L’âme et le rythme liturgique

L’Âme et le rythme liturgique

Exposé de Mgr Germain, évêque de Saint Denis

La liturgie prétend et arrive quelquefois à rendre l’homme disponible à la grâce et nous allons essayer de voir comment l’âme humaine progresse à travers l’architecture liturgique pour devenir capable de Dieu. Ce n’est pas un thème inventé, il s’agit simplement de parcourir la liturgie et de regarder comment elle s’adresse et qualifie progressivement l’âme humaine. Vous savez que l’on peut considérer que dans tous les offices divins, il y a sept parties successives et ceci est vrai pour toutes les heures de l’office liturgique. Dans la liturgie de la messe, il y a neuf parties, un peu comme les neuf registres angéliques et, ce qui paraît intéressant, c’est d’examiner ces neuf parties de la liturgie ecclésiale et de les greffer sur la liturgie de l’âme.

Monseigneur Germain – Fête paroissiale à Brectouville – 2005

1. La première partie est la préparation de la divine Liturgie. Pour des personnes qui président à des offices liturgiques, il faut avoir ces quelques éléments-là. La préparation a un aspect multiple, c’est-à-dire, avant l’acte liturgique proprement dit, on doit se préparer. La préparation se fait dans le cadre que chacun connaît de par son activité, par exemple il y a des gens qui se préparent à la Liturgie dans la rue parce qu’ils arrivent à la dernière minute, d’autres arrivent par métro et certains ont la chance d’arriver dans l’église avant ce moment-là. Ils vénèrent les icônes, ils mettent des cierges et il y a tout un cadre qui est personnel. Mais l’élément central de la préparation, c’est l’acquisition de la paix intérieure. C’est la sortie de l’âme émotionnelle et de l’expérience de la vie immédiate, et l’on peut dire autrement, c’est introduire l’homme dans l’âme mystique, c’est-à-dire qui s’approche des Mystères. Cette préparation saisit d’avance, au-delà du monde empirique immédiat, l’exposé intérieur que sera la Liturgie qui va être célébrée sous forme symbolique. Que se passe-t-il ? On adopte dans son âme le lieu dans lequel on va se trouver. On adopte aussi d’avance les habitants de ce lieu qui vont célébrer avec vous et puis le mode de la tradition, le mode de comportement. L’âme se tourne alors du monde extérieur vers le monde intérieur et elle commence à vivre intérieurement. Il y a des conseils qui ont été donnés par les Pères de l’Église pour préparer la Liturgie, ils conseillent de dire les psaumes du Roi David. Pourquoi ? Parce que les psaumes sont les cantiques de l’âme. Ce n’est pas un moment pénitentiel, ni de présence divine mais de préparation. C’est une manière de s’ouvrir. Pour cette préparation il est objectivement bon de prendre du temps. L’âme se revêt d’attitudes qui apprécient par avance le mystère qu’on va célébrer. Il y a une multitude de manières de s’y prendre. Et ceci est vrai pour les offices divins, car accéder à un office divin sans un minimum de préparation, c’est dommage.

2. La deuxième partie de la Liturgie peut s’appeler l’introduction. Il y a l’entrée du temple, des mystères ou la petite entrée, quand il s’agit de l’entrée du clergé. On chante le prælegendum et dans les liturgies vespérales le Psaume cosmique. L’attitude de l’âme change, elle se met en face de la Divine Trinité, vers un Dieu personnel. L’on ajoute le Trisagion qui est une louange angélique et la bénédiction trinitaire : «Béni soit la Sainte Trinité…». C’est un événement qui établit la dépendance de la créature vis-à-vis du Créateur. Dans la Liturgie de saint Jean Chrysostome, on dit «Béni soit le règne du Père, du Fils et du Saint-Esprit».L’homme dit à Dieu : Je suis ton serviteur. Et l’âme, de mystique qu’elle était à la préparation, devient religieuse. Et du point de vue physique, la position est toujours debout. D’ailleurs, le commandement diaconal le dit bien à ce moment-là : «Debout» et «Soyons attentifs !».

