Le Cantique des Cantiques

Contemplation du Cantique des Cantiques

Père Bernard Jakobiak

Professeur à l’Institut de Théologie Paris Saint-Denys

Prologue

Après avoir osé approcher de l’intimité divine avec Saint Siméon le Nouveau Théologien dont les hymnes sont un témoignage de l’homme à nouveau vivant dans la lumière incréé, après avoir essayé de contempler le mystère du cœur de l’homme grâce aux écrits de Saint Théophane le Reclus et après s’être interrogé sur l’homme dans le monde à partir des prophéties de Jérémie, précurseur du chrétien d’aujourd’hui et de toujours, n’est-il pas nécessaire de contempler le mystère des mystères qu’est l’Amour ?

L’audace est grande sans doute. N’est-elle pas de même nature que l’audace de participer au Mystère de la divine liturgie ?

Le Cantique des Cantiques invite à la contemplation de l’Amour de la créature et du Créateur, Amour qui est le sens et le fondement de la création.

Cette invitation est de Dieu. Comme le banquet eschatologique, Le Cantique des Cantiques est infinie miséricorde, l’hospitalité divine. Qui la mérite ? Le juste. Y a t’il un seul juste ?…

Le Cantique des Cantiques ne se mérite pas. Il est voilé. Mais il n’est pas une parabole. André Chouraqui l’intitule  » Le poème des poèmes « . Mais il n’est pas le Poème, pas seulement.

Il a le voile du  » Poème des poèmes  » : Il est une suite de métaphores. En ce sens, il est vraiment poème : le poème en effet approche du mystère inaccessible à toute prose, en utilisant des images. L’ensemble des métaphores est à entendre comme l’expression au plus près de l’indicible.

Or l’Amour de la créature et du Créateur est proprement indicible. Pourtant la suite des métaphores qu’est Le Cantique des Cantiques inspiré à l’homme par l’Esprit-Saint, comme toute la Bible, exprime autant qu’il est possible, étant données les limites du langage de l’Homme, l’Amour, fondement de la création, l’Amour comme conjugal du Créateur et de la créature.

Le Cantique des Cantiques n’est pas seulement poème car il n’est pas subjectif. Il n’est pas écrit pour suggérer des impressions, à l’un celles-ci, à l’autre celles-là. Il n’est pas un objet de sensations linguistiques, ni une œuvre esthétique, échappant à un auteur et légitimant toute lecture individuelle.

Ainsi n’est-il pas du tout un texte érotique, ni un ensemble disparate de chants de mariage, ni non plus un vaudeville comme le prétendait Ernest Renan. A ce sujet, parmi les multiples traductions, celle de la TOB est une trahison, une réduction générale à la romance banale, une incompréhension absolue du mystère, une soumission à la médiocrité qu’on a plutôt l’habitude de rencontrer dans les médias les plus racoleuses, une honte.

Mais cette traduction souligne le danger de l’ignorance de la tradition vivante et de la légèreté vaniteuse. Une telle attitude surtout si elle semble raisonnable, est une profanation dans la lignée de Sodome et Gomorrhe. Ce qui se proposait lumière est devenu feu du ciel ; ce qui devait élever, rabaisse ; le Cantique des Cantiques a disparu ; l’expression du mystère des mystères, de l’Amour de la créature et du Créateur a été volatilisée dans l’insignifiance d’une romance médiocre.

Lire le Cantique des Cantiques exige une attitude juste de l’esprit et du cœur.

La liturgie juive le psalmodie la veille du sabbat et le perçoit comme le passage de la Mer Rouge : le passage de l’esclavage à la liberté, du rétrécissement à la largeur de vue et de vie.

 » Approchez avec crainte foi et Amour  » invite le diacre à la Communion. Crainte, foi et Amour sont aussi nécessaires pour lire et entendre autant qu’il est possible, l’expression du mystère de l’Amour.

L’approche du Cantique des Cantiques exige non seulement d’ « avoir revêtu le Christ », « la robe des noces », du baptême, mais encore d’avoir pris conscience de la lumière divine reçue lors de ce baptême et des sacrements.

 » Pour dire que tout, hormis l’amour, est inutile, quand donc n’aurons-nous plus de mots blessés, des pauvretés de brute un instant extasiés  » dit le poète au sujet de l’amour d’un homme et d’une femme.

Et c’est bien pour cela, pour ce mystère quotidien-là, que l’amour, disons, profane, est la métaphore de l’Amour sans déclin, sans usure de toute la création, en l’homme en devenir, et du Créateur en personne.

Il n’y a pas contradiction entre l’amour et l’Amour, il n’y a pas de continuité ni discontinuité. Et le mystère du couple est grand parce qu’il est la métaphore du mystère de l’Alliance amoureuse avec Dieu.

Le Cantique des Cantiques utilise le langage de l’amour du couple, pour exprimer l’indicible Alliance de la création et du Créateur. Ce n’est pas du tout quelque idéalisme. Les corps et le cosmos, tout le visible, retrouvent en cet Amour leur place originelle et leur juste place à venir. Le Cantique des Cantiques est, en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint, un chant de plénitude.

Et les commentaires d’Origène, de Grégoire de Nysse, de Bernard de Clairvaux, de Guillaume de Saint-Thierry… sont à la fois des guides et des compagnons qui permettent de ne pas s’égarer dans des prétentions individuelles, ou dans des curiosités inutiles.

Contempler l’Amour de l’Eglise, épouse de l’Agneau, est l’invitation et l’approche en la divine liturgie. Cette approche du mystère révèle à elle-même la personne qui reçoit la grâce de pouvoir dire : « J’aime Dieu ». Le Cantique des Cantiques propose l’expression de cet Amour de l’Eglise et de Jésus-Christ et ce même Amour des personnes en quête de leur plénitude et de Dieu.

Le Cantique des Cantiques comporte 117 versets qui sont à contempler comme autant d’icônes de l’Amour réciproque de Dieu et de l’homme.

Avec, pour boussole, la traduction mot à mot du texte en hébreux, nous utiliserons les diverses traductions, chacune orientant plus ou moins l’écoute et le regard, tout en gardant comme base, la traduction du Chanoine Crampon (édition 1923).

On peut signaler :

–  » Le Grand Livre du Cantique des Cantiques «  (éd. Albin Michel) (texte en hébreux, transcription phonétique, traduction et diverses traductions des temps modernes et quelques commentaires)

–  » La Colombe et les Ténèbres  » de Grégoire de Nysse (Foi vivante 281)

– « Commentaire sur le Cantique des Cantiques  » d’Origène (Sources chrétiennes 375 et 376)

–  » Exposé sur le Cantique des Cantiques  » de Guillaume de Saint-Thierry (éd. Du Cerf)

–  » Œuvres complètes de Saint Bernard  » (Aubier)

Contemplation des versets du premier chapitre

Le premier verset

Le Cantique des Cantiques qui est à Salomon, peut être lu comme le titre de l’ensemble alors qu’il est déjà métaphore. En effet l’auteur n’en est pas le roi Salomon ; mais Salomon est l’image de l’homme en sa plénitude, car il est écrit :  » Et Dieu a donné à Salomon une prudence et une sagesse très grandes et une largeur de cœur vaste comme le sable qui est sur le rivage de la mer. Et la sagesse s’est multipliée en lui, surpassant tous les sages d’Egypte. » (II Rois. 4, 29-30).

De même, les deux livres qui ouvrent le Cantique des Cantiques, celui des Proverbes et l’Ecclésiaste, sont de l’homme ouvert à la grâce de la plénitude. Ils viennent de la prudence de la sagesse et de l’ouverture de cœur que nomme Salomon. Le premier de ces livres, comme l’a souligné Origène, enseigne la morale et invite l’âme de l’homme à se purifier. Et le second apprend à distinguer l’utile de l’inutile et exhorte, par le  » discernement des choses naturelles et des réalités doctrinales et mystiques « , à laisser toute vanité. De sorte que  » Le Cantique des Cantiques  » ou  » Chant des Chants  » ou  » Poème des poèmes  » peut-être entendu en vérité, quand l’Esprit créé a  » traversé la Mer Rouge et vu morts ses Egyptiens intérieurs », afin d’être délivrés de toute écoute et de tout regard d’esclave résigné à la condition mortelle. Il y a donc une montée par degrés, avant que deviennent possibles, audibles et comme visibles les images du Cantique des Cantiques, par un amour authentique et spirituel. La contemplation de chacune des métaphores s’appuie sur le réveil de l’esprit. Elle appelle à l’émergence du Salomon intérieur, homme de paix, de sagesse, d’écoute du mystère de l’Amour dans le temple de l’esprit et du cœur révélés à eux-mêmes et à la vie sans la mort. Car le roi Salomon, comme chacun le sait, a été le réalisateur du temple voué à Dieu. De sorte que l’expression  » Le Cantique des Cantiques  » n’est pas un superlatif.  » Le Cantique des Cantiques  » est le fondement de tous les cantiques, de tous les chants, de tous les poèmes, de toute louange, car il invite l’homme à s’approcher du mystère des mystères qu’est l’Amour du Créateur pour la créature, en l’homme libéré des vanités et de la mort.

Le second verset

 » Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! «  exprime le désir violent de tout l’homme quand, cessant d’être complice des ténèbres de la création et de l’oubli de Dieu à quoi il s’était résigné, il se découvre affamé et assoiffé d’Amour ! Et cette exclamation d’une amoureuse passionnée est le cri de famine et de soif de l’homme d’hier et d’aujourd’hui, de l’homme en devenir, de l’Eglise dont l’irremplaçable amant est Dieu.

La bouche dont l’humanité désire le baiser pour que la vie ait un sens, est l’Esprit-Saint dont l’intimité est devenue possible en la nature humaine retrouvée une, en Jésus-Christ.

Aussi ce verset deux peut-être lu comme la métaphore du sens de la vie. La création reprend sens quand, des profondeurs de son être retrouvé, l’humanité dit de Dieu et à Dieu :  » Qu’il me baise des baisers de sa bouche !  » L’esprit créé, dès lors, voit le sens de la vie dans son union avec le Verbe incréé, union comme passionnée, violemment amoureuse qui n’est ni un contrat, ni une nécessité, ni une sagesse. Le sens de la vie n’est pas à lire dans un progrès, une évolution, une volonté d’ordre, de hiérarchie ou d’égalité, ni dans un savoir, ni dans une quelconque efficacité ; le sens de l’histoire humaine n’est pas la justice sociale, ni la volonté de puissance, ni le contrat raisonnable entre des individus et la communauté, ni la nostalgie de l’ordre immobile, ni le retour à quelque loi morale et religieuse oubliée.

L’homme retrouve le sens de sa vie quand, comme Saint Siméon le Nouveau Théologien, il demande  » Viens, toi, devenu toi-même en mon désir qui m’as fait te désirer, toi l’absolument inaccessible  » ( » prière mystique « ). La formule souligne bien que ce désir est une grâce ; les plus grands saints l’ont acceptée. Cette grâce est le fondement de l’Eglise et de l’homme nouveau en devenir.

 » Qu’il me baise des baisers de sa bouche !  » est la métaphore du désir et de la tension juste dans le temps, qui font de l’homme, comme il le lui avait été proposé à l’origine, le vivant.

Le désir amoureux de Dieu ne saurait être éteint par aucune satiété. Il est le désir sans la mort. Il est le désir de l’intimité avec l’Inaccessible, qui se donne, car c’est bien ce que demande l’homme au Nom de Jésus-Christ, s’il est conscient du Verbe de Dieu fait homme ! L’affirmation  » Ce que vous demanderez en mon Nom, vous l’obtiendrez  » confesse ce désir, car en dehors de lui, la vie humaine reste barrée par l’à quoi bon de la créature réduite à ses limites et cultivant les illusions de sa suffisance.

Ce violent désir d’Amour fonde l’Eglise qui se perd quand elle l’oublie et le remplace par le souci du nombre, par une éthique, par la valeur de ses bonnes œuvres, par l’efficacité de son organisation, par le confort de sa hiérarchie ou de son  » droit canon « . Elle se perd et s’étonne de ressembler au monde où elle tend à devenir inutile, comme un souvenir et une nostalgie d’où proviennent de temps à autre, des intentions vite oubliées dans les ténèbres de la résignation et du pragmatisme réducteur.

L’Eglise dans le même temps, est vivante quand elle fait sienne cette exclamation violente :  » Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! « . Elle le fait quand la Divine Liturgie devient le centre de la vie pour deux ou trois réunis au nom de Jésus-Christ, dans la liberté de la foi, cette lumière ; car la liturgie juste est la marche vers le Mystère de cet Amour. Elle permet de répondre à cette invitation du diacre qui prépare le pain et le vin du « sacrifice raisonnable et non sanglant  » :  » Venez et je vous montrerai l’Eglise qui a l’Agneau pour époux « . Le désir fondamental qui fait que l’homme ne saurait se contenter de la création, est comblé, autant qu’il est possible, et s’intensifie d’autant plus, de sorte qu’il grandit, selon la foi et l’ouverture de l’esprit et du cœur . La vie triomphe car elle est devenue en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint, pour parler comme Grégoire de Nysse, cet athlète des altitudes,  » une montée de gloire en gloire « .

 » Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! «  Cette métaphore peut-être lue comme le programme du vivant.

Le deuxième verset continue : « Car tes tendresses sont meilleures que le vin ». Ce « car » est étrange : il souligne que le désir d’Amour de Dieu est violent et exclusif à partir de l’expérience des tendresses de Dieu. Dieu, le tout-puissant est tendre. Les prophètes l’expriment. C’est cette même tendresse qui apparaît dans les paroles de Jésus :  » Jérusalem, combien de fois ai-je voulu te rassembler comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes… et tu n’as pas voulu « . Cette tendresse est vertigineuse à qui contemple consciemment la Crèche. Quelle tendresse du Verbe de Dieu pour qu’il se fasse homme ! … puis pour qu’Il pardonne à ceux qui le crucifient ! Cette tendresse, en français et dans d’autres langues, est dans la bouche quand on prononce  » Jésus « . Elle s’entend aussi quand Il appelle par le prénom unique. Ainsi  » Marie « , la femme venue au tombeau Le reconnaît ressuscité à son intonation, alors qu’à seulement le voir, elle l’avait pris pour le jardinier. Et Jésus-Christ, le tendre, a envoyé à l’homme l’Esprit-Saint qu’il à présenté comme le Consolateur. Les tendresses dont il est question sont depuis, toutes les théophanies dans les sacrements, lors de la Communion au Corps et au Sang du Christ, réalité nouvelle pour  » l’homme nouveau « , et dans la prière dont elles sont le but.

Pour qui en a eu l’expérience, cette tendresse peut être profondément ressentie quand soudain une phrase de l’Evangile par exemple, s’impose dans la lumière et touche jusqu’au cœur – la jouissance de ces tendresses est incomparable,  » meilleure que le vin « .

*

Contemplez le vin : La lumière au travers du vin, le parfum du vin, son goût et l’ivresse qu’il procure, réjouissent. Il est l’image du meilleur de la nature qu’il permet de transcender et du mystère en l’homme. Noé qui dans sa fidélité à Dieu et aux siens, a planté la vigne, l’a cultivée, a découvert le vin et s’en est enivré, s’est dépouillé de sa notabilité et de son personnage de patriarche, pour danser. Et qu’a -t’il dansé ? Le mystère ! Le vin est l’image de la joie dans l’approche du mystère, joie de l’approche de la vérité par la Loi et les prophètes, joie de connaître et joie de dépasser les nécessités, joie d’être mis au large. Le vin est par ailleurs l’image des joies les plus pures, les plus nobles, joie des sciences, de la beauté et de l’expérience du divin par les pratiques ésotériques aussi, bien qu’elles ne sauraient suffire.

« Les tendresses » de Dieu personnel, de Dieu en personne, procurent des joies bien meilleures que les plus nobles ivresses de la découverte ou de la création humaine, aussi l’homme qui en a eu l’expérience, ne peut plus se contenter du seulement humain ni même du divin : il ressent en lui le désir de la jouissance indicible du baiser de l’Esprit-Saint en Personne. Il donne le seul sens qui vaille à la vie. Le verset 2 en son entier est la métaphore de la nécessité vitale de l’homme : il devient vivant s’il connaît l’intimité avec Dieu l’Inaccessible, s’il devient Dieu par une alliance comme conjugale. Le mystère est grand. Aussi est-il bon que le commentaire ne remplace pas la métaphore mais l’ait seulement éclairée afin que la relire devienne plus fécond :

Qu’Il me baise des baisers de sa Bouche !

Car tes tendresses sont meilleures que le vin.

Verset 3

Si l’on compare les diverses traductions, la plus fidèle semble être, après avoir évité les tautologies du genre « Tes parfums ont une odeur » :

« A l’odeur, tes huiles sont bonnes.

Ton Nom est une huile épandue.

C’est pourquoi les jeunes filles T’aiment. »

Le Maistre de Sacy interprète : « ont l’odeur des parfums les plus précieux », (les « tendresses » dont il est question). André Chouraqui traduit littéralement « A l’odeur, tes huiles sont bonnes ». Entendre les deux phrases rend évident le fait qu’il s’agit de l’odorat de l’esprit révélé à lui-même et devenu sensible à ce qu’on peut bien appeler « le parfum de l’Esprit-Saint ».

De quoi s’agit-il ? Séraphin de Sarov par sa prière obtient que Motovilov, un laïc venu lui demander quel était le but de sa vie, reçoive la réponse en devenant sensible à la présence de l’Esprit-Saint et, en particulier à son parfum plus délicieux que tout parfum, en plein hiver russe. Il existe donc un parfum de l’Esprit-Saint mais il passe inaperçu à l’esprit de l’homme habitué à ce coma où il survit, résigné à la condition mortelle. Tous les Pères de l’Eglise enseignent que les sens de l’esprit se réveillent. Le saint ressent Dieu avec les yeux, les oreilles, le toucher, l’odorat de l’esprit.

 » A l’odeur, tes huiles sont bonnes « . On pourrait expliciter : pour l’esprit dont l’odorat est revenu,  » tes huiles sont bonnes « . Et cet odorat serait la première étape du réveil des sens de l’esprit. L’homme redevenu vivant, sent Dieu. La foi n’est pas une croyance, mais une sensation de l’esprit sorti de son sommeil.

Or pour le corps et le psychisme, l’odorat est le sens le moins cérébral, le plus archaïque. Et la sensation olfactive est la moins atteinte par l’oubli : un parfum d’enfance peut persister chez l’adulte.

Pour l’esprit,  » la bonne odeur du Christ  » dont nous entretient l’Apôtre Paul et la bonne odeur de l’Esprit-Saint qu’à perçu Motovilov sont proprement indélébiles. Ceux qui disent avoir perdu la foi, n’ont certainement connu que la croyance.

 » A l’odeur, tes huiles sont bonnes  »

 » Parfum  » en hébreu, a la même racine que « souffle  » ;  » esprit « , et  » huile  » est l’anagramme de  » l’âme divine « , du « souffle divin « . Le parfum de l’Esprit-Saint se respire et, comme une huile, pénètre l’esprit devenu vivant. L’odorat de l’esprit révèle le toucher de l’esprit, sensation presque aussi archaïque, précédant toute pensée. Il est bon et il est doux pour l’homme de sentir l’Esprit de Dieu. Toujours transcendant, Dieu devient proche de l’homme, l’enveloppe et pénètre, vivifie son esprit :

 » Ton Nom est une huile épandue « 

Littéralement on lit :  » Huile, il s’épanche ton Nom « . Or le Nom du Créateur ne peut être prononcé comme l’enseigne le peuple de l’Alliance, car le prononcer serait saisir Dieu, alors qu’Il est transcendant : Il est au-delà de tout nom, au-delà de tout concept, au delà même de l’être, comme du non-être. Nommer le Créateur serait le réduire, l’inclure dans la pensée de la créature, le mettre à sa portée. Pour l’homme renouvelé à qui a été révélé Dieu un, en trois Personnes en communion, dans la plus parfaite égalité, seul l’Esprit-Saint peut faire dire « Abba  » : Père. Dieu est Père, Il est également Fils et Il est également l’Esprit-Saint. Le Nom imprononçable, sinon dans la contemplation de la Divine Trinité, pénètre la peau. Cette huile est l’icône de l’Esprit-Saint dont nous chantons :  » Toi qui es partout présent et qui remplis tout … ». C’est que « Celui qui était de la condition de Dieu, s’est vidé de lui-même » (Philippiens. 2,7), c’est Jésus. Devenu homme, en sa Personne, Il a uni, sans le confondre, la nature divine et la nature humaine. A la fois transcendant et tout proche, Il a permis la pénétration de l’Esprit de Dieu en l’esprit de l’homme, et au lieu d’être fermé aux autres et à l’Autre, par la vieille peur issue de Caïn l’assassin, le cœur peut s’ouvrir.

 » Ton Nom est une huile épandue «  est donc la métaphore de l’Esprit-Saint envoyé à l’homme par Jésus-Christ ressuscité. Depuis son ascension, son Nom, Jésus, permet à l’homme baptisé et de bonne volonté, de se découvrir sensible à l’immanence de Dieu, « Roi du Ciel, consolateur Esprit de Vérité… partout présent  » chantons-nous, et nous sommes alors d’autant plus conscients de sa Transcendance.

 » C’est pourquoi les jeunes filles T’aiment «  En chaque liturgie, l’Eglise est une : Elle est  » L’Epouse qui a l’Agneau pour époux « . Elle est en même temps l’homme en devenir dans la diversité des personnes. Les  » jeunes filles  » sont ces personnes, baptisées ou en chemin vers le baptême, à partir de l’expérience de l’Esprit-Saint ou de leur désir du sens de la vie, de leur recherche et de leur insatisfaction. Ainsi l’adolescent quand il se découvre consciemment vivant, ne se contente pas d’être nourri, vêtu, logé ; l’effervescence de la vie en lui, révèle la nostalgie d’un esprit vivifié dont l’odorat et le toucher seraient réveillés. L’Amour de Dieu avant d’être personnel est le désir du divin.

Et tout le verset :

 » A l’odeur, tes huiles sont bonnes,

Ton Nom est une huile épandue ;

C’est pourquoi les jeunes filles T’aiment  »

peut être contemplé comme une métaphore des chrétiens dans l’Eglise et de toute l’humanité en devenir dans la mesure où elle attend et cherche l’Autre, travaillée quoiqu’elle en pense, par l’immanence de l’Esprit-Saint dans son action, dans son  » économie  » – Etant Dieu, Il n’en demeure pas moins transcendant. Le principe de non-contradiction est inapte à seulement approcher du Mystère de la Personne dont la contemplation rend évidente la nécessité d’une pensée antinomique à partir de l’esprit vivifié, ouvrant le cœur à l’Amour.

Verset 4

« Tire-moi après toi. Courons ! « 

Le désir du divin et même de Dieu en personne, est insuffisant. Le mouvement vers Dieu nécessite l’aide de Dieu. La prière de demande qui sera entendue est contenue dans cette formule :  » Tire-moi après toi. « 

C’est que l’homme a été créé libre à l’image de Dieu. Il ne saurait subir la force du désir. Il doit y joindre sa volonté. Il doit vouloir aller vers Dieu. Par le désir en l’homme, le Créateur propose l’Amour. Il revient à l’humanité en devenir d’associer à ce désir, sa volonté propre.

 » Tire-moi après toi.  » est l’image de la volonté humaine révélée à elle-même. Elle se découvre et accepte ses limites. Elle est  » oui  » à l’Amour, mais, lucide, elle est en même temps appel à l’aide de Dieu. Elle admet que, sans cette aide, il lui serait impossible d’aller vers Dieu, contrairement aux affirmations du monde dénaturé par sa soumission à la volonté du malin, cette volonté de conquête qui conduit à la mort et cette volonté de puissance qui mène à la folie.

 » Tire-moi après toi. «  peut-être contemplé comme la métaphore de la volonté originelle de l’homme retrouvée en la nature à nouveau une dans l’Eglise, quand elle refuse toute suffisance, toute installation dans le monde et toute résignation. C’est une volonté de mouvement vers l’Amour, une volonté de grandir et d’être aidé pour grandir. C’est de cette volonté qu’il est dit :  » si vous ne devenez pas semblables à des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu « .

Et il ajoute  » courons. « . L’invitation dynamique est faite pour l’Eglise et par l’Eglise, à la diversité des personnes, des  » jeunes filles  » dont il a été question au verset précèdent. Ce « courons » dans sa concision est une métaphore de la jubilation active de l’esprit créé, vivifié par la grâce désirée puis reçue, de se convertir à l’Amour de Dieu ; métaphore de mouvement et de vie retrouvée que tout souci d’installation en quelque Loi ou Œuvre ou Empire viendrait interrompre.

« Tire-moi après toi. Courons ! «  note aussi la joie de la fraternité féconde quand le Christ ressuscite, seul Sauveur, seul Pasteur, seul Guide, tire l’homme de la mort et, s’il le veut, de tout le morbide dont il a hérité. Elle peut être entendue comme une mise en garde contre tout immobilisme, contre toute illusion d’être arrivé, contre toute tentation de réduire l’Eglise à un cocon confortable. En tout cas, la formule est la métaphore de la synergie : la volonté lucide et jubilante de l’homme se découvre en harmonie avec la volonté de Dieu.

 » Le roi m’a introduit dans son palais « . La volonté lucide vaut à l’homme dans l’Eglise, de voir les richesses de Dieu, le Royaume des Cieux. L’homme, ainsi, en l’Apôtre Paul, a été, comme il le décrit, « ravi jusqu’au troisième ciel et de là au paradis ». « Un homme » précise t-il, car il évite de parler de lui à la première personne pour éviter de s’enorgueillir, « a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme, de prononcer » ( 2ème Corinthiens. 12, 2-4). En lui, car ce que vit un homme, il le vit pour l’homme, l’homme a perçu  » ce que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu … ce que Dieu a préparé pour ceux qu’Il aime. » ( 1er Corinthiens 2,9). Et d’après l’expérience et la lucidité de Saint Syméon le Nouveau Théologien, « ce que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu » est le Corps et le Sang du Christ, dans la communion, quand elle est reçue dans la foi et consciemment.

« Le roi m’a introduit dans son palais » est la prophétie et la métaphore de toute théophanie dans l’Eglise, de la communion, plus ou moins voilée au Verbe de Dieu, à la lumière incréée et au Corps et au Sang de Jésus-Christ.

Et comme le péché de l’homme est l’oubli de Dieu, le danger est l’oubli de cette grâce indicible de Dieu.

C’est pour éviter une telle rechute que le verset continue : « Tressaillons, réjouissons-nous en toi, Evoquons tes tendresses, meilleures que le vin « . Ce qui était désir aboutit à un acte de volonté. L’impératif utilisé dans certaines traductions est meilleur que le futur. La volonté de l’homme fait que la grâce reste présente à l’esprit et s’enracine dans le cœur. Il est facile d’oublier l’indicible car la réalité visible, sensible et mesurable prend comme naturellement, toute la place dans la mémoire de l’esprit comateux de l’homme dénaturé. Cette volonté de ne pas oublier est une volonté de louange. La louange est l’action spirituelle qui rétablit l’esprit dans la présence de la grâce. Et la liturgie juste est l’action vitale pour ne pas oublier Dieu.

 » Tressaillons, réjouissons-nous en Toi !

Célébrons tes tendresses meilleures que le vin ! »

Peut être contemplé comme une métaphore du goût de l’action liturgique, tellement nécessaire pour garder présent à l’esprit, les grâces de Dieu et continuer à vivre le désir d’Amour. Le verset se termine par un terme abstrait : « les rectitudes T’aiment « . Le contraste est saisissant après cette suite d’images et souligne le choix de ce mot  » rectitudes  » au pluriel. On pense aux  » jeunes filles  » dont il a été question. On est invité à les voir dans leur force, dans leur décision, dans leur volonté de ne pas s’égarer, ni se disperser, ni dévier. L’expression souligne qu’un tel Amour, l’Amour de Dieu se fonde sur ce que Saint Ephrem le Syrien appelle « l’esprit de pureté », qu’on peut aussi nommer  » l’esprit d’intégrité « . Il est une grâce que la volonté doit avoir visée avec justesse et patience.

Verset 5

« Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem,

Comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon « 

L’Epouse parle, c’est à dire l’Eglise. Elle s’adresse aux personnes baptisées, orientées vers la Jérusalem céleste en étant devenues filles de la nouvelle Alliance. Elles savent qu’il faut adorer non en un lieu, mais en esprit et vérité, comme l’a enseigné le Christ lorsqu’il a répondu à la Samaritaine. Elles auraient sans doute tendance à idéaliser l’Eglise, alors que l’homme est invité à refuser l’idéalisme depuis que Dieu n’a pas dédaigné la matière, la chair, le corps, en se faisant homme.

L’Eglise se présente comme  » noire mais belle « . Elle invite à la voir telle qu’elle devient, avec lucidité. Elle n’est pas la Lumière. Dieu seul est Lumière,  » Lumière incréée « . Elle demeure créature ; elle n’est pas la source de la Lumière ; elle garde l’opacité de la créature. Cependant elle est l’Epouse de l’Agneau comme il est dit à chaque liturgie. Epouse, elle demeure créature et lucide.  » Le Père seul est bon  » affirme Jésus-Christ. Elle précise : le Père est la seule source de la Lumière, il engendre le Fils qui est Lumière et il fait procéder l’Esprit-Saint qui est Lumière. Elle, l’Epouse de la Lumière, n’est pas la Lumière.

De plus elle va vers la Lumière, elle est en chemin. Aussi invite-t-elle les baptisés à la voir imparfaite, inachevée, en chantier. Elle invite à donner raison à ce regard sur elle, sans quoi elle pourrait devenir idole.

Elle invite à tourner le regard non vers elle, mais à se convertir vraiment, à se retourner vers Dieu qui seul est Lumière.  » noire  » elle s’efface afin que l’esprit cherche la Lumière en Dieu, et non en elle.

Là, ayant permis qu’on la voie  » noire « , elle précise qu’il est vrai qu’elle est cependant  » belle « . Elle évite la méfiance, la résignation, les avatars de l’insuffisance propre à la créature. Elle montre la nécessité d’un second regard, le regard qui la voit belle, le regard semblable à celui de l’Epoux.  » Noire  » et  » belle « , les deux à la fois, dans la même contemplation. Dès lors, il n’y a plus d’idéalisme, plus d’idole possible, ni aucune place pour un désespoir. Et ce ne sont pas deux Eglises, l’une imparfaite et terrestre, l’autre, l’une  » noire « , l’autre  » belle « . Non. L’Eglise est  » noire  » demeurant créature et elle est  » belle « , hier, aujourd’hui, demain, étant transfigurée, de plus en plus pleinement humaine et dans le même mouvement , pleinement transfigurée.

Elle est à voir selon les deux regards : celui de la créature et celui de la créature déifiée, celui-ci donnant à celui-là le discernement dans la Lumière désirée, reçue et acceptée.

La suite du verset apprivoise le  » noire « . Il n’est pas à confondre avec les ténèbres qui font que le monde à tendance à refuser le Verbe de Dieu, qu’il reçoit comme Lumière ennemie de son autosatisfaction.

L’Eglise est « noire » « comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon ». Le  » noire  » se voit attribuer la noblesse des nomades et la justesse d’une place légitime dans le Temple construit par Salomon. C’est le  » noire  » de la condition humaine, du cheminement dans les temps, comme les Mages vers l’Etoile qui les conduit vers le Sauveur inattendu. C’est aussi le  » noire  » des limites de la créature : elles seront offertes et transfigurées dans la Jérusalem Céleste.

Le verset entier peut être entendu comme une métaphore de la lucidité de l’Eglise en tant que créature et en tant qu’Epouse de l’Agneau et comme un enseignement invitant aux deux regards justes :

« Je suis noire mais belle, filles de Jérusalem,

Comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon  »

Verset 6

 » Ne prenez point garde à mon teint noir ;

C’est le soleil qui m’a brûlée ;

Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi.

Ils m’ont mise à garder les vignes ;

Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. »

Contrairement au précèdent, ce verset à une couleur pénitentielle. Il est une prophétie de l’Histoire de l’Eglise. Il est aussi une confession :  » c’est le soleil qui m’a brûlée « 

Le  » noir  » ici est la conséquence d’un détournement de l’esprit et du cœur. Le soleil dont il est question est  » le soleil de justice  » : il brûle ou transfigure selon l’orientation du regard. L’homme appelé à l’origine à garder son regard tourné vers la Lumière divine afin de grandir dans la Lumière et l’Amour de Dieu, a tourné son regard vers les créatures dans l’illusion d’y trouver sa royauté et de se suffire. Ce fut à proprement parler la chute dans le retrait de Dieu laissant place à la création. Cette chute dans les enfers de l’origine s’accompagne du souvenir de la Lumière divine ; cette nostalgie devient brûlure. Le  » teint noir  » dans ce second verset est l’image de l’héritage commun à tous les hommes et qui n’épargne pas l’Eglise.

 » Ne prenez point garde à mon teint noir »

est le conseil de l’Eglise en sa lucidité, en la Lumière à nouveau qui lui vaut la sainteté – La sainteté rend sensible aux ténèbres à quoi le monde s’est habitué –

Elle invite à la première étape de la conversion, au refus du jugement des péchés des clercs et des fidèles. C’est une invitation à tourner son regard, non vers l’Eglise mais résolument vers Dieu. Ainsi commence la véritable conversion.

Dès lors  » C’est le soleil qui m’a brûlée «  est lue comme une image des conséquences du péché commun à tous les hommes. Il n’y a plus idéalisation de l’Eglise, ni prétention de justice, de transparence, de pureté des élus.  » Invoquez avec moi l’Esprit-Saint afin qu’il me communique sa vertu ineffable et que moi évêque ou prêtre indigne, j’ose apporter la sainte oblation de Notre Seigneur Jésus-Christ  » prie le célébrant face aux fidèles. Il exprime la juste réalité de l’homme en devenir dans l’Eglise.

 » Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi « 

A la différence des  » filles  » qui sont l’image des créatures en chemin vers l’Alliance, dans leur conscience vécue du manque, les  » fils  » sont l’image, eux, des créatures enfermées en leur suffisance par la sensation de leur complétude. Leur  » mère  » est la nature ; ces  » fils  » sont fils d’Adam modelé par le Père à partir du  » limon « , c’est dire de la création visible. Elle est leur mère. Mais ils oublient que cette nature a été détournée de sa Source qui est Dieu, quand Adam son fils, fils de la nature et de Dieu, s’est détourné de Dieu. Ils oublient que, depuis, la nature est dénaturée, livrée à la mort. Ces  » fils  » sont, en l’homme, les créatures adaptées à la condition mortelle. Ils sont le monde, et cultivent l’action et le jugement au nom des lois prétendues naturelles. Ils peuvent être aussi bien des baptisés sûrs d’être de bons chrétiens, que les citoyens des nations baptisées qui ont oublié leur baptême, que des agnostiques ou des athées. Qu’ont-il en commun ? Ils condamnent l’Eglise car elle ne transforme pas le monde et n’établit pas le royaume du Bien sur la Terre. Ils la prennent pour une religion, un  » opium du peuple  » ou au contraire une force qui doit s’imposer aux  » infidèles « , aux ignorants, aux incroyants, aux méchants, aux voyous ou aux philosophes, aux scientifiques, aux artistes…!

Qu’ont-ils fait de l’Eglise ?

 » Ils m’ont mise à garder les vignes. »

 » Les vignes  » et non la vigne qui est l’image de l’Eglise, une dans la diversité des Eglises locales.

 » Les vignes  » sont celle des  » fils « . Elles sont l’image de la dispersion et du souci de la quantité, du nombre, de l’efficace organisation, des multiples services à rendre à des hommes.

L’Eglise s’est laissée réduire à l’amélioration des services dans le monde. Elle a été cantonnée dans le service obligatoire du monde prétendu chrétien. Elle a eu tendance à devenir la dévouée aux œuvres de charité. Elle a été reléguée dans l’assistance aux exclus, aux victimes, aux déchets du monde.

On l’a vue comme employée de la puissance du monde et on l’aurait voulue parasite et spécialiste des malheurs du monde, procurant aux moindre frais, un brouillard de gentillesse, de temps à autre.

 » Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. »

L’insistance  » à moi  » souligne bien qu’il est arrivé à l’Eglise d’oublier sa juste place dans le devenir de la création. Elle s’est laissée adapter au monde oubliant les paroles de Jésus-Christ qui restent vraies jusqu’à la fin des temps :  » Vous n’êtes pas du monde « ,  » j’ai vaincu le monde « ,  » le monde vous hait « .

Elle a voulu, de mille façons sans doute, être aimée du monde, utile petite servante bien vue dans le monde, ou même sagesse dans la gentillesse retrouvée, semble-t-il, du monde.

L’image souligne bien que dans son histoire l’Eglise, elle aussi, a tendance à oublier le « Royaume de Dieu  » dont il est dit :  » Recherchez le Royaume de Dieu et sa Justice, le reste vous sera donné par surcroît « . Car  » ma vigne  » est la métaphore du Royaume. C’est du Royaume et non du monde, dont l’Eglise est chargée. Hors de la recherche de la Vérité dans sa plénitude, quel qu’en soit le prix social, mondain et même ecclésial, elle se perd et devient un instrument parmi d’autres pour la survie mondaine. Une prière très utile de Saint Ephrem le Syrien se termine par : « Donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère ».

Et bien ce verset 6 peut être contemplé comme la métaphore des fautes de l’Eglise envahie par les soucis du monde.

 » Ne prenez point garde à mon teint noir ;

C’est le soleil qui m’a brûlée ;

Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi.

Ils m’ont mise à garder les vignes ;

Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. »

Il devient aussi une invitation à la vigilance, afin d’éviter l’idéalisme qui mène à l’idolâtrie, et la résignation à des services faisant oublier la recherche du Royaume de Dieu.

Il est bon de contempler ce verset comme la métaphore du pardon réciproque et du péché commun, comme la métaphore aussi de la relégation de l’Eglise dans les tâches du monde, de l’égarement de l’Eglise par son souci du monde et de l’esprit de pénitence de l’Eglise quand elle retrouve le sens du Royaume de Dieu.

Verset 7

 » Dis-moi, Ô toi que mon cœur aime,

Où Tu mènes paître

Où tu fais reposer à midi

Pour que je n’erre plus comme voilée

Autour du troupeau de tes amis  »

« Dis moi … où « . L’Eglise « mise à garder les vignes » du monde est désorientée à « midi ».

Midi est le temps de la plus grande lumière et de l’ombre la plus dense. Midi est le temps de la plus grande splendeur du monde qui est le temps du plus grand oubli du Royaume de Dieu. Prise dans ce temps, admise comme une utilité sociale et une force politique, l’Eglise s’est éloignée du Mystère, de l’Alliance amoureuse, du goût de l’intimité divine en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. Il lui reste l’Amour et dans l’Amour, elle prie l’Aimé devenu lointain, Jésus-Christ, de l’éclairer afin qu’elle retrouve sa proximité.

 » Où tu mènes paître « . L’Eglise a la nostalgie du seul troupeau du seul pasteur qu’est le Christ et de la seule paix qui vaille et qui dure :  » Où tu fais reposer « . Ces lignes sont l’image de la prière de l’Eglise quand, revenue de la pluralité des opinions qui passent pour des vérités suffisantes, elle reconnaît à nouveau que le Chemin qui est le Christ, conduit seul à la Vérité en sa plénitude.

 » Pour que je n’erre plus comme voilée « 

L’Eglise, redevenue lucide, réalise qu’elle ne peut pas, par ses forces humaines, se défaire de l’emprise du monde où elle se voit  » comme voilée  » car il lui est comme interdit de se montrer telle qu’elle est appelée à devenir. Au lieu de témoigner de la Vérité, de l’approcher et de la développer, elle doit servir à la survie du monde. Il lui est demandé de  » mettre sous boisseau la lumière « , pour ne pas heurter le monde qui tient à ses ténèbres afin de continuer à s’adapter à la condition mortelle et à la confiscation ou à l’oubli de Dieu.

La prière de l’Eglise à nouveau lucide, lui permet de voir le monde où il est et tel qu’il est.

 » Pour que je n’erre plus …

Autour du troupeau de tes amis « .

Elle prie à partir du monde où elle s’est laissée prendre. Elle voit qu’elle n’est pas à sa juste place, que les amis de l’Aimé, de Jésus-Christ, de Dieu, sont en fait de faux amis puisqu’ils ont perdu le sens du seul troupeau et du seul pasteur, de la Vérité une en Jésus-Christ, quand ils se sont installés et survivent dans l’éparpillement des vérités disparates, des opinions qui font que seule importe, l’efficacité de la survie.

Ce verset 7 peut être contemplé comme la prière de l’Eglise dans l’Histoire :

 » Dis-moi, Ô toi que mon cœur aime,

Où Tu mènes paître

Où tu fais reposer à midi

Pour que je n’erre plus comme voilée

Autour du troupeau de tes amis « 

Verset 8

 » Si tu ne te connais pas, ô la plus belle des femmes

Sors, pour toi, sur la trace des ovins

Et mène paître tes chevreaux près des huttes des bergers « 

Quelle est cette beauté de l’Eglise que le Christ souligne et montre, alors qu’elle vient de le prier de l’aider dans son égarement ? C’est la beauté spirituelle de l’humanité en devenir dans l’Eglise, quand elle vit la foi et le désir d’aimer Dieu.

 » Si tu ne te connais pas « . L’égarement de l’Eglise vient d’elle-même : il lui arrive de perdre de vue sa juste place quand elle s’est adaptée aux prétentions du monde installé dans la variété des erreurs humaines pour se passer de Dieu ou le reléguer ; au lieu de se voir, elle voit l’efficacité des lois, des traités, de l’organisation et peut aller jusqu’à prendre pour la diversité des personnes, la diversité des rétrécissements de la Révélation ; dès lors, elle n’est plus en mesure de chercher et de s’ouvrir à la Vérité en sa plénitude.

Comment peut-elle retrouver l’orientation vers la ressemblance avec Dieu ?  » Sors pour toi « , est l’invitation pressante ; le  » pour toi  » est absent dans la plupart des traductions, André Chouraqui le conserve et s’en explique : il s’agit de la forme employée pour Abram, invité à tout quitter pour devenir Abraham, le père d’une multitude innombrable. L’Eglise ne peut sortir de son égarement qu’en délaissant toutes les valeurs du monde qui lui ont valu l’ignorance d’elle-même.

