Pèlerinage en Ukraine 2000

Quinze jours en Ukraine

Après un bref passage par le Patriarcat de l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne à Kiev, entre l’arrivée à l’aéroport et le départ en train, notre pèlerinage débute de fait le 11 juillet par la visite de l’Ukraine occidentale. Ce jour est l’une des fêtes de saint Benoît de Nursie dans le calendrier occidental, ce qui nous rappelle que nos relations avec cette.Eglise d’Ukraine sont placées sous le patronage du patriarche des moines d’Occident (dont la vie et l’œuvre étaient le centre de la réunion oecuménique à laquelle quatre des nôtres ont participé à Kharkov en janvier de cette année [1]).

A Jovkva, non loin de la fron­tière polonaise, nous sommes reçus par le père Petro, recteur de la paroisse orthodoxe ukrainienne Saint-Lazare. Spontanément, sans avoir été avertis de notre venue, le père Petro et sa femme invitent les deux prêtres (le père Francis DesMarais et moi-même) et les huit laïcs des diverses régions de France qui les accompagnent dans ce pèlerinage, à participer dans leur église à un molebene [2] d’actions de grâce pour notre visite en Ukraine.

Le soir, ceux qui ont résisté à la fatigue du voyage en train de la veille et aux visites de la jour­née se rendent à la cathédrale Saint Pierre – Saint-Paul de Lvov pour les offices des Vêpres et des Matines, présidées par l’évêque Makarios, qui fera lui-même l’onc­tion d’huile aux nombreux clercs et fidèles présents, à l’occasion de la vigile de la fête des deux grands apôtres. [3]

En présence de Véra, l’une des filles du défunt patriarche Dimitri, notre délégation va chanter une pannykhide [4] sur sa tombe, atte­nante au mur nord de la cathédrale. Nous sommes invités à des agapes par la Fraternité de Saint-André le Premier appelé, asso­ciation de laïcs (dont Vera est l’une des responsables) œuvrant pour la diffusion de l’histoire de l’Eglise orthodoxe et pour l’assistance aux orphelins, aux malades et aux alcooliques. L’accueil est cha­leureux et simple : les conversa- t.tions et les toasts échangés rappel­lent les liens entre nos pays (initiés entre autres par la princesse Anne de Kiev qui épousa Henri Ie’ de France en 1051) et la ressem­blance entre nos.Églises toutes deux bien vivantes et qui con­naissent en ce moment des diffi­cultés d’organisation similaires.

Quand nous arrivons le lendemain matin vers 9 h 30 à la cathédrale, la première liturgie se termine et des prêtres forment une procession pour bénir les eaux à l’extérieur de l’église, si­tuée dans un grand parc. Il pleut à verse, ce qui ne semble pas décou­rager les centaines de fidèles venus chanter la gloire des deux saints patrons de leur cathédrale, où œuvra de longues années comme prêtre le défunt patriarche.

Avant la liturgie, dans une chapelle latérale, nous assistons au baptême d’un bébé, prénom¬mé Roman, baptisé par aspersion selon la coutume en Ukraine. Père Francis et moi-même sommes invités à l’autel, la liturgie est pre¬nante par la beauté du lieu (des icônes et des fresques agrémentées d’ornements baroques impecca¬blement soignés), par la beauté des chants et la ferveur des fidèles. A la fin de la liturgie, il nous revient l’honneur de porter l’Évan¬gile durant la procession autour de la cathédrale, derrière les ban¬nières multicolores portées par des jeunes filles en habits traditionnels et, devant la dizaine de prêtres et d’archiprêtres qui con­célébraient autour du père Ihor, recteur de la paroisse voisine de la Dormition.

C’est la fin du jeûne et tan­dis que nos huit fidèles sont à nouveau invités par la Fraternité Saint-André, les deux prêtres sont emmenés chez le père Mikolaï, recteur de la cathédrale, qui reçoit tous les concélébrants et leurs épouses. Le rituel des toasts se prolonge tard dans la soirée, dans une assemblée joyeuse où se célè­bre aussi l’amitié nouvelle entre des frères qui partagent la même foi orthodoxe, dans le creuset d’É- glises enfantées par des hommes apostoliques de la même trempe.

