Légitimité et esprit traditionnel du rite ancien des Gaules

LÉGITIMITÉ ET ESPRIT TRADITIONNEL
du rite ancien des Gaules

Maxime Kovalevsky

Réunion générale du clergé – 8 et 9 Octobre 1983

Exposé sur la Liturgie

Le problème du rite (entendons-nous sur ce mot) d’une Eglise est un problème pas du tout secondaire, c’est un problème extrêmement important, parce que c’est par le rite, par la liturgie (comme on dit en prenant le mot “liturgie” dans le sens le plus large) que se manifeste la vie intérieure de l’Église. C’est pour cette raison qu’il faut faire très attention sur la façon dont on choisit, dont on suit un rite. Il faut dire (vous le savez tous mais je répèterai des petites choses qui sont utiles, connues dans l’histoire de notre Eglise). Vous savez que le problème d’une orthodoxie, d’un groupe de gens suivant exactement l’enseignement de l’Église orthodoxe s’est déjà posé au 18 et 19e siècles, en France et en Allemagne; et la question : quel rite faut-il donner à un groupe de personnes qui entrent dans l’enseignement de l’Église, s’est posé plusieurs fois historiquement et définitivement. On a constaté que les rites existants au moment de l’entrée de ces groupes dans l’Église orthodoxe, n’étaient pas, au fond, valables. On ne pouvait ni accepter le rite byzantin, tel qu’il était à cette époque-là ni le rite romain et nous avons bien fait. Des gens très sérieux : le Synode de Russie, les évêques grecs ont préconisé qu’on prenne le rite romain “expurgé”, (le rite romain dont on avait parlé de choses nettement hérétiques) on a cru qu’il allait nous plaire, mais heureusement que personne n’a suivi cette voie, car le rite romain a été changé par Vatican II. C’est à dire que, pratiquement, encore au 19e siècle, on ne voyait pas clairement les vraies bases des rites, c’est des choses extérieures qui étaient comme signes intérieurs de ces rites. Maintenant, la science a beaucoup avancé, et nous savons où sont les vraies bases de la liturgie chrétienne, où sont les scories historiques qui ont recouvert ces bases.

Au moment où le groupe de Mgr Winnaert est entré dans l’Église orthodoxe, on a constaté qu’on ne pouvait pas prendre ni le rite oriental ni le rite occidental dans l’état où il était ; mais il était tout naturel, qu’à par les déformations historiques, on suive un rite qui s’est développé organiquement, mais appliquer ce rite déformé à un nouveau groupe aurait été une erreur et aurait même été (je peux le dire) un crime, on aurait imposé à un peuple, à un groupe de croyants, un rite qui n’était pas organiquement lié avec lui. A ce moment-là a commencé l’étude du rite de l’Église universelle qui avait existé avant le schisme, dans les pays où on réintroduisait à nouveau l’orthodoxie. Ces études ont démontré qu’aussi bien en France qu’en Allemagne du Sud, il y avait un rite parfaitement cohérent, entièrement homogène, aussi bien dans les Offices que dans la Liturgie, qu’elle s’appelle saint Germain de Paris ou autrement, une essence identique qui a existé jusqu’au 8e siècle, et c’est jusqu’au 8e siècle que l’unité de l’Église est pour ainsi dire assurée. Déjà après le 8e s. les différenciations entre l’Église orientale et l’Église occidentale commencent à se faire sentir, mais l’époque où ce rite a dominé toute l’Europe (Gaules, Allemagne du Sud, Irlande, Espagne – car rite mozarabe et rite ambrosien sont des variantes du rite des Gaules) c’est le grand rite, que maintenant j’aurais appelé le “rite paneuropéen de l’Église antique”.

I1 n’y avait aucune raison de ne pas faire un effort pour étudier ce rite et l’appliquer à la vie de l’Église, car si on avait appliqué le rite romain proprement dit, on serait tombé dans un rite construit d’ancien et avant Vatican II (quelque chose de temporaire), c’était un rite de passage.

Si on avait pu utiliser le rite byzantin, parce qu’il ne faut jamais dire que le rite de saint Jean Chrysostome est un des plus vieux, c’est une bêtise, un homme cultivé ne peut pas le dire, car il ne s’agit pas seulement de la messe, il s’agit de l’ensemble du rite car on ne peut pas célébrer dans une Église un rite spécial pour la liturgie et un autre pour les Vêpres et les Laudes, il y aurait quelque chose d’anormal et de non-organique. Mais le rite byzantin n’est pas identique chez les grecs et chez les russes. Lequel choisir ? Choisir la déformation slave mais les français ne sont pas des slaves ! choisir la déformation grecque ? les français ne sont pas des grecs ! I1 faut chercher par tous nos efforts la source commune des rites et tacher d’y revenir; c’est ce qu’à fait notre Église. ce travail extrêmement sérieux est nécessaire pour tout le monde.

