Pèlerinage en Serbie 1998

PÈLERINAGE AUX LIEUX SAINTS DE SERBIE
23 juillet – 2 août 1998

Marie-France Guillaud

C’est un petit troupeau de 23 personnes qui se réunit à l’aéroport de Roissy le jeudi 23 juillet 1998, fête de saint Jean Cassien, pour le départ vers Belgrade.

L’initiative de ce pèlerinage revenait au père Guy Barrandon, de la paroisse Saint-Martin d’Angers, et à sa femme Jeannine, animatrice de l' »Atelier d’iconographie Saint-Luc Saint-Aubin ». Tous les deux ans, l’atelier organise un pèlerinage : en 1994, aux sources du monachisme égyptien, puis en 1996 dans  » l’anneau d’or de la Sainte Russie « , pèlerinage qui fut mémorable. Cette année l’atelier proposait un grand pèlerinage vers les hauts lieux de la Sainte Serbie, organisé par l’agence de voyages Dobrotchinstvo « le bienfaiteur », reconnue par le Patriarcat.

Notre groupe, conduit par Mgr Germain de Saint-Denis, compte un évêque, quatre prêtres, trois diacres, une moniale, Sœur Yéléna qui est serbe de naissance et française d’adoption, la secrétaire du Conseil épiscopal Nadine Reznikov et trois femmes de clercs. Les laïcs sont peu nombreux, mais partent également avec la forte motivation de découvrir la spiritualité de l’Église serbe à travers ses églises, ses monastères, et à travers les saints qui l’ont fondée, développée et tenue à bout de bras lors des invasions étrangères et des persécutions. Ils sont animés du désir de participer le plus possible aux offices religieux et de fréquenter la population et le clergé de ce pays. Notre but est ainsi de communier à la foi orthodoxe serbe en nous laissant  » infuser  » par elle de l’intérieur, afin de mieux connaître l’histoire, les coutumes et le génie propre de l’Église orthodoxe de Serbie.

Partis de Paris par temps brumeux et frais, nous sommes surpris à Belgrade par la chaleur continentale qui ne nous quittera plus pendant tout le séjour. Nous sommes accueillis à l’aéroport par le guide de l’agence, Branislav, conservateur de musée, jeune homme très compétent et charmant, qui parle bien l’anglais, mais pas le français. C’est alors Sœur Yéléna qui assure la traduction. Nous sommes transportés jusqu’à la capitale dans un autobus qui diffuse des chants orthodoxes et arbore des photos d’icônes à la vitre avant : nous sommes en pays de connaissance. Le chauffeur, Sacha, est toujours souriant et conduit d’une main sûre.

Le premier édifice que nous apercevons de Belgrade, qui signifie ville blanche et compte deux millions d’habitants, est l’immense et très haute église Saint-Sava, couronnée d’une coupole couleur ardoise. Quels bons auspices pour commencer un pèlerinage que d’admirer une architecture byzantine si familière à nos yeux ! Nous la reverrons le lendemain. Nous remarquons dans la ville que les inscriptions toutes en serbo-croate, sont écrites soit en caractères cyrilliques, soit en caractères latins.

Comme en Russie, et en Bulgarie – où certains d’entre nous ont également voyagé en 1996 – nous retrouvons l’architecture de style stalinien qui, dans son exaltation de la puissance n’est pas dépourvue d’une certaine « majesté » mais reste lourde et trop colossale. Les immeubles sont souvent en assez mauvais état, avec des façades lézardées et des crépis abîmés, mais moins qu’à Moscou, Nijni-Novgorod, Pskov… ou qu’en Bulgarie, Sofia, Plovdiv, ou Veliko Ternovo. Les voitures sont plutôt vieilles et poussiéreuses à cause de la chaleur, mais leur nombre est élevé et on ne voit pas en pleine ville de chaussées éventrées, de ponts dégradés, ni de terrains vagues couverts de carcasses rouillées, comme à Moscou.

Au cours de notre voyage, nous avons pu nous rendre compte que le pays est moins pauvre que bien d’autres pays longtemps sous la domination communiste, malgré la guerre récente et les combats qui sévissent au Kosovo. L’attitude de la population est aussi tout à fait différente : pas de misère apparente, les gens sont actifs, occupés à leur travail, on sent qu’ils ont un but, de l’énergie et un soutien intérieur. Ils luttent contre l’adversité et ne se laissent aller ni à l’accablement ni à l’inertie. Nous avions vu au contraire, dans les villes mais aussi dans les campagnes russes et bulgares, des pauvres gens au regard éteint par trop de malheurs, qui avaient abdiqué toute dignité et traînaient dehors sans but. Ces regards-là nous rappelaient notre situation de privilégiés vivant dans l’aisance, et nous avions le cœur serré de ne rien pouvoir faire d’autre pour eux que de donner un peu d’argent en adressant à Dieu une prière muette.

Après l’installation à l’hôtel Toplice qui est confortable, il est 18h30 : nous avons le temps avant le dîner d’aller aux vêpres à l’église des archanges Michel et Gabriel, celle du Patriarcat. Dans le même quartier se trouvent en effet, à 300 m de l’hôtel, l’ambassade de France, l’église-cathédrale, et de l’autre côté de la rue le Patriarcat, qui comporte tant de bâtiments qu’il occupe un pâté de maisons entier. Dans cette église, qui est spacieuse et dotée d’une belle iconostase baroque, ainsi que de deux lustres de toute beauté, les vêpres étaient dites depuis longtemps, alors nous vénérons les icônes, en particulier celle de sainte Parascève, appelée ici Sveta Paraskevy, ou du diminutif Sveta Petka. Nous nous étonnons de voir dans le narthex des sortes d’armoires sans portes dans lesquelles se trouvent des cierges plantés dans des bacs à sable, ou des luminaires spéciaux flottant sur de l’eau. La fumée est même parfois avalée par un tuyau et une soufflerie. En Serbie et dans d’autres pays orthodoxes, ce dispositif parfois placé à l’extérieur de l’édifice, permet d’éviter l’encrassement des murs et icônes de l’église. L’idée est bonne et pourrait être retenue par nos paroisses françaises.

Le Saint-Synode de l’Église orthodoxe serbe, placé sous la présidence du patriarche Paul 1er, primat de l’Église serbe, compte 14 évêques dont 9 en Serbie même. Parmi eux nous avons fait la connaissance de Mgr Stephan de Zica et de Mgr Lavrentije de Sabac. Quelques-uns parmi nous connaissent Mgr Luka résidant à Paris, évêque des émigrés serbes pour l’Australie et pour la France, qui en compte environ 300.000, et Mgr Amfilohije du Monténégro, qui est le père spirituel du diacre Daniel Ferraris. Mais nous n’avons pas pu rencontrer Mgr Artème de Prizren qui dirige le diocèse du Kosovo. Le n° 231 du « Service orthodoxe de Presse » de septembre- octobre 1998 rapporte que celui-ci essaie activement « d’empêcher une tragédie au Kosovo », province qui revêt  » une grande importance dans la culture chrétienne de l’Europe balkanique « .

Vendredi 24 juillet : Sainte Christine de Toscane

Belgrade

Forteresse Kalemekdan – Église Sveta Petka – Église Saint-Marc – Basilique Saint-Sava

Tous les jours de ce pèlerinage, nous nous lèverons tôt pour prendre un petit déjeuner précoce et partir vers 8h-8h30. Vers 8h30 donc, nous retrouvons Branislav, accompagné de Mme Olivera, dame âgée souriante et dévouée, qui est la secrétaire générale de l’Alliance Yougoslavie-France à Belgrade et fut la première femme ingénieur en Serbie. Elle assurera la traduction française des propos de notre guide. Nous partons à pied vers la forteresse Kalemekdan, précédée par un grand parc, une « cathédrale de verdure ». La ville de Belgrade remonte aux temps préhistoriques. Après l’Empire romain byzantin, elle fut occupée dès le Vème siècle par les slaves, puis successivement par les grecs, les turcs, les hongrois et les autrichiens.

forteress.jpg
forteress3.jpg

Vues de la forteresse Kalemekdan

Dans ce parc se trouve le Monument de l’Amitié franco-serbe. Il a été érigé en 1930 par de jeunes intellectuels qui ont pu faire des études en France, et grâce à elle. Dès 1912 en effet, pendant les guerres balkaniques de cette époque, les français ont aidé les serbes de plusieurs manières. La Serbie reconnaissante garde ce souvenir au cœur, tout comme la France se souvient de la Serbie : l’une des avenues qui rayonnent autour de l’Étoile à Paris porte le nom d' »Avenue Pierre Ier de Serbie ». La sculpture représente dans une belle envolée une femme tenant dans ses bras un enfant dont le pied dressé et cambré a quelque chose de spectaculaire.

Nous faisons ensuite le tour des ruines de la forteresse, à laquelle on accède par la porte d’Istanbul, qui fut le théâtre de nombreux combats sanglants parce que toutes les grandes invasions passaient par ce lieu stratégique. Nous entrons à la chapelle militaire, gardée par deux plantons de bronze, au beau visage souligné d’une moustache typiquement serbo-croate. Cette chapelle conserve la mémoire de tous les soldats victimes de ces combats.

Du haut de la corniche sur laquelle est construite la forteresse Kalemekdan, un magnifique panorama s’offre à nos yeux : le confluent de la Save et du Danube, et la plaine de Pannonie de l’autre côté du fleuve. Nous sommes émus de penser que notre grand saint Martin, fondateur des paroisses françaises et saint patron de la paroisse organisatrice de ce pèlerinage, est originaire de Pannonie, cette immense plaine dont nous avons une infime partie sous les yeux, parce qu’elle s’étend principalement en Hongrie.

Dans la chapelle dite Ruzica « de la petite rose », le corps de sainte Parascève a été conservé pendant 250 ans. Cette sainte du XIème siècle (il y en a une autre du même nom à Rome au IVème siècle) est née en Serbie, a vécu à Constantinople puis au désert, comme sainte Marie l’Égyptienne. Sur la fin de sa vie, elle a reçu l’ordre de revenir dans son pays pour y mourir et témoigner de la gloire divine. Elle est donc revenue en Serbie et a rendu son âme à Dieu au bord de la mer. Son corps enseveli sur place par les autochtones, fut redécouvert plus tard intact par des pêcheurs un vendredi, d’où elle tire son nom : Paraskeva ou Petka signifie en effet « vendredi » en serbo-croate. Son culte est extrêmement vivant dans toute la Méditerranée, et surtout en Serbie.

