La Divine Trinité et les Noms divins

La queste de l’Esprit

Mgr Jean, évêque de Saint Denis

Les textes sont extraits des cours professés par Mgr Jean, évêque de Saint-Denis
(Eugraph Kovalevsky) à l’Institut de théologie orthodoxe Paris Saint-Denys.

La première partie est extraite de Initiation trinitaire,

Centre Orthodoxe d’Edition et de Diffusion

PREMIÈRE PARTIE
Approche de la Divine Trinité par les Noms divins

I. Noms et nombres

« Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables et incompréhensibles ses voies ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? Ou qui lui a donné le premier pour avoir à recevoir en retour ?

« Car tout est de Lui, par Lui et en Lui. A Lui la gloire dans tous les siècles. Amen. » Épître aux Romains (11, 33-36).

(Dans son texte, Initiation trinitaire, l’auteur, partant de l’intuition « triadique » – c’est-à-dire l’intuition d’une organisation sous forme de triades – que l’esprit humain a spontanément des choses du monde et de la création, constatait l’impuissance de ce même esprit à saisir directement la Trinité, et met en lumière la nécessité de purifier notre intellect, d’autant que le langage humain, lui aussi, est imparfait et inadéquat. Puis il introduit la contemplation de la Divine Trinité manifestée dans Ses Trois Personnes au baptême du Christ dans le Jourdain : le Père qui nomme le Fils, le Saint-Esprit qui repose sur Lui.)

Nous allons nous élever progressivement, comme en gravissant l’échelle de Jacob, vers la Sainte Trinité, en nous appuyant sur le texte le plus sublime, qui est l’hymne que cite l’apôtre Paul : « Tout est de Lui, par Lui et en Lui. » Mais auparavant, poursuivons notre enquête sur les Noms divins des Trois Personnes.

L’apôtre Jean nous révèle en son Prologue le Nom divin : Logos et, dans le Dernier Discours, nomme le Saint-Esprit : Esprit de Vérité. Un verset du psaume 33 nous dit : « Par Ton Verbe, Seigneur, Tu as affermi les deux, et dans le Souffle [ou dans l’Esprit] de Tes lèvres [ou de Ta bouche] est toute leur énergie [ou toute leur vertu]. » D’une certaine manière, par Jean et par le psaume, nous percevons que, dans le monde, les lois, les verbes, les logoï et les énergies sont face à la Loi, au Verbe, au Logos, et à l’Énergie, à la Puissance, à la Force.

Saint Jean Damascène tire parti de cette nomination du Verbe et de l’Esprit, pour discerner par analogie une trinité à l’intérieur de l’homme. L’homme qui pense s’exprime par un verbe : un verbe intérieur, c’est-à-dire une pensée formulée intérieurement. J’entends par intérieur le mot ou verbe non encore incarné, pensé seulement. Car il y a en nous une pensée-source qui se prononce, se formule d’une manière ou d’une autre ; c’est le logos intérieur.

Puis, la pensée formulée en nous s’articule extérieurement en un son, un mot, ce qui est une forme d’incarnation. Je pense, j’essaie à l’aide de mots, du corps des mots et des phrases, d’exprimer ma pensée ; simultanément, coexistent : 1) le mouvement intérieur de l’esprit se manifestant par la pensée, 2) la pensée exprimée par les mots, et, enfin, 3) la puissance, le souffle de cette pensée qui meut, communique la sonorité à chaque mot.

Je cite toujours ce cas classique : on peut s’écrier je déteste et vouloir dire j’aime. Une jeune fille répond souvent à un jeune homme : Je te déteste ! « Déteste » est le sens mais la déclaration d’amour est la véritable intention inavouée.

Cela nous montre que la puissance, la sonorité et le sens sont mêlés, mais point toujours harmonisés en notre langage imparfait et maladroit, fréquemment dépourvu d’une réelle unité.

Le mot, pour révéler totalement sa puissance, doit être adéquat à la pensée, et nos mots ne le sont pas, ils la rendent plus ou moins bien. Nos verbes – notre verbe plutôt – ne sont pas consubstantiels à la pensée. Aussi, la puissance ne correspond pas au sens du mot et l’affaiblit profondément. Lorsque je dis je crois, vous ne recevez pas lapuissance de la foi. Mais si je dis je crois et que la puissance soit véritablement en accord avec le sens du verbe croire, adéquate au mouvement intérieur, alors se manifestera une puissance telle qu’elle pourrait anéantir et supprimer le monde.

J’ai connu un jeune biochimiste qui avait fait de nombreuses recherches et les détruisait ensuite parce qu’il avait peur. C’était un homme curieux, dont les découvertes, particulièrement intéressantes, furent pourtant exploitées pendant la guerre, non pour la construction, mais pour la destruction du monde. Et il me disait : nous faisons toutes ces recherches scientifiques sur la matière mais, en réalité, l’être humain devrait, en regardant une ville, pouvoir la détruire d’un mot, par la prononciation d’un mot, comme Jéricho par le son des trompettes.

