Sources de la liturgie des Gaules

Sources de la liturgie des Gaules

Monseigneur Germain, évêque de Saint-Denis

1. Des sources en général.

Nous abordons cette quatrième partie de notre démonstration sans oublier les multiples significations du mot «source».

La première distinction à apporter dans la compréhension de ce terme, comme l’enseignait sans se lasser Monseigneur Jean de Saint-Denis, réside en ce que la Source primordiale de tous les rites, en particulier de notre Liturgie, est la même que celle de l’Écriture Sainte. Cette source est «l’Esprit Saint et la Tradition vivante de l’Église».

Après «Lui» et après «Elle» viennent les «documents-sources» auxquels nous allons nous attacher maintenant, en donnant un certain aperçu de ceux qui ont servi à la restauration du Rite des Gaules.

Il existe une équivoque dans les documents. Nous pouvons disposer, en effet, d’une grande abondance de ces sources pour étudier une époque, présenter une cause ou découvrir un homme. Mais cette abondance n’offrira pas de garantie de pénétrer le cœur de la dite époque, de comprendre la cause ou de communier à la vie de cet homme. L’on peut ainsi, faute d’inspiration ou d’intuition ou, encore, de sollicitude, – sans même parler d’amour – demeurer totalement étranger, éloigné de la Source vivifiante : seule capable, à travers les documents, de greffer loyalement à une époque, à une cause, à un personnage historique.

Il ne suffit pas non plus de rassembler les documents mais il incombe de les situer, de les analyser dans leur contexte historique. Les manuscrits, par exemple, sont des êtres vivants avec lesquels l’historien doit entrer en relation, autant que possible, sans s’en tenir exclusivement aux éditions et présentations postérieures.

Quoi qu’il en soit il convient de savoir aussi la valeur de l’apport des documents, sans les obscurcir par l’intuition démesurée et l’inspiration, et d’admirer et de connaître la science et le travail des auteurs anciens et modernes.

Les paroles de l’Apôtre Paul s’appliquent parfaitement à l’art et à la science des sources (1 Thes 5, 19-20) : «N’éteignez pas l’Esprit, mais examinez toutes choses, retenez ce qui est bon».

2. LES DOCUMENTS

Comme nous avons déjà présenté l’historique de l’étude du rite et l’historique de la restauration, nous ne reviendrons pas sur le témoignage des auteurs qui ont recopié les documents ni sur celui des personnes qui ont travaillé les sources.

Les sources primitives sont sous-jacentes, connues de tous ceux qui ont étudié les documents de la Liturgie des Gaules. Nous entendons par sources primitives : la Didachè, la Tradition Apostolique (saint Hippolyte), les Constitutions Apostoliques, la Didascalie, etc. tout comme les œuvres patristiques de saint Ignace d’Antioche, de saint Irénée, de saint Cyprien de Carthage…, et la familiarité des rites antiques d’Orient aussi bien que d’Occident. La connaissance de ces trois types de sources primitives est indispensable à la restauration d’une liturgie.

Les «sources mêmes» du Rite des Gaules sont nombreuses, plus riches qu’on ne le pense généralement. Cet ensemble de manuscrits, de textes, d’auteurs, privilégie ce rite et permet de le ressusciter concrètement. Voici les documents :

a) LES LETTRES DE SAINT GERMAIN : elles furent découvertes en 1709 dans le Monastère d’Autun par Dom Martène et Dom Durand. Dom Martène, moine bénédictin, était établi à Saint Germain des Prés au commencement du 18ème siècle. Les deux lettres furent publiées par les deux moines, en 1717, dans leur«Thesaurus novus anecdotorum», et reproduites dans Migne, P.L.t. LXXII Col 89-98. Il est inscrit en tête des lettres : «Germanus episcopus Parisius scripsit de missa». Monseigneur Duchesne qualifie ce manuscrit : «le plus précieux document pour le Rite des Gaules». Comme nous l’indiquons précédemment, le Père Pierre Lebrun, contemporain de Dom Martène et de Dom Durand, restaura la Liturgie des Gaules sur la base de ces lettres.

Les «Lettres de Saint Germain» contiennent une explication symbolique – à la manière de Nicolas Cabasilas – du déroulement de la Liturgie. Sans former l’Ordo, au sens strict de ce mot, elles nous fournissent pourtant des fondements solides.

Nos liturgistes ont vu et compulsé sur place, dans la Bibliothèque Municipale d’Autun où elles sont conservées, le manuscrit de ces deux lettres. Cette étude leur a permis de discerner quelques détails inconnus des autres spécialistes dépourvus des mêmes préoccupations qu’eux. Ils ont remarqué, par exemple, le soin pris par le copiste pour dessiner la majuscule S du «Sonus», indiquant ainsi la valeur de la Grande Entrée àune époque ou le Rite romain commençait déjà à s’imposer.

b) LES PÈRES DES GAULES

Le témoignage précieux de saint Germain doit être complété par ceux des Pères des Gaules de la même époque. Leurs écrits, en effet, traitent fréquemment de questions liturgiques.

Saint Sulpice Sévère (5ème siècle) : «Vie de Saint Martin».

Saint Jean Cassien de Marseille (5ème siècle) : «Conférences», «institutions cénobitiques».

Saint Gennade de Marseille (5ème siècle) : «Les dogmes ecclésiastiques».

Saint Faust de Riez (5ème siècle) : lettres et homélies, écrites sous le pseudonyme d’«Eusebius gallicanus».

Saint Grégoire de Tours (6ème siècle) dont les ouvrages historiques et hagiographiques content les cérémonies : «Vie des Pères», «Histoire des Francs» et son«Cursus ecclésiastique» qui témoigne d’un grand intérêt pour la liturgie.

Saint Venance Fortunat de Poitiers (6ème siècle), ami de saint Germain. Son éloge de ce dernier et ses autres ouvrages fournissent d’intéressants éléments de la vie de son temps.

Saint Avit de Vienne (6ème siècle) : lettres et homélies.

Saint Sidoine Apollinaire de Clermont (6ème siècle) : lettres.

Saint Césaire d’Arles (6ème siècle) et son successeur, saint Aurélien, dont les œuvres amplifient la connaissance liturgique de cette période (Homélies ; règles pour les moines et les vierges).

Saint Géry de Cambrai (7ème siècle) : Vie.

Saint Isidore de Séville (7ème siècle) : «Les offices ecclésiastiques». La liturgie d’Espagne est si proche de celle des Gaules que les liturgistes, du 18ème siècle jusqu’à nos jours, considèrent qu’ils peuvent s’en servir pour combler ce qui manque dans les manuscrits mérovingiens.

c) LES CONCILES DES GAULES

Les Conciles des Gaules des 6ème et 7ème siècles nous offrent d’autres témoignages. Nommons-les :

Les Conciles : d’Agde (509), de Lyon (517), de Vaison (529) – ce dernier impose, par exemple, le «Trisagion» indiqué par les Lettres de saint Germain -, de Mâcon (585), de Rouen (650), de Nantes (658), etc. (sur ces Conciles voir Hefele et Leclercq, Histoire des Conciles, t. II2 et iii1).

d) LES MISSELS SACRAMENTAIRES

Nous avons signalé, à travers le «Propre», la variabilité des prières durant la Messe. Aucune Messe occidentale ne peut être célébrée sans recourir au Missel. Les missels ou sacramentaires, contiennent les prières selon les temps, les fêtes, et indiquent aussi, indirectement, le Commun de la Messe. Citons en exemple :

Les missels gallo-mozarabes donnent :

a) des «Collectes post nomina» et des «Collectes du baiser de paix» entre le Sonus» (Grande Entrée) et le «Canon Eucharistique. Ceci prouve que les diptyques, dans ce rite, étaient placés en cet endroit et suivis du «Baiser de paix».

b) des «Prières post-pridie» (prières«après la veille»), qui nous montrent que les paroles de l’Institution commencent par : «Qui, la veille de sa Passion», et non «la nuit où Il fut livré» comme dans la Liturgie orientale.

