Lettres de saint Germain (+ Alexis Van den Mensbrugghe)

LES LETTRES DE SAINT GERMAIN DE PARIS

EDITORIAL

Le 28 Mai de l’an 576 saint Germain, évêque de Paris, liturge, thaumaturge et prophète, naquit au ciel. Il fut enseveli dans l’abbaye de Saint-Vincent; plus tard celle-ci prit le nom de «Saint-Germain-des-Prés» en vénération d’un tel homme. L’on fête maintenant le quatorzième centenaire de ce très éminent liturge, engendré par l’antique Eglise des Gaules, et l’on s’émeut de pouvoir le connaître par sa tradition et à travers ses deux célèbres lettres sur la liturgie conservées dans la Bibliothèque municipale d’Autun.

Avec l’Eglise, sa nature, son but, la liturgie forme le cœur des préoccupations chrétiennes et contemporaines. Saint Germain de Paris est l’homme du jour, de ce jour où l’on rencontre, dans une Eglise, des négateurs-contempteurs des formes rituelles attelés à populariser, s’il est possible, une prière un peu plate, un peu trop sociale, face à des gardiens courroucés de l’ordonnance liturgique des trois derniers siècles. En ce jour égaiement de nombreux orthodoxes sont prêts à accepter que le rite puisse définir l’Eglise.

Isaïe, avant de prophétiser, contemple la liturgie céleste ; après seulement, il aborde le peuple pour lui annoncer son destin et l’entraîner à l’histoire. Ezéchiel découvre avec crainte et tremblement le Char d’Israël avant d’être envoyé vers les enfants de ce peuple. Le rite dans le monde contient, construit et restaure toute créature, depuis ses origines jusqu’à sa fin, même si les époques décadentes le perçoivent autrement. La liturgie est la colonne vertébrale du monde qui se fatigue et s’épuise en contemplations abstraites et en expériences partielles lorsqu’elle ne vient pas les accorder.

Au temps de la vive piété de l’Europe occidentale en tous cas durant les derniers siècles du premier millénaire de l’ère chrétienne – on le savait si bien que les princes, rois et empereurs, dont la charge était de gouverner les peuples’ n’hésitaient pas, aux Vigiles des grandes fêtes de l’année liturgique’ à passer les nuits entières dans les églises emplies du déroulement rituel des mystères. Ces princes s’acquéraient ainsi, les raisons de vivre, les arguments de l’histoire, sans ivresse idéale ni indifférence sceptique.

Comme les Prophètes chaque peuple reçoit, ouvertement ou de manière latente, un don, une part du mystère dans la vision et l’héritage liturgique universel, Toute nation contemple et expérimente un aspect du mystère grandiose clôturé par la venue de la Jérusalem nouvelle : dans cette ville vivifiante et vivante tous les princes de la terre apporteront leur gloire particulière.

Il est normal par conséquent de voir, au cœur des questions liturgiques contemporaines, les Eglises responsables de l’enseignement des nations, selon le commandement évangélique, procéder à l’étude des rites et scruter les tendances, les goûts et |les nécessités de tout lieu en ce domaine. Chaque Eglise, chaque confession en l’occurrence, aborde différemment la liturgie ; toutes s’avancent conformément à leurs pensées et sentiments profonds. L’Eglise de Rome se trouve ainsi confrontée à la problématique de la conservation ou de la transformation «d’un rite» ; les communautés issues de la Réforme du seizième siècle tâtonnent sur l’utilité de l’acquisition du «rite» en général ; et les Eglises orthodoxes se posent la question de la valeur et de l’espace intérieur de la «multiplicité des rites», reflets ou révélations de la pluralité des mentalités. Pour ces Eglises la réponse à la question revêt un caractère d’autant plus urgent que l’Orthodoxie de la Foi atteint et vivifie en ce temps des peuples très divers.

L’importance essentielle de la liturgie et la nécessité unique d’un rite, capable à la fois de «baptiser» une nation et de lui faire exprimer sa vocation et son génie dans la symphonie universelle, n’échappèrent pas à la conscience et à la perspicacité orthodoxes du Métropolite (le futur Patriarche) Serge de Moscou. Il écrivait, le 25 Août 1939, à propos de l’élaboration d’un rite occidental : « … Il faut seulement que cette nouvelle rédaction ne soit pas de quelque manière improvisée mais qu’elle s’en tienne clairement à une authentique tradition de l’Eglise, tradition gallicane pour la France, une autre pour d’autres peuples, sans exclure la tradition romaine, avec des modifications»

Le futur Patriarche répondait par là aux demandes de la Confrérie Saint-Photius, à ces quelques jeunes théologiens et liturges russesde l’émigration récente attachés à découvrir, étudier et connaître les liturgies occidentales. Ceux-ci demandaient au pouvoir ecclésiastique l’éventuelle portée canonique de leur travail sachant, à l’instar des Prophètes Isaïe et Ezéchiel, que la révélation du goût et du génie liturgique occidental leur permettraient d’aider ensuite ces peuples, nouveaux pour eux, à donner le meilleur d’eux-mêmes dans l’histoire et dans l’Eglise orthodoxe.

Comme la France, de par la Providence et de par l’histoire, eut l’heur de recueillir ces liturges orthodoxes, comme elle nourrissait, déjà, dans les cercles variés de prière et d’étude un renouveau liturgique puissant, et comme les sources et les documents en quantité inépuisable se révélaient aux chercheurs, le contact entre le milieu éveillé et la tension orthodoxe pour les rites enflamma le désir de recherche et de réalisation liturgiques. Le résultat fut la restauration de «l’Ancien rite des Gaules» ou «Liturgie selon Saint Germain de Paris». L’artisan principal de cette restauration, tant par son courage que par son génie liturgique et par le prophétisme de ses pensées et de sa vie, fut Eugraph Kovalevsky devenu prêtre en 1937 et évêque en 1964 sous le nom de Jean de Saint-Denis. Saisissant spontanément les lignes créatrices et les détails vivifiants de cette œuvre, Monseigneur Jean sut passer de la recherche archéologique et de l’érudition à la pratique et à la réalisation : en franchissant cet abîme il se fit de solides ennemis mais aussi de fervents disciples. Mais n’anticipons pas !

Le travail de défrichage fut très grandement facilité par les études des siècles passés, mais il eut aussi un témoin bienveillant et privilégié, digne émule du père Eugraph Kovalevsky dans la capacité de passer de la théorie à la praxis : ce témoin fut Dom Lambert Bauduin, fondateur du monastère d’Amay-sur-Meuse et «Patriarche» du ressourcement liturgique en Europe occidentale au début de ce siècle. Donnant des conférences sur la Liturgie Gallicane à l’Institut Saint-Denys, Dom Lambert enseignait ainsi :

«… Comment a-t-elle gagné la France ? C’est sans doute grâce à l’influence considérable qu’avaient les moines à cette époque… les moines bénédictins qui fonctionnaient avec les moines de Saint-Jean. Le peuple était extrêmement attaché à la liturgie gallicane et elle se serait certainement maintenue. Pépin le Bref et Charlemagne se sont beaucoup occupés de choses religieuses avec un grand zèle, quelquefois un peu suspect et rappelant le césaro-papisme. C’était Pépin le Bref qui porta le premier coup à la liturgie gallicane en voulant introduire la liturgie de Rome avec l’assentiment du Pape Etienne II. Pépin le Brefs’attaqua à cette liturgie ainsi que Charlemagne et ils la font disparaître. Avant de disparaître elle a fortement influencé le rite romain et le rite en général…»

En 1944 le père Eugraph Kovalevsky écrit à Dom Bauduin :

«Je demande des conseils et un rendez-vous ! Vous connaissez une certaine tendance des derniers temps dans les milieux romains d’exalter le rite oriental et de diminuer la beauté, la solidité et la pureté du rite occidental, Quelques articles ont paru vantant la beauté du rite oriental ; c’est un bien car il est véritablement très riche et possède de grandes qualités, mais l’attitude méprisante pour la tradition occidentale est une chose non seulement regrettable, mais dangereuse et injuste. Au lieu d’éduquer les masses dans la beauté de la pluralité des rites dans l’Eglise et d’ainsi préparer l’esprit catholique, « catholicon » à l’union de l’occident et de l’orient chrétiens en une seule Eglise, ils orientalisent l’Eglise, la limitent, la diminuent. Deux milieux acceptent cette tendance avec empressement :

1. Le milieu français avide de nouveauté, de quelque chose de mystique et oriental. Il prend les formes de l’hindouisme’ ou gréco-russes… de l’âme slave, leurs chants, leur ésotérisme. Certes je comprends ce qu’il y a de vrai dans ce mouvement : la recherche de ce que l’on a perdu en Occident, mais c’est quand même une orientation d’esprit frôlant la décadence. Ce n’est point un enrichissement conscient et c’est trop souvent une nostalgie vague de lointain ;

2. Quant au milieu orthodoxe, trop attaché souvent à son rite – chez certains – il en arrive à confondre l’orthodoxie, l’Eglise avec le rite oriental, comme s’il était l’unique expression de l’esprit ecclésiastique. La tendance occidentale, citée plus haut, le flatte et l’enfonce dans son particularisme rituel, fermant les yeux à la vision de la beauté de l’orthodoxie des traditions occidentales, déformant l’Orthodoxie dans l’Eglise universelle.

L’unique réponse à cette tendance n’est ni la polémique ni la défense des principes (on les accepte facilement), mais une démonstration pratique, vitale, du rite occidental au sein de l’Eglise orthodoxe, dans notre chapelle Saint-Irénée.

Elle est témoin pour les orthodoxes orientaux que le rite ne définit pas l’Eglise, que l’Occident est aussi pur par ses traditions apostoliques que l’Orient. Elle habitue les fidèles à l’esprit catholique, brise les préjugés, l’esprit d’exclusivité.

Pour les frères romains, si on nous aide, elle sera le lieu où l’on peut avec plus de liberté apporter les réformes désirables au rite romain, pouvant servir d’exemple à des réformes générales…»

Et Dom Lambert répliqua : «Vous avez de la chance mon Père, de pouvoir l’appliquer. Profitez de votre liberté !» Il en profita, avec intelligence et sobriété, et le Dimanche 7 Octobre 1945 il célèbre «La Sainte Liturgie selon l’ancien rite gallican», cette liturgie qui touche l’esprit français. Après cette «première», d’immenses travaux, toujours en cours, restent à faire mais les nombreux Français témoins de cette résurrection, tel le célèbre professeur Hippolyte, expriment leur bouleversement et leur approbation. Plusieurs milliers en vivent actuellement.

Notre revue a publié dans son numérodouble 20 et 21 la Première Lettre de Saint Germain de Paris, son étude critique par Monseigneur Jean de Saint-Denis et le «commentaire», de celui-ci également, sur « La Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules et la compénétration des rites».

Nous avons choisi, aujourd’hui, à la faveur du quatorzième centenaire de la mort de saint Germain et du trentième anniversaire de la restauration de le liturgie placée sous son patronage, de présenter au lecteur un nouvel exposé et une nouvelle justification des motifs, des méthodes, des principes et des travaux qui ont abouti sous la géniale, puissante et sûre impulsion de Monseigneur Jean de Saint-Denis, à la pratique quotidienne dans les paroisses et monastères de l’Eglise Orthodoxe de France de l’Ancien rite des Gaules. La preuve ultime de la valeur de ce travail réside, certes, dans cette célébration, dans l’approbation unanime de son orthodoxie par les hiérarques et les fidèles d’autres Eglises orthodoxes qui l’ont vu et entendu, dans sa manière de nourrir et vivifier ceux qui l’ont adopté et qui poursuivent cette œuvre, dans sa capacité, enfin, d’aider, s’il y a lieu, les frères romains et protestants à des réformes générales dans leur propre sein. Il convient cependant, en dehors de la célébration, d’établir le cadre général archéologique, scientifique, théologique, spirituel, critique et concret d’une œuvre aussi importante et de rendre témoignage à tous ses ouvriers anciens et actuels.

Cet exposé, trop étendu pour être imprimé dans un seul livret, sera présenté dans deux numéros successifs. Pour l’essentiel nous présentons dans le présent exemplaire la vie de saint Germain par son disciple et ami saint Venance Fortunat, les deux Lettres de saint Germain de Paris et la défense érudite, fine et nuancée de l’authenticité de ces lettres par Monseigneur Van der Mensbrugghe. Le cœur du numéro suivant consistera dans des principes sur lesquels se sont établis les artisans de la restauration de l’Ancien rite des Gaules, avec l’historique de l’étude et l’historique de la restauration. Les sources et les documents, avec une réponse aux critiques externes, une description des particularités internes du rite et la justification des douze emprunts faits au rite de Saint Jean Chrysostome, formeront la conclusion de ce travail que nous espérons intéressant pour les spécialistes et enrichissant pour tous ceux qui y prêteront attention, Nous compléterons la matière de ces deux numéros consacrés à saint Germain par une bibliographie solide et à jour.

Le mystère qui vit au centre de l’Eglise et qui fait battre son cœur est celui de la mort et de la résurrection. La résurrection d’une liturgie arrêtée depuis un millénaire est le fruit d’une longue série de résurrections partielles – il n’est pas de siècle qui n’ait rendu à sa manière vers la restauration en France de la Liturgie gallicane – mais ce désir de nombreux hommes dans la traversée des temps attendait pour se réaliser et surgir une chair, un corps : celui de l’Eglise orthodoxe occidentale.

Note : Nous reproduisons l’article de Monseigneur Van der Mensbrughe, déjà publié dans le MESSAGER de l’Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale (n° 32, 1959), avec l’aimable autorisation de la Rédaction.

INTRODUCTION

Le moine bénédiction Dom Martène, établi à Saint-Germain-des-Prés au début du 18e siècle, y acquiert par ses travaux un grand renon de liturgiste.

A propos de la liturgie gallicane, il publie deux lettres de saint Germain de Paris, d’après un manuscrit retrouvé à Saint-Martin-d’Autun. Il présente ses deux lettres dans une introduction en latin dans laquelle il affirme ceci : « C’est au 17e siècle seulement que l’on commence à s’intéresser à cette liturgie gallicane, ensevelie dans l’oubli et supplantée par la messe romaine ». Le Cardinal Bona, Jean Joseph Thomas, Mabillon trouvent plusieurs manuscrits sur cette liturgie mais les deux lettres de Germain fournissent pour Dom Martène le document le plus complet. La liturgie gallicane, nous dit-il, a été supprimée par Charlemagne sur l’ordre du Pape Adrien à la fin du 8e siècle. Germain a écrit ces deux lettres vers le milieu du 6e siècle, alors qu’il était déjà évêque de Paris.

Germain s’adresse probablement aux moines de Saint-Martin-d’Autun où a été retrouvé le manuscrit. Ceci explique que l’auteur nous semble parfois procéder par ellipses. Les destinataires connaissent très bien les Ecritures, la liturgie et un certain styles ecclésiastique ; ils pouvaient compléter mentalement, en lisant, un début de citation : « Car les cieux et la terre passeront » ; sous-entendu : « mais mes paroles ne passeront pas ». Il n’est pour ainsi dire aucune ligne qui ne fasse écho à un passage biblique, ou à un rite, ou à un symbolisme connu de tous.

Ce texte est naturellement en latin, seule langue écrite à cette époque. Mais elle a beaucoup évolué au cours des sept siècles qui la séparent de l’époque classique. Les grammairiens ne semblent s’être attachés que récemment à l’étude de cette période, ce qui rend la traduction difficile et nous accueillerons avec plaisir tout éclairage nouveau sur quelque point du texte. De plus, l’édition critique du texte latin n’a pas encore été faite, à notre connaissance : nous nous sommes contentés du texte rapporté par Dom Martène.

Nous donnons ici la première lettre, avec l’intention de publier la seconde, par la suite.

Notre but n’est pas de présenter un travail définitif mais de contribuer à la résurrection d’une époque trop oubliée et de faire apparaître les fondations de la tradition orthodoxe en Europe Occidentale.

TEXTE LATIN DE LA PREMIERE LETTRE
EXPOSITIO BREVIS ANTIQUAE LITURGAE GALLICANE
EPISTOLA PRIMA

Germanus episcopus Parisius scripsit de missa : – Prima igitur ac summa omnium carismatum missa canetur, in commemoratione mortis Domini, quia mors Christi facta est vita mundi, ut offerendo proficerit in salute viventium et requiem defunctorum.

Antiphona ad prælegendo canetur, in specie patriarcharum illorum qui ante diluvium, adventum Christi mysticis vocibus tonuerunt, sicut Enoc septimus ab Adam, qui translatus est a Deo, prophetavit dicens : Ecce venit Dominus in sanctis mirabilibus suis facere judicium (Judoe, 14), et reliqua. Quod testimonium Judas apostolus frater Jacobo, in Epistola sua commemorat. Sicut enim prophetantibus venit manus Domini super arcam, ut in damnatis daret reliquias terræ ; ita psallentibus clericis procedit sacerdos in specie Christi de sacrario tanquam de coelo in arca Domini, quæ est Ecclesia, ut tam monendum quam exhortandum nutriat in plebe bona opera, et extinguat mala.

Silentium autem diaconus pro duobus rebus annunciat, scilicet ut tacens populus melius audiat verbum Dei, et sileat cor nostrum ab omni cogitatione sordida, quo melius recipiatur verbum Dei.

Sacerdos ideo datur populo, ut dum ille benedicit plebe dicens : Dominus sit semper vobiscum, ab omnibus benedicatur dicentibus : Et cum spiritu tuo : ut tanto magis ille dignus sit populo benedicere, quantum, favente Deo, de ore totius populi recipit benedictionem.

Aius vero ante prophetia pro hoc cantatur in Græca lingua, quia prædicatio Novi Testamenti in mundo per Græca lingua processit, excepta Mathæo apostolo, qui primus in Judæ Evangelium Christi Hebræis litteris edidit. Servate ergo honorem linguæ, que prima Evangelium Christi vel suo senio recipit, vel suis litteris docuit primum canticum. Incipiente præsule Ecclesiæ Aius psallet dicens Latino cum Græco, ut ostendat junctum Testamentum Vetus et Novum. Dictum Amen exHebræo instar tituli quod in trinitate linguarum instigante Deo Pilatus posuit super crucem confitens quamvis ignarus Jesus Nazarenus, id est Sanctum et Regem. Tres autem parvoli qui ore uno sequentes Khyrie eleison Hebræ scilicet Græca et Latina, vel trium temporum sæculi, ante legem scilicet sub lege et sub gratia.

Canticum autem Zachariæ pontificis in honorem sancti Johannis Baptistæ cantatur, pro eo quod primordium salutis in baptismi sacramenta consistit, quod in ministerium Johannis Deo donante suscipit et deficiente umbra veteris, et oriente nova Evangelii claritate Johannes medius est prophetarum novissimus et evangelistarum primus ante faciem veræ Lucis radians lucerna fulsit : ideo prophetia quam pater ejus ipso nascente cecinit, alternis vocibus ecclesia psallet.