Pourquoi n’avons-nous pas la puissance dans le mot ? Parce qu’il se produit un décalage entre le mouvement intérieur de la pensée et ce qu’elle désigne. Ils ne sont pas consubstantiels. De même, la puissance que nous projetons n’est aucunement en corrélation avec notre expression intérieure. Il est curieux de noter que ceux qui étudient la magie verbale et ceux qui se penchent sur l’étymologie parlent deux langages différents. Les premiers scruteront non le sens mais la consonance, la musique. Les seconds étudieront le contenu logique des mots. Deux sciences absolument différentes qui devraient être une et qui ne le sont pas. Imperfection de notre être.

J’ose croire que vous comprendrez cette image : l’analogie de la Trinité en nous, propre à nous, et que vous verrez immédiatement, ne peut être « filioquiste ». Comment expliquerai-je cela ? Le son n’est pas soumis au sens bien qu’il en soit la sonorité, il est parallèle au sens, comme deux choses différentes issues d’une même source.

II. Vers le Fils

Dès que nous prononçons le verbe ou la parole, inévitablement notre pensée se tourne vers l’emploi des mots verbe, parole dans l’Ancien Testament. Or, derrière les paroles de l’Écriture sainte se tient la Parole, le Verbe. Autrement dit, lorsque nous lisons : « Dieu dit et la lumière fut », le mot dit signifie Dieu-Parole, Dieu le Verbe. Dieu dit : « Que la lumière soit » est exactement la même chose que lorsque Jean dit : « Tout a été fait par Lui » (par le Verbe). Dit égale crée, réalisé par le Verbe. De même, quand nous lisons chez les prophètes : oracle ou : ainsi parle, ou : ainsi dit Dieu Adonaï-Seigneur – par exemple dans cette prophétie d’Ézéchiel que je proclame sur une mélopée hébraïque le vendredi saint – dit, c’est le Verbe.

L’Écriture sainte, dès l’Ancien Testament, est pénétrée de la vision du Verbe divin – non point les paroles de l’Écriture sainte, mais LA Parole qui se tient derrière les paroles. Simplifions : quand il y a un pluriel : les paroles, les dons, les énergies, les images, il s’agit de rayonnements, d’images, de manifestations, mais lorsqu’il est écrit : la Parole, le Verbe, l’Image, il s’agit de Dieu, Dieu-Fils, Dieu-Verbe, Dieu-Logos, Dieu-Parole de Dieu.

Quand le Christ annonce : « Celui qui croit à Celui qui m’a envoyé et écoute mes paroles… » cela signifie que c’est parce que les paroles sont prononcées par la Parole qu’elles ont la vie éternelle. Ce ne sont pas les mots de l’Évangile, ce ne sont pas les conseils moraux ou autres, ni l’instruction seulement, qui possèdent la vie éternelle. Mais c’est parce que ces paroles du Christ sont émanation, manifestation de la Parole elle-même, du Verbe. Car toutes les manifestations sont plurielles, semblables aux rayons du soleil, cependant que l’Être qui se manifeste, parce qu’Il est divin, est Un.

Verbe, Logos, Parole : nous voyons que ces mêmes noms, qui sont de même race si je puis dire, peuvent être appliqués au Fils. Logos est une parole mais aussi une pensée. Le Père pense, Sa pensée est Dieu. Une hymne française, très ancienne, chante : « Il a pensé le monde par Son Fils. » Le mot de Dieu-Père, c’est le Fils, le Verbe, le Mot. Nous avons des mots ; Lui, c’est LE Mot, L’Idée, le monde idéal. Il est aussi la Loi, parce que la Loi est une pensée, une conception de quelque chose, la Raison du Père.

Le Fils n’est pas seulement Pensée, Raison et Loi, Il est encore la Sagesse. D’où une multitude de textes où le Fils est nommé : Sagesse. Si Jean dit que tout a été créé par le Verbe et que le Verbe était « vers Dieu », la Sagesse, elle, traverse l’Ancien Testament, les Livres sapientiaux, les Psaumes… : « Tes œuvres sont admirables Seigneur, Tu as tout créé par Ta Sagesse », ou : « La Sagesse a bâti Sa maison, Elle a taillé Ses sept colonnes »; pensez aussi à cette Sagesse qui était dès le commencement, avant la Création, etc.

Nous accédons alors à la théologie de la Sagesse qui s’applique exactement au Fils (et aussi au Saint-Esprit). Car Logos, Sagesse, Pensée, Parole, Mot, Loi, Raison, Intelligence sont de même catégorie. Mais avec la parole on s’exprime, c’est pourquoi l’on peut dire que le Fils est l’expression de Dieu, Dieu qui s’exprime. Et, en même temps, non seulement Dieu, mais Dieu vrai, le Vrai Dieu. Pour être vrai, il faut être deuxième parce que la vérité est toujours sur quelque chose, pour quelqu’un. Si on est seul, on n’est pas vrai.

