Pèlerinage en Syrie 2008

Pèlerinage en Syrie
Du vendredi 18 au lundi 28 avril 2008

Récit publié par le journal J.O.I.E. n° 205 – Juin 2008

Tous les deux ans, l’Église orthodoxe de France organise un pèlerinage. Cette année, nous avions choisi d’aller à la rencontre de la Syrie, cette terre d’Orient proche de la terre d’Israël où le Christ vécut, ce pays dont la capitale au temps des Romains était Antioche, ville où, pour la première fois, les disciples de Jésus furent nommés chrétiens. Profitant du décalage de cette année entre les Pâques occidentale et orientale, nous pourrions ainsi, en cette fin du mois d’avril, célébrer à nouveau la Semaine Sainte avec les orthodoxes syriens.

Nous étions dix-huit pèlerins, notre évêque, Monseigneur Germain, trois prêtres, un diacre, deux moniales, des fidèles et sympathisants de notre Église venus de tous les coins de France. Après une nuit dans l’hôtellerie du Patriarcat gréco-catholique de Damas, nous avons fait notre première visite à Kaukab, l’endroit où saint Paul, allant à Damas pour rechercher des disciples du Christ et les ramener prisonniers à Jérusalem, reçut la lumière du Christ et se convertit.

Voici un extrait du carnet de voyage de Sophie, où elle relate la visite dans ce lieu nouvellement rénové grâce au concours du Patriarcat de Moscou, et celle de la maison où saint Paul fût baptisé à Damas, à vingt kilomètres de distance.

« …Poursuivant sa route, il approchait de Damas quand soudain une lumière venue du ciel l’enveloppa de son éclat. Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi Me persécute-tu ? » (Ac 9, 3-4).

Construit sur une colline désertique, l’église de la Bénédiction et de l’Intercession de saint Paul semble reposer dans une sérénité immuable sur une colline désertique. Si le lieu donne la sensation d’être de toute éternité, le bâtiment est moderne sans trop de particularité, une construction à l’image des premiers temples chrétiens, rond en nautile, scindé par douze arches, lieu de finitude, Paul foudroyé, treizième, faisant éclater la perfection. L’iconostase, classique, présente quatre grandes icônes, l’une de saint Paul tombant de son cheval cabré, une autre de la Vierge, puis le Christ et Jean-Baptiste, surmontée des douze apôtres.

« Je suis Jésus, c’est Moi que tu persécutes. Mais relève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire Il y avait à Damas un disciple nommé Ananie… Le Seigneur lui dit : Tu vas te rendre dans la rue appelée Rue Droite et demander dans la maison de Judas un nommé Saul de Tarse, il est là en prière et vient de voir [en vision] un homme nommé Ananie entrer et lui imposer les mains…cet homme est un instrument que Je me suis choisi pour répondre de mon nom devant les nations païennes et les Israélites ; Je lui montrerai moi-même tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom » (Ac 9, 6-17).

Dans la maison d’Ananie, nous descendons bien en dessous du niveau de la ville actuelle dans un petit sanctuaire, où siègent derrière l’autel trois sculptures des moments forts du passage de Paul à Damas : sa chute, aveuglé sur le chemin, son baptême par Ananie et sa fuite par les remparts de la ville dans une corbeille descendue par les disciples (car Paul avait retrouvé la vue, il proclamait que Jésus était le Fils de Dieu et les Juifs se concertaient pour le faire périr). Notre promenade nous ayant conduits dans le quartier chrétien, nous pûmes à loisir apprécier, à travers les commerces, les rencontres, les différentes facettes de ce christianisme à l’orientale.

A Damas, nous visitons une des rares fabriques de tissu « damassé », puis nous investissons une boutique toute proche de la maison d’Ananie : investir est le mot… car nous y achetons, au grand bonheur du commerçant, près de cent-cinquante mètres de superbes tissus de couleurs variées pour
l’habillement des clercs et l’ornementation de nos églises et de nos chapelles.

Du travail en perspective pour les servantes du temple et les couturières, pour la beauté des liturgies.

Nous entrons aussi dans la célèbre mosquée des Omeyyades, construite au VIIIème siècle sur l’emplacement d’un temple chrétien. Mosquée grandiose et ornée de superbes mosaïques, abritant un mausolée en l’honneur de Jean-Baptiste, vénéré comme un prophète par les musulmans.