Lectio vero prophetica suum tenet ordinem, veteris videlicet testamenti corripiens mala et adnuncians futura, ut intelligamus ipsum Deum esse, qui in prophetia tonuit, quam qui et in Apostolo docuit, et in Evangelico splendore refulsit.

Quod enim propheta clamat futurum, apostolus docet factum. Actus autem apostolorum vel Apocalypsis Johannis pro novitate gaudii Paschalis leguntur, servantes ordinem temporum sicut historia Testamenti Veteris in Quinquagesimo, vel gesta sanctorum confessorum ac martyrum in solemnitatibus eorum, ut populus inteliegit quantum Christus amaverit famulum, dans ei virtutis indicium, quem devota plebicula suum postolat patronum.

Hymnum autem trium puerorum, quod post lectionis canetur in figura sanctorum veterum, qui sedentes in tenebris adventum Domini expectabant. Sicut enim illis silentibus quartus anadfuit in nubem roris, inferens ignis incendia vicit : ita et istis Christo praestolantibus ipse Dei . Secundum hoc etiam ecclesia servat ordinem, ut inter benedictionem et Evangelium lectio intercedat nisi tantum modo responsorium, quod a parvolis canetur, instar innocentum qui pressi in Evangelium consortis Christi nativitatem leguntur, vel eorum parvolorum qui properante ad passionem Domini, clamabant in templum Osanna Fili David, Psalmista canenteex ore infantium et lactentium perfecisti laudem (Ps. VIII, 3).

Tunc in adventu sancti Evangelii claro modulamine denuo psallet clerus Aius in specie angelorum ante faciem Christi ad portas inferi clamantium : Tollite portas principes vestras, et elevamini portæ æternales, et introibit Dominus virtutum rex gloriæ (Ps. XXIII, 7).

Egreditur processio sancti Evangelii velud potentia Christi triumphantis de morte, cum prædictis armoniis, et cum septem cande labris luminis quæ sunt septem dona Spiritus sancti vel v. legis lumina mysterio crucis confixa, ascendens in tribunal analogii, velud Christus sedem regni paternæ, ut inde intonit dona vitæ, clamantibus clericis Gloria tibi, Domine, in specie angelorum qui nascente Domino Gloria in exelcis Deo (Luc, II, 14) pastoribus apparentibus cecinerunt.

Sanctus autem quod redeunte sancto Evangelio clerus cantat, in specie sanctorum, qui redeunte Domino Jesu Christo de inferis canticum laudis Dominum sequentis cantaverunt, vel septuaginta quatuor seniorum quos in Apocalypsin Johannes commemorat, qui mitentes coronas suas ante Agnum dulce canticum cantaverunt.

Homelias autem sanctorum quæ leguntur prosola prædicatione ponuntur, ut quicquid propheta, Apostolus, vel Evangelium mandavit, hoc doctor vel pastor Ecclesiæ apertiori sermone populo prædicet : ita arte temperans, ut nec rusticitas sapientes offendat, nec onesta loquocitas obscura rustici fiat.

Preces vero psallere levitas pro populo ab origine libris Moysacis ducit exordiurn ut audita apostolis prædicatione, levitæ pro populo deprecentur, et sacerdotes prostati ante Dominum pro peccata populi intercedant, dicente Domino ad Aaron : Tu et filii tui vel omnis tribus Levi portabitis peccata populi mei, utique non pænaliter sustinendo ; suis sed precibus sublevando.

Caticuminum ergo diaconus ideo clamat juxta anticum ecclesiæ ritum, ut tam Judæi, quam hæretici, vel pagani instructi, qui grandis ab baptismum veniebant et ante baptismum probantur starent in ecclesia, et audirent consilium Veteris et Novi Testamenti, postea deprecarent pro illos levitæ, diceret sacerdos collecta post prece, exirent postea foris, qui digni non erant stare, dum inferebatur oblatio, et foras ante ostium abscultarent prostrati ad terram magnalia : quæ cura ad diaconum vel ad ostiarium pertinebat, ut illis admoncret exire, iste provideret ne quis indignus retardaretur in templo dicendo nolite dare Sanctum canihus, neque mittatis margaritas vestras ante porcos. Quid enim in terra sanctius confectione corporis et sanguinis Christi ? et quid plus immudum canis et porci ? Similitudine comparandum eo, vel qui non est purgatus baptismo, vel non monitus crucis signaculum.

Spiritaliter jubemur silentium facere observantes ad ostium, id est ut tacentis a tulmutu verborum vel vitiorum signum crucis ponamus ante faciem nostram, ne intret concupiscentia per oculis, ira per aurem, ne prodeat sermo turpis ex labiis, et hocsolunn cor intendat, ut in se Christum suscipiat.

Sonum autem, quod canetur quando procedit oblatio, hinc traxit exordium. Præcepit Dominus Moysi, ut faceret tubas argenteas, quas levitæ clangerent quando offerebatur hostia, et hoc esset, signum, per quod intellegeret populus qua hora inferebatur oblatio, et omnes incurvati adorarent Dominum, donec veniret columna ignis aut nubes, qui benediceret sacrificium. Nunc autem ad altarium corpus Christi non jam tubis inrepræhensibilibus, sed spiritalibus vocibus præclara Christi magnalia dulci modilia psallet Ecclesia. Corpus vero Domini ideo defertur in turribus, quia monumentum Domini in similitudinem turris fuit scissum in petra, et intus lectum ubi pausavit corpus dominicum, unde surrexit Rex gloriae in triumphum. Sangus vero Christi ideo specialiter offertur in calice, quia in tale vasum consecratum fuit mysterium Eucharistiæ pridie quam pateretur Dominus ipso dicente, Hic est calix sanguinis mei mysterium fidei qui pro multis effundetur in remissionem peccatorum (Matth. XXVI, 28). Panis vero in corpore et vinum transformatur in sanguine. dicente Domino de corpore suo : Caro enim mea vere est cibus, et sanguis meus vere est potus (Joan. VI, 55). De pane dixit hoc est corpus meum, et de vino hic sanguis meus (Matth. XXVI, 26). Aqua autem ideo miscitur, vel quia decet populo unitum esse cum Domino, vel quia de latere Christi in cruce sanguis manavit et aqua, et unum mundemur a labe culparum, alio praeparemur ad regna cœlonrm.

Patena autem vocatur ubi consecratur oblatio, quia mysterium Eucharistiæ in commemoratione offertur passionis Domini. Palla vero linostima in illius indumenti tenet figuram, quia in gyro contexta a militibus non fuit divisa, tonica scilicet Christi. Corporalis vero palla ideo pura linia est super quam oblatio ponitur, quia corpus Domini puris linteaminihus cum aromatibus fuit obvolutum in tumulo. Coopertum vero sacramentorum ideo exornatur, quia omnia ornamenta præcellit resurrectio Christi, vel camara caeli quae nunc Dominum teget ab oculis nostris. Siricum autem ornatur, aut auro, vel gemmis, quia Dominus Moysæ in tabernaculo fieri velamina jussit ex auro, iacincto, et purpura, coccoque bis tincto et bysso retorta : quia omnia illa mysteria in Christi præcesserunt stigmata.

Laudes auteum, hoc est Alleluia, Johannes in Apocalypsi post resurrectionem audivit psallere. Ideo hora illa Domini palleo quasi Christus tegitur caelo, Ecclesia solet angelicum canticuum : quod autem habet ipsa Alleluia prima et secunda et tertia signat tria tempora ante lege, sub lege, sub gratia.

Nomina defunctorum ideo hora illa recitantur qua palleo tolletur, quia tunc erit resurrectio mortuorum, quando adveniente Christo caelum sicut libet plicabitur. Pacem autem ideo Christi mutuo proferunt, ut per mutuo osculo teneant in se caritatis affectum, et qui aliqua fuscatur discordia, cito recurrat ad gratiam, vel petat proximo veniam, ne pacem falsam dando incurrat proditoris consortium, et tantum melius proficiat Eucharistia suscepta benedictio tradita, quantum Christus conspicerit pacifica esse corda, quia ipse mandavit discipolis caelos ascendens, pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis (Joan.XIV, 27), etin hoc cognoscent omnes quod discipuli mei estis, si vos invicem dilexeritis.

Sursum corda ideo sacerdos habere admonet, ut nulla cogitatio terrena maneat in pectoribus nostris in hora sacræ oblationis, et tanto melius recipiatur Christus in mente, quanto sola cogitatio ipsum conatur adtendere. Confractio vero et commixtio corporis Domini tantis mysteriis declarata antiquitus Sanctis Patribus fuit, ut dum sacerdos oblationem confrangeret, videbatur quasi Angelus Dei membra fulgentis pueri cultro concædere, et sanguinem ejus in calicem excipiendo colligere, ut veracius dicerent verbum dicente Domino carnem ejus esse cibum et sanguinem esse potum. In bac confractione sacerdos vult augere, ibidem debet addere, quia tunc caelestia terrenis mixcentur, et ad orationem sacerdotis caeli aperiuntur. Sacerdote autem frangente supplex clerus psallet antiphona, quia patiente dolore mortis omnia trementis testata sunt elementa.

Oratio vero Dominica pro hoc ibidem ponitur, ut omnis oratio nostra in Dominica oratione claudatur. Benedictionem vero populi sacerdotibus fundere Dominus per Moysem mandavit dicens : Loquere ad Aaron et ad filios ejus : sic benedicetis populo. Benedicat tibi et custodiat te (Num. VI, 23), et cetera quae sequuntur. Aaron igitur locum Christi, filii ejus locum presbyterorum portavenunt. Ambobus igitur mandavit Dominus benedicere populum ; sed tamen propter servandam honorem pontificis, sacrae constituerunt canones, ut longiorem benedictionem episcopus proferret, breviorem presbyter funderet, dicit : Pax fides et caritas et communicatio corporis et sanguinis Domini sit semper vobiscum. Nam licet illam benedictionem quam Moysi Deus dictavit et nullus contradicere presbytero potest ; quia caelum et terra transibunt. Noc ergo ante communionem benedictio traditur, ut in vas benedictum benedictionis mysterium ingrediatur. Jam vero quam dulcis sit animae et corparis sacra communion, Christus verbis evangelicis ostendit dicens : Si manseritis in me, et verba mea in vobis manserint, quousque petieritis Patrem in nomine meo, fiet vobis (Joan. XV, 7).

Trecanum vero quod psalletur signum est catholicae fidei de Trinitatis credu litate procedere. Sic enim prima in secunda, secunda in tertia et rursum tertia in secunda et secunda rotatur in prima. Ita pater in Filio, mysterium Trinitatis complectet. Pater in Filio, Filius in Spiritu sancto, Spiritus sanctus in Filio, et Filius rursum in Patre. Sed jam espistola finem accipiat in qua sollemnis Ordo brevi declaratus ostenditur quatenus in sequutura epistola de commune officio donante Domino auribus pandatur. Qui vivit.

TRADUCTION FRANÇAISE DE LA PREMIERE LETTRE

Voici ce qu’a écrit l’évêque Germain de Paris au sujet de la messe :

La messe, le premier et le plus grand de tous les mystères, est chantée en souvenir de la mort du Seigneur, car par Sa mort, le Christ est devenu vie pour le monde : par Son offrande, Il a procuré le salut aux vivants et le repos aux morts.

En Praelegendum, on chante à voix alternées, selon l’exemple de ces patriarches dont les voix inspirées tonnèrent avant le déluge pour annoncer la venue du Christ. Ainsi Enoch, septième depuis Adam et que Dieu enleva, prophétisa en ces termes : « voici que le Seigneur vient, merveilleux en Ses saints, pour exercer le jugement ». etc. Ce témoignage est donné par l’Apôtre Jude, frère de Jacques, dans son épître. Comme la main du Seigneur descendit prophétiquement sur l’Arche pour donner la Terre Promise à ceux qui étaient condamnés, de même, tandis que psalmodient les clercs, le prêtre quitte le sanctuaire, à l’image du Christ quittant les cieux, et s’avance vers l’Arche du Seigneur, qui est l’Église, pour entretenir les bonnes œuvres chez le peuple et étouffer les mauvaises, tant par l’avertissement que par l’exhortation.

Pour deux raisons, le diacre proclame le silence : bien sûr pour que le peuple silencieux entende mieux la parole de Dieu mais aussi pour que notre cœur, en faisant taire toute pensée triviale, reçoive le mieux possible la parole de Dieu.

Le prêtre se tourne vers le peuple et bénit la foule en disant :

« Le Seigneur soit toujours avec vous !» et il est béni lui-même par tous en ces termes : « Et avec ton esprit », de sorte qu’il est d’autant plus digne de bénir le peuple que lui-même reçoit, par la grâce de Dieu, la bénédiction de tous.

Avant la prophétie, on chante l’Agios en grec, car c’est par la langue grecque que l’enseignement du Nouveau Testament s’est répandu dans le monde.

L’Apôtre Matthieu fait exception : c’est dans la langue des Hébreux qu’il publia le premier Evangile du Christ. Conservez donc l’honneur dû à cette langue qui, alors déjà très ancienne, fut la première à recevoir l’Evangile du Christ et fut utilisée pour écrire le premier cantique.

Le président de l’assemblée commence en psalmodiant l’Agios en grec et en latin pour manifester l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’Amen étant dit en hébreu. Ceci est à l’image de l’inscription en trois langues que fit poser en haut de la Croix Pilate, inspiré de Dieu, confessant malgré son ignorance, que Jésus de Nazareth est le Saint et le Roi.

Ensuite, trois petits enfants chantent à l’unisson : « Kyrie eleison ». Ils signifient bien sûr les peuples hébreux, grec et latin, ou bien les trois époques avant la loi, sous la loi,selon la grâce.

Le Cantique du prêtre Zacharie est chanté en l’honneur de Saint Jean-Baptiste car le commencement du salut est marqué par le sacrement du baptême que nous avons reçu du ministère de Jean, par la grâce de Dieu. Tandis que s’estompe l’ombre antique et qu’apparaît l’aurore de la lumière nouvelle de l’Evangile, Jean se tient au milieu des temps, dernier des Prophètes et premier des Evangélistes et brille comme une lampe avant qu’apparaisse la Lumière véritable : voila pourquoi l’assemblée chante à voix alternées la prophétie qu’entonna son père à sa naissance.

La lecture prophétique prend sa place, dénonçant les malheurs de l’Ancien Testament et annonçant les temps futurs, afin que nous comprenions bien que c’est le même Dieu Qui a tonné par les Prophètes, enseigné par les Apôtres et resplendi dans la lumière de l’Evangile.

Pour renouveler la joie de Pâques on lit les Actes des Apôtres ou l’Apocalypse de Jean ; après la Quinquagésime on lit l’ancien Testament selon l’ordre historique, ailleurs on lit la vie des Saints confesseurs et des martyrs au jour de leur fête, afin que le peuple comprenne l’amour du Christ, en voyant quelle marque de vertu Il donne à Son serviteur dont une sainte assemblée invoque le patronage.

L’hymne des Trois Enfants est chantée après les Lectures, en souvenir des Saints des temps anciens qui séjournèrent dans les ténèbres en attendant la venue du Christ. De même qu’unange se tint dans un nuage de rosée auprès des Trois Enfants silencieux et, se jetant dans les flammes maîtrisa l’incendie, ainsi le Christ, le Fils de Dieu, l’Ange du Grand Conseil, vint auprès de ceux qui L’attendaient, brisa la domination infernale et les délivra en leur apportant la joie de la Résurrection, comme l’enseigne l’Evangile.

Après cela, la liturgie se déroule de telle façon qu’il n’y a plus de lectures entre l’hymne des Trois Enfants et l’Evangile, seulement un verset chanté par des petits enfants quireprésentent les Innocents massacrés à la naissance de leur frère le Christ, selon l’Evangile. Ces petits enfants figurent encore ceux qui criaient dans le Temple : « Hosanna au Fils de David », tandis que le Seigneur Se hâtait vers Sa Passion, car le psalmiste a chanté « De la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, Tu T’es préparé une louange » (Ps VIII, v. 7).

A l’arrivée du saint Évangile, le clergé chante de nouveau l’Agios sur une mélodie triomphale comme les Anges qui clamaient devant le Christ, aux portes de l’enfer : « Princes ! Rehaussez vos portes ! Élevez-vous, portes éternelles, et Il entrera le Seigneur des vertus le Roi de Gloire » (Ps XXIII et XXIV).

Manifestant la puissance du Christ vainqueur de la mort, la procession de l’Evangile s’avance au milieudes sept candélabres allumés qui sont les sept dons du Saint-Esprit et aussi la lumière de l’ancienne loi, vivifiée par le mystère de la croix.

Elevé sur le pupitre de la chaire, l’Évangile figure le Christ montant sur le trône royal de Son Père. De la chaire, le clerc fait résonner les dons de la Vie et les autres clercs chantent : « Gloire à Toi, Seigneur ». Ainsi les Anges apparurent aux bergers à la naissance du Christ et chantèrent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ! (Luc 2, 14).

Quand le Saint Évangile revient à sa place, le clergé chante un « Sanctus ». Ainsi les saints, suivant le Seigneur Jésus-Christ revenu des enfers, chantèrent Ses louanges et les soixante-dix vieillards de l’Apocalypse de Jean chantèrent un doux cantique en jetant leur couronne devant l’Agneau.

La lecture des homélies des Saints Pères peut tenir lieu de prédication et est réservée à cet usage. Il faut que l’un des docteurs ou l’un des pasteurs de l’Église commente en termes clairs devant le peuple ce qu’aura annoncé le prophète, l’Apôtre ou l’Évangile. Il doit avoir une maîtrise suffisante de la langue pour ne pas offusquer les gens instruits par une grossière ignorance et ne pas paraître obscur aux gens simples par un langage trop orné.

L’origine des prières psalmodiées par les lévites nous vient des Livres mosaïques. Ainsi, après la prédication apostolique, les lévites prient pour le peuple tandis que les prêtres, prosternés devant le Seigneur, intercèdent pour les péchés du peuple, car le Seigneur dit à Aaron : « Toi, tes fils et toute la tribu de Lévi, vous porterez les péchés de mon peuple », non pour supporter le châtiment qu’il mérite mais pour l’alléger par vos prières.

L’appel diaconal s’adresse alors aux catéchumènes, selon un rite ancien de l’Église. Les juifs, les hérétiques ou les païens déjà instruits qui s’approchaient du baptême et étaient mis à l’épreuve avant d’être baptisés, se tenaient dans l’Église et écoutaient l’enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ensuite, les lévites priaient pour eux, le prêtre disait la Collecte après la Litanie, puis ils sortaient car ils n’étaient pas dignes d’assister à l’entrée des Dons et ils contemplaient ces grands mystères du dehors, prosternés à terre devant la porte. Le soin de les faire sortir revenait au diacre ou au portier qui devait veiller à ce que personne d’indigne ne s’attardât dans le Temple, selon cette parole : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles aux pourceaux » (Matt. VII, 6).