Qu’est-ce que le vrai ? Si je dis : ceci est un verre en désignant un verre, c’est une vérité. Si je dis : ce verre est une poule, je mens, je ne dis pas la vérité. Si je dis : ce verre est en cristal, je mens car il n’est pas en cristal, mais si je dis que c’est un verre ordinaire sans eau à l’intérieur, je dis vrai. Pourquoi? Parce que je dis exactement ce qui est, c’est-à-dire que le verre est identique à ce que je dis. Identité à soi-même.

Dire d’un homme qu’il est véridique, au sens le plus profond, signifie qu’il est un homme sans camouflage, sans aucune déviation vis-à-vis de son être intérieur. Ainsi levrai, la vérité, suppose l’unité totale dans la qualité de deux : Père et Fils.

Par conséquent, Dieu vrai est Dieu qui engendre le Verbe, le Logos, la Vérité qui est Son Fils.

Arrêtons-nous. Saisissons cette chaîne qui peut aller encore plus loin dans toutes les traditions et philosophies, et ne visons que les mots : logos, verbe, pensée, parole, loi, raison, sagesse, intelligence, expression, vérité.

Nous sommes devant un double sens. Par le Fils, par la Vérité, par le Logos, nous connaissons le Père et le Père qui S’exprime, Se manifeste, Se donne, crée par le même Logos. Retenez, retenez le double sens ! Par le Verbe, le Fils, nous connaissons le Père et par Lui, Dieu Se manifeste dans le monde.

Les noms qui tournent autour du Verbe semblent en nombre infini. A ce propos, je vous conterai une légende. Il est tant de Noms divins que l’on voulut un jour fabriquer une machine perfectionnée qui puisse les dénombrer, sachant que lorsque les Noms divins seraient tous comptés, le monde toucherait à sa fin. On appela des ingénieurs pour construire cette machine, les ingénieurs vinrent mais, pris de terreur, s’en repartirent…

Auprès du Logos et des noms qui l’environnent, nous en avons un que nous trouvons en premier lieu chez l’apôtre Paul, dans les épîtres aux Colossiens, aux Hébreux et dans celle à Timothée. C’est Image, ou Icône. « Il est l’Image de Ta gloire inaccessible », « Image parfaite de la Divinité. » L’Image est parallèle au Logos, au Verbe, car le Logos est une image verbale, sonore, et l’image est une parole vue. L’image est une parole qui est vue et le mot une image entendue. Il existe un rapport intime entre image, parole et verbe : cela se voit clairement, ils se complètent. Image de Dieu, Fils-Image, Image parfaite seront fréquemment employés par les Pères de l’Eglise, semblablement à Parole.

Si l’image trahit, elle n’est pas parfaite; si elle est parfaite, elle est ce qu’elle représente. Si elle se distingue par nature, c’est une image imparfaite. Un portrait n’est pas l’image parfaite d’un homme parce qu’il n’a pas la vie, parce qu’il est dépourvu d’existence, de sentiment. L’image parfaite doit être exactement de même nature, bien que distincte, autrement elle ne serait pas imagée.

Quelques théologiens bibliques et biblicistes prétendent qu’on ne rencontre pas souvent le mot image dans l’Ancien Testament, et rappellent que Moïse défendit de faire des images, icônes ou objets de culte : « Tu ne feras point d’images, ni aucune idole. » Pourtant Adam fut créé à l’image et à la ressemblance de Dieu !

Il y a là une erreur : le but de la lutte contre toutes les fausses images des idoles était la volonté de sauvegarder l’Image unique. Il y a un mot dans l’Ancien Testament qui remplace totalement, authentiquement, le mot image, c’est Face, et quand l’apôtre Paul dit : « Gloire inaccessible », le mot inaccessible se rapporte à cette Image que nous n’imaginons pas. « Ne détourne pas Ta Face », « Que Ta Face brille sur nous… » Face est une expression biblique correspondant exactement à la parole de l’apôtre Paul : Image.

Qu’est-ce que la Face ? Il y a Dieu, mais il y a Sa Face et cette Face brille. Les Psaumes redisent maintes fois que la Face nous éclaire, qu’elle brille, rayonne sur nous. Cette Face de Dieu le Père, c’est le Christ, le Fils, et cela rejoint les paroles de Jean : « [Il était] la Lumière des hommes. La Lumière brille dans les ténèbres », sur tous les hommes, « et les ténèbres ne l’ont point reçue ». Le Christ est Lumière et Face, mais la Lumière qui brille, c’est déjà l’Image. On ne peut donc résumer, s’arrêter à la Parole, il est nécessaire d’introduire la Face lumineuse qui rayonne, Dieu-Face.

« Devant la Face du Seigneur », « Je tremble devant la Face du Seigneur »… Certes, les images des idoles sont supprimées, mais les justes de l’Ancien Testament vivaient devant la Face du Seigneur qui les regarde, qui est présent, et « les chérubins se couvrent le visage devant la Face du Seigneur ».