Le lendemain, le 13 juillet, nous allons vers l’Est ( “la lumière de l’Orient’). Nous avons la grâce de passer plusieurs heures à la superbe Laure de Ptochaïev. Ici, au début du XIIIe siècle, la Vierge apparut à un moine et à un berger, témoin l’empreinte de son pied dans la pierre protégée par une châsse dans l’église principale. Ici, s’illus­tra un higoumène, saint job à qui notre liturgie a emprunté les admirables strophes des Vêpres de la Commémoration des fidèles défunts. [5]

Contrairement aux trois autres laures [6] de Russie et d’Ukraine, celle de Potchaïev n’a jamais été. fermée durant les persécutions du communisme. Elle domine sur une colline, telle un bastion de l’orthodoxie en cette région influencée par le monde catho­lique romain. Avec l’aide de nos deux guides, qui se font nos avo­cats, un moine de la Laure (qui dépend du Patriarcat de Moscou) ouvre spécialement les portes du tombeau de saint Job, situé sous l’église principale. Instant béni où nous nous recueillons dans le silence, priant notamment pour l’Église d’Ukraine, pour l’Église de France, protégées par la mul­titude des saints qui les engen­drèrent.

saint job

Saint Job de Potchaïev

Le 14 juillet, nous sommes à nouveau à Kiev, pour une jour­née de semi-repos. L’Ambassade de France – que nous souhai­tions contacter pour favoriser l’ob­tention des visas de nos amis ukrainiens – est fermée. Quelques téléviseurs retransmettent le défilé des Champs-Élysées, qui nous rappelle soudain la Fête nationale. Sans nous attacher aux paroles guerrières de la Marseillaise, nous chantons dans nos cœurs pour notre pays et ceux qui nous sont chers.

C’est aussi la fête de saint Nicodème de la Sainte Montagne et nous planifions d’aller le len­demain prier tous les saints moines de la Laure des Grottes de Kiev, haut lieu de prière du christianis­me slave, dont le premier père spi­rituel saint Antoine s’installa dans une grotte de Kiev en 1028 après un séjour de plusieurs années au Mont-Athos.

En attendant cette heure, nous visitons l’ancienne ville de Kiev : les fondations de l’église Notre Dame de la Dîme, ainsi appelée parce que saint Vladimir la fit construire vers 990 en donnant le dixième de ses possessions, la cathédrale Sainte-Sophie construite par son fils Iaroslav (le père d’Anne, reine de France) en 1025, toujours mu­sée d’Etat depuis l’avènement du communisme (et ouverte seule­ment au culte lors de l’intronisa­tion du patriarche Mystyslav le 18 novembre 1990, après son retour d’exil des Etas-Unis).

La Laure des Grottes de Kiev abrita jusqu’à mille cinq cents moines (il y en a moins d’une cen­taine aujourd’hui) : des anacho­rètes vivaient initialement dans les deux grottes (les “proches” et les “éloignées”), puis saint Théodose introduisit la pratique cénobitique [7] avec la règle de saint Théodore le Studite. Munis d’un cierge, nous déambulons dans les grottes où sont vénérées les tombes de cent dix-neuf saints de Kiev dont les corps n’ont pas été corrompus par le temps : ce sont essentiel­lement des moines, parmi lesquels les saints fondateurs Antoine et Théodose, des saints évêques et des métropolites de Kiev qui vécurent en ce lieu avant leur élection, des thaumaturges comme saint Grégoire des Grottes, des saints de toutes sortes comme saint Nestor l’Annaliste qui écrivit la fameuse Chronique des temps passés [8], ou saint Alype, patron des icono­graphes russes. Chaque jour, des centaines de fidèles, de tout le pays et de toutes contrées, défilent ici dans le silence et la prière : la tradition dit que la moitié des péchés de ceux qui font ce pèle­rinage sont effacés. Vingt-cinq crânes de saints sont exposés dans une vitrine latérale : sept d’entre eux, dont celui de saint Clément de Rome [9], suintent régulièrement de l’huile, notamment lors d’of­fices d’actions de grâces célébrés devant de nombreux fidèles.

La Laure comporte de nom­breuses églises. La plus impor­tante, celle de la Dormition, fut détruite par des bombes durant la deuxième guerre mondiale : de nombreux ouvriers s’affairent à sa reconstruction. Sur le mur du fond de l’église de la Sainte Trinité, nous découvrons une fresque du XVIIT siècle représentant les Pères du premier concile de Nicée : l’empereur préside, saint Athanase parle… et saint Nicolas gifle l’hérétique Arius.