Quoi de plus saint sur terre, en effet, que la consécration du .Corps et du Sang du Christ ? Et quoi de plus immonde que le chien et le porc ?

On peut leur comparer celui qui n’a pas été purifié par le baptême et par l’imposition du signe de la croix.

Nous avons reçu en esprit l’ordre de faire régner le silence en veillant à la porte, ce qui signifie que nous devons faire taire le tumulte des paroles et des vices et nous faisons le signe de la croix sur notre visage afin que les désirs mauvais n’entrent pas par les yeux, ni la colère par les oreilles, que les lèvres ne profèrent pas de propos honteux et que le coeur tende uniquement à recevoir le Christ en lui.

Le Sonus est chanté pendant la procession des Dons et voici d’où il tire son origine : Le Seigneur prescrivit à Moïse de faire des trompettes d’argent que les lévites faisaient sonner quand la victime était offerte (Nombre X, 2 et 10). C’était le signal indiquant au peuple l’heure de l’oblation et tous s’inclinaient et adoraient le Seigneur jusqu’à ce que vienne la Colonne de feu ou de nuée qui consacrait le sacrifice.

Maintenant l’Eglise ne se sert plus de trompettes d’argent pur pour marquer la venue du Corps du Christ jusqu’à l’autel ; des voix saintes, sur une douce mélodie, chantent le merveilleux mystère du Christ.

C’est dans des « tours » que le Corps du Christ est porté parce que le tombeau du Seigneur fut taillé dans le roc, comme une tour, et l’intérieur reproduit cette couche où reposa le Corps du Seigneur et d’où Se leva en triomphe le Roi de gloire. Le Sang du Christ est toujours offert dans un calice parce que c’est dans un tel vase que fut accompli le mystère de l’Eucharistie, lorsque le Seigneur Lui-même, à la veille de Sa passion, dit : « Ceci est le calice de Mon Sang, mystère de foi, qui est répandu pour un grand nombre en rémission des péchés ». Le pain devient le Corps, le vin devient le Sang parce que le Seigneur a dit de Son propre Corps : « Ma chair est vraiment une nourriture et Mon sang est vraiment un breuvage » (Jean VI, 55). Sur le pain, Il a dit : « Ceci est Mon Corps » et sur le vin : « Ceci est Mon Sang ».

On y mélange de l’eau soit parce qu’il convient que le peuple soit uni au Seigneur, soit parce que du sang et de l’eau coulèrent du côté du Christ crucifié ; par cette eau, nous sommes lavés de la souillure de nos péchés et nous nous préparons aussi au Royaume des cieux.

L’oblation est consacrée sur ce qu’on appelle la patène, car le mystère de l’Eucharistie est offert en souvenir de la Passion du Christ.

Le voile de lin et de laine est le symbole de Son vêtement, car, tissée d’une seule pièce, la tunique du Christ ne fut pas déchirée par les soldats.

Le corporal sur lequel est posée l’oblation est le lin pur, car le Corps du Christ dans le tombeau fut entouré de fines bandelettes et parfumé d’aromates.

Parce que la gloire de la Résurrection du Christ transcende tout ornement possible, le plus secret des sacrements est aussi le plus orné, comme cette voûte céleste qui cache aujourd’hui le Seigneur à nos yeux. Le voile de soie est donc embelli d’or et de pierres précieuses parce que le Seigneur ordonna de faire pour le tabernacle des voiles tissés d’or, d’hyacinthe, de pourpre, d’écarlate deux fois teinte et de lin retors : tous ces symboles annonçaient les blessures du Christ.

Saint Jean entendit après la Résurrection les chants de louange, c’est-à-dire les Alléluia ; c’est pourquoi, à ce moment où le Corps du Seigneur est couvert d’un voile comme le Christ par le ciel, l’Eglise a coutume de chanter le cantique angélique aux trois Alléluia. Ces Alléluia signifient les trois époques : avant la loi, sous la loi, selon la grâce.

Les noms des Défunts sont prononcés au moment où le voile est soulevé, car la résurrection des morts aura lieu lorsque le ciel se repliera devant la venue du Christ, selon Sa volonté.

On se transmet les uns aux autres la paix du Christ, pour garder en soi l’amour, par le baiser mutuel. Que celui qui est souillé de discorde pardonne sur le champ ou bien demande le pardon, de crainte qu’en donnant une fausse paix, il n’encourt le sort du traître. L’Eucharistie reçue et labénédiction transmise fructifient d’autant mieux que le Christ trouve la paix dans le cœur. Lui-même en effet, montant aux cieux, annonça à Ses disciples : « Je vous laisse la paix, Je vous donne Ma paix s (Jean 14, 27) et encore: « Tous reconnaîtront que vous êtes Mes disciples à ceci : si vous vous aimez les uns les autres » (Jean 13, 35).

Le prêtre exhorte à l’élévation du coeur afin que nulle pensée terrestre ne demeure dans notre poitrine à l’heure de la sainte oblation. Nous accueillons mentalement le Christ d’autant mieux que nous nous efforçons de L’atteindre de toute notre pensée.

Dans les temps anciens, les Saints Pères tenaient la fraction et l’immixtion du Corps du Seigneur pour des mystères si grands qu’au moment où les prêtres partageaient l’oblation, il leur semblait voir un Ange de Dieu couper les membres d’un enfant resplendissant de lumière et recueillir son sang dans le calice.

Ainsi étaient-ils plus sincères en disant, selon la parole du Seigneur, que Sa chair est une nourriture et Son Sang un breuvage.

Dans cette même fraction du pain, le prêtre veut pourvoir à cela même qu’il doit distribuer : à ce moment réalités terrestres et réalités célestes se mêlent et les cieux s’ouvrent à la prière sacerdotale. Pendant que le prêtre rompt le pain, un clerc chante une antienne de supplication car toute la nature a été témoin des souffrances que le Christ endura en mourant.

La prière du Seigneur est placée ici afin d’achever toutes les nôtres en la sienne.

Par Moïse, le Seigneur a chargé les prêtres de bénir le peuple en disant : « Parle à Aaron et à ses fils, ainsi vous bénirez le peuple : « que le Seigneur te bénisse et te garde » (Nombres 6, 25). Aaron tint ici la place du Christ et ses fils celle desprêtres. A l’un et aux autres le Seigneur donna mission de bénir le peuple ; cependant, pour marquer l’honneur du grand prêtre, les sacrés Canons instituèrent pour l’évêque une bénédiction plus longue que celle du prêtre qui dit : « Que la paix, la foi, l’amour et la communion du Corps et du Sang du Seigneur soient toujours avec vous ». Car elle est licite cette bénédiction prescrite par Dieu à Moïse et personne ne peu la refuser venant du prêtre, parce qu’il est écrit : « le ciel et la terre passeront… » (Matt. 24, 35). Et cette bénédiction est donnée avant la communion, afin que le sacrement de bénédiction entre en des vases bénis.

Et le Christ montre combien est douce la sainte communion du corps et de l’âme par ces paroles évangéliques : « Si vous demeurez en Moi et que Mes paroles demeurent en vous, tout ce que vous demanderez au Père en Mon Nom vous sera accordé » (Jean 15, 7).

On chante le Tricanon, signe de la foi universelle qui procède de la confession de la Trinité. En effet, la première Personne renvoie à la seconde, la seconde à la troisième et de nouveau la troisième à la seconde et la seconde à la première.

Ainsi le Père dans le Fils recouvre à Lui seul le mystère de la Trinité, de même que le Fils dans l’Esprit Saint, l’Esprit Saint dans le Fils et le Fils de nouveau dans le Père.

Mais cette lettre s’achève, où nous montrons rapidement l’ordre solennel de la Messe. Dans une deuxième lettre, nous parlerons de l’office commue avec la grâcede Dieu Qui vit…

Traduction : R.P. Théologue de Foucauld, Agnès Darmar.

INCIPIT EPISTOLA SECUNDA
de communi officio

Quia favente Domino ordinem sacrae oblationis in priore epistola breviter explananda perstrinximus, nunc diversa Ecclesiae carismata qua ratione subsistant, juxta quod Dominus nobis intelligere tribuit, brevi paginola commendemus.

Antiphonae

Antiphonas vero quas dulci cerimonia psallet Ecclesia hinc traxerunt exordium. Rex Salomon cum domum celeberrimum instruxisset, ibidem cantores instituit, qui cum diversis organis Dei magnalia decantarent, ut inter reliqua ornamenta quae fulgebant in templo, etiam divina eloquia dulci proferrentur eloquio, ut toto [Leg. tanto] plus delectaretur Dei verbum, quanto elegantius volvebatur vocis ornatu. Propter carnalis namque in ecclesia non propter spiritualis consuetudo est constituta cantandi, ut qui verbis non compunguntur, suavitate modolaminis moveantur, pensantes quanta sit dulcedo caelestis cantici, quando in incolatu hujus saeculi tam eleganter resonat Ecclesia laudes Christi. Antiphona autem dicta, quia prius ipsa anteponitur, et sic ponetur psalmi versiculum, cum gloria Trinitatis adnectetur, quarum quaterna sunt genera, organo ex prophetico, tympano ex evangelii sacro tonitruo, vel compassione [Leg. compositione] catholicorum Patrum pro ordine temporum, vel deprecando, vel narrando, vel laudes divinas tympanizando compositae.

Responsoria

Responsoria vero quae in divinis officiis die aut nocte cantantur, de Pentateucho Moysi duxerunt originem, quando Pharaone submerso, Marie prophetissa sumens tympanum, praecinebat canticum, et respondebat populus adunatus in choro. Horum vera quaterna ratio constat, sicut de Antiphonabus superius continetur. Consuetudo praecinendi et respondendi non solum ad mare Rubrum, sed in multis Ebraeorum gentibus comprobatur, quod plenius Veteris Testamenti narrat historia.

Sanctus Deus archangelorum in quadragesimo concinetur et non canticum Zachariae, quia ista modulatio deprecabilis est populo, sicut verba texti ipsius continentur. Et propter hoc non canetur prophetia, propter quod et baptisterium claudetur ; scilicet quia canonis praecipiunt, vel baptismum quadragesimae non est.

Oleum

Oleum autem quod cum chrisma benedicitur, voce psalmi ostenditur, qui de Christo profertur (Psal. 44, 8) : Unxit te Deus de oleo laetitiae prae consortibus tuis, vel illud : Oleo sancto meo linui eum (Psal. 88, 21), prius ergo ungebantur veteris oleo, sic perfundebantur unguento. Specialiter autem oleum Greace Latine misericordia dicitur, et per oleum Sancti Spiritus gratia designatur. Hunc enim liquorem consecravit Deus in Ecclesia ad mystica conficienda unguenta, vel praeparanda lucerna, vel fovenda peccaminum vulnera.

Symbulum

Symbulum quoque pro hoc competentibus supra scripto die tradetur, ut sicut quando dixit Deus Fiat lux, quod signat illuminatio credulitatis, appareat. Septima Die benedixit et sanctificavit in requie : ideo hac die fides populi firmatur, symbolum et lacte chrismatis enutritur, quia in die septima requies Christi in sepulcro coletur, et declinante jam die triumphum resurrectionis illius consecratur. Ideo autem venientem sacerdotem symbolum tradere, expandetur super cancellum molliciis plumarum, vel candida sabana, et defertur in calicis vascula chrismatis et olei benedicenda, vel codix sacri Evangelii rubro tectus velamine, quia populus ad fidem veniens infantiae figuram tenet. Sicut enim infans est tener et novus in corpore : ita caticuminus tener et novus in fidem, infantis membre super plumacia ponuntur, ut melius nutriatur. Caticumino blanda verba Domini proferuntur, quo amplius delectetur. Non enim potest sustinere fortiora praecepta ante quam per baptismum Spiritus Sancti confirmetur in gratia. Membra parvoli sabana, id est candido ac vilati linteo exterguntur, ne corium ei laedatur. Ita caticumino subtilitas fidei aperitur in symbulo, ut per credulitate tergatur ab omni peccato. Prius liniter per blanda praecepta, ne exasperetur tener in intelligentia, post modem… per fortiora mandata ut convalescat per opera. Infans lacte nutritur, et caticumenis chrismate unguetur. Lac ex matris ubera suggetur, et chrisma in sinu sanctae matris Ecclesiae consecratur.

Liber Evangelii

Liber autem Evangelii in specie corporis Christi rubro tegitur velamine, sanguinis signo monstrante. In calicis autem chrismae vascula deferuntur, quia omnia sacramenta baptismatis in Christi passione firmantur. Vitrae autem vel cristallisa vasa chrismatis, claritatem signant baptismatis. Balsamum autem chrisma conficitur. Lentiscus genus ligni dicitur, unde risina baisamae tolletur, de hoc lentisco in cruce dominica illa pars fuisse traditur, ubi sanctus manus Domini clavo confixit impius, perficitur. Ideo et risina ligni ipsius dispensante… etiam ab antiquis temporibus imprimatis… transfundetur. Angelus enim Dei ad secreta super altare tamquam super monumentum descendit, et ipsam hostiam benedicit, instar illius angeli qui Christi resurrectionem evangelizavit. Tunc libera lingua, et voce clara omnia cantica quae in quadragesima fuerunt sub silentio clausa recipiuntur, et submersio Pharaonis et Sanctus de caelis et alleluia cum gaudiis quia surrexit Dominus. Media autem nocte in officio consummatur, quia media nocte fregit infernum Salvator, tunc ab ore fidelis populi Agni caro comeditur, et sanguis dulciter bibetur, per quod omnis mundus pretio praeclaro redimitur, atque ilico discitur ut auroris tentae diluculo laus resurrectioni Domini claro cantico cum benedictionibus celebretur.

Palleum

Palleum vero in pascha cum tintinnabulis Eucharistia velatur instar veteris testamenti, ubi tonica sacerdotis plena tintinnabulis signans verba praedicationis ostenditur. Praecinctio autem vestimenti candidi quod sacerdos baptizaturus praecingitur in signa sancti Joannis agetur, qui praecinctus baptizavit Dominum. Albis autem vestibus in Pascha inductur secundum quod angelus ad monumentum albis vestibus cernetur. Albae etenim vestis exultationem significant.

Casula

Casula quam amphibalum vocant, quod sacerdos induetur, tota unita per Moysem legiferum instituta primitus demonstratur. Jussit ergo Dominus fieri dissimilatum vestimentum, ut talem sacerdos induerit, quale indui populus non auderetur. Ideo sine manicas, quia sacerdos potius benedicit quam ministrat. Ideo unita prinsecus, non scissa, non aperta ; quia multae sunt Scripturae sacrae secreta mysteria, quae quasi sub sigillo sacerdoti doctus debet abscondere, et unitatem fidei custodire, non in haerese vel schismata declinare.

Palleum vero quod circa collo usque ad pectus venit, rationale vocabatur in vetere testamento, scilicet signum sanctitatis super memoriam pectoris, dicente propheta ex persona Domini Spiritus Domini super me. Et post pauca, ut ponerem gloriam lugentibus Sion, et darem eis coronam pro cinere, oleum gaudii pro luctu (Is 61, 3). Palleum laudes pro spiritu maeroris. Quod autem collo cingit, antiquae consuetudinis est, quia reges et sacerdotes circumdati erant palleo veste fulgente, quod gratia praesignabat. Quod autem fimbriis vestimenta sacerdotalia adnectuntur, Dominus Moysi praecepti in Numeris, ut per quatuor angulos palleorum filii lsrael fimbrias facerent, ut populus Domini non solum opere, sed etiam et vestitu mandatorum Dei signum portaret.

Manualia

Manualia vero, idest manicas induere sacerdotibus mos est instar armillarum, quas regum vel sacerdotum brachia constringebantur. Ideo autem ex quolibet pretioso vellere, non metalli duritia extant, vel ut omnes communiter sacerdotes, etiam minoris dignitatis in saeculo facilius inveniant.

Vestimentum parvolum, quod non sit in alio uso, nisi ad frequentandum sacrificium, vel significat quod non graventur manus nostrae honoribus saeculi, sed circumdentur subtilia exercitia mandatorum Dei. Prohibet autem manica tonica ne appareat vile vestimentum, aut quocumque indignum tactum sordium super divina sacrificia, quo manus immolantes discurrunt.

Albae

Albas vero, quas levitae utuntur, ideo statuerunt patres, quia in vestimento tincto non sic apparet cito macula quomodo in albo : et minister altaris ideo utitur, ut observet et caveat omnem maculam, et nullatenus vestimenta ministrantium vel leviore tactu appareant sordida ; sed candida sint exterius veste, interius mente. Sirico aut vellere fictur, quia Dominus sacerdotibus ideo exinde habere indumenta mandavit, ut eorum vestis spem resurrectionis ostenderet.Sirico enim de ligno per verme fictur. Vermis post mortem procedit in alate, et post occasum et volatum figurans Christum, qui ex ligno crucis quiescens in sepulchro tamquam vermis clausus in saeculo angusto, surrexit de tumulo, et ad caelos sumsit velatum. Alterius vero velleris alba innocentiam tantum vitae demonstrant. Alba autem non constringitur cingulo, sed suspensa tegit levitae corpusculum, quia omnis conversatio Levitica in desiderio caelestis patriae a terrenis operibus debet esse suspensa, nec cingulo peccatorum constricta.

Stola

Stola autem quam super alba diaconus induit, significat subtilitatis intelligentiam in divina mysteria, licet veteri stola induentes gaudium solemnitatis se habere monstrabant. Et pro hac causa in quadragesima pro humiliatione non utetur, sicut nec alleluia in nostra Ecclesia, Sanctus, vel prophetia, hymnum trium puerorum, vel canticum Rubri maris illis diebus decantantur. Stola alba namque angelus praecinctus apparuit quando sedens in monumento Domini, solemnitatem resurrectionis illius nunciavit. Ideo in Quadragesima prohibendum haec cantica, quia caelestia et angelica sunt. De caelis enim columna ignis in nocte, et columna nubis in die, angelus in camino flammae in caelis audita est. Alleluia vel Sancti tacentur ergo in poenitentia, ut nova fiant in Resurrectione dominica quando reserantur et baptisma. Oportet ergo levita caelestem cantet canticum.

DEUXIEME LETTRE DE SAINT GERMAIN DE PARIS

Dans notre première lettre d’explication nous avons effleuré, Dieu aidant, l’ordre de la sainte oblation. A présent ce sont différents mystères de l’Eglise, les liens qui les unissent, ainsi que ce que le Seigneur nous a donné d’y comprendre, que nous allons exposer dans une courte petite page.