De même, à Alep, la deuxième ville du pays, la mosquée abrite un mausolée de saint Zacharie, devant lequel certains murmureront le Benedictus, cantique qu’il prononça lors de la naissance de son fils, Jean-Baptiste.

Notre-Dame-de-Saidnaya

Le lendemain, dimanche des Rameaux pour les orthodoxes syriens, nous partons en bus pour Notre-Dame-de-Saidnaya, lieu de pèlerinage connu dans toute la chrétienté au Moyen-Âge où une icône miraculeuse de Marie est vénérée par les chrétiens orientaux et occidentaux.

Dans le bus, nous chantons les laudes, ce que nous faisons chaque jour, ajoutant d’autres offices quand la durée du voyage le permet.

Extrait du carnet de voyage de Sophie :

Notre arrivée au monastère de Notre-Dame-de-Saidnaya se fit le jour des Rameaux. L’agitation, le bruit, l’euphorie qui régnaient nous évoquèrent immédiatement l’ambiance de l’entrée du Seigneur dans Jérusalem et notre célèbre chant avec canonarque (Et la foule criait… ) nous revint en mémoire, une fanfare assourdissante clamant la joie de l’arrivée de Sauveur. Au milieu de la liesse, nous parvînmes à entrer dans l’église au moment de la procession. Elle était richement ornementée de dorures et d’icônes.

Ce monastère, dont l’origine remonte au VIème siècle, a été complètement rénové ; il comporte un petite chapelle où est conservée une icône dont on dit qu’elle fut peinte par saint Luc. Un défilé de fidèles se prosterne devant l’icône de Notre-Dame-de-Saidnaya : l’empereur Justinien, chassant, aurait bandé son arc devant une gazelle, lorsque la Vierge lui apparut et lui demanda de construire une église.

Y

Nous continuons notre route vers Ma’aloula, petit village perché à 1.650 mètres d’altitude où les habitants parlent encore l’araméen, langue que parlait le Christ. Ce lieu très fréquenté par les pèlerins aurait été fondé à l’époque de Constantin. Un monastère orthodoxe abrite le tombeau de sainte Thècle, qui vécut en ce lieu.

Puis, nous filons vers le monastère de Mar Moussa. Il nous faut arriver avant la nuit qui tombe avant 7 heures du soir, de façon à pouvoir escalader les quatre cents marches du sentier qui mène au premier des bâtiments qui surplombe une falaise, face au désert. Sœur Yéléna nous étonne, elle monte au rythme de son âge, et nous la voyons, économisant son souffle avec sur ses lèvres le murmure intérieur de la prière « Kyrie eleison » qui la soutient jusqu’à la porte du monastère où elle rend grâce au Très-Haut avec le geste de l’orante.

Le Monastère de Mar Moussa se présente à flanc de montagne dans la plus pure tradition de l’expérience spirituelle : son ascension est aride, son paysage désertique. S’il se détache du rocher avec un relief qui appelle tel un refuge dans un univers inhospitalier. Au fur et à mesure de la montée, chaque grotte qui compose la falaise devient plus distincte et semble avoir hébergé un anachorète en d’autres temps. érigé au VIème siècle et relevé de ses ruines par le dynamique père jésuite Paolo, il possède une église dont les fresques uniques datent des XIème et XIIIème siècles, restaurées pour certaines en 2003.

Mais son intérêt ne reste pas uniquement architectural, on pourrait dire même qu’il semble accessoire, le monastère Mar Moussa (saint Moïse) est surtout un lieu d’expérience spirituelle : lieu d’obéissance à une discipline austère qui mène à l’oubli de soi, indispensable passage pour la purification de l’être, séparation de l’épais manteau matériel qui nous éloigne de Dieu et empêche le souffle de l’esprit de pénétrer
jusqu’à nos cœurs.

L’ensemble se compose de trois bâtiments, les communs où se situent l’église, les cuisines, la terrasse, puis le bâtiment des hommes et celui des femmes. L’entrée aux communs se fait par un étroit et bas goulet dont seule l’extrême humilité permet le franchissement, du reste toutes les portes sont basses, étroites.

La vocation du monastère est d’être un lieu d’accueil, une terre œcuménique, un lieu d’ouverture dédié à l’harmonie islamo-chrétienne. Nous participons à la prière commune : une heure en silence, puis les psaumes et les lectures sont lus en arabe.