3. La troisième partie est le moment où, ayant franchi les Collectes, le Kyrie et éventuellement les Hymnes, on commence à préparer la couche nuptiale avec les Psaumes, le Graduel, l’Alléluia, les lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament. À ce moment-là, l’homme dépasse les illusions et tous les soucis qu’il avait traînés derrière lui. L’homme s’éveille dans son cœur et commence à prendre conscience de son âme. Pourquoi ? Parce qu’elle est enseignée. On passe dans un état d’âme qui n’est plus du tout religieuse mais que nous pouvons appeler état d’âme spirituelle, pneumatique c’est-à-dire capable de s’ouvrir à l’Esprit Saint. Dans cette partie de la Liturgie, un certain accomplissement se produit à ce moment-là, il y a Dieu et soi-même. L’univers n’est pas encore là mais il y a la Divine Trinité et soi-même. Au fond, c’est l’individu qui s’approche de l’Inconnu et Celui dont il a reçu la bénédiction. C’est une sorte d’irruption de l’Esprit Saint qui prend l’homme tel qu’il est dans cette troisième partie de la Liturgie.

4. La quatrième partie, c’est la lecture de l’Évangile , ou dans l’office divin, c’est le chant «Lumière Joyeuse» ou le «Cantique de Marie» que l’on chante aux Vêpres. De l’état d’âme spirituelle, avec l’Évangile, on entre dans un état d’âme gnostique. On est debout en silence, on est sacrifié au Verbe et au moment où on entrera dans le Canon de la Liturgie, ce sera l’inverse, c’est le Verbe qui sera sacrifié à l’homme, les choses vont se renverser. Dans ce moment, les mots bombardent l’esprit et le cœur, et l’homme change. C’est une phase de connaissance et cette connaissance a un double aspect, c’est d’avoir un aspect de nourriture (on est nourri par la parole de Dieu) et un aspect de sacrifice (Dieu immole les hommes par son Verbe et par sa Parole et l’homme se tait). L’Évangile éclaire, il illumine et il transforme. Cette période-là communique un feu, une flamme avant d’être un enseignement moral. Car si c’est trop un enseignement moral, il n’y a pas cette puissance divine qui sacrifie l’homme et qui dépasse. Celui qui pénètre et ouvre le sens des Évangiles, s’aperçoit combien le sens moral est dépassé. Le cheminement est long. Il y a besoin d’une certaine lenteur parce que la recherche de Dieu l’exige. C’est une chose que tous les Pères spirituels disent : «Tu cherches Dieu, va lentement». La position physique est debout.

5. Ce qui constitue la cinquième partie sont les demandes litaniques et l’Offrande, la Grande entrée qui est l’entrée du Christ à Jérusalem et qui est un moment de l’offrande universelle. C’est lorsqu’on chante : «Que toute chair humaine fasse silence». Et quelle est la caractéristique de l’âme ? Ici l’âme devientecclésiale, pourquoi ? D’abord les catéchumènes sortent. Ensuite la Foi est proclamée dans le Christ qui offre et qui est offert. C’est l’Offrande et l’Offertoire. Le Mystère est préparé. On apporte les sept offrandes, et la huitième, l’homme s’offre lui-même. Pourquoi est-ce un état ecclésial ? Parce que l’on associe les vivants, les morts, les saints, les anges et l’histoire. On ne peut pas dire finalement que cette étape soit seulement ecclésiale, elle est catholique dans le sens central du terme parce qu’elle contient la vision de tout et de tous. Et c’est une vision universelle qui ne peut pas être portée par tout le monde. C’est pour cela que, dans l’Église antique, on faisait sortir les catéchumènes. Pourquoi je dis cela ? Parce que ce qu’on appelle le monde, c’est dans le sens un peu négatif du terme. Saint Isaac le Syrien disait : «Qu’est-ce que le monde ? C’est le complexe des passions multiples.» Vous pouvez retenir ce terme. Et ceux qui sont encore un peu mondains (dans ce sens-là) ne peuvent vraiment pas porter cette partie de la Liturgie parce qu’elle n’a pas été précédée par les autres étapes. Et je crois que c’est un peu un défaut, par exemple, de mettre des Litanies à caractère universaliste, dès le début de la Liturgie comme c’est fait dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome. Au fond comme la vision est catholique, on associe toutes les ordonnances de l’univers et cela ne peut guère venir qu’à ce moment-là.

