Historique

Il y a 40 ans, fondation de la paroisse Notre-Dame des Anges

Comment se fonde une paroisse ? L’Église n’a pas de plan préconçu. Nos paroisses se sont fondées au gré des circonstances, au hasard de rencontres, ce que nous appelons la synergie ou l’œuvre commune de personnes vivantes et du Saint-Esprit qui souffle où Il veut et quand Il veut. La naissance de notre paroisse n’échappe pas à cette « règle » ; elle est due à la rencontre tout à fait improbable de 4 personnes qui en ont élaboré ensemble le projet. Et avant même de parler de sa naissance, présentons ces personnages :

Eugraph Kovalevsky (évêque Jean de Saint-Denis)

Eugraph est né le 8 avril 1905 à Saint-Pétersbourg. La famille Kovalevsky, de vieille noblesse terrienne, originaire d’Ukraine, a donné de nombreux et exceptionnels serviteurs à ce pays : philosophes, mathématiciens, sociologues, historiens, musicologues, diplomates et ministres s’occupant d’éducation nationale. La Révolution communiste oblige la famille Kovalevsky à s’exiler en France. Et Eugraph se demande pourquoi Dieu a-t-il permis que les russes orthodoxes soient chassés de leur pays et s’installent en Occident, et surtout en France. A Poitiers, vers 1925, sur le tombeau de sainte Radegonde, reine de France et moniale du 6e siècle, il a une révélation qui lui donne sa raison de vivre, à laquelle il restera fidèle contre vents et marées, la restauration de l’Eglise de France dans l’esprit qui fut le sien durant les premiers siècles. Il est convaincu que « l’âme d’un Occidental est naturellement orthodoxe ». En 1936, il rencontre un ancien prêtre de l’Eglise romaine à la recherche de cette tradition, et avec la bénédiction de l’Eglise Orthodoxe russe, ils fondent « l’Eglise orthodoxe occidentale », notre Eglise actuelle. Il est ordonné prêtre le 6 mars 1937, et sera sacré évêque le 11 novembre 1964, avec le nom de Jean de Saint-Denis.

Madeleine-Marie Marivain

Le 2ème personnage est une femme remarquable. Elle est née le 9 septembre 1899. En 1954, elle assiste à Paris à une conférence du père Eugraph Kovalevsky. Celui-ci, la voyant pour la première fois, lui dit : « Vous, je vous reverrai.» Dix mois plus tard, avec son mari, elle débarque à la cathédrale Saint-Irénée, elle est accueillie par une moniale, mère Séraphine, qui lui déclare : «Je vous attendais.»

Le jour où elle est bénie servante de l’église le 11 novembre 1959, ses compagnes lui offrent une icône de l’ange gardien qui ne la quitta jamais. Elle s’était intéressée très tôt à l’ésotérisme, aux sciences cachées, et elle avait acquis une proximité avec le monde angélique et avec les réalités célestes. 

Lucien Marivain (Père Lucien)

Il est le mari de Madeleine-Marie. C’est un couple atypique : il est breton, plutôt renfermé, elle est plutôt ‘titi parisien’, avec du bagou et de l’entregent. Et elle a 23 ans de plus que lui. Elle est secrétaire de direction, lui, chef-comptable, et ils se rencontrent à Paris lors d’un repas d’affaire où ils accompagnent leurs patrons.

En 1957, il doit quitter son travail pour Vichy. Désirant avoir l’avis du Père Eugraph, Madeleine-Marie le voit arriver à la table d’offrandes au fond de l’église-cathédrale à Paris. Avant qu’elle ne lui ait parlé du projet, il lui dit simplement : « Va-t-en ». Les voilà donc à Vichy où ils fondent la paroisse de la Transfiguration, desservie au début par plusieurs prêtres venus de Paris. Il est ensuite ordonné diacre au moûtier Saint-Martin, le 11 novembre 1961, par saint Jean de San-Francisco, et prêtre le 30 juillet 1967, à la cathédrale Saint-Irénée, par Monseigneur Jean de Saint-Denis. Le Père Lucien a toujours été secondé par le charisme et l’audace de son épouse (que Monseigneur Jean appelait avec affection  « mon curé en jupe »).