Nous descendons ensuite vers la petite église Sveta Petka entièrement mosaïquée, qui est un lieu de pèlerinage très fréquenté. Il s’y trouve une fontaine miraculeuse dont des servantes de l’Église offrent à tous un verre d’eau bien fraîche. Il est doublement le bienvenu : comme adjuvant à la piété, et comme désaltérant, car la chaleur est grande et le nombre de pèlerins élevé.

Au sortir de l’église, sur un parvis, un prêtre célèbre un office à l’issue duquel nous pouvons vénérer une petite relique de sainte Parascève. Pendant ce temps, le recteur de ce lieu de pèlerinage qui compte neuf prêtres et un diacre, vient spontanément nous inviter à entrer. Dans une grande salle à manger toute neuve, on nous offre du vin ou du café, ou de la slivovica, eau de vie de prune trcs prisée dans tout le pays et qui titre 70° d’alcool. Le recteur qui parle français converse avec Mgr Germain. Celui-ci rappelle que saint Jean de Shanghaï et de San Francisco à qui nous devons le sacre de notre premier évêque, Mgr Jean de Saint-Denis (Eugraph Kovalevsky) a été sacré évêque en 1934, précisément en Serbie, à Belgrade même, par le métropolite Antoine (Khrapovitsky) de Kiev, lui-même cousin de la famille Kovalevsky. Il lui avait dit :  » Tu es si humble que si je ne te sacre pas évêque, personne ne le fera « . Avant de partir nous remercions le clergé par un « ad multos annos ».

En parcourant à nouveau les chemins de l’ancienne forteresse nous faisons une rencontre stupéfiante : celle d’une jeune fille qui se trouvait dans l’avion hier en même temps que notre groupe. Elle nous raconte en anglais qu’elle est australienne, orthodoxe, d’origine serbe, et qu’elle vient à Belgrade faire des études de théologie pour pouvoir enseigner ensuite le catéchisme en Australie. Mgr Luka est son évêque ! Nous sommes dans l’admiration des dons de Dieu. L’Orthodoxie n’a pas de frontières et la Providence nous fait un clin d’œil : cette jeune fille à l’autre bout du monde a pour évêque celui qui est notre voisin bienveillant à Paris ! De son côté, elle est très étonnée d’apprendre qu’il existe des français de souche française qui sont orthodoxes, et souhaite à notre voyage une heureuse issue.

Nous visitons encore dans le centre de la ville l’église Saint-Marc aux multiples petits toits verts. À l’intérieur, on peut voir quatre imposantes colonnes en porphyre (marbre rouge). Elle contient le tombeau du tsar saint Dušan le Puissant, mort au Kosovo en 1355.

Il est 14 heures, et l’estomac crie famine. Un groupe de sept ou huit se dirige vers un endroit délicieux, où les charmilles qui tamisent l’ardeur du soleil donnent à ce coin de verdure l’allure d’une fête champêtre. C’est bucolique et charmant ; nous y dégustons des spécialités méditerranéennes et orientales excellentes. À 16h, nous retrouvons le reste du groupe à l’hôtel et partons en bus à l’église Saint-Georges où Sœur Yéléna nous présente à un vieux monsieur qui a connu le Père Eugraph et le Père Jacques Guérin pendant la guerre, dans les camps où il était prisonnier. Nous nous sentons très émus. Il est resté en contact avec d’autres anciens prisonniers de guerre, amis de Sœur Yéléna. Il parle bien le français qu’il avait appris au Collège Saint-Joseph de Belgrade, le même que celui où Sœur Yéléna et Mme Olivera ont été également élèves. Sœur Yéléna nous parle d’une photo prise en Allemagne pendant la 2ème guerre mondiale, où l’on voit le P. Eugraph Kovalevsky, au milieu des prisonniers serbes. Les guerres ont créé des liens historiques, et l’adversité continue de créer des relations individuelles et spirituelles.

La petite église Saint-Georges, où nous assistons aux vêpres, est entièrement fresquée de fresques modernes, mais très belles parce que dans l’esprit de la tradition. À la fin de l’office, on nous invite à chanter, et Mgr Germain entame alors :  » Il est digne en vérité…  » Lorsque nous ressortons, les gamins qui jouent dans la cour et qui ont repéré des français, nous disent avec un accent inimitable :  » Bonnjour ! Frannce, tchampionne !  » Cet hommage rendu à nos compatriotes les Bleus – eux-mêmes d’origines ethniques très diverses – nous fait plaisir, et nous leur adressons en souriant les quelques mots de serbe que nous avons appris :  » Hvala, hvala lepo, dobardan, jivele « . Là aussi, on nous invite à boire le verre de l’amitié derrière l’église, dans le jardin qui dépend des locaux paroissiaux.

Les trois prêtres qui nous reçoivent, en soutane noire comme ceux du matin, nous offrent beaucoup plus qu’un verre : vin, café, orangeade, bière, petits gâteaux. Les langues se délient, et l’on cause en anglais, serbe, français, et même russe. Le plus âgé nous présente son fils et ses petits-enfants, et offre à chacun de nous une jolie croix trilobée en bois vernis, avec un lien de la même couleur. Ici la vie est beaucoup plus difficile qu’en France, et pourtant tout cela nous est offert spontanément avec une grande générosité. Nous avions déjà entendu parler de l’hospitalité du peuple serbe, mais aujourd’hui, il nous est donné de l’expérimenter, et nous chantons au clergé serbe un « ad multos annos » de gratitude. Réjouis par ce qu’ils ont entendu, ils en redemandent et nous chantons cette fois « Lumière joyeuse » parce qu’il est 18 heures.

cathédbelgrad.jpg

Ravis de cette rencontre, nous nous dirigeons vers la basilique Saint-Sava toute proche, à 100 m. Saint Sava, patron de la Serbie, est aussi le plus grand saint de ce pays.

« L’origine du christianisme [orthodoxe] en Serbie est à peu près contemporaine de celle de l’Église bulgare, et même en partie plus ancienne. Le rôle de la liturgie slave introduite par les saints Cyrille et Méthode [apôtres des Slaves] et leurs disciples, a été fort important pour rallier les serbes « 

Le baptême de la Bulgarie remonte à 865 avec celui du tsar bulgare Boris Ier, et le baptême de la Russie a eu lieu plus d’un siècle plus tard en 988, avec celui du prince Wladimir de Kiev. L’orthodoxie s’était donc déjà développée en Serbie entre 860 et 885, mais lorsqu’un État serbe indépendant vit le jour en 1183 grâce au prince Stéphan Nemanya, ce fut la floraison de l’Église et de la nation. Lui-même se fit moine sous le nom de Syméon, et de concert avec son troisième fils Rastko, devenu moine également sous le nom de Sava, fonda sur le Mont Athos le couvent de Hilandar. À cette époque et jusqu’à la fin du XIVème siècle, le Mont Athos appartenait en effet à la Serbie. Saint Sava devint archevêque, couronna son frère aîné Stéphan, dit « le premier couronné », puis en instituant 12 évêchés et en fondant des couvents, donna à l’Église serbe une solide organisation. Parmi les saints que vénère l’Église de Serbie figurent avant tout de nombreux rois et reines de la dynastie des Nemanyides, qui s’éteignit en 1371. L’état serbe médiéval fut anéanti en 1389 à la bataille du Kosovo, et tout vestige d’État serbe disparut en 1459.

La construction de la basilique Saint-Sava, selon un plan byzantin parfait, a connu deux périodes : de 1935 à 1941, puis de 1986 à 1991 ; elle fut interrompue deux fois par les guerres. Elle est immense et mesure du sol jusqu’à la coupole : 82 m, d’est en ouest : 92 m et du nord au sud : 82 m. C’est le « carré long » ou nombre d’or. 15.000 personnes peuvent s’y tenir. Les murs sont pour le moment en béton armé, mais lorsqu’on sait que l’extérieur sera revêtu de marbre blanc (Belgrade, « ville blanche ») et que l’intérieur sera couvert de fresques et de mosaïques on ne doute pas qu’elle sera superbe. Même inachevée, elle a déjà très grande allure et le patriarche Paul 1er y célèbre régulièrement. Nous sommes tous intimidés de nous avancer sur le sol encore en terre battue, pygmées minuscules perdus dans cette immensité. Lorsque nous entonnons :  » Ô saints martyrs qui avez souffert vaillamment…  » à la mémoire des milliers d’êtres fauchés dans les batailles, puis le Magnificat, nous sommes étreints par l’émotion et par la beauté de notre chant, tellement l’acoustique est excellente. Des paroles de l’Écriture nous viennent à l’esprit :  » Un jour passé dans tes parvis vaut mieux que mille autres… les larmes de la veuve se changent en liesse… Je chanterai tes louanges, ô Toi qui es ma gloire… » C’est ici, avec Gradac et Oplenac = Oplenak, que nous avons éprouvé l’émotion esthétique et spirituelle la plus intense, ici, dans ce temple saint, inachevé comme l’Église toujours en quête d’accomplissement, inachevé comme l’espoir.

Avant le dîner, nous nous rendons encore chez Mme Olga, amie de Sœur Yéléna depuis toujours. Elle nous offre à nouveau de la glace, de la slivovica, et d’autres choses encore. Elle aussi parle en français, avec des larmes aux yeux, de la France et des bienfaits des français, comme on en parle en Bulgarie. En Russie, on aime aussi beaucoup la France, mais on le manifeste moins. Une semblable hospitalité pour la troisième fois de la journée nous laisse sans voix. Nous la retrouvons cependant très vite pour lui chanter avec reconnaissance « ad multos annos », puis « Lumière joyeuse » et encore « Salut Marie », parce qu’elle a redemandé des chants, elle aussi. Après une journée si riche, où nous avons été nourris de toutes sortes de manières, nous n’avons plus faim, et avertissons l’hôtel que nous ne dînerons pas, préférant aller nous reposer directement.

mmeolga.jpg

Samedi 25 juillet : Saint Jacques le Majeur – Saint Christophe

Monastère de Zica

Ce matin, ceux qui ont bu hier plus de slivovica que de raison, ont la désagréable surprise d’éprouver de menus ennuis. Tel l’adage « boire, ou conduire » c’est « ruiner son foie, ou vivre sa foi ». Ils se voient alors réduits à l’abstinence, ce qui n’est pas commode dans un pays aussi accueillant. Nous nous dirigeons maintenant vers les monastères de Zica et de Studenica en passant par la ville de Niš, ou sainte Hélène a vécu, et où elle a mis au monde son fils, l’empereur Constantin. Nous chantons les laudes dans le bus –  » Ton Nom est dans nos bouches  » – et nous chanterons ainsi pendant tout le pèlerinage selon l’heure, Laudes ou Tierce, Vêpres ou Complies, en terminant par l’un de ces admirables chants dogmatiques à la Vierge en Tons slaves :  » Chantons Marie la Vierge, porte céleste…  » ou  » Le prophète David, ancêtre de Dieu… « . Pendant l’office nous lisons l’épître de saint Paul 1 Co 1, 10-17 et l’Évangile de saint Luc 19, 11-27. L’épître est celle de l’amour

 » Aimez-vous les uns les autres  » et l’Évangile est assez curieux :  » Un homme de haute naissance partit à l’étranger pour être investi de la royauté et revenir ensuite… Mais les gens de son pays le détestaient. Ils envoyèrent après lui une ambassade pour dire : nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous « .

Cet Évangile, de même que l’épître, s’applique assez bien à la situation actuelle de notre Église. Les mines d’argent à faire fructifier correspondent sensiblement au fait que nous souhaitons aussi communiquer aux autres peuples les richesses que nous avons reçues, afin qu’ils les développent comme nous essayons de les développer nous-mêmes.

Notre guide Branislav nous explique que le monastère de Zica a été fondé par saint Sava qui en fit son siège épiscopal. C’est aussi le lieu du couronnement des rois serbes et du sacre des évêques. La première couche des peintures de l’église date de l’époque où saint Sava y a vécu : 1225. Le porche est entièrement décoré de fresques, le narthex est très grand mais l’église elle-même est petite et très haute, bien éclairée par la coupole. On peut y voir des icônes et des fresques de toute beauté : saint Syméon, saint Sava, saint Georges, les saints Côme, Damien, Pantaléimon… La Dormition de la Vierge est représentée sur le mur occidental comme dans toutes les églises serbes. Non loin de l’église, au-delà du mur d’enceinte se trouvent les bâtiments d’habitation des moniales, où elles sont 45 actuellement. Nous visitons l’atelier d’iconographie qui contient des merveilles en gestation.

zica.jpg
mgrstefan.jpg

Nous rencontrons ensuite le supérieur du monastère, Mgr Stephan, en serbe Vladika Stephan, qui manifeste sa bienveillance envers notre Église en répondant à nos vœux de Noël et de Pâques. Il converse avec Mgr Germain et nos prêtres par l’intermédiaire de Sœur Yéléna. Il parle surtout des souffrances subies par la population orthodoxe serbe du fait des croates dépendant de l’Église de Rome, et nous sommes parfois saisis d’horreur à ses paroles. Il ajoute aussi qu’ayant étudié en Angleterre, il ne s’est pas senti d’affinités avec les anglais, mais qu’étant venu en France ensuite, il s’est senti chez lui,  » à la maison « . Il conclut en disant que le peuple serbe et le peuple français ont beaucoup d’affinités.

L’après-midi, nous nous élevons dans les montagnes à travers les gorges de l’Ibar, jusqu’au plateau où se trouve le monastère de Studenica à 1.000 m environ. Ces gorges sont appelées « vallée des lilas » parce que le prince Uroš 1er, attendant l’arrivée de sa fiancée, la princesse française Hélène d’Anjou, avait fait planter des lilas dans la vallée et qu’ils y sont restés. Au printemps, tout est fleuri et embaume le parfum suave du lilas. Studenica signifie « eau de torrent limpide et fraîche ». Mais notre autobus tombe en panne : courroie cassée, radiateur trop chaud ; il faut de l’eau dans cette mécanique, l’eau = studenica, l’eau de la grâce aussi, pour que nos recherches d’une situation canonique normale aboutissent. (Deux jours plus tard, c’est un câble effondré qui nous barre la route). Réparation faite, nous repartons. A l’entrée de l’église de la Vierge l’higoumène du monastère, le P. abbé Jullian, présent hier à l’entretien avec Mgr Stephan, nous accueille et invite les clercs à dormir au monastère, disant  » qu’ils y seront mieux qu’à l’hôtel « , ce qui fut vrai. Nous assistons aux vêpres, très longues, puis nous retournons à l’hôtel pour le dîner. Il fut spartiate, mais n’étions-nous pas des pèlerins ?

leler1.jpg
studenicEglisVirg.jpg

Vue générale du monastère Eglise de la Vierge, fin du XIIe s.

Dimanche 26 juillet : Saint Joachim et Anne – 8ème dimanche après la Pentecôte : l’économe infidèle

Monastère de Studenica

Ce matin dimanche les clercs assistent aux laudes et les laïcs les rejoignent au monastère, à la grande église de la Vierge Bienfaitrice, pour la Divine Liturgie. La blancheur du marbre de ses façades, jointe à la teinte rouge sombre de la coupole et à la verdure florale des pelouses, fait que le monastère, entouré de son enceinte et des bâtiments conventuels, donne une impression des plus pittoresques et forme un ensemble inoubliable. L’enceinte mesure 200 m de diamètre et englobe également la petite église du Roi et l’église Saint Nicolas mais au XVIIème siècle, il y avait dans l’enceinte du monastère 13 églises en tout.

Studenica fut fondé en 1186 par Stéphan Nemanya, saint Syméon, dont le corps fut ramené sur place en 1208 par son fils Sava. Leurs portraits furent ainsi exécutés sur modcles vivants. La conception architecturale de la grande église est byzantine, par sa coupole r 12 fenêtres, mais aussi romane et tout r fait serbe par sa nef unique et ses deux chapelles latérales ornées chacune d’un portail. La Serbie a toujours été à la frontière de deux mondes et cela se retrouve dans cette église, qui est à la fois orientale et occidentale. Elle est aussi le premier monument médiéval à comporter des inscriptions en serbe sur les fresques.

studenica2.gif

Studenica

roi_milutin.jpg

Portrait du fondateur, le roi Milutin

À droite de l’entrée se trouve le tombeau de saint Syméon, dont le corps est intact, de même que celui de saint Radoslav et de sainte Anne mère de saint Sava. Ils sont desséchés, momifiés mais intacts, et il y en a bien d’autres encore dans toute la Serbie qui a connu une prodigieuse floraison de saints. Mgr Germain dit que  » cette incorruptibilité montre bien la qualité de sainteté des rois serbes fondateurs de ce pays « . Entre pèlerins nous avons eu des échanges là-dessus, et nous nous sentions un peu gênés de l’ignorance où nous nous trouvions avant notre départ. L’ouvrage déjà cité en page 4 parle d’ailleurs de ces  » noms peu connus ou même totalement inconnus en Occident ; cependant ils attestent une grande et très honorable histoire, que le peuple et l’Église serbes peuvent envisager avec fierté « .

Les peintures murales sont superbes, principalement le tableau des donateurs de l’église, et la fameuse Crucifixion peinte sur fond bleu de nuit qui est mondialement connue. La petite église du Roi qui est un vrai bijou, fut offerte en 1304 aux parents de la Vierge par le roi Milutin, parce qu’il n’avait pas d’enfants. Sainte Anne et saint Joachim, que nous prions aujourd’hui en ce jour de leur fête, n’eurent pas d’enfants non plus jusqu’à un âge avancé. Les fresques d’une richesse inouïe, en parfait état de conservation, sont considérées comme le chef-d’œuvre de l’art serbe du XIVème siècle. En leur honneur, nous chantons avec ferveur l’antienne  » Toi plus vénérable que les chérubins « , ainsi que le Magnificat.

Après la liturgie, pendant qu’on célèbre un baptême, à l’église de la Vierge Bienfaitrice nous vénérons ces saints très présents dans leurs reliques et juste à ce moment-là entre un mariage, comme déjà hier au couvent de Zica . Il y avait un autre baptême à la petite église Saint-Nicolas. L’après-midi il y a un autre mariage en grande pompe, dont la fête a lieu dans le même hôtel-restaurant que le nôtre. Le soir, toute la noce chante et danse ; nous entrons dans le jeu à notre tour et leur chantons, pressés par la foule, le graduel du mariage, le couronnement et ad multos annos. Quel souvenir pour eux, qui sont très émus, et pour nous ! En regardant ces jeunes gens rire et danser, nous remarquons que le type physique yougoslave le plus répandu est d’une grande beauté, comme il en a la réputation en France. Les garçons sont grands, solides, bien bâtis, les filles élancées, d’une sveltesse extrême ; ils ont le visage plutôt large des slaves, la peau très mate, le teint uni. On devine l’atavisme montagnard, et l’éducation saine et sobre au grand air.

Lundi 27 juillet : Saint Pantaléimon

Monastères de Gradac et Sopocani

Après les laudes pour le clergé et un solide petit déjeuner pour tous, nous partons le lendemain matin vers le monastère de Gradac, dont l’higoumène Jullian est également père abbé. À notre arrivée les cloches sonnent pour signaler la présence d’un évêque, ce qui nous touche beaucoup ; elles sonneront encore à notre départ. La reine Hélène d’Anjou, appelée « la grande reine », princesse française de sang royal, parente de saint Louis, est la fondatrice de ce monastère vers 1275, où elle fut ensuite enterrée en 1314. Son mariage avec Uroš 1er, fils de Stéphan « le 1er couronné », petit-fils de Stéphan Nemanya, fut préparé par Charles d’Anjou, frère de saint Louis, personnage très influent à cette époque. Le saint roi Uroš Ier, qui régna 33 ans sur la Serbie, de 1243 à 1276, consolida les frontières, affermit la monarchie, et développa l’Église et les beaux arts. Sa femme Hélène, appelée par le pape de l’époque  » ma fille bien-aimée en Christ « , joua un rôle important dans la politique des Nemanyides. Avec leur règne l’art religieux serbe prit un tel essor, que la Serbie fut pendant environ un siècle le pays orthodoxe dont l’art était le plus élevé.

L’église, dédiée à la Mère de Dieu, est posée au milieu de la pelouse comme un merveilleux gâteau, très légèrement incliné, admirable. L’édifice imprégné de style roman nous paraît si familier et si harmonieux dans ses proportions et ses volumes, que nous nous sentons « à la maison ». Il nous semble être davantage en Touraine dans la plaine angevine que dans une contrée située aux confins de l’Occident et de l’Orient. On retrouve la piété, la naissance française et le sens artistique féminin de la reine Hélène dans l’architecture et l’iconographie de Gradac. Elle est fêtée le 12 novembre, le lendemain de notre saint Martin, dont le siège à Tours est très proche de la ville d’Angers, centre de l’Anjou.