« Sors, pour toi, sur la trace des ovins »

Les « ovins » sont dans l’indétermination du groupe ou même de la masse des individus. Ils sont loin de devenir enfin les « brebis » que Jésus connaît et qui le connaissent. Les « ovins » sont l’image des êtres humains qui n’ont pas encore connu l’émergence de la personne. Leurs « traces » sont leurs divers cheminements dans la disparité des individus et des communautés, nations, civilisations. Ainsi dans l’humanité, la trace de l’Empire et la trace de l’unité par l’Empire et la trace de l’ordre par l’Empire demeurent des tentations dans l’héritage de Babel, de la Tour de Babel, pour se passer de Dieu.

« Et mène paître tes chevreaux … »

Dans cet enlisement, ce désir d’en sortir et cet effort pour y parvenir, l’Eglise n’est plus ou n’est pas encore en mesure de faire émerger les personnes. « Comme voilée », elle n’est plus l’affaire que de « chevreaux ». Contemplez les chevreaux : ils ne sont pas mauvais, mais capricieux ; ils ne sont pas soucieux de trouver le bon pâturage ; le plaisir d’être en vie leur suffit. Les « chevreaux » de l’Eglise sont ces nourrissons dont parlent les Pères de l’Eglise : ils sont nourris par les sacrements mais n’ont encore aucune conscience ni du baptême ni de la communion ni de la prière pure. Leur esprit nourri en est à la satisfaction du bébé à la mamelle. L’Eglise dans les brouillards de son adaptation au monde; est invitée à la seule voie possible : les aider à grandir et à ne pas s’installer dans quelque sommeil satisfait.

 » Et mène paître tes chevreaux près des huttes des bergers « 

La bergerie du seul Bon Pasteur, Jésus-Christ est hors de portée. L’Eglise pour retrouver ou trouver qui elle est, dans le temps qui est donné à l’homme, doit devenir consciente de cet écart. Elle apprend par Jésus-Christ qu’à défaut de la bergerie où chacun serait connu en personne et connaîtrait le Christ, il ne faut pas négliger les nourritures profanes des sages, des savants et des artistes du monde, à la condition de se souvenir qu’elles sont provisoires, fragiles, rudimentaires comme le sont les  » huttes « . De même qu’il est nécessaire de voir les multiples acteurs du monde et des civilisations comme des aides temporaires dont il faut se garder de tout attendre : ils peuvent contribuer à l’éveil de l’esprit quand il aurait tendance à en rester à l’auto satisfaction du nourrisson, quand l’Eglise est occupée par sa place et sa réussite dans le monde.

« Si tu ne te connais pas, ô la plus belle des femmes

Sors, pour toi, sur la trace des ovins

Et mène paître tes chevreaux près des huttes des bergers »

Ce verset n’est-t-il pas la métaphore du devoir de lucidité de l’Eglise quand elle s’est laissée éparpiller et disperser par les soucis du monde ? La métaphore aussi de la nécessaire patience dans le temps ?

Verset 9 :

« A ma jument, dans les chars de pharaon,

Je te compare, ma toute proche. »

Crampon préfère « ma cavale ». N’est-ce pas donner un ton précieux et mondain alors que le mot hébreux est bien « jument » ? Il emploie « mon amie », d’autres « ma bien aimée » ou « ma compagne ». Or le nom en hébreux est le féminin de « prochain », aussi vais-je me permettre : « ma toute proche ». D’autre part, rien n’indique que la jument est attelée, d’autant moins que le mot « chars » est au pluriel.

Une jument est beauté, mouvement, force et fécondité. La jument du Fiancé, de l’Epoux, de Jésus-Christ est la nature humaine que, Verbe de Dieu, Il fait sienne, affirme Origène et, après lui, Grégoire de Nysse, et bien d’autres. Le passage de l’Apocalypse (19, 11-24) les a tous orientés vers cette contemplation :

« Et je vis le Ciel ouvert, et voici un cheval blanc : celui qui le montait s’appelait Fidèle et vrai. Il était couvert d’un manteau trempé de sang, et Son nom était Verbe de Dieu. Et Son armée était dans le Ciel ; et Ses troupes Le suivaient, revêtues de lin fin d’un blanc pur. » Ainsi « ma jument » est l’image de l’incarnation du Verbe.

« Les chars de Pharaon »

sont les pouvoirs de l’homme dans les civilisations. L’Incarnation du Verbe, beauté, mouvement, force et fécondité, est à l’œuvre dans l’Histoire de l’homme, même s’il la nie ou la refuse comme le Pharaon en face de Moïse. Car le Pharaon est l’homme satisfait de ses réalisations qui se fait piéger par son entêtement. Sa suffisance le pousse à la ruine et au désastre. « Les civilisations, hélas, sont mortelles » disait le poète au début du XXème siècle, tellement fier de ses inventions.

« Je te compare, ma toute proche ».

L’Eglise est l’invisible beauté, mouvement, force, fécondité du monde qui l’ignore ou la dénature, « le sel de la Terre », « le ferment dans la pâte ». Au cours des temps, elle va vers la ressemblance avec le Verbe de Dieu fait chair, c’est ainsi qu’elle est mouvement et qu’elle devient autant qu’il est possible à la créature, de plus en plus comparable à Jésus-Christ ; c’est Lui qui l’affirme lorsqu’Il dit : « Je te compare ».

En Jésus-Christ, Dieu l’Inaccessible, le Créateur absolument hors de portée, invisible, insaisissable par la pensée, inconnaissable en sa nature, incompréhensible,… est proche, tout proche de l’humanité en devenir, de l’Eglise : le Fils de Dieu s’est fait fils de l’homme ; en sa Personne, les deux natures sont intimement alliées. Ainsi, en Lui, et en Lui seul, la nature humaine est plénitude.

Jésus-Christ est Dieu autre, tout à fait autre, l’Autre ; et en même temps, homme parfait, Il est le semblable, le divin prochain.

« A ma jument… je te compare »

est la métaphore de l’Histoire de l’homme : elle n’est plus barrée par la mort ; il lui est possible, en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint, d’aller vers la ressemblance à l’homme parfait, de connaître la beauté, le dynamisme, la force et la fécondité invisibles aux yeux du monde, de l’esprit créé révélé à lui-même dans le cœur purifié et à nouveau vivant.

Aux yeux dessillés de l’esprit, en dépit du péché, le dynamisme de la vie triomphe : les saints d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sont beaux dans la lumière divine. Les sacrements donnent la force inépuisable et la gestation de l’homme nouveau en devenir est le moteur de l’Histoire.

« A ma jument, dans les chars de Pharaon,

je te compare ma toute proche. »

est à contempler surtout dans les moments noirs de l’Histoire de l’homme quand « les chars de Pharaon » deviennent une menace qui sera engloutie dans la Mer Rouge après le passage à gué des vivants. L’image invite à l’espérance : l’Eglise devenant semblable au Christ permet à l’homme au cours des temps de traverser les pires épreuves.

Verset 10 :

« Tes joues sont belles au milieu des colliers

Ton cou, au milieu des rangées de perles.

Les traductions divergent à partir de synonymes en hébreux. Chez Origène, et jusqu’à Saint Bernard de Clairvaux, apparaissent des tourterelles au lieu des colliers, ce qui permet de voir dans les premiers vers du verset l’image de la chasteté, de la solitude et de la fidélité car « cet oiseau extrêmement chaste ne vit pas en troupe et demeure fidèle » précise Saint Bernard. André Chouraqui traduit « boucles »… ce n’est pas très clair. Quoi qu’il en soit, les « joues », « le cou », la beauté ici soulignée, si l’on contemple la beauté des joues et du cou d’une belle femme parée de bijoux et de colliers, est la beauté originelle par opposition à la beauté fabriquée, culturelle.

Les joues, quand elles rougissent ou blêmissent, laissent paraître la sensibilité intérieure, l’émotion, la fragilité.

« Elles sont belles tes joues dans les rangées de perles.

Ton cou est beau au milieu des colliers »

semble plus près du texte et plus logique car on ne voit pas trop les joues par contraste avec des colliers.

La beauté de la courbe des joues est par contre soulignée par la raideur rectiligne des rangées de perles qui pendent de part et d’autre du visage sans doute. Origène y voit l’image de « la noblesse et de la pudeur de l’âme. » Elle est celle aussi de la sensibilité à la vie intérieure de la créature humaine tellement fragile en sa nudité, parmi les rocs, les déserts et les fauves. Et les joues sont belles par la sensibilité au regard amoureux de Dieu, et à Sa Parole. Cette beauté est alors soulignée par la beauté des choses et de ce qui vit, créatures inertes et œuvres de l’homme.

C’est ainsi qu’il est ajouté :

« Ton cou est beau au milieu des colliers ».

Le cou vertical permet à la tête de porter le regard vers le Ciel. Le cou d’une femme est lisse, doux, fragile, et bien incapable de résister à des forces destructrices. Pourtant il est force en sa beauté même : il a la force de lier le bas et le haut, d’orienter la terre vers le ciel, comme la tige d’un lys au milieu d’une étendue plate. Contempler le verset, qu’il est alors permis de rédiger ainsi :

« Elles sont belles tes joues dans les rangées de perles

Il est beau ton cou dans les colliers. »

c’est contempler le mystère de Dieu amoureux de sa créature en ce qu’elle a de plus fragile et de plus grand dans sa station debout, lien entre la terre et le ciel. L’Amour de Dieu révèle la beauté originelle de l’homme que souligne son souci de beauté dans l’Histoire.

Verset 11 :

« Nous te ferons des colliers d’or

Pointillés d’argent »

L’or est l’image de la réalité inaltérable de Dieu, l’argent celle de la Parole, de la Vérité en plénitude. Il est précisé dans les Proverbes (10,20) : « la langue du juste est un argent purifié ». Pour Grégoire de Nysse, ce ne sont que « des imitations d’or ».

Les colliers dont il a été question dans le verset 10 n’étaient pas d’or ; ils étaient donc altérables, voués à la mort. « Les points d’argent » sont l’image d’une approche de la Parole, et non de la présence de la Parole, donc de tout ce qui est voilé : la Loi et les Prophètes, mais aussi les paraboles. La beauté de la créature, beauté originelle, d’avant la Chute, sera magnifiée par Dieu qui, dans Son Amour, donnera part à Sa Royauté et à la vie éternelle et dévoilera peu à peu la Vérité.

Ce verset est métaphore de la Révélation à la Fiancée, au peuple de l’Alliance appelé à la vie sans la mort, à la royauté et à l’approche du Verbe de Dieu. Ce cheminement a duré.

Verset 12 :

« Jusqu’à ce que le roi soit dans son cercle. »

Le « tandis que » de Gramont, de Segond, de Zadoc Kahn, de Samuel Cahen, de Lemaître de Sacy et de la Bible de Jérusalem… vient sans doute d’un souci de logique dans ce verset. – André Chouraqui efface la locution…

Origène traduit : « Le roi est couché » et, à partir de ce mot, il voit une métaphore du Fils de Dieu devenu homme, comme l’annonçait la Genèse (49,9) :

« Tu es jeune, lion de Juda

Quand tu reviens avec ton butin, ô mon fils !

Il s’est accroupi, il s’est couché comme un lion,

Comme une lionne. Qui pourrait le faire lever ! »

Ce que la Divine Liturgie proclame quand il est chanté : « Le lion de la tribu de Juda est vainqueur ». Avant l’office, préparant les saints dons, le diacre a dit :

« Dans la grotte, dans le tombeau, dans le sein virginal,

Tu t’es reposé, ô Créateur du ciel et de la terre… »

Tout cela converge pour voir dans « le roi » « couché » ou « dans son cercle » ou « sur son divan » ou « assis à table » ou « dans sa ronde »… l’incarnation du Verbe de Dieu. « Dans son cercle » peut même suggérer la Cène.

Aussi le verset 11 pourrait bien se prolonger, devenant :

« Nous te ferons des colliers d’or pointillés d’argent

Jusqu’à ce que le roi soit assis dans sa ronde. »

Ce pourrait être la métaphore de l’ancienne Alliance : la royauté de la créature revenue à elle est pressentie, la Révélation s’exprime par la Loi et les Prophètes, elle se cultive dans l’intelligence de la parole humaine mais il faudra que le Verbe de Dieu se fasse homme pour que le pur argent de la Parole ne soit plus hors d’atteinte.

Verset 12 :

« … Jusqu’à ce que le roi soit dans son cercle ;

Mon nard exhale son parfum. »

Il suffit d’un point-virgule pour sous-entendre un lien de cause à effet. C’est la lecture du Grégoire de Nysse : « Le nard de l’Evangile donne à l’Eglise l’odeur de l’Epoux. Dans l’Evangile, la bonne odeur du Christ se communique à tout le Corps de l’Eglise, sur toute la terre et dans le monde entier. » (« La colombe et la ténèbre », ch. III, p. 31-32).

Le verset 12 peut être lu comme la métaphore de l’énergie créée, vivifiée par l’Energie incréée.

Le nard est un parfum de grand prix, celui versé sur les pieds de Jésus (Mc 14,3) par Marie-Madeleine, parfum d’une valeur « d’au moins deux cents deniers » est-il précisé. « Nous sommes une bonne odeur pour Dieu » affirme l’Apôtre Paul. « Nous sommes devant Dieu, comme le parfum du Christ pour ceux qui sont sauvés », « une odeur de vie qui donne la vie », « le parfum de sa connaissance » (II Cor 2, 15-16 et 14). La nature humaine créée à l’image de Dieu est en elle-même, originellement, un parfum pour Dieu. Elle demeure créature et elle s’élève vers Dieu quand elle s’est retrouvée pure en Jésus-Christ, et non plus dénaturée par le péché. Elle est comme une fleur qui exhale son parfum : il s’élève, il remplit l’espace autour. Contemplons l’image :

« Le nard »

est l’énergie humaine à l’image de l’énergie divine quand l’homme est à nouveau tourné vers Dieu, quand il s’oriente vers l’Alliance, la désire et la vit dans la foi et la confiance.

« Son parfum »

Il s’agit du parfum divin, de « la bonne odeur du Christ » selon l’Apôtre Paul. Le « nard », image de l’esprit créé revenu à la vie dans l’Alliance, est comme imprégné du « parfum de Dieu », image de l’Esprit incréé devenu proche en Jésus-Christ. En Lui, Dieu s’est fait homme. Ainsi l’esprit créé en l’humanité sauvée, peut s’allier à l’Energie incréée, et, l’esprit de l’homme vivifié, peut devenir vivifiant comme l’expérimentent et le vivent les saints.

« Mon nard exhale Son parfum »

est la métaphore de la déification en cours et en devenir, de l’esprit créé, quand l’homme en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint vit l’Alliance.

Verset 13 :

« Mon bien-aimé est pour moi un sachet de myrrhe

Qui repose entre mes seins. »

« Mon bien aimé » : quelle audace ! Le transcendant semble bien hors d’atteinte. L’écart est incommensurable entre le Créateur et la créature. Les anges servent Dieu, Le louent, L’adorent. L’aiment-ils ? Leur est-il donné de L’aimer ? Pourtant le commandement : « Tu aimeras Dieu de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force » résume la Loi.

Ce commandement qui est la loi et les Prophètes n’est pas un commandement car l’Amour ne se commande pas. Il est instamment proposé pour que la vie soit en plénitude ; il demeure un choix et il est une grâce. Se surprendre à dire « j’aime Dieu » est un bouleversement de tout l’être, une conversion à la vie triomphante, une ouverture béante à l’Illimité. C’est une orientation folle de tout l’être, un « oui » audacieux, une réponse aussi à la beauté reconnue par Dieu, « tes joues sont belles », « ton cou est beau » (verset 10 et 11). Cet Amour impossible à prévoir, à imaginer, est lié à la beauté. Dans le Cantique des cantiques, Dieu voit, exprime la beauté de la nature humaine retrouvée, purifiée. Il existe un pont entre la créature et le créateur. Ce pont est comme un appel amoureux. Il est le regard de Dieu. Dieu voit, reconnaît, apprécie la beauté de la création en l’homme revenu à Lui, en l’Amour. – il a créé cette beauté. La beauté existe. Elle n’est pas surajoutée. Le péché ne l’a pas détruite -.

« Mon bien aimé est pour moi »

L’audace est possible, viable car Dieu voit en sa créature, l’homme, la beauté autre. Il en désire l’Alliance. Il abandonne sa plénitude. Il se réduit en son infinie liberté, à l’état amoureux. Il se livre au choix de l’homme, à sa réponse. Dans toute la Bible, Il se fait le demandeur et Il devient le mal aimé. « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-Je voulu te rassembler… et tu n’as pas voulu » regrette le Christ, sachant bien qu’Il va être crucifié. L’humanité peut dire à Dieu « mon bien aimé ». « J’aime Dieu » n’est pas une aberration, une prétention, encore moins une atteinte à Sa volonté. Or, si « la myrrhe honore l’humanité et la sépulture du Christ » d’après Bossuet, « le sachet » est une image de la nécessaire pureté de l’esprit et du cœur. En effet, l’Ecriture nous enseigne que : « est impur tout récipient ouvert, qui n’a pas été fermé par un couvercle, par un lien » (Nb 19,15). – Et les traductions qui préfèrent « bouquet » à « sachet » déforment -. C’est dans la pureté de l’esprit et du cœur que « mon bien aimé » est une réalité et non une présomption.

« J’aime Dieu » en réponse à Son Amour, découvre l’Eglise, l’homme en devenir résolument tourné vers la plénitude qu’il ne peut atteindre ni vivre seul.

« Mon bien aimé est pour moi comme un sachet de myrrhe

Qui repose entre mes seins. »

la grâce reçue, la certitude vertigineuse du « j’aime Dieu », comme un parfum d’un prix inestimable est devenue présence de Dieu au plus intime, au plus tendre. Dieu est présence tendre comme il a été passage tendre, comme une brise, pour Elie, et non pas ouragan ni tremblement de terre comme aurait pu le supposer l’idée de sa toute-puissance et le goût de pouvoir. Ce n’est pas seulement le souvenir d’une théophanie, mais la présence de Dieu comme celle d’un parfum qui enveloppe, pénètre l’homme si l’esprit ne se laisse pas détourner par les prétendues transcendances, par des idoles, ces fruits de l’orgueil. Lui, le Tout-Puissant, s’est comme anéanti en se faisant homme et s’est laissé comme anéantir quand, librement, Il s’est laissé calomnier, insulter, flageller et crucifier. Ainsi la myrrhe est l’image de sa kénose dont Origène dit : « Le Verbe de Dieu lié et serré par les liens du désir est amoureusement l’hôte du cœur. »

Le verset 13 est la métaphore de l’impensable Amour de Dieu quand la grâce en est donnée dans une tendresse stupéfiante, appelée à grandir dans le silence du mystère. Il est celui de la déification semblable à l’alliance intime du parfum de la créature et du parfum du créateur. Dieu demeure l’Autre, le tout à fait autre. il devient cependant le tout proche quand le Verbe se fait chair, Celui dont on peut s’approcher infiniment dans l’Amour. L’antinomie est à vivre au plus secret, au plus intime, au plus profond de la créature. La Vierge Marie donne l’exemple du secret : « laisser mûrir dans son cœur. »

« Mon bien aimé est pour moi un sachet de myrrhe qui repose entre mes seins »

peut être lu comme une image de la déification en cours dans l’écoute attentive, la patience et le silence intérieur à partir de la foi éprouvée comme le parfum de Dieu depuis sa kénose, son quasi anéantissement en l’homme parfait, né pauvre, crucifié puis mis au tombeau.

Verset 14 :

« Mon bien aimé est pour moi une grappe de cypre,

Des vignes d’Engaddi. »

C’est une image encore de l’étonnant : « J’aime Dieu ». « Grappe de cypre » surprend. On attendait « grappe de raisin », le fruit de la vigne, tellement riche symboliquement.

Le cypre est un arbrisseau aux grappes odorantes. Les feuilles broyées donnent le henné, poudre à l’odeur pénétrante et à la couleur brun roux dont se servent les femmes d’Orient pour s’embellir et chasser les démons. On lui prête aussi des vertus aphrodisiaques.

« Mon bien aimé est pour moi une grappe de cypre »

est l’image du cœur réchauffé par l’amour de Dieu. Le vivant est l’être humain au cœur chaud et à la tête froide, enseigne la Tradition. Cette chaleur du cœur est le désir de l’union parfaite dont peuvent être vécus les prémices dans le déroulement d’une vie et des temps et dont il reste la lumière quand la présence du Christ ressuscité a éclairé les Ecritures. Joie et ouverture qu’expriment les pèlerins d’Emmaüs, ces disciples désorientés, quand Jésus-Christ, après leur avoir révélé la Vérité, les laisse ; ils se disent : « notre cœur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous quand Il ouvrait les Ecritures. » (Lc 24,32)

« Mon bien aimé est pour moi une grappe de cypre

Des vignes d’Engaddi. »

C’est la joie du cœur chaud de l’amour de Dieu qui ne connaît pas encore « la vigne » du meilleur vin. Le cœur est encore dans les vignes dont il a été question au verset 6, c’est-à-dire dans tout ce qui, dans le monde, annonce le Mystère sans pour autant le révéler.

Ce sont ces vignes qui donnent le vin dont il a été question au verset 2 ; le vin qui ne vaut pas les tendresses de Dieu, car, s’il représente le meilleur de la création et de l’homme, il ne saurait combler. Elles sont « des vignes » et non la vigne du Seigneur dont parle la parabole des ouvriers des diverses heures.

C’est pour cela qu’il est question seulement de « grappe de cypre », de grappe de parfum, et non de raisin, de fruits. On est dans le désir de Dieu.

Les « vignes d’Engaddi » ont beau avoir la réputation d’être les meilleures vignes du monde, elles sont les vignes de la source des chevreaux de « Em Guedi », et non des brebis qui ont été appelées, qui connaissent « le Bon Pasteur », Jésus-Christ, et qui en sont connues. Les meilleures des vignes aussi ne font qu’annoncer le vin de Cana, le meilleur des vins, le vrai vin de l’Alliance qui est lui-même, les prémices du breuvage de la vie éternelle : le Sang du Seigneur Jésus-Christ.

« Mon bien aimé est pour moi une grappe de cypre

des vignes d’Engaddi. »

peut bien être contemplé comme la métaphore de la joie de l’état amoureux, dont l’espérance et la foi en la plénitude donnent leur sens au temps d’une vie et à tous les temps, à tout l’avenir de l’homme en chemin vers l’alliance la plus intime avec Dieu.

Verset 15 :

« Te voici belle, mon amie, te voici belle !

Tes yeux sont des colombes. »

« Mon amie » ou plutôt « ma toute proche », comme on voudra. La répétition de « Te voici » souligne à nouveau le mouvement, le vrai progrès de l’esprit qui est à lire dans les versets 13 et 14. Ce devenir est un inaccompli jusqu’à la fin des temps, et sans doute au-delà. L’esprit créé n’en finira pas de s’embellir dans sa ressemblance avec Dieu, toujours désiré, et toujours plénitude, autant qu’il est possible.

« Tes yeux sont des colombes »

et non pas : « Tes yeux sont des yeux de colombes », ce qui reviendrait à gommer la métaphore ou du moins à la banaliser, à l’affaiblir. Regardez un couple de colombes : elles sont blanches, elles roucoulent gentiment, sont le symbole de la fidélité et de la paix. Elles volent. Elles vont de la terre au ciel.

Cette beauté en infini devenir est lumière intérieure et, dans cette lumière intérieure, l’humanité s’élève dans la pureté, la fidélité et aussi le dépassement de la dualité. « Qu’ils soient un, Père, comme Nous sommes un », prie Jésus-Christ. « Des colombes » sont l’image du couple et le couple est l’image de l’unité féconde.

« Te voici belle, mon amie, te voici belle !

Tes yeux sont des colombes. »

Est la métaphore de la beauté en constant devenir, de l’esprit créé revenu à lui-même et au Créateur, librement tourné vers Dieu en Jésus-Christ, sensible à Dieu, fidèle à Dieu et soucieux de garder le trésor de Son Amour.

C’est aussi la parole amoureuse de Dieu. Elle révèle la beauté à elle-même. Elle n’est pas un superflu, un ajout, une décoration. Elle existe en son devenir. Elle est le mouvement juste, l’attitude juste, la parole juste. La justesse est beauté. Elle n’est pas hors de portée. Elle commence par le goût de la présence de Dieu et se développe par la sensibilité à Sa présence. Dieu devient sensible à l’esprit vivifié : il y a comme une sensation de Dieu à désirer, retrouver, recevoir, préférer et cultiver. L’esprit créé s’élève en l’Esprit incréé. La foi est devenue lumière. Les yeux des saints luisent : feu de douceur.

Le dialogue entre le Christ et l’Eglise, entre Dieu et l’homme, devient alors possible.

Verset 16 :

« Te voici beau, mon bien aimé, et même doux,

Et notre couche est verte. »

Les temps sont accomplis. L’Invisible est vu. Les yeux de l’esprit élevé en l’Esprit de Dieu voient. Alors que l’Apôtre Jean précise : « Dieu, nul ne L’a vu. Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils Unique, qui est dans le sein du Père, est Celui qui nous L’a fait connaître. » C’est que l’esprit de l’homme, dans l’Alliance, comme invite à Le contempler le verset 3 : « A l’odeur, tes huiles sont bonnes… » connaît l’immanence de l’Esprit de Dieu, puis, à la lumière de la foi, voit l’Inaccessible, le Transcendant quand il voit en personne Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, Dieu fait homme selon ce qui est dit à Philippe : « Celui qui M’a vu a vu le Père. Comment dis-tu : « Montre-nous le Père ?» Ne crois-tu pas que Je suis dans le Père et que le Père est en Moi ? » (Jn 14, 9-10).

« Te voici beau »

et non plus seulement « Tout-Puissant », d’une puissance que l’homme ne pourrait regarder sans mourir. Voir Jésus-Christ c’est voir le Père. C’est ce qui légitime l’icône du Verbe de Dieu fait homme. – L’icône du Père sous la forme d’un vieillard barbu est une aberration et une hérésie, une négation du Mystère de la Divine Trinité -. La beauté de Dieu en la Personne de Jésus-Christ est sensible à l’homme. Dieu en lui s’est approché.

Et Il se découvre « même doux ». « Je suis doux et humble de cœur » dit Jésus-Christ. Il faut en avoir l’expérience pour en témoigner.

« Notre couche est verte »

Ou « notre lit est un lit de verdure » ou « notre couche est fraîcheur ». Au verset 6, il a été dit : « C’est le soleil qui m’a brûlée ». « La couche » ou « le lit » est l’image de l’Incarnation du Verbe. Par Lui, l’homme est à nouveau tourné vers la Lumière divine : elle ne brûle plus. Elle lui donne la vie au contraire, mais ce ne sont pas encore les fleurs, encore moins les fruits, c’est seulement la fraîcheur et le feuillage.

« Notre lit » ou « notre couche », c’est le désir et en même temps le devenir de l’union de « l’Agneau et de l’Epouse ». Cette union de l’un, la créature, et du tout à fait autre, Dieu, est déjà réalisée en la Personne de Jésus-Christ. Les deux natures, humaine et divine, sont intimement unies en Lui, sans confusion. Cette union est vécue en Marie la Vierge, Mère de Dieu. Et enfin cette union est en devenir jusqu’à la fin des temps dans l’Eglise. Elle sera réalisée dans l’unité et la diversité des personnes à la fin des temps : alors « Dieu sera tout en tous. »

Nous pouvons contempler :

« Te voici beau, mon bien aimé, et même doux

Notre lit est un lit de verdure. »

d’abord comme la métaphore de Dieu devenu visible aux yeux de l’esprit en la Personne de Jésus-Christ. L’homme voit Dieu. Il voit sa beauté et s’ouvre à sa douceur. Dieu est beau et doux. On peut en déduire que la beauté de la création existe. Elle est l’icône de la beauté de Dieu. Dire que la beauté est subjective est la réduire, en faire une création culturelle ; c’est un rétrécissement, une mesquine hérésie.

La douceur de son côté, la vraie douceur qui n’est pas de la faiblesse, est l’icône de la douceur de Dieu. A ce propos, il n’y a pas un Dieu vengeur et un Dieu doux. La vengeance de Dieu est douceur. Elle est « l’Agneau de Dieu » dont le diacre dit à la préparation des Saints Dons : « Venez et Je vous montrerai l’Epouse qui a l’Agneau pour époux. » La vengeance de Dieu en ce qui concerne l’homme est la Croix : Il se donne librement en l’ultime sacrifice. La douceur n’est donc pas seulement une valeur morale : elle fonde la vie de l’esprit. Rappelons-nous : « Tes tendresses sont meilleures que le vin » (verset 1) S’il ne connaît pas la douceur, l’esprit de l’homme est encore dans le coma, ou y est retombé. Ainsi l’Apôtre Judas oublie la douceur de Dieu : il désespère et se suicide, alors que l’Apôtre Pierre après sa triple apostasie, vit dans les larmes la douceur et se repent amèrement. Le repentir se fonde sur le souvenir de la douceur de Dieu.

Nous pouvons ainsi contempler :

« Notre lit est un lit de verdure. »

comme la métaphore de l’Alliance accomplie en Jésus-Christ, et en devenir jusqu’à la fin des temps ; l’homme un dans la diversité des personnes deviendra co-créateur dans l’éternel été de la divino-humanité. Alors seulement, il connaîtra la plénitude de la beauté et la fécondité de l’harmonie entre les volontés divine et humaine, les fleurs puis les fruits.

Contemplations des métaphores

du second chapitre

Verset 1

« Je suis le jeune lys de Saron, le lys des vallées »

L’époux se nomme, le Fils de Dieu, Dieu se nomme, par une métaphore. Nommer Dieu serait le saisir, car le nom est la Personne. Dieu est au-delà de tout nom. Tout nom réduit. « Je suis celui qui Est » est très approximatif car Dieu est au-delà de l’être et du non-être. Le Père nous a enseigné la prière : « Que ton Nom soit sanctifié… » sans se nommer. Jésus est le seul nom qui dans la bouche de l’homme, ne réduit pas Dieu.

Saron est une plaine. Le jeune lys seul, sur l’immense plaine. Quelle image ! On peut en avoir aperçu : ainsi le jaillissement des fleurs sur le plateau du Larzac est cri de victoire dans l’aridité qui s’étend de tous les cotés jusqu’à l’horizon.

Or là c’est le lys parmi toutes les fleurs possibles de la terre. Il resplendit plus que toutes les splendeurs car il est sans usure, sans flétrissure et qu’il est seul, à unir ainsi par le triomphe de sa beauté, la terre et le ciel.

 » Je suis le jeune lys de Saron, le lys des vallées  » ( II, 1 )

Saron est une plaine. Voyons l’image : sur cette plaine une seule fleur, un lys qui est le lys. La plaine va jusqu’à l’horizon. Le lys, dont le bulbe est dans la terre, se dresse ; sa tige est verticale. Elle porte la fleur en plein ciel. Sur la platitude, la séparation de la terre et du ciel, il relie la terre au ciel. Le lys, de plus, est symbole de pureté, de royauté parfois. C’est là l’image du Christ, de sa kénose, Il est venu dans la terre, dans la chair, il s’est fait homme. Et il relie à nouveau, car à l’origine le lien était l’Amour dans la confiance et l’obéissance, le créé à l’Incréé. Ainsi rend-Il à l’homme sa beauté, sa lumière et son destin perdus. S’il n’est plus dans l’uniformité de la platitude, dans la répétition du terre-à-terre, il n’est plus non plus dans l’usure : il est « le jeune lys » car il est jeune à jamais, étant Dieu fait homme.

 » Le jeune lys de Saron « 

est la métaphore de l’incarnation du Verbe de Dieu, qui est Dieu.

Et Il précise « le lys des vallées » ou « des profondeurs » c’est en hébreux le même mot. Origène lit dans cette image, l’humilité du Christ car il entend « vallées » par opposition à « montagne », image de l’orgueil, et « collines », image des vanités. Le verbe créateur devient créature, jusqu’à naître et vivre inaperçu en Galilée, coin perdu de la terre. Fragile nouveau-né, il lui faudra fuir en Egypte pour échapper à la tuerie. « Le lys des vallées » peut être la métaphore de la kénose de Dieu : la toute splendeur se cache. De plus les « vallées » ou « profondeurs » est surtout l’image de la vie intérieure ; le Christ qui a pu passer inaperçu et qui est devenu invisible, est sensible au cœur vivant, au « cœur de chair » par opposition au cœur de pierre, héritage de Caïn et de sa peur d’être tué comme il a tué.

 » Je suis le jeune lys de Saron, le lys des profondeurs  »

peut être contemplé comme la métaphore du Verbe de Dieu fait chair et devenu sensible au cœur vivant, dans l’évidence qui ne se démontre pas, ne se saisit ni par les sens, ni par l’intelligence.

Verset 2

 » Comme le lys au milieu des épines

Telle est ma toute proche entre les filles « 

« Comme le lys » lys ou rose car le même mot en Hébreux, désigne les deux. La ressemblance renvoie à la Genèse : la créature humaine est faite « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». C’est ainsi que la « bien aimée » la « compagne » est aussi la toute proche – le féminin de « le prochain » – L’Eglise, c’est-à-dire l’humanité en devenir, ayant retrouvé l’image en Jésus-Christ s’oriente vers la ressemblance que vivent déjà les saints : pureté, beauté du regard, lien d’amour entre la terre et le ciel. Les « épines » sont l’image du monde, de l’humanité dans l’ignorance ou le refus de Jésus-Christ : le buisson de ronces couvre la terre, étouffe, rétrécit, emprisonne et, au lieu d’orienter vers le ciel, il rampe au ras du sol, limité au terre-à-terre. Le monde connaît seulement un mesquin réalisme répétant indéfiniment son aliénation à la condition mortelle. C’est ce qui fait dire à Jésus-Christ s’adressant aux chrétiens d’hier, d’aujourd’hui et de demain : « Vous n’êtes pas du monde ».

Et « les filles » représentent l’humanité dans son désir de vivre alors qu’elle ignore le sens de la vie et le chemin vers la plénitude dont confusément, elle a soif.

 » Comme le lys au milieu des épines

Telle est ma bien aimée entre les filles  » ( II, 2)

N’est-ce pas la métaphore au plus juste, de l’Eglise dans le monde ? En elle, l’humanité vivifiée par la foi ressemble de plus en plus au lys par ses saints, est le témoin, est comme le garant de la pureté, de la beauté de l’esprit créé et du cœur vivant et le laboratoire du sens de la création, alors que, tout autour, le monde veut l’ignorer de plus en plus, la submerger sous les ronces des soucis d’amélioration du monde, de pouvoir et d’objets inutiles.

L’invitation de l’Evangile « Regardez les lys des champs… » est déjà dans le Cantique des cantiques. Le monde envahi et submergé par les fruits de ses prétentions ignore « les lys des champs », la divino-humanité dont le travail consiste à refuser ce qui rétrécit et installe dans la résignation à la « société de consommation » par exemple et à la mort. C’est un travail de discernement et de pénitence qui évite la dispersion et ouvre l’esprit au regard juste dans la station debout retrouvée quand le terre-à-terre ne peut plus suffire. Le lys peut être vu comme l’image du « lève-toi et marche » du Christ à l’esprit paralysé.

Verset 3

 » Comme une pomme au milieu des arbres de la forêt,

Tel est mon bien-aimé parmi les fils.

Dans son ombre, j’ai désiré et je me suis assise,

Et son fruit est doux à mon palais « 

En Hébreux, la pomme (taponah) vient de la racine tapha’h : être rempli par le souffle. Tapona’h est aussi, proche du verbe souffler « pona’h » qui est utilisé dans la Genèse ( II, 7) : « Et Il souffla dans ses narines un esprit de vie ». Le pommier peut être vu comme l’image de l’arbre de vie, l’arbre qui vivifie, qui donne le souffle de vie.

Le bien aimé est comme l’arbre aux fruits comestibles parmi les « arbres de la forêt » qui recouvrent la terre, à la manière des ronces, dans laquelle l’homme s’égare et meurt spirituellement, de faim. Voyez la forêt équatoriale par exemple, elle ne produit rien qui permette à l’homme la survie, ou si peu et à un tel prix que l’homme y est devenu physiquement nain ; regardez les pygmées. Dans la forêt luxuriante du monde où l’esprit survit dans une espèce de coma, où il oublie Dieu ou le remplace par des idoles, le seul arbre vivifiant est Jésus-Christ qui, les temps accomplis, envoie à l’homme l’Esprit-Saint. Il peut passer aussi inaperçu qu’un pommier dans une forêt : seul le désir retrouvé puis cultivé de Dieu le lui fait rencontrer et reconnaître.

En dehors du désir de l’intimité divine, les hommes ne sont que les fils de la nature dont il a été question au chapitre I, verset 6 (« Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi »). Ils demeurent semblables à la forêt qui se perpétue, semblable à elle-même, dans le temps cyclique où l’on naît, grandit et meurt et où il n’y a d’autre sens que la lutte pour la vie, pour une place au soleil, selon la loi du plus fort.

 » Comme une pomme au milieu des arbres de la forêt,

Tel est mon bien-aimé parmi les fils.  »

Peut être contemplé comme l’icône du Christ dans le monde.

Le verset continue :

 » Dans son ombre, j’ai désiré et je me suis assise  »

L’ombre du pommier est à peine ombre, si on la compare à l’ombre dense de la forêt. L’ombre du pommier tamise la lumière, alors que celle de la forêt l’exclut. Choisir « l’ombre du pommier », c’est refuser l’ombre ténébreuse du monde, c’est désirer la lumière divine. Or, elle brûle et peut anéantir la créature. « C’est le soleil qui m’a brûlé » (ch. I, v.6). Ainsi les trois Apôtres, témoins de la Transfiguration de Jésus-Christ, voient la lumière incréée puis s’écroulent face contre terre ; et le zélé ennemi des chrétiens Saul, jeté au bas de son cheval, est ébloui jusqu’à devenir aveugle. Désirer « l’ombre du pommier » est clairvoyance et sagesse.

« J’ai désiré » : la forme intransitive souligne que ce destin n’a pas d’objet ; il est le désir des désirs, celui qui entame et sous-tend le Cantique des cantiques, le désir absolu que suggère la première ligne du verset 2 (ch I) : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». Il se vit dans l’ombre, douce, légère comme la brise d’Elie, de Dieu, de sorte qu’il n’y a plus ni éblouissement, ni aveuglement, ni brûlure.

 » Dans son ombre, j’ai désiré et je me suis assise  »

est l’image de l’attitude d’accueil, d’attente et de patience de l’esprit de l’homme révélé à lui-même et devenu conscient. L’attitude juste de l’esprit à contempler cette métaphore, ressemble à celle du mendiant pacifié.

 » Et son fruit est doux à mon palais « 

La pomme est l’image du Souffle, de l’Esprit de Dieu qui fait que l’homme est appelé à devenir un lys, pour unir la terre au ciel. En la nature humaine originelle retrouvée en Jésus-Christ, il est dit à la Sainte Communion : « Gouttez et voyez combien le Seigneur est doux ». C’est bien de cela qu’il s’agit dans cette métaphore : cette pomme goûtée à l’ombre de Dieu, dans l’humilité d’un mendiant, donne la suavité des suavités, l’expérience de la douceur du Tout-Puissant, douceur dans l’esprit vivifié, l’âme pacifiée et le corps léger.

Le verset 3 (ch. II) en son entier :

 » Comme une pomme au milieu des arbres de la forêt,

Tel est mon bien-aimé parmi les fils.

Dans son ombre, j’ai désiré et je me suis assise,

Et son fruit est doux à mon palais « 

ne peut-il pas être entendu comme la métaphore de l’humanité apaisée ayant retrouvé la regard juste, le juste désir, la juste perception de la lumière, lui permettant l’humilité triomphante dans le goût de la douceur. « Je suis doux et humble de cœur », dit Dieu en Jésus. Ce verset en est la prophétie.

Verset 4

 » Il m’a fait venir à la maison du vin.

Et son étendard sur moi, c’est l’amour « 

Le « vin » produit à partir du raisin qu’on a foulé au pied, qui fermente puis qui enivre, est l’image de la vengeance de Dieu ; elle est la Croix, le sang librement versé qui permettra la « sobre ivresse de l’esprit » par l’Esprit-Saint à partir de la première Pentecôte.

« Maison du vin »

est l’Eglise et en particulier l’autel où le vin offert devient Sang du Christ ; c’est le vin du sacrifice raisonnable et non sanglant qui incite à renoncer à tout autre sacrifice, à tout sang versé. Le sang versé n’est que pour l’assoiffé de sang, l’ange déchu, le Malin ; c’est lui seul qui semble légitimer sacrifices, lynchages, guerres et révolutions.

« Il m’a fait venir »

L’approche du Mystère du seul Sacrifice qui vaille, celui de Notre Seigneur Jésus-Christ est hors de portée des efforts, du génie et des progrès de l’homme. C’est la grâce de Dieu dans sa grande miséricorde qui invite l’homme et lui permet d’approcher du Mystère du vin changé en Sang du Christ par la puissance insaisissable et infinie du Saint-Esprit.

« Il m’a fait venir à la maison du vin. »

Peut être lu comme l’image de l’invitation de l’homme au banquet eucharistique, à la divine liturgie, image qui sous-entend la Sainte Communion. La traduction « cellier » pour « maison du vin » à ici sa pertinence : qui inviterait quelqu’un à la fraîcheur parfumée de son cellier, sans lui faire goûter son meilleur vin ?

 » Et son étendard sur moi, c’est l’amour  »

Le symbole guerrier « étendard » est enlevé à la guerre, à la conquête et au souci du pouvoir. Par la communion au Sang du Christ, l’homme est enlevé aux légions sataniques qui, seules, le poussent à verser le sang. Il peut passer, s’il le veut, du champ du pouvoir basé sur la peur et sur la violence depuis Caïn, père du meurtre, au champ de l’Amour, seule vraie victoire.

Le verset 4 :

 » Il m’a fait venir à la maison du vin.

Et son étendard sur moi, c’est l’amour  »

Selon la foi en Jésus-Christ est la métaphore du passage de l’Esprit de violence à l’esprit d’Amour, par la grâce de la communion et la libre et virile détermination.

Verset 5

 » Soutenez-moi avec des gâteaux de raisin,

Fortifiez-moi avec les pommes,

Car je suis malade d’amour « 

La Fiancée, c’est-à-dire l’humanité consciemment amoureuse du Créateur, l’Eglise prie « les filles de Jérusalem » à qui elle s’est adressée au chapitre II, verset 5, les filles de la Nouvelle Alliance, les baptisés. L’Eglise n’est pas encore apte à vivre l’Amour en sa plénitude. Elle est en devenir. Jusqu’à la fin des temps, elle a besoin du soutien des baptisés.

 » des gâteaux de raisin  »

ou « des gâteaux sacrés » ou « des braises », car le mot Hébreux « achichot », gâteaux sacrés est proche de « ech », le feu. Le blé et le raisin sont utilisés pour la sanctification déjà dans le judaïsme.

