Pourquoi le catholicisme orthodoxe occidental

POURQUOI LE
CATHOLICISME ORTHODOXE OCCIDENTAL

T.R.P. Gilles Hardy

Conférence donnée sur France-Culture en mai 1970

Lorsqu’on s’approche, à l’époque actuelle, des termes « Catholique » et « Orthodoxe », outre leur valeur et leur force intrinsèque, leur autonomie et disons, même, leur éternité, il faudrait constater qu’ils transportent avec eux de multiples sens déviés ou décadents et une réputation très tenace issue d’une longue carrière au sein des différentes cultures.

L’auditeur pourra donc se choquer d’entendre associer deux noms tels que catholique et orthodoxe dont l’usage commun veut qu’ils soient attachés personnellement à l’Eglise Romaine et aux Eglises d’Orient. Le mot catholicité qui fut choisi par l’Eglise primitive ne signifie pas seulement universel mais il souligne la réunion, la concorde des personnes libres, ces personnes étant les différentes Eglises dispersées parmi les nations où chacune s’organise comme la totalité. Chaque fraction, c’est-à-dire une Eglise locale particulière, est universelle, catholique, parce qu’organisée comme toutes les autres et visant avec elles à l’unité ou concorde d’opinion. Ainsi la totalité spatiale de l’Eglise peut résider pleinement en chaque lieu. Ce nom s’oppose donc à tout ce qui est partial, sectaire ou hérétique.

Quant au mot orthodoxe, il ne signifie pas, comme on pense souvent, ce qui est conforme à l’enseignement ou à la doctrine d’un milieu déterminé mais allie la dignité de celui qui est glorifié, c’est-à-dire Dieu, et l’attitude de ceux qui le glorifient, c’est-à-dire les hommes ; c’est un mot qui relie le ciel à la terre et qui anoblit l’homme jusqu’à lui permettre d’oser dire : « Il est digne et juste de rendre grâce à Dieu ». Il fait de lui un commensal de Dieu. Orthodoxe, paradoxalement, rend l’homme égal à Dieu et lui laisse la liberté de l’apprécier et de consentir à Lui rendre un culte ; le mot s’oppose donc à l’esprit de restriction, d’aplatissement, de diminution de la valeur religieuse, à l’esprit de platitude, de profanation, au divorce entre l’intelligence et la vie, entre le monde spirituel et le monde de la nature ou même le monde des passions. Comme le disait l’Evêque de l’Eglise Catholique Orthodoxe de France, Monseigneur Jean de Saint-Denis, qui est mort récemment, la notion de catholicité est horizontale, elle cerne tous les problèmes des églises, des cultures, des nations, des traditions et de vie tandis que la notion d’orthodoxie est verticale : elle envisage les rapports de glorification, de dialogue personnel ou collectif entre Dieu et l’homme, dépassant toute pensée et englobant l’être total. Ainsi, rassembler catholicité et orthodoxie revient à produire un symbole efficace de la croix qui est la rencontre dans le temps et dans l’espace, que ce temps ou cet espace soit physique, psychique ou spirituel, de l’être et du devenir et c’est pour cela que la croix est appelée instrument du salut car elle est à la fois anti-sectaire et anti-platitude.

Pendant un millénaire, les églises furent catholiques orthodoxes. L’Irlande, l’Italie, la France ou l’Espagne ont leurs propres églises comme les ont actuellement la Grèce, la Russie, la Roumanie et la Bulgarie. Et ces églises se groupent sous l’influence et à la faveur des deux parties de l’empire romain où elles sont nées en Eglise d’Orient et Eglise d’Occident mais leur communion est universelle ; elles sont une seule famille d’Eglises-sœurs qui s’expriment en une symphonie de traditions locales, de langues diverses sans domination d’une église, d’une tradition, d’une langue ou de coutumes particulières. Quelques exemples illustreront cette harmonie et cette indépendance où ne règne ni l’esprit de séparation, ni l’esprit d’isolement, parmi les églises, avant le grand schisme de l’année 1054.