Pierre Renon

Le 4e personnage, Pierre Renon, d’origine bourbonnaise, fut directeur d’une banque au Maroc. Il  devient directeur du Crédit Agricole des Pyrénées-Atlantiques vers 1962, à la suite des évènements d’Afrique du Nord. Il est catholique romain pratiquant et surtout attaché, en matière religieuse, à la tradition de l’Église. C’est un homme ouvert, cultivé, avec le sens du service d’autrui.

Nous sommes en 1968, à Vichy. Pour mieux faire connaître la chapelle orthodoxe, Madeleine-Marie organise une exposition d’icônes, et elle discute avec un visiteur qui n’est autre que Pierre Renon, banquier en vacances dans sa maison familiale. Leur conversation a curieusement lieu devant l’icône d’un ange[1]. Pierre Renon est séduit, il rencontre l’évêque Jean de Saint-Denis qui le fascine. Soit il a besoin d’un expert-comptable pour son service d’analyse financière des entreprises, soit il crée le poste pour la circonstance, toujours est-il qu’il embauche le prêtre dans sa banque à Pau, le 1er août 1968, avec l’intention de fonder une paroisse orthodoxe dans la ville. En assemblée générale à Paris, Madeleine-Marie, très attachée à Vichy, dira qu’elle a interrogé le pendule pour confirmer cette décision d’aller s’installer à Pau.

La genèse de la paroisse de Pau vient donc de loin : la révolution russe de 1917 qui exile Eugraph Kovalevsky à Paris ; en 1954, la rencontre d’un couple atypique avec le Père Eugraph lors d’une conférence ; vers 1960, le transfert à Pau, venant du Maroc, d’un banquier originaire de Vichy, où a lieu la rencontre, préparée par l’Esprit, à l’origine de notre paroisse.

En mai 1968, Père Lucien Marivain vient à Pau pour une recherche d’appartement, car il commence à y travailler officiellement le 1er août. Le 19 mai, il écrit à Monseigneur Jean : « Mr Renon dès le début a déconseillé formellement de faire des recherches de logement en incluant un local éventuel pour la chapelle. Mr Renon pense qu’un local distinct qui doit pouvoir se trouver sera préférable…Nous avons donc retenu un appartement F3 dans Pau, [13, rue de Boyrie, à côté de la Foire-Exposition] ce qui nous donne une chambre soit pour célébrer en attendant soit pour recevoir et héberger. Nous avons d’ailleurs remarqué à Pau une chapelle désaffectée occupée par un grossiste en métallurgie. Nous avons naturellement alerté Mr Renon qui a promis de s’en occuper…Au sujet du démarrage de l’Eglise de Pau, il semble, de l’avis de tous, qu’une exposition d’icônes (comme celle de Vichy l’an dernier : 15 jours) sera susceptible de donner les meilleurs résultats ».

Le 31 août 1968, il écrit à nouveau à Monseigneur Jean : « Afin de pouvoir célébrer la divine liturgie à Pau, j’ai réservé une pièce de mon appartement aménagée en conséquence. Un office a été célébré début août, un autre sera célébré demain, ensuite repas en commun : 8 personnes….Nous nous sommes réunis avec Mr Renon et Mr et Mme Pierre Jacob de Larresore pour célébrer la divine liturgie, à Cambo, chez Mr Marsaudon le 22 août dernier. De plus, comme prévu, j’ai assuré les offices du 15 août et du 18 août à Vichy…Je tiens à vous répercuter une remarque. L’Aquitaine est en fait la région économique de Bordeaux, région de laquelle dépend Pau et Bayonne (le département des Basses-Pyrénées), mais les habitants du Béarn et du Pays Basque (populations très indépendantes) voudraient échapper à la dépendance de Bordeaux et former une région économique dont Pau serait le centre. Ce serait « les 3 B » : Béarn – Bigorre – Pays Basque ou mieux encore « le Bassin de l’Adour ». Ce nom de Notre Dame d’Aquitaine pour l’église de Pau doit donc être éliminé. La territorialité de l’association cultuelle devant s’étendre sur plusieurs départements (donc logiquement les Landes et la Gironde), ce nom d’Aquitaine pourrait être maintenu dans le titre de l’association cultuelle mais il faut trouver un nom plus régional pour l’église de Pau (à titre d’exemple pour Pau : Notre Dame de l’Adour) »