Les missels sacramentaires gallicans

Voici une liste des principaux missels parvenus jusqu’à nous :

– Parmi les missels typiquement gallicans nous avons, tout d’abord, les «Missale gothicum gallicanum» (nommé par certains «Missel d’Autun») et «Missale Gallicanum vetus». Ces manuscrits du 7ème siècle renferment aussi des textes du 4ème siècle, dont le célèbre Exultet. Ilsfurent édités pour la première fois par Thomasi et repris par Migne (P.L.t. LXXII).

– En 1850, Mone découvre et publie un Missel gallican de la fin du 5ème siècle. Ce Missel est probablement d’origine auxerroise et il s’achève par la Messe de Saint Germain d’Auxerre ( P. L. t. CXXX VIII).

– Le Missel de Stowe, découvert en Allemagne au 18ème siècle, fut publié par Warren en 1881. Tout en contenant des particularités celtes et en mélangeant le Canon romain et le Canon gallican, il nous fournit, entre autres, des Litanies (Ecténies) dites de saint Martin («Supplicatio S. Martini») auxquelles les «Lettres de Saint Germain» font allusion sans en donner toutefois le contenu. Ce Missel, cependant, n’est pas le seul à nous les transmettre. Nous les lisons aussi dans le Missel de Fulda,aujourd’hui perdu, mais transcrit en partie par Georges Witzel en 1555 et publié par Thomasi dans le Sacramentaire de Bergame (10ème siècle), et dans le Sacramentaire de Biasca (10ème siècle). Cette série de documents appuie les litanies de la Messe selon saint Germain de Paris.

Le Missale Francorum, œuvre provenant probablement de Poitiers ou de ses environs, contient des éléments gallicans. Monseigneur Duchesne le classe parmi les sources de la Liturgie romaine et il a raison en ce qui concerne le Canon Eucharistique.

Le Sacramentaire de Bobbio (11ème siècle), découvert à Bobbio et publié par l’infatigable Mabillon, est un document utile possédant des prières antiques.

Le Missale mixtum (P.L.t. LXXXV). Sa nomination vient de ce qu’il est un mélange de l’ancien Rite de Tolède avec celui de Rome. Il fut publié en 1500 par le Cardinal Xiemenes de Cisneros.

– La grande reconnaissance des liturgistes va vers Marius Férotin qui publia en 1904 le «Liber ordinum» et, en 1912, le «Liber mozarabicus sacramentorum». Cette publication, ainsi que celle de Bianchini (1746) sur la liturgie espagnole, amplifie largement notre connaissance du Rite gallican, agrandit le champ des recherches. Soulignons, encore, que les rites gallican, mozarabe et celte, malgré quelques variantes, forment un même rite. La concordance de leurs témoignages nous permet de revivre la Liturgie des 6ème et 7ème siècles de la France et de l’Occident.

– Les Sacramentaires romains : les Gélasiens (l’un d’eux est classé par plusieurs liturgistes parmi les manuscrits gallicans) le Léonien, le Grégorien, ne sont pas à négliger ; il existe (cf. Ap. E. Kovalevsky) des exemples de pénétration des Sacramentaires romains dans le Missale Gothicum gallicanum.

– Les Missels-sacramentaires qui nous sont parvenus en grand nombre, s’échelonnent du 10ème siècle au 12ème siècle. Ils procurent des éléments intéressants.

e) LES LECTIONNAIRES

Le précieux manuscrit du 6ème siècle, spécifiquement gallican, est le «Lectionnaire de Luxeuil» (ou Luxeu), découvert par Mabillon en 1683. Remarquons en passant qu’il fortifie le témoignage de saint Germain sur le chant, dans la Liturgie de «Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos Pères».

Semblable à lui est le «Lectionnaire d’Autun» ou de «Würzburg», découvert par l’infatigable ouvrier liturgiste : Dom Morin (20ème siècle). Consulter les articles de ce dernier dans la «Revue bénédictine» de1911.

f) LES ANTIPHONAIRES

Les antiphonaires, les séquentiaires, les tropaires, les prosaires se multiplient à partir du 9ème jusqu’au 13ème siècles. Le cadeau en est précieux pour celui qui regarde le Rite des Gaules comme un courant vivant de la prière liturgique et non comme une noble antiquité de musée.

g) LE RITE AMBROSIEN

Monseigneur Duchesne a vu juste, lorsqu’il écrivait que le Rite ambrosien, bien que se distinguant du Rite des Gaules, fait partie de son étude. Voici les principaux manuscrits :

Les Sacramentaires de Bergame et de Biasca (déjà cités au sujet des litanies dites de Saint Martin), l’Ordo de Berold, le Missel ambrosien édité par Ratti et Magistretti, de même que les œuvres de saint Ambroise, principalement le «De Sacramentis».

L’on a retrouvé dernièrement des fragments d’anciens livres gallicans : lectionnaires, antiphonaires, sacramentaires ; la bibliographie la plus complète en est donnée par Dom Leclercq dans le D.A.C.L. sous le nom de «Gallicane (Liturgie)».

3. TROIS OUVRIERS LITURGISTES ET LES DOCUMENTS

Notons pour terminer que les trois principaux restaurateurs de la Liturgie gallicane, avant Monseigneur Jean de Saint-Denis, se basèrent sur les documents suivants :

1) Le Père Lebrun : sur six documents ; soit quatre Missels (Missale Gothicum Gallicanum, Missale Gallicanum-vetus, Missale Francorum, Missel de Bobbio appelé par lui : liber Sacramentarium gallicanum), un Lectionnaire (celui de Luxeuil) et l’Exposé de Saint Germain de Paris.

2) Le Père W. Guettée : sur trois documents : le Missale gothicum-gallicanum, la liturgie mozarabique, et le «Vieux Missel» gallican (gallicanum-vetus).

3) Monseigneur Duchesne : surneuf documents : le Missale Gothicum Gallicanum, le Missale Gallicanum-vetus, le Missel de Mone (inconnu du Père Pierre Lebrun), le Lectionnaire de Luxeuil, les lettres de Saint Germain, les livres bretons et irlandais (surtout le Missel de Stowe), le Missel de Bobbio, les livres ambrosiens et les livres mozarabes.

4. CONCLUSIONS

«Il est intéressant de noter que le Père Lebrun se contente des sources gallicanes, que le Père Guettée ajoute les sources mozarabes et que Monseigneur Duchesne exploite les traditions jumelles de Gaule, d’Espagne et de Bretagne, introduit en plus les documents ambrosiens comme faisant partie du patrimoine commun».

Il reste à citer une source non manuscrite, inattendue peut-être, mais spirituelle et assurance d’authenticité pour «l’Ancien rite des Gaules» restauré. Il s’agit du témoignage de plusieurs évêques orthodoxes de différentes Églises russe, grecque et roumaine qui présidèrent la Liturgie dans notre Cathédrale, tels l’Archevêque Jean de San Francisco. Mais tout particulièrement l’ancien Primat de l’Église Russe Hors-Frontières le Métropolite Anastase : assistant à la Liturgie avec dix-huit autres évêques, il s’écria : «Elle est, en vérité, orthodoxe !»