Le soutien demandé par l’Eglise et dans l’Eglise est celui de l’offrande du pain et du vin, produits par la nature et le travail humain, l’un comme l’autre bénéficiant de la fermentation qui est l’image du Souffle de l’Esprit de Dieu et de l’invisible feu de cet Esprit-Saint. L’Eglise est soutenue par la célébration du Mystère, la participation au Mystère du pain et du vin devenant Corps et Sang du Christ lors de l’approche ensemble qu’est la divine liturgie. Elle n’est pas une obligation morale au nom de la Loi, elle est vitale pour l’humanité en devenir.

 » Fortifiez-moi avec les pommes  »

La pomme est l’image du souffle, de l’Esprit de Dieu, devenu savoureux. « Les pommes » : le pluriel employé oriente vers le pluriel des créatures ; « les pommes » est l’image de l’esprit créé vivifié. Or l’esprit vivifié est l’esprit révélé à lui-même par les sacrements, puis nourri par la prière et la Parole de Dieu qui sont nourritures et seules nourritures spirituelles.

 » Car je suis malade d’amour  »

L’Eglise tendue vers l’Amour comme conjugal avec Dieu, ne le connaît pas encore en sa plénitude. Elle le vivra quand « Dieu sera tout en tous », à la fin des temps. Le sens de l’Histoire est dans ce devenir. Et là, l’Eglise demande à être « fortifiée » par les baptisés et non l’inverse. Sa prière est d’hier, d’aujourd’hui et de demain, jusqu’au second avènement du Christ, son retour en gloire, visible à tout homme. L’Eglise propose prières et sacrements aux baptisés. Elle les invite à ne pas oublier qu’ils sont aussi l’Eglise et à trouver la juste place de leur esprit vivifié.

 » Soutenez-moi avec des gâteaux de raisin,

Fortifiez-moi avec les pommes,

Car je suis malade d’amour  »

Cette prière de l’Eglise propose aux fidèles une participation consciente et fréquente au Mystère des Mystères dans l’unité retrouvée en Jésus-Christ qui permet d’approcher l’Amour.

Verset 6

 » Sa gauche est sous ma tête et sa droite m’enlace « 

Dans la traduction de Crampon et de Segond, les verbes sont au subjonctif : c’est un souhait. Dans les autres, il s’agit d’une réalité, un indicatif présent qui dure dans le futur, un inaccompli.

 » Sa gauche  »

est l’expression du cœur , du plus secret, du plus intime de l’Epoux.

 » Sous ma tête « 

l’image est de tendresse, tendresse de l’Epoux pour l’Epouse de Dieu, pour l’Eglise. La tête est le lieu de la volonté ; la volonté humaine se découvre de plus en plus en harmonie avec la volonté divine.

 » Et sa droite m’enlace « .

La droite de Dieu dans la Bible est redoutable ; elle est l’image de sa toute-puissance ; celle-là même qui a englouti les Egyptiens dans la Mer Rouge ou les ennemis de Moïse dans les profondeurs de la terre. La toute-puissance a fait place à la tendresse amoureuse de Dieu dont l’intimité donne paix, harmonie et plénitude à la créature devenant son Epouse.

C’est une réalité et un devenir. Le couple parfait, dont il est dit dans la Genèse : « Ils seront une seule chair », est bien l’icône de l’Alliance promise, réalisée et en cours de réalisation dans l’Eglise, icône de l’extase sans fin, de la béatitude dont le moment échappe au temps. L’Inaccessible est ressenti en communion avec la volonté la plus profonde, la plus vraie de l’homme revenu à lui et à son prodigieux destin.

Dieu sans commencement ni fin, s’unit à la créature et ainsi la place hors du temps, sans la détruire, ni la remplacer, ni l’absorber, sans confisquer sa volonté de vie créée, la magnifiant au contraire et lui donnant le goût et le pouvoir de la plénitude.

Le Tout-Puissant s’est dépouillé de son pouvoir, l’a limité et consacré au bonheur de la créature qui n’est plus limitée ni à son espace ni à son état de créature. Dieu, si l’on peut dire, « illimite » l’Eglise qui est l’homme en devenir. L’affirmation du psaume : « Vous êtes des dieux » se réalise. Elle signifie : par l’Amour de Dieu, vous êtes des dieux en devenir car aimer Dieu n’aboutit à aucune satiété.

 » Sa gauche est sous ma tête et sa droite m’enlace « 

Cette belle image est la métaphore de la déification dans l’Amour. Elle est le programme, le but et l’infini voyage qu’a pressenti le désir initial, immortel, fondamental du verset 2 (ch I) : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». L’Eglise, le saint, le mystique, semblable au lys des profondeurs, unit la terre et même les enfers au ciel dans la force et la douceur de l’Amour.

Verset 7

 » Je vous adjure filles de Jérusalem,

Par les gazelles et les biches des champs

N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour

Avant qu’elle le désire. « 

« amour » est un nom féminin en Hébreux, comme autrefois en français, en poésie surtout et même en prose au pluriel. Encore au 19ème siècle, Musset, par exemple : « avant qu’elle le désire » : le pronom sujet n’est pas la bien aimée, mais l’Amour. Pour éviter toute confusion en français contemporain, n’est-il pas plus juste d’écrire :  » ne réveillez pas l’Amour, avant qu’il le désire « 

Il y a un moment où l’Amour est mûr, après un temps où il a été dans le sommeil de la gestation.

Ce verset est une prière aux baptisés, à « l’homme nouveau » qui est libéré de la mort et vivifié par l’Esprit de Dieu. Cette prière est du Fiancé, de l’Epoux, du Christ aux « filles de Jérusalem » c’est-à-dire aux chrétiens.

 » Je vous adjure « 

est une prière pressante aux hommes revenus à la vie, par le Fils de l’Homme, au Nom du Père. S’ils sont ainsi instamment priés, c’est qu’ils sont en danger d’impatience, ils peuvent se croire arrivés, parvenus à l’Amour alors qu’ils en connaissent seulement les prémices.

 » Par les gazelles et les biches des champs « 

Pour inviter à la nécessaire patience dans la vie spirituelle renouvelée, Jésus-Christ invite à contempler la nature, la création visible, sa beauté, son mouvement, sa vitalité, ce qui en elle, « gazelles », « biches », procure la sensation de liberté, de splendeur et de gratuité. Voir, prendre le temps de regarder la création visible dans sa grâce originelle, n’est-ce pas ce que cherche l’homme moderne dans ses parcs dits « naturels » ? Il en attend un moment de détente avant de reprendre comme avant. Jésus, Lui, invite sans doute à s’ouvrir à l’esprit de patience devant cette nature qui a tout son temps. Non pas qu’Il invite les baptisés à se contenter de se perpétuer. Dans le refus tranquille de l’impatience ;

 » N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour « ,

il est question de percevoir et de respecter les deux sommeils de l’Amour. Le sommeil dont l’Amour se réveillera est le sommeil de la création ; en ce qui concerne l’Amour de Dieu, c’est le sommeil initial, originel et qui peut paraître définitif à ceux qui, faute d’en avoir quelque expérience, estiment que l’écart entre la créature et le Créateur est tel, qu’il est impossible d’aimer Dieu. C’est le sommeil de l’inconscience d’Adam et Eve quand ils baignent encore dans l’Amour de Dieu que consciemment ils ignorent. Il est celui de toute nature visible jusqu’à la fin des temps, où Dieu deviendra tout en tous. Les temps auront permis le mûrissement de l’Amour qui rendra inutile toute lumière extérieure et qui aura gommé toute ombre.

Le second sommeil, dont l’Amour se réveillera, est le sommeil depuis l’oubli de Dieu, depuis la chute hors de la lumière divine, lumière incréée. Ce sommeil venu de la complicité de l’homme avec les ténèbres à quoi il s’adapte, est le temps de la gestation librement acceptée par un certain nombre d’hommes, de l’amour ; sa traversée depuis l’absence de Dieu, des enfers, de tous les déserts et sa croissance. C’est le sommeil de la condition mortelle.

Jésus-Christ rompt les deux sommeils : le premier parce qu’il est Dieu et homme ; en sa Personne, l’intimité sans confusion, entre le Créateur et la créature est viable ; le second parce qu’Il accepte librement d’être crucifié, traverse les enfers et arrache l’homme à la mort par Sa Résurrection.

Pourquoi alors cette invitation :

« N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour »

aux chrétiens ? Ayant permis à nouveau l’Amour de Dieu en l’homme, Jésus-Christ ne veut pas assujettir l’homme mais au contraire le rendre apte à nouveau, à la vraie liberté. Il y faut, dans le temps, un mûrissement de l’Amour afin que l’impatience n’ait plus aucune prise. C’est en effet l’impatience qui assujettit l’autre, fait retomber dans la loi du plus fort. Les baptisés, les élus, les saints ont à passer du être aimé, nourri, comblé par Dieu au « j’aime Dieu ». L’Amour de Dieu, rendu à la nature humaine en Jésus-Christ, doit devenir personnel en un certain nombre d’hommes, de femmes et d’enfants qui ainsi accompliront les temps.

Aucun pouvoir alors ne se sera substitué à l’Amour. Attendre le désir de l’Amour de s’épanouir en la création visible est l’image de la juste vigilance des saints ; ils obéissent à l’invitation du Christ :

 » N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour

Avant qu’il le désire. « 

Dans le repentir, qui est retournement, retour à l’Amour, ils se sont ouverts à l’esprit de patience. Ils ont lutté contre la tendance inverse qu’on pourrait appeler l’impatience à partir de la grâce reçue.

L’homme a le pouvoir d’éveiller et de réveiller l’Amour, avant terme, à l’image de Prométhée, le voleur du feu divin. La tentation prend des formes multiples et fascinantes pour beaucoup. Un tout jeune homme au 19ème siècle, Arthur Rimbaud, l’a exprimé avec la fougue et la force du génie : « je veux Dieu avec gourmandise », ce qui aboutit à l’impulsion brutale : « sur chaque joie pour l’étrangler, j’ai fait le bond sourd de la bête sauvage ». L’Amour comme avorté dans le désir d’en faire sa chose, est absolument perverti : il est devenu folie de puissance. L’homme ne veut rien devoir à la joie sans cause, à la grâce et prétend se suffire, comme s’il pouvait devenir son propre créateur.

 » Je vous adjure filles de Jérusalem,

Par les gazelles et les biches des champs

N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour

Avant qu’elle le désire. « 

peut bien être contemplé comme la métaphore de la patience et de la vigilance nécessaires pour que l’esprit de l’homme demeure sensible à la germination et à la croissance de l’Amour de Dieu qui, accompli en Jésus-Christ, est à accomplir en tout l’homme, en chaque nation, en chaque Eglise et en chaque personne appelée à la lumière.

Verset 8

 » C’est la voix de mon bien-aimé !

Le voici qui vient,

Sautant sur les montagnes,

Bondissant sur les collines. « 

La voix est le plus personnel, le plus intime ; elle permet de reconnaître quelqu’un à distance dans l’espace et dans le temps. Le Bien Aimé est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu. Sa voix est ce qui Le rend audible à l’homme : c’est l’Esprit-Saint.

 » C’est la voix de mon bien-aimé !

est la métaphore de l’écoute de l’Esprit-Saint par l’Eglise où tous, « homme nouveau », deviennent prophètes. C’est ainsi que le premier concile des Apôtres peut conseiller les Eglises en commençant ce qu’on pourrait appeler le début de la Loi nouvelle, par la formule  » L’Esprit-Saint et nous … ». Et dans les Actes des Apôtres, il est rapporté que l’Esprit-Saint a dissuadé à un certain moment, d’aller en Asie, sous-entendant qu’il fallait en remettre l’évangéli-sation à plus tard. L’écoute de l’Esprit-Saint, cette écoute, est au plus intime, connaissance, reconnaissance et discernement : c’est bien la Voix de Dieu et non la voix d’un autre esprit, ange, homme ou esprit sous le ciel. Il s’agit bien de l’écoute au plus intime, dans l’esprit purifié et le cœur amoureux. Dieu est entendu et reconnu dans l’Amour. Dieu est l’Amoureux ; Il ne s’impose pas ; Il se livre au temps nécessaire au mûrissement de l’Amour dans le cœur de l’homme. L’esprit créé, dans le temps de sa vie, devient capable d’entendre et de reconnaître l’Esprit incréé.

 » Le voici qui vient « 

est l’image de son approche. Elle sous-entend qu’Il reste loin de l’homme, s’Il n’est pas reconnu, attendu et entendu, en Personne. Un des aspects du péché, de la Chute, de l’oubli de Dieu, a été de laisser l’Esprit-Saint au loin, en attente, comme inutile.

L’entendre, le reconnaître laissé au loin, serait L’appeler ; car Il ne saurait s’imposer : Il s’est limité à l’état d’amoureux : Il est la Voix du Fiancé, de l’Epoux. L’Eglise dans la foi, L’appelle, et alors Il accourt. Ainsi lors des sept conciles œcuméniques fondateurs de l’Eglise, Il a été entendu, a permis l’expression chaque fois d’un dogme fondamental, d’une fenêtre ouverte sur le Mystère. Au cours des siècles, Il a permis à l’homme d’approcher la Vérité en sa plénitude.

 » Sautant sur les montagnes,

bondissant sur les collines. « 

« Les montagnes » sont l’image des obstacles difficilement franchissables ou même tout à fait infranchissables : l’orgueil de créature et les idolâtries qu’il engendre et aussi la nature de créature rendant inaccessible la connaissance de Dieu par les sens ou par l’intelligence.

« Les collines » sont l’image des obstacles à la portée des efforts de l’homme de bonne volonté : les illusions des vanités et la boursouflure des vérités partielles quand elles prétendent à la Vérité dans l’oubli de la nécessaire grâce divine pour demeurer tourné vers la Lumière.

« Bondissant », « franchissant » : l’image est de mouvement de rapidité, d’aisance de l’Esprit-Saint, de sa victoire et de sa joie de venir, d’avoir été enfin appelé dans l’Amour.

 » C’est la voix de mon bien-aimé !

Le voici qui vient,

Sautant sur les montagnes,

bondissant sur les collines. « 

peut être contemplé comme la métaphore de l’Esprit-Saint quand Il est désiré, reconnu, appelé dans les prières, lors des sacrements et des liturgies de l’Eglise en son devenir.

Verset 9

 » Mon bien-aimé est semblable à la gazelle mâle

ou au faon des biches.

Le voici, il est derrière notre mur.

Il regarde par la fenêtre.

Il fait fleurir depuis les grilles.  »

« notre mur » est l’image de l’enfermement de l’homme. Il s’enferme dès qu’il veut se passer de Dieu, dans toutes ses  » Babel  » d’hier et d’aujourd’hui : libre, il a reçu la possibilité d’exclure Dieu de ses projets, de ses réalisations et de son esprit. « Défense à Dieu d’entrer » est la formule que les hommes, descendants de Caïn, sont tentés de proclamer à l’entrée de leur empire, de leur nation ou de leur humanisme. Il est permis à l’homme, à ses risques et périls, d’exclure Dieu.

Mais l’homme s’enferme aussi dès qu’ « il assigne Dieu à résidence » pour reprendre une formule d’un Père de l’Eglise. Ce n’est pas Dieu alors qui est enfermé, mais l’homme en dépit de sa foi : le mur est celui de son rétrécissement. L’homme est tenté de circonscrire Dieu, de Le conserver à sa portée, en L’entourant de murailles. Ainsi les juifs assignent Dieu à résidence dans le temple de la Jérusalem terrestre et dans la Torah, les catholiques romains dans le tabernacle et le Vatican, les protestants dans les Saintes Ecritures et les chrétiens orthodoxes dans le droit canon. Chacun a tendance à partir de son état de créature qui est aussi un mur, de garder Dieu à sa portée, de L’installer dans ses murs et de renforcer des murs au lieu de s’ouvrir au Mystère.

 » Mon bien-aimé est semblable à la gazelle mâle

ou au faon des biches.  »

Malgré « notre mur » en ses diverses formes, l’Eglise voit le triomphe de la vie s’approcher. « Gazelle mâle », « faon » sont l’image de l’intégrité dans la virilité, de la beauté dans la liberté et de la nouveauté sans usure ; l’image de Jésus-Christ.

« Le voici, il est derrière notre mur. »

Pourquoi l’homme a-t-il été créé ? « Pour voir Dieu » disent les Pères et pour ainsi, dans la Lumière incréée, se nourrir de la Lumière pour en faire bénéficier le visible, élevant ainsi tout le visible vers Dieu.

Mais l’homme peut se laisser aller à rétrécir son destin ; la lumière de la foi elle-même peut devenir relative en son esprit. Il connaît le mur de la condition mortelle à quoi il a tendance à se résigner et tend à rebâtir sans cesse le mur de sa condition de créature réduite à elle-même.

Au lieu de vraiment retourner son regard vers Dieu, de regarder Dieu, pourrait-on dire, il utilise la foi et l’expérience qu’il peut avoir du divin, pour se détourner de la lumière. Ainsi peut-il regarder Dieu dans la splendeur de la nature créée, voir et ressentir Dieu dans la vitalité de la nature qu’aujourd’hui il nomme « les énergies », ou engranger le divin par méditation dans une paix et un silence dont le mur est l’absence du désir fondamental, désir de l’intimité personnelle avec Dieu en Personne, avec l’Esprit-Saint. Le « nirvanha » aussi est un mur.

 » Il regarde par la fenêtre  »

Dieu, par miséricorde, regarde l’homme s’enfermer sur lui-même. Il ne l’abandonne pas. Il attend comme « les filles de Jérusalem », le mûrissement de l’Amour personnel en l’homme. S’Il regarde, c’est qu’il y a une fenêtre. S’il y avait une porte, il aurait frappé pour demander à entrer. Dans le mur de la suffisance humaine, il n’y a qu’une fenêtre ; la fenêtre seule possible est la foi dans le Bien Aimé dont est ressentie la présence, mais que l’on maintient à distance, l’empêchant d’entrer. La meilleure traduction semble être « il contemple » et le verbe contempler en hébreux à la même racine que « être lumineux ». Sans s’imposer, Dieu contemple l’homme de foi en lui procurant l’illumination qu’il est capable de recevoir.

 » Il fait fleurir depuis les grilles.  »

« Les grilles » préservent un intérieur de toute entrée ; elles sont l’image du refus de l’imprévu, de l’autre, de l’inconnu. La fenêtre de la foi est grillagée. Or Dieu est l’imprévisible, le tout à fait Autre et Inconnu : « mes pensées ne sont pas vos pensées » dit-Il, et nulle créature ne peut comprendre sa nature.

L’Esprit de Dieu féconde l’esprit créé à partir de la foi en Jésus-Christ, sans rien imposer, dans le respect de la méfiance de l’homme elle même. Les « fleurs » qui sont réceptacles de la lumière, deviendront des fruits, elles sont l’image des personnes en devenir, le peuple élu, chaque nation, chaque Eglise et chacun.

 » Mon bien-aimé est semblable à la gazelle mâle

ou au faon des biches.

Le voici, il est derrière notre mur.

Il regarde par la fenêtre.

Il fait fleurir depuis les grilles. « 

Ce verset peut être contemplé comme la métaphore de l’action de l’Esprit-Saint dans l’histoire.

Verset 10

 » Mon bien-aimé m’a répondu, il m’a dit :

 » Lève-toi, ma toute proche, ma belle et va vers toi-même. »

 » Mon bien-aimé m’a répondu  »

La question à quoi il est répondu n’a pas été exprimée. Le verset précédent la sous-entend ; ce pourrait être : « Pourquoi restes-Tu à distance ? Pourquoi Te contentes-Tu de contempler et d’éclairer un peu l’esprit de l’homme ? », questions qui correspondent à celles des envoyés de Jean-Baptiste à Jésus ; « devons-nous attendre… ? ». Et la réponse « lève-toi, ma toute proche, ma belle » est une invitation pressante à ne pas se contenter d’attendre, à participer à l’accomplissement des temps. Dieu l’Amoureux renouvelle sa déclaration d’Amour « ma toute proche, ma belle » et laisse entendre par le « lève-toi » la constatation suivante : « tu es prostrée, enfermée en toi-même, murée en tes ignorances, tes illusions, tes oublis, tes peurs et tes résignations à trop peu vivre », si l’on veut bien se souvenir du verset précédent. Ce « lève-toi » peut être entendu comme un rappel de la juste place de la Fiancée, de l’Epouse, l’Eglise, (v.2, ch. II ) : « Comme le lys au milieu des épines, telle est ma toute proche… ». Il ne lui suffit pas d’aimer Dieu, si l’on peut dire, il lui est nécessaire de se vouloir comme un lys dans le monde et de travailler en ce sens. Ce travail qui doit conduire à relier la terre au ciel, consiste à vouloir, à cultiver et à favoriser la juste place de la création en l’homme, en même temps que l’émergence de la personne.

 » Lève-toi «  est pour l’Eglise aussi « ma toute proche ». Jésus-Christ tend un miroir à l’Eglise, à l’humanité renouvelée. Il l’invite à ne pas oublier la vérité en ce qui concerne la nature humaine. Elle a reçu le Souffle de Dieu, nous enseigne le deuxième récit de la création de l’homme, dans la Genèse. Elle est originellement « toute proche » de Dieu. Ce n’est jamais Dieu qui se met à distance, c’est l’homme qui s’est voulu et placé loin de Dieu en oubliant son Amour. Le temps lui est donné pour que, librement et consciemment, il s’en approche à nouveau.

 » Ma belle «  : la création est belle en l’homme. La laideur est le fruit de l’éloignement, de l’oubli et du refus de la Lumière divine.

 » Et marche vers toi-même « 

Et non pas « viens » comme dans certaines traductions. « Sans aucun doute possible » affirme André Chouraqui, c’est bien « lekhi lakh » : « pars vers toi-même », comme il a été dit à Abraham « lekhi lakh » : « va vers toi-même, loin de la terre, de la patrie, de la maison de ton père, vers la terre que je te montrerai » (Gn XII,1). Si l’on se réfère au verset 9, il ne s’agit pas de traverser le mur, ni de le percer, ni de le détruire, ce mur de la suffisance et de la résignation, mais de chercher la personne, de la vouloir et d’agir pour qu’elle puisse émerger : nation, Eglise et chacun. Dieu invite l’homme à oser découvrir qui il est appelé à devenir. Dès lors, il ne connaîtra plus la méfiance, la peur, la résignation. Devenu lui-même et revenu librement à sa juste place, il ne sera plus dans les murs de la suffisance.

 » Mon bien-aimé m’a répondu, il m’a dit :

 » Lève-toi, ma toute proche, ma belle et va vers toi-même. »

est l’invitation à entendre, quand Dieu semble rester distant. L’attitude féconde est de ne pas oublier son Amour sans déclin, le destin originel de l’homme, la beauté de l’esprit et du cœur revenus à l’Amour de Dieu. Et la seule ouverture vitale commence par l’émergence de la personne créée, en l’unité de la nature humaine retrouvée en Jésus-Christ.

Ce verset 10 peut être contemplé comme la métaphore de la vraie liberté.

Verset 11

 » Car voici : l’hiver est fini

La pluie a cessé, elle a disparu « 

« Car voici » : Dieu montre à l’homme où il en est afin que, dans son aveuglement, il ne désespère pas. C’est que l’Eglise elle-même, l’homme nouveau en devenir, dans l’épreuve, dans la sensation de Dieu lointain, ne sait plus voir les signes de la fécondité du temps, les signes précurseurs de « l’éternel été », « l’hiver » est l’image de l’éloignement de Dieu, de l’écoute de Dieu dans l’Amour, de l’Amour de Dieu en Adam et Eve dont il est héritier. Jonas explore cet hiver dans le récit qu’en donne la Bible (Jo. 11,3-10) : « J’étais descendu jusqu’aux racines des montagnes, les verrous de la terre étaient tirés sur moi pour toujours ».

L’homme dans cette plongée dans la chute de Jonas, est comme une graine de vie dans une terre gelée. C’est cette graine, le restant d’homme en quelque sorte, qui est à l’œuvre jusqu’au début des temps historiques, graine et germe de l’évolution de la matière inerte jusqu’à la vie. L’homme au cours des temps, des milliards d’années, a peu à peu germé, traversé « les verrous de la terre » jusqu’à émerger à nouveau et devenir à nouveau capable dans son autonomie, d’écouter Dieu. « L’hiver » est le temps de la chute, de la remontée de l’abîme, du vivant, d’Adam.

 » L’hiver est fini  »

La remontée de l’abîme est terminée quand l’homme devenu conscient et capable de liberté, désire la lumière divine, reçoit l’appel et la promesse de l’Alliance avec Dieu et refusant les idoles et le ténèbres, s’en tient à l’Amour. La Bien Aimée aurait tendance à l’oublier, car les conséquences du péché demeurent comme autant d’impasses à refuser, une à une, et avec la grâce de Dieu, précisent les Pères. L’hiver est fini pour l’Eglise, pour les baptisés conscients et pour les saints. La victoire de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres est acquise en Jésus-Christ, mais elle est à rejoindre en dépit des épreuves. La parole « l’hiver est fini » est une invitation à l’espérance qui ne sera pas déçue.

 » La pluie a cessé, elle a disparu  »

Il ne s’agit pas de la pluie féconde, bienfaisante sans quoi la terre est un désert, mais de la pluie ininterrompue, ténébreuse, la pluie du déluge qui noie le vivant, la pluie excessive, omniprésente, absolue, la pluie de tous les excès. Cette pluie est l’image de tout ce qui interdit à la Lumière du Ciel de pénétrer, d’éclairer et de donner vie, l’image donc de tout ce qui peut submerger des hommes jusqu’à les faire mourir. Ainsi les idéologies totalitaires et criminelles du siècle dernier, les haines nationales ou raciales, les pratiques sadiques ou masochistes, les drogues aliénantes sont autant de ces pluies à perpétuité. Et Auschwitz peut être vu comme une tentative de déluge définitif infligé aux Juifs : il provient du mépris absolu et de la peur caïnique de l’autre.

Dieu, dans son alliance avec Noé, a libéré la nature humaine d’un déluge qui l’anéantirait. Mais l’homme de l’Alliance s’il se révolte, se livre à l’assoiffé de son sang, à Satan, surtout s’il prétend ne pas croire en lui. Et il le fait avec des pouvoirs d’autant plus grands que l’Alliance a libéré l’homme de la peur de la nature.

 » La pluie a cessé  »

Elle n’est plus cette pluie définitive d’un déluge car elle a définitivement cessé en l’homme parfait, en Jésus-Christ. Le Verbe de Dieu s’est fait homme, assume tout l’homme hormis le péché de l’homme. En sa Personne, l’homme n’est plus atteint par la pluie de toutes les morts. Il est la Lumière du monde que les ténèbres ne peuvent pas submerger, comme le note le prologue de l’Evangile de l’Apôtre Jean.

 » Elle a disparu  »

Cette pluie, est l’équivalent de « par Sa mort, Il a vaincu la mort ». En Lui, la mort n’a plus de prise. Et Il donne la vie sans la mort à ceux qui ont foi en Lui, Dieu et homme ; Il est pour eux « le pain vivant qui est descendu du ciel » et c’est d’eux qu’il affirme : « si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. » (Jn. 10,51) et c’est pour eux qu’Il insiste : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn. 6,54)

 » Car voici : l’hiver est fini

La pluie a cessé, elle a disparu  »

est la métaphore de la Parole de Jésus-Christ qui a fondé l’invulnérable confiance des saints et en particulier des martyrs : dans le pire ; l’espérance n’est pas seulement espérance, mais bien réalité vivante et triomphe de la vie sur toute mort.

Verset 12

 » Les fleurs paraissent sur la terre.

Le temps des chants est arrivé.

Et la voix de la tourterelle est entendue sur terre. « 

Si on a regardé quelques fleurs au pied d’un rocher, dans une paroi ou près d’un glacier, livrées au froid de la nuit et au vent, « les fleurs paraissent sur la terre » est l’image de la beauté fragile et forte, image aussi de la création devenue réceptacle de la lumière et variété de couleurs. C’est une suite du verset 11 : le présent de la nouvelle génération qui bénéficie de la naissance du Verbe de Dieu fait chair. Par la naissance de Jésus-Christ, l’Alliance est accomplie en Lui et toute la terre commence à « fleurir ». Les « fleurs » sont des êtres humains ayant désiré et reçu la Lumière divine dans leur diversité personnelle : ils embellissent la création visible et dans leur fragilité de créature, ils ont reçu la force. Vous vous souvenez du verset 9 : « Il fait fleurir depuis les grilles ». Ils ne sont plus derrière des grilles, ils sont dehors, sans crainte du monde ; ils sont devenus « comme le lys au milieu des épines » (verset 2 Ch II). Ce sont les saints transfigurés, vivant de la lumière et dans la lumière. C’est ce que décrivent, en dépit des limites du langage, des hommes, par exemple, Saint Siméon le Nouveau Théologien quand il témoigne de l’illumination qui a décidé de sa vie ; si l’on peut résumer sans détruire, il voit son père spirituel comme dans un soleil. C’était au 11ème siècle. Plus près de nous au 18ème siècle, Motovilov qui demandait quel était le but de la vie chrétienne à Séraphin de Sarov, a soudain été ébloui et affolé de voir le saint dans la lumière aussi intense que celle du soleil. Sur les icônes, l’auréole qui entoure la tête des saints est le signe de la Lumière divine, Lumière incréée qui les habite, les nourrit et les déifie. Les saints sont les fleurs de la création visible sauvée. Les fruits viendront plus tard, à la fin des temps dont l’homme vit les prémices.

 » Le temps des chants est arrivé.  »

C’est le « temps des chants » par opposition au temps du sang qu’on verse, de la peur de tout autre et des sacrifices aux idoles puis à Dieu Lui-même. « Le temps des chants » est le temps de la divine liturgie qui permet aux hommes, ensemble, d’approcher du Mystère. Dans la liturgie selon Saint Germain de Paris, le diacre ou le prêtre, en portant les saints dons, caractérise bien ce « temps des chants » et non plus des sacrifices, devenu viable par Jésus-Christ :

« Tu t’es fait homme sans changement ni mutation, Tu t’es fait notre Grand Prêtre, nous confiant le rite sacré du sacrifice liturgique et non sanglant, ô Maître de toute chose ».

Ces chants de la liturgie sont justes depuis que l’homme peut bénéficier du Sacrifice du Christ rendant vains tous les sacrifices. Les chants de l’homme libéré du sang des sacrifices peuvent se mêler aux chants de louange des anges. Et le prêtre peut marcher vers le sanctuaire, au début de la liturgie, en priant :

« Seigneur notre Dieu, qui as établi les Armées angéliques…, permet que notre entrée au saint des saints, soit aussi celle de tes esprits incorporels, afin qu’ils co-célèbrent et glorifient avec nous ta bonté illimitée ».

 » Et la voix de la tourterelle est entendue sur terre  »

Elle n’était pas entendue jusque-là. Qu’entendait-on ? La voix de Caïn, voix de la peur de tout autre, de la violence, de la conquête, voix du souci de puissance pour imposer son droit. S’il fallait une image ce serait : le rugissement du lion fait trembler la terre.

La tourterelle au contraire est la métaphore de l’amour dans la fidélité et dans la loyauté. Elle n’a rien à voir avec un quelconque souci de pouvoir. Si sa voix est entendue c’est que le souci de pouvoir a montré ses limites, que la peur d’être tué, la peur de la mort n’est plus devenue assourdissante. Comment ?

A ceux qui ont la foi en Jésus-Christ, qui ont désiré puis reçu la Lumière, la Résurrection a fait taire la peur de la mort, car, en Jésus-Christ, elle n’a plus de pouvoir sur l’esprit. Et pour les chrétiens conscients de ce qui leur est donné de vivre, l’Amour dans la fidélité, est non seulement viable mais vainqueur. L’histoire de la création est une histoire d’Amour. Le seul chemin est le seul triomphe de l’Amour.

 » Les fleurs paraissent sur la terre.

Le temps des chants est arrivé.

Et la voix de la tourterelle est entendue sur terre.  »

Est la métaphore d’un constat de victoire en Jésus-Christ si l’on veut bien reconnaître la lumière des saints, la réalité de la juste louange et le choix libre de l’Amour au lieu du pouvoir en l’homme en devenir.

Verset 13

 » Le figuier a embaumé ses jeunes figues.

Les vignes en fleurs ont donné leur parfum.

Lève-toi, ma toute proche, ma belle

Et va vers toi ! « 

Dans la tradition chrétienne le figuier est le symbole du peuple de l’Alliance, du peuple Juif et il est jugé stérile après n’avoir pas reconnu Jésus, le Messie. Cette conception se base sur l’Evangile où Jésus « apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, alla voir s’il y trouverait du fruit, mais s’en étant rapproché, il n’y trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. Alors prenant la parole, il dit au figuier : « Que jamais personne ne mange de ton fruit ! » (Mc. 11,13). Or dans le Cantique des cantiques, le figuier n’est pas stérile. L’incarnation du Verbe qui a été le sujet du verset 12, lui a donné « ses jeunes figues » et lui a fait retrouver une part de sa fécondité originelle puisque déjà, il « embaume ».

 » Le figuier a embaumé ses jeunes figues. « 

peut donc être lu comme la métaphore du peuple de la première Alliance, renouvelé lui aussi par la nouvelle jeunesse de l’homme en Jésus-Christ, car il bénéficie de la nature humaine retrouvant son unité perdue en la Personne du Verbe, Dieu et homme parfait.

 » Les vignes en fleurs ont donné leur parfum.  »

Les vignes, et non la vigne, c’est-à-dire les Eglises locales en leur diversité de langues, de coutumes et de civilisations ont entamé le printemps de l’homme ; printemps qui conduit à l’éternel été, devenir de l’homme où les saints sont comme des fleurs abreuvées et nourries de la lumière divine ; des saints, dont l’esprit vivifié par l’Esprit-Saint, commencent à devenir vivifiant ; et les parfums divers des diverses Eglises sont l’image de la diversité des personnes dont l’esprit s’est orienté vers Dieu et s’élève vers Dieu.

 » Le figuier a embaumé ses jeunes figues.

Les vignes en fleurs ont donné leur parfum.  »

Ces deux métaphores sont à contempler, me semble-t-il, comme l’histoire en devenir du peuple Juif et des nations du monde travaillés dans leur singularité en quête de plénitude, par l’unité de l’homme vivant, enlevé à la mort, en le Messie Jésus-Christ.

Et l’invitation qui suit ne va-t-elle pas dans ce sens, chaque Eglise locale étant Eglise et Israël étant appelé à devenir, jusqu’à la fin des temps peut être, l’Eglise de Jérusalem.

En effet :

 » lève-toi ma toute proche, ma belle et va vers toi  »

concerne non plus l’un à l’exception des autres ou tous les autres à l’exception du premier, mais tout l’homme en devenir. De ce point de vue, aucune Eglise n’est encore l’Eglise.  » Lève-toi «  et non pas  » installe-toi « , tu es arrivé, toi la Synagogue ou toi l’Eglise. Toute installation éloigne de Dieu. La « toute proche » dans l’Histoire, n’en finit pas d’approcher et ainsi demeure ouverte à la vie. La « belle » est belle dans son désir d’intimité avec Dieu, désir que toute suffisance étouffe. Le lys est beau, dressé dans la lumière. Les ronces rampent, emprisonnent et parasitent la terre. Mais la beauté, cette beauté, la vraie beauté n’est pas un état mais un devenir.

 » Et va vers toi ! « 

L’invitation est précise. Ce devenir dans le temps, ce sens de l’Histoire, n’est pas une marche vers quelque fusion, nirvana, absorption dans l’Un, le Divin.  » Va vers toi «  est-il dit et non pas  » viens vers Moi  » ni  » va vers Moi « . Le devenir sans quoi la vie se pétrifie est un mouvement dont le but jamais définitivement atteint, dans le temps de l’Histoire ou d’une vie, est l’émergence et la plénitude de la création visible dans la diversité des personnes et l’unité librement et consciemment retrouvée de l’homme, de la nature humaine.

 » Le figuier a embaumé ses jeunes figues.

Les vignes en fleurs ont donné leur parfum.

Lève-toi, ma toute proche, ma belle

Et va vers toi ! « 

N’est-ce pas se trouver placé au large que de contempler en ces métaphores et en cette invitation, l’histoire en devenir des deux Alliances et de l’homme tout entier, en son prodigieux destin de vivant appelé à la plénitude ?

Verset 14

 » Ma colombe, dans les creux du rocher,

Dans le secret de l’ascension,

Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix,

Car ta voix est douce et ton visage est désirable. »

 » Tes yeux sont des colombes «  (II,15) est devenu  » Ma colombe « . La « toute proche » est devenue toute entière semblable à l’Esprit-Saint : l’esprit créé a été vivifié lors de tout son cheminement, cheminement de tout l’homme en l’Eglise et de chacun dans le temps de sa vie terrestre.

Le « rocher » dans toute la tradition chrétienne est le Christ. Le « rocher » devenant « l’ascension » est l’image des commandements du Christ, en particulier des Béatitudes qui dans « le sermon sur la montagne » demandent à être entendues comme le programme de l’homme renouvelé en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. Ces Béatitudes sont comme autant de degrés à gravir dans la vie de l’esprit revenu à la vie sans la mort.

 » Ma colombe, dans les creux du rocher,

Dans le secret de l’ascension  »

La vie de l’esprit vivifié est vue comme la course d’un alpiniste : seul dans la paroi, loin de tout regard, il est tout yeux pour repérer les prises où s’agripper, et les creux où souffler un peu. C’est la métaphore de l’aventure spirituelle de l’homme dans la mesure où il ne s’est pas résigné à la condition mortelle. L’acceptation des épreuves, les jeûnes, les ascèses sont autant de prises permettant de progresser, où reprendre force dans la paroi abrupte des « Béatitudes » où l’homme ne gagne ni applaudissement ni notoriété : parti de la prise de conscience de sa pauvreté de créature dénaturée, il est élevé, car la grâce importe plus que ses efforts « d’athlète de l’esprit », s’il demeure dans la foi, jusqu’au suprême degré qui lui vaut outrages, persécutions, calomnies qu’il est devenu capable d’accepter sans perdre la joie.

 » Montre-moi ton visage  »

Dieu invite l’homme à ne pas L’oublier lors de l’ascèse, du travail de l’esprit et de sa progression. Le but n’est pas de réussir à gravir une paroi pour conquérir le sommet : le but est de tourner vers Dieu le visage et la voix retrouvés et renouvelés.

 » Le visage «  et  » la voix «  sont l’image de la personne.

 » Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix,  »

est l’invitation à tendre vers l’émergence du plus singulier, du plus irremplaçable, du plus intime. Le but n’est pas dans une béatitude achevée, impassible, immobile. Dans l’unité dont l’homme bénéficie en Jésus-Christ, il lui est demandé de viser, désirer, travailler l’Alliance avec Dieu Un en trois Personnes. Cette Alliance est celle de l’homme un en Jésus-Christ et des personnes dont l’émergence et la croissance sont le fruit de « l’amour des commandements » sans quoi l’ascèse se réduirait à une hygiène.

« Au fur et à mesure que tu deviens qui tu es, tourne-toi davantage vers Moi », nous dit Dieu dans ce verset.

Et il précise :

 » Car ta voix est douce et ton visage est charmant. »

Douceur et charme en devenir, sensibles déjà en certains saints parvenus à ressembler à Jésus-Christ, doux et splendide. En leurs personnes, ils sont déjà l’homme devenu à nouveau pleinement lui-même. Ils n’ont plus la voix de la violence, de la peur et de la méfiance qui est celle de l’homme depuis Caïn, ni non plus au lieu de visage, le masque du tyran terrorisant et terrorisé.

 » Ma colombe, dans les creux du rocher,

Dans le secret de l’ascension,

Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix,

Car ta voix est douce et ton visage est charmant. »

peut être contemplé comme la métaphore du regard amoureux de Dieu quand l’homme s’est librement décidé à s’élever selon la vie de l’esprit, métaphore aussi de l’invitation faite à l’homme de ne pas chosifier le divin dans son effort ascétique.

Verset 15

 » Attrapez-nous des renards

Les petits renards qui ravagent les vignes

Car nos vignes sont en fleurs « 

Ce « nous » est le « nous » de l’Alliance. Le Fiancé, l’Epoux, Dieu, Jésus-Christ, au nom de l’Alliance, invite les personnes en leur diversité, nations, églises, chacun et en particulier chaque baptisé, à favoriser l’Alliance, à la préserver des « petits renards ». Le mot est répété deux fois. Cette répétition souligne la nécessité de ce travail. L’adjectif « petit » exprime le fait que ce travail est à la portée de l’homme de bonne volonté.

Les « renards » sont réputés pour leur ruse, mais ils ne sont pas des fauves redoutables pour les hommes. Ils sont l’image de l’ennemi, de « Satan », du « malin », de « l’accusateur ». Il est légion de démons. Ils ont beau paraître terribles, ils ne le sont pas plus que des renards pour l’homme, de « petits renards » : ils n’ont que leur ruse qui donne à l’homme l’illusion de leur puissance. Les Pères nous enseignent qu’ils sont volonté de nuire à Dieu, volonté seulement. Ils n’agissent pas, ils suggèrent à l’homme de donner réalité à leur volonté de refus de Dieu et de révolte contre Dieu. « Attraper » « les petits renards » au nom de l’Alliance, est possible à l’homme : un travail de discernement lui permet, dans la foi et l’attitude juste, de reconnaître où est la ruse du « malin » et ainsi de ne plus en être le complice, ni l’acteur.

D’après le poète Charles Baudelaire, pour l’homme qui se dit « moderne » – ce qui était vrai au 19ème siècle, l’est sans doute au 21ème – la ruse qui rend aveugle à toutes les ruses, la ruse de fond, « la ruse du démon est de faire croire qu’il n’existe pas ». Et l’invitation « Attrapez-nous » s’adresse à ceux qui ne sont pas les victimes de cette première et fondamentale ruse, dont la vigilance demeure, et qui savent que les tentations du pire peuvent parasiter l’esprit et envahir le cœur.

« Attrapez-nous » ou « attrapez pour nous » est l’image de l’effort efficace. Elle sous-entend les moyens : l’intelligence capte la ruse et, dans le domaine de l’esprit, les saintes Ecritures sont le piège de la ruse. C’est ainsi que l’homme en Jésus-Christ a vaincu les quatre tentations fondamentales au désert. Le piège pour ces « petits renards » est à trouver dans la révélation, dans la Bible.

