Le plus proche et le plus inconnu : le Saint-Esprit.
Saint Jean de Paris,
Mgr Jean, évêque de Saint-Denis,
Eugraph Kovalevsky (1905-1970),
Église catholique orthodoxe de France.
Le but de cet article est de permettre aux personnes dépourvues de temps ou de possibilité pour approfondir la théologie dogmatique de l’Église orthodoxe de s’approcher de l’Innommable, du plus intime et du plus inconnu : le Saint-Esprit.
Qui est le Saint-Esprit ? L’Esprit-Saint est Dieu, la troisième hypostase de la Sainte Trinité. Il procède du Père et il est envoyé dans le monde par le Fils : voici la réponse exacte et infaillible. Mais cette réponse exacte et infaillible peut laisser indifférents tous ceux qui ne s’élèvent pas à la pure théologie et dont l’intérêt est capté par la « vie ». Leurs questions seront alors les suivantes : quel est le rapport immédiat, vital, du Saint-Esprit avec le monde, avec notre vie personnelle ; quelles sont son action, ses manifestations en nous, pour nous ?
Cédant à leur désir légitime, nous essaierons de parler ici du Saint-Esprit dans la créature. Certes, ce bref article ne pourra toucher l’essentiel que du dehors mais nous espérons que cette connaissance préliminaire donnera le « goût » de l’Esprit-Saint et aidera les « pneumatophores » à pousser leur recherche plus avant, appuyés sur la tradition de l’Église du Christ.
Quatre cercles
Guidés par Maxime le Confesseur, distinguons les quatre étapes, les quatre mystères du Saint-Esprit, qui se déroulent progressivement de l’extérieur vers l’intérieur, de la périphérie vers le centre. De ces quatre cercles concentriques de l’expérience du Saint-Esprit, le premier est à la portée de tous sans exception, le dernier totalement inconnu du monde et privilège d’un petit nombre.
Le premier cercle est universel et cosmique
Le premier cercle est universel et cosmique. C’est celui de l’Esprit planant sur les éléments primordiaux, les réchauffant, les vivifiant et les rendant féconds (Gn 1, 2). Selon l’enseignement de l’Écriture sainte et des Pères de l’Église, tout ce qui est, existe, vit, se meut et progresse, est, existe, vit, se meut et progresse par l’Esprit. On peut dire que l’être, l’existence, la vie, le mouvement, le progrès de chaque atome, de chaque chose et de tout, de chaque parcelle, de chaque poussière, de chaque électron, ainsi que de tout système solaire ou du cosmos présent ou à venir, sont par l’Esprit. Sans lui, rien ne peut être, exister, vivre, se mouvoir ou progresser, et point n’est besoin d’être sage, initié, éclairé, saint ou chrétien pour saisir sa présence. Elle est plus immédiate en chacun que sa propre conscience, bien qu’indéfinissable.
De ce point de vue, Dieu nous est plus proche que nous-mêmes. « Tu envoies ton Esprit, dit le psalmiste, et la terre se renouvelle », la nature est en perpétuel renouveau. « Tu leur retires le Souffle, et tout retombe en poussière », se décompose, disparaît, perd l’existence et retourne au néant.
Il est certain que ce souffle vital, exhalé par l’Esprit, n’a pas une intensité uniforme. Le monde minéral est moins animé que le monde végétal, le végétal que le règne animal, l’animal que l’humain. Tout a l’être en l’Esprit, mais tout participe à la vie selon des modes hiérarchiques différents. La pierre a une apparence statique derrière laquelle elle se meut et se transforme lentement. Nos montagnes et collines ne sont qu’un mouvement de l’écorce terrestre. Nous voyons « au ralenti ». Dans les visions prophétiques, les montagnes sautent devant le Très-Haut comme un troupeau de béliers. La transformation des plantes est plus saisissable, plus développée que celle des minéraux. Le règne zoologique les dépasse à tel point que la Bible lui accorde une nouvelle vertu : l’âme vivante. L’homme, lui, est au sommet.