Le retour au rite byzantin est une chose artificielle, jamais dans un pays ce rite n’a été organiquement célébré et on ne peut pas imposer ce rite à un pays. Au fond, ceux qui veulent introduire le rite byzantin, en Europe, veulent coloniser l’Europe par la culture orientale et ceci est une chose contre laquelle il faut lutter, car l’Europe chrétienne a sa façon de vivre, sa façon .de louer Dieu qui est parfaitement bonne et qui, bien que sous-jacente, a toujours survécu et en France et en Allemagne. La preuve que les personnes qui commencent .à suivre sérieusement notre rite s’y retrouvent, c’est cela qu’ont voulu nos pères chrétiens…

Il faut bien comprendre pourquoi nous avons choisi ce rite des Gaules et ceci a permis de faire des modifications que tout le monde souhaitait (romains et orthodoxes) mais qu’on ne pouvait pas faire dans les rites existants sans briser des habitudes; nous étions sur un terrain vierge où les habitudes ne jouaient pas. Obtenir cela est déjà beaucoup, car nous sommes toujours écrasés, surtout les chrétiens, par les habitudes; or, jamais la Tradition ne peut survivre ni être reprise de façon organique si on n’a pas le courage de lutter contre les habitudes. On dit toujours “Craignez les habitudes plus que vos ennemis !” Et alors, imposer aux gens des habitudes, parce que ce ne sont que des habitudes extérieures du rite byzantin, extérieures du rite romain ; l’intérieur est le même car la science liturgique a démontré qu’au fond, tous les rites chrétiens (s’ils ne sont pas hérétiques) ont les mêmes fondements et le travail consiste à enlever les scories historiques qui déforment, qui cachent ces éléments communs. Il est beaucoup plus facile et efficace de reprendre le rite du VIe, VIIe siècles pour caler, déblayer et après construire sur un rite du XIXe siècle; parce qu’aucune personne ne peut nier qu’aussi bien le rite byzantin que le rite romain du XIXe ont été complètement déformés; il faut être complètement obtus et ne pas connaître l’histoire pour croire que c’était la bonne Tradition.

La grande difficulté de tous nos renouveaux liturgiques qui commencent avec dom Guéranger (à moins de revenir encore au XVIIe s. avec le Père Lenoir) est étouffé complètement obstrué par des choses secondaires et les choses essentielles ne ressortent plus du tout. La preuve que dans le rite tel que le célébrait les russes quand on disait la messe selon saint Jean Chrysostome, les laïcs n’entendaient pas un seul mot de Jean Chrysostome, lorsqu’on veut donner quelque chose de nourrissant et de spirituel aux gens on ne fait pas cela. C’est un travail très sérieux que nous avons entrepris, que nous entreprenons et nous continuons à travailler, notamment en Espagne et j’espère qu’il y aura des savants liturgistes qui vont approfondir le problème du rite hispanique, car on n’est pas obligé d’appliquer en Espagne le rite sous sa forme gallicane, bien qu’elle soit très proche, tellement proche que je ne sais pas si cela vaut la peine, car le rite dit “mozarabe” est aussi récent; on n’a pas beaucoup de documents de l’époque (XVIe s) comme le rite ambrosien, on en parle beaucoup mais il y a très peu de documents sérieux qui nous sont parvenus, qu’au fond les documents les plus anciens donnant avec précision la description des messes, c’est ceux concernant la messe de saint Germain. Les premiers documents sérieux donnant ce type d’office en Occident sont du VIIIe s., il y a donc 200 ans dans l’ancienneté pour le rite des Gaules.

Il y a une chance énorme de pouvoir saisir, accrocher à l’histoire, de faire ressusciter une chose qui était organique pour l’Europe, il n’y a aucune réserve. Je connais le rite byzantin puisque je suis né dedans et il n’y a aucune raison d’imposer un rite inorganique à un peuple ou à une personne et surtout qu’on ne peut pas ; par exemple : nous avons promis de célébrer de temps en temps le rite selon saint Jean Chrysostome, mais c’est une erreur liturgique, parce qu’il faut alors accepter tout le rite. Tout ce qui est liturgique est un ensemble, mais nous ne pouvons pas faire les Vêpres du style de saint Benoît, qui est parfaitement orthodoxe, et après une messe selon saint Jean Chrysostome. Autant c’est un art que de rendre un office tel qu’il a été construit par saint Benoît et la messe telle qu’aurait probablement célébrée saint Benoît ou inversement, introduire en Occident, ce qui serait une chose ridicule, tout le rite byzantin (les Heures, lectures de Psaumes, etc.) alors que nous avons en Occident toutes les richesses et d’ailleurs, dans le domaine des offices, dans bon nombre d’offices, les scories qui se sont superposées sont moins épaisses en Occident qu’en Orient : l’Office du jour, les petites Heures sont plus traditionnels en Occident qu’en Orient et par exemple, les Vêpres telles qu’on célébrait en Russie au XVIIe s. (d’après les études des instituts de théologie de Moscou et de Saint Petersbourg) sont complètement différentes des Vêpres que l’on célèbrent maintenant. Il faut prendre les questions de rite au sérieux, le rite n’est pas quelque chose qu’on peut changer comme cela légèrement pour dire qu’on fait Saint Jean Chrysostome, qu’on fait Saint Germain de Paris, NON ! c’est une chose qui définit notre attitude, même dogmatique et au fond nous avons beaucoup parlé de la Tradition mais celle-ci n’est acquise que par la pratique de la prière liturgique, parce que les formulations qui sont données dans la liturgie sont au fond les formulations définitives de l’Église. Tout ce qu’écrivent les Pères dans leurs discussions personnelles, c’est toujours sujet à caution tandis qu’une vérité étant définie par Église, lorsque celle-ci suppose qu’elle devient obligatoire pour tout le monde, elle est mise dans la liturgie et les dogmes du Saint Esprit ou de la Trinité sont vraiment exposés dans les textes liturgiques poétiques byzantins, dans les grandes préfaces du rite gallican, dans certaines préfaces du rite romain et tout ceci peut être utilisé à condition qu’on observe les fondements des pièces de cette liturgie, qui peuvent être voilés si on prend du tout fait.