Les chants alternés

L’Eglise les psalmodie en un culte suave ; voici leur origine. Le roi Salomon, après avoir fait construire le célèbre temple, y établit des chanteurs qui devaient proclamer à voix diverses les merveilles de Dieu : au milieu des autres beautés qui resplendissent dans le temple, les paroles divines aussi devaient être proférées dans un langage mélodieux. Ainsi on goûtait d’autant plus la parole de Dieu qu’elle était déployée avec l’élégance et la beauté supplémentaire de la voix.

En vérité, c’est pour des raisons charnelles et non spirituelles que la coutume de chanter dans l’assemblée s’est établie : ceux qui ne sont pas touchés par les mots, seraient ainsi émus par la douceur du cantique céleste, quand dans la demeure de notre siècle l’Eglise fait si élégamment résonner les louanges du Christ.

Une fois l’antienne dite, car elle vient en premier, on place un petit verset à psalmodier et on y associe la gloire à la Trinité. [Il y a différentes sortes de versets] : l’orgue des Prophètes, le tambour de l’Evangile semblable à un tonnerre sacré, la littérature des Pères universels appropriés au temps liturgique, la supplication, le style narratif, célèbrent avec éclat les louanges divines.

Les répons

Ils sont chantés le jour ou la nuit dans les offices divins. Ils tirent leur origine du Pentateuque de Moïse : après l’engloutissement de Pharaon, la prophétesse Marie, prenant un tambourin, entonnait un cantique et le peuple en chœur répondait : [Il y a plusieurs parties et styles] dans le répons comme pour le chant alterné. La coutume d’entonner et de répondre n’est pas seulement attestée à la Mer Rouge, mais chez de nombreuses tribus des Hébreux, ce que montre l’Ancien Testament de façon assez complète.

Le Sanctus Deus archangelorum est chanté en chœur pendant le Carême à la place du cantique de Zacharie, parce que c’est une mélodie de supplication pour le peuple, comme l’indique le contenu des mots du texte lui-même. Si on ne chante pas le cantique prophétique c’est aussi parce que le baptistère est fermé : un canon suivant lequel il n’y a pas de baptême en Carême le recommande.

L’huile

L’huile qui sert à la bénédiction chrismale : elle est indiquée par le chant du psaume qui parle du Christ (Ps 44, 8) : «Dieu T’a oint d’une huile d’allégresse avant tous Tes frères» ou bien du verset : «Je L’ai oint de Mon huile sainte» (Ps 85, 24). Autrefois chez les Anciens on était enduit d’huile, comme on était aussi enduit de parfum. Notamment, le mot qui signifie l’huile en grec se traduit en latin par misericordia, par l’huile, c’est la grâce du Saint-Esprit qui est signifiée. En effet c’est Dieu Qui a consacré ce liquide dans l’Eglise pour la composition des parfums qui servent aux mystères, ou pour la préparation des lampes ou encore pour soulager les blessures causées par le péché.

Le Symbole

Il est transmis avant la bénédiction des huiles à ceux qui en ont préalablement été jugés dignes, au jour fixé par écrit : ainsi il apparaît quand Dieu dit « Que la lumière soit !», ce qui signifie l’illumination de la Foi. Dieu bénit en effet le septième jour et le sanctifia en vue du repos : de la même façon, c’est en ce jour que la foi du peuple est affermie ; (le catéchumène) est nourri par le Symbole et par le lait du Chrême. En effet le septième jour on vénère le repos du Christ dans le sépulcre et tandis que le jour maintenant décline on sanctifie le triomphe de la Résurrection. C’est pourquoi aussi comme le pontife vient transmettre le Symbole, on le déploie au-dessus d’un treillis de duvet ou d’un linge blanc et l’on verse dans des coupes les ampoules du Chrême ou d’huile à bénir; ou c’est un recueil du saint Evangile qui est recouvert d’un voile rouge : en effet le peuple qui vient à la Foi est à l’image de l’enfance. De même que l’enfant est tendre et neuf dans son corps, ainsi le catéchumène est tendre et nouveau dans la Foi : on place les membres de l’enfant sur des lits de plumes afin qu’il se nourrisse mieux. On adresse au catéchumène les délicieuses paroles de Dieu, qui le réjouiront autant qu’il est possible. Car il ne peut supporter des préceptes plus vigoureux avant que, par le baptême de l’Esprit Saint, il ait été confirmé dans la grâce. Les membres du « tout-jeune » revêtus d’un linge, c’est-à-dire de blanc, sont essuyés au moyen d’un tissu de lin, pour que sa peau ne soit pas blessée.

Ainsi se révèle au catéchumène sous forme de symbole la subtilité de la Foi : par la croyance il est nettoyé de tout péché. C’est d’abord doucement par le moyen de préceptes agréables pour que le délicat néophyte ne s’irrite pas à essayer de comprendre; puis par le moyen de commandements plus vigoureux pour qu’il croisse par les œuvres. L’enfant est nourri de lait, et le catéchumène est oint de Chrême. Le lait est sucé du sein maternel et le Chrême est consacré dans le sein de l’Eglise mère.

Le livre de l’Evangile

Il est couvert d’un voile rouge qui figure le Corps du Christ et présente le symbole du sang. Par ailleurs, les ampoules de Chrême sont versées dans des vases, parce que tous les mystères du baptême trouvent leur fondement dans la Passion du Christ. Or les vases de Chrême en verre ou en cristal sont le signe de l’éclat lumineux du baptême. Par ailleurs ce Chrême est confectionné avec du baume. On appelle lenstique une sorte de bois dont on tire l’huile du baume et, d’après la tradition, une partie de ce lenstique à partir duquel il est confectionné provient de la Croix du Seigneur – de l’endroit où l’impie cloua les saintes mains du Seigneur. C’est pourquoi aussi l’huile qui s’écoule de ce même bois coule depuis ces temps antiques.

L’Ange du Seigneur descend vers les mystères posés sur l’autel comme sur le tombeau et il bénit l’offrande elle-même à l’instar de l’ange qui annonça la résurrection du Christ. Alors d’une langue déliée et d’une voix claire tous les chants qui pendant le Carême ont été enfermés dans le silence sont ranimés : l’engloutissement de Pharaon, le Sanctus venant des cieux et l’Alleluia joyeux – car le Seigneur est ressuscité !

Le milieu de la nuit s’accomplit dans l’office, parce que c’est au milieu de la nuit que le Sauveur abattit l’enfer, alors la Chair de l’Agneau est consommée par la bouche du peuple fidèle et son Sang suavement bu, lui par lequel le monde entier est racheté à un grand prix. Sur le champ on enseigne que de la tente de l’aurore la louange de la Résurrection du Seigneur doit être célébrée par le clair chant auroral accompagné de bénédiction.

Le pallium

Le pallium orné de grelots dont le pontife est revêtu au cours de l’Eucharistie symbolise l’Ancien Testament, tandis que la tunique pleine de grelots symbolise les paroles de prédication. Mais le fait de se revêtir du vêtement blanc, que met le prêtre qui va procéder au baptême est le signe de saint Jean : il se vêtit pour baptiser le Seigneur. On met des vêtements blancs à Pâques parce qu’on vit un ange vêtu de blanc près du Tombeau. En effet les vêtements blancs sont le signe de l’exultation.

La chasuble

La chasuble, qu’on appelle amphibalum et dont le prêtre est revêtu, montre originairement l’unité de toutes les institutions du législateur Moïse. Le Seigneur ordonna qu’on fît des vêtements différents, de sorte que le peuple ne se permît pas de mettre ce que le prêtre aurait mis. C’est pourquoi il n’a pas de manches, parce que le prêtre bénit plutôt qu’il ne sert. C’est pourquoi aussi elle est d’une seule pièce sur le devant, sans fente, sans ouverture : nombreux en effet sont les mystères cachés de la Sainte Ecriture que celui qui sait doit cacher pour ainsi dire sous le sceau du pontife, et préserver l’unité de la Foi pour qu’elle ne tombe ni dans l’hérésie ni dans le schisme.

Le pallium, qui fait le tour du cou et descend jusqu’à la poitrine, était appelé le rational, c’est-à-dire signe de la sainteté sur la mémoire de la poitrine, suivant ce que dit le Prophète par la personne du Seigneur : «L’Esprit du Seigneur est sur moi ». Et peu après : «Pour donner Ma gloire à ceux qui gémissent dans Sion, et leur donner un diadème au lieu de cendre, d’huile de la Foi à la place du deuil» (Is 61, 3) le pallium, ce sont les louanges à la place de l’esprit d’affliction. Mais le fait que le pontife le ceigne à son cou tient à une ancienne coutume : les rois et les prêtres étaient revêtus d’un pallium en tissu éclatant, qui désignait la grâce. Quant au fait que les vêtements sacerdotaux sont ornés de franges, c’est le Seigneur qui a prescrit à Moïse que les fils d’Israël mettent aux quatre angles du pallium des franges de sorte que le peuple du Seigneur porte le signe des commandements de Dieu non seulement dans les actes mais aussi dans le vêtement.

Les manches

Les manches (manualia) ou manchettes (manicae) : la coutume veut que les prêtres les portent comme ces bracelets dont les bras des rois et des prêtres étaient entourés. Mais ils sont faits du tissu précieux que l’on veut et non dans la dureté d’un métal : tous les célébrants, même les plus modestes, pourront facilement s’en procurer dans le monde.

Ce petit «vêtement», qui n’est utilisé que pour le sacrifice, signifie, si l’on veut que nos mains ne doivent pas être appesanties par les honneurs du monde, mais qu’elles doivent être entourées par la sobre pratique des commandements de Dieu. La manchette évite aussi qu’on ne voie le vêtement ordinaire ou que d’une manière ou d’une autre un contact indigne ne souille les divins mystères au passage des mains qui offrent le sacrifice.

Les aubes

Ce sont les diacres qui les utilisent, comme l’ont décidé les Pères, parce que sur un vêtement de couleur une tache ne se voit pas aussi vite que sur le blanc : et le serviteur de l’autel l’utilise de façon à veiller et à guetter toute tache; à aucun degré les vêtements de ceux qui servent ne doivent paraître, même légèrement, souillés : mais les serviteurs doivent être purs extérieurement par leur vêtement et intérieurement par leur intelligence. L’aube sera faite en tissu de Syrie, parce que le Seigneur a recommandé à ses prêtres d’avoir des vêtements venus de là-bas pour que leur vêtement manifeste l’espoir de la résurrection. En effet, c’est à partir du bois de Syrie que, par l’intermédiaire du ver à soie, on le fabrique. Le ver après sa mort devient un papillon : par sa mort et son envol, il figure le Christ qui du bois de la Croix se reposant dans le sépulcre comme un ver enfermé dans son petit sac étroit s’est levé du Tombeau et a pris son envol vers les cieux. Une aube d’un autre tissu signifie seulement l’innocence de la vie. Mais l’aube n’est pas attachée par une ceinture : elle peut et couvre le corps du diacre, parce que tout le comportement des diacres doit être suspendu au désir de la patrie céleste, au-delà des œuvres terrestres, et ne pas être serré par la ceinture des péchés.

L’étole

Le diacre revêt l’étole par-dessus l’aube ; elle signifie la subtilité de l’intelligence des divins mystères. Les Anciens, quand ils revêtaient l’étole, exprimaient la joie qu’ils avaient de la cérémonie. Et c’est pour cette raison que par humilité, en Carême, on ne l’utilise pas, de même qu’on ne chante pas dans notre Eglise l’Alléluia, le Sanctus, le Cantique prophétique, le Cantique des trois enfants, ni le Cantique de la Mer Rouge pendant ces jours. En Carême il faut éviter ces chants parce qu’ils sont célestes et angéliques. C’est des cieux, en effet, qu’apparut la colonne de feu la nuit, la colonne de nuée le jour ; c’est dans les cieux qu’on entendit un ange de feu dans la fournaise. Les Alléluia et les Sanctus se taisent donc en signe de pénitence, afin d’apparaître comme nouveau le dimanche de la Résurrection quand on les entonne au moment du baptême; le diacre doit alors chanter le cantique céleste.

L’EXPOSITIO MISSÆ GALLICANÆ

EST-ELLE DE SAINT GERMAIN DE PARIS (+ 576) ?

Monseigneur Alexis Van der Mensbrugghe

1. GERMAIN DE PARIS ET ISIDORE DE SÉVILLE

Au cours d’un de ces voyages d’exploration, entrepris par les Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur en vue de « ratisser » systématiquement les bibliothèques d’Europe, pour en cataloguer les manuscrits intéressant la liturgie et l’histoire ecclésiastique, dom Martène et dom Durand découvrirent en 1709 au monastère Saint-Martin d’Autun un manuscrit du IXe siècle (aujourd : Autun, Bibl. municip., n. 184), décrivant en deux « lettres » l’ancien rite gallican en usage en France avant Charlemagne. La première de ces lettres est à proprement parler un « ordo » ou description des rites et cérémonies de la messe ou synaxe liturgique. Martène toutefois a eu raison de la publier sous le titre d’Expositio missæ, car un ordo au sens strict ne se complique pas de considérations symboliques sur les rites décrits, comme le fait notre écrit. La seconde lettre fut intitulée par Martène : de antiphonis. Cette foisle choix du titre est moins heureux, car il ne couvre, à vrai dire, que la moitié du sujet traité. La lettre, en effet, parle bien des différents modes de psalmodie (antiphona), mais elle décrit encore le vestiaire liturgique et monastique.

Le manuscrit est évidemment une copie d’un manuscrit plus ancien remontant au VIeou au VIIesiècle, il respecte et préserve les particularités stylistiques de l’original mérovingien; la copie du IXe siècle mentionne saint Germain, évêque de Paris («Germanus eps parisius scripsit ») , dans l’inscription d’en-tête. Pour dom Wilmart ces mots ne seraient qu’une glose marginale ajoutée en note sur le manuscrit original, postérieurement à sa date de parution, puis insérée dans le texte même de l’inscription par le clerc responsable pour la copie du IXesiècle. L’argument mis en avant, c’est que les mots incriminés s’agenceraient boiteusement dans le reste de la phrase. Mgr Batiffol a rejeté carrément la gratuité de cet argument, et montré conclusivement que toute l’inscription se tient parfaitement, à condition, bien entendu, de ne pas attribuer l’inscription à l’auteur des Lettres mais au copiste. Mais même si l’hypothèse de Wilmart était justifiée, outre qu’elle ne resterait jamais qu’hypothèse, elle concèderait déjà qu’entre la date du manuscrit original (fin VIeou VIIesiècle) et la date de la copie (IXe siècle), dates distantes de moins de 200 ans, une tradition existait attribuant nos deux lettres à saint Germain.

Prenant en considération les deux critères internes du contenu et du style (rien dans nos écrits ne contredit ce que nous savons de la liturgie gallicane du VIe siècle par Grégoire de Tours, et rien n’y contredit le style de l’époque mérovingienne), rien non plus ne s’oppose à ce qu’on fasse confiance au « Germanus eps parisius scripsit » de l’inscription. C’est bien ainsi que l’ont compris dom Martène et dom Durand, les premiers éditeurs de l’Expositio missæ, dom Rivet, le P. Lebrun, dom Ceillier, A. Franz, F. Probst, P. Lejay, Mgr Duchesne, et Mgr Batiffol. Tous sont d’accord pour reconnaître l’auteur des lettres en saint Germain de Paris, natif d’Avallon vers 496, ordonné prêtre par saint Agrippin d’Autun en 536, fait abbé de Saint-Symphorien d’Autun par saint Nectaire, élu et consacré vingtième évêque de Paris en 555 sous le règne de Childebert, consécrateur d’une église Saint-Vincent (érigée pour recevoir 1a tunique de saint Vincent rapportée en butin de Saragosse à Paris) à la date du 23 décembre 558, jour de la mort de Childebert. Saint Germain mourut en 576, et lorsqu’en 754 l’église Saint-Victor, ayant été agrandie au point d’englober la chapelle contiguë où reposait son corps, fut reconsacrée le 25 juillet de cette année, elle le fut sous le nouveau vocable de Saint-Germain (des Prés).

Depuis le milieu du siècle passé pourtant, des doutes se sont levés sur l’authenticité des lettres de saint Germain. En 1868, W.B. Marriott se demandait si les vêtements liturgiques décrits dans la seconde lettre ne relevaient pas plutôt du Xe que des Ve ou VIIe siècles. Ces craintes étaient vaines; domWilmart lui-même, le critique le plus acharné et le plus compétent des Lettres, les a dissipées. En 1899, A. Hauck exprimait un doute sur l’authenticité sans examiner plus avant le document. C’était le temps de la critique à outrance, n’admettant pas la bonne foi d’une tradition même soutenue par la plausibilité de la critique interne du document à l’étude; il lui fallait, coûte que coûte et ni plus ni moins, que d’autres sources contemporaines vinssent témoigner qu’elles aussi connaissaient l’auteur suspecté; sans la corroboration de tels témoins elle ne délivrait pas de certificat d’identité. Au fond c’était appliquer le principe qu’un innocent est coupable devant la loi, non seulement jusqu’à ce qu’il ait convaincu le jury de son innocence (intégrité révélée par la critique interne), mais encore qu’il lui ait fourni de bons alibis (corroboration de témoins contemporaine). Rien d’étonnant qu’à ce petit jeu la tradition la plus riche se trouvât bientôt nue comme un poulet plumé; qui de nous pourrait « prouver », dans les termes requis plus haut, un seul dixième de son propre passé ?

Les premières objections motivées, levées à l’égard de « Germain », le furent par H. Koch. Elles étaient deux : d’abord un traité ne commence pas abruptement par les mots : « Prima igitur ». Batiffol a montré depuis que ce début n’a pas de quoi étonner à l’époque mérovingienne. La seconde objection, à savoir que le Renvoi des Catéchumènes est présenté dans les Lettres comme un rit déjà périmé, n’a pas plus de valeur. Ce rit peut être périmé dans l’Expositio sans qu’on soit autorisé pour autant à reculer celle-ci jusqu’au VIIe, voire au VIIIe siècle. Comme le baptême des enfants était certainement chose courante en Gaule dès le Ve siècle, rien n’empêche que le Renvoi des Catéchumènes adultes ne soit mentionné comme périmé dans un document du VIe siècle. Mais la réputation de Koch décida O. Bardenhewer à cataloguer les Lettres comme apocryphes dans sa Patrologie. Dès lors l’auteur ne sera plus cité que sous le vocable de « Pseudo-Germain », et pourtant même dont Wilmart avouait que le verdict Koch-Bardenhewer ne signifiait pas grand chose.

