Cinquième dimanche de carême

 

Lectures

– Ex 7, 1-3
– Jr 26, 1-18
– Heb 9, 11-15
– Jn 8, 45-59

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ! Amen !

Aujourd’hui l’Église nous propose d’accélérer le pas de notre carême, d’intensifier notre effort, d’agrandir notre prière pour pouvoir monter à Jérusalem avec le Christ Notre Seigneur qui va subir Sa Passion et ressusciter.

Est-ce que ce que je viens de dire signifie quelque chose pour vous ?

«Accélérer le pas de notre carême, intensifier notre effort, agrandir notre prière» ?

Certes normalement, chaque année, quelques-uns parmi nous, doivent s’activer en vue de la préparation à cette Sainte Semaine : les choristes répètent les chants, les serviteurs et servantes se préoccupent des ornements liturgiques, quelques autres se préoccupent d’établir le programme des services liturgiques ; enfin il y a beaucoup d’autres détails dont il faut aussi s’occuper. Bref, nous sentons bien, même si nous sommes uniquement comme on dit « simples fidèles », que nous devons nous activer pour cette « mise en scène » liturgique afin que se révèle à notre âme et à notre esprit, et cela un peu plus chaque année, le mystère sublime de cette mort et de cette Résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ.

Pourtant, mes amis, cette « mise en scène » dont je parle, n’est pas l’essentiel qui puisse permettre cette révélation.

L’essentiel, vous le savez aussi pourtant, c’est cet effort pour trouver la vraie pénitence.

Je vous l’ai déjà dit et je rabâche : ne nous faisons pas illusion ; sans cet effort de mort à soi-même pour retourner notre âme comme on retourne la terre, nous n’éprouverons pas en vérité la joie de la Résurrection.

L’Eglise dans sa sagesse maternelle prévoit un temps assez long, le même d’ailleurs que celui pour Elie et Moïse et aussi pour le Christ, 40 jours est une période universelle, pour que nous puissions réagir à temps et participer activement dans notre être intérieur et ainsi vibrer au mystère de la Croix et de la Résurrection du Christ.

Certes les préparatifs pour célébrer cette sainte semaine peuvent nous aider à trouver cette attitude intérieure, comme d’ailleurs tous les exercices de carême, le jeûne, le silence, la réconciliation, les lectures à condition de poursuivre ce but du retournement de notre âme et de notre esprit qui alors peuvent être imprégnés du mystère de l’Amour de Dieu, manifesté par Notre Seigneur Jésus Christ.

C’est pourquoi, mes amis, sachez distinguer l’essentiel du secondaire dans l’Église.

Distinguer par exemple entre exalter l’image de Dieu en nous et accomplir un service dans l’Église. Le Christ ne nous a-t-Il pas appris à nous considérer comme des serviteurs inutiles ?

Mes amis, j’entends quelquefois des inquiétudes au sujet de l’organisation de l’Église. Certes, nous avons besoin de cette organisation, de cet ordonnancement. Mais il ne doit pas être vécu comme un poids, une obligation qu’on s’inflige, à fortiori qu’on inflige aux autres et qui peut mener à la culpabilisation des uns sur les autres.

Par exemple, on peut considérer qu’il y en a qui se tournent les pouces alors que d’autres en font trop.

Mes amis, nous ne sommes pas une association commerciale, ni non plus politique, ni rien de ce qui ressemble au monde. Notre base est autre.

Nous n’avons d’autre but que d’être organiquement greffés à Jésus Christ.

C’est donc organiquement que notre service doit s’accomplir. Que personne donc ne juge son frère si par exemple il ne paye pas sa cotisation ou s’il ne passe jamais l’aspirateur dans ces lieux. Il vaut mieux s’exercer à dire de son frère : lui, il prie pour moi, pendant que moi qui n’arrive pas à prier, je balaie.

Il m’est apparu nécessaire de vous dire cela aujourd’hui d’autant que je peux le faire à la lumière du contenu de ce dimanche.

Vous avez bien entendu remarqué que toutes les icônes sont voilées et que les doxologies sont supprimées. Vous le savez, les « doxologies » sont les « gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit ».

Vous savez certainement ce que cela signifie mais quelquefois nous oublions le sens des gestes que nous accomplissons et alors nous nous figeons dans des habitudes que nous ne voulons plus abandonner, j’en ai noté quelques-unes par rapport au chant liturgique, mais aussi par rapport à la gestuelle liturgique et l’ornementation de l’Église.

Il y en a de très importants comme par exemple le calendrier grégorien, ou d’anecdotiques comme, par exemple, l’habitude, qu’on a due changer avec quelque effort d’ailleurs, de placer les femmes à droite et les hommes à gauche lors des psalmodies des vêpres et des laudes à Saint Irénée ; à une certaine époque, il y avait sur le côté droit un gros poêle pour chauffer l’Eglise, et les hommes avaient naturellement laissé leur place à droite parce qu’il faisait plus chaud près du poêle !