Au Ve siècle, vit un évêque fameux : Saint-Hilaire d’Arles qui est le frère de saint Honorat, fondateur du monastère de Lérins que l’on peut considérer comme le mont Athos de l’Occident et qui donna de nombreux évêques non seulement dans la France de l’époque mais même pour l’Allemagne et l’Angleterre. Ce saint Hilaire est métropolite de la ville d’Arles qui est l’une des métropoles ecclésiales les plus importantes des Gaules et une résidence impériale. Saint-Hilaire, profitant de cette situation privilégiée, veut et tend à unifier l’Eglise des Gaules sous sa juridiction mais saint Léon le Grand, évêque et pape de Rome, sans d’ailleurs mettre en avant aucun principe de primatiat, s’y oppose et soutient fermement l’indépendance du primat de l’Eglise de Vienne. Le même Hilaire ira personnellement à Rome pour signifier au même saint Léon le Grand que les décisions du Concile général des Gaules qui eut lieu sous sa présidence sont irrévocables et définitives. Arles et Vienne gardent ainsi leur indépendance au sein de la même Eglise des Gaules, Rome a donné son opinion fraternelle et personne ne songe entre ces Eglises à des rapports de dépendance.

Au concile de Sardique, qui eut lieu au IVe siècle, et dont on pense que le lieu fut la ville de Sofia dans l’actuelle Bulgarie, se réunissent des évêques de tout l’Occident. Osios de Cordoue, figure la plus éminente de cette assemblée, propose à tous les évêques réunis, en leur disant : « Si vobis placet » si cela vous plaît – que tout évêque, faisant appel d’un jugement prononcé à son encontre et croyant à la justice de sa cause, puisse en appeler à l’évêque de Rome et que ce dernier réunisse alors un concile des évêques qui résident dans le voisinage de celui qui a été jugé pour réétudier la cause ; les évêques du concile acquiescent et donnent ainsi à l’évêque de Rome le devoir de recevoir la plainte d’un évêque mal jugé par un concile pour provoquer un autre concile. Ceci ne donne pas le droit à l’évêque de Rome de s’interposer dans les affaires des autres églises mais donne la possibilité aux autres évêques de se plaindre auprès de lui, et cette règle qui est une règle de la charité entre les églises et entre frères sera en vigueur jusqu’au Ixe siècle.

Au second concile de Mâcon (585), l’Archevêque de Lyon préside. Il est chargé, pour réunir un concile de tous les évêques, tous les trois ans, de choisir et désigner le lieu de la réunion. Les actes du Concile le nomment « Patriarche », comme cela se fait également pour les primats de Tolède, Milan ou Cantorbéry, sans compter Rome, à la même époque.

Ainsi, jalouses de leur indépendance, autocéphales comme on pourrait dire maintenant, les églises s’interrogent mutuellement dans des difficultés. Lorsque le IVe concile œcuménique se prépare, il eut lieu en 451 à Chalcédoine, le Pape saint Léon soumet à l’approbation de l’évêque d’Arles, Travelius, la déclaration et l’intervention qu’il présente au concile, intervention qui est un chef-d’œuvre de clarté dogmatique orthodoxe et qui est connu sous le nom de « tome de Léon à Flavien » ce dernier étant à l’époque patriarche de Constantinople. Arles est alors la métropole principale des Gaules ; son métropolitain, recevant le tome de saint Léon, s’adresse à tous ses confrères évêques pour connaître leur opinion sur le contenu de la déclaration du Pape. Le tome reviendra à Rome avec l’approbation de 44 évêques des Gaules et il sera ensuite pris comme base de la proclamation de la foi chalcédonienne qui est toujours considérée, en Occident, comme le fondement même de la doctrine chrétienne en ce qui concerne l’incarnation du Verbe. La société moderne est à la recherche bien souvent de semblables concertations à la fois libres et fraternelles.

Dans cette atmosphère de liberté réciproque il n’est pas exclu de voir s’exercer des tentatives de centralisation car la catholicité oscille entre les deux extrêmes que sont la centralisation autoritaire par souci d’organisation, une certaine volonté de puissance et, inversement, la pulvérisation anarchique des églises en une multitude de petites organisations ou monades par apparition de particularismes locaux. Tout l’art des Eglises anciennes et des Pères de l’Eglise consistera d’éviter de tomber dans ces deux abîmes afin de conserver au corps ecclésiastique tout entier le sceau de l’image trinitaire qui est l’unité de nature – le corps unique – avec les personnes libres ou les membres de ce corps car il n’y a pas de corps sans membre mais pas de membres isolés du corps.

