La destinée de l’âme après la mort

La destinée de l’âme après la mort

Autonomie de l’âme

On m’a prié de parler de la « destinée » de l’âme après la mort.

Je dirai qu’elle commence aujourd’hui, maintenant. Il est, en vérité, absurde de parler de la destinée de l’âme après, si on ne parle pas de l’âme maintenant, dans les conditions où nous sommes. Je dis : aujourd’hui, parce que nous sommes aujourd’hui. C’est ici que nous devons poser la question.

Examinons auparavant ce qu’est l’autonomie de l’âme. Encore une fois, le mot « âme » est bien vague. Je ne veux pas définir le caractère de l’esprit, ni celui de l’âme, ni établir leur distinction. Je parlerai simplement de ce qui, n’étant pas le corps, peut continuer à vivre après la mort, après la séparation d’avec le corps.

L’homme peut développer sa vie autonome, aller très loin, parvenir jusqu’à considérer son corps, son psychisme, comme quelque chose d’extérieur, les regarder en spectateur. Dévelop­pée en accord avec la vie spirituelle, l’âme progresse, mais elle peut aussi n’être pas cultivée, exister faiblement, être peu réveillée, vivant selon le corps. C’est le non-développement de l’âme, et alors, d’une manière ou d’une autre, la question du monde spirituel en nous s’impose.

L’éveil de l’âme, c’est la vie autonome, non conditionnée par la réaction corporelle ; il en découle un autre élément : son attachement ou son détachement de la matière, positif ou négatif. Si la vitalité de l’âme augmente en nous dès maintenant, si l’indépen­dance de l’âme par la purification se fortifie en nous, son sort après la mort sera différent de celui de l’âme vivant selon le corps, c’est-à-dire qu’elle sera plus ou moins consciente, plus ou moins indépendante de ce qui nous at­tire sur la terre ou nous attache à nos soucis.

Cela est net et clair. L’âme n’aura à subir ni la justice abstraite de Dieu, ni les lois mais des préoccupations uniquement maté­rielles. Après la mort, la matière n’est plus mais les préoccupations subsistent. Si l’âme a déjà pris conscience de l’autonomie de sa vie personnelle, ici-bas, en-dehors de tout conditionnement matériel, « après la mort », ce ne sera qu’un passage. C’est une évidence.

Destinée de l’âme après la mort

La destinée de l’âme après la mort correspondra à sa vitalité, à son indépendance de la terre, à la grandeur de son existence propre. Plus ou moins somnolente, vigilante, vivante, elle sera souffrante ou non souffrante. D’où viendra et que sera cette souffrance ?

L’âme ne subira plus de souffrances physiques, mais des souffrances morales : soucis, désirs. Et comme elle ne pourra satisfaire ses désirs, sa souffrance sera d’autant plus aiguë qu’elle n’en sera pas libérée. En effet, nous avons des sensations et des sentiments ; ici les sensations ne seront plus mais le sentiment demeure. Lorsque nous parlons de l’âme après la mort, nous devons préciser que nous ne désignons pas un esprit ; l’âme est un complexe possédant ce que l’on nomme le corps subtil.

Prenons l’exemple imparfait, certes – de l’ampu­tation d’un membre ; on ressent la souffrance dans ce membre qui n’existe plus. Nous n’aurons plus de corps physique, nous aurons le corps subtil. Et nous emportons avec nous le psychisme.

L’Evangile nous présente la curieuse parabole du pauvre Lazare et du riche. Le riche, durant sa vie, dédaigne de s’occu­per du pauvre Lazare, assis sur le pas de sa porte. Il passe sans le voir. Après leur mort, le riche se trouve en enfer et voit le pauvre Lazare, en haut, dans le sein d’Abraham. Le riche dit à Abraham : «Père Abraham, envoie lazare, qu’il trempe son doigt dans l’eau et m’apporte ainsi un peu d’eau rafraîchissante pour sou­lager ma soif », et aussi « Abraham, préviens mes frères à la maison ». Mais Abraham lui répond : « C’est impos­sible. llj a un abîme infranchissable entre nous ! » Les Pères de l’Église expliquent quel est cet abîme. Est-ce un abime spatial ? C’est l’abîme psychologique que le riche pose entre lui et le ciel, car il n’a pas changé après la mort, immédiatement, sinon il se serait adressé directement à Lazare. Mais il pense avec la mentalité du « monsieur bien ». Il en appelle directement à l’autorité et demande d’envoyer Lazare, comme son serviteur, comme un clochard… Analysez cette parabole et vous verrez que la psychologie du riche n’a pas changé après sa mort.