« Enfin Malherbes vint ! » Le Malherbes en l’occurence, c’était le liturgiste anglais Edmund Bishop (à ne pas confondre avec son homonyme W.C. Bishop, moins flamboyant peut-être, moins prône à l’envolée des hypothèses, mais plus sévèrement attaché aux faits). Dom Leclercq, dans son Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, a été fort sévère envers ce liturgiste. Il lui reprochait une tendance à remplacer des arguments francs par des indications et des insinuations : « E. Bishop usait d’un langage hermétique, qu’il aggravait d’exceptions et de réserves avec une prodigalité déconcertante. La clarté paraissait être son ennemie personnelle et ses oracles ne parvenaient aux initiés que sous une forme sybilline ». Le secret de cette idiosyncrasie est probablement à trouver dans l’amour jaloux qu’Edmund Bishop portait envers la liturgie romaine grégorienne qui était proprement son champ de recherche. Toute influence « orientale » qui par définition ne cadrait pas avec le standard du « génie romain », en Occident, aurait volontiers été considérée par lui comme une dégénérescence; il importait en tous cas qu’elle fut trouvée adventice et « tardive ». De là, croyons-nous, proviennent ses insinuations passionnées doublées de réserves prudentes, qui irritaient Leclercq et Duchesne, mais s’expliquent de la part d’un amoureux savant.

Et donc, en 1909, ce que dom Leclercq n’hésite pas à appeler « une lubie d’Edmund Bishop », tenta de nouveau de jeter le discrédit sur l’Expositio. Accepter ce document, avait écrit Bishop, comme représentant le rit traditionnel de la Gaule au VIe siècle, demande quelques réserves (toujours les « réserves » à la Bishop !) : 1) le document n’a pas encore été critiquement examiné ; 2) on n’a pas encore étudié la relation de ce « soi-disant » (!) rit gallican au rit visigothique qui lui est apparenté ; 3) ce rit gothique d’Espagne, tel que nous le décrit Isidore de Séville au VIIe siècle, ne laisse pas l’impression d’un rit aussi « élaboré et glorieux » que ce que nous trouvons en Orient dans les Homélies de Narsaï (… 502). Puis, introduisant sans la formuler la mineure du syllogisme, à savoir que Germain doit dépendre d’Isidore et lui être postérieur, Bishop tire la conclusion : il reste invraisemblable que les Eglises de Gaule et d’Espagne aient pu s’offrir même au VIIe siècle en parallèle à l’Edesse ou la Nisibis du Ve. De ces trois « réserves », la première ne compte plus aujourd’hui : « Germain » a été analysé et commenté bien des fois depuis 1903. Quant au second doute, une comparaison serrée entre le rit gallican et le rit visigothique décrit par Isidore, montre que le rit gallican a conservé mieux que le rit visigothique l’ancien fond commun, qui se trouve à l’origine des deux rite. C’est ainsi que dans tous les sacramentaires gallicans l’anaphore eucharistique, malgré ses embolismes variables et la coupure du Sanctus reste une prière homogène, et ne se voit pas comptée comme deux oraisons différentes et séparables ainsi que le fait le rit décrit par Isidore. Quant aux accrétions du Ve et VIe siècles, si certaines sont communes à la Gaule et à l’Espagne, d’autres sont propres soit à la Gaule soit à l’Espagne. C’est ainsi que si les deux rite connaissent l’Ayos après l’Introït (Petite Entrée), le Sonus à l’Offertoire (Grande Entrée), la Bénédiction des communiants avant la communion, l’ordo de saint Germain ignore encore le terme neuf d’Offertorium, et ne sait rien d’une Oratio veli seu syndonis, commune à Byzance, Milan et Tolède. Le prix d’intégrité traditionnelle est décidément à décerner au rit gallican; loin d’emprunter à l’Espagne, le rit de Gaule n’a pu garder son archaïsme structurel qu’en ignorant le développement espagnol. Enfin pour ce qui concerne le troisième dubium d’E. Bishop, notamment que ni la Gaule ni l’Espagne n’aurait pu présenter, même au VIIe siècle, un cérémonial aussi riche qu’Edesse ou Nisibis en présentait au Ve, il suffit de comparer le développement cérémoniel des différents rite pour se convaincre du contraire. Héritières de la simplicité rituelle caractéristique du IIIe siècle (Hippolyte), les Eglises constantiniennes ou post-nicéennes ne se sont guère mises à embellir et compliquer leur rit qu’en deux zones bien définies : la Petite Entrée ouvrant la Synaxe de Catéchèse (Avant-messe ou Messe des Catéchumènes), et la Grande Entrée (Offertoire ou Procession des dons offerts). En Gaule comme en Espagne, la première entrée est étroitement calquée sur celle de Byzance : Antienne d’Introit, Ayos solennel, et Collecte (Prière de l’Ayos). La seconde entrée, celle des Dons, l’est tout autant : les Dons sont portés solennellement en procession par le diacre dans un ciboire en forme de tour, au chant majestueux du Sonus, dont la teneur est sensiblement la même que celle des chants parallèles à Byzance. (Soit dit en passant, ici encore l’entrée solennelle des Dons, est mentionnée en Gaule par Grégoire de Tours, un siècle avant qu’Isidore n’en témoigne pour l’Espagne.) Ces développements cérémoniels, tels qu’ils sont décrits par Germain, ne sont certes pas moins « élaborés et glorieux », que ceux qu’on peut lire dans Narsaï, ou qu’on connait de Byzance sous Justinien.

E. Bishop aurait pu réaliser tout cela s’il avait étudié le rit gallican sans parti pris, et s’il s’était mis à lire Grégoire de Tours ou Venance Fortunat avec la même assiduité qu’il dépouillait Isidore. Mais il fallait que Germain dépendit d’Isidore : cela faisait du rit gallican (« ce soi-disant rit gallican ») un succédané du rit gothique, encore plus tardif que ce dernier. Si Isidore datait du VIIe siècle on pourrait dès lors suggérer le VIIIe pour le « Pseudo-Germain » ! Bishop revint donc sur le sujet en 1915-16, et cette fois dans une note plus vigoureuse que les prudentes réserves de 1909, annonça qu’il pensait avoir découvert trois passages dans l‘Expositio de Germain qui devaient être dépendants d’Isidore de Séville. Concernant ces trois passages, le dévoué disciple de Bishop, dom Wilmart, devait avouer sa déception : « Trois chapitres d’Isidore seulement ont été marqués comme voisins de trois passages de la première lettre. J’avoue que ces indications ne sont pas absolument concluantes par elles-mêmes (oh ! euphémisme de la piété filiale !) et qu’on pourrait les discuter pour se réfugier derrière un commode scepticisme ».

Depuis 1889, c’est-à-dire dès la première édition de ses Origines du Culte chrétien, Mgr L. Duchesne avait fermement soutenu l’authenticité de l’Expositio. D’accord avec P. Lejay sur sa valeur exceptionnelle, il l’avait prise comme base pour sa description de la messe gallicane. Trente ans plus tard, en 1920, agacé par les vagues insinuations, et les fausses vraisemblances de Bishop, dans lesquelles sa propre lucidité ne pouvait voir qu’« un amoncellement de nuages », il déclarait dans la cinquième édition de ses Origines, visant Bishop : « Je ne vois pas qu’il y ait la moindre raison de contester cette attribution » (à saint Germain, comme affirmée par l’inscription des Lettres). Avec sa perspicacité presque infaillible, Duchesne voyait très justement que la valeur réelle des Lettres ne consistait pas tant dans leur stricte authenticité, dans le fait qu’elles vinssent droit de la plume de saint Germain, que dans leur contemporanéité avec saint Germain, dans leur droit à être datées du VIe siècle. Aussi ajoutait-il : « Cependant si elle (l’attribution) venait à être écartée, il n’en résulterait rien contre la valeur du document considéré comme expression du rituel gallican. Qu’il soit de la plume de saint Germain ou de celle d’un autre clerc mérovingien, cela n’a évidemment aucune importance ».

Si Duchesne croyait par ces lignes en finir avec E. Bishop, il s’illusionnait. Il n’avait pas compté avec le cénacle du maître, où dom R.H. Connolly et dom A. Wilmart faisaient figure de vedettes. Si Wilmart avait trouvé les arguments de Koch et même ceux de Bishop insuffisants et laissant trop à désirer, pourtant l’hypothèse Isidorienne l’avait séduit, et pour le même motif qu’elle avait séduit son maître : elle permettait de reculer les rits visigothique et gallican assez tard, pour laisser le champ libre à la liturgie romaine et affirmer son emprise unique en Occident pendant au moins six siècles : « Bishop, écrivait-il, a réagi contre l’opinion reçue par une protestation des plus nettes tendant à retarder les Lettres jusqu’au VIIe ou au commencement du VIIIe siècle, mais sans plus de détails… Ces réclamations n’auront pas été inutiles, mais elles ne sont pas une discussion du problème ». Entendez : les preuves apportées par mon maître ne valaient pas lourd, mais son intuition maîtresse était bonne, et c’est moi qui l’étofferai de preuves plus convainquantes.

Avec Wilmart la critique du rit gallican à la fois se rétrécit et s’approfondit. Elle se rétrécit en ce sens que Wilmart ne se pose plus de questions sur le rit lui-même; il ne se demande plus si le rit de Gaule est aussi élaboré que celui d’Edesse ou plus ancien que celui de Tolède; la seule question qu’il pose est celle de la dépendance littéraire de Germain vis-à-vis d’Isidore. Par contre sur cette seule question il veut faire pleine lumière, dresser une liste aussi accablante que possible qui marquera indiscutablement et définitivement Germain comme un pauvre plagiaire d’Isidore. Voici le bilan de cette enquête, dans les mots même de Wilmart : « Tout compté, le parallélisme s’étend sur six textes ou groupes de textes. Il serait assez long de les confronter ici jusqu’au détail. Il suffira de citer le rapprochement le plus probant, d’une évidence si complète qu’il ne laisse place à aucune échappatoire et qu’ensuite on n’hésite plus à reconnaître l’influence du De ecclesiasticis officiissur les Lettres chaque fois que les deux écrits se trouvent en présence autour d’un sujet commun… L’emprunt provient du chapitre d’Isidore sur les psaumes, il cet direct et textuel… ».

De fait, la confrontation de ces six textes (collation et commentaire) est longue, trop longue pour trouver place ici. Elle vaut pourtant la peine, car il est toujours bon de contrôler les assertions de quelqu’un qui vous dit : Je ne vous donnerai qu’un exemple, il suffira pour prouver les autres cas. Aussi nous sommes-nous permis cette contre-enquête et en avons-nous présenté le résultat à une autre occasion. Nous ne pouvons donner ici que le résumé le plus bref de cet examen :

1. Des six textes soumis par Wilmart, quatre ne prouvent absolument rien, sinon « que les deux écrits se trouvent en présence autour d’un sujet commun ». Le seul rapprochement entre les deux auteurs est le fait qu’ils commentent une même cérémonie. Mais on a toujours su que le rit gallican et le rit gothique sont frères jumeaux, que leur ordo est pratiquement identique à peu de détails près, et que les deux commentateurs, l’un gallican, l’autre espagnol, sont forcément acculés à parler des mêmes sujets. En certains cas même, ce qu’ils peuvent avoir à dire leur est déjà dicté par le sujet (Comment l’Alléluia des psaumes est-il devenu une antienne autonome ? Que veut dire : « Laudes » ? Que veut dire : « Sonus » ? etc.). Les textes 2 à 5 de la liste soumise, sont de cette nature ; à part leur point de départ commun inévitable, il n’y a plus entre eux ni parallélisme de pensée, ni emprunt d’expression verbale aucun.

Le sixième texte illustre la réalité du Corps eucharistique par une vision qu’eut un moine du désert d’Egypte. Comme cette anecdote est aussi rapportée dans un recueil de e Sentences des Pères» compilé par Pélage et Jean à Rome vers 560, on en déduit qu’elle ne pouvait être connue de saint Germain de Paris » mort en 576, et que notre écrit doit émaner d’un Pseudo-Germain. Ce raisonnement, en toute sa brièveté, ne comporte pas moins de deux erreurs : la première, de ne pas se rendre compte que pour pouvoir être annexée dans un recueil en l’an 560, une histoire qui date des environs de l’an 360 a besoin de s’être transmise par tradition orale, et que cette tradition orale n’a pas besoin d’attendre Pélage et Jean pour être connue dans des centres gaulois comme Marseille, Lérins, Ligugé ou Luxeuil, tous férus depuis Cassien de traditions et des laures égyptiennes. De fait la collation des deux textes (celui de Germain et de Pélage) montre que dans toute la narration il n’y a qu »un mot (« cultro ») qui soit commun aux deux narrateurs. Si emprunt il y a, pourquoi Germain se serait-il appliqué méthodiquement à camoufler son emprunt, en substituant littéralement à chaque mot du texte pélagien un autre mot ? La seconde faille dans le raisonnement de Wilmart est de croire que seize ans ne sont pas assez pour un petit cahier du format et de l’importance des « Verba seniorum » à passer de Rome à Paris.

Le premier des six textes est évidemment le plus important, au fond le seul important, de toute la série. Seul, en effet, comporte-t-il non seulement un parallélisme d’idée, mais encore un emprunt verbal. Il s’agit d’un passage de trois phrases ; la seconde de ces phrases se retrouvant mot pour mot dans les deux textes, celui de Germain et celui d’Isidore. Il est donc clair qu*un des auteurs a du connaître l’autre. Mais c’est pure pétition de principe de décider au pied levé » sans autre preuve. que c’est Germain qui est l’emprunteur et non Isidore : « que le rapprochement est probant » d’une évidence si complète qu »il ne laisse place à aucune échappatoire et qu’ensuite on n’hésite plus à reconnaître l’influence du de ecclesiasticis offïciis sur les Lettres. chaque fois que les deux écrits se trouvent en présence autour d’un sujet commun» ! A supposer ainsi le problème résolu sans avoir à le résoudre, on peut aussi bien le supposer résolu dans l’autre sens.

Il y avait d’ailleurs une avenue d’exploration au problème, à laquelle Wilmart, n’a pas pensé. Dans le passage en question, Isidore s’en réfère à un passage des Confessions de saint Augustin. Nous nous sommes dit qu’en nous donnant la peine de collationner non seulement Germain et Isidore, mais encore Augustin comme tertium comparationis, nous obtiendrions peut-être quelque lumière sur la position respective de Germain et d’Isidore. Nous n’avons pas été déçu par l’opération. La triple collation montre clairement : 1° que les arguments d’Augustin et de Germain sont tout d’une pièce, chacun très homogène en lui-même mais sans idée commune entre eux ; 2° qu’Isidore paraphrase Augustin dans la première et la troisième phrase de son passage, pour lesquelles Germain n’offre aucun parallèle ; 3° qu’il copie de Germain la deuxième phrase de son passage, pour laquelle Augustin n’a qu’un blanc ; 4° que l’argument d’Isidore court donc entre les deux idées d’Augustin et de Germain, voulant sans doute les combiner, tout en marquant le point de chacune. Soit schématiquement :

Augustin Germain Isidore

1 a 1

b b

2 c 2

On voit donc ce qu’il faut penser de la conclusion de Wilmart : « La dépendance des Lettres étant sûrement établie et indiscutable par rapport au De ecclesiasticis officiis de saint Isidore, il devient inutile de discuter… etc. ». En fait la dépendance est précisément dans l’autre sens.

L’argument en faveur de l’antériorité de Germain sur Isidore est encore renforcé par les considérations suivantes : 1° qu’un bibliophile enthousiaste comme Isidore se soit procuré au VIIe siècle le petit ordo de saint Germain, dont la réputation comme liturgiste, largement disséminée par Venance Fortunat, n’était plus à faire en Espagne, rien de plus naturel. Tandis que l’ouvrage d’Isidore, écrit (d’après Wilmart lui-même), au plus tôt vers 620, n’exerça (toujours d’après Wilmart) aucune influence en Gaule avant la fin du VIIe siècle. D’après Leclercq il ne fut connu en Gaule franque, c’est-à-dire à Autun et à Paris, qu’au IXe siècle. (La tradition manuscrite du de ecclesiasticis officiis est très limitée Hors d’Espagne avant la Renaissance carolingienne). C’est beaucoup trop tard, pour provoquer ou influencer encore un commentaire sur une liturgie gallicane, déjà liquidée depuis longtemps sous les coups redoublés de Pépin et de Charlemagne. (Saint-Germain-des-prés adopta la liturgie romaine dès la fin du VIIe siècle !) ; 2° comme on l’a fait remarqué plus haut, l’ordo de saint Germain, corroboré par l’ordonnance des prières au Sacramentaire gallican d’Autun (appelé erronément Missale Gothicum), montre une fidélité plus stricte au fond primitif que l’ordo d’Isidore, corroboré par l’ordo (nous ne disons pas l’euchologie) du Liber sacramentorum visigothique.

La dépendance de Germain vis-à-vis d’Isidore, vaticinée par Bishop et « prouvée » par Wilmart, apparaît donc à clos scrutin, un mythe. Et l’on comprend les coups sarcastiques et sans merci que Leclercq, dans deux articles plus récents de son Dictionnaire, a assénées à Bishop « l’hiérophante » et à Wilmart « l’hiérodule », quoique l’attaque de Wilmart sur « Germain » ait paru dans son propre dictionnaire. On est forcé de reconnaître que sous le traditionalisme massif de Duchesne et de Leclercq se cachait plus de sagesse scientifique que dans le flair critique et les rapprochements subtils de Bishop et de Wilmart combinés. Et pourtant, « à quelque chose malheur est bon ». La petite phrase commune qu’ils ont dépistée chez Germain et Isidore, et dont ils ont méconnu la vraie portée, est aussi celle qui nous permet de fixer un « terminus ad quem » à l’Expositio. SiIsidore a connu celle-ci vers 620, elle doit avoir été écrite en Gaule au plus tard vers 600. C’est déjà la replacer au VIe siècle.

Peut-on aller plus loin, et serrer de plus près la date de l’Expositio ?Sila critique littéraire du document, l’enquête de ses relations avec le de ecclesiasticis officiis,nous en a donné la date ultime possible, le « pas plus tard que », un examen du rit lui-même pourrait-il nous indiquer les sources de son inspiration, et ce faisant, déterminer le «terminus a quo», la date première possible de sa rédaction ? Une fois cette marge définie, mais alors seulement, la paternité de saint Germain de Paris sur l’écrit pourra se dégager.

§ 2. – Le fond premier de l’Expositio : Irénée, Hippolyte et l’Orient.