Nous disons qu’il y avait en Europe une Orthodoxie qui n’a jamais cessé, d’une façon sous-jacente : les historiens ne me contrediront pas, parce que là cela met en doute l’enseignement de l’Église et il y a là quelque chose d’irréductible entre nous et Rome, quelque chose d’insupportable pour l’Église romaine. On dit : “Vous vous êtes trompés à partir du VIIIe s. et il ne faut pas le cacher : si on ne dit pas cela nous ne sommes pas orthodoxes. Il est extrêmement important, pour que notre affirmation soit valable et non pas une affirmation purement intellectuelle et affirmation du professeur comme on l’a fait au XIXe s.

Notre rite bouleverse les Allemands, ils ont un grand intérêt pour lui et il faut attendre que quelqu’un naisse du sol allemand pour qu’il fasse quelque chose et même les catholiques romains allemands s’intéressent à notre mouvement et, disent : “C’est une recherche valable, une recherche intelligente”, chose qu’on ne trouve pas assez en France, peut être parce que nous n’attaquons pas assez, nous sommes un peu trop modestes, mais la difficulté est que nos frères orthodoxes ont peur de sortir des habitudes, ils disent : “Oui ! ce que vous faites par votre mouvement liturgique est très intéressant, mais seulement pour le faire entrer dans le domaine de la théorie ! Peu de gens protestent contre ce que nous disons et même les plus injurieux disent “quand même, ce qu’ils disent est juste”. Mais ce qui spécifie notre Église, c’est ce esprit spécifique que mon frère, Mgr Jean a appliqué. Tant que nous restons dans le domaine de la science tout le monde est d’accord, mais lorsqu’on veut appliquer cette science à la vie, alors tous les boucliers se retournent ! Pourquoi ? Parce qu’on a découvert quelque chose de nouveau, quelque chose qu’on peut reconstituer et il y a certaines habitudes qu’il faut abandonner, que les gens ne veulent pas abandonner…

Questions

P. G. L. – Maxime vient de dire que c’est une erreur que de célébrer, même une fois le rite selon saint Jean Chrysostome, alors que nous sommes décidés à pratiquer une alternance beaucoup plus fréquente… comme indiqués dans nos statuts de 1972.

Maxime K – C’est moi qui dit que c’est dangereux, mais on a toujours célébré saint Jean Chrysostome à saint Irénée.

Mgr Germain – Maxime a parlé des habitudes; il y a un mois Yéléna Roche a salué pour moi le patriarche Germain de Serbie et l’évêque de Djicha, préoccupé d’universalité. Il a étudié depuis plusieurs années la situation de notre Église : il dit que c’est un phénomène important au sein de l’Orthodoxie et en même temps une nécessité pour l’Occident, de ce point de vue-là, il est tout à fait convaincu. Il me renvoie le salut par Yéléna et lui dit : “Dites bien à votre évêque une chose : l’Orthodoxie consiste en trois unités, la 1ère c’est l’unité dogmatique, l’unité de la foi. La seconde, c’est l’unité de rite : vous devez célébrer le rite que nous célébrons, car il est porteur, il est garant de l’unité de la foi précédente. La 3ème unité, c’est l’unité canonique, qui porte les formes de la vie et nous garantit que nous sommes tout à fait spécifiques”. Que dépistons-nous dans cette mentalité ? La 1ère unité, on peut être d’accord, mais dans la 2ème unité on ne peut plus être d’accord car il s’agit maintenant des conditions d’application de la foi que nous proclamons. Or, les conditions de la foi telles que nous la proclamons, nous allons les proclamer selon notre tempérament et selon notre genèse, à la fois historique, physique et spirituelle et c’est ce que Maxime vient de vous exposer. Les fondements de notre vie c’est d’avoir un rite qui exprime la foi universelle, mais à travers nos propres chemins de l’histoire (sensibilité propre, génie local, etc.) c’est la thèse que nous avons toujours défendue. Lorsque les Roumains ont reçu notre Église, ils avaient la même mentalité que cet évêque serbe : “Au fond, il est difficile pour nous d’admettre que vous ayez une liturgie propre, pourtant nous sommes de cette école, nous, nous sommes Roumains spécifiques, nous ne sommes pas des grecs mais nous sommes orthodoxes et nous avons quand même cette unité autour du rite selon saint Jean Chrysostome”. Nous avons alors discuté et nous avons dit que nous ne pouvons pas accepter que la liturgie selon saint Jean Chrysostome soit notre liturgie centrale, nous avons expliqué pratiquement tout ce que Maxime vient de dire, ramasser et que Mgr Jean avait fixé comme principes, pas du tout parce qu’il voulait que ces principes existent, mais parce qu’ils correspondent à la vie. Mais les habitudes étaient si fortes qu’ils ont, au départ, donné une exigence (disons d’intention). Nous avons souscrit à cette exigence d’intention, mais j’ai toujours dit aux patriarches successifs de Roumanie : ce que nous inscrivons dans nos statuts, c’est ce que nous allons tendre à promouvoir, mais lorsque nous aurons nous-mêmes acquis la connaissance suffisante de notre propre rite. Autrement dit nous sommes dans une genèse, nous avons des petites communautés qui commencent à être engendrées, il est indispensable qu’elles commencent d’abord par vivre le rite organique qui est le nôtre et après, progressivement, ils entreront, s’il est possible, dans la connaissance et la célébration de la liturgie selon saint Jean Chrysostome.