Le père abbé Jullian nous accueille magnifiquement au seuil de l’église. Il nous dit :  » Soyez les bienvenus chez votre parente Hélène d’Anjou, princesse française, reine de Serbie. Dans cette église qui est l’œuvre de votre compatriote, je souhaite que vous vous sentiez comme chez vous. Il y a des analogies entre votre peuple et le nôtre, soyez remerciés d’avoir fait ce long voyage pour venir jusqu’ici « . Il ajoute :  » Les chrétiens orthodoxes seront peut-être les seuls chrétiens qui se maintiendront en Occident.  » Que Dieu entende ce souhait ! »

julian1.jpg
julian2.jpg
julian3.jpg
julian4.jpg
gradac1.jpg
gradac.jpg

Malheureusement, les fresques dont nous retenons surtout celle de la Nativité – une sage-femme lave le nouveau-né – ont été en grande partie endommagées, lorsque l’église se trouva plusieurs fois sans voûte ni toiture à cause des guerres, comme beaucoup d’autres églises en Serbie. Nous chantons le tropaire de l’Annonciation, entonné par Mgr Germain, puis le tropaire de la Sainte Rencontre, tout à fait indiqués ici. Notre évêque inscrit sur le livre d’or la dédicace suivante :

« L’Église orthodoxe de France rend hommage à la très sainte Mère de Dieu et à Hélène d’Anjou, et se prosternant à leurs pieds, demande humblement grâce, protection et la bénédiction de l’Église orthodoxe de Serbie ».

Le 27 juillet 1998, Évêque Germain, évêque de Saint-Denis et de l’Église orthodoxe de France.

On pourrait y ajouter une prière à saint Pantaléimon, guérisseur des malades, dont c’est la fête aujourd’hui, afin qu’il soigne et guérisse les plaies diverses de nos deux Églises. Nous montons encore prier à la petite chapelle Saint-Nicolas, et quelques-uns y chantent le tropaire oriental :  » Ô père et pontife Nicolas, image de douceur et maître d’abstinence…  » À notre sortie, le soleil de midi éclaire en contrebas l’église de la Mère de Dieu, blanche aux toits bleutés dans son écrin de verdure. Dans notre admiration, il nous vient à l’esprit les antiennes :  » Chantez au Seigneur un chant nouveau, car Il a fait des merveilles « , et encore :  » Tu t’enveloppes de lumière comme d’un manteau, mais nos robes sont usées par le péché. Couvre notre nudité de splendeur, ô Dieu hospitalier, alléluia ! « .

L’higoumène Jullian nous offre ensuite avec grande simplicité et bonté un repas somptueux dans l’accueillant réfectoire bien connu de Sœur Yéléna, car elle a vécu ici comme moniale pendant 6 mois. Au menu : entrées, poisson délicieux, viande de mouton succulente, gratin œufs-fromage, gâteau aux noix très réussi, vins, bière et l’indispensable slivovica. R la fin du repas qui fut joyeux, les deux hiérarques portent des toasts à la Serbie, à la France, et particulièrement en ce lieu à l’union de leurs deux Églises orthodoxes, que tous deux souhaitent proche. L’évêque Germain fait remarquer qu’aujourd’hui, 27 juillet 1998, sainte Hélène d’Anjou, reine de Serbie a reçu chez elle quatre de ses compatriotes parmi les pèlerins : le P. Guy Barrandon, recteur de la paroisse d’Angers et Jeannine, iconographe, ainsi que Jean et Thérèse Peigné, angevins paroissiens de Nantes.

Nous offrons ensuite au père abbé des cadeaux : une Vierge à l’Enfant gravée sur plaque de cuivre, une petite icône de saint Martin, mais surtout un blason sur plaque de bronze émaillé de 40 cm x 40 cm, qui assortit les blasons des deux maisons serbe et française : à gauche l’aigle blanc à deux têtes sur fond d’argent donné par Frédéric Barberousse lui-même à Uroš, roi de Serbie, et à droite, les fleurs de lys or sur fond azur, blason de la France et de la reine Hélène. Au milieu, en signe d’union, des feuilles et des fleurs de lilas. C’est un très beau travail réalisé par l’orfèvre sacré de notre Église, Joseph Tanazacq.

julianhelene.jpg

À notre grande surprise, l’higoumène Jullian nous offre à son tour une très belle icône de sainte Hélène d’Anjou et de Serbie, et à chacun une brochure en français sur Gradac. Plusieurs abbés et abbesses feront d’ailleurs de même dans les autres monastères que nous visiterons, nous remplissant de confusion, car nous savons qu’ils ne sont pas riches.

Pour beaucoup d’entre nous, Gradac restera le premier sommet de notre voyage.

Nous nous dirigerons ensuite vers la petite église de Saint-Pierre et Saint-Paul, qui date des Xème-XIème siècle. C’est la plus ancienne église de toute la Serbie, et on peut y voir un baptistère paléo-chrétien beaucoup plus ancien encore (VIIème-VIIIème s.) pour les baptêmes par immersion, parfaitement conservé. Stéphan Nemanya, fondateur de la dynastie, devenu saint Syméon y fut baptisé, et l’on peut dire qu’il est un peu le Clovis des serbes. Dans ce temple du début de l’époque romane, il reste quelques fresques en très bon état, dont un visage de saint Michel et un saint Jean le Miséricordieux.

stpierrefresc.jpg

Nous repartons vers l’église Saint-Georges-sur-les-colonnes, XIIème s., construite par Stephan Nemanya, située tout en haut d’une colline. Il faut monter à pied sur 7-800 mètres, à travers chemins caillouteux et forêt pour s’y rendre. Ceux d’entre nous qui n’étaient pas partis de France en bonne condition physique souffrent de la chaleur, et certains ont du mal à marcher. Il y a souvent des ennuis de ce genre à endurer pendant les pèlerinages. Mais la récompense nous attend là-haut : du sommet de cette colline, le regard embrasse presque toute la Serbie. De ce monastère fortifié, il reste deux chapelles en assez bon état, et une partie de l’église avec de hautes colonnes.

sopocani2.gif

Nous nous rendons ensuite au monastère de Sopocani où l’église dédiée à la Divine Trinité, est restée deux siècles sans toit. Pourtant les fresques sont encore magnifiques, surtout la scène de la Dormition de la vierge mondialement connue, et la frise des Pères de l’Église dans le sanctuaire. Nous chantons dans l’église :  » Lumière joyeuse…  » et  » Il est digne en vérité… « . Ce monastère d’hommes qui compte 10 moines et plusieurs novices, fut fondé par saint Uroš Ier en 1270, l’année de la mort de saint Louis. Nous sommes ensuite très bien reçus par le jeune higoumène (36 ans), qui nous conduit à une sorte de terrasse élevée et couverte, en face de l’église que nous continuons d’admirer. On nous apporte alors une petite jatte de confiture, et sur un plateau des cuillers avec de grands verres d’eau, et de petits verres de slivovica. Nous regardons tout cela perplexes, comme le héron de la fable qui ne savait comment prendre son repas. Soeur Yéléna nous explique qu’il s’agit d’une coutume serbe, et que chacun dans ce cas peche une petite cuiller de confiture dans la jatte tout en buvant un grand verre d’eau, ou un petit verre d’eau-de-vie. Nous manions alors la petite cuiller avec entrain car la confiture est bonne, et nous avons soif. Pour rester dans le vocabulaire religieux qui est de circonstance, on pourrait dire que c’est « le rite de la confiture ».

sopocanihig.jpg

Mardi 28 juillet : Saint Samson, évêque de Dol

Monastères de Ljubostinja et Kalenic

Ljubostinja signifie  » amour de la vie dans le désert, amour de la vie d’ermite « . Entre l’entrée du domaine et l’église, un tilleul quadricentenaire étend ses branches qui donnent une ombre bienfaisante. Sur la pelouse, entre église et grands arbres, une pompe à bras, où l’on peut s’abreuver. Construite dans le style morave l’église est une petite merveille, et l’extérieur retient davantage l’attention que l’intérieur. Des rosaces sculptées, entières ou semi-circulaires, véritables dentelles de pierre, enchantent le regard. Des toitures étroites s’arrondissent en arc au-dessus des rosaces, donnant à l’ensemble une allure mouvante et dansante comme les vagues de la mer. Les fenêtres et les portes sont elles-mêmes encadrées d’une double et même triple tresse de pierre finement sculptée, ainsi que d’autres motifs floraux délicatement ouvragés. Comme Gradac, ce lieu est céleste :  » J’ai aimé, Seigneur, la beauté de ta maison, et le lieu où réside ta gloire. « 

ljubostinja1.jpg
ljubostinja2.jpg

Lorsqu’après avoir fait le tour de l’édifice pour l’admirer nous nous approchons de l’entrée, nous rencontrons sur le parvis un baptême qui réunit quatre générations, du bébé jusqu’à l’arrière-grand-père encore solide. Dans l’embrasure de la porte, Sœur Véra, une moniale toute petite, âgée et courbée, nous adresse la bienvenue en français. À l’intérieur de l’église, on retrouve les mêmes décors de pierre qu’à l’extérieur. Les très belles fresques sont du XIVème siècle. On y trouve les portraits du tsar Lazar, et de la tsaritsa Milica, une représentation des conciles oecuméniques et bien d’autres scènes encore. Le tombeau de sainte Milica se trouve dans l’entrée.

Le monastère a été construit entre 1390 et 1399 par la reine Milica après la mort du tsar Lazar, son époux, en 1389. Elle y a rassemblé les veuves de la bataille du Kosovo, cette région qui est le siège de violents combats depuis des siècles, et où se trouvent justement les plus beaux monastères. Hélas, nous ne pourrons pas les voir. Pendant des siècles, la chaîne des Balkans, Bulgarie, Macédoine et Serbie actuelles, fut envahie et dévastée par les turcs. Cependant, malgré l’oppression imposée par les turcs musulmans :

« peu nombreux furent les serbes qui cédèrent à la contrainte… et embrassèrent l’islam. L’immense majorité du peuple demeure fidèle à la foi chrétienne et à l’esprit de la nation. C’est le mérite spécifique de l’Église serbe, en particulier dans ses monastères, d’avoir ainsi, pendant quatre siècles de domination turque, sauvegardé le christianisme et la conscience nationale.  » (Ouvrage cité en page 4).