Pour en revenir au contenu de ce dimanche, nous avons chanté comme antienne du psaume ecclésiastique :

« voilant par Sa chair Sa divinité » ; le voile violet représente donc la chair de l’homme, son humanité.

Mais pourquoi voiler toutes les icônes plutôt que seulement l’icône du Christ? Le Christ est pleinement homme et pleinement Dieu. Il a voilé Sa divinité par Sa chair. Les icônes représentent tous ceux qui ont acquis suffisamment cette divinité, cet Esprit-Saint pendant leur séjour sur terre. C’est pourquoi d’ailleurs, nous les encensons de même que l’icône du Christ ; l’encens, vous le savez, est symboliquement destiné à la divinité. Mais vous le remarquez aussi, l’encensement nous est aussi destiné ; le diacre encense tout le monde car nous sommes nous aussi sur ce chemin de l’acquisition de l’Esprit Saint, c’est à dire de la ressemblance à l’Image de Dieu en nous.

Les icônes sont donc voilées, les paroles liturgiques aussi : c’est à dire les doxologies qui glorifient la divinité des Trois Personnes de la Sainte Trinité de Laquelle est sorti tout en ne la quittant pas, Notre Seigneur Jésus Christ lors de Son Incarnation.

C’est pourquoi nous ne les baisons plus puisque la chair fait écran. Car si nous embrassons les icônes, c’est parce-que nous vénérons les hommes qui y sont représentés en tant qu’ils ont acquis l’Esprit-Saint et ont été reconnus comme tels par tous.

Quel rapport entre ce voile de la chair et la nécessité de distinguer l’essentiel du secondaire dont je vous ai parlé.

Je veux simplement dire qu’il est courant de constater que le voile de la chair alourdit nos rapports et que non seulement nous avons quelquefois une tendance très nette à faire prévaloir le secondaire sur l’essentiel mais aussi dans nos rapports les uns avec les autres. Je m’explique. Au moment de l’épreuve de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ, Ses apôtres ne vont voir que l’humanité écrasée de leur admirable Maître ; ils vont être incapables de garder présent à l’esprit Son enseignement si lumineux et bouleversant où Il leur a parlé de Sa filiation divine.

Cette proximité du Christ avec les hommes et en particulier Ses apôtres, on pourrait même dire cette familiarité entre eux a empêché les disciples de voir de façon permanente et inébranlable par les yeux de la foi que ce Maître Jésus qu’ils côtoyaient était vraiment le Fils de Dieu.

Mes amis, combien cela est humain !

C’est pourquoi le Christ prend à son compte mais aussi à regret ce dicton: « nul n’est prophète en son pays».

Nous nous côtoyons dans l’Eglise et nous nous disons frères les uns les autres et nous nous embrassons au Nom du Christ. Pourquoi ? Parce que nous sommes censés nous voir les uns les autres dans notre vocation chrétienne !  C’est à dire divine ! Nous voir dans notre filiation divine ! Nous sommes tous censés être en marche vers ce but de l’acquisition du Saint Esprit : c’est pourquoi nous pouvons tous nous embrasser en saluant, je dirai même : en vénérant ce qui est déjà accompli en nous !

Certes nous pouvons également nous embrasser parce que nous nous aimons vraiment, mais cet amour, s’il a pu naître, s’est fait grâce à Jésus Christ.

Si nous pouvions avoir toujours cette conscience de cette présence de Dieu en l’autre, combien nos petites histoires nous paraîtraient moins graves que nous le pensions, pour ne pas dire dérisoires.

Voir Dieu en toutes choses et en chacun est un exercice de purification du coeur. Voir cette puissance régénératrice en tout sans tomber dans l’angélisme, c’est aussi voir la grandeur de chacun. Cette formidable force de résurrection en l’homme, n’est-ce pas déjà la certitude de cette présence divine ?

Nous pouvons nous exercer à cultiver ce regard malgré les apparences de la chair. Comme le fait aujourd’hui l’Eglise, admirable pédagogue : nous voilons les icônes et les paroles liturgiques en supprimant les doxologies et pourtant l’Église exalte dans les textes proposés tout ce qui concerne la divinité du Christ : c’est pourquoi ce dimanche est appelé à la fois dimanche de la Passion et aussi dimanche de la Divinité du Christ.

Il suffit d’écouter attentivement tous les textes du jour :

les antiennes disent ceci en rapport d’ailleurs avec l’Évangile :

« Avant qu’Abraham fût Je suis. » ;

le psaume ecclésiastique :

« Je suis tout entier dans le Père, l’Esprit est tout entier en Moi » ;

la collecte : « Verbe pré-éternel, Dieu de Dieu, avant que le monde soit, Tu es éternellement »

et aussi : « allant vers Ta Passion volontaire Tu proclames Ta Divinité »

Mes amis, c’est parce que Sa Passion est volontaire que nous pouvons croire en Sa Divinité.

Qu’Il soit glorifié Lui Notre Seigneur Jésus-Christ avec le Père et le Saint Esprit dans les siècles des siècles !

Amen !

+ Jean-François Vincent