Ainsi certaines grandes Eglises essayent de soumettre à leur domination les petites Eglises locales fidèles à l’orthodoxie qui éclaire chaque parcelle, chaque membre, et à la catholicité qui les unit ; l’épiscopat universel prévient ces tentatives en leur opposant la doctrine catholique orthodoxe. Deux exemples célèbres illustreront ce comportement. Au commencement du Ve siècle, tout d’abord, la grande église d’Antioche voulait soumettre la petite église de Chypre à sa juridiction. Le IIIe concile œcuménique en 431, dans son 8e canon, stigmatisera avec violence cette tentative et la déclarera « acte contraire aux règles des Saints Apôtres, innovation portant atteinte à la liberté de tous, contagion exigeant un traitement des plus énergiques en raison du préjudice causé » et le concile statuera par une décision qui restera à travers les âges : « que l’on n’enfreigne pas les canons des Pères et que, sous prétexte de ministère sacré. ne s’introduise pas l’orgueil des pouvoirs de ce monde, de crainte qu’imperceptiblement nous ne perdions cette liberté que notre Seigneur Jésus-Christ nous a donné par son sang ». Comme deuxième exemple, citons l’époque où l’Eglise de Rome veut soumettre l’Eglise de Carthage à sa juridiction en voulant imposer aux Africains les règles du Concile de Sardique dont nous avons précédemment parlé au lieu de celles du 1er concile œcuménique de Nicée qui prévalaient alors dans l’Eglise de Carthage. Le concile de Carthage réunit, écrit alors des lettres au Pape Célestin disant : « la décision du Concile de Nicée renvoie les simples clercs et les évêques eux mêmes à leur métropolite ou archevêque, il a reconnu sagement et justement que quelles que soient les affaires mises en cause elles doivent être résolues sur place car les Pères ont pensé qu’aucun lieu n’est privé de la grâce du Saint-Esprit. Est-il possible qu’il se trouve quelqu’un pour croire que Dieu peut inspirer à un seul la rectitude du jugement et la refuser aux très nombreux prêtres réunis en Concile ? » Tel est l’admirable respect de la liberté de chaque Eglise en face des essais de centralisation. Une lutte identique est menée contre la dispersion anarchique des Eglises, piédestal de l’arbitraire et des entreprises épiscopales privées dictées par l’ambition.

Malheureusement, le deuxième millénaire voit se produire le déchirement de l’Eglise indivise, de l’Eglise aux multiples personnalités locales libres et égales unies entre elles par le lien de la paix et de la confession unanime de la foi malgré les blessures et les combats des hérésies. Deux réformes religieuses provoquent la rupture : celle du Moyen-Age ou Réforme Romaine et celle de la Renaissance ou Réforme anti-Romaine que nous appelons Protestante. Toutes les deux, issues du désir généreux de redresser la déchéance morale de l’Eglise et de la préserver du joug de ce monde, ont brisé le lien vital de la catholicité et de l’orthodoxie en voulant imposer leurs conceptions partielles. Trois exemples simples, pensons-nous donneront une idée de la révolution religieuse qui a été déclenchée en Occident et de la contre-révolution qu’elle provoqua. Ces trois exemples sont la centralisation, le rationalisme, et la diminution du rôle de l’Esprit Saint dans l’Eglise et dans le monde.

Commençons par la centralisation. Avant le XIe siècle, tout comme maintenant dans les Eglises Orthodoxes d’Orient, la structure de l’Eglise est tri-unitaire, la vie et la règle sont dans la concorde des églises locales unies dans l’esprit et dans la foi. Au Moyen-Age, favorisés par les épiscopats locaux, qui en appellent à eux pour faire échec aux Métropolitains qui sont proches, les évêques de Rome attaquent violemment l’indépendance des Eglises-sœurs et suppriment les droits des primats et archevêques-métropolites de leur propre patriarcat. Progressivement, les évêques deviennent de simples représentants de la Papauté et l’Eglise en Occident devient monarchique, centralisée, reflétant non plus un Dieu Trinitaire mais un Dieu unique dont l’« évêque de Rome est le représentant ici-bas ». L’unité passe de la concorde à la soumission. L’union dans la pensée est remplacée par l’autorité et les Eglises-sœurs deviennent des églises filles, on pourra dire plus tard que l’Eglise de France est la fille aînée de l’Eglise.

Pour ce qui est du rationalisme, avant le Moyen Age les chrétiens ne cherchent pas à prouver l’existence de Dieu par la raison humaine, Dieu Se prouve Lui-même par ses manifestations, par sa révélation dont la plus admirable est celle du Verbe devenu chair. Pour les Pères et les anciens, contrairement à ce que pourront penser et dire les encyclopédistes qui les traitèrent de querelleurs byzantins, les Pensées du Christ devaient illuminer, éclairer les pensées des hommes et leur communiquer la vraie connaissance non seulement des mystères sacrés mais aussi des lois du monde : s’exercer dans tous les domaines. Au XIIe siècle les rôles se renversent, Anselme commence à faire confiance à la raison et la prend comme guide infaillible. L’existence de Dieu est prouvée par les déductions et alors, infailliblement et nécessairement, ce Dieu devient infantile puis nuisible et enfin Il n’a plus de raison d’être puisque l’être raisonnable peut Le dominer par sa logique. La nouvelle théologie qui naît en ce temps, parsemée d’œuvres géniales, la scholastique, remplace la Trinité vivante et insaisissable par la Trinité métaphysique et objective. Alors le monde se divise entre les mystères qu’il faut croire sans trop vouloir comprendre et la nature sur laquelle règne la raison. Tout le schisme entre la théologie et la philosophie, entre la révélation et la science, comme entre les clercs et les laïcs dans la vie particulière ou publique, est engendré.

