La vie quotidienne dans l’Église (Évêque Germain)

ÉTUDES SUR LA «CONSCIENCE» D’UN FIDÈLE POUR APPRÉCIER
LA VIE QUOTIDIENNE DANS L’ÉGLISE, SA PLACE AU SEIN
DE LA PAROISSE, SON TRAVAIL DANS L’ASSEMBLÉE

Mgr Germain, évêque de Saint-Denis

En contemplant les épîtres de saint Paul – sans doute le plus grand des formateurs de la communauté chrétienne originelle -, nous sommes amenés à faire plusieurs réflexions :

– La collectivité qui est un genre d’idole moderne n’a rien à voir avec la Communauté du Christ, avec l’Église. L’Église n’est pas une structure de l’État ni de la collectivité sociale, elle est autre et tout se passe «en» elle : baptême, mariage, mort etc., tandis que dans l’État ne se passe que la naissance jusqu’à la mort. L’Église n’est absolument pas à la manière de quelque société humaine que ce soit et si, en elle, se lève une tension pour la modeler sur un autre modèle que le sien propre, cette tension est fausse. Et ceci peut prendre l’aspect de maladie de l’âme ou de scandale pour ceux qui aiment le pouvoir.

– Saint Paul réclame donc (aux Romains et, à travers eux, à tous les chrétiens passés, présents et à venir) de forger une communauté «authentique», et nullement de transformer le monde ; puis cette communauté étant devenue spécifique, c’est elle qui changera le monde, les conditionnements des personnes. Exemple de cette attitude paulinienne : dans l’épître aux Corinthiens Paul dit que si un homme couche avec sa mère, dans le monde cela ne nous regarde pas ; mais pour nous, nous faisons et construisons l’Église qui est autre : avec autres lois, autres hiérarchies, autres élections, autre aristocratie, autre ésotérisme, autre ordre, autre monarchie, autre démocratie etc., car notre ordre, hiérarchie, élection… sont folie pour les démocrates, monarques… et tous les ordres du monde.

– L’essentiel dans la Communauté : elle est basée sur l’humilité de chacun de ses membres et non sur leurs droits, car Dieu sauve gratuitement et c’est un honneur pour nous. La Communauté n’est pas non plus basée sur les devoirs de ses membres, car le Christ est serviteur aussi. D’où Paul, s’humilie : pauvre, persécuté, voyageur, travailleur… cela pour briser toute autorité, car l’autorité dans l’Église est dans la «puissance» («Je viendrai et je vous jugerai non sur vos paroles mais sur votre puissance, afin que les œuvres de chacun paraissent clairement»).

D’où l’Église n’est pas un club, ni une association, ni une collectivité, ni un état, ni une société, ni… mais Paul, à chaque instant, met chacun devant la «Sagesse mystérieuse que Dieu a placée avant le monde pour notre gloire», c’est-à-dire que nul (hommes, anges, bêtes) ne connaît le plan divin sauf l’Église. Et Paul ne veut pas que les gens, même ordinaires, dans l’Église ne soient pas devant le mystère. Aucune communauté chrétienne ne peut se construire si chacun de ses membres, chacun à sa manière, n’est pas placé devant le monde des mystères.

Ayant perçu cela, l’exercice de la Communauté se développe : elle peut être spirituelle ou psychique. Dans les communautés qui ne sont pas spirituelles, on se conditionne par une chose difficile, par l’homme psychique qui est un homme jaloux, jaloux de tout et de n’importe quoi (pas forcément uniquement de la chair), et c’est cela qui donne des conflits. Par contre l’homme spirituel, le membre de la Communauté des chrétiens, trouve sa place et au sein de la Communauté nul n’est plus grand ni plus petit que l’autre.

Dès lors se fait l’apprentissage du mystère, nous sommes unis car nous sommes différents, ce qui est le reflet de la Divine Trinité ! Chacun doit donc chercher sa place, sachant que nous sommes «un» parce que différents ! Il est idiot de vouloir être tous identiques. Dans l’Église, certes, nous faisons la même chose (nous avons le même dogme à vivre) mais on l’exprime très différemment : l’un est pratique, l’autre mystique, l’autre ni l’un ni l’autre… Et pourquoi être déçu si l’un ne dit pas comme l’autre ? Exemple : Apollos est différent de Paul, mais leur unité est en Dieu et pas dans les choses secondaires.