L’utilisation actuelle de la Liturgie du Rite des Gaules, nécessité vitale pour une Église attachée à son sol, est posée sur un plan universel, non seulement à cause des racines apostoliques et antiques du Christianisme en France, mais à cause de l’universalité de la Foi orthodoxe qui doit être exprimée en toutes langues par tous les peuples, «Ce problème est posé aussi pour les autres rites occidentaux : romain, celte, mozarabe, etc. Et le temps actuel ne serait-il point favorable à ce que le Pape d’Alexandrie, par exemple, ce Patriarche de toute l’Afrique, restaurât les vénérables rites d’Alexandrie, d’Éthiopie, montrant ainsi qu’il est le père des divers peuples d’Afrique et leur racine apostolique. Nous aimerions tenir le même langage au Patriarche d’Antioche, Patriarche de tout l’Orient, depuis l’Asie Mineure jusqu’aux Indes. L’unité du rite est accidentelle dans l’Orthodoxie et non l’expression de son génie universel. Le Rite byzantin est l’incomparable chef d’œuvre de la deuxième Rome et de l’Hellade ; il est normal qu’il soit employé par la Russie, la Roumanie, issues de Constantinople, mais il ne peut devenir l’expression de tous les peuples».

Bénissons la Divine Providence qui amena jusqu’à ce temps les matériaux intacts et riches de la Tradition des Anciennes Gaules, qui suscita les ouvriers liturgistes pour les rassembler à nouveau et qui passa l’anneau d’or au doigt du Fils prodigue la Liturgie antique aux Français – avant de le remettre à sa Mère l’Église.

5ème partie : CONCLUSIONS

Après avoir dégagé, croyons-nous, à la mesure de ce seul et bref article, les principes, la ligne historique et les documents suivis et utilisés par les restaurateurs de La Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules, nous osons ajouter trois courts chapitres tout en renvoyant le lecteur aux très remarquables travaux de Monseigneur Jean de Saint-Denis pour l’exposé définitif, liturgique et scientifique de ces chapitres. Une très courte réponse aux six questions critiques indiquées en tête de notre étude formera le 1er chapitre. Nous pensons pouvoir faire comprendre au lecteur la valeur de cette réponse après connaissance des textes précédemment présentés et nous estimons utile pour beaucoup, et honnête pour nous-mêmes, de savoir répondre à ces questions.

1. RÉPONSE À SIX QUESTIONS

Première question :

«Pourquoi, objecte-t-on, voulez-vous avoir un rite autre que celui de Saint Jean Chrysostome au sein de votre effort pour ressusciter l’Église orthodoxe occidentale ? Si vous célébriez la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, vous allieriez à la simplicité d’un rite célébré sans interruption et utilisé par la très grande majorité des Églises orthodoxes la garantie de l’unité avec celles-ci ?»

Sans reprendre les principes énoncés au commencement de notre étude où il apparaît que l’unité, en ce domaine, s’appuie sur la multiplicité des expressions et des génies locaux, nous répéterons sans nous lasser quelques évidences oubliées non par les spécialistes mais par les juges hâtifs et les enquêteurs lointains.

Aucun rite, maître de son génie, de son style et de son esprit, animateur de ses formes, ne brise l’unité universelle liturgique. Il l’enrichit au contraire d’une ou plusieurs formes uniques, évitant à l’Église de tomber dans le piège de l’unification. « Les différences de structure et de forme dans les rites ne sont nullement le fruit du hasard mais elles procèdent d’une nécessité organique : elles manifestent l’esprit intérieur propre à chacun»

La Tradition liturgique ne s’interrompt jamais ; elle ne meurt pas ; même si elle disparaît parfois durant des siècles, elle est porteuse de germes de la Résurrection. Comme aussi l’Esprit Saint travaille sans S’essouffler, où Il veut, coopérant et avec l’Église et avec le monde, sans exclusion. Il a porté jusqu’à nous, à travers les auteurs et les événements indiqués plus haut, la personnalité unique de cet Ancien rite des Gaules. Ce faisceau d’arguments : le souffle de l’Esprit de Dieu, l’unité liturgique universelle dans la richesse des rites, les nécessités organiques du rite en un lieu, les événements culturels et politiques alliés aux vicissitudes de l’Église de ce même lieu, tout ceci autorisa et même obligea à franchir le pas entre la discussion théorique sur la question posée et la réalisation concrète. L’Ancien rite des Gaules, malgré mille années de suspension, fut célébré à nouveau afin de vivifier et l’unité liturgique universelle de l’Église orthodoxe et l’Église orthodoxe occidentale, en France même, par son esprit propre incarné dans son sol spirituel et matériel.

La simplicité apparente qui eut consisté à recevoir en bloc l’héritage liturgique de Byzance aurait comporté et manifesté plusieurs erreurs : craindre ou ignorer l’efficacité du dogme de la mort et de la Résurrection ; priver l’Église universelle d’un rite traditionnel, orthodoxe et de racines apostoliques et patristiques ; ignorer le lieu où l’on prêche l’Évangile et dévier l’Église orthodoxe de France vers l’unification, vers une forme d’uniatisme. L’unité vraie, non seulement ne craint pas, outre l’inspiration, la variété des formes et des structures liturgiques, mais elle les recherche et s’en nourrit.

Deuxième question :

«Pourquoi, si vous souhaitez un rite d’Occident, ne prendriez-vous pas le rite romain dont la vie malgré ses nombreuses et nécessaires réformes, n’a pas présenté d’interruption ? Et vous y ajouteriez, certes, les indispensables retouches orthodoxes ?»

L’Esprit de l’Église, comme l’esprit des liturges et des liturgistes, aime le passé dans le but de procéder vers l’avenir. Cette attitude est conforme à la phrase de l’Évangile où le Christ dit (Mat. 13, 52) : «Tout scribe instruit de ce qui regarde le Royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes». Or le passé de la France, enraciné dans la Tradition de l’Église indivise, a produit le Rite gallican dont vécurent les Chrétiens de ce sol jusqu’à la réforme carolingienne du 8ème siècle (Concile de Francfort en 794).

Conscients, vis à vis de ce passé, de l’attitude traditionnelle de l’Église orthodoxe, à savoir qu’un même Esprit anime les temps apostoliques et les temps d’aujourd’hui, nos fondateurs, les restaurateurs du Rite des Gaules n’eurent pas le choix. Ils durent accepter la primauté de la Tradition, entrer en elle sans fausse mesure, sans faux-fuyant, sans céder aux puissants liturgiques de ce temps et ils durent s’attacher à la rude tâche de scruter la Tradition organique locale. Celle-ci leur révéla, à travers les documents et le cheminement de l’histoire que nous avons décrit précédemment, l’existence du travail liturgique séculaire des anciennes Gaules et de leur génie, à côté et indépendamment de celui de la Rome ancienne. Persuadés alors, avec la valeur et la richesse latente des sources et des œuvres gallicanes insérées jusque dans les liturgies romaines et byzantines actuelles, de parvenir à un plus grand avenir s’ils plongeaient de profondes racines dans le passé, nos liturgistes contemporains n’hésitèrent plus. Sans aucunement entrer dans l’isolement sectaire du refus de la Liturgie romaine puisqu’ils la célébrèrent afin d’en mesurer l’apport intérieur éventuel, ces courageux investigateurs ressuscitèrent la Liturgie selon l’Ancien rite des Gaules. Ceci promet une très grande vigueur à l’arbre liturgique de notre Église.

Troisième question :

«Puisque vous avez décidé de cette résurrection, pensez-vous qu’il soit possible de restaurer un rite dont la célébration est interrompue depuis plus de mille ans ? Ne vous exposez-vous pas à la fantaisie et au risque de faire de l’archéologie ?»

L’on ne peut aucunement nier le danger, très réel en revenant vers le passé, de franchir arbitrairement la limite du possible et de tomber dans la fantaisie et le décor archéologique.