Le nom Face suscitera une série d’autres noms convergents. Tout d’abord, le Fils est Prototype, Protoimage du monde. Tous les univers que crée le Père par le Fils dans l’Esprit saint sont toujours à l’image de cette Beauté éternelle et divine qu’est le Christ. Il crée par Lui comme par un genre de rayonnement :

« Il S’enveloppe de la lumière comme d’un manteau. »

La Création est un ornement de cette Beauté première. On pourrait presque dire que l’Incarnation n’est qu’une des manifestations de cette Beauté prééternelle et divine, hors du temps, qui est le Fils, la Face lumineuse, le portrait, le prototype et proto-image, proto-icône de toute créature.

La Face est véridique. Elle est Vérité, mais Vérité vue. Il s’agissait d’abord de la connaissance de la Vérité pensée, entendue ; maintenant nous découvrons la Vérité vue. Car l’Image-Face-Lumière nous conduit dans la connaissance de la vision, du vu. Reflet du Père, conscience se reflétant et prenant conscience, reflet et conscience du Père en même temps que le reflet de Dieu vers le Monde, signe du Père : une fois de plus revient l’idée platonicienne, non pas idée en tant que pensée, mais idée comme proto-image.

Nous touchons à présent une autre définition, une autre dénomination de la deuxième Hypostase : le Nom. « Sauve-moi à cause de Ton Nom ! » On s’adresse au Père : « Sauve Ton peuple à cause de Ton Nom. » Alors le Nom est Dieu mais non la même Personne.

« Sauve-moi à cause de Ton Nom. » Le Nom sera encore un autre aspect, réunissant Logos et Vision, penser et voir.

L’enseignement des juifs, appelé maintenant Kabbale, nous dit que l’étoffe du monde créé par Dieu est l’alphabet : 22 lettres dont la combinaison forme la multitude des formes diverses et des différents aspects de ce monde. De cette conception est issue la science sacrée des 22 lettres de l’alphabet juif. Et le Christ déclare dans l’Apocalypse qu’Il est l’alphabet. « Je suis l’alpha et l’oméga », c’est-à-dire : en Moi sont toutes les lettres, toutes les formes, tous les mots prééternels d’avant les temps. Car Je suis le Prototype du monde et Je le contiens.

Alpha et oméga. Il est particulièrement intéressant de constater qu’une lettre est déjà un mot, une pensée en même temps qu’un dessin, une vision, une icône, qu’elle réunit les deux aspects.

Et voici, la vraie connaissance est toujours oreille, pensée, yeux. On voit, on réfléchit, et quand on réfléchit, il n’y a pas que ce que nous entendons mais aussi ce que nous voyons. Comment voyons-nous? Spatialement, non spatialement, figurativement, sans figure, avec images, sans images ? Peu importe : nous voyons en pensant. La pensée renferme toujours un aspect de l’image.

Après le Nom, qui ramasse tout l’alphabet en un mot immatériel et éternel, nous arrivons au Nombre. Pourquoi le Fils est-Il le Nombre, non les Nombres : 2, 3, 4 ou 5, mais le Nombre ?

Un, est-ce un nombre ? Non. Le nombre, c’est le deux dépassé et, même pas vers le trois : là où est le nombre doit être la multitude, là où est la multitude il n’y a point de perfection. Nous devons alors trouver une multitude qui soit parfaite et une.

Je reviens à cette notion de nombres. En général, le nombre le plus simple est un rapport. Sans rapport, il n’y a pas de nombre mais des chiffres. Si vous mettez 1 + 1 + 1, sans lien entre eux, ils ne pourront devenir deux, ni trois; sans rapport, point de nombre. Le plus simple des rapports, c’est A et B qui ont un certain rapport entre eux : un et deux, ou un et un, qui devient deux. On pourrait pousser plus avant, je saute…

Le nombre est donc le rapport seulement – sans nombres. Par exemple, considérez le deux en écartant les deux unités, en pénétrant au milieu, coeur du deux, en le prenant comme s’il était le nombre le plus simple, et en conservant seulement le rapport en soi.

Nombre, nom, verbe, pensée, icône, image, face, vérité, réflexion, sagesse, raison, tous ces noms se grouperont alors autour, tous se saisiront d’une certaine manière, car on peut aussi bien dire : figure sans figure, la plus parfaite figure.

Discernez-vous toute la théologie allant cataphatiquement du positif vers une forme parfaite, un verbe-logos parfait, apophatique : vers le Fils? Mais il existe un manque à ces noms. Nous possédons un nom plus parfait que Logos, Image, Face de Dieu, Reflet, Vérité, Expression, Loi : c’est Fils.

Pourquoi Fils ? Comme je le disais au début, ce nom est gênant. Tout d’abord parce qu’il ramène immédiatement aux rapports humains entre père et fils, nous introduisant en un certain anthropo-morphisme familial, social, humain. Mais là, les Pères nous dirigent admirablement. Parce que se manifester ou être véridique, ce n’est pas tout : Dieu dans Sa perfection est aussi un Dieu qui Se crée Lui-même, qui oeuvre. Athanase d’Alexandrie, par exemple, répondra aux ariens : « Notre Dieu n’est pas impotent ni oisif, Il est architecte de Sa propre divinité. » Il ne serait jamais devenu créateur des mondes s’Il n’était pas créateur de Lui-même. Il S’œuvre Lui-même. Il n’aurait jamais osé demander aux hommes d’œuvrer, de réaliser, s’Il n’était pas dans Sa nature Ouvrier, Réalisateur, Porteur de fruits.