Après un repas frugal, les hommes prennent le chemin de leurs cellules, les femmes en prennent un autre. Sur le chemin qui mène au bâtiment des femmes, j’étais guidée par une petite chienne qui jappait joyeusement et semblait vouloir me montrer quelque chose. Elle disparut tout d’un coup comme absorbée par le rocher ; en m’approchant, je vis ce qui allait être le principe de vie du reste des bâtiments : une petite grotte, épousant la forme de la bête, parfaitement à sa taille, niche naturelle l’abritant des morsures du soleil.

En continuant vers le monastère en construction réservé aux femmes, je compris qu’il s’était bâti autour de petits creux dans la falaise qui avaient du et devaient encore héberger des érémitiques. à quatre pattes, je pénétrais dans l’une d’elles. Une natte par terre constituait son seul aménagement, deux icônes, la Dormition de la Vierge et un Pantocrator dont le livre ouvert semblait dire : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Dans le silence du désert, je fus envahie par cette évidence : le dépouillement extérieur pour un enrichissement intérieur. D’autres lieux comme celui-ci se trouvaient à côté, plus grands, mais tout aussi fertiles. La rigueur du lieu ne devait pas être commode à vivre quotidiennement, comme me l’a confirmé une pensionnaire, mais combien vives étaient les lumières qui brillaient dans ses yeux.

Notre départ se fit au petit matin sous les rayons déjà ardents du soleil et les chuchotements des pierres qui semblaient avoir encore beaucoup de choses à nous dire…

La force du lieu a marqué plusieurs d’entre nous, et Annie nous a aussi adressé son récit :

Une nuit à Mar Moussa

Vue générale

Fresque

Déjà impressionnée à l’approche de cet ouvrage suspendu, n’ayant jamais vu ce type de monument ailleurs qu’en photo ou en documentaire télévisé, j’ai hâte de découvrir ce que peut cacher cette merveille.

Nous traversons une épaisse porte d’un mètre de hauteur, m’obligeant à quitter mon sac à dos et me plier en deux, et nous avons un accueil très chaleureux.

Deux jeunes femmes nous font découvrir les dortoirs qui n’ont rien à envier aux refuges de haute montagne. Et rendez-vous rapidement à l’église pour le Notre Père en araméen, une heure de méditation et un office vespéral. Je jette mon sac sur mon lit et me précipite vers l’église.

Des fresques innombrables, encore belles, des tapis et des coussins partout et superposés, je n’avais qu’une envie : me lover quelque part sur un coussin. J’ai été exaucée, le père Paolo nous y a invité, ils ont baissé les lumières, laissé quelques bougies… place à la méditation.

La puissance du lieu, la présence de tous les fidèles et cette atmosphère m’ont permis d’atteindre un bien-être exceptionnel. Je ne sentais plus le contact avec le tapis. Les évènements ultérieurs n’ont fait qu’entretenir cet état de béatitude.

Après un dîner frugal et suffisant, on a du m’obliger à aller me coucher. Honnêtement, je m’apprêtais à prendre une couverture et rester sur la terrasse à la belle étoile pour profiter de la pleine lune qui éclairait les montagnes et la steppe… j’en frissonne encore.

Réveil spontané à 6 heures, très exceptionnel pour un amateur de grasse matinée. J’oublie la douche, m’habille et me dirige vers le monastère en travaux situé au dessus.

Je retrouve Sophie et Renée, et Sylviane nous rejoint sur ce chemin. Des fauteuils sur une terrasse au soleil nous tendaient les bras Sophie, Sylviane et moi nous y installons… les femmes peuvent être bavardes et bien là, silence, grand silence.

La sensation d’un amour intense m’a envahi, une lumière blanche et une douce chaleur. Moment très fort entre nous trois.

Remises de nos émotions, nous entrons dans une petite chapelle troglodyte toute en longueur où règne la sérénité. Puis Sophie découvre une petite grotte d’ermite toute ronde, sol et plafond, nous nous installons l’une à coté de l’autre sur un petit coussin et là, immédiatement, émotion intense pour toutes les trois… pour ma part, une joie profonde m’envahit, je souris même malgré moi.

Nous étions dans une bulle d’amour rassurante et protectrice, c’était palpable. Nous étions trois et ne faisions qu’un.

J’ai eu du mal à quitter le monastère de Mar Moussa.