La dernière fois que je suis allé à Bucarest (il y a 4 ou 5 ans) le patriarche m’a dit : “vous n’appliquez pas ce que vous dites, il faut faire ce que disent les grecs – il faut célébrer la liturgie selon saint Jean Chrysostome rigoureusement dominicale, parce que vous me dites que vous la célébrez en semaine à la cathédrale, ce qui est vrai mais cela n’est pas suffisant ; il faut qu’on voit que vous pouvez célébrer notre liturgie comme nous la célébrons, dominicale et tous les 15 jours” – J’ai dit : “Impossible, ou alors, je vous demande, célébrez, vous, la liturgie selon saint Germain de Paris tous les 15 Jours à Bucarest ; alors il a rigolé, il a dit : faites quand même, non pas selon la lettre des statuts, mais selon l’esprit que vous dites, vous allez connaître notre liturgie et quand nous viendrons célébrer chez vous (ce qui ne s’est encore jamais produit) nous pourrons concélébrer ensemble, ce qui est aussi un de leurs soucis. Dans la pratique nos fidèles viennent (en particulier en province) surtout à la liturgie le dimanche plus qu’en semaine et c’est le dimanche où ils apprennent à travers la vie rituelle la connaissance de notre propre liturgie. Si on commence à introduire prématurément le rite selon saint Jean Chrysostome, pour je ne sais trop quel motif idéal ou pour appliquer des statuts selon la lettre et non selon l’esprit on va engendrer un bi-ritualisme qui n’est pas possible, qu’aucune Eglise ne peut pratiquer. Mais par contre, il y a un certain nombre de communautés dans lesquelles on célèbre saint Jean Chrysostome (communautés paroissiales comme par exemple : Saint Cloud, communauté monastique de Bois Aubry) La liturgie selon saint Jean Chrysostome a son génie remarquable, contemplatif et théologique, mais ce n’est pas parce qu’elle a ce type de génie uniquement que nous devons l’adopter comme rite fondamental et organique de notre Eglise, c’est tout simple. Finalement, nous appliquons l’esprit de nos engagements mais pas la lettre, nous perdons pratiquement ce caractère à la fois organique qui est le nôtre et qui veut que nous nous rattachions aux racines de l’Église dans son propre lieu. La question peut se poser très différemment dans une autre Eglise, qui mettons, n’aurait pas ce “back groud” ecclésial qui est celui de ce pays.

P. G. L. – Nous ne pourrons jamais célébrer ce rite car nous ne célébrons jamais en semaine !

Maxime K – Il y a des paroisses qui célèbrent la liturgie selon saint Jean Chrysostome dans d’autres juridictions, il n’y a qu’à aller dedans ! Il ne faut pas cloisonner l’Église et c’est ce que j’ai conseillé à tous les allemands : vous allez dans la juridiction de Moscou ou bien à la rue Daru, nous n’avons aucun intérêt à faire d’autres cellules qui font le même rite que les autres font très bien. Je viens de recevoir une nouvelle traduction de la liturgie selon saint Jean Chrysostome faite par des savants allemands sur la commande du patriarcat de Moscou, j’ai constaté qu’ils prennent la façon russe de célébrer ; il y a d’autres traductions qui ont une façon grecque de célébrer et elles ne coïncident pas !!! Alors, laquelle prendre ?

Mgr Germain – P. G., tu es à l’origine de la communauté d’Espagne. Lorsque vous êtes arrivés dans cette Eglise, vous vous êtes enracinés largement ; mais tu es un homme des commencements justement, et tu es arrivé à Lille dans une communauté qui est intéressante, jeune. Vous en êtes à ce stade que l’enracinement liturgique se fait dans le rite d’ici, mais, un de ces jours, vous pourrez très bien accroître la vie liturgique et célébrer le rite selon saint Jean Chrysostome un jour de semaine, la plupart des communautés en sont là. Mais si tu commences à imposer la liturgie byzantine, je dirais presque, excuse-moi, c’est un peu péjoratif, comme une amusette de passage, parce qu’au fond, on pourrait aussi célébrer la liturgie de saint Jacques ou celle du rite romain ancien parce que c’est bien ! Si vous voulez, par exemple, célébrer la liturgie orientale, allez dans les milieux où elle se célèbre régulièrement. Dernièrement nous avons réuni les 5 prêtres que nous avons en Allemagne et je leur ai dit : “Si vous voulez vivre dans cette vie spirituelle et rituelle, prenez la décision, mais allez là où cela se fait, décidez-vous car vous ne pouvez pas jouer sur les deux registres”. I1 est venu à cette réunion le professeur Gamberg de Würzbourg, qui a étudié le rite du sud de l’Allemagne (depuis 50 ans) et il l’a comparé avec le rite de saint Germain de Paris que nous célébrons, et il a dit : “C’est exactement celle-là qui était célébrée dans le sud de l’Allemagne pendant 5 ou 6 siècles. Je me joins à vous 100 % immédiatement, vous me prenez, je suis prêtre de l’Église de Rome et je deviens orthodoxe !”. Je lui ai dit : “Vous êtes trop pressé, je ne suis pas sûr que vous pouvez devenir orthodoxe, il y a d’autres caractéristiques que celles du rite”. Nos allemands sont placés devant la nécessité d’opter, je leur ai dit : “Puisque vous restez ici, il faut que vous deveniez membres de l’Eglise, prenez une liturgie dans laquelle vous allez vivre, célébrez la liturgie selon saint Jean Chrysostome, je ne veux pas vous obliger à la supprimer, mais apprenez la nôtre et puis vous recevrez d’autres allemands que cela va commencer à intéresser, parce qu’au fond c’est celle-là qui les touche, l’autre, on peut très bien vivre à l’intérieur, mais elle ne va pas toucher.