Sil’Expositio Missœ gallicanæ n’est pas inspirée d’Isidore, ni même de la liturgie visigothique du VIIesiècle, d’où tient-elle les caractéristiques qui lui sont propres ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par faire une distinction capitale, que les liturgistes qui ont essayé de répondre à la question, n’ont généralement pas faite. Le chanoine E. Griffe avait raison de féliciter le P. Thibaut pour avoir indiqué la bonne méthode à suivre, quand il distinguait soigneusement dans la liturgie de « Germain » deux couches bien différenciées : le fond antique et les accrétions ou développements ultérieurs. Selon que la question d’origine se porte sur ce fond premier ou sur ce complexe secondaire, la réponse pourra donner un son bien différent. Il ne s’agit donc pas de demander si la liturgie gallicane de « Germain », considérée comme un tout indivis, provient d’Ephèse, d’Antioche, de Milan, d’Arles ou de Rome. Etant donné les deux apports distincts, cette question ne peut qu’être ambiguë dans sa fausse simplicité, et ne peut recevoir qu’une réponse aussi ambiguë et confuse qu’elle. Posons donc la question séparément pour chaque apport, et tout d’abord pour le fond premier, le plus ancien.

Le P. Thibaut était beaucoup moins bien inspiré quand il mettait la coupure entre ces deux couches à la fin du IVe siècle, supposant un fond commun romain en Occident jusqu’à cette date. Comme fond premier, nous prendrons avec Griffe l’ordonnance liturgique de la Tradition apostolique d’Hippolyte (début du IIIe siècle), que l’ Expositio missae de Germain reproduit intégralement. Rappelons cette ordonnance :

Pour la Synaxe de catéchèse : Salutation de l’officiant au peuple, Lecture prophétique. Lecture apostolique, Lecture évangélique, Homélie, Prière sur les Catéchumènes et leur renvoi, prière des Fidèles. Pour la Liturgie eucharistique qui suit la Catéchèse aux dimanches : Déposition de leurs dons par les fidèles, à un buffet latéral, Prélèvement de ce qu’il en faut pour l’Eucharistie, Procession et Déposition de ce prélèvement sur l’autel par les diacres, Baiser de paix, Grande prière eucharistique ou Anaphore, Fraction de pain, Oraison dominicale par tous, Communion du clergé puis des fidèles au chant du psaume 33, [34] Renvoi et Bénédiction, Collecte pour les pauvres à la sortie.

Au cœur de la Liturgie eucharistique, avons-nous dit, se trouve l’anaphore ou prière eucharistique. Celle-ci aussi a une ordonnance très stricte, chaque paragraphe étant affecté à un élément bien défini et théologiquement inéluctable dans la structure totale de la prière : Bénédiction et Dialogue invitatoire préliminaire (« préface» au sens ancien et strict) ; Adresse de la Prière à Dieu, invoquant et commentant son Nom, et rendant grâces au Père pour la Création («préface» au sens occidental moderne mais incorrect) ; Action de grâces pour l’Incarnation du Fils, pour l’économie de sa Rédemption et pour l’Institution du Repas du Seigneur ; Présentation à Dieu des Dons en symboles de la Passion (« sacrifice sacramentel »), accompagnée de la mention parlée de la mort et de la résurrection du Sauveur (« sacrifice logique »), en mémorial du Christ (anamnèse) ; Invocation pour l’envoi du Saint Esprit sur les dons de l’Eglise pour leur infuser par sa vertu la qualité de corps et sang de Christ, et opérer sur les croyants des effets anticipés de la Parousie eschatologique; enfin une Doxologie finale pour clôturer la Prière, assentie et ratifiée par l’Amen de tout le Peuple chrétien.

De ce triple schéma, le premier et le troisième, celui de la Synaxe catéchétique et celui de l’Anaphore peuvent le plus facilement être démontré d’origine apostolique, voire, par delà les apôtres, d’origine juive. Car la Synaxe chrétienne de catéchèse n’est qu’une reprise de la synaxe synagogale telle quelle, sans autre retouche que l’ordre de valeur ascendant des leçons (prophétie, épître, évangile), au lieu de l’ordre juif descendant (Loi, prophète, hagiographe). Et l’anaphore chrétienne est une transposition dans le plan chrétien de la Berakha (Bénédiction) terminant les repas sabbatin, khavoural et pascal. Ici aussi l’ordre de la prière part d’un Dialogue invitatoire initial (de même teneur et de même importance théologique que son parallèle chrétien), progresse par une action de grâces pour la Création, puis par une action de grâces pour la rédemption d’Egypte opérée par la médiation de Moise, pour aboutir à une épiclèse ou invocation d’Elie, d’ordre parousiaque et eschatologique, en vue de la restauration du trône de David et de l’inauguration de la nouvelle Jérusalem ; le tout s’achevant par une Doxologie (de même teneur que celle qui termine la liturgie de saint Jean Chrysostome) et par l’Amen des assistants.

S’il y a une note évidente dans ce type liturgique hippolytain, c’est donc bien son étroite relation, son caractère de filiation directe avec le rituel, voire avec l’euchologie juive. La liturgie hippolytaine est encore à très proprement parler une transposition chrétienne d’un donné juif, une liturgie d’esprit judéo-chrétien, si l’on veut, et dans cette perspective elle prend tout son sens et toute sa valeur. Si on ne perçoit plus cette proche parenté, soit qu’à priori on ne soit pas intéressé à porter les yeux sur cet aspect de la Tradition, soit qu’un fatras d’analyses de détails à la loupe empêche le recul nécessaire pour mettre au point ses lignes maîtresses (les arbres qui empêchent de voir la forêt !), on ne voudra naturellement plus voir dans la Tradition qu’un produit tardif d’une église locale, voire une liturgie « idéale basée toutefois sur une liturgie réelle » !. Mais alors aussi l’apparition d’une telle liturgie, avec les traits qu’elle présente mais sans les attaches qui seules peuvent expliquer ces traits, devient un phénomène incompréhensible. Seuls le milieu hiérosolymitain et une tradition encore étroitement liée à la génération apostolique peut rendre compte de son contenu, et les documents dérivés d’Hippolyte n’ont pas eu tort d’insister à l’unanimité sur le caractère « apostolique » de leurs constitutions ou règlements.

En face de ce premier type liturgique, qu’avec la tradition nous continuerons d’appeler « apostolique », se dresse dès le IIIe siècle un nouveau type, sinon de liturgie complète, au moins d’anaphore. Ce type apparaît à Alexandrie, et si Alexandrie a connu jusque là, comme les églises partout ailleurs, l’anaphore « apostolique », on peut appeler ce nouveau type, le type « néo-alexandrin ». Le témoin classique de ce type d’anaphore est l’anaphore de saint Sérapion, l’ami de saint Athanase. Les traits les plus saillants de cette anaphore sont les suivants : 1° les deux premiers paragraphes, correspondant aux deux premiers paragraphes de l’anaphore « apostolique », ont perdu leur résonance eucharistique. Ce ne sont plus des actions de grâces pour la création, la rédemption, l’institution de la Cène. On les sent réécrits dans, et pour un milieu « gentil » déjà étranger au «background » de la Bérakha judéo-chrétienne, et s’en séparant inconsciemment, sans scrupules de conscience. Alors que le Sanctus, interpolé dans l’anaphore « apostolique » dès le IIIe siècle dans tout l’Orient, est introduit dans les anaphores palestino-syriennes, héritières fidèles de l’anaphore apostolique, en connexion avec la création de l’homme doué de raison et ainsi capable de se joindre à l’hymne incessant des anges, dans l’anaphore sérapionienne il est introduit en fonction de l’adresse initiale au Nom divin : « Il est digne et juste de Te louer, Père de ton Fils notre Seigneur, qui domines tout, qui es assisté d’anges ; avec leur adoration accepte aussi la nôtre qui disons : Saint, saint, etc. » De même, quand le Sanctus se voit introduit dans l’anaphore apostolique en Syrie, il y est raccordé aux points suivants de l’action de grâces : l’Economie générale de l’Incarnation, l’Œuvre de la Rédemption et enfin seulement l’Institution de la Cène. Les mots mêmes du raccord sont encore ceux qui dans la tradition judéo-chrétienne introduisent toujours une eucharistie : « Vraiment saint, vraiment béni es-Tu ». Dans l’anaphore néo-alexandrine le Sanctus est raccordé directement au seul narratif de la Cène, et cela désormais sans formule d’action de grâces, par les mots « Remplis aussi (comme cieux et terre sont remplis de ta gloire) cette offrande, de ta gloire, de ta puissance et de ta venue, car ces dons sont qualifiés pour être acceptés par Toi, étant déjà la ressemblance de ton Fils qui à la veille de souffrir, etc. » 2° Dans l’anaphore apostolique l’Epiclèse eschatologique attend la Parousie dans l’Eucharistie sous la forme pneumatique, selon une conception toute johannique (« Je reviendrai à vous » = « Je vous enverrai mon Esprit »). L’épiclèse néo-alexandrine de Sérapion demande la venue du Verbe, quoiqu’on puisse interpréter ceci comme un vestige tardif d’une théologie trinitaire archaïque et périmée on le Verbe et l’Esprit ne sont pas encore nettement différenciés.

A ces deux types d’anaphores, le type hippolytain (avec ses deux moments « eucharistie-épiclèse » bien définis, son eucharistie détaillée et sa parousie du Christ en l’Esprit), représentant l’anaphore de tradition apostolique, universelle au IIe siècle, et le type sérapionien (à tendance plus référentielle qu’eucharistique, plus centrée sur la seule Cène, et sa parousie du Verbe par l’opération de I’Esprit), propre à l’Egypte du IIIe siècle, succède un type italien du IVe siècle. Ce troisième type est aussi dépendant du deuxième (type de Sérapion) que le deuxième l’était du premier (type d’Hippolyte). Son premier témoin est l’anaphore milanaise de la fin du VIe siècle, relatée par saint Ambroise dans sa petite catéchèse «De sacramentis», etqui vaut apparemment pour Rome. Cette anaphore offre précisément la même première caractéristique mentionnée à propos de l’anaphore de Sérapion : à défaut d’une mention expresse du Sanctus, même raccord direct du passage au narratif de l’Institution, et même dégagement de toute idée eucharistique comme cadre ou contexte immédiat de ce passage. Quant au deuxième volet du diptyque Eucharistie-Epiclèse, celui de l’épiclèse parousiaque, non seulement Ambroise a comme Sérapion une conception « Logique » plutôt que « Pneumatique » de cette Présence, mais chez Ambroise cette conception, en se compliquant d’une nouvelle idée, évolue vers un troisième type d’anaphore. Dans son commentaire sur les sacrements aux néophytes, saint Ambroise explique que le narratif de l’Institution a déjà de par lui-même, la force d’opérer la conversion des éléments. Ceci dispose évidemment et radicalement de toute nécessité de demander encore la Parousie après le récit de l’Institution, et c’est bien le cas du Canon (anaphore) cité par Ambroise. Ce qui, chez Sérapion, est encore une épiclèse demandant la venue du Verbe, apparaît chez Ambroise comme une simple demande d’acceptation des Dons à l’autel céleste. Toutefois, il y a lieu de croire que la révolution du Canon ambrosien n’était pas générale en Italie ; mais que la prière d’acceptation y comportait une action du Saint-Esprit, « consécratoire » des éléments à parité quoiqu’à titre différent des Paroles d’Institution. Ceci peut se déduire de plusieurs indices cumulatifs :

1° Isaac le Juif (l’« Ambrosiaster » d’Erasme), l’accusateur du pape Damase à Rome (366-394), et contemporain d’Ambroise, cite cette prière d’acceptation de l’offrande à l’autel céleste. C’est déjà une preuve que Rome avait grosso modo le même canon que Milan, comme Ambroise nous l’avait fait entendre. Mais le plus intéressant de son commentaire, c’est que « les anges » d’Ambroise y figurent comme « l’Ange » au singulier, et qu’il interprète cet Ange porteur des dons à cet autel céleste, comme étant le Saint-Esprit. La prière d’acceptation d’Ambroise, prend ici la valeur d’une épiclèse ascendante : le Saint-Esprit porte les dons sur l’Autel céleste (le Christ au ciel) pour les assimiler à Lui, les fusionner en Lui, c’est-à-dire, (pour passer du langage métaphorique au langage théologique), que le Mémorial de la Passion présenté au Père par l’Eglise dans l’anaphore, est endossé, ratifié par Lui, pour autant qu’offert en l’Esprit du Christ, il est unifié avec ce plaidoyer perpétuel que le Christ au ciel présente pour nous.

2° Trois autres contemporains d’Ambroise, Gaudentius de Brescia, son voisin (+ apr.- 407), Optat de Milève (366-370) et Augustin, sans compter Ambroise lui-même, témoignent d’une invocation, sans en préciser la forme, du Saint-Esprit sur les dons. Comme tous ces auteurs suivent certainement l’usage romain en matière d’anaphore, il ne faut pas entendre cette invocation du Saint-Esprit aux termes d’une épiclèse descendante « orientale », mais aux termes et au sens d’Isaac.

3° Un siècle plus tard le pape Gélase (492-496), par deux fois, affirme de nouveau l’invocation du Saint-Esprit sur les dons. Il semble probable que ce soit ce pape qui soit responsable pour la deuxième rédaction de la prière d’acceptation, déjà incluse au Sacramentaire gélasien du VIe siècle, et encore en vigueur au Missel romain d’aujourd’hui. Cette rédaction renverse l’ordre des deux incises « Jube haec perferri » et « Supra quæ » et y ajoute la petite finale « Ut quotquot ». La prière revêt ainsi un sens épiclétique plénier : « Ordonne que ces dons soient portés aux mains de ton Ange à l’Autel céleste, afin qu’ayant reçu de cet autel sanctifiant le corps et sang très sacrés, nous soyions remplis de toute grâce et bénédiction. » L’idée est parallèle à celle qui s’exprime dans la litanie avant la communion à la liturgie byzantine : c Pour que Dieu… qui les a reçus à son saint, céleste et spirituel Autel, en parfum de suavité spirituelle, nous envoie en retour la grâce divine et le don du Saint-Esprit. »

Mais si l’anaphore alexandrine du IIIe siècle de type sérapionien, explique les trois caractéristiques de l’anaphore ambrosienne-romaine qui lui sont similaires (carence du Vere Sanctus, carence eucharistique du paragraphe qui suit le Sanctus, mention réduite de l’Economie christique réduite à la seule Cène), elle n’explique pas tout pour autant. Par delà les caractéristiques du IIIe siècle, communes à Sérapion d’une part, à Milan (canon ambrosien) et à Rome (canon « gélasien ») d’autre part, il y a dans les anaphores ambrosienne et « gélasienne » quatre autres caractéristiques, qui ne sont plus communes avec Sérapion : 1° la demande de descente du Verbe sur les dons, propre à Sérapion, devient à Rome-Milan prière d’acceptation « ascendante » au trône céleste; 2° cette ascension se fait aux mains des anges (Ambroise) ou de l’Ange (Gélase) ; 3° elle plaide comme paradigme le sacrifice du Grand prêtre Melchisédech ; 4° chez les auteurs romains cette mention de l’Ange est interprétée comme une invocation à l’Esprit Saint.

Ces nouvelles particularités sont elles aussi, croyons-nous, d’influence égyptienne, mais cette fois datant du IVe siècle. Nous le croyons pour les raisons suivantes : 1° d’abord, si l’appel à des paradigmes de l’Ancien Testament pour appuyer l’offrande de l’Eglise se retrouve dans des liturgies syro-byzantines, par exemple à la Liturgie dite de saint Basile, elles s’y placent, non dans le Canon ou Anaphore, mais comme oraison d’Offertoire (appelée diversement d’après les rits : Prière à la Déposition des Dons, Collecte Post Nomina, Oratio Veli ou Syndonis, Secrète) ; et si elles mentionnent bien Abel, Noé, Abraham, Moïse et Aaron, Samuel, voire même les Apôtres, elles ignorent précisément Melchisédech ; 2° non seulement la liturgie eucharistique, mais aussi la littérature patristique étrangère à l’Egypte ne se préoccupe guère de Melchisédech. A peine trouve-t-on une remarque de saint Cyprien, reprise par saint Epiphane, signalant que Melchisédech est une figure du Christ par la ressemblance de leur sacrifice de pain et de vin. Par contre il existe une solide tradition égyptienne sur l’importance de Melchisédech, le représentant non seulement comme figure du Christ par la ressemblance de leur offrande de pain et de vin, mais allant jusqu’à l’identifier, soit avec le Christ, soit avec le Saint-Esprit. Autrement dit : pour cette exégèse alexandrine du IVesiècle, Melchisédech n’est pas un être humain, figure typologique du Christ à venir ; il n’est rien moins qu’une théophanie du Verbe Lui-même.

Cette tradition égyptienne commence dès Philon, et se poursuit par Origène jusqu’au vieil et vénérable ermite de la Basse Egypte, dont l’identification de Melchisédech avec le Fils de Dieu ne laissait pas d’inquiéter saint Cyrille d’Alexandrie. C’est d’Egypte qu’au Ive siècle seulement le mouvement melchisédécien a gagné l’Asie mineure, où saint jean Chrysostome signale : « certains catholiques qui voient dans Melchisédech le Fils de Dieu se montrant sous forme humaine à Abraham »; et où Marc l’Ermite (+ 430), longtemps abbé à Ancyre de Galatie avant de se retirer au désert, témoigne des Melchisédéciens d’Ancyre, pour qui aussi Melchisédech est le Fils de Dieu.

Une autre interprétation, mais celle-ci également égyptienne, veut identifier Melchisédech, non avec le Christ, mais avec l’Esprit Saint. Cette tradition parallèle remonte à un certain Hiéracas (le plus vieil auteur copte connu). Cette deuxième interprétation eut une grande vogue à Rome, précisément vers 375. Se basant sur le passage d’Hébr., VII, 3 (« assimilé au Fils de Dieu, ce Melchisédech demeure prêtre pour toujours »), elle arguait que « assimilé » n’étant pas synonyme de « identifié », il fallait identifier Melchisédech, non avec le Christ mais avec son Esprit. On sait la vigueur avec laquelle saint Jérôme combattit ces identifications; mais on comprend aussi que la forte expression des Hébreux ait capté les esprits, soit en faveur de l’interprétation christique, soit en faveur de l’interprétation pneumatique. En tous cas Ambroise, élève assidu des égyptiens Philon, Origène et Didyme, identifie Melchisédech avec le Christ ; de même le Supra quœ du Canon « gélasien », applique indubitablement son « sanctum sacrificium, immaculatam hostiam» non aux offrandes plurielles de l’Eglise (Supra quœ), ni aux multiplesmunera d’Abel, ni au sacrifice d’Abraham, mais au seul sacrifice de « ton Grand Prêtre », le vrai Melchisédech.