Monseigneur Germain – fête de la Saint-Martin – Amboise 2005

Examinons un peu les demandes litaniques telles que nous les chantons. Nos litanies sont les litanies dites «de Saint Martin», elles sont construites comme toutes les grandes litanies. Qu’est ce que l’on fait dans les litanies ? Le regard embrasse l’univers et toutes ses nécessités. Mais on ne le fait pas n’importe comment. On commence par l’Église, les Églises, ensuite l’univers, le monde politique, les évêques, les clercs, les malades, les temps, la prospérité, les persécutés, les persécuteurs, les animaux… C’est toute une chaîne et ces demandes sont placées là seulement au moment où les fidèles, les clercs et l’église se sont dépouillés, ont abandonné le monde et se sont ouverts. Après que l’âme soit devenue mystique, qu’on se soit formé spirituellement, qu’on se soit relié à Dieu et que l’on ait pris conscience qu’on a un esprit par l’étape spirituelle. Après on s’est nourri, on s’est rempli de l’enseignement du Christ. Après avoir abandonné le monde, on s’arme spirituellement et ce n’est qu’après qu’on peut regarder le monde et prier pour lui. Mais on ne peut pas regarder le monde si on n’est pas armé. C’est pour cette raison que l’on met les litanies à ce moment-là. Que faire ? Avant de demander pour quelqu’un, on doit d’abord acquérir la paix. Dans la liturgie orientale, on dit d’ailleurs toujours: «En paix, prions le Seigneur». Saint Jean Chrysostome dit juste cela etnous, nous disons : «de tout notre cœur et de tout notre esprit.» On peut dire cela à partir du moment où l’Esprit a été éveillé. C’est le premier élément de cette prière litanique : avant de demander pour les autres, on commence à acquérir un peu de paix.

Comment elle se déroule ? D’abord on embrasse l’unité de l’univers, puis à l’intérieur de l’univers on place les distinctions. Et lentement, les demandes deviennent de plus en plus individuelles. Mais on ne fait pas l’inverse. Il y a d’abord tous les patriarches, ensuite tous les fidèles, puis vient le temple, puis vient le pays, puis viennent les fonctions, puis viennent les saisons, et ainsi de suite. On passe de l’universel au particulier ou au détail. Ensuite ce sont les demandes pénitentielles : «Prions pour ceux qui cherchent Dieu sans encore pouvoir Le nommer». Ce sont des demandes qui sont brèves, rapides, sans aucune explication. Le caractère de cette prière, c’est d’être universel et la liturgie ne peut être uniquement pour les malades, pas non plus pour un malade, ni pour telle maison, ni pour les patries ou telle patrie. Cependant si la liturgie est célébrée pour tel pays, pour tel malade, c’est certainement efficace mais on a souvent tendance à faire une liturgie pour monsieur untel et ainsi de suite.