Vous pouvez vous retrouver sans corps, mais vous emportez votre psychologie avec vous. Si elle n’est pas satisfaite ou si elle n’a pas espoir de l’être, alors, inévitablement, votre vitalité, votre puissance de vie seront diminuées ; votre souffrance sera plus ou moins grande à raison de l’attachement à votre psychologie que vous n’avez pas surmontée et que, seul, vous pouvez surmonter.

Nous pouvons ainsi considérer plusieurs possibilités dans leurs grandes lignes.

L’âme après la mort est plus vitale qu’ici-bas parce qu’elle n’a pas les entraves que nous avons sur terre, les soucis, les fatigues, etc. La vitalité et la vigueur de celui qui a vécu spirituellement sont si fortes qu’il peut aider les autres, évoluer dans cette vitalité. Par contre, celui qui est étranger à la culture de son âme se trouve dans un genre d’état somnolent, ayant contracté l’habitude de vi­vre de choses matérielles. Nombre d’âmes, après la mort, se deman­dent où elles sont ! Elles cherchent les anciennes conditions de la vie avec le corps : on raconte même que des guides spirituels doivent leur expliquer leur vie nouvelle : savez-vous que vous n’êtes pas un vivant ? Plongées dans la somno­lence, elles ne peuvent encore s’adapter aux conditions nouvel­les ni se détacher des éléments passionnels : argent, affection possessive… Leur souffrance est salutaire mais il y a souffrance parce qu’elles n’arrivent pas à se dégager de leur état.

Le ciel, la terre, l’enfer

Avec le christianisme, toutes les religions donnent et citent trois expériences, trois étapes : ciel, terre, enfer.

Ces trois termes doivent être expliqués car l’expérience du ciel, de la terre et de l’enfer commen­cent maintenant,

L’experience du ciel est le détachement, lorsque la vie spiri­tuelle nous gagne de plus en plus. Celle de la terre est neutre, humaine, ni bonne, ni mauvaise.

L’expérience de l’enfer, nous l’avons aussi dans notre vie : ce sont les angoisses terribles, les doutes, les ténèbres, les choses insatisfaites. L’âme, après la mort, peut traverser ces trois étapes. Dans l’étape céleste, elle s’élève hors des entraves. Dans l’ctapc terrestre, étant « terre à terre », l’âme ne peut précisément quitter cette terre, elle est troublée, elle revient sous forme de fantôme ou de désir, elle cherche d’une manière ou d’une autre à continuer la vie sans y parvenir. Dans l’étape enférique, enfin, elle s’intériorise sur son « ego » : pleine d’angoisse, intérieure, elle n’est plus attachée à la terre mais tout axée en son refus de l’extérieur, du monde, centrée sur son propre état égocentrique, et révoltée.

« L’âme-unie-au-corps », en notre état présent, c’est le principe de lutte. Nous luttons. Quand on parle, par exemple, de progrès technique, il ne s’agit pas d’un pro­grès mais d’une lutte, lutte de l’intelligence humaine pour mater les lois de la nature, fabriquer des avions, des ordinateurs… Toute notre vie est une lutte intérieure : lutte avec les passions, la société, entre le spirituel et le matériel, lutte ! Cette lutte peut être victo­rieuse, magnifique ; nous vivons néanmoins sous son signe. Pour cette raison l’Eglise sur terre porte le nom d’Eglise militante, Eglise de lutte intérieure.

« L’âme-séparée-du-corps », par contre, ne possède pas cette dualité en elle-même, elle est débarrassée des luttes, des dialo­gues inquiétants et souvent douloureux ; elle pénètre sur un autre plan, celui du progrès lent, de la conquête lente. Je crois que les notions d’évolution et de pro­grès placées dans le monde matériel y ont été transportées à partir du monde spirituel, car ce dernier, hors du corps surtout, est vraiment soumis à la loi de progrès. On progresse lentement, moins lentement parfois, mais c’est réellement la loi de progrès. Sur terre deux entités différentes se rencontrent : la possibilité de grandes victoires et la possibilité de grandes chutes et difficultés. II est nécessaire de mettre l’accent sur cet aspect.

Puis, l’âme-hors-du-corps, progresse mais point seule, car survient alors l’autre élément dont j’ai parlé précédemment. Avec la libération des entraves, des enga­gements ou des liens qui nous emprisonnent matériellement, il est impossible à une personnalité de progresser si elle n’a pas le soutien des autres.

Je reviens à la solidarité.