Notre soirée se termine dans un théâtre de Kiev pour écou­ter les magnifiques chants reli­gieux et folkloriques de l’ensemble Boïan, que nous avions rencon­tré à Bordeaux en septembre 1998 où ils chantèrent notamment dans notre chapelle de l’Exaltation de la Sainte-Croix – Saint-Paulin de Noie pour le mariage d’un de leurs solistes avec une française d’origine ukrainienne.

Prêtre Jean-Louis Guillaud (A suivre)

[1]. Cf J.O.I.E. N° 150 et 151 (février et mars 2000).

[2]. Mot slave désignant un service votif d’actions de grâces, un office d’interces­sion célébré en diverses circonstances.

[3]. Le 29 juin dans le calendrier julien, qui correspond au 12 juillet dans notre calendrier.

[4]. Mot d’origine grecque signifiant “toute la nuit” et désignant un office des défunts, souvent abrégé.

[5]. Célébrées le soir du 1er novembre.

[6]. Grand monastère qui comprend plusieurs églises dans son enceinte.

[7]. Les moines cénobites vivent en com­munauté, tandis que les anachorètes sont des ermites.

[8]. Cette chronique relate notamment la quête du christianisme par saint Vladimir et le baptême de la Russie kiévienne dans les eaux d’un affluent du Dniepr en 988.

[9]. II nous a été donné la grâce de recevoir et de ramener pour notre Eglise un peu de cette huile de saint Clément, troi­sième pape de Rome, martyrisé en Crimée en 101, patron des canonistes. Il est notamment connu pour sa Lettre aux Corinthiens, dont le but était de régler un conflit d’autorité hiérarchique au sein de “l’Église de Dieu qui séjourne à Corinthe”. Ses reliques, initialement retrouvées en Crimée par saint Cyrille et saint Méthode, furent apportées à Kiev par saint Vladimir.

Solange-Thérèse de la Debutrie

Solange de La Débutterie est née au ciel le jour suivant l’Exaltation de la Sainte-Croix, le vendredi 15 septembre à 20 h 30. (Elle aurait fêté ses soixante-quinze ans trois jours plus tard).

Le lendemain, à l’hôpital, des membres de sa famille, quelques amis et des fidèles de la paroisse-cathédrale Saint-Irénée à Paris se réunissaient autour d’elle. Une pannykhide fut chantée, suivie de la prière à Marie, Mère de Dieu, dix fois répétée – prière qui apportait paix et réconfort à Solange-Thérèse. La liturgie d’en­terrement eut lieu le 20 septembre à Saint-Irénée.

La personnalité de Solange- Thérèse avait contribué à la faire connaître au delà de cette paroisse où depuis des années elle venait prier presque tous les jours, jusqu’à ces derniers mois où sa santé ne le permit plus.

Comme l’a dit Père Paul Pidancet dans son oraison funèbre, elle était une combattante, selon la propre expression de Solange-Thérèse, une “guerrière”. Ce mot, continuait-il, peut résumer sa vie. Elle combattait depuis de très nombreuses années pour vivre avec sa maladie. Non pas qu’elle se soit accrochée à la vie, mais elle luttait “héroïquement” pour tenir.

Ce combat, elle le menait non seulement pour persévérer malgré son corps souffrant, mais également, avec ténacité dans tous les actes de sa vie. Et, si nous la trouvions souvent difficile, non honorons ici celle qui lutta courageusement avec la foi des martyrs.

Que Marie, notre Médiatrice, en qui elle mettait toute sa confiance, la conduise devant notre Seigneur qui la délivrera de ses maux.

Monique Agnieray

Édith Gérard

C’est aux premières heures du dimanche 3 septembre que l’épouse de l’archiprêtre Patrick, Edith, est née au ciel, entourée de son mari et de ses enfants.

Ainsi, s’achevait pour elle soixante- dix-sept ans d’une vie qui ne lui avait pas ménagé les épreuves.

Servante de l’Église depuis les origines et malgré une santé qui, depuis l’adolescence, a toujours été plus que précaire, elle a consacré toute sa vie à notre Eglise. Pendant pim d’un demi-siècle et, dans la mesure où ses forces physiques le lui permettaient, elle a secondé fidèlement son époux, père Patrick, le plus ancien de nos prêtres, dans son œuvre missionnaire pour que renaisse dans notre région l’Eglise indivise du premier millénaire. Que ce soit à la chorale, pour la con­fection des prosphora1 ou la décoration de l’église, elle a tenu son rôle tant que cela lui a été possible et ce fut pour elle un déchirement que de devoir aban­donner ces tâches l’une après l’autre.