Certes, nous invitons les critiques à venir expérimenter le résultat de la restauration, mais surtout nous rappellerons que celle-ci présente les mêmes réalités, les mêmes avantages et difficultés, que le retour aux sources de la patristique ou de l’art sacré, effectué dans d’autres Églises et milieux que le nôtre. Cet effort est aussi légitime, dans son domaine limité, que celui du retour aux sources de l’ecclésiologie que le Patriarche Serge de Moscou a fait au début de ce siècle, par exemple.

En plus de la confiance absolue dans la puissance du dogme de la Mort et de la Résurrection, il convient de bien poser que ce n’est pas parce qu’il y a danger de réaliser faussement que l’on ne doit pas se mettre en route.

Nous soulignons, à cet égard, une réponse à la même question donnée par l’expérience orthodoxe, en particulier russe, au début du 20ème siècle dans un autre domaine. Au 19ème siècle les écoles de théologie orthodoxe enseignaient une théologie d’influence scolastique et, qui plus est, de la mauvaise école issue des 17ème et 18ème siècles. L’on ignorait tout, par exemple, de saint Grégoire Palamas, de sa doctrine salutaire des Énergies incréées et de son anthropologie en défense des hésychastes ! Des hommes courageux, tels le Métropolite Antoine de Kiev en Russie, puis l’Archiprêtre Eugraph Kovalevsky et Vladimir Lossky en France, se sont tournés vers le passé et ont ressuscité la patristique, tandis que d’autres personnalités arrachaient le voile d’imagerie populaire qui couvrait l’iconographie traditionnelle et que d’autres encore retournaient vers le passé biblique à travers la philologie, la valeur des mots, la science des symboles etc. Tous ces mouvements portant en eux-mêmes la possibilité et la force purificatrice d’un retour aux sources ont projeté la théologie patristique, l’iconographie, l’exégèse biblique, l’ascèse… dans un dynamisme vers l’avenir dont l’Église orthodoxe vit actuellement. Comme dans la nature, avec les saisons, en tous les domaines il existe la réalité, la nécessité impérieuse de la renaissance, du renouveau. Et la Tradition liturgique, qui ne meurt pas, produit aussi de ces purifications et retours des choses – renaissances – momentanément estompées, disparues.

L’on peut connaître et scruter avec exactitude ce qui fut vécu autrefois, en un lieu, grâce à la continuité latente de la Tradition enfouie, certes, mais aussi désireuse de ressusciter et de renaître que les pousses d’un arbre au printemps après l’extinction hivernale. Les travailleurs liturges des siècles passés, depuis Alcuin jusqu’au père Wladimir Guettée, avaient tous la possibilité de retrouver, de connaître, de transmettre la structure et les formes de l’Ancien rite des Gaules. Ils le firent, et nous avons certainement, par eux, le droit strict et le devoir non seulement de produire une étude scientifique du rite mais de passer de la théorie à la pratique.

Demeurer dans la discussion théorique et l’étude, face aux nécessités de la vie de l’Église, eut justement correspondu à une installation dans un décor archéologique et à une sorte de monophysitisme psychologique disant : l’on s’accorde sur la théorie mais la réalisation n’aura pas lieu.

Passer à la pratique sans l’étude humble, précise, des témoins et des sources, eut été faire œuvre individuelle et fantaisiste, mais non traditionnelle. Il semble que les restaurateurs aient au contraire, compte tenu de leur enracinement dans la Tradition liturgique universelle, examiné chaque principe, structure, forme, esprit… dans le respect intime de cette sève montante des amants historiques du rite qui plonge ses racines dans le sol apostolique – patristique.

Le passage du possible au réel a été qualifié d’orthodoxe par les témoins autorisés c’est-à-dire par les spécialistes de la Tradition ecclésiastique qui en ont pris connaissance. Quant aux fidèles – ne sont-ils pas les premiers concernés ? – ils expérimentèrent et exprimèrent la conformité de la réalisation avec leur propre esprit et leur goût d’Occidentaux. Ce rite recevait ainsi deux qualificatifs : orthodoxe et occidental ! Il demeure à montrer qu’il se nomme légitimement «l’Ancien rite des Gaules», mais tout reproche d’archéologie et de fantaisie se trouvaient écartés.

Quatrième question :

«N’est-ce pas une forme ‘d’uniatisme’ que d’adapter un rite occidental de telle sorte qu’il ne contredise pas le dogme de l’Église orthodoxe ? N’y a-t-il pas une intrusion orientale dans le monde occidental ?»

Non seulement l’Ancien rite des Gaules ne contredit pas, par volonté canonique, l’essentiel dogmatique de l’Église orthodoxe universelle, mais de par son origine et sa tradition antique il est déjà pur de toute déformation théologique. Il ne peut aucunement être taxé d’adaptation au bénéfice d’une pénétration de type uniate de l’Occident chrétien puisqu’il naquit antérieurement à toutes ces questions dont le fondement est politique, et que son emploi actuel est entièrement dépourvu de ce caractère.

L’uniatisme visait à créer un lien canonique et juridique avec le siège de Rome pour des populations jusqu’alors orthodoxes sans toucher à leurs coutumes et à leur rite. Mais il ne s’agit pas, en restaurant le rite ancien des Gaules, de créer un lien canonique avec un siège oriental pour des populations jusqu’alors catholiques. En fait, à travers ce rite, des Français orthodoxes cherchent à se ré-enraciner dans leurs traditions ancestrales, en particulier liturgiques, compte tenu de toute l’histoire chrétienne comprise entre l’arrêt de cette tradition et les temps actuels. L’Orient orthodoxe n’impose rien et ne s’immisce pas en Occident par cette initiative dont le fondement sûr est le courant du Saint Esprit soucieux de ressusciter le rite local.

Ces travaux eussent pu être d’inspiration uniate si, au lieu de préparer la restauration de la Liturgie selon Saint Germain de Paris, leurs auteurs s’étaient contentés de prendre la Liturgie romaine et d’y introduire quelques retouches orthodoxes, en leur ajoutant même un esprit de sage tolérance.

Il y aurait presque lieu de définir ces études et leur réalisation comme anti-uniates puisqu’ils ressuscitent la Tradition des Gaules, par la forme et par l’esprit, soulignant la personnalité claire d’une Eglise orthodoxe de France. Celle-ci ne cherche ni à s’introduire dans les Églises d’Orient, ni à orientaliser l’Occident mais à communier avec les Anciennes Églises dans la Foi universelle, marque de l’Église indivise du millénaire durant lequel naquit et se forgea l’ancien rite.

L’Église orthodoxe doit éviter le piège d’un uniatisme à rebours, mais elle risque d’y glisser de plusieurs manières. D’abord par une «tolérance» du rite occidental adopté comme pis-aller, en place d’aider les Occidentaux à restaurer dans l’Église orthodoxe la plénitude de leurs rites. Ensuite elle peut – et quelques essais se font jour actuellement paradoxalement jusque dans les milieux de l’Église romaine – introduire l’Orthodoxie française de rite oriental. Au premier regard, cette solution peut sembler opposée à l’uniatisme. Il n’en est rien, car des groupes de Français de rite oriental seront toujours des orthodoxes de «seconde zones, détachés de leurs racines nationales. Et si Rome trahit la catholicité par le latinisme, l’Orthodoxie la trahira, alors, par l’orientalisme.

Cinquième question :

«Sans même poser la question des intercalations éventuelles d’éléments des rites romain, milanais… dans votre rite, ne peut-on pas le considérer comme un mélange de rites d’Orient et d’Occident ?»