Et pour que la prière porte, elle doit être dite de tout cœur et de tout esprit. Le Christ dit : «Le temps est venu où les adorateurs viennent qui sont des adorateurs en esprit et en vérité.» Et cela doit être dit avec la foi totale. C’est une sorte de prière qui part comme une flèche, qui franchit les cieux et, qui entre dans les entrailles divines, pourrait-on dire. Et alors là, si contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, l’initiation de l’âme doit être lente, l’âme approche lentement de Dieu, les Psaumes sont longs, les lectures sont longues, les Évangiles peuvent être très longs, par contre les demandes doivent êtres brèves. Cette brièveté dans la demande, en même temps que la lenteur pacifique pour aller vers Dieu correspond à ce qui est dit : «Cherchez le Royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît.» C’est-à-dire prenez le temps de chercher, faites appuyer votre esprit et votre âme mais dans l’action, soyez prompt, rapide, immédiat, spontané. C’est Jean de Cronstadt qui avait une expression très jolie : «Il vaut mieux se tromper que de traîner». Dans l’action, ne traînez pas. C’est un détail qui est très important. Nous devons tous retenir cela, l’homme doit prendre le temps de chercher (dans la quête de Dieu, la rapidité est mortelle) mais dans l’action, il part. Dans la réalité concrète de la vie, il faut prendre les décisions rapides, se tenir aux décisions et quelquefois même si on a l’impression que les décisions ont été trop rapides, même si elles semblent donner de mauvais résultats, mais parce que ce sont des décisions, Dieu rectifiera..

Quoi qu’il en soit, la demande est aussi importante et indispensable que la prière de contemplation et de louange, il y a besoin des deux : pourquoi ? Parce que la demande a une efficacité très grande. Elle ouvre l’homme à l’univers et l’empêche d’être égoïste. Elle le sort de lui-même. Elle fait qu’il n’est pas renfermé sur lui-même. Elle réalise le commandement : «Aime ton prochain comme toi-même». Par exemple lorsqu’on fait une prière de psalmodie, une prière de l’âme ou lorsqu’on écoute l’Évangile, il y a moi et il y a Dieu, et quelques-uns qui sont à côté, mais l’univers est absent. Par contre, quand on chante la Liturgie, l’univers est présent. Aussi, après les lectures, après ce commencement de transformation qui s’est opéré dans l’âme humaine parce que l’Évangile a été reçu et a nourri, après cette contemplation, on entre dans une action que l’on peut appeler gratuite ou royale, souveraine, post-contemplative qui est la demande universelle attachée à la demande individuelle.

Nous connaissons ce refrain tout à fait universaliste dans les liturgies qui est celui du «Kyrie eleison» qui revient souvent, c’est une sorte de prière perpétuelle. On peut trouver une prière répétitive et perpétuelle et on y retrouve ce que dit l’apôtre Paul : «Il vaut mieux dire cinq mots avec son intelligence que cinq mille ou dix mille en langues.» Le désir de parler en langues fait qu’on peut être possédé par des esprits inférieurs et peut-être pas par l’Esprit de Dieu. Dans certains milieux chrétiens, même orthodoxes, on entend parfois que le don des langues serait le don le plus précieux. Mais l’apôtre Paul dit « cinq mots » : une sorte de prière répétitive est plus profitable à l’âme que ce don des langues qui peut être parfois dangereux. Dernier petit mot : «Kyrie eleison» est un sujet très intéressant, il semble qu’il allie la foi et une attitude de pécheur. On se voit pécheur, on demande à Dieu compassion, pitié et simultanément on confirme qu’il est le Seigneur et le Sauveur. Il est difficile de traduire cette sorte de pénétration de la grâce divine là où l’homme se trouve par la prière du Kyrie et c’est pour cela que si l’on dit : «Aie pitié», c’est faible. Il vaut mieux garder le : «Kyrie eleison» tout le temps. Résumons tout cela ! finalement, l’âme catholique, c’est l’action du chrétien pour l’univers entier par la prière.