On s’est questionné pas mal sur la valeur de la citation du De sacramentis comme témoin de l’anaphore ambrosienne, et on a proposé quatre jugements de valeur :a) ce Canon ne serait pas une citation exacte, mais « un commentaire oratoire et parénétique » du Canon romain du temps (Funk et Cagin) ; b) le Canon du De sacramentis est une citation écourtée et comprimée du Canon romain du temps (Batiffol) ; c) il serait une forme secondaire, dérivée du Supra quœ « pur », mieux conservé dans le Canon gélasien ; d) il serait au contraire la forme originale du Supra quœ et Supplices Te gélasiens, ceci en raison à la fois de sa rédaction plus simple et de sa théologie plus rudimentaire sur le rôle angélique dans le sacrifice. Mais après ce que nous venons de relater sur les deux interprétations de Melchisédech, une cinquième explication du doublet ambrosien-gélasien s’impose : Pourquoi ne pas accepter simplement, et ce qu’Isaac et saint Jérôme nous disent sur l’interprétation ambivalente, christique ou pneumatique, de Melchisédech à Rome et l’implication christique de Melchisédech au Canon gélasie, et le fait incontestable de la formation théologique d’Ambroise à l’école des tenants de l’interprétation christique ?

Or l’interprétation double de Melchisédech s’applique aussi à l’Ange du sacrifice. L’Ange de la Face (Isa. 63.9) ou l’Ange du Grand Conseil (Isa. 9.5) s’entendra plus naturellement du Christ et du Verbe ; l’Ange du Nom (Ex. 23.21) s’entendra plus facilement de la «Puissance du Très-Haut» (Luc, 1.35), l’Esprit Saint. La double forme de la prière Supra quœ – Supplices Te au Canon d’Ambroise et au Canon gélasien s’explique ainsi d’elle-même : à Rome où régnait l’identification de l’Ange avec l’Esprit Saint, les dons sont offerts dans et par l’Esprit. Ceci est une condition sine qua non d’acceptation et d’assimilation à l’Anamnèse que le Christ fait à son Père au ciel. D’où Epiclèse ascendante par l’opération de l’Esprit. Cette interprétation romaine et l’invocation liturgique qui lui correspond sont encore partagées par Ambroise à Milan et signalée dans son De Spiritu sancto (III, xvi, 112), écrit en 381 ; dans le De mysteriis, écrit vers 387, le Corps eucharistique est bien encore décrit comme « corpus divini spiritus », mais Melchisédech est déjà identifié avec le Christ ; dans le De Sacramentis, vers 390, l’interprétation de Melchisédech et celle de l’Ange sont purement christiques. Ici c’est le Christ qui présente les dons de l’Eglise, convertis en son corps, à son Père ; plus n’est besoin d’une épiclèse pour l’Esprit ; la finale du Supplices n’a plus de sens, et le début peut avantageusement être fondu avec le Supra quae, comme une simple prière d’acceptation, sans plus aucune portée consécratoire.

Il est clair que toute cette petite « histoire du Canon romain d’Hippolyte à Ambroise », que nous venons d’esquisser, est étrangère à la Gaule et ne l’a guère influencée. Seule peut-être, comme nous le verrons plus loin, la Provence de saint Césaire a-t-elle connu un Canon eucharistique Romain autre que celui d’Hippolyte. C’est donc à cette toute première anaphore romaine du IIIe siècle qu’il nous faut revenir, et nous demander si la Gaule l’a reçue de Rome ou de l’Orient.

Ici deux questions se posent. La première : Quand Hippolyte écrivait sa Tradition apostolique au début du IIIe siècle, écrivait-il pour témoigner en faveur de la liturgie romaine qu’il voyait pratiquée autour de lui, pour la citer en exemple au monde entier ? Ou écrivait-il pour protester contre elle au nom d’une autre tradition qu’il croyait plus authentiquement apostolique ? A cette question le P. Hanssens vient de répondre catégoriquement : il n’y a aucun doute que la Traditionveut protester contre les usages romains suivis par Zéphyrin et Calliste. Dom Connolly, au contraire, qui identifia en Hippolyte l’auteur de la Tradition, n’y voyait rien qui ne pût être accepté comme la liturgie normale de Rome au début du IIIe siècle. Il n’y a aucun indice polémique dans la Tradition; rien n’indique qu’Hippolyte voulut y renouveler les attaques de son Elenchos; et les données historiques ne nous suggèrent en rien que la querelle d’Hippolyte avec Zéphyrin et Calliste dépassât le cadre du rigorisme novatien et s’étendit encore au domaine liturgique. Il reste que sans mêler Zéphyrin et Calliste à la rédaction de la Tradition,Hippolyte a pu protester contre les usages liturgiques de Rome ou d’Italie.

D’où la seconde question : Si Hippolyte a écrit pour réagir contre les usages qu’il rencontrait à Rome, ces usages étaient-ils antiques ou récents ? Pour le P. Hanssens, ils étaient antiques. Hippolyte ne visait rien moins que la vieille liturgique romaine, beaucoup plus authentiquement apostolique que sa propre tradition « alexandrine». Il est difficile de se rendre compte de ce qu’était cette « vraie » tradition apostolique que Rome opposait à Hippolyte, comme on n’a guère en fait de renseignements qu’une demi-page de Justin. Mais le P. Hanssens laisse constamment sous-entendre que cette anaphore avait déjà toutes les caractéristiques liturgiques et théologiques de l’anaphore ambrosienne du IVe siècle (De sacramentis). Nous avons dit plus haut pourquoi, au contraire, ce type d’anaphore ambrosienne, loin d’être le plus archaïque, est le plus récent, et ne peut s’expliquer que par une évolution qui postule « Hippolyte » comme point de départ, « Sérapion » et le mouvement melchisédécien (c’est-à-dire Alexandrie) comme moyen terme, pour aboutir à « Gélase » et à « Ambroise ». Si donc Hippolyte a écrit en protestation contre la liturgie romaine de son temps, celle-ci devait représenter, non encore le type ambrosien du IVesiècle, mais le type préambrosien de Sérapion, type transitionnel entre la liturgie apostolique et la liturgie ambrosienne. Si, comme il est probable, Rome et l’Italie ont reçu au premier siècle leur liturgie apostolique via Alexandrie, rien n’empêche de dire qu’Hippolyte a codifié cette première liturgie « alexandrine » (au sens de « reçue d’Alexandrie »), contre l’invasion d’une seconde liturgie alexandrine (cette fois au sens fort de « élaborée à Alexandrie » au début du IIIe siècle ), une liturgie du type que saint Sérapion codifiera encore dans son anachronique Eucologe au début du IVesiècle.

En aucun cas donc le fond premier de la liturgie gallicane ne peut venir d’une Italie qu’elle soit encore « apostolique », ou déjà néo-alexandrine (sérapionienne). Dans les deux cas c’est d’Orient, au sens technique du mot, c’est-à-dire d’Asie Mineure et de Syrie, que ce fond premier est venu en Gaule. En effet, si Hippolyte décrit l’usage romain de son temps, cette date est trop tardive pour avoir décidé les premières cristallisations liturgiques des chrétientés de Lyon et de Vienne, sous Pothin, et des autres centres évangélisés par les missionnaires d’Irénée, portant tous des noms grecs, et venus d’Orient bien avant la vague des missionnaires romains au IIIesiècle. Si au contraire Hippolyte n’a fait que protester contre une tradition néo-alexandrine déjà établie à Rome de son temps, où a-t-il été chercher ses informations pour sa propre liturgie «apostolique» ?

Au lieu de lui imaginer des contacts hypothétiques avec l’Orient syrien ou asiate, n’est-il pas plus simple de penser qu’il tient ses données liturgiques d’Irénée, comme il tient de lui ses vues théologiques, et que la « Tradition apostolique » du disciple fait écho à la « Démonstration apostolique » du maître ? Dans les deux cas, la Gaule doit le fond premier de sa liturgie, par la voie d’Irénée, soit à Polycarpe qu’Irénée a connu comme enfant à Smyrne, soit à Théophile qu’Irénée eut pour mentor en théologie à Antioche. Si donc il est vrai qu’il serait par trop naïf de faire remonter la liturgie gallicane « en bloc » à des sources aussi reculées, la conclusion ne l’est plus, une fois bien tranchée la distinction entre le fond archaïque et les développements ultérieurs de cette liturgie. C’est bien ce fond premier qu’avaient en vue Mabillon, Lebrun, Palmer, Neale et Forbes, Warren, et Dom Guéranger, quand ils appuyaient l’hypothèse éphésine.

3. – Les développements secondaires de l’Exposition : Germain de Paris et Byzance.

Abordons maintenant les développements ultérieurs, le fond secondaire de l‘Expositio, datant des IVe, Ve et VIe siècles. On peut définir ce fond secondaire facilement en défalquant de l’ordo gallican le fond premier que nous connaissons déjà. Nous trouvons ainsi trois zones au cours de la messe gallicane qui montrent des développements inconnus à l’ordonnance primitite d’Hippolyte :

1° Tout au début de la liturgie, au lieu de commencer abruptement par la première leçon prophétique (comme cela s’est encore conservé dans la liturgie romaine d’aujourd’hui au Vendredi Saint), surgit tout un complexe solennel entourant l’entrée du clergé à l’église, soulignant sa procession du narthex (vestibule) au sanctuaire, ouvrant officiellement la Synaxe de catéchèse. Dans la liturgie gallicane ce complexe se compose des éléments suivants : Antienne de procession, Bénédiction du Peuple, Litanie (Ayos), et oraison (collecte) préliminaire à la Synaxe elle-même.

2° De même au début de la Liturgie eucharistique proprement dite, nouveau complexe très solennel, au lieu de commencer immédiatement par la Prière eucharistique (anaphore), comme le fait l’ordo d’Hippolyte. Dans la liturgie de Germain ce nouveau complexe comprend : la Préparation des oblats par le diacre dans une chapelle latérale, la Procession des oblats à l’autel, la Récitation des Noms des offrants ou Lecture des Diptyques, le Baiser de paix.

3° Enfin une troisième zone de développement suit la Prière eucharistique, au lieu de permettre une distribution immédiate de la communion. Chez Germain ce groupe de développements suit cet ordre : Fraction du Pain et Commixtion d’une parcelle au calice, Oraison dominicale, Bénédiction des communiants. Le tableau synoptique ci-joint fera voir d’emblée comment se situent ces deux apports premier et secondaire dans l’ordo total gallican :

Fond premier

Apport secondaire

(IIIe siècle)

(IVe-VIe siècles)

1. Synaxe de catéchèse
Antienne d’Introït et procession
Procession d’entrée.
Bénédiction du Peuple.
Litanie (Ayos) avec Cantique de
de Zacharie et Collecte (oraison)

Collecte (oraison).

Leçon prophétique.
Répons graduel.
Leçon apostolique
Répons alléluiatique.
Leçon évangélique.
Homélie.
Prière du Peuple. (- évoluée en litanie diaconale diaconale
avec collecte du prêtre).
Renvoi des Catéchumènes
2. Liturgie eucharistique
Préparation des oblats.
Procession des oblats à l’autel.
Récitation des Noms (Diptyques) (Diptyques)
et collecte (oraison).
Baiser de paix. Collecte, Bénédiction et Baiser de
de paix.
Prière eucharistique
(= Canon ou Anaphore).
Fraction du Pain et Commixtion.
Oraison dominicale.
Bénédiction des communiants.
Communion au chant du
Ps. 33 (34).
Renvoi et Bénédiction.

La question dès lors se concrétise : d’où la Gaule tient-elle les éléments de son ordo qui figurent en deuxième colonne ? Nous avons éliminé déjà le rit visigothique, que l’emprunt soit conçu comme direct (aux sacramentaires) ou indirect (au commentaire d’Isidore). Restent en Occident les trois hypothèses : Rome, Milan, Arles.

L’hypothèse Rome. – Entre le temps d’Irénée et celui de Germain, la Gaule a-t-elle reçu ses usages liturgiques de Rome ? Le meilleur argument qu’on pourrait suggérer en faveur de cette hypothèse est la venue d’éventuels missionnaires romains au IVe et Ve siècles. Mais cette venue peut-elle être considérée comme si massive qu’elle eut pu renverser les usages déjà établis dans les grandes capitales de Lyonnaise, Viennoise et Séquanie par la mission irénéenne ? Il est sûr que ce n’est pas le rit romain que les missionnaires de saint Grégoire le Grand ont rencontré en Gaule lorsqu’ils l’ont traversée pour se rendre en Angleterre. Il n’est d’ailleurs que de comparer les développements signalés par notre ordo gallican et ceux qui marquent l’ordo romain. Ce que l’ordo romain et l’ordo gallican ont en commun s’avère être des emprunts faits à l’Orient indépendamment et assimilés différemment : 1° C’est ainsi que dans l’ordo gallican (suivant en cela le cérémonial pontifical byzantin), l’antienne d’Introit est exécutée par le clergé en procession, tandis qu’à Rome il est exécuté par une schola attendant la procession au chœur (suivant l’usage byzantin au cérémonial presbytéral). 2° C’est ainsi que la litanie ouvrant la Synaxe de catéchèse est en Gaule l’Ayos suivi parfois du Cantique de Zacharie ; à Rome saint Grégoire, craignant les remontrances des byzantinophobes du genre de Jean de Syracuse, camoufle son emprunt en simples Kyrie, eleisonqui seront suivis parfois du Gloria in excelsis. 3° C’est ainsi encore que l’Oraison dominicale est insérée après la Fraction en Gaule ; avant elle à Rome par le même pape. Les autres développements ne sont même plus communs à la Gaule et à Rome. 4° Alors que la Gaule fait accompagner la Déposition des dons sur l’autel immédiatement par la récitation des Diptyques, ne voulant pas séparer la recommandation des oblats de celle des offrants (sépare-t-on la carte de visite du bouquet ?), Innocent Ier à Rome (416), trouve qu’il est plus raisonnable (?) de glisser les Diptyques (Te igitur, Memento, Communicantes, Hanc igitur) au début de l’anaphore, immédiatement après le Sanctus, comme le veut l’usage alexandrin (détruisant ainsi l’unité de la Prière, et faisant de la « Préface » un tout indépendant) ; et Symmaque (514) en glissera un nouveau lot (Memento etiam, Nobis quoque) àla fin du Canon, à l’instar de la tradition syro-byzantine. 5° De Gaule et de Rome, seule la Gaule connaît la Bénédiction des communiants avant la communion. 6° Seule Rome supprime la leçon prophétique. 7° Rome seule supprime la Prière du Peuple ou Litanie catholique qui, depuis Justin et Hippolyte doit obligatoirement clôturer la Synaxe de catéchèse sous peine de tronquer cette Synaxe d’un élément essentiel, car cette prière est la prière unique de la réunion. (Elle est à la Synaxe catéchétique ce que l’anaphore est à la Liturgie eucharistique). 8° Rome seule change le mode antique de l’offrande pratiqué depuis la première génération judéo-chrétienne, permettant aux fidèles de se débarrasser de leur charge de dons dès leur entrée à l’église, de les déposer à une chapelle de « prothèse », où le diacre ira les chercher au début de la liturgie eucharistique pour les apporter lui-même à l’autel. Elle remplace cette tradition par un défilé des fidèles au chancel au début de la liturgie eucharistique. 9° Plus tard elle changera son mode d’offrande : le pape et les évêques concélébrants iront quêter les offrandes dans les rangs du patriciat et au matroneum (Ordo Rom. I). 10° Rome encore est seule (v. 400), à transférer le Baiser de paix depuis avant l’anaphore (selon l’injonction de saint Matthieu, v. 24), jusqu’avant la communion. 11° Finalement, de la Gaule et de Rome, c’est encore Rome qui est seule à laisser tomber le Psaume de communion, traditionnel dans toutes les liturgies anciennes (Ps. 33, Hebr. 32,).

Le bilan est bien net : sur tous les points, onze en tout, de leur évolution respective du IVe au VIe siècle, la Gaule et Rome s’ignorent sereinement. Décidément l’hypothèse « Rome » ne tient pas.

L’hypothèse Milan. – Mgr Duchesne, l’abbé P. Lejay, dom Leclercq et plus récemment encore M. Righetti, ont misé sur l’hypothèse « Milan ». Cette thèse vaut-elle mieux que l’hypothèse « Rome » ?

L’argument que les défenseurs de cette hypothèse avancent est le suivant : Lyon resta capitale des Gaules jusque sous Dioclétien, (la période qui correspond àl’adoption et àla dissémination du « fond premier » en Gaule). Après cela ce serait Milan qui serait devenue quasi métropole des Gaules. Cette dépendance de la Gaule vis-à-visde Milan serait impliquée dans les mots que Dacius, évêque de Milan, exilé à Constantinople y aurait prononcé : « Ecce ego et pars omnium sacerdotum inter quos Ecclesia mea constituta est », ceci devant s’entendre de la Gaule burgonde (475-534). Mais : 1° Dépendance canonique ne veut pas pour autant dire dépendance liturgique. Au IIe et IIIe siècles, Lyon dépend de Rome au point de vue canonique et suit ses directives en ce domaine (affaire des montanistes, affaire de Marius d’Arles, date de Pâques, etc.), et pourtant a sa tradition liturgique à elle. Nous verrons de même plus loin que le rayonnement canonique et monastique d’Arles ne correspond pas à son rayonnement liturgique. 2° Nous devons accepter pour Milan la même évolution que nous avons accepté pour Rome : son fond premier liturgique a dû être apostolique (hippolytain) et Milan doit s’être convertie à la mode néo-alexandrine « melchisédécienne » avec Rome et Aquilée ; au premier stade ce n’est pas de Milan que la Gaule à dû recevoir ce premier fond apostolique : elle le tenait déjà de ses pères dans la foi dès le deuxième siècle. Au deuxième stade l’influence milanaise sur la Gaule, au moins en matière d’anaphore, est nulle, car l’anaphore gallicane est toujours restée fidèle au type apostolique. 3° Quant à l’apport secondaire, rien n’empêche que, tout comme des papes ont accepté de compléter le fond néo-alexandrin de la liturgie romaine par diverses touches byzantines, du IVe au VIe siècle, ainsi Milan ait fait de même. Mais le rayonnement de Milan, cessant à cette époque, ne peut expliquer la présence de byzantinismes en Gaule. A partir de 534 il n’est plus question pour Milan d’exercer quelqu’influence que ce soit en Gaule burgonde devenue franque ; à partir de 570, devenue capitale lombarde, il n’est plus question pour Milan de recevoir quoique ce soit de Byzance ou d’Orient. Or, nous verrons que ce sont précisément des nouveautés byzantines du VIe siècle, qui constituent le fonds secondaire de la liturgie gallicane. On est bien tenté de se demander s’il ne faut pas au contraire renverser la direction des influences liturgiques et si les particularités byzantino-gallicanes de la liturgie milanaise ne lui sont pas venues de Gaule. Ceci expliquerait bien le caractère homogène de la liturgie gallicane (fond « apostolique » syrien avec apport secondaire byzantin de même type) et le caractère hybride de la liturgie milanaise (fond néo-alexandrin avec apport secondaire gallican de type différent).