P. N. T.– Il semble dangereux de considérer que célébrer le rite byzantin dans notre Eglise soit un signe d’unité, parce qu’au fond, c’est anti-ecclésiologique et je veux quand même faire remarquer qu’une partie de l’Église romaine célèbre le rite selon saint Jean Chrysostome et l’unité ne se situe pas là. Je considère comme dangereux de célébrer régulièrement le dimanche la liturgie byzantine et il me semble que le fait que nous célébrions cette liturgie est pour nous un moyen de pouvoir concélébrer un jour avec nos frères d’Orient, mais ce n’est pas du tout un signe d’unité !

Mgr Germain – Mgr Jean avait dit aux Roumains : Si vous faites de l’unité de rite le fondement de l’unité de l’Église : c’est une hérésie !

X … – Je connais des français qui disent : Je suis byzantin ! Ils ont tendance à imposer ce qui vient d’ailleurs, mais il m’apparaît que c’est un manque d’humilité parce que, byzantin, parce qu’ils méprisent ce qui se fait ici et en méprisant on ne se convertit pas !

Mgr Germain – C’est un phénomène psychologique qui existe, ce qui n’empêche pas des personnes de vivre à l’intérieur.

P. JPP. – Dire qu’il est dangereux de célébrer le rite byzantin le dimanche, c’est un peu fort !

Mgr Germain – Je voudrais préciser : il est vrai qu’en face de la pensée théologique il serait dangereux d’introduire la liturgie byzantine le dimanche parce qu’il y a une thèse qui veut que la liturgie soit le fondement de l’unité, c’est résolument faux ! Après vient la vie organique, c’est une autre chose, je ne sais pas quelle est votre expérience, mais je suis persuadé qu’elle est celle-ci : une Eglise s’enracine dans un rite, il lui devient vraiment spécifique. Nous avons fait une expérience ces dernières années mais elle n’a pas été du tout satisfaisante, de célébrer la liturgie dite “antique romaine” une ou deux fois par an (pour la fête de Pierre et Paul et pour la conversion de Paul) Il est très évident que la liturgie romaine est spéciale par rapport à nous et nous ne savons pas la célébrer, indépendamment même du fait qu’elle est une belle liturgie, mais j’ai remarqué que nous avons un mal considérable à la célébrer…

P. M-A C. de B. – J’ai fait à Louveciennes l’expérience de célébrer la liturgie byzantine 2 fois par mois et c’est extraordinairement difficile. Pour être sincère, je découvre quelque chose, c’est que : 1° Je crois qu’il est bien de savoir célébrer cette liturgie parce que cela permet, pour les prêtres surtout, de concélébrer. Mais que se passe-t-il ? J’ai la chance de pouvoir célébrer assez facilement cette liturgie quand je suis en Roumanie par exemple, j’ai célébré 10 fois dans différents endroits, je suis à l’aise dans cette liturgie, parfaitement bien, vraiment cela me va parfaitement. Quand je rentre en France et que j’essaie de la célébrer ici, ce n’est pas pareil du tout, il y a quelque chose, je ne sais pas expliquer pourquoi et ce n’est pas à cause du chœur ou du diacre, car cela fait déjà trois ans que nous célébrons, ce n’est pas parce que les gens n’aiment pas… mais je crois que c’est quelque chose que nous ressentons inconsciemment comme artificiel, disons, dans notre paroisse. Par contre, je maintiens que, pourtant c’est une liturgie que je connais, je la célèbre en roumain depuis un an, je l’aime beaucoup, mais je remarque qu’il y a une différence essentielle des lieux où l’on concélèbre les choses et c’est la raison pour laquelle quand le Père Basile est venu à Louveciennes cette année, certains d’entre nous et moi-même avaient pensé : on va être gentil, on va célébrer le rite selon saint Jean Chrysostome pour l’accueillir, puis nous nous sommes ravisés et on a dit : Non ! On va célébrer notre liturgie et il va la concélébrer. C’est ce qu’il a très bien fait d’ailleurs, il s’est parfaitement intégré.

Mais je voudrais donner aussi mon avis quand à la célébration de la liturgie selon Saint Jean Chrysostome le dimanche; je crois que cela pose un problème, surtout dans les périodes où le temps liturgique est marqué de caractères spécifiques, je pense au temps de l’Avent, par exemple, je vous assure que je serais assez d’accord pour célébrer de temps en temps le dimanche mais certainement pas pendant l’Avent et pendant la période de Pâques, parce que les liturgies de chaque dimanche ont un enseignement cohérent et spécifique et on ne peut pas car on va casser quelque chose. Par contre, effectivement, pendant le temps de Pentecôte, c’est un peu différent… Je crois qu’il faut avoir le souci de la question des sources et des questions ecclésiales et il faut pouvoir concélébrer avec nos frères, quitte à les inviter à concélébrer aussi et puis, il me semble qu’il y a, au-delà de la question strictement liturgique, le moyen, en posant la question que nous posons, de scruter quelle est notre attitude d’orthodoxes français par rapport à l’orthodoxie historique, par rapport à la Tradition, enfin telle qu’elle nous est transmise jusqu’à nos jours pendant 2000 ans ininterrompus. On voit que symboliquement, disons par rapport à la liturgie selon Saint Jean Chrysostome, permet de rendre compte de notre attitude profonde par rapport à l’orthodoxie historique et ne pas, si vous voulez, comme disent les anglais, jeter le bébé avec l’eau du bain. On peut dire effectivement qu’il est difficile de célébrer la liturgie selon Saint Jean Chrysostome, il faut le faire dans des conditions précises et ne pas faire n’importe quoi parce que ça fait bien de le faire et qu’en tous cas cela n’a aucun rapport avec le fait de célébrer le rite romain parce que je n’ai pas du tout besoin d’exprimer mon unité avec l’Église de Rome par cela.