6. Viens ensuite la sixième partie qui est la Liturgie par excellence. Beaucoup de liturges et de Pères de l’Église ont appelé cela la mystagogie ou la théurgie, mot un peu compliqué, et je me demande si on ne peut pas appeler cela l’étape mystériologique. Que se passe-t-il ? L’homme devient capable du mystère de la Divine Trinité. C’est l’étape de l’action divine, d’un Dieu pour un Dieu et par un Dieu. À ce moment-là, l’homme entre dans la déification. Dans l’Office divin, quand on chante les Vêpres, cette étape vient après le «Notre Père», par exemple, lorsqu’on fait dans les offices divins les bénédictions des huiles. Quelquefois, on fait le sacrement à ce moment-là. Ce n’est pas toujours une étape inclue dans l’office divin mais dans la Liturgie, cette étape c’est le Canon lui-même ou la Consécration des Dons. Le monde alors se transforme dans la plus sublime des actions. C’est une action trinitaire, sacramentelle, suressentielle, transcendante, immanente, où l’homme est associé au monde angélique. On présente les dons et on dit : Nous ne sommes pas assez forts, que les anges nous relaient et présentent les dons. Et dans cette action, on trouve la création, la rédemption, l’ascension, la transfiguration, la déification, l’amour de Dieu pour l’homme. C’est l’action liturgique que rien ne peut enfreindre, c’est-à-dire rien ne peut la ternir, rien ne peut la diminuer et l’âme humaine est capable du mystère.

7. Vient la septième partie : c’est la fraction du pain et le Notre Père. C’est un moment où l’on commence à s’acheminer vers l’immolation de Dieu à l’homme, c’est-à-dire vers l’eucharistie au sens plénier du terme. Ici le Notre Père, la prière dominicale fait la liaison entre l’étape mystagogique et l’eucharistie. Que ce se passe-t-il ? C’est tellement mystérieux avec le Notre Père, au fond on appelle l’action du Père sur la terre et on attire le feu du Saint-Esprit sur l’être humain. J’ai l’impression qu’on peut dire ici qu’on appelle une nouvelle création ou une recréation de l’homme. C’est une étape ontologique au sens de la liturgie où l’homme retrouve ses capacités et son intimité avec Dieu et en même temps, il demande à Dieu d’intervenir. Dans l’Église primitive, le Notre Père n’était pas dévoilé aux non initiés, aux non baptisés, c’est pour cela que dans l’Église de Rome encore maintenant, on dit quelquefois le Notre Père à voix basse dans l’office divin et on le disait uniquement à voix haute souvent dans la liturgie parce que les non initiés étaient sortis. À noter qu’il n’y a aucun élément pénitentiel dans le Notre Père, cela n’est plus le moment.

Alors vient la fraction du pain et l’immixtion des parcelles de pain dans la coupe. C’est l’union du corps et du sang, c’est la civilisation de l’ordonnance du monde qui va de l’origine du monde jusqu’au Christ, c’est l’œuvre de la création qui s’unit avec la civilisation du vin qui est l’œuvre de la liberté progressive des enfants de Dieu dont le chemin a été commencé par Abraham. Et la civilisation du vin va du Christ jusqu’à la fin des temps. Il est intéressant de mêler les deux, et la fraction du pain et l’immixtion sont liées au Notre Père. Au fond, le mystère de la déification de l’homme et la totalité du mystère eucharistique se trouve dans la prière du Notre Père : il y a le pain quotidien, (la vie, le travail) et le pain au-delà des formes qui est le pain de la Vie divine, c’est-à-dire que tout notre travail, la sueur de l’être humain doivent être vérifiés par Dieu et transformés par lui. On ne sait pas très bien comment appeler l’état d’âme qui préside à cela, sinon on peut le nommer l’état d’âme de Marie. Car, qui a accompli cette sorte d’union qui reprend l’ontologie et projette le monde dans son destin, sinon Marie ? Ou bien c’est un état d’âme où l’Église devient typique, c’est-à-dire elle fait ce qu’elle fait. Là, l’homme est présent droit devant Dieu mais en même temps, il est dans Son intimité.