Ainsi la parole du Christ « Je suis le bon pasteur » volatilise les prétentions de messianisme athée qui, à partir de la réalité de la lutte des classes, veut imposer le « prolétariat » comme sauveur. Ou bien la constatation de l’Apôtre Paul : « Il n’y a plus ni Grec ni Juif, ni homme, ni femme » en face de la Vérité révélée pour tous, évapore les prétentions tonitruantes de « la race supérieure » travailleuse, méthodique, efficace, dure comme les fauves et implacablement anti-juive.

Du point de vue de la pensée, ces idéologies assassines étaient de « petits renards », des ruses.

Au 21ème siècle, l’omnipotence des lois du marché, le messianisme capitaliste dont l’argent « travaille » – quel rétrécissement – sont autant de « petits renards » dont l’un a pour nom « time is money » et que l’affirmation de Jésus, selon la foi empêchent de prendre toute la place ; Il dit : « On ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent ».

L’idéologie s’est faite bon enfant, s’est comme dissoute dans un consensus flou. C’est quand elle passe pour vérité, qu’elle devient passion commune – ainsi la consommation – et qu’elle prétend suffire et donner sens à la vie des hommes, qu’elle est devenue idole, idole moderne, mais idole.

Les idoles ne sont plus ni de terre, ni de pierres, ni de bois, ni d’or… mais d’idées. Ainsi l’individualisme tend à devenir idole ; il est l’idéologie, humaine il semble, démocratique il semble, universelle il semble, « petit renard », n’en doutons pas.

En effet, partout et même à l’intérieur des Eglises, l’individu est pris pour la personne qu’on a perdue de vue, qui est irremplaçable, unique, va vers un prénom inscrit au ciel, seulement dans l’unité de l’homme en Jésus-Christ, en relation avec Lui et par Lui, avec tous les autres. De sorte qu’on peut dire que l’individu singe la personne dont il ignore le mystère.

D’autres « petits renards » sont plus insidieux encore. Le libre arbitre peut passer pour la vraie liberté, la culpabilité morbide pour le repentir ouvert à la grâce, la diversité des erreurs pour la diversité des personnes, la somme de vérités partielles pour la vérité en plénitude, des erreurs pour de respectables habitudes et des silences convenus pour le signe du respect fraternel de l’autre. On pourrait ensemble s’interroger : le filioque, la notion de « vicaire du Christ », le culte des seules Ecritures, la séparation du sanctuaire et des fidèles par un mur démesuré d’icônes, la lecture à la lettre du droit canon … ! ne sont-ils pas de subtils « petits renards » ?

Contempler ce verset invite à comprendre à quel point les dégâts peuvent être considérables.

 » Les petits renards qui ravagent les vignes  »

Est une métaphore de la volonté du Malin : les vignes qui sont appelées à produire le raisin qui permettra le vin, peuvent être vues comme l’image du sens de la vie ; elle est féconde dans la mesure où elle permet l’approche du Mystère et la plénitude de la création quand les sens et l’intelligence auront été transfigurés. Le malin veut « ravager les vignes » ; empêcher la fécondité des fleurs et rendre ainsi la vie créée stérile et absurde – quand ses ruses réussissent, les hommes s’ennuient.

 » Car nos vignes sont en fleurs  »

« Nos vignes » sont les vignes de l’Alliance, de la vie humaine alliée à la vie divine comme la nature humaine est unie sans confusion à la nature divine en la Personne de Jésus-Christ.

Elles « sont en fleurs » : l’Alliance accomplie en Jésus-Christ est en devenir, est encore fragile, nécessite les soins vigilants des appelés, des élus, jusqu’à la fin des temps, quand pourra commencer la saison des fruits, l’homme devenant co-créateur.

 » Nos vignes sont en fleurs  »

Est la métaphore des Eglises et des Personnes qui, depuis la Résurrection du Christ, vivent l’ère nouvelle de la déification par les sacrements, la divine liturgie et la Communion au Corps et au Sang du Christ, déification en devenir qui sera pleinement réalisée à la fin des temps, au retour du Christ en gloire, la Jérusalem céleste devenant alors le fruit de la création à jamais vivante.

 » Attrapez-nous des renards

Les petits renards qui ravagent les vignes

Car nos vignes sont en fleurs  »

peut être lu comme la métaphore du travail, jusqu’à l’accomplissement des temps, de l’homme nouveau, sauvé en Jésus-Christ et vivifié par l’Esprit-Saint.

Verset 16

« Mon bien aimé est à moi et je suis à Lui

Il est le pâtre parmi les lys. »

Verset 17

« Jusqu’au souffle du jour

et la fuite des ombres

retourne, ressemble mon bien aimé

à la gazelle ou au faon des biches

sur les monts de la séparation. »

La contemplation des images, de ces deux versets, conduit à une invitation inattendue : l’Eglise en l’unité de la nature humaine retrouvée, l’humanité à nouveau vivante, en devenir, s’oriente dans la lumière , vers l’Amour du Créateur ; dès lors, elle prie elle-même Jésus-Christ de rejoindre l’inaccessible – Il ne l’a jamais quittée – la transcendance, Dieu; car Il est Dieu, Lui, le Fils, l’unique Engendré. Sauvée par Sa mort sur la Croix, Sa Résurrection et Son enseignement, l’humanité Lui permet, si l’on peut dire, de la quitter. La nature, la nature humaine, la nature créée retrouvée une en Lui, en Jésus-Christ, s’élève au-delà de l’infranchissable, pour s’allier, se joindre à l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Les mots tremblent et la pensée défaille. A l’opposé du « Crucifie-le », fruit du péché de l’homme, c’est le « oui » à la victoire à rejoindre, à l’Ascension. Ce « oui » dans la lignée du « oui » fondateur de Marie La Vierge, exige l’évidence amoureuse. Elle implique la pureté :

« Mon bien aimé est à moi et je suis à Lui,

il est le pâtre parmi les lys. »

Le fiancé est le seul : il n’y a plus d’idoles ; rien de relatif n’est pris pour absolu. Il n’y a plus le mur de l’oubli de Dieu, de la révolte contre Dieu ou de la soumission servile à la lettre de la Loi de Dieu. Il n’y a plus non plus d’attachement à des soucis, à des choses, à des oeuvres ou à des exploits, qu’ils soient les meilleurs ou les plus admirables. Les mots sont à entendre en leur sens absolu : « à moi »… « à Lui » ; l’Amour est tout à fait réciproque, et aussi sans pesanteur ni possessivité. Certaines traductions précisent : « Il est pour moi… » et « Je suis pour Lui » ; elles soulignent que l’Amour réciproque de l’Eglise et de Dieu est plus que légitime. Il est le sens même de la vie, de la création. Il est la relation juste.

« Et je vous montrerai l’Epouse qui a l’Agneau pour Epoux » affirme le diacre lors de la préparation des saints dons. Ce n’est pas l’amour idéal. Ce n’est pas l’amour de l’Amour. Ce n’est pas l’idée de l’amour. C’est l’amour plongeant dans le mystère de la Personne, Personne de l’Eglise et Personne du Verbe incréé, de l’unique engendré. Ce n’est pas l’amour de la nature humaine et de la nature divine en Jésus-Christ. L’Amour est mystère de la Personne.

« Il est le pâtre parmi les lys. »

Quand l’Amour, un tel Amour se vit consciemment, Jésus-Christ est reconnu : Il est « le pâtre », « Le bon Pasteur » dit l’Evangile. Il n’y en a pas d’autre : Il n’est pas un prophète après et avant d’autres. Il est le seul à orienter l’homme vers la nourriture de la vie sans la mort. il est le Messie qui rassemble les hommes éparpillés dans les illusions des vies barrées par la mort, quand les ruses du Malin qui donnaient aux faux pasteurs leur prestige, ont été dévoilées. Il est l’unique « pâtre parmi les lys ».

Des lys ? Etrange pâturage ! L’image s’éclaire si l’on relit les versets un et deux, du même chapitre deux où le Fiancé dit :

« Je suis le jeune lys, le lys des profondeurs »

et

« Comme un lys entre les épines

telle est ma toute proche parmi les filles. »

Les lys sont les christs : les Eglises, les baptisés, les saints. En Jésus-Christ, par l’Esprit-Saint, ils unissent comme les lys, la Terre au Ciel car ils ont retrouvé, tournés vers la lumière, la juste place de l’homme. Ils connaissent à nouveau son prodigieux destin de roi et de prêtre de la création visible : ils unissent le visible à l’invisible et le sensible au spirituel. Ils ont retrouvé et ont reçu à nouveau ce pouvoir originel car l’homme a cette particularité : il lui est proposé d’unir en lui, la chair et l’esprit. – En l’homme, il y a bien sûr opposition entre la chair dénaturée et l’esprit. Et le combat est nécessaire pour que l’esprit vive et retrouve sa première place. Mais le Verbe s’est fait chair et, par la foi, l’homme a la possibilité de retrouver le visible, le sensible en leur pureté originelle. Jésus-Christ, lors de Son baptême dans le Jourdain, l’a fait « remonter à sa source », comme nous le chantons à la Théophanie, c’est-à-dire qu’Il a sauvé la nature, la création visible, sensible, avant de sauver l’homme. – Et depuis, chaque fois que l’Eglise exorcise et bénit l’eau, les huiles, les éléments, le sol, elle est lys dans le champ du Bon Pasteur.

Peu à peu, l’homme dans l’Eglise ne méprise plus la chair, la matière. Il n’est pas idéaliste. Il dépasse le néo-platonisme, même quand il l’utilise, comme Grégoire de Nysse, parmi d’autres.

Et les ascèses les plus extrêmes où le corps semble ne pouvoir témoigner qu’en souffrant et en saignant sont des chemins pour échapper au poids de la matière dénaturée par le péché. Ils sont personnels et doivent répondre à un appel, à une exigence de l’esprit enfermé en des héritages, des ambiances, des prétentions singulières.

Pour tous, les hommes de bonne volonté dans la foi en Jésus-Christ et par la lumière de l’Esprit-Saint, ce verset 16 :

« Mon bien aimé est à moi et je suis à Lui

Il est le pâtre parmi les lys. »

peut être contemplé comme l’image de l’Eglise amoureuse et aimée, en sa vie sacramentelle, en la Divine Liturgie, en la Communion au Corps et au Sang du Christ. Elle est paix et joie dans l’Amour réciproque de la créature en l’homme et de Dieu.

Par le mûrissement de cet Amour, l’homme, en l’Eglise, se surprend à dire :

« Jusqu’au souffle du jour

et la fuite des ombres

retourne, ressemble mon bien aimé

à la gazelle ou au faon des biches

sur les monts de la séparation. »

A comparer diverses traductions, c’est bien « retourne » qui est dit, et non pas « reviens ». La Fiancée demande au Fiancé de retourner à la transcendance. Elle lui demande de « ne pas réveiller l’amour avant qu’il le désire », comme il était demandé aux filles de Jérusalem au verset 7, chapitre II. Il est permis à l’Eglise, et l’Eglise en son Amour a l’audace d’inviter Jésus-Christ à s’en retourner et à ressembler « à la gazelle ou au faon des biches ». La volonté humaine s’est affermie dans l’Amour. Elle n’est ni anéantie par Dieu, ni engloutie en Lui. Elle demeure ; la synergie est devenue viable.

Et l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, en l’Eglise amoureuse, en l’Amour réciproque et désintéressé, en arrive à inviter Dieu Jésus-Christ à ressembler à sa création, à la beauté, à la liberté, au mouvement de la création visible dont la gazelle et le faon sont l’image en même temps qu’ils sont l’image d’une jeunesse sans déclin, « jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres ».

L’homme ne sait ni le temps ni l’heure de la fin des temps, mais il n’en n’est pas moins devenu lucide : il sait que le départ de Jésus-Christ vers le Père s’est fait pour le bien de la création, jusqu’au règne du jour, de la lumière incréée, venue par l’Esprit-Saint quand Il aura poussé l’homme à librement accueillir la lumière du monde et à délibérément refuser les ténèbres à quoi il s’est habitué depuis la chute. Ce sera la fin des temps, « quand Dieu sera tout en tous » précisent les Pères de l’Eglise. « La fuite des ombres » sera accomplie, car la lumière créée qui fait ombre, sera devenue inutile, étant remplacée par la lumière divine intérieure, en chaque créature.

Jusque là, l’esprit de l’homme devient vivifiant quand il tend à ressembler à Dieu. Dans le même temps, Jésus-Christ, Dieu fait homme, ressemble au meilleur de la création. En Personne, Jésus-Christ qui est invisible, inaccessible, incompréhensible, indéfinissable, immuable, irré-ductible, s’accoutume à la plénitude en la vie de créature qu’Il transfigure.

« Retourne, sur les monts de séparation »

Contemplons l’image : il s’agit bien de la séparation, de la coupure, de la rupture, et le mot en hébreux évoque le sacrifice d’Abraham ayant séparé en deux les victimes d’un sacrifice demandé par Dieu (Gn 15, 10). L’image est celle de la transcendance, de l’infranchissable écart entre la créature et le Créateur. L’homme, devenu lucide en l’Eglise, dans son Amour désintéressé, voit qu’il ne peut accaparer le Fils de l’Homme pour en faire un Roi qui referait le monde, comme l’ont rêvé ceux qu’il a fuis lors de la multiplication des pains.

Aussi ce verset 17 peut-il être contemplé comme l’image du désir, de l’acquiescement, du « oui » de l’homme à l’Ascension de Jésus-Christ. Au lieu d’en être triste, l’homme en voit la justesse et la portée. Jusqu’à la fin des temps, la nature créée, en Jésus-Christ, va vers la plénitude, pendant que la volonté de l’homme découvre l’harmonie avec la volonté divine, à la lumière de l’Esprit-Saint.

Le « Oui » à l’Ascension est l’acquiescement fondamental. Dieu demande à l’homme qu’Il lui dise librement en son cœur amoureux : « Sois Fils de Dieu et pleinement Fils de l’Homme » ou « Toi, Fils de l’Homme, sois parfaitement pour l’homme, Fils de Dieu ».

Ainsi l’Amour devient bien Amour de l’Autre, du tout à fait Autre. Il demeure l’Autre bien que, parfaitement semblable, Homme parfait, roi et prêtre de la création visible, sensible, Il transfigure en l’homme, selon la foi pour qu’il demeure libre, la création, le corps, l’âme et l’esprit.

CONTEMPLATION DES METAPHORES
DU CHAPITRE III

Verset 1 ( chap III )

 » Sur ma couche, dans les nuits,

Je l’ai cherché, celui qu’elle aime, mon âme,

Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé. « 

La  » couche «  est l’image de la vie retrouvée, du repos gagné après la traversée du désert de l’absence de Dieu, des précipices et des ronciers des idolâtries. Elle est l’image de la béatitude en l’Amour du Fiancé, de l’époux, de Dieu, dans la lumière sans crépuscule, la lumière divine, la lumière incréée. C’est ainsi qu’il est chanté à propos des saints dans un des psaumes laudiques :  » Ils acclament, étendus sur leur couche « .

 » Sur ma couche «  ; qui parle ? Eh bien non pas l’Eglise dans ses saints et sa sainteté en devenir, mais l’Eglise découvrant qu’elle est seule. Elle se voit non plus dans la lumière divine source de vie, mais dans  » les nuits « , les nuits multiples qui sont  » légion  » comme les démons et qui se sont succédé ; alors qu’elle se voyait Eglise dans la lumière, elle s’éprouve égarée dans les ténèbres. L’Eglise se réveille d’un sommeil qu’elle a pris pour la vie. Le sommeil ressemble à la mort, sauf qu’il est permis d’y survivre. A partir de l’expérience de la béatitude en l’Amour, elle s’est installée dans  » les nuits «  à quoi s’est résigné le monde.

Elle a imité l’organisation, la hiérarchie, le pouvoir du nombre et la lecture du droit selon le monde. Elle est devenue puissance du monde et dans le monde. A l’opposé du désir fondamental  » Qu’il me baise des baisers de sa bouche « , elle a conquis, bâti, recruté dans le désir de prospérer comme le monde, à l’image du monde et en particulier des empires. Tel est  » la couche «  de l’Eglise quand elle est opulente, respectée, utile et efficace aux yeux du monde.

 » Dans les nuits «  note la sensation du manque : la réussite de l’Eglise ne suffit plus. La nostalgie de la vraie lumière, du soleil sans déclin émerge. Le sommeil dans la satisfaction n’est plus possible.

 » Je l’ai cherché, celui qu’elle aime mon âme  »

Il vaut mieux lire  » âme  » dans son sens le plus large, l’âme est l’esprit réveillé aussi bien que le cœur ébranlé. L’Amour est à nouveau perçu : il n’est pas l’amour des œuvres, des réalisations, d’une civilisation, aussi brillante soit-elle, mais bien l’Amour personnel du verbe fait chair, qu’aucune opulence ni aucune beauté ne peut capturer. L’Eglise réveillé du sommeil des satisfactions mondaines, constate que le seul Bien Aimé est absent de tout ce qui prétendait le louer et le servir, comme on sert le roi du monde. Elle a beau chercher dans tout ce qui semblait être le trésor de l’Eglise, Il a échappé.

L’Eglise après la période faste dans le monde, réalise qu’elle a exclu l’Amour de Dieu.

 » Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé « 

Elle a cherché dans tous les fruits de l’Eglise, dans le regard par exemple des dignitaires de l’Eglise quand ils sont réduits à l’importance qu’ils se donnent et propagent aussi peu que possible la Lumière d’Amour.

Etrange constatation : l’Epoux n’est plus là. Est-il parti ? Il a plutôt été expulsé. Le sommeil de l’Eglise quand elle cultive sa fastueuse arrogance ne laisse pas plus de place à Dieu que le riche dont le maître est l’argent. Ce pourrait être valable pour Rome, Moscou ou Washington mais la maîtrise de l’Eglise à Constantinople du 11ème siècle souligne bien que l’installation dans le monde est l’exclusion de la sainteté et du même coup en fait, de son modèle, le seul Saint, Dieu. Il y a bien sûr la réalité des sacrements, car Dieu est fidèle. Mais l’Eglise peut exclure qui elle proclame. Ainsi au 11ème siècle, quand le futur Saint Syméon le Nouveau Théologien, dans la fougue de la foi, n’a rien voulu d’autre que de rencontrer un saint semblable aux saints des premiers siècles, il lui a été répondu partout, qu’il perdait son temps, que les illuminations, les extases et les miracles de l’Apôtre Paul et de tous les saints n’avaient aucune raison d’être : ces grâces exceptionnelles pensait-on, avaient été envoyées pour convertir le plus d’hommes possibles afin de fonder l’Eglise. Il lui était précisé que bien vivante et reconnue par toutes les autorités, elle n’avait plus besoin d’une telle sainteté, mais seulement de la sage obéissance aux notables de l’Eglise et de la laborieuse étude. Voilà une illustration du sommeil dont se réveille l’Eglise quand elle est devenue capable de dire, à la suite souvent, d’une épreuve :

 » Sur ma couche, dans les nuits,

Je l’ai cherché, celui qu’elle aime, mon âme,

Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé. « 

N’est-ce pas la métaphore du nécessaire réveil dans la sensation du manque, les fausses opulences n’endormant plus l’esprit ?

Métaphore de l’Eglise réveillée de sa suffisance quand elle est devenue trop riche, trop installée, trop applaudie ?

Le Christ a prévenu :  » Malheur à vous, quand tout le monde dit du bien de vous  »

Verset 2 ( chap III )

 » Que je me lève et fasse le tour de la ville,

Des places, des rues, pour chercher

Celui qu’elle aime, mon âme.

Je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé « 

 » Que je me lève « , exprime une volonté positive déterminée : l’homme en devenir, l’Eglise refuse d’en rester à l’autosatisfaction. Après avoir constaté qu’il avait exclu Dieu tout en étant persuadé de l’avoir servi et de lui avoir donné sa place dans le monde, l’homme dans la lucidité du manque, va chercher le Bien-Aimé, à partir de la nostalgie qu’il en a, dans l’esprit de la Loi et des Prophètes, hors du tabernacle et du Vatican, hors de la seule lecture des seules Ecritures et hors des rampes du droit canon lu à la lumière du droit du monde. L’Eglise sort d’elle-même et cherche en dehors du tombeau qu’elle a la sensation d’avoir creusé pour l’esprit. Elle ne se veut plus veilleur somnolent d’un trésor intouchable.

 » Pour chercher Celui qu’elle aime, mon âme « 

Dans la constatation de l’échec, dans le manque, la lumière dans les ténèbres est le souvenir ineffaçable de l’expérience de base, de fond, du « j’aime Dieu « , même si ce  » j’aime Dieu  » est devenu comme une nostalgie, comme un remords. L’action  » que je me lève  » permet de ne pas en rester ni à la nostalgie, ni encore moins au remords.

Je me lève est l’expression d’un repentir viril. Dans cette quête, la ville dont il est nécessaire de faire le tour pour chercher la présence de Dieu, n’est évidemment pas Babel révoltée, mais bien la Jérusalem céleste en préparation, car le meilleur de l’homme, beauté, savoir, pouvoir, élabore les prémices de la ville transfigurée, dont la plénitude commencera à la fin des temps. Mais ce meilleur de l’homme,  » l’humanisme « , le  » moderne  » comme on tend à dire aujourd’hui, ne permet pas de retrouver la présence de Dieu, Dieu en Personne, n’est pas là. Il n’est pas non plus dans  » les places  » c’est dire dans les méthodes, les sagesses, les métaphysiques, les recherches ensemble du sens et de l’unité de l’homme. Il n’est pas davantage dans les  » rues  » qui sont tout ce qui voudrait conduire l’homme à la connaissance et à l’expérimentation du sens de la vie : Il n’est ni dans la paix Bouddhique, ni dans la fusion avec  » le divin « , ni dans la transe Soufie ni dans la méditation transcendantale, ni dans la Loi revue et corrigée pour chaque individu en la démocratie, nouvelle idéologie.

La formule du verset précédent est reprise, de sorte que la métaphore :

 » Que je me lève et fasse le tour de la ville,

Des places, des rues, pour chercher

Celui qu’elle aime, mon âme.

Je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé  »

est à entendre comme le nécessaire dépassement du religieux le plus commun : l’homme devenu lucide au sujet de ses limites doit apprendre à regarder la création dans son autonomie. Le Tout Puissant met l’homme au large afin qu’il reconnaisse la valeur et les limites de sa propre création d’homme. C’est ainsi qu’il peut Lui revenir librement et à la lumière du manque.

Verset 3 ( chap III )

 » Les gardes qui font leur ronde dans la ville m’ont trouvé

Avez-vous vu celui qu’elle aime, mon âme « 

Après la nuit des barbaries d’autrefois,  » Les gardes «  sont les moralistes, les sages, les penseurs, dont le travail garantit la pérennité de l’ordre et la loi féconde de la  » civilisation « .

 » Les gardes m’ont trouvé  »

L’Eglise en quête du Bien-Aimé, est repérée comme une recherche parmi d’autres, une pensée, une philosophie, une morale parmi d’autres. Aucun dialogue n’est jugée nécessaire avec elle. Elle n’est pas non plus sommée de s’expliquer : elle n’est pas nocive, elle contribue sans doute, aux yeux des gardes, à l’harmonie en devenir. Ce n’est plus le monde qui s’interroge, comme les Mages ont interrogé la Synagogue qui leur a indiqué que le Messie devait naître à Bethléem. C’est l’inverse : l’Eglise en désarroi interroge l’humanisme pour savoir où est la vérité en personne, le Christ.

 » Avez-vous vu celui qu’elle aime, mon âme  »

Il n’est même pas répondu à la question. Aucune civilisation ne peut l’entendre, car pour tout humanisme, la Vérité n’est pas quelqu’un, surtout pas Dieu, le Verbe de Dieu, dont il faudrait désirer l’Amour. L’Eglise revenue à elle-même, sensible à son manque et à ses manquements, ne se trouve plus dans aucune civilisation. Au 20ème siècle un poète russe, Alexandre Block dans son poème  » les douze  » a cru entendre une réponse à cette question : dans une vision, il a vu le Christ à la tête des révolutionnaires, des bolcheviques : le monde en crise peut prétendre à un messianisme où le souci de justice, d’égalité et de fraternité donne l’illusion qu’il est devenu légitime de verser le sang. Cette prétendue réponse du monde, de l’humanisme en cours, est un leurre que des millions d’hommes ont payé de leur vie.

 » Les gardes qui font leur ronde dans la ville m’ont trouvé

Avez-vous vu celui qu’elle aime, mon âme  »

N’est-ce pas la métaphore de l’Eglise quand, dépouillée de ses pouvoirs dans le monde, elle découvre qu’elle est absolument étrangère au monde, dans la recherche amoureuse de Dieu, qui la fonde ?

Verset 4 ( chap. III )

 » Je les avais à peine dépassés

Quand j’ai trouvé Celui qu’elle aime, mon âme.

Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas

Avant de le faire venir dans la maison de ma mère

Et dans la chambre de celle qui m’a portée  »

 » Je les avais à peine dépassés

Quand j’ai trouvé Celui qu’elle aime, mon âme  »

L’Eglise retrouve à nouveau l’Epoux, Jésus-Christ quand elle n’attend plus rien du monde, du meilleur de l’homme, de l’humanisme, les légistes, les sages, quand ses propres œuvres ne lui suffisent plus, quand elle est dépouillée de tout ce qui faisait son importance dans le monde, de tout ce qui l’avait réduit à quelque imitation du monde, imitation de l’organisation du monde, du souci du nombre dans le monde, du pouvoir dans l’unité d’un empire dans le monde. L’Eglise dépouillée de toutes ses illusions qui sont des imitations du monde, donne enfin la première place à la présence de Jésus-Christ et ainsi consciemment Le trouve. Il n’est plus remplacé par quelque idéal du monde. Et le désir fondamental  » qu’Il me baise des baisers de sa bouche  » n’est plus parasité par les multiples désirs qui butent sur la mort et la masquent en des œuvres qui passent. L’Eglise dans sa quête, mendiante de l’Amour de Dieu, a désiré et reçu l’esprit de pureté.

 » Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas  »

L’Eglise avait lâché la lumière divine pour toutes les ombres du monde. Elle prend la double résolution de Le saisir et de ne plus Le remplacer. L’Eglise ainsi découvre la volonté de l’homme non dénaturée par l’oubli de Dieu qui ouvre à toutes les déceptions et saisit qu’elle est sauvée en Dieu fait homme, qui ne veut pas s’imposer et qui ne saurait être imposé ni remplacé. Dieu en Jésus-Christ, Dieu amoureux se laisse saisir et demande à être saisi, désiré, gardé dans l’esprit renouvelé et le cœur retrouvé vivant de l’humanité amoureuse. La vraie volonté de l’homme est d’en arriver dans l’Amour, à saisir et garder Dieu, en Personne, en sa Personne, sans arrière pensée, gratuitement.

 » Avant de le faire venir dans la maison de ma mère  »

La mère de l’Eglise, de l’humanité est, à la lecture du deuxième récit de la création de l’homme dans la Genèse, la nature. L’homme primordial, initial, fondement de l’homme, Adam est comme l’indique son nom « l’homme terreux  » car il est fait de terre, c’est dire de toute la création visible modelée par Dieu. A ce propos, il n’est pas étonnant que certains astrophysiciens se découvrent et se disent  » fils des étoiles « . Au bout de ses nuits, de toutes ses illusions, l’Eglise découvre son but : œuvrer pour que  » Dieu soit tout en tous  » comme disent les Pères, que  » le Nouvel Adam  » Jésus-Christ sans rien imposer, de l’intérieur, élève toute la création visible jusqu’à sa plénitude. Par son baptême dans le Jourdain, Jésus-Christ avant de sauver l’homme, a sauvé la nature que l’oubli et la présomption de l’homme avait coupée de la Source de vie. Depuis, dans l’Eglise, l’humanité renouvelée, librement, veut cette rédemption, à condition qu’elle ne soit plus tentée par quelque imitation du monde. L’homme n’a pas été crée pour être le profiteur, encore moins le prédateur de la création visible. Dans l’Amour, l’homme en devenir, l’Eglise prie Jésus-Christ,  » Dieu devenu homme pour que l’homme devienne Dieu  » d’être le germe de l’élévation de toute la nature. C’est alors, dans la liberté viable de l’homme, que la création s’ouvre à la Lumière incréée qui l’oriente vers sa plénitude.

 » Et dans la chambre de celle qui m’a portée  »

On passe de la maison à la chambre, du global au plus intime. La prière se fait insistante et la volonté se renforce, le but et le sens de la vie devenant clairs. La création, par et dans l’Eglise, demande au Christ de pénétrer jusqu’en ses profondeurs, afin que Lumière, il devienne de plus en plus lumière intime de tout ce qui existe. Ainsi sans rien exclure, la plénitude sera le germe de la vie dans son triomphe.

 » Je les avais à peine dépassés

Quand j’ai trouvé Celui qu’elle aime, mon âme

Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas

Avant de le faire venir dans la maison de ma mère

Et dans la chambre de celle qui m’a portée  »

Nous pouvons lire ce verset comme la métaphore du but de l’Eglise. Libérée de toutes les bonnes intentions et illusions des civilisations et des humanismes, elle est appelée à désirer, accepter et vouloir consciemment que Le Fils de l’homme ramène à la Lumière divine toute la création visible. Dieu est tellement soucieux de la liberté de l’homme, qu’Il lui demande de permettre à son Verbe de transfigurer tout ce qui vit. L’Eglise amoureuse et fidèle est chargée d’ouvrir à Dieu la création visible afin que sa lumière devienne lumière intérieure sans ombre et sans usure, de tout le visible et le sensible.

Verset 5 ( chap III )

 » Je vous adjure, filles de Jérusalem,

Par les gazelles et les biches des champs,

N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour

Avant qu’il ne le désire . »

Cette reprise du verset 7 du chapitre II n’est pas une simple répétition. C’est la même invitation mais à un autre moment du devenir de l’homme. C’est quand l’Eglise n’est plus tentée par l’invitation du monde, ni par la transformation du monde, ni par sa victoire dans le monde, qu’elle invite  » les filles de Jérusalem « , les baptisés, au nom de la vitalité, de la beauté et de la nouveauté renouvelée de la création, à la vigilance et à la patience. L’esprit de pureté qu’a reçu l’Eglise dans sa lucidité et sa quête, lui a permis de retrouver son état d’amoureuse. Mais l’Amour de Dieu, s’il est vécu dans les personnes des saints, est encore à mûrir en l’homme, jusqu’à la fin des temps dont nul ne connaît l’heure ni le jour. L’homme devra avoir traversé tous ses déserts, toutes ses tentatives de suffisance, jusqu’à son illusion de définitive victoire dans le refus et l’oubli de Dieu. Toute civilisation sur son déclin a donné la sensation de fin du monde, ainsi l’empire romain que campe Corneille quand il fait constater à Cinna :

 » le fils tout dégouttant du meurtre de son père

Et sa tête à la main demandant son salaire  »

Le meurtre du père fait partie du pire et certainement du triomphe de l’homme impie. De ce point de vue, il est à sa demander si la nécessité de  » tuer le père  » des néo-freudiens, est le signe du déclin d’une civilisation ou de l’approche de la fin des temps.

Car  » le triomphe de l’homme impie  » ira de pair avec le mûrissement de l’Amour de Dieu chez un nombre suffisant de saints pour qu’il soit légitime de considérer qu’ils sont l’homme en sa plénitude, dans la diversité des personnes.

L’oubli de Dieu et le refroidissement de l’amour de quelque autre, chez le plus grand nombre, sera contrebalancé par le petit nombre de ceux qui demeurés fidèles au désir de fond de l’homme qu’exprime le Cantique des cantiques et qui est  » qu’il me baise des baisers de sa bouche  » auront su ouvrir leur esprit et leur cœur pour accueillir les grâces de la plénitude, de la transfiguration et de la déification.

 » J’aime Dieu  » n’est pas une décision volontaire ni l’obéissance à un commandement.  » J’aime Dieu  » est une grâce qui, accueilli dans l’évidence existentielle, germe, se développe et mûrit. Ainsi l’aspiration à l’Amour n’est pas encore l’Amour. Et aimer l’Amour n’est pas encore aimer Dieu en personne.

 » Je vous adjure, filles de Jérusalem,

Par les gazelles et les biches des champs,

N’éveillez pas, ne réveillez pas l’Amour

Avant qu’il ne le désire  »

me semble être la métaphore de la nécessaire ouverture à l’esprit de patience, qui dans l’Amour de Dieu retrouvé permet de ne plus être enfermé dans un idéalisme, ni rétréci dans quelque angélisme, ni non plus englué dans un sentimentalisme bien-pensant.

Verset 6 ( chap III )

 » Qui est celle-ci qui monde du désert

Comme une colonne de fumée,

Où brûlent la myrrhe et l’encens,

Tous les parfums des colporteurs ? « 

Qui, en personne, peut dire  » j’aime Dieu  » ? Ce serait l’amoureuse non de l’Amour, mais de Dieu en personne. Ce verset 6 en est l’icône. Et c’est une interrogation. Celle qui est parvenu au  » j’aime Dieu « n’est pas reconnue par ceux qui la voient. Elle  » monte du désert «  comme allait le peuple de l’Alliance guidée par la nuée après la fuite de l’Egypte. Cette amoureuse  » comme une colonne de fumée  » est elle-même la nuée qui invite à suivre le chemin, vers la vie promise. Elle est de ce fait, incompréhensible au peuple de l’Alliance première, qui prépare la venue du Messie et non de l’amoureuse. Le plus surprenant aux gens de l’Exode et de la Loi de Moïse est qu’elle est une créature,  » fumée  » et non à proprement parler  » nuée « .

L’amoureuse  » monte «  vers Dieu qu’elle aime et toute la création devient comme un désert, hors de ce mouvement dans l’Amour. Elle entame la vie nouvelle, la vie triomphante et la propose  » celle-ci «  est une femme, le fruit de toutes les tensions vers la pureté et la fidélité, le fruit du meilleur de l’homme en l’Alliance, l’Amoureuse de Dieu seul, Marie la Vierge.

Le proto-évangile de Jacques qui évitant toute fioriture venue du goût humain du merveilleux, est de la bonne étoffe des quatre Evangiles, répond à la question :  » qui est celle-ci … ? «  Marie toute enfant, à 3 ans quand elle est donnée au temple par ses parents, est-il écrit, monte sans se retourner, les marches du sanctuaire avant d’y être accueillie par le grand-prêtre. Déjà amoureuse de Dieu seul, elle laisse derrière elle, toutes les prétentions de la création éparpillée dans les impasses de l’absence ou de l’oubli de Dieu. C’est du désert des prétentions qu’elle monte et dans son Amour exclusif de Dieu, elle ouvre le chemin vers l’intimité inconcevable ; si elle est comme  » fumée « , c’est qu’elle n’en demeure pas moins créature. Marie, femme juive, deviendra  » théotokos  » : Mère de Dieu. Créature, exclusivement tournée vers l’Amour de Dieu, elle échappe à toutes les tentations du malin. Par le mûrissement de l’Amour en son esprit et en son cœur, par son  » oui «  à l’Amour, elle n’est plus dans la  » vanité des vanités  » que stigmatise l’Ecclésiaste. En sa personne en l’Amour de Dieu vécu, tout reprend sens. C’est ainsi qu’elle devient guide pour sortir de ce qui s’use, ennuie ou meurt.

Et si elle est à contempler comme  » colonne de fumée où brûlent la myrrhe et l’encens «  c’est bien qu’elle oriente vers un au-delà de la mort et vers la louange, en la juste prière. La myrrhe est le parfum de l’ensevelissement, donc du sacrifice. L’image note que l’Amour est sacrificiel : il n’a rien de possessif, il est don, il est désintéressé. L’encens est le parfum de la prière et de la louange : l’Amour est louange de la créature, joie ineffable et nourriture de l’esprit créé. La louange nourrit l’esprit.

 » Tous les parfums des colporteurs ? « 

Ou  » toutes les poudres des marchands  » selon les traductions. N’est ce pas une métaphore de toute l’activité de l’homme dont l’esprit ne veut pas se limiter au terre-à-terre mais aspire à s’élever vers la vérité et la beauté? L’homme créé à l’image de Dieu, même s’il l’ignore, garde le désir et la nostalgie du parfum de l’Esprit-Saint.

 » Qui est celle-ci qui monte du désert

Comme une colonne de fumée,

Où brûlent la myrrhe et l’encens,

Tous les parfums des colporteurs ? « 

L’Eglise répond : c’est Marie la Vierge dont la pureté de l’Amour oriente vers le goût de l’intimité divine où la vie reprend sens. Les baptisés peuvent répondre : c’est aussi la métaphore de l’Eglise précédant l’homme en son devenir et l’orientant vers le sens de l’histoire.

Verset 7 ( chap III )

 » Voici la couche de Salomon ;

Soixante braves parmi les braves

D’Israël, l’entourent « 

 » Voici «  invite à regarder le mouvement. La  » couche de Salomon  » n’est pas immobile, pas une installation définitive, elle est en marche, elle est le signe d’un devenir.  » La couche  » est la paix intérieure ; elle est un devenir en la plénitude inaccomplie mais en cours d’accomplissement ; car  » Salomon  » a reçu  » la sagesse, une très grande intelligence et une étendue d’esprit aussi vaste que les plages de sable qui sont sur le bord de la mer. La sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les orientaux et toute la sagesse des Egyptiens. Il était plus sage qu’aucun homme…. Il prononça 3000 sentences et ses cantiques furent au nombre de 1005. Il a parlé des arbres, aussi bien du cèdre du Liban que de l’hysope qui sort de la muraille ; il a aussi parlé des animaux, des oiseaux, des reptiles et des poisons. » (I Rois 4.29,34) ; de sorte que  » Salomon «  est la métaphore de l’homme cultivant et épanouissement tous ses talents, sagesse, intelligent, savoir, art dans l’étonnante fécondité de son être créé.

 » Voici la couche de Salomon « 

Est la métaphore de la marche de l’humanité en ce qu’elle a de meilleur, l’image si l’on veut, du progrès de l’homme sur terre qui est dans la paix intérieure, la confiance en ses dons et en la fécondité de son travail.

Mais la suite du verset propose la contemplation des conditions nécessaires à cette avancée dans la paix et la sereine fécondité :

 » Soixante braves parmi les braves

D’Israël, l’entourent « 

60, c’est, 5 x 12, ce qui oriente Grégoire de Nysse vers la nécessité de vigilance à chacun des 5 sens, un brave de chacune des 12 tribus d’Israël étant mobilisé pour que la chair dénaturée ne submerge pas l’esprit.

5 est le nombre de la matière vivante, car elle a été créée le cinquième jour (Gn.1.20,25) et l’homme est fait de cette matière vivante mais dans le refus d’obéir, dans l’oubli de Dieu et de son Amour, l’homme a dénaturé la nature, de sorte qu’au lieu de l’élever vers Dieu, il est dominé par elle : comme naturellement, il va vers l’ennui, l’usure et la mort, même quand il perfectionne ses instruments d’exploitation et de maîtrise de la nature inerte.

12 est aussi le nombre des Apôtres fondements de l’Eglise. 12 est le nombre de la plénitude de l’humanité dans la diversité des personnes. La Jérusalem céleste n’aura pas une porte mais 12. 12 est le nombre de la fondation de l’Eglise et de la création transfigurée. Les 12 Apôtres annoncent, préfigurent, permettent tous les saints d’hier, d’aujourd’hui et de demain. 6 est le chiffre de l’homme, créé le 6ème jour et 0 le chiffre de la création réduite à elle-même quand elle oublie Dieu.

Les 60 braves parmi les braves, si l’on va dans le sens de cette lecture, sont les saints dont l’esprit vivifié retrouve l’homme dans son prodigieux destin originel et dont l’esprit est devenu vivifiant car ils ont traversé toutes les prétentions de leurs enfers et qu’ils ont attendu la vie renouvelée non de leur œuvre violemment courageuse, mais de leur foi et de la grâce de Dieu. Le 0 est le chiffre de leur humilité consciente.

Ils entourent  » la couche de Salomon  » : ce sont eux qui permettent au meilleur de l’homme, sagesse, sciences, arts, de traverser toutes les conséquences du pire en lui, ignorance, paresse, perversions, sang versé, mensonge, rancœur, haine qui souvent lui inspirent des moyens redoutables de destruction.

 » Voici la couche de Salomon ;

Soixante braves parmi les braves

D’Israël, l’entourent « 

à la lumière de la Nouvelle Alliance, peut être contemplé comme une métaphore du sens de l’Histoire de l’homme sauvé ; l’Histoire est une avancée dans l’Amour grâce à la vigilance de tous les saints dont les prières permettent à l’homme de ne pas retomber dans les avatars du mensonge du malin, car  » seuls, vous serez comme des dieux « , continue-t-il à leur susurrer.

Verset 8 ( chap III )

 » Tous, saisis par le glaive, sont entraînés à la guerre.

Chacun porte son glaive sur la hanche,

A cause de la peur dans les nuits « 

 » Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive  » dira Jésus-Christ. Ce  » glaive «  est la parole de Dieu venue parmi les hommes qui reconnaissent que Lui, Verbe de Dieu fait homme,  » parle avec une autorité « .  » saisis par le glaive « , les saints ont été saisis par Lui, Jésus-Christ,  » Lumière du monde  » qui révèle les ténèbres à quoi le monde tient, car il s’y est habitué. Les saints dans la lumière qu’ils ont reconnue, ont ressenti et accepté la nécessité de refuser les ténèbres, d’en combattre les inspirations, de ne plus en demeurer les complices. Leur glaive est cette volonté du vrai combat contre les ennemis de l’esprit créé. Ils sont entraînés à  » la guerre  » spirituelle, terrible, violente, contre les inclinations de la nature dénaturée par l’orgueil et les vanités. Ce sont des athlètes du travail spirituel, de la lutte contre les pensées venues des ténèbres, pour que l’esprit créé se réveille, désire être révélé à lui-même, se nourrisse et grandisse. Les moyens de cet entraîne-ment et de cette croissance sont l’écoute de la Parole, l’ascèse, l’acceptation des épreuves, le refus d’en rester à la sagesse du monde qui est adaptation à la condition mortelle, et la fidélité dans la prière.

 » Chacun porte son glaive sur la hanche  »

Chaque saint demeure vigilant comme un guerrier en armes, prêt au combat spirituel qui prendra fin au retour du Christ en gloire. Il permet ainsi le devenir de l’homme, sa croissance jusqu’à la plénitude de son destin qui sera victoire de la Lumière et de la vie sur la mort.