Les supérieurs aident les inférieurs, les vivants aident les morts, les morts aident les vivants. J’insiste sur cette loi de la solidarité. Pourquoi les Eglises prient-elles pour les morts, pourquoi ces problèmes si pro­fonds ? À cause de la solidarité entre les êtres, particulièrement manifestée dans l’angélologie.

Résumons. Trois éléments définissent le destin de notre âme après la mort : sa vitalité dans la vie spirituelle, sa libération des divers soucis l’enchaînant, et la solidarité entre les êtres humains.

Libération

Quand je prononce : « être libre », je n’ai pas seulement en vue la libération des plaisirs du monde, mais celle du complexe du monde. Je connais des âmes qui ne jouis­sent pas de cette vie d’une soixantaine d’années et qui se pré­parent un destin fort désagréable pour l’au-delà, parce que rongées de scrupules et d’autres senti­ments lugubres qui ne leur permettent d’être ni vraiment pécheresses, ni vraiment saintes ! Saisissez-vous combien la libéra­tion sur tous les plans est indispensable, c’est-à-dire de n’être point ligoté afin de ne pas nourrir de regrets, « après » ?

Trois étapes du cheminement de l’Ame après la mort

Quel est l’enseignement de l’Église ?

J’en tracerai uniquement les grandes lignes. Symboliquement trois étapes sont essentielles.

Première étape : l’homme meurt biologiquement, le cœur s’arrête. On compte trois jours durant lesquels l’âme n’est pas véritable­ment séparée du corps. Je dis trois jours mais il ne faut pas s’attacher aux heures ou à l’heure près ; le nombre est exact mais symbolique. Quel est son état pendant ces trois jours ? Comme je l’ai déjà indiqué, elle ne ressent plus de souffrances physiques. Le cœur est arrêté, pour­tant l’âme reste sensible formellement vis-à-vis de son corps. Nous en connaissons des cas « anecdotiques », tels celui d’une vieille femme qui, après sa mort, prétend qu’on a mis dans son cercueil un coussin trop dur. Une certaine sensibilité formelle – si l’on peut dire -, non physique, demeure donc. Nous connaissons d’autres cas d’âmes qui, après trois jours, ne sont pas séparées du corps ; l’on peut exceptionnel­lement et médicalement réveiller artificiellement l’homme à la vie après trois jours de mort. La résurrection de I^azare n’entre pas dans ce cadre ; elle est hors de cause car le corps se décomposait, le troisième jour était franchi et le contact âme – corps définitivement coupé ; l’âme et le corps faisaient deux. En disant « âme séparée du corps », nous devons faire atten­tion car nous savons qu’elle peut parfois se séparer du corps durant la vie et qu’il ne lui est pas toujours facile de réintégrer l’enveloppe corporelle.

Je parle des trois jours symbo­liques indiqués par l’Église.

L’on devra être attentif quant aux rites, formes, paroles autour du corps. À quels fréquents manques de tact s’abandonnent ceux qui désertent complètement le corps d’un mort ou qui, étant à ses côtés, discutent le prix de l’enterrement… et autres problè­mes pénibles !

La charité exige que nous demeurions auprès du corps avec des prières, des pensées bonnes. Puis, outre les trois jours et toujours symboliquement, l’on compte quarante jours – une quarantaine – (je n’ai pas le temps d’examiner le sens des nombres) ;

une période d’épreuve : l’âme, bien qu’elle soit séparée de son corps, conserve les souvenirs, les atta­chements, les luttes, elle n’est pas encore habituée à ses nouvelles conditions d’existence. Certaines âmes, par exemple, ne réalisent pas la lutte en elles du bien et du mal, ou une mère ne se résigne pas à quitter ses enfants…

Je ne puis résister à vous conter une histoire charmante. J’aime les petites histoires, elles allègent le discours. On ne peut être toujours sérieux, surtout si l’on veut bien passer dans l’éternité, il faut s’accoutumer d’être gai ! Il y avait donc dans une maison des bruits inattendus de vaisselle cassée, de casseroles heurtées. Quelque chose allait mal. On tapait. Tout craquait. L’on invite le curé, il asperge la maison d’eau bénite et dit des prières mais le chahut continue. Arrive alors l’enchanteur Merlin. Il regarde la pièce, brise le pot-au-feu et tout est terminé. La vieille grand mère qui était morte ne pouvait se détacher de son pot-au-feu. Elle revenait sans cesse faire son pot-au-feu. Le pot-au-feu sup­primé et remplacé par un autre, elle perdit son habitude. Voilà une légende certes, mais beaucoup plus véridique qu’on ne pense.