Qu’entendons-nous par Fils vis-à-vis du Père, au sens absolu ? C’est celui qui est engendré. « Je T’ai engendré avant l’aurore. » Dieu engendre sa propre divinité! Et c’est dans cette filiation que s’accomplit l’Image véritable, vivante, pleine, épanouie, la vraie Parole. « Parole » n’est pas encore pleinement réalisé; avec « Fils », nous disons que notre Dieu est réel, que la réalité de Dieu c’est le Fils concret, réel, vivant. Il n’est pas un Dieu potentiellement Dieu, Il Se réalise, est réalisé de toute éternité comme Dieu.

« Le Seigneur a dit à mon Seigneur », le Puissant dit au Puissant. Voilà l’essentiel : il y a le Fils, le mystère de la filiation. Le Fils (non pas nos fils selon la chair si souvent différents des pères…), c’est la réalisation. L’homme qui crée une oeuvre d’art enfante. Celui qui crée, même des idées philosophiques, même son âme, même la perfection spirituelle, on peut dire qu’il enfante. Quand nous arrivons dans la réalité, il y a enfantement. Tant que nous demeurons dans les manifestations, les logoï, nous sommes spectateurs, mais ici nous sommes en face d’une réalisation plénière.

C’est la raison pour laquelle Il est appelé FILS. Et l’Évangile précise : nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils. « J’ai dévoilé Ton Nom », dira le Christ dans Son Dernier Discours – et ce nom est Père. Dans le thème baptismal, le Christ n’a pas commandé : Allez, baptisez au nom de Dieu, ou au nom du Père, du Verbe et du Saint-Esprit, mais au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, parce que le Fils englobe tout. Il réalise.

J’insiste encore sur la valeur du nom de Fils, en indiquant combien nos fils et nos filles, nos maternités et nos rapports humains, sont imparfaits. C’est pourtant moyennant l’imperfection de nos rapports filiaux ou paternels que nous pourrons mieux discerner les rapports dans leur sens absolu, en soulignant avant toutes choses que, selon l’apôtre Jacques : « toute paternité vient d’en haut » – il ne dit pas que toute filialité vient d’en haut.

Le Christ insiste : « Je suis le Fils de l’homme », pour désigner qu’Il est homme véritablement, non illusoirement : ni plus ni moins. Jean dit : « Le Verbe fut chair », il appuie sur le mot chair pour désigner qu’Il est devenu matière véritablement. Il en est de même lorsque l’on dit « Fils de Dieu » pour désigner qu’Il est Dieu véritablement. Fils de l’homme, non parce qu’Il est Fils parmi les hommes, mais Homme avec un grand H. Il est l’Homme, la synthèse de l’humanité, sa plénitude, car en Lui elle est récapitulée. De même, quand Il dit « Fils de Dieu », Il exprime qu’Il est Dieu véritablement.

Fils ouvre à la réalité de Dieu qui engendre, qui œuvre. Ces expressions, presque matérielles ou biologiques, sont les plus exactes, les autres restent intellectuelles. Ici, on prend les mots dans un domaine concret pour les projeter dans la perfection et la plénitude de la vision.

Comme dira Denys l’Aréopagite : quand vous cherchez des signes pour le signifié, des images pour la Proto-image, attention ! Choisissez toujours dans le plan inférieur. Plus l’image est matérielle, plus elle est exacte pour le Divin. Mais plus l’image est supérieure, et plus elle est confuse, plus elle est dangereuse, parce qu’elle n’est pas justement tout à fait. Pour que l’image soit parfaite, le rapport de l’image à son sujet doit être transcendant. Ainsi, une roue imagera mieux les formes angéliques que les sentiments nobles d’un musicien!…

Procédons donc de la multitude des Noms vers cette pensée abstraite : de, par, en. Abstraite non du point de vue rationnel, mais par l’abstraction des éléments secondaires naturels.

J’ai souligné que les noms donnés au Fils, tels Expression, Icône, Logos, Loi, Pensée, etc., peuvent, en réalité, être résumés dans l’idée de rapport. Rapport exprimé sous la formule de A en rapport avec B. Pour qu’il y ait vérité, loi, ordonnance… il doit toujours y avoir rapport entre deux éléments. Le préfixe dia (en latin : per) est un rapport.

La deuxième Hypostase s’aborde en contemplant un deux qui éclate. C’est-à-dire que A et B n’existent plus dans le rapport, la matière n’existe plus! Le rapport existe seul, sans les objets qu’il met en rapport.

La vérité est toujours sur quelque chose. Michel a de beaux yeux, direz-vous, et Jacques est en soutane, voilà deux vérités très simples. De même que deux et deux font quatre est aussi une vérité. La vérité, les vérités, sont toujours une chose, une attitude, une opinion, une décision, une opinion sur, ou entre deux.