En août, le Père Lucien a prospecté 2 locaux (23, rue du Maréchal Joffre et rue des Cordeliers) : le premier local a sa préférence, mais il faut louer 2 pièces de 45 m2, ce qui fait beaucoup pour une paroisse naissante. Il envisage alors de créer aussi une association culturelle qui louerait le 2ème local et serait un trait d’union avec la paroisse en organisant des expositions d’icônes, de tableaux, des conférences, des cours de théologie, d’iconographie, et en faisant de l’accueil.

Début octobre 1968, Madeleine-Marie écrit à Yvonne Winnaert, la servante de l’église-cathédrale : « La chapelle est donc née…J’ai l’impression que je pourrai, avec notre Père Lucien, avec votre aide, faire de grandes choses. En effet, en aidant Père Lucien à chercher des locaux, nous avons constaté que l’on ignore l’orthodoxie, vaguement on pense aux russes et encore…Aussi de nombreuses personnes ont demandé à être avertis pour des liturgies, conférences, expositions. Le mieux serait de démarrer avec une exposition d’icônes….Nous nous dévouerons entièrement à cette nouvelle église…je pose des jalons. Le Verbe est créateur…» 

Le 26 octobre 1968, Monseigneur Jean écrit au Père Lucien et à Madeleine-Marie: « Je garde un très profond et sympathique souvenir de mon séjour à Pau. Mais où en êtes-vous au sujet du local que nous avons visité ensemble ? L’avez-vous déjà ? Doit-on attendre ?…L’architecte a-t-il vu la porte gothique cachée par le tuyau ?…J’aimerais avoir tous les détails concernant Notre Dame des Anges…Cher Père Lucien, veux-tu aussi voir avec le groupe de fidèles ce qu’il conviendrait de faire au mieux car nous avons la possibilité d’envoyer souvent des prêtres à Vichy, et c’est dommage d’espacer les messes… »

Deux passages de ce courrier auront une incidence directe sur la vie de notre paroisse :

Ø  Fin août, deux noms ont été évoqués pour la chapelle : Notre Dame d’Aquitaine, abandonné pour Notre Dame de l’Adour, à la suite d’une remarque de Père Lucien. Et en octobre, l’évêque Jean cite le nom définitif. Que s’est-il passé ? L’évêque Jean aurait déjeuné chez les Renon, et Madame Colette Renon aurait proposé Notre Dame des Anges, en mémoire d’une petite chapelle franciscaine du Maroc, dont elle avait gardé un souvenir particulier. Notre-Dame-des-Anges est en effet le nom de la première église dans laquelle saint François d’Assise et ses frères s’installèrent, église donnée par les bénédictins, et plusieurs églises franciscaines sont sous son patronage.

Ø  L’évêque Jean dit qu’il est « dommage d’espacer les messes » : ce sera un des leit-motiv du Père Lucien que d’installer à Pau une célébration régulière à Pau, avec dès l’origine deux liturgies par semaine, en plus des fêtes. Père Lucien tirait de cet accord passé avec l’évêque Jean un argument pour ne pas assister aux réunions nationales de l’Eglise et du clergé que son tempérament solitaire lui faisait éviter.

L’enfantement de la paroisse se prépare, mais il n’est pas sans quelques douleurs.