Le plus occidental des trois pays, la Serbie, au carrefour Orient-Occident et Europe centrale-Méditerranée a joué le rôle de rempart contre l’envahisseur turc musulman. Orthodoxie grande et sublime, tu n’es défendue qu’avec martyre.

Sans la résistance du vaillant peuple serbe qui a freiné leur avancée en Europe, les turcs et l’Islam auraient envahi l’Europe au XIVème siècle. L’Europe a vis-à-vis d’eux une dette de reconnaissance, et c’est malheureusement le contraire qui se produit. Les serbes subissent une campagne de désinformation dans les médias en France et ailleurs, télévision, radio, et même dans les journaux les plus sérieux, où ils sont accusés des pires atrocités. Les massacres furent hélas réels, parce que la guerre reste la guerre et il y a eu des exactions de chaque côté, pour schématiser, les noms des bourreaux et des victimes ont été inversés. Plus encore qu’une crise politique et économique où beaucoup d’intérêts financiers entrent en jeu, on peut estimer qu’il s’agit d’une guerre de religion, où les serbes sont persécutés de toutes parts, parce qu’ils sont chrétiens orthodoxes. Nous-mêmes, dans la petite ville de Spa, avons essuyé les ricanements hostiles de quelques gamins dépenaillés qui se sont esclaffés devant les soutanes de notre clergé. Dans une émission à la radio entendue depuis notre retour, un expert des questions serbo-croates a récemment remis les choses en place, et dénoncé les mensonges que véhiculent les journaux pour discréditer la Serbie.

Pendant le trajet Ljubostinja-Kalenic, nous observons la campagne et les productions agricoles : mads, vignes, un peu de blé et beaucoup d’arbres fruitiers, pruniers, pommiers. Le pays est aussi gros producteur de melons et pastèques. Après un déjeuner tardif nous arrivons à Kalenic vers 17h.

L’église du monastère de Kalenic dédiée à l’Annonciation, est également dans le style morave, toute décorée de dentelle de pierre et d’entrelacs. Elle fut fondée par le roi Radoslav, fils du roi Lazar vers 1420. Lorsque nous y entrons avec l’abbesse et plusieurs moniales, c’est d’abord l’obscurité ; et Mgr Germain propose de chanter : « C’est minuit, le fiancé arrive… » La fresque des Noces de Cana est représentée dans cette église selon la Tradition, mais elle comporte aussi une coutume nationale serbe, celle où le fiancé et la fiancée échangent leurs sangs : on voit l’un des deux piquer le doigt de l’autre avec un couteau et quelques gouttes de sang apparaître sur la main. Un peu partout où nous sommes passés pendant ce pèlerinage, nous avons croisé des mariages ou le thème du mariage. Nous remarquons encore la fresque des trois saints médecins, Côme, Damien et Pantaléimon, très vénérés dans tout le monde slave, celle des quatre saints guerriers, et celle de saint Kirik martyrisé enfant avec sa mère Iulietta. C’est justement leur fête aujourd’hui, et nous leur adressons notre vénération.

L’higoumena, Matti Christina, petite et menue, avec le regard vif et limpide d’un enfant, demande que nous chantions encore, et nous  » faisons éclater notre joie devant le Seigneur  » par l’hymne  » Lumière joyeuse « . Comme elle en redemande encore, appuyée par les sœurs, nous entonnons alors le psaume lucernaire et le Magnificat. Elle nous remercie ensuite, extasiée, et dit  » qu’elle se croyait au paradis « . Quel compliment pour la musique de Maxime Kovalevsky ! En Serbie, l’higoumena c’est-à-dire l’abbesse est appelée Matti = Mère, l’équivalent de « Matye » russe ; d’où le diminutif « Matouschka » = petite mère pour les femmes de prêtre.

Mgr Germain écrit ensuite sur le livre d’or :  » En hommage très vif de l’Église orthodoxe de France qui recherche, avec la fraternité, ses propres racines par le pèlerinage « .

Les moniales et un moine âgé appelé Sava nous invitent ensuite à nous rafraîchir sous un préau couvert, et nous offrent, ô joie, un délicieux jus de framboise en plus des traditionnels café et slivovica. Le contact avec elles est excellent, comme d’habitude. Dans un sabir russo-anglo-serbe la conversation en vient à saint Jean de San Francisco (Johann Schangadsky) qui est très vénéré dans ce pays. L’higoumena Christina nous dit qu’elle regrette de ne pas avoir d’icône de lui. Alors le père Jean-Louis Guillaud lui en offre une, la dernière de celles qu’il avait emportées. Elle la serre sur son cœur, les yeux levés vers le ciel, et irradie la joie de telle manière que c’est nous, cette fois, qui avons un aperçu des joies célestes. À notre départ les cloches sonnent, comme à Gradac.

À Jagodina où nous nous rendons pour le soir, l’hôtel construit sous le régime communiste est immense et luxueux, et nous y sommes traités avec les plus grands égards. Le dîner a lieu dans une grande somptueuse salle à manger, appelée la « salle des dindons » parce que les murs sont ornés de jolies mosaïques modernes représentant ces vaniteux gallinacés. La grande table en fer à cheval est dressée rien que pour nous, et un pianiste s’installe au piano à queue dès que nous commençons à dîner. Mgr Germain et le P. Matthias Dermitzel sont logés dans une suite avec entrée, salon, petite cuisine et deux chambres, ce qui nous permet de chanter les Complies ensemble avant de rejoindre nos chambres à une heure bien tardive.

Mercredi 29 juillet : Sainte Marthe – Saint Olaf, roi de Norvège

Monastères de Ravanica et Manassija

Avant de partir en bus pour Ravanica, nous prenons le petit déjeuner dehors, sur une large terrasse qui domine de trois étages les jardins de l’hôtel et la ville alentour. Le regard embrasse un vaste paysage, la situation et l’heure sont enchanteresses car le soleil brille déjà et le temps est beau, mais pas encore chaud, grâce à l’heure matinale. Servi sur une longue table d’apparat tendue de nappes blanches damassées, le petit déjeuner est appétissant avec ses croissants, café-lait, pain-beurre-confiture et plat gratiné, dont nous usons avec enthousiasme. Tout est enchanteur, et nous savourons comme il se doit cet instant divin.

ravanica.jpg

Ravanica

ravanicafresc.jpg

Fresque

Le monastère de Ravanica a été fondé en 1377 par le saint roi Lazar, petit-fils du roi Dušan le Puissant, fondateur de la dynastie des Lazarevitch, rattachée cependant r celle des Nemanyides par la reine Milica. Il est considéré comme martyr parce que le sultan lui avait donné le choix : garder sa couronne et le pouvoir royal à condition de se soumettre au sultan et de confesser la religion islamique, ou s’opposer au pouvoir turc par les armes. Le tsar n’a pas accepté de trahir sa foi et son pays et il a livré bataille, mais il a été vaincu en 1389, à la bataille mémorable du Kosovo. Cependant, le sultan Mourad qui avait donné l’ordre de le décapiter sous ses yeux, blessé lui-même, est mort en le regardant supplicier. C’est pourquoi le corps non corrompu de saint Lazar se trouve ici, mais il manque la tête, que les turcs ont gardée. C’est remplis de ferveur que nous avons prié devant le corps de ce saint martyr.

Comme les autres princes, rois et reines ses prédécesseurs, il avait doté sa fondation de grands biens, réunissant les meilleurs artisans, et accordant les plus riches présents. Le monastère était entouré de fortifications, mais il n’en reste qu’une tour en ruines, et une enceinte de murs ordinaires. L’église, dédiée à l’Ascension, a été construite dans le style morave avec cinq tours, une grosse tour centrale, et quatre plus petites aux angles. L’iconostase, réalisée vers 1810, est suffisamment ancienne pour que les sujets iconographiques soient dans un style traditionnel, pur et beau. La grande croix du Christ qui la domine est magnifique. Auprès du tombeau du saint tsar Lazar, on peut voir un grand drapeau serbe placé là il y a 9 ans pour le 600ème anniversaire de sa mort. Deux cierges aussi gros que des troncs d’arbre montent la garde de chaque côté du tombeau : ils ont été offerts par sainte Milica comme symboles de la résistance serbe. Elle avait donné la consigne de  » les faire brûler seulement quand la Serbie serait délivrée du joug turc « . Exécutant fidèlement ce vœu d’autrefois, les hiérarques de l’Église serbe les ont allumés… en 1924 seulement !

Il y a de magnifiques fresques dans le narthex qui a été décoré comme une église. Nous montons à la tour, d’où l’on jouit d’une belle vue sur les toits de l’église, puis nous cheminons par un sentier de forêt très accidenté jusqu’à la grotte immense – une vraie cathédrale – qui a servi d’ermitage au moine devenu saint Romil.

À l’issue de la visite, les sœurs nous offrent des gâteaux à la cannelle, au sarrasin et aux noix, dont les plus gourmand(e)s gardent encore le souvenir.

Le monastère de Manassija a été construit par le roi Stephan Lazarevitch, fils du roi Lazar. Il a été construit de 1406 à 1418, toujours par l’école morave, et c’est un bel exemple d’architecture monastique médiévale. L’église, dédiée à la Sainte Trinité, a été construite sur le modèle de celle de Ravanica, mais elle comporte une tour de plus au-dessus du narthex. Les fortifications qui entourent le monastère comportent onze tours mesurant chacune 50 m de hauteur. L’ensemble de cette forteresse médiévale est parfaitement conservé et protège efficacement l’église qui culmine à 33 m.

forteress2.jpg
manassija.jpg

On peut remarquer dans l’église un très beau dallage dans le narthex, une magnifique fresque de la Pentecôte et la fresque des trois saints guerriers dans une chapelle latérale. Elle accroche notre regard, parce que nous l’avons vue hier dans le dépliant publicitaire de l’hôtel. Dans ce monastère situé dans une vallée, il fait extrêmement froid l’hiver, et les 16 moniales actuelles doivent porter des vêtements très chauds et des bottes. Varvara (Barbara), la jeune sœur qui nous explique tout cela pendant le « rite de la confiture », n’a guère plus d’une vingtaine d’années. Elle parle du chant liturgique en personne expérimentée.

manassija3.jpg

Dallage du narthex

manassija2.jpg (378683 octets)

Trois saints guerriers

Comme notre hôtel n’est qu’à 1 km et demi du monastère, un groupe de neuf personnes courageuses se rend à la liturgie le lendemain matin à 6 heures. Les moniales chantent très bien. Au moment de la communion le prêtre célébrant invite le groupe de français à « chanter eux aussi quelque chose », et les nôtres font entendre alors le superbe tropaire du Jeudi Saint :  » À ta Cène mystérieuse, ô Fils de Dieu, accepte-moi aujourd’hui comme convive…  » Il est parfaitement adapté aux circonstances et à l’action liturgique, d’autant plus que le prêtre, à l’autel, dit le même texte de la liturgie de saint Jean Chrysostome.