Plus nous gravissons cette échelle de la vie et plus nous acquerrons le caractère d’autonomie, de conscience, de liberté de mouvement, de choix, de direction, de création. Cette aptitude à la liberté nous communique simultanément la possibilité d’épanouir en nous la vie divine et celle de lui résister. Il en découlera logiquement que l’homme peut être à la fois le « temple du Saint-Esprit », une source de vie et la cause de destruction du monde, un initiateur d’anéantissement de l’être, un instrument de mort.
L’Église orthodoxe propose à ses fidèles de commencer toute action par l’appel au Saint-Esprit : Roi du ciel, consolateur, Esprit de vérité, toi qui est partout présent et qui remplis tout, trésor des biens et donateur de vie, viens et demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui es bonté. Cette prière nous enseigne magnifiquement que l’Esprit-Saint est l’être, l’existence, la vie et le progrès de tout, mais que nous, hommes, l’avons expulsé volontairement de nos âmes, laissant à sa place un vide, une souillure, et qu’il nous faut le supplier de revenir en nous afin de retrouver la plénitude de vie.
Ce qui est vital, épanouissement de l’être, est bon et vrai ; ce qui diminue, détruit la vie, amoindrit l’âme, entrave le renouveau perpétuel ou tue, est le péché contre l’Esprit de Dieu. Voici l’enseignement moral et pratique, inhérent à cette première manifestation de l’Esprit.
Le deuxième cercle n’est plus cosmique, il est pan-humain
Le deuxième cercle n’est plus cosmique, il est pan-humain et n’appartient qu’à l’humanité.
L’Esprit, selon l’expression de Maxime le Confesseur, y apparaît comme guide vers le Christ, inspirateur, source de la révélation des élus, qu’ils soient prophètes, initiés, poètes ou savants. Il se manifeste aussi sous forme d’intuition dans les âmes simples et mène progressivement tous ces êtres, en tant qu’ils peuvent le suivre, vers la totale vérité déposée dans le Verbe incarné.
Il est l’Esprit de vérité distribuant des parcelles de cette vérité, des étincelles du feu divin, autant aux hommes de toutes races et de toutes provenances qu’aux peuples, aux traditions et civilisations. Les prophètes de l’Ancienne Alliance participèrent violemment de l’Esprit Saint, mais les illuminés et les sages des autres religions n’en sont point privés. Car il ne peut y avoir qu’une vérité qui est le Christ. Il le dit lui-même : « Je suis la Vérité. » Et nous n’avons pas d’autre donateur de vérité que l’Esprit de vérité. Là où frémit une moindre parcelle de vérité, là est l’action de l’Esprit. Les Pères se plaisaient à donner comme exemples d’inspirés les sibylles (la célèbre sibylle de Cumes), les philosophes antiques (Héraclite, Platon…), les poètes (Virgile…). Saint Clément d’Alexandrie allait jusqu’à voir l’inspiration de l’Esprit divin dans l’Odyssée et dans Ulysse attaché au mât pour ne pas succomber à la voix des sirènes, une préfigure du Crucifié. Il est évident que l’Antiquité gréco-latine n’était pas la seule à posséder le privilège pneumatologique. Les traditions celte et germanique, de l’Inde et de la Chine, d’Afrique et d’Amérique, furent toutes guidées par le même Esprit.
Le deuxième cercle n’a donc pas pour frontière une confession ou une tradition. Il est le « Pneuma » qui souffle où Il veut. Mais cette deuxième manifestation du Saint-Esprit, qui se présente sous forme de guide, exige de nous un regard critique et l’art du discernement. Car, après la chute angélique, la révélation truquée du Malin peut se mêler à l’inspiration divine, son but étant de détourner du Christ et de pousser l’humanité vers la direction opposée : l’Antéchrist. Il nous est impossible en ces quelques lignes d’initier à l’art du discernement, mais il est aussi indispensable d’indiquer que – dans une même tradition ou une même religion humaine – s’entremêlent parfois le vrai et le faux. Étouffer l’inspiration authentique en arrachant les bonnes herbes avec l’ivraie est aussi imprudent que de se laisser empoisonner par les plantes vénéneuses. Ni repousser, ni accepter sans discernement. Augustin écrivait de Platon qu’il était divinement inspiré lorsqu’il voyait le Verbe éternel, mais limité en tant qu’il ignorait son incarnation. Saint Grégoire le Théologien dit que les philosophes préparent au Dieu unique, les mystiques au Dieu inaccessible, les religions polythéistes au Dieu vivant et personnel, et conseille que « dépassant le monothéisme et le polythéisme, nous confessions la Tri-Unité. » Le critère infaillible est le Christ, plénitude de la vérité, car le Christ est la « récapitulation » – selon la parole de saint Irénée – de toutes choses, hormis le péché.