Le 18 novembre 1968, Madeleine-Marie écrit à Yvonne Winnaert : « Comme tu dois le savoir par une carte adressée de Pamiers à Monseigneur Jean, nous sommes allées célébrer chez le Docteur Villateau, celui-ci avait écrit à Père Lucien qu’il voulait le revoir, qu’il avait soif de liturgie…Ici, monDieu ! que tout est dur ! Je t’assure que je dois lutter intérieurement, prier sans cesse (comme un moine, dans la rue, partout, le plus possible) ardemment pour garder confiance. Voici, en ce qui concerne le local : ce sont des rendez-vous avec les collaborateurs proches de Mr Renon, le propriétaire, l’agent immobilier, Père Lucien. A mon point de vue personnel, beaucoup trop de monde « Crédit Agricole » ont été mis au courant de la question « chapelle », Mr Pierre Renon est charmant, il est le patron, tout le monde approuve, mais les gens parlent…Il paraîtrait nécessaire de songer à l’avenir, cette location qui se trouverait, sans doute, englobée en partie avec les autres locaux dudit immeuble pour bureaux Crédit Agricole pourrait peut-être être gênante pour la liberté de l’église, son organisation, son rayonnement futur, personne ne parlant de payer…et les travaux, comment se trouveraient-ils effectués, imputés ? Je suis très perplexe. Que faire ? Tout ceci est strictement confidentiel. Pour les offices, je dois t’avouer que c’est triste. Oh, bien sûr, une liturgie est toujours bénéfique, apportant beaucoup, mais nous sommes souvent seuls. Nous célébrons régulièrement tous les dimanches, à l’appartement, à 10 h 30 (chambre d’amis aménagée en oratoire). Hier, par exemple, Mr Renon avait demandé 10 h. Avons attendu jusqu’ 10 h 45. Personne. Avons célébré…J’ai eu des contacts chez des commerçants divers, avec d’autres personnes : on s’intéresse à l’orthodoxie sérieusement. Mr Renon ne veut pas que l’on invite quelqu’un à une liturgie à l’appartement, que faire ?…Il serait utile de réfléchir sérieusement à nous faire connaître d’une façon plus ou moins directe (comme à Vichy au début) : conférences, exposition d’icônes ; tout d’un coup souffle l’Esprit-Saint selon la volonté de Notre Seigneur, quelque chose nous est proposé, offert…Nous acceptons tout pour apporter à Monseigneur Jean, à notre Église, à toi, une église paloise pleine de fidèles…Courageusement nous luttons, nous tenons. Je te demande de comprendre ma peine, je m’efforce d’accepter cette épreuve (le tout) pour la concrétisation de ‘Notre Dame des Anges’ que nous pourrons offrir à sa sainteté Monseigneur Justinien ».

Le 23 décembre 1968, Madeleine-Marie écrit à Monseigneur Jean : « Père Lucien, moi-même avions espéré pouvoir vous offrir pour la glorieuse liturgie de la Nativité la chapelle de Pau. Hélas ! Malgré nos efforts, nos démarches constantes, nous rencontrons sans cesse d’incessantes difficultés. En dernier Mr R., agent immobilier, nous a proposé une petite maison malheureusement mitoyenne au presbytère de l’église Saint-Jacques. Naturellement, à côté de cette église, ce serait maladroit. Les palois sont très ‘romains’…Le béarnais est très méfiant, très fermé, donc peu accessible à la compréhension d’une liturgie à l’appartement…Office de Noël, mardi soir à 19 h afin d’avoir fini à 21 h pour ne pas gêner les voisins. Naturellement, Monseigneur, l’épreuve est ‘dure’, nous l’acceptons bien que nos cœurs soient malheureux nous sentant très isolés. Aussi vous dire notre joie au reçu de votre télégramme dont les termes exprimant votre paternelle affection ont réchauffé nos âmes…. »

Le 22 janvier 1969, Monseigneur Jean leur répond : « J’ai reçu un coup de téléphone de Pierre Renon me disant que vous avez trouvé un local provisoire qui est bien…Ne vous inquiétez pas trop. Nous passerons encore un certain temps d’épreuve, mais tout se résoudra par une victoire inattendue. Nous avons reçu beaucoup de lettres réconfortantes de Roumanie. Comme je le prévois, ça prendra encore un certain temps, mais avec la grâce de Dieu, nous arriverons au but…Tous à Paris vous embrassent et vous aiment. Votre très aimant »