P. N. T. – Beaucoup de fidèles de notre Église ne voient les orthodoxes orientaux qu’à travers leurs défauts et je suis un grand défenseur de l’originalité de notre Église, mais les orthodoxes orientaux ont une sagesse et une expérience que nous n’avons pas et là, on doit écouter sans tout prendre et moi, comme attitude personnelle je tire la conclusion : Je me rends compte qu’en ce moment nous sommes un peu trop éloignés…

Mgr – Je n’ai jamais voulu ne pas avoir de rapports dans ce domaine, par exemple tous les ans, je téléphone à Mgr Mélétios : “Il faut qu’on se voit, parce que je veux revenir sur un certain nombre de questions”. Ces deux dernières années, il a fait une “opération brouillard”, je n’ai pas pu le joindre et probablement ces jours-ci, cela va se retrouver. Ce n’est pas dans mes intentions mais il est effectif que c’est notre attitude vis à vis des Églises orientales qui sont au 1er chef ; c’est un problème profond d’ailleurs, en ce sens que nous défendons la personnalité de notre Église, c’est à dire qu’on tache de la dégager avec les instruments dont nous disposons, en particulier la liturgie. Il est un critère, si nous sommes sur le bon chemin, si cette personnalité est véridique, le monde de la personne a un mode propre, sitôt qu’une personne apparaît, elle veut entrer en rapport avec les autres, c’est le mode même hypostatique. Si c’est une fausse personnalité qui apparaît, elle veut s’assimiler aux autres, ce n’est pas la même chose, me comprenez-vous ? Une personne, ce n’est pas un rapport; un verbe, une parole, une liturgie est un rapport, mais une personne entre en relation, ce qui n’est pas la même chose. Nous pouvons toujours vérifier où nous en sommes, si nous voulons entrer en rapport, si nous allons VERS les autres ; mais nous serons des fausses personnalités si nous commençons par imiter les voisins, comparer avec les autres, c’est un sujet très délicat, mais nous disons que c’est le fruit de la théologie, c’est tout à fait normal.

P. Jean Marie V. – On nous dit souvent, on nous accuse de faire de l’archéologie ; alors la question de la tradition se pose : Est-ce que la Tradition c’est le retour à des choses anciennes, authentiques, en sautant par dessus les siècles ou c’est d’accepter un héritage qui s’est amassé au cours des siècles avec déformation, puisque Maxime nous dit que la Liturgie selon saint Jean Chrysostome a subi toutes sortes de scories comme la liturgie wisigothique. Alors est-ce qu’on ne peut pas répondre que cela a été véhiculé pour une fraction par les apports de l’Église des Gaules et de l’Église de Rome et que…

Mgr – Maxime peut très bien répondre à l’accusation d’archéologisme !

Maxime K. – Dans la mesure du possible il faut nettoyer les scories, il en reste toujours un peu, mais je crois aussi comme les grands liturgistes et les grands croyants qu’il y a des bases communes aux liturgies, qu’il y a des choses qui sont une force de pérennité, qui ne changent pas et le travail des savants et des liturgistes est de dégager ces choses importantes des choses secondaires parce que Baumstarck a démontré qu’en général, dans les liturgies, on accumule des choses, cela devient tellement long qu’on ne peut plus célébrer, alors on enlève et trop souvent on enlève l’essentiel et on garde le secondaire ! Il y a eu dans toutes les Églises des réformes successives, il faut bien distinguer les réformes qui vont dans le bon sens et qu’elles sont les réformes qui vont, au fond, supprimer le plus ancien et garder le plus récent ou déformé. Entre nous et l’Orient il y a les problèmes d’iconostases (apparues vers le 17ème s.) ; les prières à haute voix ou voix basse et toutes sortes de choses. On peut démontrer historiquement où est la vérité, ce n’est pas du tout vague, Père N. T. me soutiendra aussi et lorsqu’on étudie sérieusement l’histoire des liturgies on voit très bien où sont les scories, où est le tronc initial; dans le rite romain et dans le rite byzantin il y a les restes de ce tronc comme dans le Liturgikon et le rite gallican est moins recouvert de scories parce qu’on l’a arrêté au 8ème s. et on a la chance énorme d’avoir une liturgie relativement pure.

P. Grégoire – Tu as parlé tout à l’heure du patriarche d’Antioche et j’ai là sous les yeux l’article de quelqu’un qui nous suspecte de transformer sa pensée : c’est Olivier Clément et voilà ce qu’il écrit : Le patriarche lors de sa venue en France a constaté que la liturgie byzantine s’est immobilisée à la fin du 1er millénaire et que bien de ses expressions n’ont plus de sens pour nos contemporains même dûment catéchisés. Il encourage donc et pratique lui-même une reprise de la création liturgique dans la fidélité au meilleur du passé mais pour exprimer aussi la souffrance et la quête de notre époque”.