Edith faisait partie de ces êtres qui disent : “Le zèle de Ta maison me dévore” (Ps 69,10) et, certainement, cela lui sera-t-il imputé àjustice, comme dit l’Écriture.

Elle avait, elle a toujours eu foi dans l’avenir de noue Église occidentale ; aussi, grande était sa souffrance devant la situation que nous connaissons de­puis maintenant un peu plus d’un an et tous ces derniers mois sa prière, à la­quelle nous nous associons, s’élevait avec ferveur pour que revienne la concorde.

La divine Liturgie d’enterrement fut célébrée, le mardi 5 septembre, dans l’église paroissiale de Rennes, en présence d’une foule nombreuse venue rendre un dernier hommage à Edith et entourer de son affection le père Patrick et sa famille.

Que son âme repose en paix et que la Divine Trinité l’accueille dans Sa Lumière et l’enveloppe des chauds rayons de Son amour.

Prêtre Jean Lorin

  1. ‘ Pain servant à la liturgie

Sur les traces de saint Jean de San Francisco et de l’évêque Jean de Saint-Denis 1

Le dimanche 16 juillet 2000 est notre sixième jour sur la terre d’Ukraine. Notre groupe a été invité à célébrer les mystères eucharistiques à l’église Saint-Nicolas, aux bords du Dniepr, non loin de son affluent, la Potchâïna, où saint Wladimir fut baptisé avec ses soldats et son peuple. Père Stefan, le recteur, explique que son église n’a jamais été fermée sous les différents régimes ; il en attribue le fait à l’in­tercession de saint Nicolas, protec­teur des eaux, particulièrement en ce lieu de pèlerinage aux sources du baptême de la Russie. Autour de ce lieu, nous visitons plusieurs églises : celle en reconstruction de la Protection de la Mère de Dieu, où Père Volodimir nous dit, en montrant l’icône du Christ ressus­cité : “Notre juridiction, c’est Lui” ; le plus ancien monastère d’Ukraine, le monastère de femmes Flora i Slava, agrémenté de superbes petits jardins délicatement entretenus, resté toujours ouvert contraire­ment au monastère d’hommes Saint-Pierre-et-Saint-Paul, de l’autre côté de la rue, devenue caserne militaire toujours en activité. L’une des églises du monastère est dé­diée à saint Séraphim de Sarov, ce qui rappelle à notre guide une anecdote : quand Napoléon a en­vahi la Russie, le tsar Alexandre Ier était inquiet, il vint trouver saint Séraphim qui lui dit : “La Russie gagnera, les Français seront vaincus

Le lundi 17 est consacré à d’autres visites d’églises à Kiev (dont la cathédrale Sainte-Sophie), de monastères intra-muros, de musées d’art ukrainien, avant que nous fassions route vers Kharkov par le train de nuit. Kharkov, tout à l’est de l’Ukraine, n’a pas été épargnée par la fureur révolution­naire : avant la révolution de 1917, il y avait cinquante églises, quaran­te furent détruites, une seule, dédiée à Notre Dame de Kazan, fut laissée ouverte au culte. Vers 1919, l’assemblée ecclésiale, prise de peur, ou d’enthousiasme, propose un jour de fondre la cloche d’ar­gent du beffroi de la cathédrale : seul le jeune Michel Maximovitch (le futur archevêque saint Jean de San Francisco, alors âgé d’environ vingt-trois ans) et quelques autres cœurs hardis osent braver la majorité et s’opposer à ce sacrilège. Sa famille l’invite à se cacher. Michel répond qu’il n’y a aucun lieu où l’on puisse se cacher de la volonté de Dieu et que rien n’arrive sans Sa volonté, sans laquelle aucun cheveu ne tombe de notre tête. Michel est plusieurs fois arrêté et relâché, et lui et sa famille quitteront l’Ukraine pour Belgrade en 1921 2. Nombreuses sont les persécutions des chré­tiens. Dans son journal, Eugraph Kovalevsky (le futur évêque Jean qui passa plus d’un an dans la demeure familiale de Kharkov entre 1918 et 1919) raconte que l’on ordonnait des prêtres toutes les semaines, parce qu’ils étaient rapidement tués. Eugraph accom­pagnait des moines pour aller dérober les corps (pour les en­terrer) par les lucarnes du sous-sol de la Tchéka qu’il pouvait fran­chir en raison de sa petite taille d’adolescent.