Le 25 janvier, Père Lucien écrit à Monseigneur Jean : « Vous savez donc que Madeleine-Marie a déniché à Pau un local pouvant parfaitement servir pour une chapelle. Il est dans une cour très dégagée, visible de l’entrée de l’immeuble. C’est une grande pièce rectangulaire, en longueur plutôt. C’est un ancien fabricant de yaourts qui est propriétaire : Monsieur Carrère, 5bis rue Carrère à Pau. Superficie du local : 60 m2. Loyer 250,00 par mois…Selon les instructions de Mr Renon, j’ai indiqué à Mme Carrère que l’Église lui prenait, enfin, lui louait son local…Ce local devant être retenu sans tarder, 1er février prochain, je dois indiquer à M. et Mme Carrère très exactement le nom de l’association prenante. »

Ce local a été trouvé le 8 janvier, pour la saint Lucien de Beauvais (fête du Père Lucien) : c’est pourquoi, ce saint a été inséré, dès l’origine dans les diptyques de la paroisse, avec sainte Marie-Madeleine (la sainte patronne de son épouse).

 Le 27 janvier, Madeleine-Marie fait part à Monseigneur Jean des difficultés financières pour régler le loyer, envisager les travaux pour la chapelle, afin qu’il puisse intervenir auprès de Mr Renon pour qu’il participe aussi aux frais de l’œuvre qu’il a souhaité initier à Pau. Les travaux se feront avec l’aide de l’architecte du Crédit Agricole, Mr Zimmler. Et Pierre Renon participera financièrement par une cotisation.

Et c’est le père Gilles Bertrand-Hardy (Monseigneur Germain) qui répond par un courrier du 29 janvier : « Je souhaite que tous ces documents vous aident, en même temps que la bénédiction divine et nos prières, à réaliser la meilleure location possible pour pouvoir enfin célébrer dans une chapelle…Il sera bon de créer rapidement une association cultuelle locale et de prévoir dans ses statuts…que l’entretien et la location devront être à sa charge dans toute mesure possible. Ceci vous donnera un cadre pour obliger les fidèles de Pau à cotiser régulièrement et à payer les dettes de la chapelle tout en déchargeant l’évêché d’un poids financier qui, sauf exception, ne doit pas lui revenir…Monseigneur Jean vous envoie son affection et, vous bénissant avec les destinées de la ville de Pau, me charge de vous dire sa conviction dans le succès de cette nouvelle et rude création »

Le 30 avril 1969, l’«Association Cultuelle Catholique Orthodoxe Notre Dame des Anges »   est officiellement déclarée à la Préfecture des Basses-Pyrénées sous le n°2453, avec pour but d’assurer et développer l’exercice du culte catholique orthodoxe en français.

La dédicace est fixée au 8 juin 1969. Auparavant, il faut aménager en chapelle ce local où l’on avait fabriqué journellement, pendant environ 3 ans, un millier de yaourts au lait entier de la marque Zerga[2]. C’est Roland W., salarié du Crédit Agricole, qui s’occupe en partie de l’aménagement du local, et notamment de la menuiserie. En juin 2008, il nous a discrètement fait parvenir un plan datant de cette période : au verso, plusieurs  esquisses rapides de l’évêque Jean, donnant des dimensions, l’emplacement de l’icône qu’il prévoit de peindre (avec mention de la tringle pour les rideaux de derrière l’autel, preuve que Monseigneur Jean s’était occupé des moindres détails) ; au recto, un plan détaillé de l’extérieur de la chapelle réalisé par Monsieur Zimmler, l’architecte parisien du Crédit Agricole local (qui travaille donc avec les indications de l’évêque Jean). Accompagnant le plan, une carte de l’évêque Jean datée du 11 juin : « + Jean, évêque de Saint-Denis remercie tout particulièrement Monsieur W. pour son dévouement gracieux et son travail si consciencieux et attentif dans la chapelle Notre-Dame des Anges », avec au verso un mot du destinataire : « C’est un honneur pour moi d’avoir rencontré et travaillé avec Monseigneur Jean, évêque de St-Denis. C’est un homme d’une valeur inestimable. Roland W. Pau, le 30 juin 1969. Nous sommes liés par la mémoire d’un souvenir indélébile. » C’était effectivement du mécénat avant l’heure, le Crédit Agricole, par la volonté de son directeur, ayant activement participé à l’aménagement des locaux.