Le lendemain, à Qara, nous visitons l’église des Saints-Serge-et-Bacchus, dédiée à ces deux cavaliers martyrisés en 303 en Syrie, à Resaffé ; le gardien de l’église tire un long rideau qui protège une partie du mur gauche de la nef et dévoile des fresques du XIème siècle : les cheveux de Jean-Baptiste le Précurseur ondulent au souffle de l’Esprit, et, icône plutôt rare, la Vierge y donne le sein à l’Enfant-Jésus.

À Homs, une ville centrale d’un million d’habitants, nous visitons l’église de la Ceinture de la Vierge : dans une chapelle latérale, les chrétiens vénèrent une partie de cet objet qui a appartenu à Marie, insérée dans un reliquaire.

Sur le chemin, nous sommes accueillis dans plusieurs monastères, l’un d’entre eux, Mar Yacoub (Saint Jacques le Mutilé), a été courageusement rebâti sous la direction de quelques moniales gréco-catholiques, sur un lieu où de nombreux chrétiens furent massacrés. La mère supérieure, d’origine française, apprécie l’iconographie et nous demande de lui adresser la bande son du montage diapositives réalisé par notre paroissien Jacques Oger, L’évangile des icônes, qu’elle aime montrer aux chrétiens du lieu et aux visiteurs.

C’est dans cette région que se trouve le Krak des Chevaliers, la plus belle place forte de Terre Sainte, sommet de l’architecture militaire médiévale, forteresse sur le chemin de Jérusalem enlevée aux musulmans par Raymond de Saint-Gilles lors de la première croisade. Nous déambulons quelques heures dans ce château fort, impressionnant par sa taille, dominant les collines environnantes, lieu stratégique recevant en permanence les vents de la mer.

Le mardi, nous visitons aussi le site antique d’Apamée : près de deux kilomètres de colonnades de la période romaine et byzantine, dressées haut dans le ciel au milieu des champs où paissent quelques troupeaux de moutons. La ville resta longtemps un fort foyer du paganisme et, en 386, l’évêque dut recourir à l’armée pour détruire le temple de Zeus. La minorité chrétienne y a construit des dizaines d’églises, encore repérables sur le site. Les reliques de la Vraie Croix étaient probablement à l’origine conservées là, dans un martyrion, puis, après les séismes du VIème siècle, dans une église de plan basilical. Nous retrouvons ce lieu et, dans une lumière vespérale intense, nous chantons Les Etendards du Roi, l’hymne que composa saint Venance Fortunat quand des reliques de la Croix arrivèrent de Constantinople à Poitiers.

Mercredi Saint pour l’église d’Orient, saint Siméon le Stylite nous attend, lui qui demandait aux pèlerins gaulois de solliciter pour lui les prières de sainte Geneviève, sa contemporaine, quand ils retourneraient à Paris.

Sa présence est palpable, même s’il ne reste plus que la base de la colonne de quinze mètres de haut sur laquelle il vécut près de quarante ans, colonne qui fut abritée dès le Vème siècle, après sa mort, par la coupole d’une immense basilique tombée en ruine, mais dont on peut aisément imaginer la splendeur.

Poème du Père Bernard Jakobiak

Saint Siméon le Stylite

Un berger est appelé.

Il ne veut plus composer avec le monde. Il est moine.

Il double les jeûnes, meurtrit son corps,
devient un danger pour ses frères,
car son exemple pousserait à la folie les plus sensibles, les plus faibles.

Il s’enferme entre les pierres. Son renom grandit.

La paix qu’il cherche, lui fait refuser mouvements, espace et temps.

Il réduit tout ce qui passe.

Par soif de Dieu, il se place au-dessus des bavardages,
jusqu’à quinze mètres du sol, au sommet d’une colonne.

Il impose le silence.

Face au lointain et au ciel, il invite à se défaire de la peur, du terre-à-terre
et dans la douceur, il aime ce qui respire et qui rampe.

Il se nourrit de louanges.

Le soleil, la pluie, le vent plus jamais ne le dérangent.

Il écoute ceux qui montent vers son aérien étage.

Nous te prions, Siméon,
pour la vigne que la droite du Seigneur planta,
où croître jusqu’à placer terre et ciel en leur devenir, leur marche,
jusqu’au sel de vérité sur les lèvres, et dans le cœur.