P. J-Paul M. – Les Églises en Occident ont besoin de revenir sur leur tradition; J’ai été invité, il y a 4 ans, par l’archevêque de Cantorbéry à un symposium et j’ai découvert avec stupéfaction que l’Église anglicane a complètement refait sa liturgie officielle dans un esprit cousin germain de notre liturgie de Saint Germain de Paris. A la différence de l’Église de Rome, les prêtres anglicans ont dans tous les diocèses l’autorisation de célébrer l’office traditionnel de la Réforme et le droit, en semaine comme le dimanche de célébrer la nouvelle.

Maxime K. – Pour répondre à P. M-A. à propos de nos rapports, notre ouverture vis à vis de l’Orthodoxie universelle, ce n’est pas, à mon sens, de prendre des choses par ci par là où même d’échanger des rapports de personnes, il me semble que c’est plus un problème d’intégration. Nous avons dans notre Eglise une liturgie qui s’est arrêtée au 8ème s. et nous avons besoin d’intégrer (c’est dans l’esprit de Mgr Jean) sur le plan plus général de l’Église et pas seulement du rite, d’intégrer les éléments postérieurs (parce qu’on est quand même là pour ça) et nos difficultés de souffrance c’est de pouvoir vivre en nous cette période du 8ème s. jusqu’à aujourd’hui et on rencontre ce problème : nous sommes en face de saints postérieurs au schisme, nous les vénérons quand même. On peut très bien comprendre de la même façon, du fait qu’entre l’Orient et l’Occident il y a eu cette rupture à partir du 11ème s., on comprend qu’il y ait aussi de notre côté un besoin, et nous ne l’avons peut être pas assez expérimenté, mais on ne peut pas tout faire non plus en même temps. Cette intégration est parallèle entre nous et les orientaux, nous sommes déjà déchirés dans notre propre milieu occidental entre, disons, notre 8ème s. et aujourd’hui et avec nos frères romains, il y a un problème d’intégration. Nous devons certainement intégrer, disons parallèlement, tout ce que l’orthodoxie orientale a fait entre le 11ème s. et maintenant ou du moins essayer d’intégrer quelque chose. J’ai l’impression qu’il y a la même chose à faire entre le monde orthodoxe et nous, qu’entre nous et le monde romain et c’est une attitude de rapports personnels et de charité. Je pense que c’est ce que font P. M-A et P. J-P. et ils sont des canaux pour cette intégration. Nous ne devons pas seulement rester sur des échanges, ce n’est pas charitable, on emprunte et en plus on nous dit : Vous avez une liturgie mélangée !”

D. H.B. – Il y a effectivement des ajouts dans la liturgie byzantine qui sont plus des fossilisations et éventuellement des voiles de piété ou des choses qui se rajoutent en superflu, mais il y a également toute une pensée théologique qui a continué à découvrir la Tradition (car il ne s’agit pas d’innover) entre le 10/11ème s. et le 20ème s. dans l’Orthodoxie et dans l’Orthodoxie orientale, il y a toute une découverte qui s’est faite (Grégoire Palamas) et ce sont des choses qu’il faut prendre en considération et intégrer même par rapport à ce que l’Occident a connu jusqu’au 8ème s.

P. N.T.– Mais tu n’as pas à tout intégrer, chaque Eglise a sa richesse propre, alors il faut bien discerner. La théologie orthodoxe est une et c’est notre théologie, il n’y a pas d’intégration à faire. Le problème de la liturgie c’est autre chose, Mgr Jean s’est effectivement efforcé d’intégrer les richesses de l’Orient que nous n’avions pas car nous avions des lacunes dans nos manuscrits, mais je trouve que l’intégration s’est très bien faite. Quant à l’Église romaine, c’est un tout autre sujet, il faut bien discerner entre la piété personnelle où il n’y a pas beaucoup de problèmes (c’est fonction des personnes) et puis la confession de l’Église et la prière de l’Église, ce sont deux domaines…

Mgr – Je reprends ce qu’a dit P. N., ça se fait assez bien si on prend, par exemple, les soucis théologiques et vitaux de l’Église en Orient et en Occident, ont été les mêmes à travers le temps et l’espace. Le problème à l’époque de Grégoire Palamas, c’est la question des énergies divines et à la même époque en Occident ; on se préoccupait de la grâce et des mérites : c’est le même problème qui a été résolu différemment parce que l’Orient n’a pas connu le Moyen-Age. Mais notre Église a intégré les éléments de Grégoire Palamas à travers sa prière, son enseignement et je crois qu’ici il n’y a pas besoin d’être douloureux…

Mgr – A mon avis, P. M-A. a donné un autre point de vue, c’est surtout plus sur un plan psychologique de désir de rapport avec le monde oriental plutôt que de se figer dans une attitude un peu orgueilleuse et prétentieuse, personnelle. Ceux qui donnent à notre liturgie un caractère d ‘archéologie, c’est justement ceux qui n’ont pas regardé la liturgie elle-même et pas la manière dont on a travaillé, on peut très vite écarter cette accusation. Il y a une autre chose qui est une méthode de travail. Il y avait un liturge qui était Mgr Alexis Van den Mensbrugghe qui a travaillé à l’élaboration de notre liturgie; il a écrit un excellent article de justification des lettres de saint Germain de Paris, très fine, très critique des documents en face de Mgr Duchesne et d’un Père bénédictin. Dans ce sens-là il avait le discernement mais quand il s’est mis à imprimer la liturgie pour son propre compte, il avait exactement le caractère d’archéologie, c’est très curieux de constater ; il y a une nuance très importante entre ce qu’il proposait et par exemple, la manière de Mgr Jean et Maxime K. et de tous ceux qui ont travaillé à cette liturgie faisaient, qui peut ressortir de la manière suivante : On dit souvent que nous sommes des gallicans ou bien qu’il y a une liturgie dite “gallicane”, nous ne sommes pas des gallicans ! Je ne me reconnais absolument pas dans le gallicanisme, mais nous sommes des orthodoxes qui prenons aux sources les éléments de notre vie mais qui les vivons maintenant eu qui les projetons dans l’avenir, alors ça n’a rien à voir !