J’aime à penser que durant ces années se rencontrèrent ceux que le destin allait réunir quarante ans plus tard, l’aîné Michel et le cadet Eugraph, tous deux atti­rés dès leur plus jeune âge par la prière et la vie en Christ, tous deux ayant été marqués par les miracles sur le tombeau de saint Méléty de Kharkov (né au ciel en 1840), tous deux fils aimés du métro­polite Antoine Khrapovitsky 3, tous deux emplis d’audace pour accom­plir leur destin sans se laisser influencer par les bruits de guerre et les tremblements de terre 4. Peut-être se croisèrent-ils au monastère Pokrov, le Manteau de la Vierge (une des nos premières visites) où Eugraph résida un cer­tain temps. Nous relisons avec émo­tion dans La Divine Contradiction 5 ce que son frère Pierre Kovalevsky raconte : “Je me souviens d’un épisode très caractéristique de la vie de mon frère dans le monastère. Traversant la cour après un office, j’aperçois un attroupement de moines et de pèlerins entourant la fontaine et, debout sur le rebord, mon frère faisant un sermon (il avait alors quatorze ans). Tous Vécou­taient avec une attention particulière”. En tout état de cause, Michel et Eugraph prièrent chacun de­vant le tombeau de saint Méléty (un de ces moines fuyant le som­meil et connu pour sa rapidité à chasser les démons), maintenant installé devant la chapelle nord de l’église de l’Annonciation que nous visitons.

Un artisan est en train de le redorer, et il est étonné et heureux quand nous lui racontons que notre premier évêque avait été un des acolytes choisis pour assister à la cérémonie de l’ouverture de son cercueil et pour tenir la crosse du saint évêque, constatant avec le clergé présent que le corps du saint était intact 6. En fin d’après-midi, nous visitons l’église Saint-Jean- le-Théologien, une véritable ruine rendue à la célébration le jour de la déclaration d’indépendance de l’Ukraine le 24 août 1991, après avoir été un atelier ensuite laissé à l’abandon. Nous voyons là un symbole de cette Eglise autocé- phale d’Ukraine qui a la force, dans la pauvreté et dans la faiblesse, de revivifier des lieux de culte pour que la nation puisse y célébrer la gloire de Dieu. Nous sommes admiratifs de ce courage et ima¬ginons qu’un chantier de nos scouts pourrait ici faire œuvre utile.

Plus tard, à la cathédrale Saint- Dimitri, Père Francis DesMarais et moi-même avons un entretien avec Monseigneur Ihor : il reçoit avec bonheur les ouvrages sur saint Jean de San Franscico en russe et en anglais imprimés aux États-Unis, il en est d’autant plus touché qu’il vient de recevoir le matin même le N° 155 du journal J.O.I.E. qui donne une biographie de “notre” saint originaire de l’Ukraine orientale, choisi comme deuxième patron de sa cathédrale. Monseigneur Ihor espère que l’Église orthodoxe d’Ukraine pourra nous aider dans un futur proche, considérant que nos deux Églises partagent un héritage com­mun et qu’elles sont représenta­tives d’une tradition orthodoxe dont le monde a besoin.

Le lendemain, un de nos objec­tifs consiste à retrouver trace des Kovalevsky dans le village d’Oltchany, fondé en 1651 par Siméon Kovalevsky, dont la famille prendra une part importante aux activités militaires et culturelles de la contrée. Nous partons à l’aventure sans aucun indice et finissons par découvrir par hasard une sympathique babouchka de quatre-vingt-deux ans prénommée Lydia, ravie d’être l’attraction du jour, qui nous conduit vers le lieu où était la demeure de Sophia Kovalevskaïa (1850-1891), la célèbre mathématicienne, grand’ tante par alliance d’Eugraph, Pierre et Maxime. Nous nous arrêtons quelques instants devant l’église Saint-Nicolas accessible par des chemins de terre, la seule église restante parmi les nombreuses construites sous les gouvernements successifs des Kovalevsky.