Jeudi 30 juillet : Saint Loup, évêque de Troyes

Monastères de Pokajnika et de Koporin

À l’arrivée, au milieu du jardin, un chemin pavé bordé de deux petites haies de buis et d’une profusion de fleurs à hautes tiges, cosmos, mufliers, lupins et dahlias, nous ouvre la marche vers le clocher à droite, qui est un châssis de poutrelles surmonté d’un toit, et vers l’église qui est tout entière en bois comme celles de Souzdal en Russie. La vue d’ensemble, par son charme verdoyant et frais, par l’élégance des couleurs et des matières naturelles, emplit l’âme de joie et de paix. Le toit en abside donne exceptionnellement sur un narthex exigu, puis l’église elle-même, plus grande qu’il n’y paraît, distille une ambiance extrêmement chaleureuse avec sa voûte en coque de vaisseau retourné, avec ses tapis, ses fenestrons et une iconostase de toute beauté, où dominent les ors, les rouges et les bleus. Les murs sont en chêne et il n’y a pas de clous, rien que des chevilles. À l’entrée, une grosse poutre basse,  » pour que les turcs ne puissent pas y pénétrer à cheval « . Il existe en Bulgarie des églises dont la porte est très basse pour la même raison.

Prévenue de notre arrivée par une sœur, l’higoumena Hilaria nous rejoint et nous explique l’historique du monastère. Pokajnica signifie « repentir ». Entre 1790 et 1804 deux chefs serbes rivaux luttaient contre l’oppression turque : Djordje Karadjordje et Miloš Obrenovic. Élu chef suprême en 1804, proclamé prince héréditaire des serbes en 1808, soutenu par le tsar mais ensuite abandonné par lui, Karageorges s’était enfui en Autriche lors de l’invasion turque de 1813 parce que le combat à 10 contre un était trop inégal. Revenu secrètement en 1817 non loin de ce lieu, il avait averti son parrain, le voïvode Vujica Vulicevic, de sa présence. R cause de la trahison de celui-ci, le général Karageorges fut alors assassiné par des hommes à la solde de Miloš Obrenovic qui alla porter sa tête au sultan turc. Mais le sultan n’eut que du mépris pour les traîtres et les assassins et rendit hommage à cette tête. Vulicevic fut tellement poursuivi par le remords qu’il alla trouver la femme d’Obrenovic. Avec l’argent qu’elle réunit, il fit construire en 1818 cette église que la population alentour a appelé l' »église du repentir » bien qu’elle soit dédiée à saint Nicolas. En 1955 on a construit autour un monastère de moniales.

illaria3.jpg
illariaEglise.jpg
illaria2.jpg

L’abbesse nous invite alors à prendre un rafraîchissement et nous conversons avec elle, toujours par l’intermédiaire de Mme Olivera ou de Sœur Yéléna. Matti Hilaria, est dotée d’une mine réjouie et d’une gouaille rabelaisienne. Elle a 80 ans et la vigueur d’un homme en pleine forme dans un corps de vieille dame. C’est un caractère puissant, une nature qui unit l’effronterie de Gavroche à la fougue de Calamity Jane. Nous sommes secoués par le fou-rire en écoutant ses histoires, qui sont savoureuses en elles-mêmes, mais qui gagnent encore en force humoristique quand c’est elle qui les raconte. De sa voix tonitruante, avec un bon sens très incarné dans le quotidien, elle nous dit par exemple gaillardement :  » Si j’avais un grand tamis pour tamiser tous les gens, je saurais bien m’en servir. Mais on ne sait pas ce qu’il faut apprécier le plus : les plus fins qui partent par les trous, ou les plus gros qui restent « . Elle nous dit qu’elle sait juste lire et écrire, n’étant jamais allée à l’école, mais qu’elle a tout appris dans la Bible. La conversation vient sur les gens qui veulent paraître, et elle dit alors :  » Ils ressemblent à celui qui se fait arracher une dent saine pour la remplacer par une dent en or, mais l’or est impur « .

De même qu’autrefois les jeunes disaient aux anciens :  » Dis-moi quelque chose pour ma vie « , Mgr Germain lui demande comment notre Église pourrait faire pour obtenir de l’Église serbe qu’elle l’accepte dans son sein. Elle répond alors :  » Laissez venir à moi les petits-enfants  » et  » Frappez et l’on vous ouvrira « . Elle cite aussi saint Séraphim de Sarov qui a dit :  » Semez devant, semez derrière, sur la table et sous la table, c’est Dieu qui permettra que cela pousse « . Lorsque nous lui demandons :  » Comment voyez-vous la foi des chrétiens d’Occident ?  » (ceux de l’Église de Rome), elle répond :  » Comme un fromage suisse, avec beaucoup de trous, et en plus gras « . Et quand Mgr Germain lui pose la question :  » La France qui comporte 700 sortes de fromages peut-elle devenir orthodoxe ?  » elle fait remarquer :  » C’est comme la législation chez nous ! « .

Elle parle aussi du danger que représente la religion islamique dans ce pays. Nous lui répétons ce que le patriarche de l’Église copte, Schenouda III, a dit à Mgr Germain en 1993 :  » Ce sont les musulmans qui vous obligeront à devenir chrétiens « . À notre départ, elle souhaite que ce pèlerinage nous porte chance et bonheur,  » que notre troupeau devienne nombreux comme les étoiles, et que la grâce de Dieu nous accompagne « . Quelqu’un dit d’elle :  » C’est un fameux guerrier du Christ !  » Nous sommes heureux de faire de vraies rencontres partout où nous allons, ici en Serbie, des rencontres avec des personnalités dotées de charismes, où l’on puisse s’exprimer spontanément. Chaque visite a été l’occasion de contacts, d’impressions et d’échanges variés, tous fructueux.

À l’entrée du monastère de Koporin, gravée sur l’un des piliers de la porte, nous trouvons une inscription, dont la traduction française donne ceci : « Seigneur, bénis celui qui entre dans cette maison, protège et guide celui qui en sort, et donne la paix à celui qui y demeure ». L’auteur en est l’évêque Vladika Nicolaï, appelé « le saint Jean Chrysostome des serbes », parce qu’il attirait à lui jusqu’à 4.000 personnes quand il prêchait. C’est lui qui a réveillé l’Église serbe entre les deux guerres mondiales.

Les cloches sonnent à nouveau pour saluer notre groupe et les moniales groupées autour de l’abbesse et d’un moine âgé chantent à notre évêque l’équivalent de « Ton despotin« . Nous sommes très touchés de l’honneur fait à notre évêque. Là aussi les visiteurs descendent vers l’église par une belle allée empierrée bordée de fleurs soigneusement entretenues : glaïeuls, impatiens, canas, rosiers, œillets d’Inde, dahlias, formant un somptueux décor champêtre et floral. De part et d’autre de l’allée s’élèvent les bâtiments où habitent les moniales. Au cours de ce pèlerinage en Serbie, nous avons remarqué que les parterres de fleurs étaient plus nombreux et plus beaux dans les monastères de femmes que dans les monastères d’hommes. Les bâtiments conventuels sont à l’image des églises : en bon état, ou refaits à neuf, et même parfois neufs. Dans un pays qui a tant souffert des conflits armés, cela prouve la vitalité et l’ardeur au travail de cette Église devant laquelle nous nous inclinons.

L’église se trouve en contrebas au milieu d’un parc bien ombragé. La moniale petite et fluette qui nous reçoit possède une très jolie voix parlée qui roule sur les r, une voix étonnamment puissante et très mélodieuse : on pourrait dire qu’elle ne « parle » pas, mais qu’elle cantile au naturel ses paroles. Elle adresse à Mgr Germain des vœux de bienvenue particulièrement chaleureux. Notre guide Branislav nous explique que le monastère a été fondé au début du XVème siècle par le valeureux roi Stephan Lazarevitch, fils du roi Lazar (1387-1427). C’était un homme de lettres, un érudit très pieux. Il a écrit, nous dit-on, « des lettres d’amour qui sont encore étudiées dans les écoles serbes ». Son corps est conservé ici, et beaucoup de malades sont guéris au contact de ses reliques. Le monastère a été brûlé, la petite église est restée longtemps sans toit et l’intérieur a été très endommagé.  » Notre peuple a beaucoup souffert « , dit le vieux moine.

Saint Stephan Lazarevitch avait un cheval qui était tombé malade. Celui-ci a bu de l’eau d’une source, et il a été guéri. Saint Stephan Lazarevitch a proclamé que c’était une source miraculeuse et il a fait construire l’église non loin de là, à 100 m. L’eau de cette source guérit les maux d’yeux. Nous y sommes tous descendus, avons bu et emporté de l’eau de cette fontaine, et deux d’entre nous ont été effectivement soulagés des difficultés oculaires dont ils souffraient. Mgr Germain a écrit sur le livre d’or la dédicace :  » Les pèlerins français, en demandant la prière, se sentent en ce lieu saint comme les Trois Anges chez Abraham, découvrant peu à peu le secret de l’Église de Serbie : la fidélité humble à la Divine Trinité « .

À notre arrivée à l’hôtel le soir, nous apprenons avec grande joie que le patriarche Paul Ier nous recevra le lendemain soir.