Roland Weil travaille plusieurs semaines avant la dédicace, souvent le soir. Mr Zimmler vient régulièrement à Pau pour les aménagements d’agences du Crédit Agricole, il en profite pour inspecter le chantier de la chapelle.

Monseigneur Jean vient une semaine auparavant pour peindre deux fresques : la déisis représentant derrière l’autel le Christ entouré de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, et l’Annonciation peinte sur le tympan (on y devine le château de Pau et un pont sur le gave avec 3 arches, selon l’habitude de l’évêque Jean, remarquable iconographe, de s’affranchir des canons stricts de l’iconographie pour notamment incarner ses peintures sacrées dans le lieu).

Roland W. est chargé d’aller le chercher tous les matins à son hôtel ; ils prennent le café ensemble dans un bistrot, et viennent ensuite travailler rue Carrère, Roland W. aux finitions de menuiserie, et l’évêque Jean à ce que son compagnon de travail appelle « les décorations », en fait la peinture des fresques. Monseigneur Jean travaille vite et avec précision, il lui suffira de 2 ou 3 séances pour peindre, sur une échelle, la fresque extérieure. En fonction des besoins, Roland W. conduit Monseigneur Jean au « Prisme », le magasin spécialisé en peinture et dessin, situé en face du lycée Louis-Barthou : il y choisit des gouaches de qualité, très déterminé sur les couleurs qu’il faut prendre.  

En début de semaine, un promeneur en vélo passe et voit un curé en soutane sur une échelle double. Ils discutent et vont boire un coup et fumer une cigarette au café du coin. Ce promeneur, ancien adjudant de l’armée française marié à une allemande protestante, revient plusieurs jours de la semaine, et surtout pour la dédicace avec sa famille qui sera la première à confesser la foi orthodoxe. Quinze ans plus tard, le patron du bistrot parlait encore du « petit curé peintre ». Monseigneur Jean avait également fait, à Paris, sur une planche de 1,20 m sur 1,20 m, le dessin de l’icône de Notre Dame des Anges que peindra Hélène Iankoff, son élève iconographe de l’Atelier Saint-Luc. Par respect pour cette esquisse pleine de mouvement et d’harmonie, Hélène Iankoff la décalque et réalise son icône sur l’autre côté de la planche, ce qui laisse ainsi dans notre chapelle le mouvement rapide du maître et l’application colorée et fidèle de l’élève. Et l’icône de Notre-Dame-des-Anges arrivera à Pau depuis Paris par la liaison aérienne, dans les bagages de soute de Mr Zimmler, la veille ou l’avant-veille de l’inauguration.

Le vendredi soir, le 6 juin, Monseigneur Jean fait une conférence au théâtre Saint-Louis : La tradition dans l’église universelle. Il y souligne « particulièrement le rôle d’une tradition toujours vivante et toujours nouvelle parce qu’elle est éternelle, reflet des paroles et des gestes qui dépassent le temps. Il a aussi, répondant à une question évoqué les rapports fraternels avec le Vatican et le culte protestant[3] »