Nous sommes «un», parce que moi je plante et l’autre arrose, et non parce que les deux arrosent. L’Église n’est pas un troupeau de moutons de Panurge : le Christ connaît chacun par son nom et entretient avec chacun, un rapport personnel Pour cela l’Église est appelée «Troupeau raisonnable» : l’on est chrétien anonyme mais on est dans la Communauté et avec un nom.

En définitive pour Paul, tout ce qui n’est pas Église est charnel et ne peut lui être comparé. Nous sommes collaborateurs de Dieu et pas seulement disciples de Dieu ou partisans de Dieu ou vivants pour Dieu.

Dans son enseignement pratique, Paul ne commence pas par la charité car cela est très difficile, mais il demande de dépasser et surmonter les sentiments mous, les émotions émotives, en faisant l’acquisition de : vigilance, virilité, croissance en «tenant bon quand même dans la foi»

La charité n’a pas besoin de climat émotif, mais de voir l’autre, objectivement, si l’on peut dire. L’apôtre Paul dit : «Tenez bon !» Le «tenez bon» me paraît signifier que l’Église est un milieu tout à fait spécifique qui n’obéit à aucune des lois des autres sociétés contemporaines. Le début de la Communauté pour un fidèle, la prise de conscience, est de se trouver au sein des mystères essentiels que Dieu a préparés pour l’homme.

LA FONDATION ET LA VIE DE LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE

Au centre des difficultés de nos communautés, il semble que nous développions, parce que nous l’avons semé, et parce que cela existe dans l’être humain, nombre d’éléments de jalousie, ceux dont parle l’apôtre Paul parce que les hommes ne se mettent pas devant les mystères ! Ils sont devant les autres sociétés, devant les uns les autres… Comment briser ce défaut épouvantable appelé «jalousie» et qui prive les hommes de trouver, avec une certaine paix, la possibilité d’apprécier la vie de l’Église ! Cette vie est appréciée par certains fidèles qui ne l’apprécient plus guère ensuite.

Ce que nous constatons dans nos paroisses oblige à faire en sorte que l’Église devienne un milieu qui soit authentique et pas forcément authentique vis-à-vis des critères de l’extérieur mais authentique devant la face de Dieu ! Il n’y a pas d’autre possibilité ici que d’introduire les hommes aux mystères dans le sens large. Ceci seulement peut faire de nous des membres convenables d’une paroisse ou d’une communauté chrétienne. Certains fidèles sont de moins en moins vivifiés par la Liturgie et ils ont besoin d’autres événements pour que leur être ne s’endorme pas dans ce que Paul appelle l’homme psychique, l’homme incapable de se renouveler et incapable d’éviter de se comparer aux autres.

La Révélation dite «Bonne Nouvelle» a pour cœur, pour moteur, le «lien avec les autres» ! La Révélation est sociale et repose sur les liens que nous avons les uns avec les autres. L’attitude divine se dévoilera définitivement au 2ème Avènement ; elle provoquera plusieurs effets, tout sera visible : vertus et péchés et surtout notre conscience, signifiant que la conduite vis-à-vis des frères – l’amour mutuel ou charité -, sera notre juge. On le voit déjà dans l’Église : ceci est un juge redoutable et permet d’apprécier qu’on ne doit pas craindre la découverte de nos péchés. On doit apporter la pénitence et le jugement (dit dernier) se situe maintenant ; il est conditionné par nous-mêmes.

En résumé l’apprentissage de la vraie communauté se fait par l’apprentissage du pardon et de la miséricorde ou de la remise des dettes les uns aux autres : la vraie communauté se revêt du Christ. Voici un art très délicat.

Pour le soin et la vie de l’Église il y a encore une question primordiale : la conduite à tenir vis-à-vis des faibles (questions qui troublent souvent les communautés) ; on cultive souvent de fausses attitudes envers eux.

Qui sont les faibles ? À l’intérieur de l’Église se sont ceux qui s’accrochent à des choses formelles (questions de calendrier, jeûnes, certains gestes).

Qui sont les forts ? Ceux qui sont libres sans être libéraux !