Vendredi 31 juillet : Saint Germain d’Auxerre

Église Saint-Georges, Mausolée de Topola – Oplenac

Ce matin du 31 juillet 1998 les pèlerins se lèvent avec un émoi particulier : le programme de la journée comporte le matin une rencontre avec le prince Tomislav bien connu de Sœur Yéléna, fils du roi Alexandre Ier Karageorgévitch. Celui-ci fut assassiné à Marseille en 1934 avec le ministre français Louis Barthou. Tomislav, qui n’a jamais régné pour le moment, est ainsi le petit-fils du roi Pierre Ier de Serbie. Le programme comporte aussi en fin d’après-midi l’entrevue avec le Patriarche Pavle, Paul Ier, dont l’un des pèlerins porte le nom, le père Paul Pidancet. Mgr Germain excepté, aucun peut-être parmi nous, n’a jamais rencontré ni de prince d’une famille royale, ni de patriarche d’une Église orthodoxe ; c’est pourquoi nous sommes un peu troublés par la double rencontre de cette journée.

topola1.jpg(27063 octets)
topolaoplenac.jpg

La ville de Topola, géographiquement au cœur de la Serbie, l’est aussi historiquement et politiquement : c’est en effet ici que s’est joué en 1459 l’anéantissement de l’État médiéval serbe, et c’est ici également 350 ans plus tard, que s’est joué le début de la résurrection de l’État serbe moderne, selon la volonté divine. Le premier soulèvement serbe contre les turcs a eu lieu en effet en 1804 à partir de cette région, conduit par Djordje Petrovic, appelé Karadjordje, c’est-r-dire « Georges le Noir », bien nommé car son patron saint Georges, martyr au IVème siècle, très vénéré dans tout le monde slave et byzantin, était un fameux guerrier. Après 1790, il avait installé son vaste domaine agricole sur l’une des collines de ce lieu, appelée Oplenac. Il fut plusieurs fois rasé par les turcs, puis reconstruit jusqu’à devenir une véritable ville, berceau de l’histoire et de la monarchie moderne serbes, avec la dynastie des Karadjordjevic. C’est donc tout naturellement, que Pierre Ier de Serbie, petit-fils de Karageorges, monté sur le trône en 1903, décide d’ériger à Topola, centre de la Serbie, une église à la mémoire de toutes les victimes des guerres des Balkans. Fidèle à la tradition des souverains serbes médiévaux comme son grand-père (qui a fondé l’église de la Sainte Vierge et restauré les monastères de Manassija et de Ravanica) il fait édifier l’église Saint-Georges, mémorial et monument culturel d’une importance exceptionnelle. Elle est également un mausolée où reposent le général Karageorges et les membres de la dynastie des Karageorgévitch.

karadjordje.jpg

Karadjordje Petrovic,
Chef de la dynastie (1804-1813)

pierre1er de serbie.jpg

Pierre 1er Karadjordjevic,
Roi de Serbie (1903-1918)

On y accède en traversant une belle forêt de hêtres. Puis l’œil découvre le grand édifice blanc à cinq tours et cinq coupoles bleues, d’architecture byzantine. Les murs extérieurs sont recouverts de marbre blanc et les murs et voûtes intérieurs entièrement décorés de mosaïques aux vives couleurs. Ce sont des émigrés russes qui en ont fait le dessin, principalement d’après les fresques orthodoxes traditionnelles des monastères serbes. L’église est très claire parce qu’il y a beaucoup de fenêtres, mais pas de vitraux (la tradition orthodoxe n’en comporte pas) si bien que les couleurs donnent leur plein éclat. La crypte, dont le modèle a été pris en France sur la Basilique Saint-Denis où sont ensevelis les rois de France, contient les tombeaux de la famille royale creusés dans le sol. Nous chantons aux défunts les strophes de saint Jean Damascène :  » Donne-leur, Seigneur, le repos éternel, et que brille à jamais sur eux la lumière « .

La splendeur de l’édifice et la surabondance de beautés qui jaillissent de toutes parts nous laissent confondus, éblouis d’admiration. Certains ne savent plus s’ils sont sur la terre ou au paradis. À la fois moderne et traditionnel, c’est le joyau de l’art serbe. Les mosaïques couvrent 3.500 m² et représentent 725 sujets établis grâce à 15.000 nuances de couleur. La composition la plus originale est celle qui représente le Christ nourrisson couché dans la patène, à moitié recouvert du voile de calice, le calice étant posé à côté de la patène. On y trouve aussi la galerie des souverains médiévaux serbes tenant chacun la maquette de leur fondation principale. À droite de l’entrée, on peut admirer le « tableau du donateur » représentant la Vierge, saint Georges le saint patron de l’église, et le roi Pierre Ier très ressemblant à ses portraits. Cette visite à l’église Saint-Georges, mausolée de Topola restera dans nos cœurs comme le deuxième sommet de ce pèlerinage. Elle nous a nourris de beauté :  » Le Temple du Verbe, dans le Temple saint, reçoit le pain céleste de la main d’un ange « .

tomisla1.jpg

Le Prince Tomislav, entre Mgr Germain et soeur Yéléna

Nous nous dirigeons ensuite vers la « Maison de Pierre », construite également par Pierre Ier pour surveiller les travaux de l’église. Après la visite du petit musée contenant des objets superbes, en particulier un tableau de la Sainte Cène tout en nacre, d’une valeur inestimable, son petit-fils le prince Tomislav nous y reçoit avec la distinction et la simplicité des personnes de haute naissance. Il a vécu longtemps en exil, en Angleterre avec sa mère, il est père de plusieurs fils et d’une fille, et déjà grand-père. Dans la mesure où le gouvernement actuel l’y autorise, il continue l’œuvre de sa famille et de la dynastie. Il est très aimé par la population serbe. Nous remarquons en le quittant, que l’ordre des visites de notre voyage a suivi à peu de choses près l’ordre de la succession historique des rois et des dynasties, de Studenica jusqu’à Topola, et jusqu’au descendant vivant de la dynastie des Karageorgévitch.

Nous terminons cette matinée chargée par la visite d’Oplenac la « ville des Karageorges« , c’est-à-dire par les vestiges d’une splendeur passée : l’église et le musée installés dans les anciens bâtiments d’habitation. La fondation de Karageorges, l’église de la Sainte Vierge, a été construite en 1811. Elle est dotée d’une tour-clocher très massive qui jouait le rôle de tour de défense de la ville fortifiée de Topola. Dans son état actuel les murs sont blancs et tout simples, mais on peut admirer une superbe iconostase en bois entièrement sculptée, due aux ciseaux des maîtres de l’école russe de Debar, exécutée de 1925 à 1928. Il y a 3.000 sujets bibliques dans cette iconostase qui est une merveille de sculpture.

Dans le musée consacré à Karageorges et à l’histoire mouvementée de la péninsule balkanique, on peut voir des souvenirs de toutes les guerres qui ont ravagé périodiquement ce territoire. Une phrase de l’Écriture nous vient à l’esprit :  » De la vallée de larmes, le Seigneur fait une source de fertilité « . Le buste du général et fondateur de dynastie est très impressionnant.

Le programme de la journée a également prévu un déjeuner tardif dans un restaurant royaliste, dont le jardin d’accueil est charmant avec ses rocailles et ses fontaines, et dont la salle comporte un mobilier et une décoration très raffinés. On y voit des portraits de princes et princesses, des écussons et blasons, la généalogie des rois serbes, et bien d’autres souvenirs encore. Le repas bien arrosé est délicieux et tout le monde est très gai. De nombreux « jivele » y retentissent lorsqu’on boit de la « pivo » = bière, ou du « vino » = vin, mais pas beaucoup de « vadé » = eau.

Un petit temps de passage à l’hôtel, où nous rencontrons Mgr Lavrentije de Sabac et c’est déjà l’heure de nous rendre au Patriarcat. La plupart d’entre nous se sentent tendus et très intimidés par cette rencontre. C’est un grand honneur que le patriarche nous fait de nous recevoir parce qu’il rentre de voyage et qu’il est assailli par les affaires urgentes. Le Patriarcat ressemble à un ministère : on nous conduit à travers un dédale de couloirs et d’escaliers jusque dans le vaste bureau du patriarche Paul Ier de Serbie. Après les souhaits de bienvenue, il prend la parole et nous adresse des exhortations à la patience dans l’affaire qui nous préoccupe, c’est-à-dire la reconnaissance de notre Église orthodoxe de France encore toute jeune et bien petite, par l’Église orthodoxe autocéphale de Serbie fondée dès le XIIème siècle.  » La foi est nécessaire, dit-il, mais aussi les œuvres. Celui qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique bâtit sur le roc… Dans cette affaire, nous souhaitons agir conciliairement, comme les apôtres « . Puis il aborde la question de la communion donnée aux baptisés des autres confessions chrétiennes, disant qu’il reçoit des plaintes à notre sujet dans ce domaine.

Mgr Germain répond que  » ceux qui viennent à nos offices sont des personnes en recherche qui viennent à titre individuel. Considérant qu’il y a une tradition d’accueil à la communion très ancienne et que les ancêtres de ces personnes étaient déjà orthodoxes, nous leur donnons la communion pour qu’ils commencent à se sanctifier, et qu’ils puissent ainsi se greffer à l’Église du Christ. C’est en cela que notre jeune Église est une Église missionnaire qui attire à elle de nouveaux fidèles. Si nous leur refusons la communion, ils seront déçus par l’Orthodoxie, ne s’enracineront pas et partirons ailleurs « .

Le patriarche reprend :  » On nous répète sans cesse que la façon dont vous agissez dans ce domaine, c’est de la laxité, et cela nous gêne « . Mgr Germain lui répond :  » Ceux qui disent cela le font parce qu’ils cherchent à nous nuire. Ils nous accusent de donner la communion à des non-orthodoxes, mais en fait, ils le font eux-mêmes « . Et notre évêque  » propose de lui envoyer des documents, en particulier celui que Mgr Jean de Saint-Denis avait rédigé : « Les dix conditions d’accès à la communion », et qui avait été ratifié par saint Jean de Shanghaï et de San Francisco « . Sœur Yéléna  » propose aussi qu’il envoie un clerc parmi nous à l’église-cathédrale Saint-Irénée, afin que celui-ci nous regarde vivre, et voie comment nous donnons la communion « .