Vous trouverez dans le Missel romain cette admirable prière des premiers chrétiens : « Libère, Seigneur, l’âme de ton ser­viteur (ou servante) comme Tu as délivré Job de ses souffrances… Isaac des mains de son père Abraham prêt à I’immoler… comme Tu as délivré Daniel de la fosse aux lions… libère, libère ».

Couper le mince cordon, tran­cher la petite chaînette : nous en avons tous l’expérience, les petites manies sont souvent plus fortes que les grandes choses.

Si l’âme est détachée, après quarante jours, elle atteint un monde où, comme dit le Christ, « mus serez comme des anges ». Il ne dit pas : « vous serez des anges ».

Il y a toute possibilité de monter plus haut, ou de s’arrêter à mi-chemin, de pénétrer en des sphères supérieures. Selon la tradition, Pâme qui n’est pas en­core parvenue à acquérir quelque chose de plus profond, est guidée par des révélations personnelles.

Puis, vient la deuxième étape. L’âme, emportée plus haut, entre dans le plan des messages (ange signifie : messager), des révélations universelles sur le monde.

Troisième étape. Elle est intro­duite dans l’écoute de la musique des sphères ou lois du monde, dans la pensée de Dieu sur le monde en tant que « lois statiques », qui sont les lois, les harmonies, les principes.

Je vous l’assure, ces trois étapes forment déjà un bien long chemin ! Il est des personnes qui les ayant vécues sur terre, pensè­rent que rien ne leur était supérieur, que rien ne viendrait au delà. J’ai connu des gens qui avaient reçu un écho des musiques célestes…

Cependant, une âme ardente peut encore s’élever, vivre par des inspirations, des dons directs de Dieu. Saisie, elle est ivre de ces dons, de ces lumières, elle s’y perd comme dans un nirvana et monte encore. Il lui arrive de recevoir la virilité afin que tel don la pénètre, la forme et qu’elle ne soit plus seulement victime de la grandeur divine mais prenne aussi « conscience ». Dès qu’elle est imprimée de virilité, elle s’élève, s’élève, entraînée par l’élévation la plus sublime. Dans cet envol permanent vers Dieu, elle touche la stabilité et devient siège de Dieu. Et, plus loin que la stabilité, la sagesse divine l’enva­hit. La dernière étape précédant la déification totale, quand Dieu sera « tout en tous », c’est l’entrée dans le brûlant de l’amour.

La descente

Mais il existe aussi une descente. Une zone neutre appa­raît d’abord ; l’âme monte un peu, descend un peu, ou stagne en une certaine attente. Elle n’a rien commis de mal, elle n’a rien commis de bien ; quasi en sommeil, et voilà, dans cette fausse attitude qu’elle a adoptée, elle peut descendre !

Première descente, première marche, elle est prise d’effroi, elle ne se retrouve plus.

Deuxième marche : dans son effroi, elle se replie et se sépare de ses frères.

Troisième marche : elle descend encore et alors se révolte contre l’harmonie du monde, recroque­villée sur elle-même.

Quatrième étape : elle refuse d’accepter quoi que ce soit venant du dehors ; elle veut posséder, être elle-même seule, pour elle seule.

Cet état lui ouvre la cinquième étape : la mélancolie froide, la tristesse infinie. Plus bas, elle s’enferme en « soi », refuse toute évolution, toute sortie ; elle se durcit enfin dans cette position et glisse vers la destruction – non des autres -, elle touche le feu de l’enfer.

Isaac le Syrien – grand mystique, Père de l’Église du Ve siècle interrogé ainsi par ses disciples : « Qu ‘est-ce que le feu de l’enfer ? » – répondit : « Le feu de l’enfer est le refus de l’amour de Dieu », car le symbolisme du feu est double : il réchauffe et il détruit.

Conclusion

En résumé, la descente, voyez- vous, est un genre de monde qui se rétrécit dans mon « moi » (ego), tandis que la montée est toujours vers toi, ou vers nous, ou avec.

Je terminerai en disant que les qualités les plus essentielles de l’âme sont, dès maintenant, le détachement, la vitalité spirituelle et la charité de sortir d’elle-même pour un autre.

Eugraph Kovalevsky (évèque Jean de Saint-Dénis).
Extrait d’une conférence parue initialement dans le n°27 de Présence orthodoxe, 4ème trimestre 1974.

Consultez le livre ‘Le chemin de la vie’ et ‘La destinée de l’âme après la mort’