Le jeudi 20, notre mini-bus nous conduit dans la journée loin de Kharkov, par des plaines riantes de champs de tournesol, de blé et de maïs. Voyage harassant, récom­pensé par la visite du monastère de Sviatogorsk (La Sainte Montagne). A l’imitation du Mont-Athos, dont il suivait la règle, ce grand monas­tère s’étend sur la rive boisée du Donetz du Nord et s’orne d’une montagne nommée Thabor avec de nombreuses grottes creusées dans la craie, où vivaient des ascètes retirés du monde et de nombreux moines (il y en avait plus de six cents au début du siècle, il y en a une vingtaine main­tenant). C’est là que le futur ar­chevêque Jean aimait à faire de fréquents séjours, Sviatogorsk étant à quelques kilomètres de son lieu de naissance dans la demeure familiale d’Adamovka. Le lieu est beau, le monastère est en réfection active, sans paraître troublé par les cris des nageurs et des enfants qui fréquentent la station balnéaire située de l’autre côté du fleuve. Il appartient au Patriarcat de Moscou et j’ose à peine évoquer avec le hiéromoine qui nous guide le nom de saintjean de San Francisco, issu de l’Église russe hors frontières. A ma grande surprise, il me dit : “mais c’est un de nos compatriotes”, et nous conduit dans l’église princi­pale où se trouve une grande icône qui le représente, protégée par un verre. Comme dans d’autres lieux bénis de l’Ukraine, je ramasse des morceaux de cailloux, et ici de la craie, en souvenir de notre pèlerinage, dans le but d’en dis­tribuer à ceux qui n’ont pu se joindre à nous, un moyen pour nous permettre, à l’image du conte du Petit Poucet, de retrouver le chemin du retour vers la vraie vie spirituelle, la vie en Christ.

Les jours suivants amèneront quelque repos, le rythme sera moins soutenu. Nous repassons par Kiev, visitons d’autres églises et musées, flânons dans la douce chaleur d’été et arpentons les étalages de la rue Saint-André pour boucler les derniers achats pour la famille et les amis. Nous re­tournons aussi au monastère des Grottes, ce haut-lieu de la terre d’Ukraine ; certains d’entre nous participent à des offices “souter­rains” dans l’une des nombreuses chapelles creusées dans les grottes.

Le lendemain, après la liturgie célébrée dans une église des fau­bourgs de Kiev dédiée aux saints Boris et Gleb, nous disons au revoir à notre guide Victor qui me ra­conte sa conversion : “Il y a qua­torze ans, j’étais communiste et athée, spécialiste d’art et d’histoire. Un de mes amis m’emmène un jour dans les Grottes de Kiev, alors non ouvertes au public. Toutes les reliques des saints sont là, sans habit 1. Mon ami les connaît toutes. Je touche l’un des corps avec ma main, sans savoir qui est ce saint. Je ressens une grâce qui vient d’En- Haut. Mon ami m’indique qu’il s’agit de saint Nestor, le premier écrivain de l’histoire du christianisme en Ukraine, l’auteur de la Chronique des temps passés (qui raconte notamment le baptême de saint Wladimir). Une semaine plus tard, je ressens des pico­tements dans les mains. Us cessent dès que je commence à écrire sur l’histoire de l’Eglise d’Ukraine. Depuis, je crois.” Victor a écrit une cinquantaine d’articles dans des revues, plusieurs livres sur l’histoire et l’architec­ture religieuses, et il continue, avec l’aide de Dieu.

Nous terminons notre séjour sous la pluie, pendant la visite d’un immense parc, le musée de l’Architecture, qui reproduit gran­deur nature les églises, moulins et maisons traditionnelles de toutes les régions d’Ukraine. Dans la “région des Carpathes” (que nous n’avions pu visiter durant notre séjour), dans le narthex d’une des églises en bois, nous trouvons exposés des tridents originaux : ils sont en cire, superbement dé­corés, mais les cierges sont sur le même plan (comme le trident de Neptune) ; ici, on les utilise pour Pâques, mais aussi pour d’autres grandes fêtes de l’année. Après un repas traditionnel avec quelques- uns de nos hôtes, au cours duquel nous alternons chants ukrainiens et chansons françaises, nous ren­trons à notre hôtel pour une cour­te nuit qui nous mènera tôt à l’aé­roport de Kiev, avant de prendre notre envol pour Paris.

Nous bénissons Dieu pour ce pèlerinage riche de contacts avec le pays de nos pères fondateurs, avec les saints de l’Ukraine, avec ces visages de clercs et de laïcs, nos frères en Christ, et riche de promesses dans les relations avec l’Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine, qui a pour nous orga­nisé avec succès ces quinze jours. Que nos hôtes soient vivement remerciés : ils nous ont permis de faire quelques pas supplémentaires vers la rencontre du Christ, loin­tain par Sa nature divine et tou­jours proche par Sa présence et Ses manifestations visibles au sein des nations.

Prêtre Jean-Louis Guillaud