 » A cause de la peur dans les nuits  »

Cette peur est l’héritage de Caïn : elle est la peur d’être tué par n’importe quel autre ou des autres, peur qui engendre la violence de plus en plus grande. La Genèse le raconte : Caïn l’assassin de son frère, Abel, demande et reçoit un signe de Dieu pour ne pas être absolument submergé par la peur d’être à son tour, tué et, rassuré, il fonde les civilisations. Or à la troisième génération déjà, Lamek exorcise cette peur en tuant  » pour une meurtrissure  » et il s’en vante pour régner par la terreur. Les nuits qui engendrent cette peur la favorisent sont les nuits du sang qu’on verse, du meurtre, des guerres, des jalousies, des rancœurs, de la haine ou de l’indifférence à l’autre qui est meurtre de son âme et de son esprit, anéantissement. Aussi ces nuits sont-elles aussi bien celles de l’ignorance, de la médisance, comme de la calomnie ou du mépris. Ces nuits multiples viennent de la nuit du cœur de l’homme pécheur, de tout homme car :

 » Le cœur est tortueux par dessus tout.

Et il est incurable.

Qui peut le connaître  » ( Jeh. 17,9 )

Cependant si la volonté originelle est retrouvée dans la lumière, la foi véritable en la Parole de Dieu, en Jésus-Christ, l’homme peut dominer cette peur et le péché qui l’engendre, contrairement à Caïn qui n’a pas voulu entendre Dieu lui dire :  » Le péché est tapi à ta porte et ses désirs se portent vers toi, mais toi, domine sur lui  » ( Gen. 4.7 )

L’entraînement des saints, ces guerriers de l’esprit qui permettent à l’homme de retrouver le sens de son esprit, est ce que les Pères appellent  » la garde du cœur «  car repérer le pire dès qu’il germe dans le cœur, permet de le tuer au Nom de Jésus-Christ, avant qu’il ait eu le temps de grandir.

Le verset 8 :

 » Tous, saisis par le glaive, sont entraînés à la guerre.

Chacun porte son glaive sur la hanche,

A cause de la peur dans les nuits  »

gagne à être contemplé comme la métaphore des saints qui, dans l’amour du Verbe de Dieu, de ses commandements et de la Lumière, se font prêts à discerner et à détruire en germe, au Nom de Jésus-Christ, toute complicité avec les ruses du malin. Ils contribuent ainsi au devenir de l’homme dont la volonté de paix, de joie et d’Amour devient peu à peu et déjà dans leur cœur, réalité. C’est le vrai progrès et le sens même de l’Histoire des hommes.

Verset 9 ( chap III )

 » Le roi Salomon s’est fait un palanquin

des arbres du Liban « 

 » Le roi Salomon  » est l’image de l’homme dans l’accomplissement de sa prodigieuse destinée ; l’homme comme il le lui a été promis dès l’origine, devenu roi de la création visible, roi dans l’accomplissement de la sagesse, de la science, de la beauté proposées en l’homme, à la créature.

 » Les arbres du Liban «  sont les cèdres et les cyprès que Salomon avait demandé au roi de Tyr pour construire le temple de Jérusalem. Ces arbres sont les plus grands, les plus majestueux , les plus beaux et les plus parfumés.  » Le roi Salomon  » de la sauvagerie de la montagne qu’est le Liban dans sa splendeur, rassemble les parfums et les tend vers le parfum de sainteté, le parfum de l’Esprit-Saint.

Du meilleur de la création, il  » s’est fait un palanquin « , non pas le grandiose temple de Jérusalem mais un rappel en plus petit, de l’Arche d’Alliance. Il l’a fait lui-même. Ce palanquin est ainsi l’image du temple intérieur, du temple de la personne devenant cœur de la création en devenir. En l’homme déjà en sa plénitude et en devenir jusqu’à la fin des temps, la nature la plus grandiose, n’est plus une force redoutable, source d’idolâtrie. Elle est au contraire, mise au service de la vie intérieure de l’homme revenu à l’Alliance avec Dieu, sans plus aucun souci des pouvoirs qui masquaient ses peurs et les ténèbres. Dans le cœur purifié de l’homme, la beauté se fait louange.

 » Le roi Salomon s’est fait un palanquin

des arbres du Liban  »

peut bien être entendu comme la métaphore de la plénitude de l’homme pacifié et pacificateur qui s’est mis et met la nature à la juste place.

Verset 10 ( chap III )

 » Il a fait les colonnes en argent,

la tenture en or et le siège de pourpre ;

Son centre est une mosaïque,

œuvre d’amour des filles de Jérusalem « 

 » L’argent  » est la Parole de Dieu, « l’or « , représente l’éternité de Dieu, la  » pourpre « , la majesté royale.

Ce verset continue le précédent. Il est l’image du temple intérieur de l’homme qui est revenu à sa destinée ; il est soutenu par la Parole de Dieu , revêtu de la foi en Dieu et fait pour accueillir la majesté royale de Dieu.

 » Son centre est une mosaïque « . Le temple intérieur est centré sur la prière de tous les baptisés ;  » filles de Jérusalem «  car elles représentent les personnes créées en leur diversité dont l’unité est  » une mosaïque «  en son centre.

De sorte que le verset 10 peut être reçu comme la métaphore de la communion des saints.

Verset 11 ( chap III )

 » Sortez, filles de Sion et voyez le roi Salomon

Avec la couronne dont sa mère l’a couronné,

Le jour de ses noces

Et le jour de la joie de son cœur « 

 » Sortez, filles de Sion « , c’est dire filles de l’Alliance. Or au verset 8 du chapitre I, il a été dit à la Fiancée  » Si tu ne te connais pas, sors…  » et au verset 9 du chapitre II, il a été dit de l’Esprit de Dieu :  » Il est derrière notre mur « , puis au verset suivant, à la Fiancée à nouveau :  » Lève-toi… ». Ce  » sortez  » est l’invitation pressante à ne plus s’installer dans ce qui enferme ; et l’œuvre même bonne, peut enfermer dans la satisfaction.

« et voyez le roi Salomon « , l’homme de la plénitude de la sagesse, de la science, de la beauté, ayant retrouvé la paix à partir du temple de Dieu en son cœur ; c’est dire voyez l’homme à nouveau Roi de la création visible et si l’on veut bien relire tout ce chapitre III, voyez la marche de l’homme Roi à partir de la nuée, guidée par la nuée qui est le  » oui  » parfait de Marie la Vierge.

 » Il a fait de nous des rois…  » est un inaccompli, un devenir, une marche de tout l’homme. La divine liturgie, œuvre commune et consciente selon la foi, est cette marche.

 » Avec la couronne dont sa mère l’a couronné, « 

La mère de l’homme est la nature originelle : la nature le reconnaît roi et non plus assassin ni destructeur haï comme il l’a été depuis le meurtre d’Abel par Caïn.

 » Le jour de ses noces  »

Est le jour de l’union entre le visible et l’invisible, entre le créé et l’incréé, le jour de l’incarnation du Verbe de Dieu. La nature, en Jésus-Christ, le Fils de l’homme, se découvre sujet du royaume de Dieu où l’homme est appelé à régner.

 » le jour de la joie de son cœur « 

Le cœur de l’homme dès lors, connaît la joie en son cœur revenu à la vie, la joie qu’aucune joie n’égale, la joie sans ombre de deuil ni de tristesse, sans usure et sans fin ; c’est la joie pascale, la joie de la vie sans la mort dans la Résurrection en Jésus-Christ. Toute autre joie est barrée par la mort.

Par ce verset 11, les appelés à l’Alliance avec Dieu, sont invités à sortir de toutes les prisons intérieures, à contempler le mystère, le sens vrai de l’Histoire d’Amour entre la création et le Créateur, ces noces de la terre et du ciel en l’homme pleinement roi de la création visible.

Le roi Salomon est la métaphore de l’homme en marche dans la plénitude en devenir, la métaphore de la sainteté où l’homme au cœur purifié, travaille à réconcilier le corps, l’âme et l’esprit. Le verset 11 invite chaque appelé à ne pas en rester à son temple intérieur, à s’ouvrir à d’autres et à réaliser que le temple est un dans la diversité des personnes: chaque temple intérieur dans l’Eglise, s’il ne se ferme pas, ne se suffit pas, peut bénéficier du temple intérieur de tout l’homme où vivent les saints. C’est la seule catholicité.

Ce verset 11, est si l’on veut, la métaphore de la victoire de l’homme à rejoindre en personne et de sa royauté dont le chemin est Jésus-Christ.

L’invitation de ce verset 11 est une invitation à ne pas se résigner à la nature pervertie, à savoir regarder l’Histoire afin de voir l’homme en cours de réconciliation avec lui-même et avec la création, dans la joie en Jésus-Christ devenu homme pour que l’homme retrouve son destin originel et le découvre transfiguré dans un devenir où point l’aube sans crépuscule.

Et il est maintenant possible de relire le chapitre III comme l’Histoire de l’homme à la recherche de Dieu personnel, de Dieu désirable, de Dieu amoureux et qu’il est devenu possible d’aimer.

La suite des métaphores de ce chapitre III, invite à contempler les étapes du Désir, de la recherche de l’intimité divine, du mûrissement dans la patience, de l’accueil de la grâce dans le oui de Marie la Vierge, de la Lumière sans déclin, de l’affermissement par le combat spirituel, de la construction du temple intérieur, de l’ouverture à l’unité de l’homme et de la sensibilité à son prodigieux destin de roi de la création sensible.

CONTEMPLATION DU CANTIQUE des CANTIQUES CHAPITRE IV

Verset 1 ( chap. IV )

« Te voici belle, ma toute proche, te voici belle !

Tes yeux sont des colombes derrière ton voile.

Ta chevelure est comme le troupeau des chèvres

Qui ondulent sur le mont de l’onde éternelle. »

Dans le chapitre I ( v.15), le bien-aimé avait déjà exprimé son amour dans ces termes : les deux premiers vers sont repris. Mais il s’y ajoute : « derrière ton voile ».

D’autre part, la répétition de « te voici » souligne le mouvement, le vrai progrès de l’esprit. Ce devenir est un inaccompli jusqu’à la fin des temps, et sans doute au-delà, l’esprit n’en finira pas de s’embellir dans sa ressemblance avec Dieu, toujours désirée, et plénitude au fur et à mesure, autant qu’il est possible.

« Tes yeux sont des colombes » : regardez un couple de colombes : elles sont blanches, elles roucoulent gentiment, elles sont le symbole de la fidélité et de la paix. Elles volent. Elles vont de la terre au ciel.

Cette beauté en infini devenir, est lumière intérieure et dans cette lumière intérieure, l’humanité s’élève dans la pureté, la fidélité et aussi le dépassement de la dualité. « Des colombes » sont en effet l’image du couple et le couple est l’image de l’unité.

La métaphore « Te voici… colombes » est la métaphore de la beauté de l’esprit revenu à lui-même et au Créateur, librement tourné vers Dieu en Jésus-Christ, sensible à Dieu, fidèle à Dieu et soucieux de garder le trésor de Son Amour. Ce regard amoureux de Dieu a donné à la bien-aimée l’assurance – voyez comme une femme a besoin que son amoureux lui dise qu’elle est belle, pour exister – C’est cette assurance qui permet le dialogue avec le Créateur et dans le chapitre I, elle a répondu :

« Te voici beau mon bien aimé, et même doux… » (v 16).

Le regard amoureux de Dieu a révélé sa beauté et, plus inattendu encore, sa douceur. Il est devenu possible en Jésus-Christ, avec les yeux de l’esprit, de n’être plus ébloui par la toute-puissance de Dieu, mais de voir sa beauté et de découvrir sa douceur.

Cette reprise au chapitre IV des paroles du bien-aimé déjà entendues dans des chapitres précédents, nous invite à relire le Cantique des Cantiques dans son mouvement, étant bien entendu qu’il n’est pas un déroulement chronologique ; il ne suffit plus de relire chaque métaphore comme étant la seule approche possible du mystère de l’Amour.

On peut se demander pourquoi cette reprise : « Te voici belle… Tes yeux sont des colombes… » alors que le chapitre III aurait pu clore la quête du mystère de l’Amour. En effet, il s’est terminé par une vision de l’Eglise revenue de ses enfermements et de son installation prématurée, et prête à la patience féconde. Les versets 6 à 11 ont invité à regarder l’Eglise en sa marche avec Marie la toute pure, dans la communion des saints valeureux, à partir de la création visible rassemblée dans le temple intérieur.

« derrière ton voile » est peut-être révélateur. Ce voile ne saurait être celui de la condition mortelle venue du péché car le désir exprimé dès le début : « qu’Il me baise des baisers de sa bouche » situe d’emblée hors de cette réduction. « Ton voile » est celui que nomme Dieu amoureux, c’est la condition même de créature. Et s’Il le nomme, c’est pour magnifier la beauté créée qu’Il révèle. Le regard amoureux que Dieu porte sur l’humanité est le pont qui permet de franchir l’écart entre Créateur et créature. Il est impossible de connaître la nature de Dieu. Transcendant, Il est hors de portée de la créature. Mais le regard amoureux qu’Il exprime, semblable à celui d’un amoureux conscient, donne vie au désir amoureux de sa création : il n’est plus absurde ni blasphématoire pour l’homme, d’aimer Dieu.

De plus, le chapitre IV, comme une déclaration d’amoureux, ouvre la création au meilleur d’elle-même. L’amoureux qui est le tout à fait Autre puisqu’il est Dieu, par sa Parole, donne confiance en elle-même, à l’Eglise, qui alors reçoit la force de s’orienter vers la ressemblance avec Lui. Or dans le monde physique, plus l’écart est grand, plus l’énergie produite est grande. Et dans le monde à la fois sensible et spirituel, le monde humain, l’écart entre la nature de créature et la nature divine est hors de toute mesure. Aussi l’Alliance permet-elle une montée sans fin de la création.

« Tes yeux sont des colombes derrière ton voile »

est l’image de l’esprit qui dans l’amour de Dieu, s’élève par une force qui lui fait dépasser sa condition de créature ; l’esprit de l’homme peut s’orienter vers l’Esprit incréé ; aussi peut-on lire en cette déclaration, l’image de la déification qui, à la fin des temps, permettra à l’homme d’être co-créateur .

«Ta chevelure est comme le troupeau des chèvres

Qui ondulent sur le mont de l’onde éternelle. »

Ce regard amoureux de Dieu dévoile la sensualité de l’esprit et lui donne le pouvoir de déjà ressembler au Créateur. La chevelure longue et ondulante d’une femme dont elle souligne la beauté des formes, quoi de plus sensuel. Tous les puritains l’ont bien compris, à contrario. « Ta chevelure » est l’image du goût de l’intimité divine quand l’esprit aspire à la connaissance mystique par le toucher, l’odorat, les oreilles et les yeux de l’esprit comme y invite dès le début, « le Cantique des cantiques ».

Dès lors,  » les gazelles et les biches des champs « ( II, 7 )et ( III, 5 ), ont été apprivoisées, les « chevreaux » ( I, 8 ) ont atteint leur maturité : le « troupeau de chèvres » est l’image du travail de l’homme revenu dans l’Amour au destin qui lui avait été proposé ; il a été créé pour élever le visible vers l’invisible, le fougueux vers l’harmonie, l’inconstant vers la paix, selon le pouvoir qu’il en a reçu .

Par cette sensualité spirituelle retrouvée, l’humanité en l’Eglise ressemble au Christ, tout en demeurant créature. La vie dans sa beauté et sa liberté sauvages, comme gazelles, faons et biches, est humanisée, rassemblée et pacifiée comme un « troupeau de chèvres », de sorte qu’elle s’oriente vers le calme de la vie sans la mort dont les ondulations sont l’image. N’est-ce pas le sens de la métaphore :

« Ta chevelure est comme le troupeau des chèvres

Qui ondulent sur le mont de l’onde éternelle. » ?

Verset 2 ( chap. IV )

« Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues

Qui remonte du bain ;

Chacune porte deux jumeaux

Aucune d’elle n’est stérile. »

Si l’on contemple l’image, ces dents ne sont pas celles qui mordent, qui dévorent ou qui mâchent, ce sont les dents du sourire au bien-aimé. Pour l’esprit révélé à lui-même par l’Amour de Dieu, la peur d’un autre, la vieille peur de Caïn est dépassée, comme est dépassé tout souci de se nourrir, comme l’enseigne Jésus-Christ dans son invitation à « regarder les lys de champs » ; elle aboutit au conseil : « recherchez le Royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît ».

Ces dents dont il est question dans ce verset 2, sont l’image du sourire de l’Eglise quand son unique but est la recherche du Royaume et de la juste place de chaque Eglise et de chacun dans la création revenue à la source de vie qu’est la lumière divine. Ces paroles encouragent l’Eglise à donner toute raison à ce sourire qui est Amour et non plus souci de place, de pouvoir ou de confort dans le monde – même l’efficacité ou l’ordre fait partie de ce qu’il ne faut pas rechercher mais qui sera obtenu par « surcroît » – Quand l’Eglise a su écouter la leçon de la splendeur des lys des champs et de l’insouciance des oiseaux du ciel, elle est dans la Vérité sans réticence qui lui vaut le sourire accueillant et fécond à Dieu et elle ouvre la création à la vie.

« Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues

Qui remonte du bain

Le sourire ainsi est le refus des soucis terre-à-terre, il n’est pas une paresse, mais un dynamisme au contraire. Il peut sembler statique, immobile, en fait, il permet à l’Eglise non d’être le Bon Pasteur à la place du seul Pasteur qu’est Jésus-Christ, mais de lui ressembler. Qu’est-ce à dire ? L’Eglise ainsi par le seul souci du « Royaume de Dieu et de sa Justice » et ainsi seulement, accueille le troupeau des » brebis « qui connaissent le Christ et que le Christ connaît. Elle les accueille après « le bain » qu’est le baptême, elle les aide à devenir de plus en plus conscients par l’approche du Mystère dans les divines liturgies et leur donne les moyens, par le sacrement de pénitence, de se dépouiller de toutes les toisons d’hiver devenues encombrantes et nocives pour se préparer à « l’éternel été ».

Dans l’Eglise, dont l’unique souci est la Vérité, les baptisés sont « comme un troupeau de brebis tondues qui remonte du bain ».

« Chacune porte deux jumeaux ». En elle, fidèle et pure, chaque personne peu à peu révélée à elle-même, vit la double fécondité, celle de l’espritqui, si elle est première, permet dans l’harmonie, la seconde fécondité, celle de la chair renouvelée : les arts, les sciences et l’humanisme préparent la Jérusalem céleste : « Chacune porte deux jumeaux » et il est souligné : « Aucune d’elle n’est stérile ». C’est que cette fécondité est personnelle. Le sourire de l’Eglise ouvre à l’égalité des personnes : chacune va vers elle-même : rien ne lui manquera. « Chacune porte deux jumeaux » et l’Eglise est chargée de l’aider à les porter à terme en cette vie ou à la fin des temps.

On peut contempler dans ce verset 2, l’Eglise en sa pureté quand, dans l’Amour et sous le regard amoureux de Dieu, elle prend soin de la double fécondité de chaque personne révélée à elle-même à partir du baptême et des sacrements :

« Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues

Qui remonte du bain ;

Chacune porte deux jumeaux,

Aucune d’elle n’est stérile »,

est la métaphore de la vocation de l’Eglise.

Verset 3 ( chap. IV )

« Tes lèvres sont comme un fil écarlate

Et ta parole est désirable.

Ta tempe est comme une tranche de grenade

sous ton voile. »

Ces lèvres ne sont pas les lèvres du baiser mais les lèvres qui prononcent la parole : le fil qui sort des lèvres est l’image de la parole dite. On se souvient des paroles de Jésus « c’est ce qui sort de la bouche qui fait l’homme impur » car ce qui sort de la bouche vient du cœur .

« écarlate » est la couleur du sang du Christ qu’annonçait déjà l’écarlate du voile du temple que la Vierge enfant a tissé. « écarlate » est donc la couleur du sacrifice et du sang qui purifie, jusqu’au sang du Christ qui donne la vie sans la mort.

« Tes lèvres sont comme un fil écarlate » est donc l’image de la parole de l’Eglise dans l’Amour, du verbe créé revenu à Dieu au lieu de s’égarer à partir d’une illusoire suffisance. Ce verbe créé est comme le fil retrouvé de la Vérité en sa plénitude. S’il est « comme un fil écarlate » c’est qu’ainsi, il va vers la ressemblance avec le Verbe incréé s’offrant en sacrifice pour sauver l’homme du péché et de la mort. Le verbe créé purifié par le sang de l’Agneau connaîtra lui aussi le sang, la persécution, comme il est dit dans l’Evangile.

« Et ta parole est désirable »

la parole de l’homme est « désirable » par Dieu. C’est donc qu’elle a son existence propre. Elle est appelée à l’Alliance comme conjugale avec le Verbe incréé. Elle est donc appelée à vivre et à se développer. Elle n’est pas appelée à s’effacer devant le Verbe incréé, mais à se parfaire dans l’harmonie. L’Amour de Dieu inclut l’amour de la parole de l’homme. Il est à remarquer que, inspirés par l’Esprit-Saint, les prophètes gardent leur style, comme leur sensibilité. Le Verbe de Dieu n’impose pas quelque suprématie. Et Jésus-Christ a laissé aux quatre Evangélistes le soin d’écrire la Bonne Nouvelle et à cinq Apôtres celui de la commenter, de sorte que la Révélation est une alliance de la Parole de Dieu et de la Parole de l’homme. Toute parole de l’homme quand elle ne sombre pas dans les ténèbres, s’oriente vers la recherche de la vérité. Ainsi les mages, ces savants astronomes, au bout de leur recherche, ont découvert le signe de l’étoile qui les a conduits à Bethléem.

« Ta tempe est comme une tranche de grenade

sous ton voile »

Le voile nous l’avons vu est la condition de créature. L’image reste étonnante. La tempe de la créature humaine en montre la fragilité : sous la peau, on sent battre l’artère et un simple coup pourrait tuer. Le contraste entre la chevelure et la peau peut en faire la beauté. C’est une beauté fragile, pourtant la dureté de l’os n’est pas loin. Cette fragilité si proche de la dureté a la beauté d’un fruit qui, sous une rude écorce permettant de résister aux brûlures du soleil, cache une fraîcheur qui annonce l’été éternel.

Le verset 3, peut-être regardé comme la métaphore du verbe créé dans un corps vulnérable, à qui le Verbe incréé propose la vie sans la mort et dont le « oui » réjouit Dieu.

« Tes lèvres sont comme un fil écarlate

Et ta parole est désirable.

Ta tempe est comme une tranche de grenade

sous ton voile. »

Verset 4 ( chap. IV )

« Ton cou est comme la tour de David

bâtie pour les trophées ;

mille boucliers y sont suspendus,

toutes les armures des braves. »

Le cou relie le corps à la tête dans la station debout, le bas et le haut, la terre et le ciel. Il est l’image de la force spirituelle qui rétablit la juste place du corps, du psychisme et de l’esprit. Dès lors, dans l’Eglise, le cou devient l’image de la victoire acquise par l’ascèse et les épreuves acceptées, victoire qui ne vaut pas moins que les victoires du roi David qui ont permis à Salomon, de vivre dans la paix ; le regard de Dieu souligne la belle victoire de l’Eglise quand l’esprit vivifié n’est plus submergé par le psychisme ni par le terre-à-terre :

« Ton cou est comme la tour de David »

Il est précisé qu’elle est « bâtie pour les trophées » à l’inverse de toutes les Babel construites pour se passer de Dieu. Toute Eglise, quelle que soit sa taille, si elle n’a rien oublié de la tradition vivante est une « tour de David bâtie pour les trophées ». Elles sont en effet, les icônes qui rendent présentes les victoires des saints sur les ténèbres, l’orgueil et toutes les vanités dont les idéologies sont encore les serviteurs aveugles. « mille boucliers y sont suspendus » en hommage à la victoire acquise comme « toutes les armures des braves ». Les braves sont les saints , leurs « boucliers » sont leurs prières et leurs oeuvres, « leurs armures », leur foi qui leur vaut de vivre en la lumière et qui vaut aux fidèles, le réconfort des récits de leur vie, leur aide et la présence de leurs reliques.

« Ton cou est comme la tour de David

bâtie pour les trophées ;

mille boucliers y sont suspendus,

toutes les armures des braves. »

Ce verset peut être reçu comme un des aspects de « te voici belle » et comme un encouragement à bénéficier de la victoire des saints en les fréquentant dans les églises où ils sont présents spirituellement par les icônes, les reliques, leurs témoignages et leurs prières.

Verset 5 ( chap. IV )

« Tes deux seins sont comme deux faons,

jumeaux d’une gazelle

qui paissent dans les lys »

Le regard de Dieu amoureux souligne la beauté, l’harmonie et le calme fécond de la création, devenus à nouveau viables dans l’Eglise. « deux » est répété et souligné par « jumeaux ». La tradition idéaliste à partir d’Origène voit dans les deux seins d’une femme, l’allégorie de l’espérance et de la charité. C’est me semble-t-il gommer l’image et réduire le verset à un rébus. Si l’on contemple les deux seins d’une belle femme, l’harmonie est réalisée en leur beauté et elle est le dépassement de toute dualité, alors que la dualité est le moteur du monde. Par la victoire dont rend compte le verset 4, l’Eglise n’est plus mue par la tension duelle, entre l’un et l’autre. Visiblement les « deux faons, jumeaux d’une gazelle » sont la métaphore de la vie toujours jeune et harmonieuse. Ces « jumeaux d’une gazelle », on le ressent à contempler l’image, n’ont plus rien à voir avec les jumeaux qui s’opposent. Ce ne sont plus les jumeaux Esaü et Jacob, l’un choisissant la matière et l’autre, l’esprit. L’image des deux seins de l’Eglise souligne et affirme qu’en elle, l’opposition matière et esprit, comme toute autre opposition duelle est dépassée. – Ceux qui idéalisent l’Eglise, la réduisant à un idéalisme par opposition aux matérialismes, la perdent de vue.

Et si les deux seins de l’Eglise dans leur harmonie et leur victoire tranquille, sont donnés à voir par la Parole de Dieu, comme « deux faons jumeaux d’une gazelle, qui paissent dans les lys » c’est que ce dépassement de la dualité rend l’humanité capable de relier la terre au ciel à l’exemple et à la suite du Bien Aimé Jésus-Christ qui a dit :

« Je suis le jeune lys de Saron, le lys des profondeurs » (II, 1)

à quoi la bien-aimée, l’Eglise, avait répondu :

« Mon amour est à moi et je suis à lui,

le berger dans les lys » (II, 16)

Le regard de Dieu oriente vers cette beauté de l’Eglise, appelée à être comblée en Son Amour, dans le dépassement de toute dualité.

Verset 6 ( chap. IV )

« Jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres,

je m’en irai vers la montagne de la myrrhe

et vers la colline de l’encens » (cf. II, 17)

Dans les cinq premiers versets de ce chapitre IV, la beauté de l’Eglise grâce à la parole amoureuse de Dieu, est devenue réalité; elle est jeune et neuve, dans une splendeur alliant la terre au ciel.

Le verset 6 peut étonner : l’amoureux s’en va. Mais il reprend mot à mot l’expression de la bien aimée, de la « toute proche » : « jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres » (II, 17). Elle disait « retourne ». Il affirme « je m’en irai ». Il accepte son invitation d’alors. Elle invitait Jésus-Christ, le bien-aimé, à « retourner auprès du Père », Lui, Dieu et homme en Personne. Et elle l’invitait à ce retour jusqu’à l’accomplissement des temps puisque le « souffle du jour » est la victoire de l’Esprit-Saint quand « Dieu sera tout en tous », et que « la fuite des ombres » note l’omniprésence de la lumière intérieure par laquelle il n’y aura plus aucun jeu d’ombres.

« Jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres » est l’image des temps qui doivent s’accomplir avant le retour du Christ en gloire.

Et le « je m’en irai » annonce et correspond au « Je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu » » (Mc. 14, 25).

Et nous avions lu le verset 17 du chapitre II comme le « oui » de l’humanité à la nécessaire Ascension du Christ pour que vienne l’Esprit-Saint. Dans ce verset 6 du chapitre IV, c’est une prophétie « je m’en irai vers la montagne de la myrrhe et vers la colline de l’encens ».

La myrrhe est le parfum de l’ensevelissement. La « montagne de la myrrhe » est le Golgotha. L’Amour de Dieu devient libre sacrifice de sa vie quand Il s’est fait homme en Jésus-Christ.

« La colline de l’encens » est l’image de sa Présence invisible après sa résurrection et son Ascension, dans la prière, car la colline est l’image de ce qui est accessible à l’homme. Le Christ jusqu’à la fin des temps sera le Crucifié et le seul Pasteur de ses brebis, les hommes ayant retrouvé le goût et la nécessité de la prière, seule nourriture de l’esprit.

« Jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres,

je m’en irai vers la montagne de la myrrhe

et vers la colline de l’encens »

Cette métaphore peut être contemplée comme la prophétie du Messie crucifié, ressuscité et présent dans la prière, jusqu’à son retour en gloire. La croix est la montagne qui unit la terre et le ciel. Et la prière juste est la colline qui fait que les « monts de la Séparation » (II, 17) entre le créé et l’incréé s’abaissent. Dieu demeure transcendant, mais ,Il se donne afin que, librement, l’homme se détourne de l’orgueil et des vanités, et Lui revienne nourri de la lumière de l’Esprit-Saint, dans l’Amour.

Verset 7 ( chap. IV )

« Tu es belle, ma toute proche

Et aucune tache n’est en toi »

Qui est cette « toute belle », « toute proche » et toute pure aux yeux de Dieu ?

C’est la question du verset 6, du chapitre III :

« Qui est celle-ci qui monte du désert,

comme une colonne de fumée

où brûlent la myrrhe et l’encens… ? »

Toute la tradition chrétienne vivante répond : c’est Marie, la Vierge devenue Mère de Dieu.

Le « Tu es toute belle, ma toute proche,

Et aucune tache n’est en toi »

ne s’adresse pas seulement à elle, la Toujours Bienheureuse et toute pure, mais à l’Eglise qu’elle précède.

Cette louange de Dieu ouvre au mystère de l’Eglise. C’est elle dont le diacre dit, lors de la préparation des Saints Dons : « … et l’Eglise, son Epouse, s’est préparée, elle est vêtue des vertus des saints… ». Elle est là dans la pureté donnée par la grâce, en dépit de l’indignité des prêtres, diacres et autres baptisés, et sa présence, autant que son « oui », légitiment la divine liturgie, cette approche de l’Alliance réalisée et à rejoindre en personne

Verset 8 ( chap. IV )

« Avec moi, du Liban, ô épouse, avec moi du Liban, tu viendras.

Tu chanteras de la cime de l’Amara,

de la cime du Chenir et du Hernon,

des repaires des lions, des montagnes des léopards »

Le mot« Kalla » épouse ou fiancée précise André Chouraqui, procède de la racine « kalal » qui signifie couronner , et l’on couronne la fiancée le jour de ses noces. C’est la prophétie pour nous, de « l’Epouse qui a l’Agneau pour époux » et que le diacre invite à voir quand il prépare les saints dons en vue du sacrement eucharistique. Elle est devenue par cette Alliance, la Reine de la création. C’est cette royauté qui est proclamée lors de la divine liturgie quand est chanté par tous, le passage de l’Apocalypse : « Il a fait de nous des rois et des prêtres et nous régnerons avec lui sur la terre »

Le futur employé, « tu viendras », « tu chanteras » est le même futur qui a déjà commencé et qui fait du rite liturgique les prémices des temps eschatologiques. Ce futur se vit dans chaque célébration sacrée de l’Eglise.

« Avec moi du Liban » est répété deux fois dans ce sens : ce n’est pas seulement une promesse, c’est déjà une réalité sacramentelle. Le Liban est la belle montagne d’où sont venus les cèdres et les cyprès qui ont permis la construction du temple de Jérusalem dont les divers parfums préludent au Parfum de l’Esprit-Saint. La métaphore se précise : c’est avec Jésus-Christ que l’Eglise son Epouse vient et viendra des hauteurs sacrées de vie, de beauté et de bonne odeur de l’esprit originel. « tu viendras », est une réalité glorieuse de l’Alliance proposée à Adam, au peuple de l’Alliance avec la Loi et les prophètes puis à toutes les nations par le baptême.

« Tu chanteras de la cime de l’Amara,

de la cime du Chenir et du Hernon »,

De ces trois sommets, l’homme peut voir toute la terre promise. « Tu chanteras »,un futur qui lui aussi commence aujourd’hui, est l’image des célébrations disons divino- humaines de la sainte liturgie depuis l’Ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, jusqu’à la fin des temps. On peut lire en cette image, la prophétie de la nature humaine non seulement sauvée mais élevée aux cieux, en Jésus-Christ, et devenue capable, par l’Esprit-Saint, en l’Eglise, de porter sur Terre, la louange juste . – le « Tu chanteras » peut être la métaphore de l’Eglise quand elle est fidèle à la Vérité, quand elle vit dans l’orthodoxie, ce qui signifie « dans la louange juste », de sorte que le « Tu chanteras » est l’image du programme de l’homme quand il se détourne des ténèbres et revient à la lumière –

« … des repaires des lions, des montagnes des léopards ». C’est là une image de la création dans sa sauvagerie et sa ruse féline, quand par l’esprit de l’homme, se détournant de Dieu, dans l’illusion de se déifier par ses propres forces, elle a sombré dans l’absence de Dieu et dans le règne de toutes les violences afin de survivre dans les abîmes du retrait de Dieu. « des repaires » oriente tout à fait vers l’inverse des hauteurs mais « montagnes des léopards » est plus surprenant. Si « les lions » peuvent être la métaphore de la brutalité gloutonne et paresseuse – un lion dormirait 20 heures sur 24 – « les léopards » sur leur montagne, pourraient être vus comme l’image de la séduction, d’une beauté féline et impitoyable, donnant l’illusion de régner dans les hauteurs illusoires de l’orgueil et des vanités.

« Tu chanteras … des repaires des lions, des montagnes des léopards » est l’image du triomphe de l’amour sur le meurtre, de la beauté sur la brutalité et de la vie sur la mort, déjà acquis en Jésus-Christ et en cours dans l’humanité revenue à la vie dans l’Alliance et dans la Lumière permettant de traverser les forces brutales et prétentieuses des ténèbres.

Verset 9 ( chap. IV )

« Tu m’as touché au cœur,

tu m’as ravi le cœur, ma sœur-épouse,

tu m’as ravi le cœur, par un seul de tes regards,

par un seul serrement de ta gorge »

(Tu m’as ravi : Segond, Crampon…)

(Tu m’as rempli le cœur : André Chouraqui)

(Tu m’as capté le cœur : Zadoc Kahn)

(Tu m’as enlevé mon cœur : Samuel Cohen)

(Vous m’avez blessé mon cœur : Lemaître de Sacy)

(Tu as ôté mon cœur : Jean Calvin)

(Tu me fais perdre le sens : Bible de Jérusalem)

L’étonnant est que Dieu soit ému, comme séduit, et comme transformé par la réponse de la créature à son amour. Dieu comme atteint au plus intime, la « toute proche » devient « ma sœur-épouse ». C’est la prophétie de l’accomplissement de l’Alliance, de l’Amour réciproque de Dieu et de la création. Le « oui » de Marie la Vierge, ravit Dieu. C’est Lui qui devient alors, par Amour, semblable à la créature. Il a uni Dieu et l’homme sans confusion, sans mutation, sans transformation en naissant homme ; or il va plus loin et il ira plus loin dans l’Alliance : il se laisse atteindre au cœur comme un amoureux par le regard de son amoureuse.

Comment parler du cœur de Dieu, de Jésus-Christ, sans le réduire en quelque sorte en une image de l’homme, Lui qui est Dieu ?

« J’aime Dieu » est moins mystérieux que « Dieu aime » ,car le départ en est la reconnaissance envers la Source de toute vie. Mais Dieu comme un amoureux est tellement troublant que Grégoire de Nysse a mis ce verset 9 dans la bouche des anges, leur faisant dire « Tu as affermi notre cœur ». Or le « Tu m’as ravi le cœur » ou « touché au cœur » est répété deux fois, comme au début du chapitre, le « te voici belle » ! C’est là en souligner la réalité.

Dieu n’est pas le séducteur de sa création. Il demeure, en sa nature, tout-puissant mais de même qu’Il est à la fois transcendant et immanent, Il n’ignore pas la tendresse créée lui qui dit « Je suis doux et humble de cœur ». On pourrait peut être parler de la tendresse incréée dont la tendresse que nous pouvons connaître est l’image, si souvent forte et féconde.

Comment s’étonner que cette tendresse incréée puisse s’émouvoir dès que l’humanité en dépit de tous les sangs versés, de toutes les peurs de tous les autres, des très utiles duretés et ruses dans le monde, ose tourner « un seul regard » vers l’Amour absolument désintéressé qu’Il propose ? « Par un seul de tes regards »: Dieu attendait depuis la fondation du monde ce retournement, cette audace d’un abandon de toutes les sagesses seulement humaines et des violences qui les fondent et les accompagnent. Quelques phrases des Prophètes expriment déjà ce retournement vers la tendresse dans l’Amour. Le choix de Marie la Vierge, et le fait que dès trois ans, elle ne s’est plus retournée en montant les marches du temple, sa vie d’avant l’Annonciation, tout a été en elle, un regard de l’humanité vers Dieu, dans l’Amour. Et quand elle dit à Saint Séraphin de Sarov « Il est de notre race » elle sous-entend que chaque saint comme lui, a été à son tour, un regard amoureux tourné vers Dieu.

« par un seul serrement de ta gorge » Si on lit les écrits des rares mystiques qui ont écrit, n’est-il pas évident que la tendresse incréée de Dieu a été « touchée » et même attendrie, par la sobre et sainte et forte émotion de ces hommes et de ces femmes, chacun dans leur solitude, secoués par la joie sans cause mesurable, dans l’Amour.

« Tu m’as touché au cœur

tu m’as ravi le cœur, ma sœur-épouse,

tu m’as ravi le cœur, par un seul de tes regards,

par un seul serrement de ta gorge »

Cette métaphore peut être contemplée comme celle du Verbe de Dieu amoureux, dont la tendresse incréée peut enfin s’allier à la tendresse créée, en quelques-uns; elle peut être vue comme la métaphore de l’humanité qu’Il a voulu libre et qu’Il appelle à revenir à lui, en l’Amour. Le « seul serrement de ta gorge » est l’image de la nouvelle crainte de l’homme nouveau : elle n’est plus tremblement devant le Tout-puissant ; elle est devenu vertige amoureux de la créature.

Verset 10 ( chap. IV )

« Comme elles sont belles tes tendresses, ma sœur épouse.

Comme elles sont bonnes, meilleures que le vin !

et le parfum de tes huiles est meilleur que tous les aromates. »

C’est la reprise des métaphores du chapitre I versets 2, 3 et 4 : « Tes tendresses sont meilleures que le vin », « A l’odeur, tes huiles sont bonnes », « Célébrons tes tendresses meilleures que le vin ».

Elles exprimaient le désir d’intimité avec Dieu à partir des joies de sa Présence en sa Parole et par son Esprit-Saint.

Dieu, comme un amoureux qui fait siens les termes même de son amoureuse, exprimant par là qu’ils se réjouissent l’un l’autre, alors qu’Il est le Père aimant qui donne et la Source de toute existence ; Il est aussi comme un bien aimé qui reçoit autant qu’il donne, qui reçoit l’amour réciproque, la vie qu’Il prodigue et qu’Il propose. – Il est ému comme le poète amoureux qui s’exclame :  » Que le monde est beau, bien aimée, que le monde est beau !  » –

Ces « tendresses » sont celles de la parole de l’homme quand il est libéré des prétentions, des peurs et de l’oubli qui le dénature. L’homme est tendre avec Dieu quand il a découvert et exprimé la Vérité qu’il avait fui comme une amante infidèle. Ces « tendresses » sont l’expression des raisons de son retour par des mots, des gestes et des silences. Elles sont les fruits du repentir.

Ces « tendresses « belles » aux yeux de l’Epoux, peuvent être contemplées à partir de l’affirmation de Jésus :  » il y a plus de joie au Ciel pour le repentir d’un pécheur que pour dix justes. » Elles sont l’image de l’expression du repentir, de la lucidité dans l’Amour retrouvé, de la reconnaissance et de la louange.

Une telle louange non seulement place Dieu à sa juste place dans l’esprit de la créature qu’elle nourrit, mais aussi, elle est joie pour Dieu. Dieu reçoit. La louange, joie de la créature revenue dans l’Amour, réjouit Dieu. Quel mystère !

« Comme elles sont belles, tes tendresses, ma sœur épouse !

Comme elles sont bonnes … »

La tendresse incréée reçoit des tendresses créées la joie de voir se réaliser l’Amour ; de proposition qu’il est, il devient réalité, jusqu’à la fin des temps.

La vraie beauté, dans l’intimité divine, est le fruit de l’esprit de l’homme qui, par le repentir et dans la lumière divine, a retrouvé la louange juste.

« Comme elles sont belles tes tendresses, ma sœur épouse.

Comme elles sont bonnes, meilleures que le vin !

et le parfum de tes huiles est meilleur que tous les aromates. »

Le verset 10 peut être contemplé comme l’expression de la ressemblance entre le Tout Autre, le Créateur et la créature. Le « comme » répété deux fois, en souligne la réalité. L’Amour de Dieu, seul, permet la ressemblance avec Dieu. – C’est ce qui fait écrire à l’Apôtre Paul : si tu n’as pas la charité, il ne sert à rien, même de donner ta vie.- Dieu, invisible, inaccessible à l’intelligence et aux sens de la créature, par le retournement, le tremblement et l’attente amoureuse, devient proche, intime ; et l’homme est magnifié dans l’Alliance retrouvée, imméritée, voulue. La voilà née l’humanité nouvelle en Jésus-Christ : « ma sœur épouse » ; elle est là et elle est le « oui » à l’Amour qui est à germer, mûrir, éclore en tous les appelés. La nature humaine, une par Jésus-Christ, est « sœur épouse ». Elle est aussi à rejoindre en personne afin que l’Amour ne soit en rien imposée à la créature par le Créateur dans toute sa puissance – Il est à remarquer que l’Amoureux, le Fiancé, l’Epoux, Nouvel Adam, ne reprend pas les paroles extasiées d’Adam « elle est chair de ma chair ». C’est que « la sœur épouse » devenant l’intime de Dieu dans l’Alliance, n’est en rien Dieu par nature – « Le mystère est grand » dit Saint Paul ; la pensée et les mots humains sont dépassés ; « ma sœur épouse » est l’icône de la proximité réelle de Dieu dans l’Amour. Et l’expression « tes tendresses » peut être lue comme l’image des saints d’hier, d’aujourd’hui et de demain, jusqu’à la fin des temps.