Voyons maintenant la diminution du rôle de l’Esprit Saint. Pour les Pères encore et pour les anciens, le Christ qui est le Verbe de Dieu incarné montre et manifeste comment Dieu pense et agit. Par Lui, Dieu Se définit, et Se montre en particulier comme harmonie, tradition, autorité ou ordonnateur. Par contre, l’Esprit Saint demeurant invisible et dont nous ne connaissons pas le nom (Qui, en effet, est esprit ? Le Père est esprit, le Fils est esprit. Et qui est saint ? Le Père est saint, le Fils est saint), Se communique à l’homme et par Lui Dieu échappe à toute définition et devient l’objet d’infinie recherche. La liberté, l’inspiration, l’élan vital proviennent de Lui et résident en Lui. De cette opposition apparente, de ce paradoxe, naît toute la vie de l’Eglise : le Christ unit tout et l’Esprit Saint distingue en tout la valeur de chaque personne et de chaque parcelle.

Avec la centralisation médiévale, avec la confiance dans la raison pour éclairer la métaphysique de l’être et la soumission à l’autorité pour créer l’ordre, même généreusement, l’Esprit-Saint perd son rôle d’initiateur intime, de libérateur de toute pesanteur et ceci au bénéfice de l’organisation extérieure et des rouages hiérarchiques. Pour employer un autre langage, la définition l’emporte sur l’indéfinissable, et l’organisation parasite la liberté au lieu de marcher de pair.

Alors surgit la contre-révolution protestante : puissamment et prophétiquement elle se dresse contre la centralisation de l’Eglise mais dans sa précipitation elle ne retrouve pas la concorde des Eglises-sœurs et sa révolution s’accomplit au nom des droits des communautés isolées ; elle s’oppose au rationalisme, à la métaphysique dans la théologie, au nom du Dieu Vivant, proclamant la raison humaine faillible et corrompue. Malheureusement, elle ne saura pas dégager ce que nous appelons la raison du Verbe, l’intelligence du Fils et demeurera dans une foi spontanée, subjective et anti-traditionaliste. Elle s’oppose à la diminution du rôle du Saint-Esprit mais, hostile à la tradition autoritaire, elle ne remarquera pas la continuité entre l’œuvre du Verbe et celle de l’Esprit et la réciprocité entre l’unité et la liberté des personnes et elle finira par substituer l’expérience intime à la pensée objective du Moyen Age. Entraînée par une piété personnelle, la révolution protestante va glisser inévitablement vers une compréhension historique exégétique de la Révélation.

Pendant ce temps, l’Eglise d’Orient, l’Eglise catholique orthodoxe se replie sur elle-même, fidèle au passé mais meurtrie par la rupture. Les jeunes Eglises slaves viennent remplacer les Eglises occidentales détachées et l’Orient chrétien s’habitue à n’être qu’Oriental. Les conciles des XVIe, XVIIe, XVIIIème siècles à Jérusalem et à Moscou répondent aux questions qui s’entrechoquent en Occident comme le conflit de la foi et de la science ou de la grâce et des mérites, la place et le rôle des laïcs dans l’Eglise, l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis des valeurs humaines que ce soient les races, la nation politique, la question sociale… Mais tous ces trésors demeurent au-delà du rideau de fer entre l’Orient et l’Occident. On peut citer l’anecdote de Diderot se rendant en Russie et rencontrant le Métropolite Platon durant le « siècle des lumières » et lui annonçant avec gentillesse la disparition des croyances religieuses ; Le Métropolite Platon, qui était un homme du monde, se drapant dans sa robe de chambre en soie, répondit à Diderot, « Mon cher Monsieur Diderot il y a bien longtemps, bien longtemps, le roi David disait dans l’un de ses psaumes : l’insensé dit en son cœur, il n’y a point de Dieu ; prenez donc une tasse de thé mon cher Monsieur Diderot ». Heureusement la Providence qui veille sur le monde, utilisa les événements extérieurs pour provoquer le retour à l’union et restaurer la tunique déchirée. Les émigrations économiques et politiques, particulièrement grecques pour l’économie et russes pour la politique, envoient en Occident de nombreux orthodoxes avec leurs richesses ecclésiales à laquelle ils tiennent d’autant plus qu’elles sont leur seul lien avec leur nation d’origine. Simultanément d’ailleurs, l’internationalisme politique, la diminution des distances, le rapetissement de l’univers terrestre qui facilite les communications créent le goût nostalgique de l’unité dans l’humanité et les chrétiens du monde entier en sont profondément impressionnés. Ce seront les protestants, particulièrement disséminés en communautés variables, qui commenceront ce que l’on appelle maintenant « l’œcuménisme » moderne, afin de rassembler s’il est possible les chrétiens dispersés. Les Eglises Anglicanes Luthériennes, Calvinistes, dénoncent courageusement le scandale des séparations et proclament l’union. L’Occident reprend contact par les relations œcuméniques et personnelles avec les orthodoxes poussés hors de leur retraite et mêlés par force aux diverses civilisations et nations.