Le lecteur a pu se convaincre précédemment de la richesse et de la précision des apports anciens et actuels pour l’étude de ce rite des Gaules, emprunts qui en font un rite véridiquement et solidement ancestral et vivant. Nous donnerons et justifierons les douze emprunts faits aux liturgies orientales (Saint Jean Chrysostome et Saint Basile) dans notre restauration. Mais nous soulignons ce que nous considérons comme une maladie de l’Église : l’absence de compénétration des rites ! L’Église antique ignorait cette maladie tandis que bon nombre de liturgistes contemporains considèrent comme péché le moindre emprunt, surtout lorsqu’il s’agit de résoudre les questions posées par une étude basée sur l’antiquité chrétienne. La présentation, au long de cet article, de nos méthodes et de nos emprunts nous justifient vraisemblablement au regard de la Tradition liturgique au niveau de l’Église mais sûrement pas au regard des censeurs superficiels et surtout de ces «racistes» rituels«transformant le corps universel de l’Église en un composé de monades leibniziennes privées de communications entre elles».

Lorsqu’un rite s’attache historiquement à une confession il aboutit à l’isolement. Heureusement les emprunts ont toujours existé entre rites, historiquement. La fixation des rites, leur cristallisation équivaudrait à la création de schismes par exaltation d’une forme et d’un esprit particulier et rupture de l’esprit de communion.

A l’inverse, d’ailleurs, il convient de veiller à ce qu’il ne s’introduise pas dans l’Église un rite uniforme et unificateur.

Nous confessons un Dieu Trinitaire ; les deux attitudes, l’isolement et l’unification, sont la négation implicite de ce Dieu et la contradiction «de la conciliarité et de la catholicité de l’Orthodoxie».

Les principes de la restauration de l’Ancien rite des Gaules n’ont cédé ni à la tentation de la pureté isolée, ni à la tentation du mélange uniformisateur et confus. Soucieux de ne pas briser sa propre forme et son propre esprit, afin de lui donner et garder sa place légitime dans la symphonie liturgique de l’univers, l’on a veillé sur la nature des emprunts et sur leur valeur, afin de communier sans séparation ni confusion avec les autres rites.

L’exemple le plus sensible d’un apport enrichissant est celui du très célèbre Agios ô Theos (Trisagion). Toutes les Églises d’Orient et d’Occident (Rome, Espagne, Gaules…) s’empressèrent de l’emprunter à Constantinople où il apparut et de l’insérer dans leur liturgie. Peut-on dire que cet emprunt permit le «mélange», la «fantaisie», «l’imitation», «le nivellement», des rites parmi les Églises, et qu’il détruisit les structures des rites locaux ? Certes non, et chaque Église s’en servit à sa manière spécifique.

La Tradition est vivante.

Sixième question :

«En quoi votre liturgie est-elle véridique ? Donnez-nous les sources et la garantie de leur pureté !»

Les documents, leur description, leur classification et leur emploi, décrits plus haut, répondent à cette question mais ils ne doivent jamais faire oublier une distinction : la source de tous les rites est l’Esprit Saint de Dieu. S’il existe des documents sources, et nous en avons un très grand nombre pour la liturgie ancienne des Gaules, ils doivent, pour devenir utilisables, être sertis par cet orfèvre qu’est l’Esprit sur le joyau du rite.

Nous voulons simplement dire ici qu’en approchant de la Liturgie universelle nous concevons son unité orthodoxe qui la sépare des éléments hétérodoxes. Cette unité de la Liturgie a autant besoin de la plénitude de l’enseignement et de la spiritualité orthodoxe que de sources et de l’authenticité de ces sources. Alors seulement, dans cette unité apparaissent les rites locaux qui se distinguent par leur esprit et leur forme. Le travail des sources a été et est accompli selon cet esprit, piédestal de véracité.

2. Les particularités essentielles, uniques et authentiques de l’Ancien rite des Gaules

Nous ne voulons pas décrire, ici, la structure particulière, la forme individuelle du rite mais éveiller l’intérêt sur le génie, l’esprit qui vivifie cette structure et qui aboutit à les distinguer dans la communion des autres rites.

Quel est donc l’esprit intérieur, le style qui procurent – à travers le temps et l’espace – l’unité à ce rite ? En quoi cette liturgie communique-t-elle avec le sol où elle est née ? Et correspond-elle avec l’âme dont elle doit exprimer la mentalité ?

Monseigneur Jean de Saint-Denis relève, pour répondre à cette question, trois qualités du rite :

La confession de la Victoire du Christ ;

L’influence de la Liturgie céleste décrite par l’Apocalypse ;

La pénétration de l’Éternel dans le temporel.

Les expressions telles que : «Le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David est vainqueur, alléluia», ou «Toi qui vis, règnes et triomphe», introduites à l’élévation des Dons et dans les doxologies, révèlent constamment la force de la victoire du Roi des rois dans le rite. Nulle autre liturgie ne proclame avec autant de puissance le Christ Vainqueur.

Cette liturgie extrait aussi de nombreux textes hors du livre de l’Apocalypse, contrairement à la liturgie de Byzance qui ne l’utilisa jamais, et elle se les approprie. Elle accroît et confirme cette détermination en basant nombre d’éléments architecturaux, symboliques, gestuels, iconographiques sur les descriptions de ce même livre ; par exemple en disposant sept chandeliers sur les autels, en donnant sept bénédictions, en admettant au service sept acolytes. Le triple «Saint, Saint, Saint» retentit, inspiré de l’Apocalypse, après la lecture solennelle de l’Évangile, comme dans la Liturgie mozarabe. La prière aime «exalter Jésus-Christ comme le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga».

Le dévoilement de la destinée divine-historique», enfin, constitue un troisième caractère de la liturgie. Le témoin de cette qualité est le monument liturgique de l’Avent ! Œuvre authentique de l’ancienne Église des Gaules accueillie par l’Église de Rome et inconnue de l’Orient. Cette œuvre soude le premier et le deuxième Avènement du Christ ; elle emmène vivement, rapidement, à Noël et au Dernier Jugement les fidèles attentifs, également, à Sa venue en esclave et à Sa venue en Gloire.

Le rythme, la ligne, le parcours intérieur du rite sont liés à Celui «qui était, qui est, qui vient», à la flèche qui part de l’Orient et pénètre jusqu’en Occident, à la justification Divine et Humaine de l’Histoire. Le Christ «Premier et Dernier», «bondissant sur les collines pour tout accomplir, répond au génie de la Liturgie gallicane, à la contemplation et à l’action liturgiques intimes des habitants de ce lieu qui se sanctifient dans l’espoir d’atteindre «la liberté glorieuse des enfants de Dieu».

1. PRÉSENTATION DES EMPRUNTS FAITS A LA LITURGIE DE BYZANCE DANS L’ANTIQUITÉ ET DANS LA RESTAURATION MODERNE PAR LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS

Il serait plus exact de dire, au lieu d’emprunt, enrichissement. Saint Grégoire le Grand, principal réformateur du rite de Rome et conseiller de saint Augustin, apôtre de l’Angleterre, discernant le caractère provincial de la liturgie de la ville de Rome, lui écrivait en réponse aux questions sur la liturgie :

«Votre fraternité connaît la coutume de l’Église romaine… mais si vous trouvez dans toute autre Église quelque chose qui puisse être agréable à Dieu, choisissez avec soin… car nous ne devons pas aimer les choses à cause des lieux, mais les lieux à cause des choses».

Et saint Grégoire écrivait aussi :

«Si l’Église de Constantinople ou toute autre a quelque chose de bon, je suis prêt à les imiter dans ce qu’elles ont de bon. Ce serait folie de mettre la primauté à dédaigner d’apprendre ce qui est le meilleurs».

Inspirés par cet exemple illustre, et adressant les questionneurs et les intéressés aux études déjà citées de Monseigneur Jean de Saint-Denis, examinons successivement les douze enrichissements essentiels apportés à la Liturgie selon l’Ancien rite des Gaules et faisons état de sept emprunts secondaires pour terminer Nous espérons faire apparaître combien ces emprunts ont été «choisis avec soin» et comment ils ont été utilisés, au point d’être devenus organiques dans cette liturgie.