8. La huitième partie, c’est l’eucharistie proprement dite, le centre de la liturgie, à ce moment-là, on entre dans un monde nouveau qui est le monde futur qui se prépare. Nous sommes dans les prémices de ce monde nouveau. Quels sont les éléments de cette partie de la Liturgie ? Premièrement, il ne s’y passe rien. C’est un point, comme en acupuncture, on reçoit une parcelle et cependant c’est une touche qui est centrale. C’est comme la vérité, la vérité c’est un point. Si vous la déplacez un peu dessus, un peu de côté, un peu dessous, devant, derrière, ce n’est plus la vérité. La vérité c’est un point unique, c’est comme le centre d’une sphère ou le sommet d’une montagne et dans la communion, cependant s’opère un renversement total des valeurs parce qu’il y a la Présence divine. Il est vraisemblable que si l’on ressent quelque chose à ce moment-là, on sent son âme, mais ce n’est pas Dieu. Il peut y avoir quelque chose de psychique à ce moment-là. C’est le premier élément au fond. Renversement mais point unique dans la vie. Deuxième élément de ce moment eucharistique, c’est que probablement, on ne peut rien en dire. C’est pour cela qu’il est difficile d’en parler. Vous savez déjà : dans l’amour humain, on ne peut rien dire, ni décrire et un amour qui se raconte, c’est peut-être un récit, c’est peut-être une mémoire de quelque chose qui est passé. Peut-être ce qui est à ramasser ici avec l’eucharistie, c’est que l’homme est complètement changé. C’est un moment de dynamisme total et c’est pourquoi nous donnons la communion fréquente, et à plusieurs. C’est un petit peu comme dit la parole de l’Institution : ce pain est rompu «pour vous et pour un grand nombre». Les mots sont prononcés. Il est à noter que le Christ n’a pas dit que c’était pour tous. Pourquoi ? Parce que s’Il avait dit que c’était rompu pour tous, cela devenait obligatoire, tandis que là, il ne veut pas obliger. Ce n’est pas un ordre, mais seulement pour ceux qui veulent. Devant la communion, nous sommes quelquefois comme devant certaines intuitions de formules dans le domaine mathématique qui changent la perception scientifique de l’univers, d’une manière totale, et nous avons ainsi des petits faits perçus aussi dans les mystères qui changent la face de monde. L’état d’âme qui correspond à cette partie de la liturgie qui est la communion, c’est l’intimité du monde à venir. On est déjà dans le monde futur.

9. La neuvième et dernière partie de la Liturgie, c’est lorsqu’on chante : «Nous avons vu la Vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste», c’est une étape angélique. Cela doit être bref parce qu’on y expérimente un état de libération et on accélère liturgiquement le rythme de la liturgie quand on arrive vers la fin parce qu’on est dans un avant-goût du paradis, une sorte de réjouissance, d’épanouissement où les épreuves n’ont plus de sens. C’est une sorte d’état d’enfance pour nous qui ne sommes pas des anges. La clôture liturgique est double : premièrement, on proclame la Gloire de Dieu : «Bénissons le Seigneur», «Rendons grâce à Dieu», et ensuite il y a le souhait, l’envoi adressé par le prêtre aux fidèles, on dit : «Allez en paix», que le Seigneur vous sauve, c’est Lui qui vous aime, ainsi de suite.

Après ces neuf parties, vient peut-être un peu de silence, on boit, on mange, on danse, on fait le bien, on fait l’aumône parce qu’on a envie de donner, à mon avis, c’est le sens des agapes. Mais les agapes doivent être légères, pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas tomber de l’état angélique, de l’état d’enfance dans un trouble grossier et dégradant. Mais il ne faut pas non plus être triste et puritain. Alors la liturgie, surtout dominicale, c’est une fête. Précisons une dernière chose, il faut prendre des précautions avec ce qui vient d’être dit, pourquoi ? Premièrement, parce que jamais l’âme humaine ne peut être entièrement donnée à la joie, ni entièrement donnée à la tristesse. Dans la joie, on doit garder quelques souffrances sinon l’événement est monstrueux. En même temps, elle écrase, et la joie où il n’y a pas quelque chose qui ressemble un peu à la souffrance, en général cela devient une souffrance pour les voisins. Vous avez remarqué ces joies extraordinaires qui pèsent sur les autres, de même dans la tristesse il faut garder un peu de joie et rester ouvert aux autres. Et quand on arrive là, on peut dire que l’âme humaine est qualifiée, elle est passée de l’extérieur à l’intérieur, elle a acquis la capacité de Dieu. Après elle acquiert la capacité de se promener un petit peu comme la fiancée du Cantique des Cantiques et de danser devant la Face de Dieu. La sagesse est acquise et l’homme devient véritable. On pourrait peut-être faire le même exercice au sujet de la liturgie pour voir la qualification de l’esprit. Mais c’est un autre sujet à voir une prochaine fois. Mais souvenons-nous de ces différents caractères, on les connaît un peu et si on les repère, la liturgie peut prendre un sens plus actif pour tous ceux qui la célèbrent, les clercs et les fidèles.