Dans la vérité hypostatique, deux disparaît, le rapport demeure. C’est pourquoi, lorsque nous disons : deuxième Hypostase, nous ne parlons ni d’un nombre, ni d’un chiffre, ni de quantité, ni même de qualité, nous nommons le Deux qui éclate, le Deux dépassé qui dépasse, non calculable. Selon la pensée de saint Grégoire le Théologien, c’est le Fils.

III. Le Saint-Esprit

Prenons à présent – pour arriver ensuite au Père – la troisième Personne. Dans cette hymne : Tout est de Lui, par Lui, en Lui, c’est par en Lui qu’elle est célébrée.

Quels noms donne-t-on au Saint-Esprit dans les Écritures saintes, dans la patristique, dans la contemplation de cette Personne ? Ces noms sont énigmatiques, presque imprononçables, parce que l’on peut les employer aussi pour les autres Personnes de la Trinité. Leur regroupement, cependant, leur insistance peuvent nous diriger d’une manière aussi exacte que les noms du Fils. Quels sont ces noms ?

Souffle, Vie, Esprit de Vie, Souffle de Dieu, Esprit, Feu, Langues de feu, Vent, Amour – Amour comme Éros opposé à Philia, laquelle renferme le rapport. Amour comme une puissance, un feu surgissant en notre âme. Mouvement, Déplacement, Changement, Rénovation.

« Tu envoies Ton souffle et Tu renouvelles la face de la terre. » Renouvellement, Transformation, Transfiguration, Régénération, Épanouissement, Remplissement (« Celui qui remplit tout »), Saisissement (Le Saint-Esprit S’empare…), Choc, Inspiration, Ivresse,

Transport… Lorsque nous énumérons les noms de Celui qui transporte, transfigure, change de place, meut, procure les énergies, les dons, qui pénètre, choque, inspire, enivre, insuffle, donne la vie et procure la chaleur de l’Éros; lorsque nous groupons tous ces noms, lorsque nous les regardons, comme nous l’avons fait pour les noms du Fils – et nous pouvons en trouver et en ajouter d’autres -, nous sommes conduits à une réalité qui est différente du Logos.

Comment les saisir dans leur déplacement multiple ? Comment, par ces nombreuses appropriations, aller à une certaine contemplation directe ? Que discernons-nous en eux ? Y a-t-il une vie sans mouvement ? Quelle est la forme la plus simple de la vie ? Un mouvement. Et qu’est-ce qu’un mouvement ? Un changement. Lorsque nous parlions du rapport entre A et B, nous contemplions le rapport en faisant abstraction des objets qu’il met en rapport. Mais ici nous regardons la vie, ce que nous nommons vie. Et le mouvement résulte d’un choc par un changement. Si la chose se déplace, elle change. La vie est impensable sans changement. Comment alors le changement qui procure la vie se produit-il, et comment donne-t-il l’énergie ? Prenons l’exemple d’un atome. Bombardons-le avec un neutron, le changement survient – ce n’est pas le neutron qui m’intéresse mais l’atome! La bombe atomique est caractéristique comme image du Saint-Esprit – qu’elle soit constructive ou destructive, peu importe pour le moment, et chacun sait que le feu est destructif et constructif. Que se produit-il ? Quelqu’un bombarde la particule, provoque le choc, et pénètre dans ce quelque chose d’où surgit le changement : une force naît.

Reprenons les valeurs A et B employées précédemment pour désigner un rapport, et bombardons A avec B. Des énergies, des forces surgissent – appelons-les C – et A est transformé. Il n’y a point de changement sans qu’il y ait trois éléments, et nous dirons : trois, c’est la vie, tandis que deux, c’est la lutte ou l’harmonie.

Donc, si nous voulons contempler la vie en elle-même, l’Éros, l’Esprit saint comme énergie hypostatique, ce qui emplit le en-soi, nous supprimerons A et C, et il restera ce quelque chose d’énigmatique qui engendre le changement, parce que c’est A qui change. Nous pouvons alors discerner que l’énergie et la vitalité sont, précisément, cemerveilleux qui se trouve derrière : l’inexprimable !

Le rapport est exprimable, mais ce qui fait le changement n’est ni A, ni B, ni C, leur résultat ou fruit. Le changement est inexprimable! Dans l’accouplement même, deux forces se rencontrent et donnent naissance à un troisième terme. Ce ne seront pourtant ni le deux ni le troisième que nous nommerons vie, mais la rencontre des trois.

Ce qui est en-soi, ce qui est la Vie divine ou Esprit, est un trois qui, lui aussi, a éclaté et qui, comme le deux, s’est débarrassé de toute contingence, de tout ajout. Ainsi, Il est trois, non parce qu’Il est le troisième par ordre (taxis, dira saint Basile), mais parce qu’Il est Vie, Esprit.

De même, le Fils est deuxième après le Père. Je dis après, bien qu’il n’y ait ni après ni avant, parce qu’Il est le rapport, l’icône, le Verbe, l’expression.