Parmi ces choses reçues et agréables à Dieu» certaines furent empruntées dès l’Antiquité et non pas introduites par les artisans modernes du rite ; nous le précisons. Et nous n’hésitons pas, enfin, à citer longuement et in extenso Monseigneur Jean de Saint-Denis, soulignant que nous donnons ici les emprunts attachés au commun de la liturgie, c’est-à-dire à ses parties fixes (ou presque fixes). La Messe du rite gallican est, en effet, remarquablement variable. Elle possède vingt-huit éléments qui varient plus ou moins complètement avec le Propre, depuis le Praelegendum jusqu’au renvoi, et cette particularité en fait un rite occidental par excellence. Nous ne pouvons aborder le cadre du Propre, mais ce sont bien les emprunts insérés au Commun qui forment notre présent sujet. Pour situer avec précision la place de ces enrichissements dans l’Ordo, le lecteur pourra se reporter aux p. 93 et sq.

Le premier enrichissement

«Dans l’oratio ad praelegendum, nous proposons au célébrant de dire la prière Roi du Ciel, Consolateur, Esprit de Vérité. A vue superficielle, ceci peut paraître un emprunt à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, mais peut-on affirmer sérieusement que cette prière fait partie de cette liturgie ? Pour nous conformer à l’expression des liturgistes modernes occidentaux, nous dirons qu’elle est «paraliturgique». L’Orient la dit actuellement avant tous les services divins, de même que depuis le Moyen-Age on récite en Occident : «Je te salue, Marie» avant chaque office. Nous avons mis en lumière cette prière, non par imitation de la liturgie orientale, mais parce qu’aussi bien que le célèbre «Agios ô Theos» elle est un chef d’œuvre spirituel, embellissant d’esprit orthodoxe l’âme du priant, disposant son cœur à l’humilité et le préparant à l’inspiration féconde. Qui la composa ? Quand s’imposa-t-elle au Rite byzantin ? Son origine reste obscure, la critique historique n’a pu l’éclaircir. Le fait demeure : l’Église orthodoxe possède un diamant et nous ne pouvons, ni ne voulons, sous prétexte de respect formel ou de sauvegarde sectaire de l’intégrité du rite, l’éliminer de notre liturgie, privant l’Occident de cette beauté. Cette prière détruit-elle l’unité structurale et l’esprit de la liturgie gallicane ? Certes non ! Elle l’enrichit au même titre que celle de Saint Jean Chrysostome. Le grand Patriarche ne la connaissant pas plus que notre patron, saint Germain de Paris».

Le deuxième enrichissement

Il s’agit du Trisagion : «Avant la prophétie, on chante ‘l’Aius’ en grec, car c’est par la langue grecque que le renseignement du Nouveau Testament s’est répandu dans le monde» dit la Première Lettre de Saint Germain de Paris. Aius est le premier mot d’Agios o Theos, ce sublime Trisagion, né à Constantinople et inséré très rapidement, dès son apparition, dans toutes les liturgies d’Orient, de Rome, des Gaules et d’Espagne. Il est chanté en grec, puis en latin et, de nos jours, répété dans la langue française. Sa place dans le déroulement du rite n’est pas celle que lui donne la Liturgie de Saint Jean Chrysostome ; et cette place est initiale, en respect du caractère et de l’esprit apocalyptique de l’Ancien rite des Gaules. Voici une acquisition de l’Antiquité.

Le troisième enrichissement

Dans la Préface de l’offertoire (ou Préface aux fidèles), préface ordinaire, l’on a inséré : «C’est Lui qui offre et qui est offert, qui reçoit et qui distribue». Cette formule se trouve, dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, à la fin de la sublime prière dite par le prêtre durant l’Offertoire : «Aucun de ceux qui sont liés par les désirs…». Les textes classiques des liturgies antiques ne connaissaient pas les trois termes : «… Celui qui reçoit » car elles considéraient le Père comme recevant l’offrande et le Fils offrant et étant offert. Cette insertion rencontra l’opposition, mais le Concile de Constantinople la fit admettre définitivement.

Il s’agit, ici, d’un développement dogmatique, d’une précision de l’enseignement, analogue au contenu des textes des préfaces aux fidèles dans les Missels Gallicanum Vetus, Gothico-Gallicanum… Les analogies de cette précision s’imposèrent en Gaule dans les préfaces exposant aux fidèles les mystères, pour renforcer, au temps de l’arianisme, la Consubstantialité du Père et du Fils.

Il était, donc, légitime de discerner le joyau de cette formule et de l’insérer à cette place dictée par les anciens missels et dans cette formulation nette, tenant compte ainsi de l’âme du rite, du développement dogmatique historique en Occident et en Orient : conjoints.

Le quatrième enrichissement

Nous chantons, aux Messes dominicales, l’hymne «Que toute chair humaine fasse silence…», chant réservé dans le rite byzantin au Samedi Saint. Pourquoi ?

«Nous le chantons parce qu’il est entré sans violence dans notre rite avant la dernière guerre, aucun hymne n’étant, d’ailleurs, imposé pour l’Offertoire dans les rites romain, gallican et l’ancien rite de Byzance. Cet hymne change suivant les fêtes et les circonstances. Les offertoires des dimanches et fêtes sont si brefs dans l’Église romaine actuelle que même les monastères de «stricte observance» se voient obligés de les prolonger par quelques accords d’orgue. L’hymne de l’Offertoire dans la majorité des églises paroissiales est laissé au choix du curé ou du chef de chœur, à l’instar du chant pendant la communion du clergé dans les paroisses russes. Le chant «Que toute chair humaine …» fut préféré aux autres sans exclure ces derniers, tout comme l’hymne du «Cherubicon…» acquit, sur l’initiative de l’empereur Justinien III, une place prépondérante dans la liturgie byzantine. Le rite byzantin a gardé trois offertoires : «Cherubicon…», «Que toute chair humaine…» et «A Ta Cène mystique…». Il est difficile de définir ces chants admirables. «A Ta Cène mystique…» est, avec une légère variante, aussi milanais que byzantin et employé en Occident (rite milanais), comme le Te Deum et le Gloria in excelsis, depuis la plus haute antiquité. Le «Cherubicon» et «Que toute chair humaine…», bien que nés en Orient, se confondent de telle sorte avec l’esprit mozarabe et gallican que nous pouvons les admettre comme conformes à la vie de ces deux rites. Remarquons, toutefois, que le second correspond mieux à la liturgie gallicane et que le «Cherubicon…» appartient davantage à la liturgie byzantine. En effet, la première phrase : «Que loure chair humaine fasse silence et se tienne dans la crainte et le tremblement», n’est que le développement biblique du bref appel du diacre répété à tous les instants solennels de la liturgie gallicane : «Face silentium ! », appel diaconal analogue aux paroles : «Sagesse, soyons attentifs ! » de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome. Le Christ dans notre hymne « Que toute chair humaine…» est nommé «Roi des rois et Seigneur des Seigneurs», cette appellation étant directement tirée de l’Apocalypse (17, 14 et 19, 16) livre ignoré, comme nous l’avons déjà indiqué, de la liturgie orientale sauf dans ce cas qui fait exception à la règle et tendrait, précisément, à montrer l’inspiration occidentale et gallicane de ce chant».

Le cinquième enrichissement

Pendant le chant d’offertoire (le dimanche : «Que toute chair humaine …») le prêtre dit la prière : «Aucun de ceux qui sons liés par les désirs et les passions charnelles n’est digne de se présenter devant Toi…», elle provient de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome.