Le lendemain, le samedi 7 juin, à 15 heures, a lieu le vernissage de l’exposition d’icônes : 41 icônes sont exposées dans la chapelle, 5 après-midi par semaine jusqu’au 2 juillet. Monsieur Plasteig, le maire-adjoint de Pau, est présent, ainsi que la télévision régionale. A 19 heures, on célèbre les vêpres, et le lendemain a lieu l’office de la dédicace et la liturgie présidée par l’évêque Jean. C’est le 2ème dimanche après Pentecôte, Le Banquet Eucharistique, cette parabole où le maître de maison (le Christ) invite à un grand souper les estropiés, les boiteux, les mendiants, forçant à entrer ceux qui sont au carrefour des routes et des chemins. C’est aussi la fête de saint Médard, qui consacra sainte Radegonde, chère au cœur des orthodoxes français. Et c’est la dernière église que Monseigneur Jean va dédicacer puisqu’il « naît au ciel » 8 mois plus tard, le 30 janvier 1970.

Son frère, Maxime Kovalevsky, maître de chapelle et compositeur de musique liturgique, est présent pour diriger le chœur. L’archidiacre Jean-Pierre Pahud concélèbre avec le diacre Christian Boucherot. Quelques cadres et employés du Crédit Agricole sont présents.

Pour l’anecdote, Marie-France Tanazacq, future épouse du prêtre actuel, est invitée à venir chanter par Maxime Kovalevsky, mais elle a un examen important le lendemain et ne peut pas venir. Son futur mari Jean-Louis Guillaud, qui n’a, à l’époque, jamais entendu parler de l’orthodoxie, prépare son bac à Arudy, au pied des Pyrénées, à 25 km au sud de Pau.

Dès le lundi, les 3 journaux locaux relatent l’évènement :

Ø  L’Éclair : «Une chapelle orthodoxe à Pau»

Ø  La République : «Les diverses manifestations à l’occasion de la bénédiction de la chapelle paroissiale Notre-Dame des Anges de l’Eglise Catholique Orthodoxe de France à Pau»

Ø  Sud-Ouest : «De forts belles icônes à Notre-Dame des Anges, la nouvelle chapelle de l’Eglise Catholique Orthodoxe de France»

Ce jour-là, le lundi 9 juin, Monseigneur Jean va en pèlerinage à Lourdes[4], accompagné d’Yvonne Winnaert, de Maxime Kovalevsky, d’Hélène Iankoff, et des diacres Jean-Pierre Pahud et Christian Boucherot. Ils arrivent à la grotte : Monseigneur Jean est en habit civil pour ne pas attirer l’attention et les diacres aussi. Il y a foule. Ils se placent le plus près possible, au 4e ou 5e rang des bancs de la grotte et se mettent en prière. Lorsque la procession du saint-sacrement se met en route, accompagnée par un dais, un ecclésiastique en ornements sacrés, aube, surplis et étole, s’approche du groupe, va droit vers Monseigneur Jean et lui dit : « Monseigneur, votre place n’est pas ici, approchez plus près, je vous en prie». Comment ce prêtre l’a-t-il reconnu, en habit civil, et sans connaître le groupe ? Monseigneur Jean et le groupe s’avancent vers le premier rang. Mais le prêtre insiste : « Non, Monseigneur, votre place est à l’intérieur de la grotte, auprès de Notre Dame ». A cette époque, il y avait des bancs sous la voûte formée par la grotte. C’est ainsi que tous se retrouvent aux premières loges pour l’office suivant, les vêpres et la bénédiction des malades. Le prêtre avait-il confondu Monseigneur Jean avec quelqu’un d’autre ? Hélène était d’avis que la Vierge avait dépêché un « ange » pour honorer l’évêque Jean dans son pèlerinage à Lourdes.

[1] Bulletin Interparoissial n°7, année 1982, p.54.

[2] C’est un officier russe blanc, installé à Pau, dépositaire de cette marque, qui en avait transmis le savoir-faire, appris dans les Balkans, aux propriétaires du local. La fabrication en avait été arrêtée à cause de la concurrence d’un grand groupe.

[3] Journal La République des Pyrénées, lundi 9 juin 1969.

[4] L’évêque Jean-Nectaire de Saint-Denis, témoignages de Marie-France Guillaud, septembre 2008 (d’après un témoignage d’Hélène Iankoff).