Il s’est alors trouvé quelques Français, Allemands, Suisses et Anglais, particulièrement depuis le début du XXe siècle, pour étudier scrupuleusement le patrimoine catholique orthodoxe apporté par les orientaux. Démêlant ce qui appartenait aux traditions locales, aux langues, aux mœurs des différents peuples émigrés et qui sont choses honorables mais secondaires, de ce qui était unique et universel, inchangé depuis les origines, dans ce patrimoine des Eglises d’Orient, ils eurent l’intuition et la certitude de pouvoir vivre de cette vérité inaltérée, sans les infirmités des conflits du Moyen Age et de la Renaissance et ils découvrirent aussi que leurs propres ancêtres, avant la déchirure de l’an mille, ne vivaient pas autrement dans leurs Eglises que ces orthodoxes émigrés dans leurs églises actuelles.

Réunissant alors le génie local de l’ancienne Eglise d’Occident, produisant la renaissance des anciennes liturgies, intactes dans les documents et sous-jacentes dans les consciences (ce que nous appelons le gallicanisme ou anglicanisme), réunissant le génie local avec la foi, le dogme, la tradition vivante de l’orthodoxie – avec l’aide de quelques orientaux de génie, amoureux de l’Occident – ils commencèrent à bâtir une communauté catholique orthodoxe, plus particulièrement en France. De ces initiatives est née l’Eglise Catholique Orthodoxe de France qui peut actuellement légitimement prétendre remonter au-delà du grand schisme, vivre de la vie de l’Eglise indivise. Pour transformer les Occidentaux, cette Eglise se penche avec amour sur les plaies du christianisme en Occident, plaies qui sont les siennes mais pour lesquelles elle possède une médecine : la foi inchangée de ses ancêtres, nourriture préparée selon les mêmes formules liturgiques, théologiques et canoniques que durant le premier millénaire du christianisme.

Nous sommes à la veille de voir refleurir l’admirable diversité des Eglises-sœurs, toutes catholiques et orthodoxes dans l’unité de toutes ces personnalités retrouvées et libres entre elles, au grand soulagement des peuples chrétiens dont le génie local retrouvera toute sa force pour former la symphonie universelle. Le Christ l’a prévu dans l’Evangile lorsqu’il fait pêcher les 153 poissons par les apôtres avant l’Ascension, 153 qui symbolisent les cultures ou civilisations primordiales du monde. Dans cette atmosphère comme au temps de sainte Radegonde ou de Clovis, l’on rencontre à nouveau et l’on rencontrera de plus en plus, un Parisien, un Provençal, un Breton, un Poitevin orthodoxe. Ce ne seront pas des Russes ou des Grecs déguisés, un film slave ou hellène avec sous-titre français, selon la boutade d’un prêtre orthodoxe, mais des hommes semblables à un Hilaire de Poitiers qui défendait la pure doctrine avec un Athanase d’Alexandrie ou à une Geneviève de Paris à laquelle Siméon le Stylite rendait hommage depuis la lointaine Syrie ou encore à un Cassien de Marseille qui initiait la Gaule aux profondeurs du monarchisme d’Orient. A notre époque particulièrement agitée par les questions sociales, par les rapports de la collectivité et de la personne, l’Eglise Catholique Orthodoxe peut apporter l’éclairage nouveau et pourtant ancien de la brebis perdue où l’humanité se sait « une » portée sur les épaules du Christ, et où elle affirme en même temps la valeur éternelle de chaque personne.