L’hypothèse « Arles ». – Duchesne, qui tenait pour l’origine milanaise du rit gallican avait déjà écrit : « On pourrait songer à Arles qui a joui d’une très grande situation ecclésiastique au Ve et au VIe siècles. Arles a vécu assez tôt pour être en Gaule le foyer du droit ecclésiastique. J’ai montré (Fastes épiscopaux, t. I, p. 141) que presque tous les libri canonum en usage dans la Gaule mérovingienne dérivent de ceux de l’Eglise d’Arles. Quant à la liturgie c’est autre chose ». Thibaut, d’autre part, prétend que ce qui est vrai du droit canonique doit l’être aussi de la liturgie. Ayant cité Duchesne, il commente : « Mais pas du tout, les Actes des Conciles en font foi, le développement des institutions liturgiques est allé de pair à cette époque avec celui des institutions canoniques ». Il continue alors en esquissant la carrière montante d’Arles : le statut de Vicariat apostolique accordé à Arles et le primatiat conféré à Patrocle en 417 par le pape Zosime ; la restauration de ce primatiat par le pape saint Léon le Grand à Ravennius, après qu’il eut été révoqué et retiré à l’évêque Hilaire en 445 ; la création de saint Césaire comme métropolitain des Gaules par le pape Symmaque en 513, avec octroi du pallium ; l’influence rayonnante d’Arles sous la pléiade d’évêques-moines formés à Lérins ou à Saint-Victor de Marseille : saint Honorat, saint Hilaire, saint Césaire (+ 543), saint Eucher, saint Lupus, Valérien de Cimiez, saint Maximin, Fauste de Riez, etc.

Mais l’argument de Thibaut ne répond pas à l’objection de Duchesne : l’élévation canonique d’Arles et le nombre des évêques-monastiques lérinois sur les sièges provençaux ne prouve pas encore le rayonnement liturgique arlésien au-delà de la Provence. Ce prétendu rayonnement liturgique arlésien est d’ailleurs contredit par les faits. S’il fut jamais politique nette et tenace de conformisme au rit romain, ce fut de la part de Césaire d’Arles. Avec les noms de Benediet Biscop, de Boniface et de Pépin, son nom est un symbole de ce conformisme ultramontain. Or toute cette tendance contredit le contenu et le style de la liturgie gallicane telle que nous la connaissons par Grégoire de Tours et Germain. On ne voit pas quelle influence les efforts arlésiens pourraient avoir eu sur cette liturgie gallicane, si, étant ce qu’ils étaient, ils n’ont abouti qu’à produire ce qu’elle fut. Décidément Duchesne avait raison : l’élévation canonique d’Arles ne comporte pas son rayonnement liturgique au-delà de la Provence.

On peut d’ailleurs aller plus. loin : ne faut-il pas qualifier aussi ce rayonnement canonique largement reconnu, sans qualification, par Duchesne ? N’en est-il pas du rayonnement canonique d’Arles comme du rayonnement monastique de Marseille et de Lérins ? Celui-ci est éclatant au IVe siècle : par saint Martin de Tours cette influence gagne Ligugé et Marmoutiers, d’où elle rebondit vers l’Ecosse et l’Irlande. De même les vieux Statuta Ecclesiœ antiques et les Libri canonum dont parle Duchesne, peuvent bien dériver de l’Eglise d’Arles ; mais cette influence ne s’exerce pas plus tard que les synodes tenus sous Hilaire d’Arles, le successeur d’Honorat : Riez 439, Orange 442, Vaison 442, Arles 443 ou 452 tous antérieurs au démembrement de la Gaule entre Francs, Burgondes et Visigoths. Sous le régime visigoth, c’est-à-dire de 476 à 589 quand elle tomba aux mains de Childebert II, Arles n’a guère exercé d’influence sur la Gaule franque ou la Gaule burgonde. Aussi forte que fut la cohésion de l’épiscopat provençal, la province ecclésiastique d’Arles ne s’étendit depuis 476, ni en frontière, ni en action, ni en prestige, au nord de la Durance, où les Burgondes avaient déjà fait de Grenoble leur capitale dès 463.

A parcourir les listes des signatures épiscopales qui endossent les décisions des synodes gaulois du VIe siècle, on remarque que nul évêque de Gaule franque ou burgonde ne fut présent aux synodes tenus en territoire visigothique : Agde 506, 4e d’Arles 524, Carpentras 527, 2e d’Orange 522, 2° de Vaison 529, Marseille 533. Réciproquement les évêques provençaux se font remarquer par leur absence au concile d’Epaone 517, au nord de la Durance en territoire burgonde. Ce concile traite de la nécessité d’uniformité liturgique, sujet que traita le concile d’Agde, en territoire visigothique, en 506. Il est clair que la situation politique du démembrement et du partage de la Gaule par les trois envahisseurs ne permet plus à l’épiscopat gaulois de se réunir en corps. Comment parlerait-on en ce cas de rayonnement d’Arles au-delà des frontières gothiques ? A une occasion seulement, voit-on saint Césaire invité « à l’étranger », notamment au concile de Vienne 529-530, non pour y présider (comme il faisait aux conciles provençaux), mais pour être questioné sur les mesures qu’il venait de prendre au 2e d’Orange contre les Semipélagiens. Après la conquête de Toulouse et de l’Aquitaine par Clovis en 507-508, les évêques d’Aquitaine et de Lyonnaise se hâtent de rencontrer les évêques de Belgique seconde, au moins ceux qui séjournent le plus près de Paris, et la rencontre a lieu à Orléans en 511. Mais il n’est pas encore question d’y rencontrer les évêques wisigothiques de Provence. De nouveau, après la conquête de la Burgondie par les Francs en 534, les évêques des deux royaumes de Childebert et de Théodebert se rencontrent deux fois à Orléans (3 e et 4e d’Orléans, 538 et 541), mais toujours pas d’évêque provençal.

A son tour donc l’influence d’Arles sur la liturgie gallicane est un autre mythe, contredit deux fois : par les conditions politiques de la Gaule démembrée et par le courant ultra-montain d’Arles.

La Liturgie gallicane et Byzance. – Les hypothèses romaine, milanaise et arlésienne faisant faillite pour expliquer le fond secondaire de la liturgie gallicane, force nous est de nous adresser autre part. Mais avant d’aborder plus précisément les relations qui relient saint Germain de Paris à Byzance, il n’est pas inutile de rappeler que ces relations ne sont pas quelque chose d’unique et d’étonnant ; elles se situent dans un cadre de relations semblables et multiples.

Cassien, un évêque d’Autun, est natif d’Alexandrie, et fut évêque en Palestine avant d’arriver à Autun. Eusèbe, un marchant « syrien » (le mot dans les documents de l’époque signifie exactement notre « levantin »), se procure l’évêché de Paris par force, pots-de-vin (aux dires de Grégoire de Tours), et remplace tous les dignitaires de son église par des compatriotes. De même, raconte Grégoire, quand après la mort de Clotaire, Gontran hérite Orléans et rend visite officielle à la ville, il se voit acclamé en latin, en hébreu et en « syrien » (entendez : grec), preuve d’une colonie juive et d’une colonie grecque à Orléans. Les évêques gaulois sont attirés par l’Orient et rassemblent des orientaux autour d’eux. Saint Amateur, évêque d’Auxerre, visite Antioche ; Licinius, évêque de Tours, réside un temps considérable en Orient, saint Just de Lyon quitte, son diocèse pour vivre avec des moines aux déserts d’Egypte. Les pèlerinages sont fréquents : c’est d’un pèlerin que Grégoire de Tours apprend les noms et les vertus des saints de Syrie et d’Asie Mineure ; c’est un marchand de Bordeaux qui rapporte d’Orient un doigt de saint Serge (Hist. Franc., 1.7, c.31 ; PL 71.435) ; nous aurons à revenir sur les reliques que sainte Radegonde reçoit de Constantinople. Les architectes vont étudier les modèles architecturaux d’Orient : un pèlerin fournit à l’évêque Perpétue le plan de l’église du cénacle de Jérusalem pour la mosaïque qui doit orner la basilique de saint Martin à Tours ; Emile Mâle soupçonne l’architecte de cette basilique d’avoir vu Carthage, l’Egypte et l’Anatolie ; les gynécées de cette même basilique s’inspiraient des églises de Constantinople et de la fameuse basilique de saint Ménas près d’Alexandrie. Il est par trop évident que toutes ces courreries de pèlerins en Orient, surtout ces enquêtes épiscopales spécialement intéressées dans les manifestations du culte, ne laissent pas de renseigner la Gaule sur la vie liturgique de là-bas.

Comparant leur vieille liturgie gauloise (le vieux fond premier « apostolique » ou « hippolytain » dont nous avons parlé) avec ce q ‘ils voient à Constantinple vers 565, quelques différences ou plutôt quelles «accrétions» (car il ne s’agit pas de différenciation ou d’écart du « fond commun »), nos pèlerins trouveront-ils à noter ? Deux seulement : – 1° La Synaxe de catéchèse ici ne commence plus abruptement par les lectures. Une grande procession marque l’entrée du clergé, les chantres ouvrant la marche et psalmodiant une antienne ; le Célébrant, ayant salué le Peuple, entonne une litanie : « Ayos ô Théos, ayos iskhyros, ayos athanatos ! », et le Peuple répond chaque fois : « Eléison imas ! » Quand c’est un évêque qui célèbre, il vient aux porte du chancel (il n’y a pas encore à proprement parler d’iconostase), et ayant béni l’assistance se laisse acclamer par elle. Une collecte suit la litanie de l’Ayos et nos visiteurs gaulois s’y retrouvent dès que commencent les lectures. 2° La Synaxe de catéchèse étant achevée avec le renvoi des catéchumènes, la Liturgie eucharistique commence. Ici, nouvel étonnement alors que le vieux rituel « hippolytain » auquel ils sont habitués ne prévoit, avant de commencer l’anaphore, qu’une déposition des dons sur l’autel par le diacre sans aucune cérémonie et le Baiser de paix, ici à Constantinople en cette année de grâce 565, une procession des plus solennelles apporte les dons d’une chapelle à gauche du sanctuaire, les diacres portant sur la tête en signe d’honneur la patène voilée, et à hauteur des yeux le calice couvert, les chœurs chantant un des trois admirables hymnes, encore au répertoire liturgique d’aujourd’hui. Les dons disposés sur l’autel, le prêtre recommande les dons au cours d’une collecte ou oraison (Oraison du voile ou du «linceul »). Ce n’es t qu’alors que le Célébrant donnera la paix et entonnera la Prière eucharistique.

De ces traits, jusqu’alors exclusifs au rit de Constantinople, les deux plus spectaculaires y sont d’ailleurs des nouveautés toutes récentes. La litanie de l’Ayos ne date que de 528, le chant de la Grande Entrée datant de l’exil du patriarche Eutyque, c’est-à-dire des années 565-577. Nous savons, en effet, que le patriarche Eutyque, entré en conflit avec Justinien sur la question de l’Aphtartodocétisme, se vit exilé le 22 janvier 565, et que cet exil dura 12 ans et 5 mois, jusqu’à la mort du patriarche Jean le Scholastique nommé par Justinien en remplacement du patriarche déchu. A la mort de Jean le Scholastique, le successeur de Justinien (+ 565), Justin II (565-578), rappela Eutyque, qui reprit son trône en octobre 577, au milieu de grandes manifestations populaires. C’est alors qu’Eutyque dut écrire son de Paschate et ss. Eucharistia, où il proteste si vigoureusement contre l’intrusion de ce nouveau chant d’offertoire (grande entrée) qui parle de la procession de dons non encore consacrés comme s’ils l’étaient déjà, et, traitant de fous ceux qui ont osé parler de la procession des dons encore non-consacrés comme de l’entrée du « Roi de gloire » en personne. Cette expression « Roi de gloire », sous la plume d’Eutyque, vise sans aucun doute l’hymne de procession des dons « Maintenant les Puissances célestes officient avec nous », qui contient ces mots. Cet hymne se chante encore aujourd’hui à la liturgie des « Présanctifiés », et c’est peut-être bien Eutyque qui a réaffecté cet hymne à cette liturgie, où de fait les dons sont consacrés avant d’être portés en procession à l’autel. Mais la tradition veut que l’autre hymne de procession des dons, l’hymne « Chérubique » commençant par les mots « Lors qu’en mystère nous figurons les Chérubins», datât également du règne de Justinien, comme elle veut que le premier successeur d’Eutyque, Jean le Scholastique, ait remplacé la liturgie de saint Basile par celle de saint Jean Chrysostome comme liturgie usuelle dès 574, et que ce soit le second successeur d’Eutyque, Jean le Jeûneur, qui ait définitivement réaffecté l’hymne du Khérubikon à la liturgie de saint Jean Chrysostome en 582. Il y a d’ailleurs un troisième hymne exactement de même teneur que les deux précédents, l’hymne « Que toute chair mortelle fasse silence », chanté aujourd’hui le Samedi saint à la liturgie de saint Basile.

Ces trois hymnes, doivent de fait être contemporains, car si l’expression « Roi de gloire » dans le texte d’Eutyque, se retrouve à la lettre dans l’hymne « Maintenant les Puissances », l’expression « Gardons le silence… pour recevoir le Christ », que Germain emploie en parlant du Sonus ou chant d’offertoire gallican, serre de plus près les deux autres hymnes : l’un de ceux-ci commence par les mots « Que toute chair mortelle fasse silence », l’autre contient les mots : « pour recevoir le Roi de toutes choses ». Il n’est donc pas douteux que Germain connût ces « primeurs » byzantines.

Mais comment a-t-il pu les connaître ? L’insertion de ces hymnes au répertoire liturgique byzantin doit se placer pendant l’exil d’Eutyque, entre 565 et 577. Saint Germain est mort en 576. A supposer, ce qui est fort probable, que Jean le Scholastique eut déjà ses idées arrêtées sur le sujet dès avant son accession au trône patriarcal, et qu’il ait institué ces chants d’offertoire pendant les trois premières années de son avènement, disons entre 565 et 568, y a-t-il un indice sérieux que saint Germain de Paris ait pu entendre parler à leur sujet ? Un évènement si important qu’il ait non seulement pu mais dû en entendre parler ? Car il est clair qu’ici de vagues relations avec l’Orient, ou même des indications précises mais qui affectent des personnages secondaires, des voyageurs d’occasion dont les impressions de voyage pourraient avoir atteint les oreilles de saint Germain, sont totalement insuffisantes. Il ne faut rien moins qu’un événement très officiel, mettant directement en contact de hautes personnalités religieuses de Constantinople avec, sinon saint Germain en personne, du moins son entourage, un entourage aussi intéressé que lui en matière liturgique, et qui ne pourrait pas ne pas le mettre au courant de nouvelles aussi sensationnelles. Et il faut encore par dessus le marché que le contact ait eu lieu assez tôt après 568 pour que ces nouveautés liturgiques soient encore matière à sensation, soient encore sujet inévitable de conversation, assez tôt avant 576 pour laisser à Germain ample temps avant sa mort pour essayer ces nouveautés dans sa propre pratique rituelle avant de les insérer dans son opuscule. On avouera que c’est beaucoup demander, et qu’il est peu probable que toutes ces exigences puissent être satisfaites. Et pourtant un tel contact existe, il se place en 569.

Radegonde, reine de France, avant appris le meurtre de son frère aux mains de son mari le roi Clotaire 1er, s’était enfuie à Noyon chez saint Médard qui lui donna le voile qu’elle désirait depuis longtemps d’ailleurs, et l’envoya en sécurité d’abord dans l’extra-territorialité du « sanctuaire » de saint Martin à Tours, puis à celle, dit « sanctuaire » de saint Hilaire à Poitiers. Le roi s’était finalement fait raison de cet abandon conjugal aux instances de saint Germain, lors d’une entrevue à Tours en 559, mais mourut deux ans plus tard, en 561. C’est donc son successeur Sigebert qui aida Radegonde dans la réalisation d’un de ses plus fervents désirs. Radegonde était passionnée pour les reliques, en voulait pour sa fondation monastique de Poitiers, et savait que Constantinople regorgeait de tels trésors. Clotaire envoya donc dans la cité impériale une ambassade royale officielle pour en demander. Une telle requête ne pouvait naturellement pas rester ignorée, et le Basileus Justin y répondit généreusement. Ambassade pour ambassade, des envoyée de Justin II vinrent en 569 jusqu’à Poitiers pour délivrer à Radegonde en personne les précieux colis : reliques de martyrs, un évangéliaire d’or, et surpassant tout le reste en valeur, cinq morceaux de la vraie Croix. Tout étudiant en liturgie sait que Venance Fortunat, évêque de Poitiers et aumônier du monastère de Radegonde, écrivit lui-même les belles hymnes Vexilla Regis et Pange Lingua pour être chantées dans la procession qui devait escorter les reliques des portes de la ville au monastère de Sainte-Croix, le 19 novembre de cette année. Que durant leur séjour, les envoyés impériaux parmi lesquels se trouvaient des gens d’église, (on ne confie pas de telles reliques à des laïcs), et les hôtes qui les recevaient, également gens d’église, aient échangé leurs impressions sur leurs rites respectifs, est chose inévitable; que la sobriété, voire la nudité, du rit encore « hippolytain » de Poitiers ait été comparée aux splendeurs des deux entrées byzantines, l’une avec l’Ayos au début de la Synaxe de catéchèse, l’autre avec le Khéroubikon ou un chant équivalent au début de la liturgie eucharistique, est tout aussi inévitable. On conçoit bien dès lors le complexe d’infériorité à Poitiers et le besoin d’y remédier.

Dira-t-on que Poitiers n’est pas Paris, et que le milieu de Venance-Radegonde n’est pas encore le milieu de Germain ? C’est là qu’on se tromperait lourdement. A part le fait que les relations de Germain avec Clotaire étaient constantes et que Germain était certainement au courant, déjà par Sigebert lui-même, de toute la transaction avec Constantinople, Germain était, par dessus le marché, un intime du cercle de Sainte-Croix. Il s’y rendait souvent, accepta, dès 561, d’en consacrer la première abbesse, entretenait un rapport suivi et intime avec Venance Fortunat, si bien que lorsque Germain mourut en 576, ce fut à Fortunat que Ragnemodus, successeur de Germain, demanda d’écrire la biographie du disparu, tant par devoir du mieux informé que par tribut d’affectueuse amitié. Dans cette biographie, deux traits de saint Germain prédominent : le délivreur de captifs, si nombreux en ces temps de guerres et de querelles mérovingiennes, et le liturge. Ce dernier trait, Fortunat ne l’entend pas seulement dans le sens que Germain célébrait bien ; il l’entend dans le sens fort du liturge organisateur du rit des Gaules. Quant Fortunat résume la personnalité de saint Germain, dans l’épithète « nouvel Aaron », il ratifie, sans y être sollicité et sans s’en douter, le « scripsit Germanus episcopus parisius » qui s’inscrit à l’en-tête de lExpositio missae gallicanm.

Monseigneur Alexis VAN DER MENSBRUGGHE