Le troisième cercle est tracé par les flammes de la Pentecôte
Le troisième cercle est tracé par les flammes de la Pentecôte. C’est la venue souveraine du deuxième Consolateur promis par le Christ. Cette manifestation est uniquement réservée à l’Église.
L’Esprit est la mémoire infaillible de la vérité révélée, le gage de la fidélité de l’Épouse à son fondateur, lui rappelant ce que le Christ lui a enseigné. Il lui communique la connaissance directe de la vérité, la puissance et la force de la confesser. Vie nouvelle, source de la déification du monde, gnose des chrétiens, tradition vivante !
Il demeure dans la totalité de l’Église mais agit en chacun de ses membres. Chaque fidèle le reçoit dans le sacrement de l’onction que l’on nomme aussi : confirmation, ce mot signifiant : sceau de l’Esprit. Cette présence de l’Esprit-Saint au sein de l’Église est tellement évidente que même si l’Évangile disparaissait – ainsi que le déclarent saint Jean Chrysostome, saint Jean Climaque, saint Siméon le Nouveau Théologien – l’enseignement du Christ par l’Esprit-Saint demeurerait intact et la vérité ne pourrait être altérée. Par l’avènement de l’Esprit en l’Église, la révélation s’est inscrite indélébilement dans nos cœurs.
Le monde ne peut connaître la Pentecôte, cette troisième manifestation de l’Esprit-Saint, dit le Christ. Elle est, en effet, absolument ignorée en dehors de l’Église. C’est d’elle dont saint Irénée s’écrira : « Là où est l’Église, là est l’Esprit, là où est l’Esprit, là est l’Église. »
Si le Consolateur n’était descendu souverainement le jour de Pentecôte sur les cent vingt personnes, et par elles sur les membres de l’Église de tous les temps, les apôtres auraient inévitablement déformé l’enseignement du Christ et l’Église n’aurait pu sauvegarder la pureté de la révélation. L’histoire de l’Église nous démontre que les autorités trahissent, que les conciles, les papes et les patriarches tombent dans l’hérésie, que les inspirés et les mystiques mélangent les lumières avec les ténèbres, mais que la présence mystérieuse et efficace de l’Esprit complète les manques et redresse la faiblesse humaine.
Les sacrements de l’Église sont vivifiés, sanctifiés et transformés par le même Esprit. Dans le baptême, les eaux sont sanctifiées ; dans la confirmation, il envahit de sa lumière l’être humain ; dans l’eucharistie, il transforme le pain et le vin en corps et sang du Christ ; par l’Église, « sacrement des sacrements », il transfigure l’univers en corps et en sang du Christ en le déifiant.
Le quatrième cercle, ou quatrième manifestation de l’Esprit, est le privilège des saints : c’est l’acquisition du Saint-Esprit.
Enfin, le quatrième cercle, ou quatrième manifestation de l’Esprit, est le privilège des saints. C’est l’acquisition du Saint-Esprit.
Dans les saints, l’Esprit se manifeste palpablement et les fait conformes à Dieu. Ce cercle de lumière incréée est redoutable ; deux conditions s’imposent pour oser y pénétrer sans danger : vivre sans hypocrisie et sans équivoque dans le troisième cercle, dans l’Église, et s’abandonner entre les mains d’un saint. Ceux qui désirent l’apercevoir de loin, qu’ils méditent l’entretien de saint Séraphin de Sarov avec son disciple Motovilov.
Nous pourrions ramasser en une phrase l’action du Saint-Esprit au travers de ces quatre cercles : l’Esprit, ou vie universelle, nous mène par le Christ à l’union avec Dieu.
Le plus proche et le plus inconnu : le Saint-Esprit.
Saint Jean de Paris,
Mgr Jean, évêque de Saint-Denis,
Eugraph Kovalevsky (1905-1970),
Église catholique orthodoxe de France.