Sur le chemin vers Alep, un petit village, Kalb Lozé abrite une église du Vème siècle, avec la béma, une plateforme située au milieu de la nef où le clergé s’installait et d’où l’on faisait les lectures dans les églises paléochrétiennes. Des enfants druzes nous vendent, pour une bouchée de pain, quelques
tissus maladroitement brodés par eux.

Dans la soirée, l’archevêque Paul d’Alep reçoit notre délégation. Après un entretien cordial, il nous invite sans hésitation à concélébrer avec son clergé l’office de la bénédiction des huiles.

Monseigneur Germain et l’Archevêque Paul d’Alep

Mercredi Saint, célébration de l’office des Nocturnes Cathédrale d’Alep

le diacre Léon assiste l’archidiacre, nos prêtres et nos lecteurs lisent quelques lectures en français et nous nous laissons bercer par l’office chanté en arabe dans une cathédrale archicomble. Nous recevons cette grâce et l’onction de l’huile comme un signe du ciel, heureux de cet honneur qui nous est donné d’être accueillis fraternellement par les chrétiens orthodoxes de Syrie, nombreux, surtout parmi les plus anciens, à nous saluer par des remerciements en français.

Alep, mentionnée dans les textes hittites il y a quatre mille ans, est une des plus anciennes cités du monde toujours habitées – notre guide syrien dira « la plus ancienne ». La vieille ville invite au dépaysement avec ses souks inchangés depuis le XIIème siècle, les caravansérails (entrepôts de marchandises), ses palais et la citadelle, perchée en plein milieu de la ville sur un promontoire. Nous achetons aussi le fameux savon d’Alep, dont le commerce date d’un millénaire avant le Christ.

Dans le quartier chrétien, Annie connaît une émotion particulière en entrant dans l’église arménienne où elle a été baptisée à l’âge de 2 ans. La communauté arménienne s’apprête à commémorer l’anniversaire du début du génocide perpétré par les Turcs en 1915, et Annie laisse le groupe pendant une demi-journée pour nouer des contacts avec ses frères de Syrie, dont la communauté est importante, notamment des familles de réfugiés qui avaient fui les massacres du siècle dernier.

Le soir du Jeudi Saint, nous allons à nouveau à la cathédrale, concélébrer l’office des nocturnes, avec la lecture des douze évangiles de la Passion, avec la procession et la vénération de la Croix, littéralement plantée avec le bruit des clous sur l’estrade située devant l’iconostase.

Le Vendredi Saint sera notre entrée dans le désert, avec l’aridité du sol, les couleurs variées du sable, la chaleur qui accable. Nous avons déjà parlé de Réssafé, place forte romano-byzantine où saint Serge, compagnon de saint Bacchus, fut martyrisé en 305. L’empereur Justinien lui donna le nom de Sergiopolis. Elle devint le but d’un pèlerinage connu dans tout l’Orient jusqu’au XIIème siècle. Dotée de nombreux édifices religieux dont la basilique en l’honneur du saint, dotée de quatre vastes citernes qui pouvaient contenir plus de dix mille mètres cube d’eau chacune, la cité pouvait subvenir au besoin de ses habitants ainsi que de la foule des pèlerins. Les ruines de la ville sont comme enfoncées dans le sable, ville morte attendant la résurrection universelle.

Pour Jean-Raoul, le silence du désert de ce vendredi a fait jaillir quelques paroles :

Château du désert.

Tentative en rouge.

Et le vent s’enfourne au brûlant de l’heure.

Trois heures ont sonné au mitan d’une piste tremblante
et les chrétiens d’ici entendent le voile du temple se déchirer.

C’est vendredi.

Et nous voilà déjà aux confins de la brume,
où le dur du sable se mouille au dur du ciel.

Hisham peut-être, ou un autre calife des Omeyyades
en fit construire trente-deux pour, dit-on, se reposer,
pour guetter et pour échanger avec les caravanes, fourmis d’azur.

*

Nous trouvons une oasis à Tadmor, la plus célèbre oasis d’Orient, aujourd’hui un des sites antiques les plus renommés. Les Grecs l’ont nommée Palmyre, en raison des forêts de palmiers de la ville, qui donnent un peu d’ombre et de fraîcheur, au moins le matin. Le site est superbe. De l’hôtel-restaurant construit par une dame basque, la vue est fabuleuse sur les restes de l’ancienne cité.