L’esprit des saints ajoute à la beauté de la création. L’humain est transfiguré, dans la foi, l’écoute et le travail patient. Dès lors, jusqu’à la fin des temps et au-delà, toute la création visible va vers la plénitude. Ceci non dans le champ des pouvoirs, des peurs et des violences qui réduit l’homme depuis Caïn, mais dans le champ de l’Amour, fondement du visible que l’homme a été appelé depuis l’origine, à regarder et à élire la création pour l’élever vers Dieu .

« Comme elles sont bonnes » (tes tendresses)

Ces « tendresses » sont les louanges et les adorations des saints que l’Apocalypse décrit (7, 2-12) et où il est dit : « Ils se tenaient devant le trône et devant l’Agneau, revêtus de robes blanches et des palmes dans leurs mains.

Et ils criaient d’une voix forte, en disant : le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l’Agneau. »

Ces « tendresses » plaçant l’homme dans l’Amour, nourrissent son esprit et plaisent à Dieu non pas comme des marques de soumission, mais comme les signes de l’Amour devenu à nouveau, comme à l’origine, le centre et le fondement de tout ce qui vit. Comme le fils prodigue de la parabole, les saints savent, après avoir exploré toutes leurs vanités, que rien en dehors de l’Amour de Dieu n’a de sens ; ils le disent, et ils sont ainsi comblés. Tout alors, paroles, silences, joie, devient « tendresses ».

Dieu les perçoit « meilleures que le vin » et par là, il ne condamne ni n’anéantit les œuvres de la nature et du travail des hommes dont le vin est l’image. Il ne réduit pas à rien les pouvoirs prodigieux des hommes en leur travail, ni les civilisations. Il les met à leur juste place, à la seconde place. Les sciences, les arts, les jouissances et les pouvoirs du visible et du sensible ont leur valeur propre et préparent la Jérusalem céleste où l’homme deviendra co-créateur. Mais dès aujourd’hui, ils ne prennent leur sens que dans l’Amour de plus en plus conscient et désintéressé de Dieu.

« et le parfum de tes huiles, est meilleur que tous les aromates »

Depuis le début du Cantique des cantiques, tous les parfums préludent, annoncent et préparent le parfum de l’Esprit-Saint sensible à l’esprit réveillé, dont l’odorat est comblé. (I – verset 3)

« le parfum de tes huiles » est le parfum de sainteté : l’esprit des saints est devenu vivifiant. Il est revenu à la Lumière par la pénitence, la prière et les sacrements et il s’est ouvert à l’impossible : « le désir de l’absolument Inaccessible ». Ainsi a-t-il su, dans « les larmes de la componction » précisent les Pères, devenir l’hôte de l’Esprit-Saint. Et tout comme Lui, tous ces saints ont pu rendre sensible à l’esprit des hommes qui sont venus vers eux, le Royaume dont ils avaient oublié l’existence : ils les révèlent à eux-mêmes et leur communiquent la force de chercher le sens de leur vie à partir de leur juste place.

Ce parfum de sainteté sensible à l’esprit réveillé du coma et de l’anorexie qui le gommait au profit du psychisme envahissant, est reconnu par Dieu l’Amoureux, comme meilleur que tout ce qu’a inventé l’homme pour découvrir sa vraie stature. « Les aromates » en effet, sont l’image de toute parole, œuvre et silence qui élèvent l’homme au-dessus de la condition seulement animale. « Les aromates » sont les multiples aspects de l’humanisme, sciences, arts, techniques. Et si l’esprit de sainteté est meilleur que les plus belles et les plus nobles réalisations de l’homme, c’est que toute pensée, toute justice et toute œuvre ignore la plénitude à quoi la création aspire et, dans le meilleur des cas, la remplace par les efforts minutieux et ininterrompus d’une marche vers un horizon qui s’éloigne et dont on ne parvient pas à élucider le sens.

L’humanité n’est-elle pas comme un jeune homme qui ignore que l’amour existe, car il n’en finit pas de se disperser selon les désirs disparates de sa vitalité en germe ?

Et il est bon sans doute, de contempler le verset 10 :

« Comme elles sont belles tes tendresses, ma sœur épouse.

Comme elles sont bonnes, meilleures que le vin !

et le parfum de tes huiles est meilleur que tous les aromates. »

comme la métaphore de la révélation à elle-même, de l’amoureuse sous le regard de l’Amoureux, Dieu ; par ce regard, l’humanité voit où la mène le meilleur d’elle-même ; elle découvre sa vraie beauté et sa fécondité. Dans l’Alliance, la juste place de la créature est révélée, approuvée, soulignée par Dieu qui s’en réjouit. La déification commence.

Verset 11 ( chap. IV )

« Tes lèvres, épouse, distillent le miel ;

Le miel et le lait sont sous ta langue

et le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

Les « lèvres » et la « langue » permettent la prononciation, l’expression de la pensée, la parole. Il ne s’agit pas de leur beauté mais de leur efficacité. Il est donc question de l’esprit, car c’est bien l’esprit qui manifeste le verbe.

« Tes lèvres, épouse, distillent le miel »

Quand l’ Alliance est effective, quand l’humanité est bien « l’épouse », la parole de l’homme est en harmonie avec le Verbe incréé ; il n’y a plus de dualité. Il n’y a pas non plus fusion, engloutissement puisqu’il est dit « tes lèvres… …distillent. ». L’esprit vivifié dans l’Alliance et par l’Alliance, n’est plus endormi, oublié, encore moins passif. Il distille ; c’est dire, il transforme afin de produire le meilleur, l’esprit du miel pourrait-on dire. Il propage le désir et ainsi il rend possible la joie. L’esprit créé est devenu vivifiant. Il participe à la marche ascendante de la création vers Dieu.

Tes lèvres et non ta bouche. Ce pluriel est important, signifiant. L’esprit créé est plusieurs, quand a été dépassée toute dualité, quand l’un n’est plus le rival de l’autre. C’est alors qu’il vit, devient actif, participe à la création. Comment ne pas voir là, l’image de la multitude des personnes saintes, car la personne est sainte ou elle n’est pas. « Tes lèvres, épouse, distillent… » gagne à être contemplée comme l’image des personnes révélées à elles-mêmes en l’unité de la nature humaine en Jésus-Christ et qui, aussi irremplaçables l’une que l’autre, ont laissé les dualités du monde et son dynamisme, pour la participation effective à la création dans l’Amour.

« Tes lèvres » sont donc tous les saints passés, présents et à venir, dans leur singularité irremplaçable et leur communion, ce sont en particulier, les Pères de l’Eglise dans leur enseignement. Ils sont devenus personnes vivantes, car ils ont été nourris par ce miel qui est selon les traductions « le miel coulant », le « miel en rayon », le « miel vierge » ou même « la gelée royale ».

Or le miel dans la tradition vivante est la nourriture des parfaits, le lait étant celle des nourrissons que sont les baptisés non encore tout à fait conscients de leur résurrection. Et dans le paradis retrouvé couleront « des fleuves de lait et de miel ».

Ce miel vierge obtenu sans qu’il soit besoin de broyer ou d’écraser un rayon est la nourriture donnant la vie, dans la suavité et la douceur. Cette nourriture de l’esprit est la Parole de Dieu comme l’a souligné Jésus au désert. Ce miel vierge en est donc l’image, quand elle se fait nourriture, grâce, don gratuit par débordement d’Amour .

« Tes lèvres, épouse, distillent le miel » est l’image des esprits des saints et des Pères : ils ne se contentent pas de transmettre la Parole ni de la diffuser, ilsl’humanisent, ils la singularisent sans aucunement la dénaturer – elle reste Parole de Dieu – de sorte qu’elle peut baigner ceux qui ne sont pas des « athlètes de l’esprit » et leur faire humer et assimiler autant qu’il leur est possible, la nourriture de plénitude, de douceur, de suavité et vivre ce que le psaume nomme « la sobre ivresse de l’esprit ». De même que le Verbe incréé s’est fait homme pour se donner en nourriture, le verbe créé, par grâce et dans l’Alliance, est déifié. Si les Prophètes déjà, savent que l’Esprit-Saint parle par leur bouche, les saints de la Nouvelle Alliance ressentent qu’ils deviennent des vivants quand l’Esprit-Saint et la Parole de Dieu débordent de leur cœur comblé : ils se sont découverts aimés en personne ; leur nom unique et irremplaçable est « inscrit dans les cieux ». Ils sont dans la joie à quoi les premiers disciples envoyés en mission par Jésus, ont été invités.

« Le miel et le lait sont sous ta langue »

Remarquez l’inversion : « le miel et le lait » et non pas « le lait et le miel » correspondant à la croissance de l’esprit, le lait quand il est petit, le miel quand il est adulte. C’est que « le miel vierge » reçu, le miel nourriture, la Parole de Dieu nourriture de l’esprit dans le « oui » de l’Amour, transfigure et la parole et l’esprit des saints. Et l’homme alors seulement, peut donner « le lait »,c’est dire de quoi commencer à nourrir des esprits anorexiques. L’expression « Le miel et le lait sont sous ta langue » peut être contemplé comme la métaphore de l’Eglise devenue capable par la bouche de ses saints et selon la grâce qu’ils ont reçue en personne, de nourrir ou plutôt réanimer des hommes. Et s’il est précisé « sous ta langue » c’est que la vérité est une et que de cette unité seule, provient « le lait », la nourriture de l’humanité quand elle revient à la Lumière. Le « sous ta langue » précise que cette Vérité plénière, une, est à découvrir au plus intime, au plus profond, à la racine même de l’esprit amoureux, et non dans les constructions intellectuelles ou des pratiques physiques ou des exercices de méditation.

« et le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

La métaphore note une ressemblance et un devenir. Le parfum est invisible, le parfum s’élève, le parfum se diffuse partout, autour, le parfum unit le sol à l’air, le parfum allège le visible. Il peut être l’image de la prière quand elle ne pèse plus, quand elle est devenue louange. « Le parfum de tes vêtements » peut être entendu comme le parfum de l’esprit sanctifié. Mais il est précisé « de tes vêtements ». Ils ne peuvent être que les « vêtements » retrouvés après toutes les nudités, sinon ils ne seraient que le parfum du corps ou le mélange de divers aromates. Adam et Eve se sont découverts nus, se sont cachés, ont utilisé les feuillages de la nature extérieure et ont été livrés au temps qui passe. Dans l’alliance, l’humanité a été invitée à revêtir « la Loi et les Prophètes » jusqu’à découvrir la pérennité des nudités dont les racines sont dans le cœur de l’homme d’où elles viennent, car c’est jusqu’au cœur que l’homme a été dépouillé de la gloire divine.

Et les « vêtements » dont le parfum réjouit le Bien Aimé, Dieu, sont plus que les vertus à quoi invitent la Loi et les Prophètes. Ils sont ce qui permet la ressemblance avec Dieu, à quoi est invité l’homme et dont il retrouve le goût, la possibilité et le chemin en l’Alliance accomplie en Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint. -Comme le fait éprouver la divine liturgie et en particulier celle de la présentation de la Vierge au Temple, « le Cantique des cantiques » est éminemment prophétique – Ces « vêtements » sont nommés lors de la triple procession du baptisé autour du baptistère quand il est chanté : « Nous avons revêtu le Christ » et quand il est rappelé dans la parabole du banquet que la « robe de noce » est nécessaire. De plus à partir des ténèbres, image de toutes les nudités, lors de la nuit de Pâques, il est proclamé trois fois « Lumière du Christ ».

Voilà bien ce que sont ces « vêtements », ils ne sont faits ni de main d’homme, ni de quelque emprunt à la nature visible ; ils sont les lumières venues de la Lumière vers laquelle s’est retournée l’humanité dans l’Alliance à nouveau possible, car elle est réalité à rejoindre en la Personne du Christ unissant en Lui sans confusion, ni mutation, Dieu et l’homme. Et si « vêtements » est au pluriel c’est que ces lumières à nouveaux vivantes et transfigurées sont aussi nombreuses que les personnes créées appelées puis élues à partir du « oui » à la grâce.

« Le parfum de tes vêtements » est l’image de tous les saints et en particulier de ceux que l’on peut contempler sur les fresques et les icônes où l’auréole d’or est le signe de la Lumière incréée quand elle a été désirée, reçue, aimée jusqu’à unir le visible à l’invisible en « un parfum agréable à Dieu » qui a montré l’inanité de tous les sacrifices. – on peut opposer le parfum, remarquez le singulier, à toutes les puanteurs de tous les sangs versés, illusions de toutes les idolâtries – Dans ce sens, il apparaît évident que seule la lumière divine enlève l’homme à toutes ses nudités.

« le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

Nous connaissons ce « comme » de la ressemblance. La bien-aimée, l’humanité revenue à l’Amour, l’Eglise à nouveau tournée vers la Lumière, est revêtue de la gloire de Dieu « Revêts-moi Seigneur de la puissance et de la lumière que j’ai perdues par la prévarication de notre premier père Adam… » prie le prêtre en revêtant l’étole. Et la divine liturgie invite à vivre ce Mystère de l’Eglise.

« le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

Le Liban, au-dessus de la Terre promise est le plus beau, le plus haut, le plus riche en parfums puisqu’il a fourni les parfums du Temple, « cèdres » et « cyprès ». Il est la source de tous les parfums. Le Liban est la métaphore avec tous ses parfums, de l’Esprit-Saint, de sa venue et de son immanence.

« le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

est une image de la grandeur de l’homme en tous ses saints, l’esprit de l’humanité aimante et bien aimée, s’élève de la terre au Ciel et remplit tout le visible du plus pesant au plus léger, comme l’Esprit-Saint descend du Ciel sur la terre et remplit tout, comme nous le chantons lors de chaque liturgie.

L’humanité quand elle a, à nouveau, des oreilles pour entendre et des yeux pour voir, peut contempler sa magnifique destinée d’Epouse et la fécondité de sa déification dans la métaphore :

« Tes lèvres, épouse, distillent le miel ;

Le miel et le lait sont sous ta langue

et le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban »

Verset 12 ( chap. IV )

« Un jardin clos est ma sœur épouse, une onde close,

une source scellée »

C’est à l’évidence la métaphore de la virginité. La « sœur-épouse » est vierge et l’Amour qui lui vaut d’être épouse la laisse intacte.

L’Amour de Dieu préserve l’intégrité de la créature. Dieu est présent au cœur et là est le Royaume mais sans qu’il y ait eu la moindre transformation, la moindre effraction, la moindre porte. Le Créateur n’impose rien à la créature, ne s’impose pas, l’invite à une béatitude où elle devient parfaitement elle-même. L’Amour de Dieu, effectif, réalisé en l’Eglise ne soumet pas la créature à Dieu, cet Amour la magnifie au contraire. Cet Amour pur, désintéressé, parfait, ne procède en rien d’un désir de possession. La bien-aimée par l’Alliance est déifiée mais pas divinisée, pleinement humanisée au contraire, trouvant dans l’intimité avec Dieu, l’accomplissement de la création, la proximité, la ressemblance qui n’en finira pas de se parfaire mais qui ne deviendra jamais fusion, ni confusion.

« Vous êtes des dieux » dit le psaume, mais la tradition précise, par Alliance et non par nature ; on pourrait ajouter par Alliance comme conjugale, mais parfaitement désintéressée – alors que dans le couple homme, femme, l’amour est fragile ou tumultueux car il est plus ou moins possessif, prise de pouvoir ou soumission –

« jardin clos » « onde close » « source scellée »

« Un jardin clos est ma sœur épouse », est l’antinomie qui révèle les limites de la métaphore conjugale en ce qui concerne l’Amour de Dieu et de la créature.

C’est que l’amour conjugal aussi personnel soit-il, aussi conscient soit-il du mystère de la personne, de l’autre, n’échappe pas à la fêlure de l’esprit venue de l’oubli de Dieu et qui fait que la femme amoureuse se livre à la domination de son bien-aimé et vice et versa. – il devient son maître et elle devient sa maîtresse dit-on, en français – L’Amour de Dieu n’est en aucune manière possession, ni transformation de la nature de la créature. Dans l’Amour, Dieu continue à lui dire : « te voici belle » et « va vers toi ».

« Une onde close ». Rien de moins clos qu’une onde. L’onde qu’elle soit liquide ou visible, va sans jamais finir. On peut voir là l’image de l’esprit . « onde close », il n’est pas englouti par l’Esprit de Dieu ; il n’est pas comme un fleuve absorbé par l’océan. Bénéficiant de l’Alliance, déifié par l’Alliance, l’esprit de l’homme demeure en son intégrité. L’humanité devient qui elle est pour l’Autre tellement proche qu’est Jésus-Christ.

La répétition de l’adjectif « clos » insiste sur le fait que l’Eglise devient l’Epouse à jamais vierge de l’Agneau, comme le dit le diacre à la prothèse. Dieu aime l’Epouse en personne et en ses multiples personnes que sont les saints en leur singularité et leur béatitude.

« source scellée ». L’image est encore plus forte. Le sceau mis sur la source, semble la vouer à l’inutilité. Il n’en est rien : l’humanité à nouveau source de vie, en les esprits des saints, ne saurait être scellée pour Dieu qui a créé l’homme libre. La source est scellée par l’esprit de l’homme, et Dieu respecte ce sceau. Il ne s’impose pas. Il devient l’hôte du cœur de l’homme, seulement quand Il est désiré, invité. – On dit de l’Esprit-Saint qu’il est comme un mendiant, infiniment patient qui attend que le cœur de l’homme s’ouvre – Et si l’expression est « source scellée » ,et non seulement porte close, c’est que Dieu respecte absolument la décision de l’homme.

« Source scellée » l’image en dit bien davantage. « Source scellée » le jardin reçoit, l’onde va, la source donne. Qui donne ? « Le Père seul est bon » dit Jésus. Le Père est la source de tout ce qui vit.

Comme le Père, l’Eglise donnerait ? Elle est « source » mais « source scellée » par le fait qu’elle est créature. Elle est pourtant source : Elle ne fera pas que transmettre . Si elle est source aux yeux de l’Epoux, c’est qu’elle créera ; elle est appelée non seulement à transmettre la vie – une mère ne donne pas la vie, elle la transmet – mais à donner de la vie, à la ressemblance du Père. L’humanité sera co-créatrice quand source, elle ne sera plus scellée, plus limitée par sa condition de créature, quand elle sera toute entière déifiée.

La « source scellée » peut être contemplée comme la métaphore de l’homme appelé à devenir co-créateur et qui prépare jusqu’à la fin des temps, ce prodigieux destin qui n’aura pas de fin car le Créateur est sans limites. La source de vie est à venir et se fortifie dans l’Amour. C’est ainsi que dans l’Apocalypse, l’Histoire humaine est vue comme une gestation du Fils de l’homme jusqu’à la fin des temps qui verra naître en sa perfection et en son unité, l’homme nouveau, créature abreuvée de la Lumière, libérée de ses ténèbres et de ses limites, vivant.

« Un jardin clos est ma sœur épouse, une onde close,

une source scellée »

peut être contemplée comme la métaphore de l’Eglise, Epouse intacte dont les fruits sont les saints jusqu’à la consommation des siècles, et dont le fruit majeur à la fin des temps, sera l’humanité elle-même, Epouse du Créateur dans l’Amour désintéressé, sans aucune ombre de soumission ou de possession.

Verset 13 ( chap. IV )

« Tes élans sont un paradis de grenades

avec le fruit suprême, cypres et nards »

On avait « tes tendresses », c’est maintenant « tes élans ». L’Amour n’est pas seulement douceur, il est aussi feu,  » que ton amour brûle les profondeurs de mon cœur » prie le prêtre en revêtant la chasuble, avant chaque célébration. Cet Amour n’est pas l’Idée d’Amour. Il est bien réel. Il enflamme tout l’être créé. Il est fougue. Et il ignore la satiété car le Bien Aimé, Dieu est sans limite.

De sorte que cet Amour comble chaque fois au-delà de ce qu’on pourrait attendre. Il est chaque fois « un paradis », « de grenades » précise le divin Epoux. Or il avait dit à la fiancée : « Ta tempe est comme une tranche de grenade sous ton voile ». Maintenant qu’elle est l’Epouse, elle n’est plus limitée par « le voile », image de la condition de créature, puisqu’elle est déifiée : humano-divine, elle connaît la béatitude quand elle se laisse vivre l’Amour. Les « grenades » de ce « paradis qu’elle devient, Vierge féconde comme l’a souligné le verset 12, sont les saints dans leur nombre, leur variété et leur personne irremplaçable. Chacun , ayant traversé ses déserts, peut offrir des trésors de fraîcheur et de saveurs inattendues.

« Le fruit suprême » est l’image de la joie la plus grande. L’humanité la connaît, en l’Apôtre Paul quand « ravi au troisième siècle » il entend « des paroles indicibles », et en de nombreux autres saints après lui.

« Tes élans sont un paradis de grenades

avec le fruit suprême, cypres et nards »

On voit parfois peint dans des églises, un œil, celui de Dieu. C’est un regard inquisiteur, une projection du côté juge inquisiteur de l’homme, une image du remords et de la culpabilité qui sont du théâtre que se joue l’homme dans ses déboires.

Ici, tout à fait à l’inverse, Dieu amoureux regarde l’humanité, son amoureuse, et se réjouit de sa joie. De plus, loin de humer des sacrifices qu’on brûlait sur des autels, il reçoit en odeur de suavité, les parfums de sainteté.

« cypres et nards » sont les multiples saints. Les cypres ont des grappes odorantes qui préfigurent les fruits à mûrir à la consommation des temps. L’humanité par ses saints, en est aux feuilles et aux fleurs. Les fruits seront pour les temps eschatologiques. Les parfums de sainteté, sont les prémices de l’accomplissement. – Dans le chapitre I, nous avions lu : « mon bien aimé est pour moi un grappe de cypre des vignes d’Engaddi » (v. 14) – Et la contemplation de : « mon nard exhale son parfum » (I, 12) – nous avait conduit à voir dans le nard, l’image de l’esprit revenu à la vie dans l’Alliance.

« cypres et nards » métaphore de tous les saints, nous invite à voir en eux, l’humanité quand, ayant retrouvé la place de l’esprit et de la prière pour le nourrir et lui permettre de grandir, elle est à nouveau à sa juste place,  » hâtant le venue glorieuse du Christ » et l’accueil de l’Esprit-Saint .

Verset 14 ( chap. IV )

« nard, safran, acore et cinnamome,

avec tous les arbres d’encens,

myrrhe, aloès, avec toutes les essences d’aromates »

Par la bouche des prophètes, Dieu dit à son peuple qu’il n’a que faire de l’odeur de sang versé, de l’odeur de graisse brûlée sur l’autel et de tous les fumets de tous les sacrifices, mais qu’il veut la justice, prémice de l’Amour. Là dans « le Cantique des cantiques », Il énumère tous les parfums de la terre, utilisés par l’homme sur ses autels et dans ses sépultures, parfums de grand prix, parfums variés qui ont uni, autant qu’il leur était possible, le visible à l’invisible, le créé à l’incréé. Cette variété de parfums agréables à Dieu est la métaphore de la beauté du visible tourné vers l’invisible, à nouveau justement orienté vers la source de vie, en l’humanité revenue à l’Alliance, à l’Amour selon l’esprit vivant et le cœur purifié de toute peur.

Ce bouquet des parfums de toute la terre est donné à l’Epouse qui a entendu, reçu, vécu l’invitation « Te voici belle, … » (IV, 1). L’Offrande est celle de Dieu amoureux : elle est grâce, force et hommage à la créature revenue à la vie dans l’Amour, vie sans plus aucune trace de suffisance, sans l’oubli de Dieu, et vie originelle à nouveau, sans la mort car la myrrhe est l’icône de l’ensevelissement et de la résurrection.

« nard, safran, acore et cinnamome »

Les mots sonnent comme un carillon de victoire. Le singulier employé, alors qu’il s’agissait du pluriel dans le verset 13, souligne que c’en est fini de la dispersion dans les antagonismes, que la nature humaine ,une en Jésus-Christ, Verbe de Dieu descendu sur terre, est appelée à devenir une en l’Eglise, au fur et à mesure de son avancée et de sa croissance en l’Amour désintéressé.

Le nard peut être lu comme l’image de l’esprit vivifié dans l’intimité divine (cf. I, 12); le safran comme la métaphore de la ressemblance avec Dieu dont le jaune étincelant comme l’or est le symbole ; l’acore, roseau odoriférant, comme l’emblème de l’Egypte intérieure revenue à la simplicité de l’offrande et de l’esprit de pauvreté qui ouvre au royaume de Dieu dans le cœur à nouveau vivant ; la cinnamome comme la musique de l’âme libérée du poids des prétendues transcendances et de toute idolâtrie par la première place donnée à l’esprit.

Est-il permis d’aller jusqu’à dire : Dieu l’Amoureux voit l’Eglise et l’admire ? Il ajoute et il précise, après cette énumération au singulier : « avec tous les arbres d’encens » . Or l’encens est l’image de la prière, et il est béni par les célébrants qui précisent : « Que le Seigneur allume en nous le feu de son Amour et la flamme de l’éternelle Charité ». Et « arbres » est non seulement au pluriel, mais il s’agit de « tous les arbres », c’est-à-dire de toutes les églises, avec chacune ses formules, ses gestes et son rituel, dans l’unité de la foi. Chaque Eglise peut-être regardée comme un arbre d’encens dont le parfum reçu par Dieu, contribue à magnifier l’homme dans sa belle diversité.

« myrrhe, aloès ». Nous proposons chemin faisant, des directions de contemplation qui ne prétendent pas être les seules et qui n’épuisent pas le Poème. – Or la myrrhe offerte par les mages venus de toute la Science de Babylone, est l’image de l’humanité et de la sépulture de Jésus-Christ. (cf. I, 13). Aloès a le sens, de bois d’aloès, sans doute ce bois parfumé venu d’Asie orientale. Ces deux parfums peuvent être reçus comme l’image de l’unité de l’homme de toutes les civilisations, jusqu’aux plus étranges et lointaines, gagnée par l’Incarnation du Verbe de Dieu et par son Ensevelissement qui prélude à sa Résurrection faisant de Lui, comme le souligne la divine liturgie, « l’Agneau » ayant l’Eglise pour épouse.

Tout l’humain venu du plus lointain de l’espace, du temps et des œuvres, trouve son sens en cette unité de la nature humaine gagnée en Jésus-Christ.

« Avec toutes les essences d’aromates »

Les aromates sont œuvres de l’homme. Les « aromates » sont la métaphore du meilleur parmi les œuvres qui élèvent l’homme au-dessus des nécessités terre-à-terre, comme un parfum qui se diffuse et se donne ; métaphore aujourd’hui de « l’humanisme ». Mais « les essences d’aromates » ne sont-elles pas précisément tout ce qui est recherche des fondements de tout humanisme, recherche authentique du sens ? « Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Où allons-nous ? » est le titre d’un grand tableau de Gauguin. Ce genre de questionnement ouvre l’esprit à la beauté future de l’humanité sauvée.

« Tous les arbres » c’est toutes les Eglises, « toutes les essences d’aromates » c’est toutes les civilisations dans leur quête et dans leur variété.

« nard, safran, acore et cinnamome,

avec tous les arbres d’encens,

myrrhe, aloès, avec toutes les essences d’aromates »

Ainsi le verset 14, peut-il être proposé comme l’image de la splendeur de l’humanité, Epouse revenue à l’Amour de Dieu, en marche vers l’unité possible en Jésus-Christ et vers la plénitude en la diversité des quêtes, des œuvres et des civilisations.

Verset 15 ( chap. IV )

« Source des jardins, puits d’eaux vives

et ruisselantes du Liban »

La « sœur-épouse », l’Eglise demeurée intacte dans l’Alliance comme il a été précisé au verset 12, est vierge féconde : la « source scellée » n’en est pas moins « source des jardins, puits d’eaux vives ». Le verset peut être entendu comme adressé par l’Esprit-Saint à Marie la Vierge : par son « oui » désintéressé, sans mélange, aux paroles de l’Ange, lors de l’Annonciation, elle permet en son corps et son esprit, la conception du donateur « d’eaux vives » qu’est le Verbe de Dieu, Jésus-Christ. Lui-même dira à la Samaritaine, près du puits de Jacob : « quiconque boit de cette eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif. L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source qui jaillira jusqu’à la vie éternelle » (Jn. 4, 13-14)

Ces lignes du verset 15 sont la prophétie de Marie la Vierge appelée à devenir la Mère de Dieu , la Théotokos, et la prophétie de son acceptation lucide et libre dans l’Amour de Dieu. Les « eaux vives » sont les paroles du Verbe de Dieu fait homme. Elles enlèvent à la mort, l’esprit de ceux qui croient en Lui. « Eaux vives », elles ouvrent l’esprit de l’homme à l’Esprit-Saint qui le vivifie et lui donne le pouvoir de devenir vivifiant s’il cultive cette foi, en toute conscience.

L’humanité en Marie, devient « source des jardins » car ainsi les « jardins » reprennent vie alors que depuis l’oubli et le refus de l’Amour de Dieu en Adam, toute réalisation humaine allait se perdre dans le désert de l’usure et de la mort, de sorte que l’originel jardin , le paradis perdu, donne place à ces multiples jardins à nouveau voués à la vie, que sont les Eglises et les personnes.

« Source des jardins, puits d’eaux vives » est aussi la prophétie de l’Eglise dont la Vierge Marie est le prélude et le flambeau à jamais vivant et fécond, en l’esprit renouvelé de l’homme. L’Eglise « puits d’eaux vives » par le baptême qui fait passer l’homme de la condition mortelle à la naissance en la résurrection, par les sacrements qui renouvellent ce passage et par les larmes de la componction, de la lucidité douloureuse et de la joie du pardon, permet le désir et l’accueil de Dieu. L’Eglise est « source de jardins » quand elle baptise les nations et permet la diversité des personnes et des Eglises locales en l’unité de la foi en l’Alliance en Jésus-Christ, et par l’Esprit-Saint. L’unité dans la diversité devient alors une réalité féconde.

Et ces « eaux vives » sont dites « ruisselantes du Liban ». Le Liban, la montagne qui surplombe la terre promise lui fournit l’eau et les parfums de la grandeur, de la majesté et de l’élévation.

« Puits d’eaux vives et ruisselantes du Liban », l’image est osée. Les « eaux vives » sont-elles du « puits » de la « source » qu’est Marie la Vierge, puits que devient l’humanité, ou viennent-elles avec force et fougue, du « Liban », c’est dire d’en haut ? La métaphore nous met en face de l’antinomie : Marie la Vierge et l’Eglise donnent réellement vie sans plus être livrées à la mort et, du même mouvement, reçoivent tout d’en haut, de l’Esprit-Saint. Aucun baptême, aucun sacrement, aucune divine liturgie n’a sa pleine réalité sans l’invocation, l’intervention et l’action de l’Esprit-Saint en Personne, sans « l’épiclèse » précise la tradition . Les « eaux vives sont ruisselantes du Liban » : il n’y a ni formule, ni geste, ni action magique d’initiés.

« Source des jardins, puits d’eaux vives

et ruisselantes du Liban »

Cette métaphore peut être contemplée comme celle de Marie la Vierge dont le « oui » rend l’Alliance féconde et de l’Eglise qu’elle précède, c’est dire de la divino-humanité se découvrant et grandissant par la puissance de l’Esprit-Saint.

Verset 16 ( chap. IV )

« Eveille moi, nord et viens sud !

Souffle sur mon jardin !

Que ruissellent ses aromates !

Qu’il vienne mon bien-aimé et en mange le fruit de gloire »

Magnifiée par le long discours du Bien-Aimé, – il serait bon avant de lire le verset 16, de parcourir et de saisir en leur ensemble, les 15 versets précédents – la « sœur-épouse » découvre une vitalité et une confiance en elle-même qui fait qu’elle échappe à tout enfermement, à toutes les craintes d’autrefois. Du nord, est venu pourtant l’envahisseur, le destructeur, le pillard du temple ; du nord procède le froid calcul de la force conquérante. Et du sud, souffle l’aridité stérile du désert, la chaleur du soleil qui brûle. Pourtant la Bien Aimée, pleine de la parole d’Amour de l’Autre, de Dieu fait homme devenu le tout proche, le doux, l’intime, demande au nord et au sud de venir l’éveiller.

L’humanité, l’Eglise devenue capable d’entendre qu’elle est magnifiée par Dieu en son Amour, se découvre ensommeillée, résignée à trop peu, à tout ce qui enferme, au confort d’une survie sans envergure, dans l’espérance d’une longue vie, d’une innombrable descendance, d’une nation élue, à l’abri de toutes les autres. Et se découvrant ainsi, indigne de l’Amour, dont elle vient de recevoir et de reconnaître l’aveu, elle abandonne toute tiédeur, tout rétrécissement, toute installation. Aimée par le tout à fait Autre, elle ne craint plus rien de tous les autres, ni de ce qui semble détruire, ni de ce qui semble stérile. Elle n’est plus du monde, elle est par la grâce de l’Amour, dans la vie sans la mort ; elle en appelle à un au-delà de la prétendue victoire des Nabuchodonosor ou des sortilèges de toute Egypte. De la vanité de leurs entreprises – Nabuchodonosor règne 70 ans et les pyramides d’Egypte s’ensablent – elle veut recevoir le goût du vainqueur de la vie de l’esprit. Etant passée des craintes de l’âme à la sérénité de l’esprit, elle peut recevoir du calcul froid de toute conquête, la vigilance du veilleur. Et les réalisations prodigieuses qui enferment l’homme dans sa suffisance, elle sait les voir comme une bise non plus stérile dont le fruit est l’ennui ou le désespoir, mais féconde ,dans la mesure où elle est une invitation, dans le domaine à jamais neuf de l’esprit, de ne pas se contenter d’actions, d’œuvres ni de fastueuses gloires mortelles. Aimée et consciente d’être à ce point aimée, illuminée par l’Amour, l’Eglise sainte, ne craint rien, ne condamne rien de la création visible et de ses avatars car, aimante, elle est devenue capable de traverser les erreurs les plus effroyables comme autant d’épreuves salubres. « Eveille-moi »dit-elle en substance, à la violence des hommes aveuglés quand « ils ne savent pas ce qu’ils font » et à celle de la nature dénaturée, livrée à toutes les stérilités de la mort.

« soufflez » sur mon esprit, prodiges, sciences, arts, beauté des hommes satisfaits, voilà ce qu’en fait, elle dit au monde, l’Eglise vivante, car, dans l’Amour, elle a vu « la vanité des vanités » emmener chaque fois des hommes dans leurs impasses alors que dans l’Amour, rien du meilleur de l’homme n’est vain.

« mon jardin » Sensible à l’Amour de Dieu, consciente de l’Amour, savante en l’Amour, quand elle sait qu’hors de l’Amour, tout n’est que parenthèses entre le néant de la conquête et le néant de l’usure, l’Eglise trouve, découvre, élit le fondement de la vie sensible ; le jardin intérieur, le plus intime, la personne créée se retrouve en l’unité de la nature humaine, à l’image des Saintes Personnes de la Trinité. Elles l’ invitent à leur ressembler dans leur communion sans confusion et dans leur parfaite égalité.

L’adjectif possessif « mon » peut bien être entendu comme la notation du mystère de la personne, des innombrables personnes que l’Esprit-Saint, quand Il est entendu, pousse à devenir, au plus irremplaçable, au plus unique, elles-mêmes, dans l’unité de la nature humaine gagnée en Jésus-Christ .

« Que ruissellent ses aromates »

Cette métaphore n’est-elle pas la prière de fond de l’Eglise sainte ? « les aromates » ne sont pas ici les produits de la civilisation industrieuse, mais les saintsdans le parfum de sainteté, par leur union, en personne, à l’Esprit-Saint qui n’a même pas de nom pour ne pas peser, pour que les hommes découvrent le leur. C’est la prière pour l’abondance des saints afin « qu’il vienne mon bien-aimé »

On peut lire ici une prophétie de la venue en gloire de Jésus-Christ quand les temps seront accomplis, quand le nombre des saints, dans leur variété, aura fait du « oui » de Marie la Vierge, celui de la volonté libre de l’homme .

« Le Seigneur va venir avec tous ses saints » est un chant de l’Avent.

Dans cette strophe, l’Eglise L’invite : il n’est pas encore temps. Les « aromates » ne « ruissellent » pas assez. Vous avez remarqué dans l’Apocalypse, c’est une foule innombrable de saints qui vivent dans la joie, la louange et la lumière. Cette foule est innombrable aux yeux des hommes, mais le nombre de ces saints a un sens : il s’accroît jusqu’à exprimer tout l’homme , car en eux tous, il aura librement et consciemment accueilli sa vraie volonté, unique volonté d’aimer Dieu, dont l’Amour ne saurait s’imposer.

« Qu’il vienne… et en mange le fruit de gloire » « j’avais faim et vous m’avez donné à manger » dira le Christ aux justes au jugement de la fin des temps. Est-ce seulement une faim de pain ? « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain mais de la Parole de Dieu ».

Et si Jésus-Christ avait faim de la parole vivante en l’esprit des saints ? C’est ce qui semble être dit en cette ligne « Qu’il vienne… et en mange le fruit de gloire » Dieu a faim et soif de la sainteté des hommes, car en dehors de la sainteté, en l’unité humaine consciemment acceptée et en la diversité des personnes, l’humanité ne peut même pas imaginer aimer Dieu ,et encore moins être aimé de Dieu.

« Eveille moi, nord et viens sud !

Souffle sur mon jardin !

Que ruissellent ses aromates !

Qu’il vienne mon bien-aimé et en mange le fruit de gloire »

Contemplons, si vous le voulez, ce verset en pensant que Jésus-Christ, jusqu’à la fin des temps, a surtout faim et soif du « fruit de gloire » que préfigure la sainteté dans ses multiples aspects, la sainteté de l’Eglise et la sainteté de tous les saints.

Ainsi le verset 16 qui clôt ce chapitre IV du Cantique des cantiques, est la métaphore de la sainte confiance, de la sainte audace et de la prière de l’Eglise consciente de l’Amour, mise au large par l’Amour et fidèle en sa patience, à l’Amour. Dans le dépassement de toute crainte, de tout repli, de tout rétrécissement, l’Eglise s’ouvre à l’Amour de Dieu, se donne.

CHAPITRE 5

Verset 1 :

« Je suis venu dans mon jardin, ma sœur épouse,

j’ai cueilli ma myrrhe avec mon aromate,

j’ai mangé mon rayon avec mon miel,

j’ai bu mon vin avec mon lait. »

Mangez, amis, buvez et enivrez-vous, bien aimés! »

Le Bien Aimé, l’Epoux, Jésus-Christ, répond à l’invitation de l’Epouse, » qu’il vienne mon bien aimé et en mange le fruit de gloire » (4,16). Dieu Jésus-Christ parle à l’Eglise, nouvelle génération dont Il a dit, « cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé ». Il parle donc à l’humanité qui, à la suite des Apôtres et des disciples l’a reconnu selon la réponse de Pierre qui a été leur porte-parole: » Tu es le Christ, fils du Dieu vivant ». L’Alliance dès lors est réalisée : la création visible et le Créateur sont unis sans confusion ni fusion ni mutation.

« Je suis venu dans mon jardin, ma sœur épouse, »

« mon jardin » est-il dit. Le possessif de la première personne est d’autant plus inattendu qu’il est répété huit fois dans le verset. Ce n’est pas seulement le possessif de la tendresse amoureuse, « ma sœur épouse ». C’est aussi et surtout le possessif qui souligne la réalité : l’Epoux est en effet Dieu; il est le Verbe de Dieu et « rien de ce qui été fait, n’a été fait sans Lui » (Jean.1,3) ; de sorte que ces possessifs ne notent pas une possessivité mais une connaissance profonde, celle du Créateur. L’humanité ne lui est pas inconnue et Il ne fait pas que la reconnaître comme Adam a reconnu Eve en s’écriant, « celle-ci est os de mes os et chair de ma chair! » (Genèse.2,23). Le Verbe de Dieu connaît l’humanité depuis son premier jour et jusqu’à la plénitude à quoi Il l’appelle. Le cœur de l’homme, n’a pas de secret pour Lui. Cependant Il lui a proposé de L’aimer et Il se réjouit d’en devenir l’hôte bien aimé, sans le lui avoir imposé en rien.

Comme l’enseigne la Tradition vivante, Dieu s’est retiré pour laisser place à la création, et dans ce retrait, dans cet autre qu’est sa propre création, Il se réjouit d’être librement accueilli par Amour, de sorte qu’Il découvre la créature qu’Il connaît. Il s’est réjoui déjà, de l’accueil des Prophètes, d’Elie et de Jérémie en particulier, car Jérémie préfigure le chrétien exilé, malmené mais demeuré fidèle, dans le monde. Il se réjouit de l’accueil parfait, du « oui » de Marie la Vierge, fruit du peuple de la première Alliance, prémice et préfigure de l’Eglise; elle est l’homme se détournant des vanités pour revenir vers Dieu. Il lui donne alors d’élever le visible et le sensible vers la Lumière qui ne s’use pas et ne s’éteindra jamais.

 » Je suis venu dans mon jardin, ma sœur épouse »

semble bien être la métaphore de l’Alliance réalisée en la création  » à l’image et à la ressemblance de Dieu », en l’humanité sauvée , confiante et amoureuse en tous ses saints jusqu’à l’accomplissement des temps. Ce « je suis venu » est en effet, un inaccompli. C’est à lui que l’Eglise répond et demande ,  » Viens, Seigneur Jésus, viens », pendant les temps de l’Avent où elle écoute les invitations de Jean-Baptiste le Précurseur. Le Bien Aimé est venu, Il vient et Il est à venir. Ce « je suis venu » note la réalité de toutes les théophanies qui ont préparé et préparent l’Amour accompli en cette génération qui a connu et qui connaît en Jésus-Christ, le Messie, l’Epoux ; Amour qui s’accomplira à la fin des temps, « quand Dieu sera tout en tous ».

 » dans mon jardin ». Ce possessif souligne aussi la proximité, la parenté, si l’on peut dire, entre Dieu le Créateur, invisible, inaccessible, incompréhensible à l’intelligence , insaisissable par les sens , et sa créature, l’homme. Dieu est le tout à fait Autre, et en même temps Il est devenu le semblable de l’homme jusqu’à se faire homme en Jésus-Christ, Verbe de Dieu, Dieu. Fils de Dieu, Fils de l’homme, Il est l’Alliance parfaite, Lui Dieu et homme parfait. Il vit l’Alliance sans confusion ni mutation, en sa Personne.