Cette prière correspond très intimement à la description du contenu et des gestes de la procession de l’Offertoire par saint Germain de Paris. Il était alors intéressant de l’introduire dans notre liturgie pour marquer, par son contenu, la précision théologique au sein de la liturgie et pour ressusciter la liturgie gallicane loin du fixisme dans le passé, pour en faire une œuvre vivante, unie à l’esprit réel de la Tradition orthodoxe sans trahir son propre génie liturgique et sa forme personnelle.

Le sixième enrichissement

En déposant la patène et le calice sur l’autel, à l’issue de la procession d’Offertoire, le prêtre, en les recouvrant du voile et en les encensant, peut dire, au lieu de la prière citée par saint Grégoire de Tours : «Il règne le Seigneur notre Dieu, ettirée de l’Apocalypse (19, 6-8), les deux prières orientales : «Le noble Joseph descendit au Bois ton Corps très pur, l’enveloppa d’un linceul immaculé, le déposa couvert d’aromates dans un sépulcre neuf» et «Ton sépulcre, ô Christ, est plus resplendissant que les demeures angéliques, chambre nuptiale et source de résurrection».

Pour les mêmes raisons que la prière du cinquième emprunt, ces deux prières peuvent être dites dans notre liturgie actuelle. Il s’agit d’exprimer pleinement l’Orthodoxie en confessant la Résurrection. Cette attitude vitale est celle d’un maximalisme dogmatiques qui se soumet à l’évolution historique et tient compte des événements survenus progressivement depuis l’extinction du rite jusqu’à sa résurrection dans des circonstances précises. Parmi ces circonstances l’on peut citer la rencontre merveilleuse, mais cachée, à l’image de la Naissance du Christ, entre la Foi orthodoxe et les aspirations de l’Occident au 20ème siècle.

Le septième enrichissement

Le Dialogue initial du Canon Eucharistique ne s’ouvre pas, comme dans le Rite romain, par : «Le Seigneur soit avec vous» mais par le souhait paulinien : «Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient toujours avec vous», comme dans les liturgies d’Orient.

Mais est-ce vraiment un emprunt ? Monseigneur Duchesne, en effet, partage les liturgies en deux groupes : le groupe syro-gallican (la Liturgie byzantine entrant dans ce groupe) ou eurasien et le groupe eurafricain (les Liturgies romaine, milanaise, copte entrent dans celui-ci) ou alexandrino-romain. Le premier groupe ouvre le Dialogue par la Bénédiction Trinitaire tandis que le deuxième offre le souhait biblique : «Le Seigneur soit avec vous».

Cette distinction de Monseigneur Duchesne permet de s’orienter dans les textes liturgiques d’Occident et de distinguer la Liturgie gallicane pure et la liturgie gallo-romaine. Avec l’argument du génie commun aux trois rites frères, gallican, mozarabe et celtique, cette distinction de Duchesne confirme de manière indiscutable que dans le Rite des Gaules, le souhait ouvrant le Canon Eucharistique était trinitaire.

Avons-nous le droit d’affirmer que ce souhait était d’inspiration paulinienne ? Malgré la variation de ce souhait, privé de sa forme scripturaire (2 Cor 13, 13) dans certains textes liturgiques traditionnels, il semble que nous ayons effectivement toute possibilité de recourir ici au «taxis» trinitaire de l’apôtre Paul. «Aucun document, aucune décision synodale des Gaules, aucune autorité n’obligent à adopter une périphrase sous condition de renoncer au texte sacré, supérieur par son contenu théologique et sanctifié par son emploi dans les liturgies orthodoxes actuelles».

L’inspiration paulinienne étant universelle dans la famille liturgique eurasienne, dont notre liturgie est un membre pur, l’emploi de ce souhait étant constant dans les liturgies orthodoxes de ce temps, et ce «taxis» trinitaire étant parfaitement à sa place pour la consécration des mystères, il semble que notre solution de l’adopter soit la meilleure possible. Et l’on peut juger ainsi qu’il n’y a pas vraiment emprunt ni même enrichissement mais conformation aux sources et au génie du rite.

Le huitième enrichissement

Nous voulons indiquer les Noms Apophatiques ounégatifs (Indescriptible, Invisible, Insaisissable, Immuable…) introduits dans la Préface. Ces Noms furent eux-mêmes intercalés dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome qui ne les comportait pas originellement ; les messes antiques du rite gallican en sont imprégnées, les mêlant étroitement avec les Noms Cataphatiques ou positifs (Créateur, Seigneur, Tout-Puissant, Saint…).

«Il est digne… ô Dieu Caché, Incomparable, Infini, Père de notre Seigneur Jésus-Christ»

«Ineffable, Indescriptible, Invisible, Immuable» sont les Noms que nous avons introduits dans l’omnibus de notre liturgie, le plus fréquemment afin de rester dans l’esprit gallican et de combattre aussi l’excès des noms positifs tendant à produire une certaine définition de Dieu.

Cet enrichissement de notre commun (ou omnibus) est parfaitement fidèle aux Propres antiques des préfaces gallicanes et sa nécessité est «orthodoxe» profondément, pour pallier à un manque liturgique et théologique en cas d’absence des Noms négatifs.

Nous avons eu nous-même l’occasion de vérifier la valeur de ces noms en célébrant la liturgie en présence d’un représentant – non chrétien – des traditions hindoues. L’âme de ce «Swami» fut touchée, émue et communiante dans l’invocation d’un Dieu Ineffable et Invisible.

Le neuvième enrichissement

Dans l’Anamnèse (mémorial) nous avons intercalé cette phrase : «Nous qui sommes à Toi, nous T’offrons ce qui est à Toi».

«Notre souci était, là aussi, de rendre la pensée théologique avec pureté et clarté. Quelques-uns s’en indignent, alléguant que cette phrase n’est point dans le texte du mémorial gallo-milanais parvenu jusqu’à nous et qu’elle représente un emprunt à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome ! Nous avons déjà répon-du : un emprunt qui ne déforme pas l’esprit et poursuit un but d’enseignement théologique est légitime. Mais s’agit-il d’un emprunt ? Que cette réaction irréfléchie nous serve à montrer combien une thèse émise hâtivement est battue par ses propres armes, car si ses auteurs avaient, au préalable, procédé à une courte enquête et profité des avis autorisés des Hopp, Cabrol…, ils se seraient aperçus que toute liturgie aussi bien latine que grecque contient des paroles analogues : «De Tuis Bonis ex datus», ou «dona ex Tuis»,ou encore «Tua de Tuis», etc. : différentes formules relevées dans les textes antiques… Pourquoi ces paroles ne figurent-elles plus dans le Mémorial du rite occidental ? Parce que ce rite les perdit sur sa route historique ; la liturgie ne s’enrichit pas obligatoirement, parfois elle s’appauvrit. Cette formule fut-elle perdue à jamais ? Non, puisqu’elle naît dans les Secrètes et les diverses prières, en particulier dans le Sacramentaire léonien. Celui qui est quelque peu familier du sacramentaire antique et de l’histoire des secrètes, sait que ces dernières sortent des périphrases du Mémorial ou de l’Épiclèse, issues avec de légères modifications des Canons eucharistiques. La meilleure littérature que l’on puisse consulter sur ce sujet sont les œuvres du vieil Alcuin et du célèbre Cassandre de la Renaissance. Les apparences trompent parfois. L’enrichissement ne provient pas toujours d’un ajout postérieur mais quelquefois d’une restauration des formes antiques les plus pures. Il faudrait, pour être encore plus exact, s’arrêter sur le problème de la centonisation si bien étudié liturgiquement par Dom Havard et Dom Cagin

Le dixième enrichissement

Pendant la Communion des fidèles le chœur chante cette prière : «Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux», Psaume 34, 9, dont l’usage est fait à divers moments de la Liturgie orientale.