Le Samedi Saint, c’est encore le repos du désert traversé pendant deux cents kilomètres, heureusement pour nous dans le bus climatisé. Repos lors d’une halte chez les Bédouins qui nous accueillent pour le thé et entraînent certains d’entre nous dans la danse d’une musique orientale. Repos à peine troublé par une impressionnante tempête de sable qui nous fit entrer en plein jour dans la pénombre de la nuit, comme les prémices de la Résurrection attendue le soir.

La liturgie de la nuit pascale est à 10 heures. Nous célébrons la Résurrection dans une paroisse de Damas. L’évêque, vicaire patriarcal, a réservé les premiers bancs pour nos fidèles et les clercs sont invités à l’autel. Il y a tellement de monde, dans la nef et sur le parvis de l’église, que la procession à l’extérieur est réservée aux célébrants et à quelques fidèles. Notre groupe a cet honneur, et lorsque l’évêque ouvre la porte extérieure et pénètre dans l’église, symbole du tombeau vide, il y a des youyous et des applaudissements qui fusent, vite interrompus par les chants de la Résurrection.

Nous sommes touchés par la ferveur des fidèles, notamment quand ils récitent ensemble les prières communes, comme un unisson qui monte vers le ciel. Quand l’icône de la Résurrection processionne dans l’église, les fidèles se bousculent pour la toucher et se signer. Après la communion eucharistique, il est environ 2 heures du matin, l’évêque s’adresse à nous : « La communion va encore durer une bonne heure… si vous voulez, vous pouvez rentrer à votre hôtel ». Nous acceptons et, à l’hôtel, nous buvons un verre d’arak, l’anisette locale, en guise d’agapes de la Pâque.

Le matin même, après un court repos, trois d’entre nous se rendent à la liturgie célébrée à 6 heures au siège du Patriarcat, par le patriarche Ignace IV. Du fait de son âge (il a 87 ans), le patriarche ne célèbre pas la nuit de Pâques. Il nous fait asseoir au plus près de l’autel devant l’iconostase. Le chœur, admirablement, entonne les matines. Le patriarche avance avec peine, quelquefois soutenu par le vicaire patriarcal pour monter les marches vers le sanctuaire.

Plusieurs jeunes enfants servent à l’autel, et aussi des jeunes filles habillées en aube bleu clair, ce que nous avons vu dans plusieurs célébrations : à Saidnaya, c’était une jeune fille de 10 ans qui encensait, comme un diacre expérimenté, la table ou étaient déposés les rameaux.

La liturgie pascale dure près de quatre heures, et le patriarche préside, presque toujours debout, attentif au déroulement et intervenant lui-même quand il y a une hésitation. « Christ est ressuscité » ! « Al’Masiah qam ; haqqan qam ! ». Après la liturgie, nous sommes conviés à une réception officielle. Le ministre du Palais présidentiel et le chef de la police nationale viennent présenter au patriarche les vœux du gouvernement, sous l’œil des caméras de la TV syrienne. Nos voisins de la salle d’audience parlent français et nous nouons quelques contacts, en particulier avec l’ambassadeur du Brésil à Damas, lui-même orthodoxe, étonné de l’existence d’une église orthodoxe occidentale.

Le patriarche Ignace IV reçoit notre évêque et notre groupe de pèlerins

Le dimanche soir, après une journée chargée pour lui, et malgré notre retard au rendez-vous, le patriarche Ignace IV reçoit notre évêque et notre groupe de pèlerins pour un entretien et pour l’échange du salut pascal. Dans un français parfait (il a étudié à Paris et en Suisse), il parle de la terre syrienne, terre profondément chrétienne depuis l’origine. Il nous écoute sur ce qui a marqué notre pèlerinage, sur la spécificité de notre Église, Monseigneur Germain le remercie pour l’accueil que nous ont réservé ses communautés. Il dédicace un de ses ouvrages en français apporté par une fidèle, et donne sa bénédiction à chacun, la veille de notre retour en France.

C’est l’heure du dîner d’adieu dans un restaurant de la vieille ville, où nous sommes accompagnés par une troupe de musiciens traditionnels. Nous y chantons un vigoureux Ad multos annos pour nos hôtes syriens, avant une courte nuit qui nous ramènera à Paris… pour célébrer l’Ascension, après cette Pâque vivifiante en terre d’Orient.

Prêtre Jean-Louis Guillaud
(avec la collaboration du prêtre Bernard Jakobiak, de Sophie Régimbeau, d’Annie Guérin et de Jean-Raoul Pampuri).