 » Je suis venu dans mon jardin »

est, pour un chrétien, la métaphore de l’incarnation du Verbe de Dieu qui est Dieu . L’expression « ma sœur épouse » souligne à la fois cette proximité et cette Alliance, suggérant que ce sont là plus que des comparaisons, des réalités : la fratrie et le couple, époux, épouse, suggèrent la double et indicible intimité de l’Eglise, avec le tout à fait Autre dont connaître la nature demeure absolument impossible. Le tout proche, le parfaitement parent et intime, est le tout à fait Autre.

Ainsi s’explicite la nécessaire crainte de Dieu –  » Approchez avec crainte de Dieu, foi et amour » est l’invitation proclamée par le diacre, à la Communion.- C’est la crainte de Le perdre en s’approchant de Lui, car le danger est de Le réduire à l’homme, d’oublier qu’il est invisible, insaisissable, inaccessible, incompréhensible. C’est le tremblement amoureux devant le mystère de sa Personne. La crainte dans la foi et l’Amour , permet de ne pas s’approprier Dieu fait homme.

Et c’est bien avec crainte, foi et Amour que « Le Cantique des cantiques » invite à contempler et à entendre:

 » Je suis venu dans mon jardin, ma sœur épouse, »

Le verset 1 continue:

 » J’ai cueilli ma myrrhe avec mon aromate « 

La myrrhe est le parfum de l’ensevelissement et le roi mage qui est venu offrir de la myrrhe à l’enfant Roi et Dieu, avait l’intuition de la mort et de l’ensevelissement du Messie.  » aromate » est au singulier alors que jusque là, dans le Cantique des cantiques, il a été donné à contempler au pluriel. Il ne s’agit plus des multiples parfums de l’industrie humaine, mais de l’aromate dont procèdent tous les aromates.  » mon aromate » dit Dieu fait homme, comme il a dit « ma myrrhe ». La phrase est à recevoir à partir du mystère de la mort librement subie de Dieu homme, en Jésus-Christ.

 » J’ai cueilli ma myrrhe » est la métaphore et la prophétie de la mort et de l’ensevelissement du Messie. Le possessif « ma » souligne que le Créateur de tout et en particulier de la myrrhe, parle. Jésus Dieu ne cueille rien qui ne lui appartienne et s’il le fait, ce n’est en aucune façon par un esprit de possession. L’expression souligne donc qu’Il est parfaitement libre et que c’est librement qu’Il se livre à la haine, à la mort et à l’ensevelissement, Lui qui est Dieu. L’expression « J’ai cueilli ma myrrhe » gagne à être contemplée comme la volonté libre de Dieu de se livrer à la mort pour sauver l’homme de la mort et pour devenir l’ultime sacrifice sanglant, le dernier sang versé sur quelque autel. « J’ai cueilli » suggère en effet, qu’il en est fait de tout sacrifice : aucun n’est plus nécessaire pour se purifier ou s’approcher du mystère de la création et du Créateur.

Dans le jardin de l’humanité parvenue à l’alliance intime avec Dieu, en Jésus-Christ, la myrrhe, image de la mort et de l’ensevelissement, est devenue inutile, a été définitivement cueillie pour laisser seulement son parfum qui monte de la terre au ciel. Et dans l’Eglise, dans l’attente de la consommation des temps, à quoi elle est invitée à participer, le seul sacrifice qui vaille est  » l’offrande pure, raisonnable et non sanglante » du pain et du vin, fruits de la nature et du travail de l’homme, appelés à devenir « par la puissance insaisissable et infinie du Saint-Esprit », le Corps et le Sang de Jésus-Christ, Dieu et homme, nourriture et breuvage de la vie sans la mort.

 » J’ai cueilli ma myrrhe avec mon aromate »;  » mon aromate » au singulier, avons-nous précisé, est le parfum de la création visible, devenu parfait en Jésus-Christ, homme parfait et Créateur. C’est le parfum de l’esprit créé quand, dans l’alliance avec l’Esprit incréé, il s’élève. De sorte que si « ma myrrhe » est l’image de la mort et de l’ensevelissement du Christ,  » mon aromate » est l’image de sa victoire sur la mort, de sa résurrection et de son ascension.

 » J’ai cueilli ma myrrhe avec mon aromate » peut ainsi être contemplée comme l’image de « l’économie » – comme disent les Pères – du Verbe de Dieu se livrant à la mort pour ressusciter. Cette vie terrestre de Jésus-Christ est en même temps une invitation à l’esprit créé de rejoindre ce mystère qui est le Mystère, en s’en approchant ensemble dans l’Eglise, car l’Amour proposé par Dieu ne saurait être imposé et il ne pourrait pas non plus être vécu par imitation ou par l’acquisition d’un savoir.

 » j’ai mangé mon rayon avec mon miel »

Pourquoi Jésus priait-Il ? pour nourrir son esprit d’homme. Or le miel est la métaphore de la nourriture paradisiaque, parfaite, pleine de douceur et de suavité. Et dans cette affirmation, Jésus-Christ, Dieu fait homme, parle dans l’Alliance accomplie. Le miel est, dans le jardin de la  » sœur épouse », la Parole de Dieu, seule nourriture de l’esprit, ce miel est le Verbe de Dieu, Verbe incréé allié au verbe créé en la personne de Jésus-Christ . Le miel qu’Il se réjouit de manger est son miel car Il est Dieu, il est aussi la révélation exprimée par des hommes , la révélation assimilable par des hommes. Et Jésus, l’homme parfait nourrit son esprit d’homme de cette parole devenue divino-humaine. Ainsi de plus en plus, s’humanise-t-il, ce qui a fait écrire aux Pères de l’Eglise,  » en Jésus-Christ, Dieu s’habitue à l’homme ». Dieu fait homme se nourrit du trésor de la révélation qui jalonne le devenir de l’humanité. Non pas qu’Il ait à s’instruire – à 12 ans, il en remontrait aux plus savants des hommes – . Mais Il assume la croissance de l’esprit humain depuis les ténèbres de son Absence et découvre ainsi dans sa chair d’homme, cet autre que demeure l’homme pour Lui : Il l’a voulu à son image et appelé à la ressemblance, mais sans aucunement lui demander de se fondre en Lui. Au contraire, par le feu, la lumière et la puissance de l’Esprit-Saint, Dieu pousse l’homme à grandir en son unité et en la diversité des personnes, vers la perfection.

 » mon miel » peut être lu comme l’image de la parole divino-humaine reçue et élaborée dans l’Amour et dont le Fils de l’homme se réjouit.

 » j’ai mangé mon rayon avec mon miel »

précise qu’il n’a nul besoin de la grâce dont le miel est aussi l’icône. En effet « mon rayon » souligne qu’Il est Lui-même Celui qui donne cette grâce. En retour, Il se réjouit, comme se réjouit le Père dans la parabole du fils prodigue, de la fécondité de cette grâce en l’Amour pur de la « sœur épouse » dont Il avait dit;  » Tes lèvres, épouse, distillent le miel »(4, 11). Il est Celui qui donne et Il se réjouit de recevoir. Dieu plénitude est allé jusqu’à risquer le manque, la faim et la soif du « oui » de la créature Lui revenant librement dans l’Amour. Dieu transcendant, Dieu plénitude s’est limité jusqu’à permettre et demander à sa créature de L’aimer. C’est toute l’histoire de l’Alliance, de l’humanité en recherche du sens de la vie en dépit du scandale de la mort. Dieu plénitude connaît le manque dès que l’homme L’oublie, Le remplace ou Le nie : « trouverai-je la foi sur la Terre » dit Jésus dans l’Evangile. Dieu tout-puissant prend le risque d’être comme dépossédé , comme privé de l’amour de la Bien Aimée. Dieu source de tout ce qui vit, attend d’être comblé dans les temps de la vie des hommes, par le « oui » de l’Amoureuse, le « oui » pur, désintéressé, ouvert à l’Inconnu, au Tout Autre qu’Il est.

 » j’ai mangé mon rayon avec mon miel « 

est la métaphore de la réjouissance de Dieu comme comblé par l’Epouse, l’Eglise revenue à Lui dans l’Amour, sans arrière pensée ni aucun goût de quelque retrait ou distance ; Dieu comblé par la plénitude assumée de la création amoureuse, dans l’esprit et le cœur de l’homme déifié.

 » j’ai bu mon vin avec mon lait « 

 » j’ai soif » a dit Jésus-Christ sur la Croix. Il n’a pas eu soif seulement de ce vinaigre qu’on Lui a tendu, au bout d’une lance, mais Il a eu soif et Il a soif jusqu’à la fin des temps, de la foi des hommes et de la tendresse qui accompagne cette foi dans l’Amour. Sur la Croix où Il est livré aux mépris, aux insultes et à la négation de Dieu qu’Il est, Lui, homme souffrant, Il n’a que la foi d’un des deux criminels crucifiés en même temps que Lui, de l’apôtre Jean et des trois Marie. Il n’a pour réconforter son esprit d’homme à l’agonie, que la tendresse dans la présence attentive de ces cinq créatures. Mais dans la lumière de son économie, mort, résurrection, ascension – car l’Ascension est suggérée par l’image « mon aromate » (5,2) -, Il dit :

 » j’ai bu mon vin ».

Quand l’homme dépasse la nécessité du sang à verser sur les autels ou sur la terre, il commence à découvrir « la sobre ivresse de l’esprit  » , à partir du vin, comme l’a déjà vécu Noé dans sa fidélité. Après le sang versé, vient le vin qu’on offre pour s’approcher de Dieu, du Mystère de Dieu et de la création qu’Il aime. Tel devient le vin pour l’homme. Mais pour Dieu homme, qu’en est-il ? L’image

 » j’ai bu mon vin « 

peut être perçue comme la métaphore de la parole du Crucifié :  » Tout est accompli. » Ce serait la prophétie de l’ultime sacrifice qui clôt tous les sacrifices, et ouvre à l’Amour. Dieu Jésus-Christ se donne, et se donnant jusqu’à mourir, permet à l’homme, au-delà de tous les sangs versés devenus pervers et rétrogrades, d’accueillir en son esprit de créature, l’Esprit de Dieu dont le vin est l’image.

 » j’ai bu mon vin  » est dès lors l’image de la réjouissance de Dieu Jésus-Christ qui a porté à maturité , l’esprit de l’homme en sa Divine Personne, par cet amour jusqu’à la mort . En Lui, l’esprit créé revit, est invité à revivre, n’est plus fade, plus résigné à seulement survivre.

 » j’ai bu mon vin avec mon lait »

On aurait attendu l’ordre inverse car le lait est la nourriture et la boisson des nourrissons, alors que le vin est le breuvage des adultes. Le vin est la force de l’esprit revenu en l’homme par la victoire sur la mort de Jésus-Christ. Une fois qu’elle est acquise, seulement, la dureté de cœur nécessaire à l’homme pour survivre, peut laisser place à la tendresse originelle dont le lait est l’image.

 » j’ai bu…… mon lait « 

dans le jardin de la sœur épouse, dans l’Amour accompli. Dieu impassible, dont l’impassibilité a été soulignée maintes fois par les Pères, les Cappadociens surtout , est Dieu sensible qui apprend à l’homme, en Jésus-Christ:  » Je suis doux et humble de cœur « . Le sensible en Lui, s’allie à l’impassible, et Il s’en réjouit. Il est facile de se souvenir qu’Il est le Créateur de cet échange tendre entre la mère et son enfant. Dieu est tendresse aussi, comme l’homme l’a expérimenté déjà, en Elie le Prophète. Et l’Epoux , Dieu Jésus-Christ se réjouit de l’alliance de la tendresse créée avec la Tendresse incréée dans l’Amour accompli ; l’humanité amoureuse de Dieu abandonne son lourd héritage de dureté à partir de quoi elle bâtit ses civilisations. Dans l’Amour, il n’y a plus la peur de la puissance des autres ni de la Puissance de l’Autre, et la tendresse créée peut cesser d’être seulement un refuge, encore moins un confort craintif. La tendresse du jardin de la Bien Aimée est une force au contraire, car elle s’allie à la Tendresse même de Dieu.  » Père nôtre » dit du plus profond du cœur, le saint, dans l’infinie tendresse qui le pousse de plus en plus, à aimer tout ce qui vit. Ainsi un ours accompagne Séraphin de Sarov et un loup, François d’Assise. Ces animaux farouches dont la peur et la violence sont les moyens de survivre, ont senti qu’il n’ y avait plus une trace de crainte ou de méfiance, en ces hommes.

 » j’ai bu mon vin avec mon lait »

peut certainement être contemplée comme l’image de la joie de Jésus-Christ, joie de Dieu fait homme abreuvé par l’esprit vivifié et la tendresse renouvelée de l’humanité libérée de ses démons et parfaitement amoureuse dans la confiance revenue.

 » Mangez amis, buvez, et enivrez-vous, bien aimés. »

Cette invitation préfigure celle de Jésus-Christ qui est contenue dans les phrases que rapporte l’Apôtre Jean dans son Evangile (Jn 6, 54) :  » Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle  » et (Jn 6,56 ) « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. ». Dans ce verset du  » Cantique des cantiques » est prophétisée la jubilation de Jésus-Christ et de tous ceux qui, par Lui, participent à la vie éternelle. Cette dernière ligne du verset 1 peut bien être lue comme la prophétie de la communion au Corps et au Sang de notre Seigneur Jésus-Christ pour ceux qui entendent cette réalité car ils ont expérimenté et reconnu que  » c’est l’esprit qui vivifie ». Ils savent que cette invitation est proposée à ceux qui éprouvent que ces paroles de Jésus-Christ sont « esprit et vie (Jn 6, 63). Et s’ils acceptent et vivent ce Mystère des mystères, ils deviennent les « amis » et les « bien aimés » que le Christ connaît par leur nom, comme Il le souligne quand il affirme ,  » Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14 ) . C’est cette allégresse partagée, allégresse de Dieu et allégresse de la création comblée dans l’Alliance accomplie , que l’Eglise propose et rejoint dans la divine liturgie et plus particulièrement lors des célébrations de la Résurrection de Jésus-Christ à Pâques, et de la venue du feu de l’Esprit-Saint à Pentecôte.

Le « enivrez-vous, bien aimés »

concerne bien alors « la sobre ivresse de l’esprit », alliance de l’esprit créé avec le feu de l’Esprit incréé, et dont toute autre ivresse est le pâle reflet, sinon la caricature.

 » Mangez amis, buvez, et enivrez-vous bien aimés. »

est dès lors pour l’homme, l’invitation à la vie sans la mort, à la vie en plénitude, à la joie de « la Bonne Nouvelle » . On peut remarquer l’emploi du pluriel, « amis »,  » bien aimés » . Il s’agit de l’Eglise en la diversité des personnes révélées à elles-mêmes, quand l’esprit connaît consciemment et reçoit la nourriture avec le breuvage de la vie éternelle et la lumière de l’Esprit-Saint qui le pousse à s’orienter vers la plénitude. La formule exprime ainsi l’Amour comme fraternel de chacun des saints avec Jésus-Christ qui est « la vie » comme Il l’affirme quand Il répond, « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 6,63 ) . Il permet la divino-humanité en son devenir. Les baptisés sont appelés à rejoindre la transcendante fraternité en Lui Jésus-Christ et, par la force de l’Esprit-Saint, à devenir vraiment  » l’homme nouveau « , pour parler comme l’Apôtre Paul.

 » Je suis venu dans mon jardin, ma sœur épouse,

j’ai cueilli ma myrrhe avec mon aromate,

j’ai mangé mon rayon avec mon miel,

j’ai bu mon vin avec mon lait.

Mangez, amis, buvez et enivrez-vous, bien aimés. »

Ce verset permet de percevoir l’accomplissement de l’Alliance. Et pourtant  » Le Cantique des cantiques » continue. C’est que la plénitude vécue est à la fois présente, selon la foi et la conscience du Mystère, et en devenir. Le moment de béatitude et en particulier, le temps liturgique n’accomplissent pas les temps.

Le verset 2 du chapitre 5 en est une illustration .

 » Je dors mais mon cœur veille.

La voix de mon bien-aimé qui frappe, me dit :

 » Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite !

car ma tête est pleine de rosée

et mes boucles, des gouttes de la nuit. « 

On attendait de l’Eglise qu’elle affirme « je veille  » et non « je dors ». L’invitation pressante du Christ en effet, est « veillez et priez » . Elle est reprise lors des liturgies de l’Avent sous les formes  » Bien aimés frères, l’heure de nous réveiller du sommeil est venu » et  » que personne parmi nous ne dorme plus, que nos âmes veillent avec le Pasteur des brebis. »

D’autre part, on peut se souvenir que l’Eglise est lucide et invite à la lucidité, quand elle reconnaît « je suis noire mais je suis belle, filles de Jérusalem », s’adressant ainsi aux hommes en recherche, qui veillent et prient.

Or quand elle constate « je dors mais mon cœur veille » elle ne s’adresse plus qu’à elle-même. Après la béatitude à quoi elle ouvrait audacieusement son esprit au chapitre 4, elle semble bien être tombée dans la suffisance.

Elle n’est plus lucide, car ce n’est pas au cœur de veiller mais bien à l’esprit.  » Priez sans cesse  » exhorte l’Apôtre Paul qui se place dans la droite ligne des Evangiles. Or la prière est l’activité et la nourriture exclusive de l’esprit créé. D’ailleurs que signifie « mon cœur veille » puisque le cœur dans ce sens est l’état amoureux. Et c’est bien là qu’est la suffisance : si l’esprit « dort » , le sentiment et la sensation d’aimer Dieu passent pour acquis ; il suffirait alors de s’en souvenir. Là est l’illusion.

 » je dors mais mon cœur veille »

est l’expression d’une installation dans le fait d’avoir aimé Dieu, de Lui avoir dit  » Qu’il vienne mon bien-aimé ! »

( 4, 16 ), et d’avoir reçu des marques de son amour .

 » je dors mais mon cœur veille »

semble bien être la métaphore de l’illusion de l’Eglise quand elle vit de son passé, dans le sentiment d’une continuité juste alors qu’elle n’entend plus ou très peu, le feu de l’Esprit incréé, car elle a laissé s’ensommeiller l’esprit créé dont la vigilance ne saurait s’interrompre sans restreindre la vie. La suite du verset le montre bien.

« La voix de mon bien-aimé qui frappe, me dit : « 

Voyez la scène. Le bien-aimé est dehors, mis à la porte. Le cœur veille, mais il est vide. Ce n’est plus l’oubli de Dieu, comme dans le monde, dans toutes les Babel, qui a expulsé Dieu, c’est l’amour de Dieu qui s’est vidé. Il n’est plus qu’un souvenir. Le souvenir seul emplit le cœur . Il n’y a plus personne, seulement la nostalgie et le culte du souvenir. La nostalgie a remplacé le goût du Désir. L’esprit ne sait plus dire « Qu’Il me baise des baisers de sa bouche! » puisqu’il dort. Le sentiment est devenu un narcotique, et le cœur une prison. L’Eglise a perdu le sens de la Présence. Il lui reste l’écoute .

 » Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ! « 

souligne à l’Eglise qu’elle s’est enfermée dans l’illusion de posséder l’Amour alors qu’elle se croit demeurée vivante à dormir , se contentant d’aimer ou d’avoir aimé l’Amour. Cet « ouvre-moi » sous-entend que l’Eglise a réduit l’Amour à ce souvenir, à une émotion, à une propriété qu’on peut saisir et garder . Elle était ouverte, désintéressée, quand elle s’est écriée « Qu’Il vienne mon bien-aimé.. » (4,16) mais elle s’est laissée envahir par la satisfaction qui l’a enfermée dans la possessivité . Elle s’est vue arrivée, au lieu de continuer à se considérer en devenir, en chemin, comme y invite la traditionnelle divine liturgie qui est une marche et une approche ensemble du Mystère de Dieu Un en trois Personnes.

Elle n’en demeure pas moins « sœur », « compagne », « parfaite » mais elle l’a comme fossilisé. Ayant réduit l’Amour et s’étant installée dans le rétrécissement de la satisfaction , elle ne sait plus vraiment qu’elle demeure la semblable à Dieu l’inaccessible, la toute proche dans l’Alliance avec le Tout Autre et elle a oublié qu’elle est devenue l’esprit créé vivifié qui n’a plus à dormir mais qui est appelé à devenir de plus en plus vivant dans la vigilance et l’ouverture au Désir . Elle a perdu de vue que l’ouverture est le « oui » de la Vierge Marie et de tous les saints connus et inconnus du passé, du présent et de l’avenir. Elle n’entend plus qu’elle est appelée à renouveler sa réponse à l’Amour , dans la force et la confiance, et qu’elle est invitée dans tous ses enfermements, à oser proclamer à nouveau :  » Qu’Il vienne mon bien-aimé et mange le fruit de gloire » de son jardin vivifié par tout ce qui vit dès qu’elle est à l’écoute du discours amoureux de Dieu en Personne .

Elle n’entend plus qu’elle-même ,son riche passé et son manque, alors que l’invitation se précise :

 » car ma tête est pleine de rosée

et mes boucles, des gouttes de la nuit . »

La rosée est l’image de la grâce.  » Que la rosée fasse pleuvoir le juste » dit un psaume. Contemplons la rosée : elle ne vient d’aucun nuage, elle ne fait pas partie du cycle de l’eau sur la terre, elle n’est pas l’eau qui va de la mer aux nuages puis au sol, aux ruisseaux, rivières et fleuves qui la font revenir à la mer. La rosée est l’image de la pureté qui vient du ciel. Comme il y a été invité par la fiancée lorsque, certaine de son amour et lucide au sujet de sa Personne, elle lui a dit :

 » Jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres

retourne ! Ressemble mon bien aimé

à la gazelle ou au faon des biches

sur les monts de la Séparation. » (2, 17) ,

le Fiancé est monté au Ciel, de sorte que la « rosée » est l’image prophétique de l’Esprit-Saint que Jésus avait annoncé avant sa crucifixion et que l’homme a reçu et reçoit personnellement depuis la Pentecôte. Et que vient-Il faire ? Il vient proposer la déification qu’on peut lire dans la ligne suivante :

 » et mes boucles, ( sont pleines ) des gouttes de la nuit « 

Il y a résonance entre « la rosée » et les « gouttes de la nuit » . Ces dernières participent de plus, à la beauté nouvelle que figurent  » mes boucles ». Les ténèbres de l’absence et du retrait originel de Dieu ont fait place à « la nuit « . Cette « nuit » s’est alliée à la grâce qu’est la rosée : le bas est élevé dans le désir de l’Alliance, il n’y a plus antagonisme entre la nuit et le jour sans crépuscule, entre le bas et le haut, entre la terre et le ciel, entre le créé et l’incréé. C’est bien la déification qui est proposé par l’Epoux à l’Epouse.

 » Car ma tête est pleine de rosée

et mes boucles, des gouttes de la nuit »

peut aussi être contemplée comme la métaphore du retour en gloire de Jésus- Christ, qui mûrit, selon la foi en Jésus-Christ ,  » jusqu’au souffle du jour et la fuite des ombres » ,et qui sera accompli à la fin des temps.

Quand l’Eglise n’entend plus l’invitation à ce prodigieux destin, quand elle en est arrivée à se suffire, quand, satisfaite de son passé, elle réduit le présent au culte du souvenir et l’Amour à une fraternité idéale dans la commune sympathie attendrie, par exemple, quand d’une façon ou d’une autre, elle a perdu de vue cette invitation a la vie divino-humaine et ne sait plus dire : « Qu’Il vienne mon bien aimé ! »

Elle est alors dérangée au contraire, par l’appel de Dieu et elle ne comprend plus  » Ouvre-moi « . Elle répond étrangement :

 » J’ai déposé ma tunique, comment la remettrais-je ?

J’ai baigné mes pieds , comment les salirais-je ? »

Au lieu de l’accueil, c’est l’hésitation et la gêne. Quand l’Eglise enfermée en ses lois, ses coutumes et sa mémoire, est réveillée par la Parole de Dieu, elle se découvre dépouillée, nue . Rien de ce qui semblait faire sa magnificence, sa gloire, sa beauté ne lui permet de se présenter à Dieu . Cette « tunique » qu’elle a « déposée » et qu’elle ne saurait remettre est l’habit de noce dont parle l’Evangile dans la parabole de l’invitation au Banquet . Ne plus en être revêtue, c’est s’être mise dehors, s’être enfermée hors de l’Alliance, dans les ténèbres d’une certaine séparation, car cet habit de noce est le vêtement de Lumière dont il est dit à chaque baptême , « Nous avons revêtu le Christ » .

 » j’ai déposé ma tunique  » est à rapprocher de « je dors » . C’est le même mouvement : quand la veille de l’esprit a cessé, l’homme se trouve réduit à sa nudité de créature et, dans l’Eglise , la conscience du baptême, des sacrements et des saints mystères s’est estompée au lieu de croître . L’Eglise endormie, devenue suffisante, s’est réduite à l’humain, au lieu de persévérer dans le désir de l’Alliance amoureuse avec Dieu.

 » j’ai déposé ma tunique, comment la remettrais-je ? « 

est le constat de l’homme, et de son impuissance à se revêtir de la gloire de Dieu, par sa propre lucidité, ses propres forces et ses œuvres. Mais ce constat d’impuissance n’aboutit à rien . Il est en-deçà de la prière. L’esprit dort : il ne connaît plus le vrai repentir, la « métanoïa »; il reste tourné vers les ténèbres dans son assoupissement et sa honte. Il a déposé sa tunique de lumière incréée comme on dépose les armes. Sans doute s’est-il cru arrivé. Il s’est lui-même dépouillé du vêtement de gloire en cessant de veiller, en s’endormant sur une prétendue satiété, en laissant diminuer en lui, le désir de l’Amour de Dieu. L’Eglise quand elle se voit riche de ses œuvres, de sa puissance dans le monde et de son organisation, favorise le sommeil de l’esprit. Quand l’Eglise se dit « Je suis l’Eglise, il suffit que je gère et que je me souvienne  » elle met Dieu à distance et ne sait plus L’accueillir dans l’humilité du repentir, quand Il insiste, en son Amour, alors qu’Il est comme expulsé.

 » J’ai déposé ma tunique, comment la remettrais-je ? »

Voilà bien, me semble-t-il, une métaphore de l’aveuglement de l’Eglise . L’esprit une fois vivifié, a été oublié, comme a été oublié Dieu en Adam et Eve. L’esprit créé survit alors dans un demi-sommeil où il est nourri de souvenirs et de nostalgie. N’est-ce pas la métaphore de cette sensation d’un éloignement de Dieu, sensation de Dieu hors d’atteinte quand , inattendu, Il se manifeste par sa Parole comme mise à la porte ? Il dérange alors le prétendu juste, car ce n’est bien qu’un prétendu juste qui peut affirmer :

 » j’ai baigné mes pieds, comment les salirais-je ? « 

Il a l’illusion de s’être purifié lui-même , d’une part, et d’autre part, il craint de se souiller au contact du sol, de la terre, du visible, du sensible, de la création dont il est. Il s’estime pur esprit quand son esprit s’est endormi . Son cœur alors est une prison et les athées qui le regardent peuvent à juste titre le prendre pour un idéaliste.

 » J’ai déposé ma tunique, comment la remettrais-je ?

J’ai baigné mes pieds , comment les salirais-je ? »

Ce verset 3 pourrait bien être la métaphore de l’impasse de tout refuge de l’Eglise, quand le vertige l’a saisie à l’écoute du prodigieux destin à quoi la destine l’Amour désintéressé, sans limite, sans fin de Dieu, et qu’elle a oublié le chant d’Amour qui l’a révélée à elle-même et le « oui » pur de tout rétrécissement, de tout aveuglement et de toute suffisance , de Marie la Vierge et de tous les saints passés, présents et à venir.

Si on relit ce qui a précédé dans « le Cantique des cantiques » ,et en particulier le chapitre 4 et le verset 1 du chapitre 5, ce que nous venons de lire s’éclaire davantage. Quand l’homme, dans l’Eglise, a oublié l’Amour toujours neuf , plus exigeant et plus intime que le plus intime amour et qu’il l’a remplacé par le confort acquis d’un amour comme filial et comme amical, lui faisant dire  » l’essentiel est que mon cœur veille » , il s’est en fait dépouillé de la gloire de Dieu, comme de la Lumière incréée. Il croit pouvoir se reposer sur son héritage , dans la pratique des valeurs morales et des habitudes pieuses. Il s’enferme ainsi dans un idéalisme qui le mutile et le livre à la peur de se perdre hors de ce petit territoire à quoi il a réduit l’Eglise, même et surtout s’il la prétend universelle comme l’Empire dont a toujours rêvé César, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui.

 » J’ai déposé ma tunique, comment la remettrais-je ?

J’ai baigné mes pieds, comment les salirais-je ? « 

Cette paralysie brumeuse dans le rétrécissement n’est pas l’oubli de Dieu, mais la fossilisation de son Amour dont l’effet est comme un refus de Le recevoir . De sorte que l’homme ainsi, revit la chute et l’éloignement de Dieu avec les meilleures intentions du monde, comme inconsciem-ment. Et cet enfermement voilé a mis Dieu à la porte de l’esprit devenu comateux alors qu’il s’est estimé vivant.

 » Mon amour a étendu sa main par l’ouverture

et mes entrailles se sont émues pour lui  » (5, 4)

Heureusement, cet enfermement qui est éloignement de Dieu n’est pas un refus absolu.  » L’ouverture » dont il est question est la foi. Elle ne s’est pas développée comme un arbre pour devenir accueil de la lumière incréée ; mais elle n’interdit pas une certaine approche de Dieu. Il reste audible. Sa présence autant qu’il est permis par l’esprit endormi de l’homme ,se manifeste d’une façon voilée, selon la permission qui Lui en est donnée , car dans son Amour, Il n’attente pas à la liberté de son Eglise. La foi qui n’a plus été cultivée comme on entretient un feu , Lui permet seulement de s’approcher un peu.

 » Mon amour », l’Eglise même ainsi limitée , n’en ressent pas moins cet Amour. Dans son installation qu’elle aurait voulu définitive, elle en est troublée :

 » et mes entrailles se sont émues pour lui. »

L’oubli dont nous venons de parler, a été aussi l’oubli de ce désir fondamental et vital qu’exprime le Cantique des cantiques dès le début,  » Qu’il me baise des baisers de sa bouche » (1, 2). Dans l’enfermement aveugle, la foi a permis une approche de la Parole de Dieu qui a réanimé le désir de l’intimité comme conjugale avec Lui, ce désir de l’Alliance intime qui fonde la vie de l’homme dans son devenir toujours neuf et sans fin, désir sans quoi la création s’affadit, se résigne à l’usure et à la mort. De sorte que le verset 4 :

 » Mon amour a étendu sa main par l’ouverture

et mes entrailles se sont émues pour lui. »

peut être entendu comme la métaphore de la survie de l’esprit quand Dieu a été reléguée au loin et que sa Parole entendue dans la foi qui reste, réveille un peu le désir de l’Alliance la plus intime.

 » Je me suis levée pour ouvrir à mon amour

et mes deux mains ont distillé la myrrhe,

mes doigts la myrrhe ruisselante.  » (5, 5)

Il y a bien réponse à l’appel « ouvre-moi », obéissance il semble, à l’invitation de l’Epoux, mais comme on est loin de la prière du cœur des saints hésychastes,  » Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu aie pitié de moi pécheur », alors qu’il a été affirmé « mon cœur veille ». C’est bien que le cœur ne peut pas se réveiller sans la vigilance de l’esprit. La sensation d’enfermement, de dénuement, de honte puis d’approche de Dieu jusqu’à revivre le désir de son Amour, aurait pu entraîner le repentir et l’ouverture à la prière. Il n’en est rien : ce verset 5 est l’image d’un autre éloignement par oubli et ignorance de la nécessité de la grâce pour sortir de tout enfermement. La volonté de l’homme a oublié la volonté de Dieu et la synergie, cette harmonie dont l’ignorance exclut Jésus-Christ .

 » Je me suis levée pour ouvrir à mon amour « 

L’illusion est aussi grande que  » je dors mais mon cœur veille  » (5,2) . La volonté humaine ne suffit pas, ni même l’obéissance à l’invitation prise à la lettre ,  » ouvre-moi « , ni non plus le bon sentiment. La réponse juste, c’est dire la véritable ouverture de l’esprit revenu à lui et à la lumière, a été exprimée au verset 4 du premier chapitre du Cantique des cantiques : « Tire-moi après toi. Courons ! « 

– Ce chapitre 5, me semble-t-il, à partir du second verset, invite à contempler l’aveuglement de l’Eglise , des églises et des personnes quand elles imaginent s’ouvrir à nouveau à Dieu dans l’Amour alors qu’elles ouvrent seulement la porte qu’elles avaient elles-mêmes verrouillée. L’ébranlement intérieur par la Parole de Dieu passe alors pour conversion . L’aveuglement s’il est devenu inconfortable, demeure.-

 » et mes deux mains ont distillé la myrrhe »

est bien l’image d’un aveuglement .  » J’ai cueilli ma myrrhe » (5, 1) a dit l’Epoux, résumant ainsi l’économie de Jésus-Christ, Dieu fait homme se livrant librement à la mort et à l’ensevelisse-ment afin de ressusciter et d’ainsi vaincre la mort de la nature humaine . D’autre part,  » tes lèvres, épouse, distillent le miel » (4,11) a-t-Il constaté .

C’est que la Parole incréée alliée à la parole créée dans l’Amour, permet à l’homme la divino-humanité à quoi il est destiné. Par contre  » mes deux mains » est l’image de la seule volonté humaine dans sa détermination . Elle conduit l’homme à la prétention, « mes deux mains ont distillé la myrrhe », si l’on veut bien ne pas oublier que « la myrrhe » est l’icône du parfum de l’ensevelissement et de la résurrection qui le couronne . Si l’homme sauvé par Jésus-Christ peut « distiller le miel », il lui est parfaitement impossible, par sa volonté déterminée et ses œuvres , de distiller la myrrhe, de donner à la mort et à l’ensevelissement un sens, de se les attribuer. Cette prétention se lit sur certains crucifix morbides et dans bien des tableaux de crucifixion qu’on dit réalistes. C’est que la mort n’est qu’un avatar du péché, et la résurrection est le baiser de l’infinie miséricorde de Dieu.

Si l’on contemple :

 » mes deux mains ont distillé la myrrhe »

comment ne pas y lire la prétention de l’homme pour donner sens à la mort, et s’attribuer un pouvoir sur la mort ? Une imitation trompeuse de Jésus-Christ se lit sur tous les crucifix qui ne portent plus aucune trace de sa Résurrection. L’Eglise semble alors enseigner : « mes deux mains ont distillé la myrrhe ». La « Bonne Nouvelle » est effacée : souffrir comme le Crucifié, serait la voie.

 » et mes doigts, (ont distillé ) la myrrhe ruisselante

sur la poignée du verrou. « 

La répétition du possessif est significative : cette humanité qui croit s’ouvrir à Dieu, a complètement relativisé la grâce de Dieu ; elle n’en attend plus la lumière : « mes doigts » après  » mes deux mains » soulignent qu’elle compte avant tout et sans doute uniquement, sur ses actions et sur ses œuvres. Le désir revenu « mes entrailles se sont émues pour lui », a été remplacé par un appel aux seules forces humaines, ce qui est une forme de l’oubli de Dieu, alors même que l’on prétend Le servir et Lui avoir laissé place .  » la myrrhe ruisselante » ou « fluante  » ou « fluide » selon les traductions, est la plus pure myrrhe, or elle ne saurait à l’évidence, venir de l’effort des hommes, elle est de Dieu, à Dieu, et en Dieu. S’en attribuer le mérite est se placer hors du Royaume de Dieu, c’est L’avoir expulsé de son attente. Et ouvrir  » la poignée du verrou » est un leurre, ce n’est pas s’ouvrir à Dieu.

Même dans ces ténèbres de la suffisance qui s’ignore,  » la myrrhe » dont il s’agit, demeure l’image de la mort et de l’ensevelissement qui devraient permettre d’à nouveau lier la terre au ciel, comme un parfum de grand prix. Ce désir passerait par la mort de toutes les prétentions d’appropriation et de relégation de Dieu. Le « verrou » en effet, est de main d’homme : il est fabriqué à partir de sa méfiance des autres et de l’Autre ; et il a engendré la tranquillité trompeuse de « je dors mais mon cœur veille » (5, 2). Dès qu’il est repéré et ouvert, ce verrou, Dieu semble avoir disparu, car le savoir où on avait prétendu Le restreindre, s’est effondré.

 » J’ai ouvert à mon amour « 

N’est-ce pas encore une illusion ? L’Eglise quand elle s’est laissée endormir, enfermer dans ses certitudes, ne comptant plus que sur ses propres forces, a entendu « ouvre-moi », mais n’est pas sorti de la suffisance qui fait qu’elle demeure en-deçà du repentir, dans l’ignorance encore de la grâce dont elle avait redouté l’imprévu . Elle a certes déverrouillé sa prison mais son esprit est enfermé dans sa prétention; « j’ai ouvert » dit-elle alors qu’elle n’a rien ouvert qui lui vaille d’accueillir le tout Autre, son amour.

 » mais mon amour s’était retiré, il avait disparu « 

Elle est encore dans les brumes du sommeil où elle s’était installée et elle ne comprend pas cet éloignement qu’elle ressent de Dieu . Un grand mystique du onzième siècle, à Constantinople, Syméon le Nouveau Théologien à qui on avait conseillé de sagement servir l’Eglise au lieu de s’acharner à désirer la présence intime de Dieu, a continué sa quête à force de prière et d’ascèse et, gratifié de la Lumière incréée , a pu préciser dans sa « Prière mystique » qui est une invocation à l’Esprit-Saint : »c’est nous qui toujours, nous éloignons de toi en refusant d’aller à toi » .

L’Eglise inquiète de l’éloignement de Dieu dont elle perçoit seulement la demande,  » ouvre-moi », croit obéir à son invitation et s’attend à recevoir Dieu comme le fruit de ses œuvres et de son écoute , un peu comme un dû . Dans l’assoupissement de son esprit, elle s’était passée de Lui, elle L’avait comme expulsé ; réveillée, elle imagine être en mesure de se L’approprier, et aussi de Le trouver dehors. Elle est comme ces amoureuses qui se disent  » après tout ce que j’ai fait pour lui !  » alors qu’il ne s’agissait pas justement, de faire.  » mes deux mains »,  » mes doigts » : l’action, les œuvres ont installé dans un oubli de l’Amour à la fois personnel et désintéressé qui demande un esprit éveillé, ouvert, susceptible d’être vivifié, n’allant plus chercher dehors le neuf, le vivant, la plénitude. Laisser l’esprit dormir conduit à se placer dehors, là où l’Esprit-Saint en Personne, qu’on a oublié, relégué, rétréci, n’a plus de place, n’est plus invité à s’unir dans la plus grande intimité, à la personne créée révélée à elle-même, car l’Alliance est non seulement un appel de Dieu mais aussi le désir et la réponse de l’esprit créé à cet appel, librement .

Les versets 2 à 6 du chapitre 5 peuvent être contemplés et entendus comme la prophétie de la rechute de l’homme nouveau, fils du nouvel Adam, dans l’Eglise quand l’oubli de l’Amour comme conjugal de Dieu est masqué par la sensation d’un état amoureux devenu tiède à force d’en rester à la tranquillité du souvenir et à la prétention des œuvres selon la seule volonté humaine .

L’Eglise parfois, croit obéir au nouvel Adam, au Christ, alors qu’elle privilégie une obéissance à l’image du monde, aux nécessités du monde, comme s’il s’agissait d’améliorer le monde . Elle oublie que l’obéissance à l’image de Dieu, est harmonie dans le juste service amoureux . Elle oublie ainsi l’essentiel, le vrai désir d’Amour. Et au lieu de se mettre en état d’accueillir l’inconnu, le neuf à jamais, le Bien Aimé, elle en arrive à sortir dans le monde, croyant aller Le chercher. Elle a oublié dans ces temps d’égarement et de complaisance, le conseil donné par le Fiancé à la Fiancée lors de son errance ,  » va vers toi  » (1, 8). Elle s’éloigne au contraire d’elle-même et de Lui. Elle imagine alors qu’Il s’est « retiré », qu’Il  » a disparu » , alors qu’elle L’a elle-même éloigné, et comme gommé .

–  » l’Esprit-Saint et nous, vous conseillons… » pouvaient dire les premiers disciples. Nous en sommes loin. Qu’avons-nous fait de l’Esprit-Saint ? pourrait être la question de cette prophétie aux Eglises et aux personnes.-

 » J’ai ouvert à mon amour

mais mon amour s’était retiré,

il avait disparu « 

pourrait bien être la métaphore d’un aveuglement qui persiste.

 » Mon âme s’est révélée à sa parole.

Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé.

Je l’ai appelé, et il n’a pas répondu. « 

Le constat « mon âme s’est révélée » est un aveu : l’ être créé s’était perdu de vue dans l’ assoupissement confortable de son esprit qui n’entendait plus la parole de Dieu amoureux. La suite montre qu’il ne l’a entendue qu’en partie . Il l’a réduite à « ouvre-moi » qu’il a aussi mal compris que possible : il ne s’agissait pas seulement d’ouvrir  » le verrou » de sa volonté puis d’en revenir au souvenir de l’état d’amoureux, mais il aurait fallu reconnaître la vanité de « je dors mais mon cœur veille  » pour retrouver la vraie liberté intérieure du « oui » sans restriction ni retrait apeuré qu’avait exprimée l’exclamation,  » Qu’il vienne mon bien aimé et en mange le fruit de gloire » (4,16), dans l’audace d’ouvrir le jardin intérieur .

Le constat  » mon âme s’est révélée à sa parole  » ne suffit pas, car la solitude entretenue, par crainte sans doute d’être emmené trop loin – le prodigieux destin d’Epouse de Dieu donne le vertige. -, demeure. La répétition trois fois du pronom  » je  » le souligne. Le désir d’aimer a eu beau se réveiller, il ne conduit pas à un regard sur soi qui permettrait d’entamer un repentir.  » Je l’ai cherché « ,  » Je l’ai appelé  » expriment la satisfaction du devoir accompli  » et il n’a pas répondu  » est un demi-reproche. Sûre de sa bonne volonté, la créature ne se demande pas si elle a bien cherché et si elle a bien appelé. C ‘est cette certitude qui continue à la maintenir enfermée, éloignée du Bien Aimé . Elle le cherche où Il n’est pas : sur le chemin de sa volonté de créature, de ses actions et de ses œuvres, c’est-à-dire hors d’elle-même, dans le monde où son oubli, en fait, de la volonté de Dieu qu’elle a réduit à un ordre, la ramène .