P. N.T. – Le mot “gallican” est un mot qui est trop chargé, il est mal employé, il a des connotations historiques nombreuses, mais par contre Maxime K. a employé tout à l’heure un terme “liturgie paneuropéenne”, je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi, car pratiquement notre rite correspond à l’ancienne préfecture du prétoire des Gaules qui couvrait pratiquement tout, sauf l’Italie du Nord, au fond la liturgie des Gaules, c’était cet ensemble, ce n’est pas inexact historiquement.

Maxime K. – C’est parce que je me méfie de cette dénomination !

P. N.T. – Le plus exact serait “liturgie gauloise”, pas gallicane !

Maxime K. – La liturgie ne couvrait pas que les Gaules, elle couvrait aussi l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne du Sud…

Mgr – Il y a une autre chose que je voudrais vous préciser à travers la liturgie ; les textes liturgiques que nous avons et vous savez qu’une des caractéristiques de notre vie des offices liturgiques, c’est que les textes théologiques sont a l’intérieur non pas de l’Office divin mais de la liturgie elle-même. Vous savez que dans la liturgie il y a 30 parties variables, ce dont nous avons hérité, les textes riches théologiquement, au fond, à peu près des origines indéterminées jusqu’au 8ème s., à partir du 8ème s s’il n’y a plus de bons textes liturgiques ; il y en a encore quelques-uns au 9ème s. mais les textes, les prières deviennent “pieuses” mais elles ne contiennent plus le sens dogmatique de la vie, pratiquement il n’y a presque plus rien et c’est le 10ème s., à Besançon nous avons J.-P. Vuillard qui a fait la construction de la liturgie des 2 saints locaux (Besançon a énormément de documents). Il a pris des éléments du 5ème jusqu’au 12ème s. il a fait un travail très intéressant et on voit se développer la vie liturgique et on voit, à partir du 9ème s. un fléchissement complet dans le contenu des textes. Nous avons dernièrement fait des recherches (avec P. Marie) pour savoir s’il existait un propre liturgique des dimanches après la Pentecôte ; il existe dans le rituel romain un certain propre avec des prières par exemple, comme les Collectes mais dans les origines. P. Marie n’a découvert que 4 messes qui se renouvelaient et elles sont du rite mozarabe ancien, elles sont bonnes mais ne correspondent pas aux textes évangéliques qui sont à l’intérieur de l’office divin et on ne peut pas les utiliser. Mais comme le Propre est postérieur au 10ème s. pratiquement nous n’avons rien, c’est pour ça que j’avais demandé au P. Jacques Goettmann de faire la proposition d’un certain nombre de textes. Je souhaite que vous nous fassiez part de vos critiques sur leur contenu car il est bon que nous ayons le Propre de chaque dimanche post-Pentecôte. Une critique d’ordre général sur le travail du P. Jacques G. les Préfaces sont trop christologiques, c’est une chose qu’on rencontre souvent. Vous savez que la Préface est l’adresse au Père, mais lorsqu’on dit : “Père céleste, ineffable… et puis on commence à confesser la vie du Christ, son enseignement etc. ce n’est pas bien, on le fait après parce qu’on redescend dans la vie liturgique…

Mgr – Je vais ramasser en quelques mots tout ce qui a été dit ici, soit disparate soit plus profond et plus essentiel; Je veux le ramasser pour les nécessités de notre vie quotidienne en le résumant de la manière suivante : Nous avons des éléments dont nous avons besoin pour notre vie qui sont des éléments de canonicité, mais cette canonicité doit, non pas conditionner la vie mais la constater et lui donner les possibilités de s’enraciner dans les formes actuelles. J’ai dernièrement demandé la constitution d’une commission canonique de prêtres et elle va se donner des statuts, peu de statuts car il s’agit de quelque chose de spirituel et de canonique. Cette commission canonique n’est pas un tribunal, ce n’est pas son but : Son but, c’est de recevoir les clercs qui ont des situations personnelles et d’essayer de trouver le chemin à la fois parce que l’homme peut commencer à se confier et à la fois ecclésial pour trouver les solutions. Nous sommes dans une période d’engendrement de cette vie canonique, c’est pour cela que nous allons obligatoirement, je ne dis pas “promulguer” des canons mais nous donner des usages qui seront conformes a la Tradition orthodoxe, mais c’est en genèse et gestation dans les éléments même de la vie de l’Église. Cette canonicité est un souci constant mais montre que notre milieu est vivant et si parfois on peut dire : Oui ! Vous êtes dans des périodes de libéralisme ou rigoriste, parce que les deux en général marchent ensemble, c’est uniquement parce que les circonstances de la vie font qu’on est en déséquilibre; la canonisation de la vie ne consiste pas d’ailleurs à rétablir l’équilibre, mais cela consiste à permettre à la Tradition vitale de s’exprimer dans les formes de la vie concrète.

Alors mes amis, nous sommes sur ce chemin, continuons et merci de votre présence à ces débats.