IV. Le Père

Approchons-nous maintenant du Père. Serrons-nous le plus possible et le plus humblement possible de cet ex ou de ce pros, c’est-à-dire de ces de et vers. Les deux termes expriment la même chose. Je parlerai ensuite des différentes expressions dans ce domaine car nous ne devons pas nous illusionner : tout n’est qu’approximation. Comment pouvons-nous, selon les Écritures et la patristique, cerner et entourer le nom du Père ? Par quels autres noms nous approcher de Lui ?

Citons déjà : Origine, Source, Principe, Père. Celui qui engendre mais est Inengendré, de qui tout est, vers qui tout est, Principe sans principe, Source sans source, Origine sans origine, qui est et qui n’est de personne, qui est et qui n’est vers personne, Abîme sans fin, Entrailles, Fond sans fond.

Comment, comment le pressentir, par quels verbes ? Nous dirons ceux-ci : extraire, sortir, engendrer, tirer de, extase, sortie de soi, expansion. Par quels noms négatifs élèverons-nous notre contemplation ? Non engendré, sans principe, inexprimable (autrement Il serait le Fils) et, simultanément : Toute-Possibilité, Toute-Puissance, Toute-Probabilité, Toute-Potentiabilité ou encore : Celui qui est l’origine de Dieu et de tout, Père de Dieu et de tout, qui est le Silence non retenu. Je dis non retenu, parce que le silence qui ne peut s’exprimer n’est plus une source, c’est une retenue, une fermeture, donc une imperfection.

Et nous touchons la Monade : Un. De quelle manière ? Il est Un sans être un dans une série : Il n’est pas le premier de la série, Il est Un. Mais attention ! Un sans êtreUn en soi, sans être infécond, stérile, statique, satisfait de son Être-Un. Car le Un en soi n’est pas extatique, ne s’ouvre pas, s’oppose au multiple, voire se pose, et alors n’est plus la Source.

Ici se dresse alors devant notre regard un autre mystère : Un fécond de Dieu. Un, s’il était refermé sur lui-même, deviendrait un nombre. Un est dépassé, de même que Deux est dépassé par le Rapport, de même que Trois est dépassé par cette transformation, et nous approchons du centre, du Noyau-Un, de la Source ou Paternité. Pour aller vers la contemplation des Trois Personnes, les quelque chose doivent disparaître.

L’Hypostase n’est pas quelque chose, elle n’est pas toute la chose. Elle n’est pas non plus la nature. Voulez-vous contempler les Hypostases ? Alors, sachez-le : le moindre coloris, la plus infime pesanteur, la chose la plus subtile, je dirai même la plus sublime comme l’amour, sont lourdes par rapport à elles. La Trinité aime en tant qu’un seul Dieu, chacune des Trois Personnes participe à l’amour en tant que Trois Personnes, mais même cet amour est pesant s’il est semblable à un élément accroché à la contemplation de la Personne ou Hypostase.

Telle est la raison pour laquelle la Monade éclate. Le Père est Un qui a – si j’ose dire – un trou dans le ventre, Un impénétrable et Source, pourtant, les Entrailles paternelles comme chante l’Eglise, ce But sans fin. Écoutez saint Grégoire le Théologien, en son langage imagé : « La Monade se dirige vers la Diade et s’arrête à la Triade, étant Un. »

Ces essais de contemplation nous permettent de dire : la Première, la Deuxième, la Troisième Personne de la Trinité, mais nullement – je le répète – parce que l’une conditionnerait l’autre. Chacune est l’Un, en rapport avec l’Un, avec l’Autre et avec la Troisième, toutes Trois en rapport dans l’Unité mais différentes et distinctes.

L’Un-Source est en rapport avec le Fils et l’Esprit. Le Père n’a pas engendré le Fils pour le placer en face de Lui. Il L’engendre prééternellement (le Fils, dans l’Incarnation, sort de la mère, certes, mais dans le Père). Le temps n’existe pas dans la Trinité. L’Un engendre perpétuellement, le Fils sort toujours de la Source de même que l’Esprit. Mais toute divinité se manifeste par le Fils et devient le rapport, et toute divinité vit le changement perpétuel dans l’immuabilité, dans l’Esprit.

Nous proclamons : du Père seul est le Fils, du Père seul est l’Esprit. Par le Fils seul, le Père Se manifeste. Par le Fils seul, l’Esprit est donné ou se donne. Dans l’Esprit seul, le Fils est engendré par le Père. Et dans l’Esprit seul, le Fils manifeste le Père.

V. Le plan de l’économie

Revenons au Saint-Esprit dans le plan de l’économie, si proche de nous. Nous rencontrerons un étrange mystère : c’est, en effet, le Fils qui Se manifeste, S’incarne et supporte les deux natures, divine et humaine. Étant Dieu-Rapport, Il accepte d’être le rapport harmonieux entre A et B, entre la divinité et l’humanité, sans mélange ni confusion. L’œuvre du salut, l’économie du Fils sont basées sur ceci : Dieu devient homme pour que l’homme devienne dieu ! Il meurt pour ressusciter. Il descend pour monter, sauvegarde la nature humaine tout en l’unissant en lui, en un rapport parfait à la nature divine. Mais aussitôt que l’on arrive à l’économie du Saint-Esprit, apparaît le trois. Quel trois ? L’action de l’Esprit et l’énergie de l’Esprit, l’action de l’esprit et l’énergie de l’homme : y a-t-il possibilité d’avoir un rapport entre l’Esprit et l’homme? Non, si l’on n’a pas le troisième terme : le Christ incarné et ressuscité – ou le Diable !