Dans l’épître aux Romains, Paul montre qu’une hiérarchie de valeur est indispensable sans cacher la difficulté à l’établir. Les faibles ne sont pas des êtres timides ou moraux, ils sont des êtres accrochés aux choses formelles – ils ont pour caractéristique d’être agressifs, ritualistes et puritains ; les faibles ne sont pas faciles à manier. Ils sont difficiles à aborder parce qu’on ne veut pas les scandaliser et parce que, pour notre part, nous nous imaginons forts car libéraux (en ces deux attitudes il n’y a pas de discernement de valeurs !) Paul conseille d’avoir une économie pragmatique (qui tient compte et du contexte et du but), c’est-à-dire de comprendre que la faiblesse a une valeur pour les faibles, que le jugement subjectif n’a pas à être méprisé par le jugement objectif… et que toute attitude est bonne si elle mène au salut. On doit tenir compte de l’être et de la hiérarchie des valeurs qui sont en jeu à l’intérieur de la vie de l’Église sans mépriser les valeurs inférieures.

Lorsqu’on applique l’économie (l’évêque par exemple), les uns sont contents parce qu’ils pensent : il est libéral, et les autres disent : Non ! halte à la prostitution du sacré ! ne voyant ni l’un ni l’autre que l’on agit sous deux éclairages : l’être, son milieu et les valeurs en jeu. Nous devons avoir la même attitude dans nos rapports avec les êtres humains, c’est-à-dire prendre en considération la hiérarchie des valeurs sans pour autant supprimer les valeurs inférieures.

Paul exige le respect réciproque sachant que si l’on aime sans respect on est agressif ! Car, ne l’oublions pas, nous confessons la Divine Trinité : trois hypostases et l’Unité ! Ceci exige le respect des autres et de leur attitude. Il arrive qu’il y ait des «scandales» et l’Évangile dit que l’apparition du scandale est un malheur. Mais certains scandales sont nécessaires, exemple : «Quitte ton père et ta mère !». Ainsi : l’attitude envers les faibles est un art plus qu’une science et exige un tact intérieur. Paul précise : «N’exposez pas votre privilège à l’outrage, car le royaume de Dieu n’est pas une affaire de nourriture ou de boisson mais il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint !»

Qu’est donc la justice ? on la comprend souvent mal, avec pour premier malentendu qu’elle serait à l’opposé de la miséricorde. Ceci est faux et bibliquement non fondé. Non ! La justice consiste à être authentique avec soi-même. (exemple : Dieu est juste parce qu’il ne ment pas ; nous sommes justes parce que nous sommes conformes à nos fonctions). Il existe «la paille et la poutre», une parabole où le Christ ne dit pas «de ne pas juger» mais où il pose la question : «où est la paille et où est la poutre ?» Les purs ne voient pas l’impureté (ils sont justes) et le dégoût de l’impureté chez un autre vient de ce que nous ne sommes pas encore purs.

L’injustice consiste donc en ce que nous ne sommes pas conformes à nous-mêmes. Dieu est juste parce qu’Il se manifeste «comme Il est» et non pas (comme nous le faisons parfois) comme Il n’est pas. Nous devons faire apparaître le christianisme comme il est et non pas comme il n’est pas : ne discutons pas des choses secondaires (formalisme, calendrier, juridiction…) mais on doit respecter tout sachant que Dieu est juste parce qu’Il pardonne. Si on ne pardonne pas on n’est pas chrétien.

Il semblerait que nombre de crises dans les communautés viennent de ce que l’homme n’est pas dans sa propre mesure, pas conforme à lui-même. On doit d’abord trouver la justice pour soi-même et après on aura les relations avec les autres tout à fait convenables. Pour dire les choses d’une façon banale : le faible est faible, le fort est fort et Dieu est juste, et si vous voulez vivre en communauté ne jugez rien ni personne ! Par contre cultivons la justice : elle est la conformité avec soi-même aussi bien dans la fonction, aussi bien dans la Liturgie, etc. sinon on va se projeter les uns sur les autres, former des idoles, engendrer des réactions, et nous aurons des communautés malades.

En conclusion, l’Église comme Communauté repose sur la remise des dettes, sur l’apprentissage du pardon et sur l’attitude vis-à-vis des faibles. On ne discute pas les questions formelles mais on cherche la justice. Elle consiste à être authentique avec soi-même