les initier à la Vie nouvelle qu’Il a inaugurée par sa Résurrection. Ne peut-on trouver dans cette figure la véritable attitude orthodoxe devant la plénitude de l’agir divin dans l’Histoire ? Au moment où la prochaine conférence ecclésiastique panorthodoxe des Églises d’Orient, doit se tenir avec à l’ordre du jour la question de l’accès à l’autonomie et à l’autocéphalie des Églises locales, serons-nous entendus ? Je m’exprime ici simplement en mon cœur de prêtre et dans la confiance de l’Esprit qui guide l’Église.
Père François Méan