Dès que nous touchons expérimentalement, ou historiquement, à l’action du Saint-Esprit – chacun a en lui l’Esprit saint, son propre esprit et un autre esprit – il faut comprendre que seules la pénétration du Christ en nous et notre pénétration dans le Corps du Christ peuvent expulser le Diable. Trois agissent en nous : le Fils, l’Esprit, et nous. Le Christ nous l’enseigne : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » et «J’enverrai » le Paraclet, l’Esprit qui viendra en vous. »

La Pentecôte nous envoie et le Christ et le Saint-Esprit, qui sont tous deux avec le Père. L’action immédiate en nous, la voici : Père et Fils et Saint-Esprit; et voilà ce que nous sommes : nous, Christ et Saint-Esprit. Rester dans deux, c’est demeurer en dehors de la Pentecôte. La vraie sanctification dans le Saint-Esprit n’est jamais duelle (Dieu et homme, fidélité au Christ et renoncement à Satan, etc.), elle est trielle. Car on ne peut recevoir la grâce divine sans la conscience des valeurs humaines; on ne peut unir les dons naturels aux dons surnaturels sans connaître ce qui est inférieur à la nature, c’est-à-dire le péché.

Seule la vision trielle peut nous mettre en contact avec la troisième Hypostase. Lorsqu’on enseigne une anthropologie composée de deux éléments : esprit et matière, au lieu de : esprit, âme et matière, immédiatement le Paraclet s’estompe et devient une chose imprécise. Dans l’action puissante du Saint-Esprit, dans l’expérience pentecôtiste, tout se triadise, tout devient trois, bien que l’on ne voie pas les Trois.

Combien il est difficile de penser trois, combien plus il est aisé de penser deux ! Toutefois, je vous l’affirme, et j’y insiste, l’action de l’Esprit Saint, après la Pentecôte, nous a divinement ouvert le trois.

VI. Vers le silence total

Nous avons insisté sur cette hymne où le Père est de, le Fils par, et l’Esprit en. Mais même cette précision est relative. Nous pouvons dire à la fois que nous sommes sanctifiés par l’Esprit et pas seulement dans l’Esprit; que notre salut vient du Fils et pas seulement par le Fils. Toutes ces précisions, dès qu’elles se durcissent, dès qu’elles prennent une attitude quasi immuable, peuvent alourdir notre contemplation. On doit les retenir comme ce que l’homme peut dire de mieux mais, les ayant retenues, il faut n’être emprisonné dans aucune définition. Nous ne pouvons ni renoncer aux définitions et à la pensée ni être enchaînés, car « telle est la théologie trinitaire : chaque fois que l’on a défini quelque chose avec clarté, il faut infatigablement l’écarter encore une fois et aller plus loin une fois encore ».

Dans cette hymne, ces trois termes : de, par, en ne sont que des démarches de chaque instant pour se dépouiller des idoles intellectuelles, intuitives et autres. Mais en éloignant toutes les idoles, toutes les conceptions, tous les concepts, il faut veiller à ne point tomber dans l’imprécis, à marcher vers une précision parfaite bien qu’indéfinissable.

Et comme l’être humain ne peut se dépouiller absolument de conceptions, il tâche alors de se purifier toujours davantage et, enfin, parvenu à un certain stade, de contempler le silence total. Ce silence total renferme, non quelque chose d’imprécis, mais la chose la plus précise et la plus claire possible, réellement indéfinissable et insaisissable par la conception.

Devrons-nous pour cela renoncer à tout effort intellectuel ? Non, bien entendu, parce que en renonçant nous tomberions dans l’à-peu-près et dans un autre danger : l’émotion ténébreuse.

Je pourrais nommer la théologie trinitaire : une ratio renonçant progressivement à la ratio pour parvenir à ce quelque chose où, tout en s’exprimant et en saisissant le monde entier à la lumière de la Trinité, l’on est libéré de toute ratio et de toutes conceptions. Qu’est-ce à dire ?

Tant que l’on contemple la Trinité en se projetant dans la Création, les conceptions naissent nécessairement. Elles ne sont pas tout à fait exactes, mais elles sont pourtant des approches très exactes de la perfection de la Création ; elles procurent la vision d’une clarté absolue appliquée au monde relatif.

Tout au long de cette analyse, nous nous sommes efforcés de monter et redescendre. Lorsque l’on redescend et s’alourdit, on se colore d’une certaine individualisation, lorsque l’on remonte, on perd de vue la définition, mais elle ne devient pas inexistante parce qu’en redescendant, elle nous permet de saisir jusqu’à quel point elle est ça– pas un cheveu de plus ni à droite ni à gauche.