Le patriarche nous donne ensuite congé en nous souhaitant un bon retour en France, et  » que ce voyage porte de bons fruits « . Mgr Germain lui dit :  » Une de nos iconographes va vous faire cadeau d’une icône qu’elle à peinte elle-même. Et maintenant, nous demandons tous votre bénédiction « . Jeannine Barrandon s’avance alors et lui offre un très beau visage du Christ, puis les pèlerins s’avancent l’un après l’autre pour recevoir la bénédiction en embrassant sa main. Son attitude a changé imperceptiblement, et c’est avec chaleur qu’il nous adresse cette dernière phrase :  » Que chacun transporte la bénédiction chez lui et salue sa famille « .

image18.jpg
image43.gif

Samedi 1er août : Translation des reliques de saint Séraphim de Sarov – Saint Stefan Lazarevitch

Belgrade

Patriarcat : Musée de l’Église orthodoxe serbe – Galerie des fresques – Quartier de la Skadarlija

Comme on les a invités à le faire, notre évêque, son clergé et Sœur Yéléna se rendent tôt le matin ce samedi au Patriarcat, où le patriarche célèbre la liturgie dans ses appartements privés tous les jours de semaine à 6 h. L’assistance est nombreuse : environ 50 personnes dans une salle de dimensions modestes. L’iconostase est largement ouverte à tous moments et le patriarche célèbre en serbe, donc en langue accessible aux fidèles. Ceux-ci chantent beaucoup, car il n’y a pas de chœur. Au moment de la communion, le patriarche fait porter le pain bénit au groupe de français. Les deux temps forts de ce pèlerinage du point de vue liturgique auront donc été en relation avec la communion : chez les moniales de Manassija, et à la liturgie célébrée par le patriarche.

Le programme a ensuite prévu la visite du musée de l’Église orthodoxe serbe dans les locaux du Patriarcat lui-même. Il a été ouvert en 1954 et compte environ 20.000 objets, mais les 365 pièces du bâtiment ne suffiraient pas à tout exposer. On peut y voir des icônes, des ornements liturgiques, dont une pèlerine ayant appartenu au saint roi Lazar, des objets en bois, en métal, en argent, des chandeliers, dikirion et trikirion, des châsses-reliquaires, des manuscrits, des tableaux et portraits, des maquettes d’églises… Nous admirons en particulier un volume contenant l’Octoïchos, une icône représentant un patriarche en train de célébrer le rite de l’Exaltation de la Croix, des coupes princières en argent, une pour le mari et une autre – différente – pour la femme, et d’innombrables autres pièces, toutes plus belles les unes que les autres. Comme en Bulgarie on peut s’émerveiller devant plusieurs croix (KPCT) entièrement sculptées en tableaux miniatures, dont chacune a représenté des années de travail.

En Serbie, on dit « Portes royales » et non « portes saintes » parce que c’est le roi qui entre par ces portes. La porte d’entrée de l’église à l’Occident s’appelle simplement le « portail ». En écoutant le guide parler, nous remarquons que la langue serbe est une langue « roulée », comme des petits cailloux roulent dans l’eau limpide d’un torrent de montagne. C’est un roulement sonore, mais pas ronflant, comme celui du tambour ; ce n’est ni la musique distinguée et chantante du russe, ni la fluidité populaire et un peu mièvre de l’italien. Comme le bulgare, et de même que ces deux peuples ont un caractère bien trempé, le serbe a une allure rocailleuse sans aller jusqu’à la rudesse.

Au magasin de vente du Patriarcat, nous trouvons à acheter des trésors, puis nos guides nous emmènent à la Galerie des fresques, où se trouvent des copies des principales fresques des églises et monastères du pays. Cette galerie nous permet de voir certaines fresques du monastère de Decani où nous n’avons pu nous rendre, par exemple une belle fresque naïve de la pêche miraculeuse.

Après cette matinée muséographique nous avons l’heureuse surprise d’apprendre que l’agence de voyages du Patriarcat nous offre pour le dernier jour un repas dans le quartier pittoresque de la Skadarlija. Comme il se trouve près de l’hôtel Toplice, nous y allons à pied et découvrons une rue ombragée aux pavés inégaux bordée de cabarets, guinguettes et café-concerts à l’allure bohême : c’est le Saint-Germain-des-Prés de Belgrade, le quartier des artistes, musiciens, poètes, peintres et tziganes. Dans l’auberge pleine d’agréments où nous nous rendons, on nous désigne une terrasse surélevée, à l’air libre mais abritée d’un toit d’où descendent des plantes vertes en lianes. Partout des fleurs et des arbustes. Comme l’établissement est vaste et que c’est samedi, il reçoit trois fêtes à la fois, un baptême qui réunit cinquante personnes, notre banquet et bientôt un mariage.

M. Toutitch, le journaliste du Patriarcat, que nous avons rencontré les jours précédents est de la fête aussi. Au début du savoureux repas, nous voyons arriver un orchestre avec deux guitares, contrebasse, violon et accordéon, accompagné par un personnage qui nous intrigue. Sœur Yéléna nous explique qu’il est le « chroniqueur » du quartier Skadarlija, c’est-à-dire qu’il accueille les hôtes dans les restaurants et tient des discours de bienvenue. C’est en somme l’hospitalité chrétienne, individuelle ou familiale, transposée dans la vie sociale. Dépaysés au début, nous sommes vite conquis par les attraits de cette coutume serbe et par le plaisir d’un tel accueil.

Avec une bonne humeur communicative, il nous régale en effet d’allocutions, où la grande culture va de pair avec les compliments les plus courtois. Dans les entre-deux l’orchestre conduit par la jeune et ravissante violoniste interprète des morceaux de folklore local ou d’Europe centrale : musiques austro-hongroises, roumaines… L’ambiance est à la fois montmartroise et viennoise, et l’on s’amuse avec une gaieté exubérante. Le cortège du mariage arrive alors pour le repas de noces, et l’orchestre s’adresse plus particulièrement à lui. À la fin du repas c’est l’heure des discours et des toasts, les uns portés à la Serbie, les autres à la France, puis aux différentes personnes présentes, y compris celles du mariage et celles du baptême. S’adressant à Mme Olivera, à Branislav et à Sacha, Mgr Germain dit :  » Ayant été reçus comme des princes, nous allons remercier Abraham et Sarah qui nous ont reçus comme les Trois Anges « . Et il offre à chacun d’eux une petite icône gravée sur cuivre. Chacun fait un petit discours élogieux disant qu’il s’est senti parmi notre groupe comme un membre d’une grande famille. Le journaliste M. Toutitch s’exprime en chrétien et en philosophe lorsqu’il dit :  » Il n’y a plus de serbes, plus de français, mais rien que des enfants de Dieu, et nous sommes tous étrangers sur cette terre « . Nous-mêmes, les pèlerins avons le sentiment de vivre un grand moment de fraternité dans une journée intense et mémorable.  » Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble ! « .

Les jeunes mariés nous ayant également porté des toasts, nous leur chantons :  » Isaïe, réjouis-toi…  » et  » ad multos annos « . Pour terminer, l’orchestre joue des musiques de danse de style grec, et nous dansons tous en nous tenant les mains comme nous l’avons vu faire au mariage de Studenica. Sacha, qui est un très bon danseur, s’improvise notre professeur. Le petit orchestre s’en va ensuite dans un autre restaurant, et il est remplacé par… une fanfare tzigane de cuivre et percussions de 25 exécutants ! Elle est talentueuse mais tonitruante, ce qui n’a pas l’air d’émouvoir la jeune baptisée de 18 mois. C’est cocasse d’entendre ‘l’alouette », où excellent les virtuoses du violon, jouée par des tubas et cornets à piston accompagnés de grosse caisse.

Mgr Germain a eu le temps de nous communiquer ses impressions sur le voyage. Il fait remarquer d’abord :

 » l’hospitalité de l’Église de Serbie qui n’est pas repliée sur elle-même. Celle-ci ressemble aux bergers, qui sont présents à la naissance du Christ, par la primauté du cœur. Pour les serbes, les mystères sont spontanés. Tandis que les français ressemblent plutôt aux mages, dont l’esprit s’éveille et qui sont des intellectuels. Les serbes sont là, tout simplement et ils adorent, tandis que nous, nous arrivons de loin et demandons humblement à être admis dans le Saint des Saints. Notre recherche primordiale c’est la Communion avec l’Église de Serbie. Elle n’est pas obligée de donner cette Communion, pourtant nous l’espérons. Le peuple serbe est plutôt en bonne santé, contrairement à ce que l’on entend dire de lui en France. Ici la porte des cieux n’est pas fermée, et de ce fait, l’Église de Serbie est précieuse pour l’Église de France « .

Nous allons ensuite à pied dire un dernier au revoir à l’exquise Mme Olga qui nous reçoit encore plus somptueusement que les autres fois, et chantons chez elle une grande partie des Vêpres. Le cœur rassasié de fêtes et d’amitié, nous sommes un peu tristes de devoir quitter ainsi tant de nouveaux amis.

Le lendemain, dimanche 2 août, 9ème après la Pentecôte, « la Jérusalem céleste », l’avion s’envolait vers Paris dans la matinée.

Ce pèlerinage a été béni de toutes sortes de façons, ne serait-ce que par l’excellente ambiance qui régnait dans notre groupe très homogène, où il n’y avait aucun trouble-fête à déplorer. Notre démarche de nous mettre à l’écoute de l’Église serbe a été comblée au-delà de toute espérance. Nous avons rencontré des personnes dotées de grands charismes, vénéré des saints prestigieux, prié et chanté sur la route, dans les églises et chez des amis, admiré de somptueux édifices médiévaux et modernes, visité des musées qui nous ont raconté l’histoire glorieuse et pleine de vicissitudes de ce peuple : nous sommes conquis par ce pays dont l’hospitalité, le courage et la persévérance sont à juste titre légendaires. À l’avenir nous parlerons autour de nous de la vaillance du peuple serbe. Mais plus encore, nous avons eu le sentiment de trouver une sœur dans l’Église serbe, dont le zèle des bâtisseurs d’églises ornées de fresques ou de mosaïques, est proche du zèle des bâtisseurs de cathédrales français d’autrefois.

La reconnaissance emplit notre âme et notre prière s’élève ainsi vers Dieu :  » Seigneur, nous Te rendons grâces pour tes bienfaits connus et ignorés, que nous recevons de Toi sans aucun mérite. Que du soir au matin, et du matin jusqu’au soir, notre bouche soit remplie de louange. Tu es béni Seigneur, riche en miséricorde, alléluia, alléluia, alléluia « . L’espoir envahit également notre cœur :  » Seigneur, exauce les prières de ton peuple qui crie vers Toi « . Notre petite Église orthodoxe de France sortira-t-elle bientôt de sa course errante grâce à une grande Église orthodoxe autocéphale, qui lui donnera l’hospitalité canonique ? À l’issue de ce voyage nous continuons à l’espérer, en remerciant par avance cette grande Église, quelle qu’elle soit.