Le chant de communion est connu depuis l’antiquité chrétienne ; les liturgies du quatrième siècle l’utilisent sous la forme même où la liturgie actuelle selon Saint Germain de Paris l’a reçue. Un ou deux solistes chantent les versets d’un psaume en l’occurrence le psaume 34 – et le chœur, et les fidèles aussi, répondent par un refrain, reprise constante du même verset. Saint Jean Chrysostome témoigne de la répétition d’un verset du psaume 144 pendant la Communion et saint Jérôme relate le chant de notre verset du psaume 34 par le peuple durant la Communion.

Cet emprunt actuel à l’Orient n’est donc pas étranger aux traditions anciennes de l’Occident : romaine, africaine, mozarabe – comme en témoigne le Missale Mixtum – et gallicane. Par l’usage oriental, en particulier durant la Distribution du pain bénit et la purification des vases sacrés, il était légitime de remonter à l’utilisation ancienne de l’Occident. Cet emprunt rejoint aussi les dispositions du 6ème siècle, en Orient et en Occident, où l’on trouve que les communiants chantaient eux-mêmes les versets «refrains» du chant de communion.

Le onzième enrichissement

Le vieux chant de communion de la Messe gallicane est nommé Tricanon par saint Germain de Paris lui-même dans sa Première lettre sur l’ordre de la Messe. Ilprécise que ce chant procède de la confession de la Divine Trinité : sceau Trinitaire qui est la marque insigne de cette liturgie. Nous avons emprunté, pour l’enchâsser dans le Tricanon de notre omnibus actuel, l’hymne de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome : «Nous avons vu la Vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la Foi véritable. Adorons l’indivisible Trinité, car c’est Elle qui nous a sauvés».

Cet hymne, emprunté aux hymnes de la Pentecôte par la Liturgie byzantine, est un enrichissement pour l’Ancien rite des Gaules au même titre que pour celui de saint Jean Chrysostome. Le saint Patriarche de Constantinople ne connaissait pas cet hymne qui apparut, dans la liturgie, seulement au 14ème siècle, au temps où l’Orthodoxie luttait pour la confession du dogme de l’Esprit Saint, à travers la notion de la Lumière Incréée.

«Cet enrichissement réalisé avec discernement, en tenant compte de la structure et de l’âme du rite – âme d’empreinte trinitaire – et de la lutte nécessaire contre les déformations du dogme au Moyen-Age, était indispensable pour que notre Liturgie gallicane ressuscitât, au lieu de rester figée dans les formes d’un passé reculé, etdevînt œuvre vivante».

Le douzième enrichissement

Sans tenir compte du déroulement logique de la liturgie, nous avons réservé cet emprunt pour cette dernière place afin de sceller notre humble étude par ce que nous estimons le plus important.

Il s’agit de l’introduction du triple Amen : «Amen, Amen, Amen !», à la fin de l’Épiclèse, comme le font les liturgies de Saint Jean Chrysostome et de Saint Basile.

L’on sait que les «Amen» de l’Épiclèse sont entrés tardivement dans les rites. Le peuple ne prononçait primitivement que l’Amen clôtural (universel et indispensable dans les liturgies), après la Doxologie finale du Canon Eucharistique.

Nous avons voulu, par cette approbation de la célébration orthodoxe du célébrant par tout le peuple et les clercs réunis, amener et justifier les exigences de la théologie patristique et orthodoxe. «Par trois Amen, l’Église totale confesse que tout s’achève, s’accomplit, selon l’expression des deux Grégoire, de Nazianze et de Nysse, par l’action sanctifiante de la Troisième Personne de la Trinité».

Nous rejoignons par cet aspect, après une Épiclèse occidentale par excellence, les Canons Eucharistiques des liturgies orientales actuelles et nous nous greffons et associons à l’Église totale, celle qui était, qui est toujours, et qui sera connue dans l’Esprit Saint de Dieu.

Nous ajoutons à ces douze emprunts, ainsi décrits et justifiés, sept autres enrichissements à caractère moins essentiel, empruntés de l’Orient, sans donner tout le détail justificatif.

1) A l’Entrée, la prière à voix basse du prêtre. La Tradition occidentale nous laissant la liberté du choix, nous avons préféré la prière orientale qui souligne la communion avec les Armées angéliques.

2) Dans la litanie, nous avons adjoint :

a) «De notre Souveraine, la Mère de Dieu». L’antique litanie de Saint-Martin, qui est la nôtre, n’avait pas d’invocation à la Mère de Dieu.

b) Le mot «orthodoxe», complétant «la Foi catholique».

3) Dans les Diptyques, l’on a remplacé «et toute fraternité universelle» par «et pour tous et pour tout». Cette deuxième expression a un sens identique à la première mais celle-ci a une résonance profane pour l’oreille française.

4) Dans l’Épiclèse : «Que descende sur nous et sur cette coupe», les deux termes «sur nous», ont été empruntés à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome «envoie ton Esprit Saint sur nous et sur les Dons ici présents».

5) La réponse des fidèles : «Un Seul est Saint, un Seul est Seigneur» àl’exclamation du Prêtre : «Les Choses Saintes aux saints» est ajoutée de l’Orient. Si cette réponse manque dans les manuscrits elle s’impose d’elle-même, ayant existé dans les Liturgies apostoliques.

6) Une partie de la prière «avant» la communion : «Je crois et je confesse… Accepte-moi» est empruntée dans le but de donner la même prière à tous les orthodoxes, orientaux et occidentaux. L’on note, pourtant, que cette prière se trouve dans le Rite ambrosien.

7) Pour la Communion des fidèles le Diacre proclame comme en Orient: «Approchez avec crainte de Dieu, foi et amour».

Tous ces emprunts furent dictés par désir d’un développement théologique d’une part, et d’autre part, par celui d’avoir des points communs avec la Liturgie orientale. Les douze premiers enrichissements, plus longuement décrits, s’imposent pour des raisons multiples et se découvrent à l’étude, loin d’être véritablement empruntés à l’Orient. Les sept derniers enrichissements sont, par contre, vraiment empruntés, mais là aussi, l’on a agi de manière légitime en concordance avec la Tradition vivante de l’Église et en esprit d’équilibre entre l’universel et le local.

ÉPILOGUE

Nous espérons avoir ouvert à nos lecteurs les chemins par lesquels la Providence Divine, les témoins historiques et les artisans modernes, ont porté jusqu’à nous le joyau unique de la Liturgie selon saint Germain de Paris.

Malgré la lumière théologique éclairant constamment ces chemins, nous avons pu et nous avons du, cependant, laisser de côté beaucoup d’éléments intéressant aussi bien les spécialistes que les non-initiés. Mais nous souhaitons avoir amené nos lecteurs à la bienveillance envers une œuvre à la fois traditionnelle et audacieuse, antique et moderne, dont les bénéficiaires – ceux qui célèbrent cette liturgie et qui en vivent – savent bien qu’elle est liée au christianisme le plus pur sur le sol de France depuis l’Antiquité.

En mettant en exergue et en louant le plus éminent artisan actuel de la restauration de ce rite, l’Évêque Jean de Saint-Denis (Eugraph Kovalevsky), cédons lui le mot final en reprenant sa propre clôture dans son étude sur le Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules :

«Que le Seigneur accepte notre labeur  »comme Il a reçu les offrandes de nos Pères’’, et qu’Il daigne procurer la grâce incréée à tous les fidèles qui participent et qui participeront au  »Mystère Eucharistique » célébré selon l’Ancien rite des Gaules».

GERMAIN, Évêque de Saint-Denis