Or Dieu est la Lumière venue dans le monde en Jésus-Christ, Lumière que le monde refuse, préférant ses ténèbres, comme le précise l’Apôtre Jean dans le prologue de son Evangile. Et quand l’Eglise, l’humanité nouvelle en devenir, en reste à une vérité partielle où sa volonté semblerait suffire, non seulement elle ne trouve pas la Lumière qu’est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, mais elle croit dans son brouillard, l’appeler, alors qu’elle L’a oublié, rétréci, remplacé, et n’a gardé qu’un souvenir de son état autrefois, d’amoureuse. Elle a cru appeler le Bien Aimé alors qu’elle a seulement appelé l’amour. Elle s’est émue de se découvrir à nouveau amoureuse, mais elle est amoureuse de l’Amour et non plus de Lui. Elle se maintient ainsi en dehors de sa Lumière divine, qui lui aurait donné de vivre pleinement tout ce qu’elle avait reçu et que relate les quatre premiers chapitres du Cantique des cantiques.

 » Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé.

Je l’ai appelé et il n’a pas répondu. « 

me semble bien être la métaphore du tragique rétrécissement de l’Amour de Dieu dans l’esprit assoupi de la créature, car, comme l’a lumineusement vécu Saint Syméon le Nouveau Théologien, en réalité, l’esprit vivifié découvre qu’il peut dire à Dieu :  » jamais à personne tu ne t’es caché mais c’est nous qui toujours nous cachons de toi, en refusant d’aller à toi. » ( « prière mystique : invocation du Saint-Esprit, par celui qui déjà le voit « , dans « Hymnes », page 153 du tome 1)

Tout le verset 6 est à contempler longuement, avec tout le discernement possible, quand semble s’imposer l’impression que Dieu s’est éloigné alors que le désir de son Amour perdure.

verset 7

 » Les gardes qui font la ronde dans la ville,
m’ont trouvée, frappée, blessée ;
ils ont retiré mon voile, les gardiens des remparts. »

Le début du verset 3 du chapitre 3 est repris mot à mot :  » Les gardes qui font la ronde dans la ville, m’ont trouvée » Mais la suite est différente, la situation s’est aggravée. Les gardes sont devenus agressifs alors qu’ils s’étaient contentés d’écouter la question de la Bien Aimée, sans y répondre . Ils sont brutaux, ennemis de la Bien Aimée, de l’Eglise. Aussi pouvons-nous contempler ce verset 7 comme une métaphore de la victoire de l’homme athée satisfait de ses pouvoirs et de ses réalisations qui lui font considérer l’Eglise comme rétrograde.

 » les gardes » préservent chaque civilisation. Celle dont il est question n’est plus indifférente à l’Eglise; elle veut l’humilier et la dépouiller.

 » Le voile » dont s’est revêtue l’Eglise pour aller interroger le monde, est la religion qui passe pour l’opium du peuple aux yeux de Marx, puis de ses disciples, Lénine, Mao..etc. Elle est comme un poison à détruire. C’était déjà l’ambition des intellectuels et des empereurs des premiers siècles de l’ère chrétienne et c’est devenue ensuite celle du 18ème siècle-  » écrasons l’infâme !  » invitait Voltaire en parlant de l’Eglise, dans ce « siècle des lumières » et non plus de la Lumière. L’Eglise ,faute sans doute, d’avoir continué à revêtir le vêtement de Lumière divine , dans la fidélité au baptême et dans l’accueil du Saint-Esprit, s’est vue dépouillée du prestige de la religion et condamnée comme dangereux ferment de « l’obscurantisme ».

L’Eglise, quand elle oublie la grâce divine dont elle ne mesure plus l’absolue nécessité et dont elle pense compenser l’éloignement ou l’absence par ses actions et ses œuvres, est désemparée par le souvenir de la foi, et rencontre l’hostilité d’un monde qui, plus puissant que jamais, croit pouvoir enfin se passer de Dieu.

Ce monde n’est-il pas aussi le monde technico-industriel où l’homme s’idéalise? Aujourd’hui, « les gardes » veulent réduire à presque rien l’ Eglise qu’ils jugent négligeable, dépassée et pourtant gênante. Elle est réduite socialement et culturellement dans les nations qui s’estiment modernes, à un archaïsme toléré en tant que choix individuel dans un usage strictement domestique. Et ce verset 7 n’est-il pas une prophétie de ce que nous vivons en ce monde qui aime à s’afficher en perpétuel « progrès » par le seul génie humain ?

verset 8

 » Je vous adjure, filles de Jérusalem,

si vous trouvez mon bien aimé, que lui direz-vous ?

Que je suis malade d’amour.  »

 » Je vous adjure, filles de Jérusalem » est une reprise mot à mot du début du verset 5 du chapitre 3, mais le ton a changé, il n’est plus celui de la joie d’avoir retrouvé le bien-aimé, il est au contraire celui d’une angoisse car l’épreuve subie dans le monde et par le monde, n’a pas fait aboutir la recherche. Dieu semble bien s’être éloigné tout à fait. Que sont « les filles de Jérusalem » dans ce contexte ? Si l’on jette un coup d’œil à leur réponse qui va suivre, au verset 9 et qui est la question de celles qui ignorent tout de ce « bien-aimé » –  » Qu’est-il de plus qu’un autre ton bien aimé ,  » il ne peut s’agir des baptisés dans l’Eglise. Elles ne sont pas non plus du monde qu’on vient de voir ennemi déclaré de l’Eglise. Elles sont à la recherche de ce que ne peut pas leur donner le monde aussi « moderne » ou civilisé soit-il. Elles sont en quête du sens de la vie, en quête de l’esprit ignoré par le monde, et de la vie spirituelle, sous quelque forme que ce soit.  » Jérusalem » est donc à entendre ici dans son sens le plus large :  » Jérusalem » est l’anti- Babel, le refus des prétentions de toutes les Babel dans la suffisance de leurs réalisations. Les « filles de Jérusalem » représentent tous ceux qui aspirent à se nourrir du divin, mais qui ne conçoivent pas Dieu qui s’approche, Dieu qui se donne, Dieu en Personne.

 » si vous trouvez mon bien-aimé « 

La question prouve que l’Epouse a bien perdu l’Epoux quand elle a laissé l’esprit créé, son esprit, s’endormir : poussé par le désir revenu de Le voir, elle s’efforce de Le chercher dehors, hors d’elle-même, oubliant qu’Il est l’hôte de l’esprit vivifié et vigilant et qu’Il ne saurait être ni ici ni là-bas. Il n’est dans aucun lieu de l’espace. Et  » si vous trouvez mon bien-aimé » peut être entendu comme une métaphore de l’aveuglement de l’Eglise égarée.

 » que lui direz-vous ? que je suis malade d’amour. « 

La prophétie continue ; elle est celle d’une impuissance tragique. L’Eglise en est à demander à toutes les recherches spirituelles de vouloir bien renseigner le Christ sur son état d’amoureuse abandonnée, dans l’éventualité de leur rencontre avec Lui . Quelle régression depuis le temps où elle s’adressait au Bien-Aimé et Lui demandait  » Tire-moi après toi !  » (1, 4). Et elle invitait alors les « filles de Jérusalem » d’un joyeux et impétueux  » Courons !  » !

verset 9

 » Qu’est-il de plus qu’un autre ton bien-aimé,

Belle entre les femmes, pour qu’ainsi tu nous adjures ? »

Les « filles de Jérusalem » n’ont plus ni la belle assurance, ni leur unité dans l’enthousiasme qui les caractérisaient au chapitre 1. Le reste de l’humanité en recherche, alors que la majorité s’est installée dans le refus de Dieu, survit dans la dispersion, dans les multiples options des diverses religions, sagesses et ésotérismes, dispersion qui est de nos jours, le fruit de l’ambiance d’un monde qui tend à l’individualisme. L’ignorance du mystère des personnes créées à l’image des Personnes incréées de l’Uni-Trinité, fait que « les filles de Jérusalem » ne peuvent plus dire d’un esprit unanime:  » les rectitudes t’aiment. » (1, 4)

 » Qu’est-il de plus qu’un autre, ton bien-aimé « 

La question est l’aveu de cette ignorance, en même temps que l’indifférence à cette ignorance. Même parmi ceux qui sont en recherche d’une vie spirituelle, l’homme , comme Pilate en face de Jésus, est devenu indifférent à la vérité en sa plénitude. Chacun en est à se contenter de la variété des vérités relatives. La vérité enseignée par Jésus-Christ n’est pas plus alors qu’une vérité parmi tant d’autres, et il fait partie du panthéon des maîtres, des sages ou des prophètes. Il semble évident aux « filles de Jérusalem » qu’on peut lui préférer Zarathoustra, Bouddha, Gandhi ou l’un des maîtres spirituels dont la sagesse , les pratiques et les conseils conduisent à une paix intérieure jugée suffisante .

 » pour qu’ainsi tu nous adjures »

est un refus poli en même temps qu’une invitation à prendre rang parmi de multiples voies, l’Eglise étant perçue comme une communauté enseignant une pratique parmi d’autres pratiques, pour le bien-être spirituel des fidèles, selon l’inspiration d’un prophète bien aimé parmi d’autres.

Une différence demeure pourtant, étonnante, car il est dit de la Bien Aimée, de l’Eglise, qu’elle est :

 » Belle entre les femmes .. »

Elle est donc vue à part, plus belle, embellie par on ne sait quoi. L’expression « les femmes  » est la métaphore de la genèse en cours vers un futur neuf, car la femme a le pouvoir de porter à terme, en son corps, une vie à venir.

 » belle entre les femmes  » est l’image que donne d’elle-même l’Eglise en dépit de tous ses avatars , à ceux qui dans l’humanité sont demeurés sensibles au mystère de la vie. La beauté qui demeure la sienne, à ceux qui savent le pressentir est supérieure à toute beauté, car elle est la beauté sans usure.  » Belle entre les femmes » est l’Eglise dont Marie la Vierge a vécu et vit les prémices, Eglise qui au travers de ses régressions, de ses aveuglements et de ses échecs, est enceinte, en l’esprit des saints, ces créatures neuves à jamais, de Dieu fait homme. « Belle entre les femmes » est la prophétie de la victoire de l’Eglise pendant et après la traversée de toutes les ignorances, de toutes les suffisances et de tous les rétrécissements. Et ce verset 9 par cette incise, est l’image d’une certaine écoute, d’un soupçon d’attente de la Vérité en sa plénitude chez toutes les créatures humaines en recherche de la paix, de la joie et de l’Amour.

Devant cette attente, l’Eglise quand elle recherche dans le monde et par le monde, quelque trace du Bien Aimé car elle a ressenti comme son éloignement et son absence, redevient l’amoureuse dont le discours va être l’icône prophétique de l’Epoux, de Jésus-Christ, de Dieu fait homme. Ce sera le sujet de tous les versets qui vont suivre dans ce chapitre 5.

verset 10

 » Mon bien aimé est blanc, éclatant et rouge,

unique, au-dessus de la multitude « 

 » blanc éclatant » ou seulement « blanc » ou « clair » ou même « frais » , selon les traductions ; et si on lit l’adjectif par opposition à « noire » dans « je suis noire mais je suis belle » (1, 5) , il est légitime de lire « mon bien aimé est blanc… » comme une métaphore de sa divinité . Il est la clarté source de toute clarté, la fraîcheur car Il est à jamais neuf, et  » la lumière exprimant la lumière » , la lumière incréée .

Il est dit aussi, » rouge  » . Le rouge est la couleur du sang qui irrigue le corps du vivant, du vin venu du raisin qu’on a pressé puis qui a fermenté, et de l’Esprit-Saint qui est partout présent et qui pousse à la vie personnelle.  » rouge » est la notation concise, en même temps que la prophétie de l’homme vivant, vivifié et vivifiant, parfait, du Messie, venant donner son sang pour sauver l’homme et le déifier.  » blanc, éclatant et rouge » est l’image prophétique de Dieu fait homme : le Bien Aimé est lumière car il est Dieu, et il est possible de le décrire en une icône poétique car Il s’est fait homme.

« unique » ou « dressé » ou « dressé comme l’étendard » ou seulement « étendard » précisent les diverses traductions. Le Bien Aimé est unique car il est Dieu, « dressé » et comparable à un « étendard » car il est Dieu et homme, sans n’avoir rien abandonné de sa divinité, sans s’être dédoublé ; il est Dieu et homme en sa Personne incréée, de sorte qu’Il demeure parfaitement Dieu en se faisant homme parfait. En lui l’homme dépasse l’homme car la nature humaine est alliée à la nature divine, sans confusion, de sorte que dans cette alliance intime, la nature humaine est déifiée.

 » au-dessus de la multitude « 

souligne de plus, qu’étant Dieu fait homme, il ne saurait être réduit à un prophète ou à un des plus grands sages de l’humanité. Il est donc précisé aux « filles de Jérusalem » , c’est dire à tous les esprits en recherche, qu’Il est  » le chemin » étant homme, « la vérité  » étant Dieu, et « la vie », étant Dieu et homme. A leur question « Qu’est-il de plus qu’un autre  » l’Eglise répond ainsi, de sorte que, si elles veulent et peuvent l’entendre, elles sont invitées à l’attitude juste devant ce Bien Aimé. Elle est celle entre autres, de Jean Baptiste qui est « plus qu’un prophète » quand il affirme :  » je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers. » (Jean. 1-27)

Ce verset 10 peut être contemplé comme la prophétie du mystère des deux natures en l’Hypostase du Verbe de Dieu . Il suggère aussi , « rouge » pouvant être entendu comme l’image du sang versé en l’ultime sacrifice de Jésus-Christ , la crucifixion, la Croix qui se dresse en signe de résurrection, au-dessus de toute foule enténébrée.

verset 11

 » Sa tête est d’or pur,
ses boucles sont des palmes
et noires comme le corbeau . »

 » Sa tête est d’or pur » est la métaphore de la royauté des royautés, de la royauté divine . Le Bien Aimé est le Roi des rois, infiniment plus que Nabuchodonosor qui se voyait tel dans son rêve que lui a rappelé et dévoilé Daniel (Daniel, 2, 37) . Jésus-Christ en tant qu’Il est Dieu est le Tout-Puissant : la toute-puissance est du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Dieu Un en trois Personnes. Chacune est toute puissante. La toute puissance tout comme la volonté est de la Nature divine , et l’on peut souligner que le Père est roi, le Fils est roi et le Saint-Esprit est roi mais qu’il n’y a pas trois rois mais une seule royauté qui est de Dieu un ; « Sa tête est d’or pur, » est l’image de la divinité du Bien Aimé : l’Epoux est Dieu, Il est égal au Père et au Saint-Esprit . Il est pure et inaltérable lumière de Dieu, étranger à toute usure, toute impureté et toute subordination. – Il est peut-être nécessaire de rappeler que Jésus-Christ obéit au Père en tant que Fils de l’homme ; il allie en sa Personne la volonté de Dieu qu’Il porte en Lui car il est Dieu, à la volonté de l’homme parfait qu’Il est devenu librement, par Amour. –

 » ses boucles sont des palmes »

est une image du mouvement de la vie sensible : les « boucles » ondulent et sont mobiles, comme des « palmes » dans le vent . Ce mouvement contraste avec ce que « l’or » a de statique . Le Bien Aimé, Dieu, Fils de Dieu et Fils de l’homme est à la fois impassible et sensible . Il est à la fois et sans confusion, Créateur et créature et en Lui, le sensible en sa beauté et sa nouveauté, s’allie à l’impassible, la nature humaine par alliance, est transfigurée, déifiée.

 » et noires comme le corbeau « 

Comme nous l’avons remarqué au chapitre 1, verset 5, le noir est l’image de l’opacité de la créature : elle est appelée à être revêtue de lumière, mais elle n’est pas la lumière, elle n’est pas source de lumière.  » ses boucles …noires » soulignent que Lui, Dieu est devenu créature, sans fusion ni confusion ; il ne fait pas semblant ; il devient pleinement homme, l’homme parfait et ainsi, le nouvel Adam.

Devenant homme parfait, il assume ce que représente le « corbeau » croassant sur les cadavres, c’est-à-dire, la condition mortelle, le plus noir de l’abîme . Il assume tout l’homme hormis le péché.

 » Sa tête est d’or pur,

ses boucles sont des palmes,

et noires comme le corbeau. »

Ce verset peut être contemplé comme la métaphore de Dieu tout-puissant se faisant créature sensible jusqu’à assumer la mort et les enfers, pour y ramener la vie triomphante et l’aube sans crépuscule, en sa Lumière .

verset 12

 » Ses yeux, tels des colombes au bord des eaux des torrents

baignent dans le lait,

et demeurent en plénitude . « 

Le Bien Aimé avait dit  » Tes yeux sont des colombes  » (1, 15). La Bien Aimée reprend la formule sous la forme d’une comparaison. Elle peut faire penser à cette affirmation des Pères de l’Eglise :  » Dieu se faisant homme, s’accoutume à l’homme ». Les yeux de l’Epoux, de Jésus-Christ, sont à contempler comme des colombes, alors qu’étant Dieu, il est vraiment l’ Esprit divin dont la colombe est l’image, et plus précisément, comme des colombes  » au bord des eaux des torrents ». A contempler l’image, on peut voir que son regard de Créateur devenu parfaite créature, car Il est Dieu et homme en son Hypostase, sans séparation ni confusion, dans une parfaite alliance, est bien comme un couple fidèle de colombes unissant la terre au ciel, sans être atteint par le tumultueux déroulement de l’Histoire et de toutes les vies sensibles, jusqu’à la fin des temps. Les « eaux des torrents » sont en effet l’image de ce qu’annonce Jésus à ses disciples, quand il prédit son retour en gloire et prévient :  » vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres: gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin » (Matthieu. 24, 6) et  » Il y aura des grands tremblements de terre, et en divers lieux, des pestes et des famines, il y aura des phénomènes terribles et des grands signes dans le ciel. » (Luc. 21, 11) et encore  » Souvenez-vous de la parole que j’ai dite :  » le serviteur n’est pas plus grand que le maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre.  » (Jean. 15, 20) . Le regard de l’Epoux est l’alliance de l’Esprit de Dieu et de l’esprit créé dans l’harmonie ,dans la fidélité de l’Un et de l’autre, au travers de tous les avatars de la création pervertie. En Lui est le regard juste, le regard qui reprend le destin originel de l’homme qui a été appelé à orienter la création sensible vers Dieu, dans la lumière de l’Amour.

 » Ses yeux …baignent dans le lait »

L’image est étonnante. Si l’on veut bien la regarder, on devient sensible au contraste entre « les eaux des torrents » et « le lait » . Le regard de l’Epoux, au lieu de s’endurcir à la vue du mûrissement du pire dans l’histoire des hommes, et de prendre de la hauteur, demeure dans la douceur comme maternelle où Il deviendra la nourriture des hommes, s’ils en veulent, une fois qu’ils sont revenus de leurs prétentions, de leur aveuglement et de leur arrogance, germes de toutes leurs peurs des autres et de l’Autre.

 » Ses yeux ….demeurent en plénitude. »

On peut lire là une image de cette impassibilité de Dieu si chère à certains Pères de l’Eglise, mais par ce qui précède, c’est une impassibilité d’amoureux.

 » Ses yeux, tels des colombes au bord des eaux des torrents

baignent dans le lait,

et demeurent en plénitude. « 

A contempler ce verset 12, il semble évident que le regard de Dieu n’est pas perturbé par sa connaissance, en la Personne de Jésus-Christ, des tribulations humaines.  » doux et humble de cœur », il accompagne les hommes et, comme Il est descendu aux enfers après sa Résurrection, il oriente ceux qui librement l’acceptent, vers sa victoire sur la mort, victoire accomplie et à rejoindre en personne.  » Combien de fois ai-je voulu vous rassembler, comme une poule rassemble ses poussins, et vous n’avez pas voulu » a confié Jésus à Jérusalem. Ce verset 12 si l’on veut bien le relire avec attention, n’invite-t-il pas à voir le Bien Aimé dans cette présence prévenante qui accompagne, invite, peut donner, mais qui ne veut pas peser ni s’imposer. N’est-ce pas une métaphore de l’Amour pur, désintéressé de Dieu ?

Cette icône du Bien Aimé proposée aux « filles de Jérusalem » montre que , dans l’absence, dans ce qu’elle prend pour son éloignement, l’Eglise en désarroi, devant ceux qui cherchent un sens à la vie et ne se résignent pas à la condition mortelle, trouve en la profondeur de son désir, Celui qu’elle aime. Elle va de plus en plus montrer qu’il n’est pas seulement un sage ni un prophète, ni un modèle de béatitude , mais bien Dieu en Personne, parfaitement Dieu et homme parfait, Jésus-Christ.

verset 13

 » Ses joues sont comme le parterre de l’aromate,
tours de parfum,
et ses lèvres des lys distillant la myrrhe ruisselante « 

Les joues qui rougissent ou blêmissent, expriment en silence, la sensation et le sentiment les plus intimes, chez un être sensible. Elles sont « comme le parterre de l’aromate ». Encore une image des plus inattendues. Un parterre est une surface horizontale prête à la culture ou cultivée et préparée pour recevoir la pluie et la rosée du ciel.

 » Ses joues sont comme le parterre de l’aromate »

peut être entendue comme la métaphore de la création sensible, prête à recevoir, mais surtout accomplie dans toute sa faculté d’accueil dans l’homme parfait. Le singulier « l’aromate » souligne qu’il s’agit de l’aromate unique, du parfum de l’Esprit incréé dont peut bénéficier l’esprit créé, en Jésus-Christ. Cette métaphore est prophétie de la nature humaine sauvée en Jésus-Christ. Il permet à la création sensible d’accueillir ce qui vient du ciel, et d’ainsi devenir la louange juste qui fait que tout est appelé à se tourner et à s’élever vers Dieu, où commence la plénitude.

 » tours de parfum »

L’insistance est bien mise sur l’élévation. Le Bien Aimé qui a permis l’accueil fécond de l’Esprit de Dieu, engendre ces « tours de parfums » , c’est dire ceux qui, dans l’ouverture de l’esprit qu’Il permet et propose, sont devenus, deviennent ou deviendront des vivants, des esprits ranimés et vivifiés, grandissant jusqu’à devenir des esprits vivifiants, les saints dont le parfum de sainteté devient parfois sensible aux sens.

 » et ses lèvres des lys distillant la myrrhe ruisselante »

Les « lèvres » prononcent la parole afin qu’elle soit entendue, et elles donnent le baiser. Les « lèvres » de l’Epoux, du Verbe de Dieu, sont l’image de l’Esprit-Saint qu’envoie Jésus-Christ à ceux qui L’aiment et gardent sa Parole. Ils sont ainsi consolés et instruits.  » ses lèvres » sont « des lys » . Il avait été dit de Lui qu’il est « le berger dans les lys » (2, 16). Les « lys » sont ceux qui ont  » revêtu le Christ » comme il est chanté au baptême. Ses « lèvres » qui sont l’Esprit-Saint, vivifient l’esprit créé qui devient ressemblant à Jésus-Christ, car Il est le lys, comme Il l’a affirmé : « Je suis le jeune lys de Saron, le lys des profondeurs « (2, 1) . De plus, la « bien aimée parmi les filles » ressemble au » lys au milieu des épines  » (2,2). C’est dire que l’Eglise, et dans l’Eglise, les baptisés vont vers la ressemblance au Christ, esprits vivifiés par l’Esprit de Dieu et devenus vivifiants, ils sont dans l ‘Amour, les « lèvres » étant l’image aussi, du baiser de l’Alliance.

 » et ses lèvres (sont) des lys , distillant la myrrhe ruisselante « 

Les mains et les doigts de l’Epouse endormie, enfermée et dépouillée de la gloire de l’Alliance, puis verrouillée dans sa suffisance a prétendu avoir  » distillé la myrrhe ruisselante » (5, 5) . Nous avons proposé de lire là, l’image de sa présomption, la myrrhe préfigurant la mort et l’ensevelissement de Dieu fait homme. L’Eglise, enfermée sur elle-même, s’étant installée dans la possession de la vérité, s’est crue délaissée, a interrogé le monde qu’elle a parcouru et qui, dans ses certitudes dynamiques, l’a méprisée, insultée, dépouillée, puis elle est revenue à une certaine contemplation du Bien Aimé, du Verbe fait homme. Elle réalise que l’Esprit -Saint seul, que nomment « ses lèvres », peut « distiller la myrrhe » , c’est dire rendre viable la mort-résurrection aux cœurs purs, élevant alors la terre au ciel, comme des « lys » sur l’étendue d’une plaine.

 » Ses joues sont comme le parterre de l’aromate,

tours de parfums,

et ses lèvres, des lys distillant la myrrhe ruisselante « 

Dans ce verset, la Bien Aimée l’Eglise, exprime aux hommes de bonne volonté, le désir intime du Verbe de Dieu fait homme : par l’Esprit-Saint mais sans s’imposer, Il permet à l’humanité de s’ouvrir à la grâce, d’élever le sensible de la terre au ciel, d’être vivifié et de passer de la mort à la vie, en ses saints .

verset 14

 » Ses deux mains sont des coupes d’or
pleines de chrysolites
et ses entrailles sont douces comme l’ivoire
enveloppé de saphirs . « 

 » Ses mains » ou « ses deux mains » – « mains  » au pluriel, est toujours duel en hébreu – peuvent être vues comme l’image de la volonté du Bien Aimé, Jésus-Christ, Dieu et homme. Or la droite de Dieu dans le Livre de l’Alliance est le signe de sa toute-puissance, la gauche étant celui de son infinie miséricorde. Ici puissance et miséricorde deviennent « des coupes » . Dieu homme se fait offrande. Ce sont « des coupes d’or » : l’offrande est de royauté et plus que cela, de déification, puisqu’il s’agit non d’un roi, mais du Roi des rois. Si l’on en doute, le fait qu’elles soient « pleines de chrysolithes » est fait pour convaincre. Tout d’abord, elles sont « pleines » : elles offrent à l’homme la plénitude . De plus, les « chrysolites » sont des pierres précieuses dont la translucidité est dorée. D’autre part, comme toute pierre précieuse, les chrysolites viennent des profondeurs de la terre, de l’opacité et des ténèbres de la terre puis ramenées face au ciel, elles s’illuminent et participent à la royauté qu’exprime pleinement l’or venu lui aussi, du plus ténébreux .

 » Ses deux mains sont des coupes d’or

pleines de chrysolites « 

Cette première partie du verset 14 peut être entendue comme la métaphore de la volonté intime de Dieu proposant à l’homme, en Jésus-Christ, la plénitude par la déification qui seule, peut élever l’abîme à la lumière.

 » et ses entrailles sont douces comme l’ivoire

enveloppé de saphirs . « 

Cette déification est le fruit de la toute puissance et de la miséricorde amoureuse de Dieu.  » par les entrailles de miséricorde de notre Dieu » nous vient le salut, chantera Zacharie à la naissance de son fils Jean Baptiste (Luc. 1, 78). L’intimité divine nommée par les « entrailles » est Amour. L’image vient à la Bien Aimée, du souvenir de la béatitude, de la théophanie vécue dans l’Amour et que le désir réveillé, révèle dans l’absence. L’Eglise égarée commence à reprendre vie au fur et à mesure qu’elle veut bien se souvenir de ce que l’humanité a vécu et vit en ses saints.

L’  » ivoire » est la matière vivante, précieuse aux yeux des hommes car elle semble échapper à l’usure, non par sa dureté mais par l’impression de douceur qu’elle donne au toucher, et par ses formes. Si les « entrailles sont douces comme l’ivoire » c’est que cet Amour de Dieu est douceur et force à la fois, force de vie sans la mort. –  » Je suis doux et humble de cœur » dit Jésus-Christ – Et il est ajouté pour notre contemplation du mystère : »( comme l’ivoire ) enveloppé de saphirs » . Les saphirs, pierres précieuse elles aussi venues des profondeurs et des ténèbres de la terre, sont d’un tel bleu lumineux qu’elles ornent le pectoral du grand-prêtre ( Exode. 28, 18 ) , que les portes de Jérusalem sont en saphir (Tob, 13, 16), comme le deuxième soubassement de ses murs (Apocalypse, 21, 19) et que  » Moïse, Aaron, Nadab et Abihu et 70 anciens d’Israël virent le Dieu d’Israël » et « sous ses pieds, comme un ouvrage de saphir transparent comme le ciel lui-même dans sa pureté . » ( Exode. 24, 10 ). La douceur force de l’Amour de Dieu ne connaît pas l’usure ni la mort, et elle propose la plénitude sans limitation dont le bleu du ciel le plus pur est un aperçu .

Ainsi peut-on entendre comme l’appel et l’invitation à la plénitude amoureuse qu’est la déification, à relire ce verset 14, appel et invitation que l’Eglise réaffirme devant les hommes de bonne volonté :

 » Ses deux mains sont des coupes d’or

pleines de chrysolites

et ses entrailles sont douces comme l’ivoire

enveloppé de saphirs. « 

verset 15

 » Ses deux jambes sont des colonnes de marbre

fondées sur des socles d’or,

son maintien est comme le Liban,

noble comme les cèdres. « 

Dieu a révélé à Daniel le songe du « roi des rois », Nabuchodonosor :  » O roi, tu regardais et tu vis une grande statue. Cette statue était immense et d’une splendeur extraordinaire ; elle se dressait devant toi, et son aspect était terrible. La tête de la statue était d’or fin ; la poitrine et les bras d’argent ; le ventre et les hanches d’airain ; les jambes de fer ; et les pieds en partie de fer et en partie d’argile.  » C’est là l’icône de l’homme ayant reçu la toute puissance. En effet, il est écrit (Jérémie. 27, 6) :  » Maintenant, j’ai livré tous ces pays aux mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur ; je lui ai aussi donné les animaux des champs pour qu’ils soient à son service. Toutes les nations le serviront… » Si l’on compare la statue du rêve de ce « roi des rois », à l’image du Bien Aimé, il est évident que tout « roi des rois » qu’il soit, il demeure fragile et livré à l’usure du temps.

Sa tête est d’or car son pouvoir vient de la volonté de Dieu, mais sa poitrine et ses bras sont seulement d’argent, c’est dire de parole donnée pour un temps et non du souffle créateur que représente l’or, et qui fait dire au proverbe « la parole est d’argent, mais le silence est d’or  » ; silence pouvant être entendu comme le souffle de Dieu. Le ventre et les hanches, c’est dire la fécondité, l’engendrement, la pérennité sont « d’airain », cet alliage de cuivre et d’étain qui n’a de l’or qu’une lointaine apparence et qui noircit à l’air humide. Ainsi le royaume des royaumes, Babylone, durera un temps bien limité au regard de l’éternité : 70 ans ! Les jambes sont solides puisqu’elles sont « de fer » , mais elles ne sont pas à l’abri de la rouille. Quant aux pieds qui sont le fondement de la solidité de l’ensemble, ils sont plutôt fragiles, car « en partie de fer et en partie d’argile  » , sujets donc à des tensions antagonistes, le « fer » et « l’argile » , ayant chacun leur propre façon de réagir au froid, au chaud, au sec, à l’humide, aux nuits et aux jours dans le déroulement du temps.

Le Bien Aimé décrit par la Bien Aimée aux hommes de bonne volonté, n’a rien de ces faiblesses de la puissance humaine la plus grande :

 » Ses deux jambes sont des colonnes de marbre « 

Les colonnes de marbre défient les siècles dans tous les monuments des hommes. Et si l’on veut bien contempler le marbre, on voit que par sa texture, le poli et les formes qu’il permet, il donne l’impression de ressembler à la chair vivante qu’en même temps il transfigure, lui prêtant la pérennité de la pierre . – La statuaire , grecque surtout, a magnifiquement joué de cette image d’éternité dans sa recherche de la beauté. – La métaphore de ce début du verset 15 oriente vers la contemplation de la divino-humanité du Christ , »brillant d’éternelle beauté », en qui l’humain parfaitement assumé, n’a plus la fragilité de la créature.

Ces  » colonnes de marbre » sont dites :

 » fondées sur des socles d’or « 

L’or est l’image de Dieu, lumière inaltérable. Rappelons-le : la tête du bien aimé est d’or, ses mains sont d’or, et ses jambes se fondent sur l’or : il est donné à contempler comme tout à fait Dieu, comme Dieu parfait, en même temps qu’homme parfait, par cette description qui est donnée de Lui, comme d’un corps d’homme.

 » son maintien est comme le Liban,

noble comme les cèdres. « 

La divinité du Bien Aimé vient d’être affirmée dans le temps, elle l’est aussi dans l’espace de la création. Le Fils de l’homme est aux dimensions de l’univers. L’emploi de « son maintien » le montre homme, semblable, proche. La comparaison « comme le Liban » oriente vers sa dimension cosmique. Le Liban est la montagne d’où les eaux vivifient la terre promise . Il est l’image de la grandeur dans la beauté qui élève l’âme créée au-dessus des vallées et des plaines de tous les soucis seulement terre à terre . Le Fils de l’homme , homme parfait, dirige le regard vers le Ciel. Il est l’Autre et tout proche, dont la présence élève.

 » noble comme les cèdres »

est une affirmation de l’admiration lucide. La Bien Aimée, l’Eglise, revenue de son éloignement par toutes les formes du sommeil de l’esprit, retrouve en elle-même, et non plus en interrogeant le monde ou les esprits en recherche du sens de la vie, la lumière, la foi en sa plénitude. Ainsi peut-elle à nouveau voir et montrer qui est le Christ. Cette comparaison avec la création « comme les cèdres » est possible car, devenu homme, il oriente vers Dieu qu’Il ne cesse pas d’être lors de son séjour sur la Terre. Les cèdres ont la noblesse de Dieu. Et c’est parce que Dieu s’est fait homme qu’on peut le voir, à la lumière de l’esprit, révélé à lui-même,  » noble comme les cèdres » . L’expression n’enlève rien de sa parfaite humanité et oriente vers sa grandeur divine.

 » Ses deux jambes sont des colonnes de marbre

fondées sur des socles d’or,

son maintien est comme le Liban,

noble comme les cèdres. « 

Ce verset 15 peut être reçu comme la métaphore du Sauveur, le nouvel Adam qui, Dieu et homme, assume la création visible, sensible, et la fonde à nouveau sur la vie indestructible. Ce portrait qu’en donne la Bien Aimée, l’Eglise, aux hommes en quête de vérité, en réponse à leur question ,  » Qu’est-il de plus qu’un autre, ton bien aimé ? » (5, 9), prouve qu’elle réalise, en son égarement loin de Lui, qu’Il demeure vivant en son esprit, et qu’ainsi il lui est donné d’affirmer consciemment sa divino-humanité. Les versets 10 à 15 d’autre part, peuvent rappeler la sortie de « la nuit mystique » qu’expriment des saints comme Jean de la Croix ou Thérèse d’Avila.  » Je dors mais mon cœur veille » en aurait été l’entrée et comme la cause ? L’extase aurait pu aboutir à un sommeil de l’esprit, à quelque installation comme définitive en l’état d’amoureux ? à un abandon de sa propre personne, à quelque désir d’impossible fusion avec Dieu ? La béatitude se serait résolu en « je dors » ? et ce sommeil aurait abouti à se dépouiller de la gloire de Dieu, de la Lumière qui dès lors aurait été à rejoindre douloureusement par une traversée des ténèbres ?

Ce chapitre 5 peut être relu comme la prophétie d’un égarement de l’homme en devenir, de l’Eglise en son histoire, quand après s’être reposé sur ses richesses, sur son expansion, sur le nombre des baptisés et, comme enfermée en son héritage et son savoir devenu mondain, elle vit l’éloignement de Dieu. Il est possible sans déformer ni réduire ces pages à un discours définitif, de voir en cette prophétie, un miroir qui nous est tendu. Ne nous arrive-t-il pas de nous installer dans cet espèce d’angélisme qui consiste à laisser de côté le souci de la vérité en sa plénitude, et à nous satisfaire de nous trouver bien, entre prétendus élus ? de penser, d’agir et de refuser l’inattendu, comme si l’Amour avait à craindre d’une remise en cause des pensées, des clans, des habitudes pieuses et de tout enfermement ?  » Si tu n’as pas la Charité », tu as beau faire, tout est vain, dit en substance l’Apôtre Paul qui parle aux hommes devenus « spirituels » et non à ceux qui sont restés seulement « psychiques », car ils ne comprendraient pas. Ces versets du Cantique des cantiques invitent à formuler autrement cette impasse :  » si tu te crois installé dans la Charité, tu es devenu suffisant et fermé à toute alliance avec l’ Autre  » . C’est de cet aveuglement que procèdent les soucis exclusifs d’actions sociales, politiques ou humanitaires d’une part, ou les verrous du formalisme, du légalisme et du traditionalisme , d’autre part.

Le sommeil de l’esprit dont l’homme peut arriver à ignorer la faim et la soif, est l’installation souvent, dans un savoir basé sur le principe de non-contradiction tellement utile pour avoir prise sur les choses. Saisir la réalité autant qu’il est possible, même de la personne créée, sans la réduire, nécessite la contemplation du mystère par la crucifixion de la pensée et de la parole humaines .

Pour demeurer vivant, constamment éveillé, l’esprit est appelé à s’approcher du mystère, sans quoi il se chosifie. Il lui est demandé d’aller jusqu’à constater, admettre et accepter que les antinomies, Dieu Un en trois Personnes, Jésus-Christ Dieu et homme, Marie, Vierge et Mère, « la Théotokos » , sont à contempler, et que « l’apophatisme », l’impossibilité de connaître Dieu en sa nature, est à cultiver dans la même humilité intellectuelle et sensible.  » Je contemple  » et non  » je dors » – même si c’est dans la béatitude – est la nécessaire attitude de l’esprit revenu à lui, et vivifié .  » Je contemple et je veille » aurait pu préciser l’Apôtre Paul puisqu’il invite expressément à « prier sans cesse « . Rien de ce qui a été dit ou écrit ne saisit la réalité. Et les dogmes de l’Eglise indivise, n’ont rien de dogmatique : à qui ne les réduit pas selon une logique qui enferme sur elle-même ou fossilise en des croyances obligatoires, les dogmes sont des fenêtres ouvertes sur le Mystère. C’est ce que redécouvre l’Eglise quand, moquée, blessée, isolée, elle a retrouvé en son esprit réveillé, l’image de Dieu fait homme . C’est la fin de sa nuit.

verset 16

 » Son palais est douceurs .

Tout entier désirs, tel est mon amour

et mon ami, filles de Jérusalem .

 » palais « , il s’agit de l’intérieur de la bouche. La métaphore est celle de l’intimité vécue et non plus seulement désirée, mais en se souvenant que dans le domaine de l’esprit, le désir demeure, sinon c’est le sommeil, la demi-mort qui place et enferme dans l’éloignement et l’absence. – c’est le principal thème de ce chapitre 5 – Cette intimité semblable à celle de l’amante et de l’amant, est celle de l’esprit créé avec l’Esprit incréé. De même qu’un psaume parle de « la sobre ivresse de l’esprit », peut-être est-il permis de parler de la sobre sensualité de l’esprit créé, révélé à lui-même, dans la plus grande intimité avec l’Esprit-Saint ; on pourrait plutôt dire, la pure sensualité de l’esprit . Les saints n’en témoignent-ils pas , du moins ceux qui expriment que rien ne peut plus combler sinon cette intimité divine. Et s’il est précisé

 » son palais est douceurs « ,

non pas au singulier mais au pluriel, n’est-ce pas pour souligner que cette intimité de l’esprit de l’homme avec l’Esprit-Saint procure un au-delà de toutes les douceurs ? On peut lire en cette ligne, la prophétie de l’infinie douceur de Jésus-Christ qu’Il exprime lorsqu’Il affirme à ses disciples : « Je suis doux  » . Ce n’est pas seulement la douceur par opposition à la sévérité d’un juge. C’est plus que la miséricorde, la douceur des douceurs, la transcendance de toutes les douceurs ; la douceur dont toute douceur est une nostalgie. Aussi peut-on lire en ce début du verset 16, la fin de ce qui était ressenti comme l’éloignement de Dieu . Le rappel et le souvenir de la douceur des douceurs permet de revivre et de constater qu’elle ne se dissipe pas, ne s’évanouit pas, ne s’use pas. En tout cas,  » je dors » n’est plus. L’esprit s’éveille à ce qui lui a été donné de vivre, et qui perdure, selon la foi. Le « je dors » était aussi un assoupissement de la foi, autant que du fondamental désir.

 » Tout entier désirable » ou  » Tout entier désirs  » , « tel est mon amour  » .

Dans le texte hébreu, il est écrit  » désirs  » au pluriel. Ce pluriel a la même valeur que celui de « douceurs ». C’est bien le désir des désirs qui sous-tend tout  » Le Cantique des cantiques  » – On se souvient du tout début (1, 2).- Le Désir des désirs remet à leur place, tous les désirs et leur donne sens dans la fidélité personnelle. – Sans lui, tout désir risque de parasiter l’âme, le psychisme, en devenant un absolu, une passion, une idole. – Le retrouver vivant en son esprit et en son cœur, permet de ne plus se contenter d’aimer l’état amoureux, le souvenir d’une béatitude, mais de retrouver la Personne en l’Alliance personnelle.

«  tel est mon amour et mon ami  » est l’affirmation de la plénitude de la relation personnelle. Il est le tout proche, il ne saurait être seulement le divin. Ce verset 16 est aussi un témoignage aux « filles de Jérusalem « , aux hommes de bonne volonté sensibles à la recherche de l’esprit mais non à Dieu en personne dont ils ignorent encore ou même nient l’existence.

 » Son palais est douceurs,

tout entier désirs, tel est mon amour

et mon ami, filles de Jérusalem. « 

Ce témoignage de l’Eglise est en même temps prophétie de l’Autre devenant le plus intime, de Dieu fait homme sans fusion ni confusion, Dieu et homme parfait en son unique Personne. C’est la fin de l’épreuve, de la rechute de « l’homme nouveau » . Ce chapitre 5 peut dès lors être relu dans son ensemble ; il ne s’agit plus de métaphores qui sont , l’une après l’autre, des approches du mystère de l’amour de Dieu et de l’humanité, mais d’une prophétie qui est comme un récit des épreuves de l’Eglise quand elle s’est endormie dans ses richesses mondaines et spirituelles, jusqu’à favoriser, par son installation dans une suffisance qui l’a enfermée, la victoire de l’homme impie qui la juge inutile et la dépouille. Cette prophétie est d’autant plus à entendre que nous vivons dans un monde qui pense pouvoir et même devoir se passer de Dieu. Dans l’oubli de l’esprit, l’obésité du psychisme et l’éparpillement dans toutes les ivresses sans lendemain, qui en résultent, l’Eglise, pour quelques-uns, peut témoigner de ce désir fondamental de l’intimité avec Dieu amoureux , désir devenu viable par l’Esprit-Saint, car Dieu s’est fait homme en Jésus-Christ .

(à suivre)