1.2 la priere liturgique (réflexions de l’assemblée)

«Le livre des Psaumes est l’être même d’Israël et le Cantique des Cantiques est son devenir», citation d’André Neher dans L’essence du prophétisme (ouvrage recommandé par Mgr Germain).

Il y a nécessité que les fidèles aient des initiatives dans la liturgie. Maxime Kovalevsky disait : «il ne faut pas que les fidèles thésaurisent tout le silence, alors que le chœur thésauriserait toute la louange».

Dans la liturgie, il y a des choses chantées, dites et secrètes.

Il convient d’enseigner les fidèles sur le sens des termes sacrés (ex. la chair, le mémorial, …).

L’inspiration dans la liturgie peut être faite par exemple :

– à l’épiclèse (= prière de l’Église) où il y a prière silencieuse du prêtre (qui peut invoquer l’Esprit Saint avec les noms donnés par la Tradition et les Pères ou prier particulièrement pour telle ou telle personne).

L’épiclèse est en effet le moment où le prêtre introduit tous les détails de la vie, car l’Esprit Saint s’occupe des détails.

– dans les Collectes qui «ramassent» la liturgie : le prêtre peut y développer une inspiration à haute voix.

Il est important de donner aux fidèles le sens de l’offrande (l’un des noms antiques de la liturgie), qui est nécessaire au dialogue liturgique, à ce théâtre sacré.

Le Royaume des cieux est l’esprit dans le cœur de l’homme. Cet esprit-silence se conquiert par la violence de l’effort : c’est un aboutissement.

Il y a trois ennemis pour ceux qui participent à la liturgie :

– l’ignorance de la grandeur de la liturgie,

– la routine et la somnolence,

– la persécutions par les soucis de la vie.

Ces trois formes de mort correspondent à un manque vis-à-vis des personnes de la Divine Trinité :

– ignorance par rapport au Verbe, au Fils,

– sommeil par absence de l’Esprit Saint,

– persécution par des soucis qui deviennent nos pères et nous empêchent de connaître notre Seul Père.

La répétition liturgique, même bien faite, n’est pas suffisante pour nourrir la vie et faire progresser. Il faut y rajouter une ascèse (effort personnel) et la pénitence. Maxime Kovalevsky disait : «il n’y a pas de bonnes habitudes». Quelquefois, il faut bousculer le rite pour qu’il ne devienne pas une habitude (par ex., par des catéchèses sur les changements du temps liturgique).

Le rôle de l’Église dans l’univers est de «distribuer la puissance divine au monde». La liturgie tient ce rôle et elle ne fait pas acception de personne, elle s’adresse à tous.

Une liturgie est réussie si elle a été préparée. Il convient d’inciter le maximum de fidèles à apporter sa pierre à la préparation de la liturgie (temps, offrande, fonction, …).

Il faut veiller aussi à favoriser le prolongement de la liturgie dans la vie quotidienne. Les agapes permettent de bien faire cette transition, car l’on vient d’être plongé dans la vie du Christ et l’on y expérimente des rapports nouveaux. Dans le mot «renvoi», il y a «envoi» : à la fin de la liturgie, nous sommes envoyés en mission.