La foi orthodoxe (Saint Jean Damascène)

Saint-Jean Damascène

LA FOI ORTHODOXE

suivie de

DÉFENSE DES ICÔNES

Préface de Mgr Jean KOVALEVSKY

Traduction, introduction et notes
du Docteur Emmanuel PONSOYE

Paris 1966

Editions Cahiers Saint-Irénée

AVANT – PROPOS

Aucun livre n’est plus utile à notre époque que l’« Exposé de la Foi Orthodoxe » de Saint-Jean Damascène, traduit avec tant d’amour et de conscience par le Docteur Emmanuel Ponsoye. Nous considérons sa parution comme un événement. Que Dieu bénisse celui qui se risqua à entreprendre ce périlleux travail !

Où réside l’utilité de l’œuvre de Saint Jean Damascène ?

Elle tranche salutairement avec l’agitation des œuvres « d’actualité », et nous ramène aux profondeurs théologiques qui résistent aux courants superficiels et les absorbent.

Certes, Jean Damascène, comme tous les êtres humains, même les plus géniaux et les plus dégagés et libérés des limitations du temps et de l’espace, est soumis aux conditions historiques. Sa science, sa philosophie, son langage appartiennent à la culture grecque du VIIIe siècle. Mais le Verbe prééternel, s’incarnant de la Vierge Marie, n’a-t-il point accepté librement le conditionnement extérieur : la loi de la synagogue sous forme de la circoncision, la vie coutumière du village de Nazareth, l’araméen pour prêcher…? La croix même, ce signe éternel, n’était-elle pas aussi l’instrument de pendaison des sujets de Rome, indignes d’être décapités parce que non citoyens romains ? Oui, le Christ n’était pas citoyen comme Paul ; s’il l’avait été, nous n’aurions pas eu la croix. Alors, se pose la question : Dieu incarné fut-il crucifié parce que non citoyen, ou choisit-il librement de ne point l’être afin d’être crucifié ? Telle est la question théologique du conditionnement qui nous apparaît comme un symbole de l’économie divine.

Le Verbe, tout en endossant « la forme d’esclave », ne se laisse pas pour autant limiter par elle. A travers elle, l’homme parfait et sa divinité éclatent. Il est « maître du sabbat », il marche sur les eaux de l’histoire, il manifeste sa maîtrise de la destinée. Le Crucifié est ressuscité.

Les Slaves qualifient Saint-Jean Damascène de « très ressemblant au Christ ». Les conditions historiques et leur dépassement dans l’œuvre damascienne sont étonnamment instructifs. Jean grandit, pense, agit, écrit, chante, lutte, sous le régime islamique et, après sa mort, son corps reposera, et repose encore, dans une mosquée. Chrétien parmi les Mahométans.

Un des aspects de l’islamisme est l’iconoclasme, le refus sans appel de toute représentation humaine, même animale. Jean, en ce climat iconoclaste, devient le défenseur des icônes, le théologien de l’icône, non par opposition à son milieu – être opposé est être conditionné – mais en le survolant, en marchant sur le fleuve du Coran.

Le paradoxe providentiel veut que sa voix puissante pour défendre l’Image de la Gloire inaccessible, incarnée et vue, se soit adressée à ceux qui sont devenus iconoclastes au nom du Christ et non en celui de Mahomet, aux « Roumis » de l’empire romain et chrétien et non à sa ville de Damas. L’icône trouve ainsi son Témoin hors des frontières chrétiennes, en la personne d’un dignitaire du Khalife.

Le XXe siècle est étrange et équivoque : iconoclaste dans le sacré et dans l’art dit non figuratif, il est iconolâtre dans le profane et le vulgaire. Il confesse la spiritualité désincarnée et la chair despiritualisée. Double attaque de l’icône. On s’acharne, d’une part, à vider les églises de l’Image, d’autre part, on encombre notre vie quotidienne et psychique d’illustrés, d’affiches, de télévisions… L’icône est un signe signifiant Dieu et ses mystères; le kaléidoscope des images vulgaires (illustrés, affiches, télé…) ne «signifie» rien, un rien qui nous étouffe.

Jean Damascène est l’homme du jour.

Il se dresse comme un prophète pour nous ramener à la lumineuse iconologie orthodoxe.

L’ « Exposé de la Foi Orthodoxe » est une sorte de somme métaphysique-théologique dépassant de loin la seule iconologie. Il nous déroule un vaste panorama de la doctrine orthodoxe. Commençant par l’Ineffable, l’Inexprimable, celui que nous nommons Dieu, il nous guide par la Supra-Essentielle Trinité vers le saisissement des mystères de la création, de l’incarnation, du salut, de la sanctification, jusqu’à l’eschatologique déification. La pneumatologie orthodoxe, l’épiclèse (action transformante de l’Esprit Saint dans le sacrement) est lumineusement confessée. Cet Exposé est un symbole de foi, développé et systématisé. Il est certain que notre esprit a besoin d’un exposé systématique, d’une vision globale du monde – Jean Damascène n’est pas le premier parmi les Pères à faire cette tentative – néanmoins, la Révélation et la tradition de l’Eglise ne pourront jamais être saisies totalement. Jean Damascène fut appelé le premier scolastique, précisément parce que auteur de cette « somme ». Ceci est exact en partie, il réunit les textes, s’appuie sur l’autorité patristique, analyse coordonne mais ne s’arrête pas à cette méthode. En théologien authentique, il marie la connaissance acquise par l’Eglise aux illuminations directes de l’Esprit Saint. Loin d’être compilateur, il reçoit les foudroyants chocs de l’inspiration, ravi par les visions nouvelles des mystères de notre salut. Son exposé est traditionnel et neuf. Ni intellectuel, ni même un intellectuel inspiré, Jean Damascène est un « témoin » qui voit, palpe et confesse la Révélation.

Cette traduction de l’ouvrage damascien n’est pas environnée de chapitres consacrés à la critique historique. Elle branche directement le lecteur à la théologie du Docteur de l’Eglise. Le traducteur a en vue la communion des Saints, le plongeon d’un Chrétien moderne dans le courant vivifiant de la Tradition, et non une présentation « du dehors » d’une doctrine des temps périmés, susceptible de satisfaire la curiosité de l’esprit.

En effet, l’appareil scientifique comprimant l’œuvre de génie, malgré les services énormes qu’il apporte à la civilisation humaine, n’est pas sans danger, ni ambiguïté. Un bon historien s’applique à être objectif, c’est-à-dire en delà de l’œuvre et planant au-dessus de l’auteur. Il essaye d’éviter toute attitude passionnelle, les sentiments d’emballement, d’émerveillement ou d’indignation. Placé sur une chaire élevée, il juge avec condescendance, distribue des éloges prudents, des critiques modérées et se considère, en toute bonne foi, supérieur à son patient. Inconsciemment, le XXe siècle est plus intelligent à ses yeux que les siècles antérieurs. Un Saint naïf ou un génie se trouvent dans la situation d’un bon élève devant son professeur diplômé. En réalité, les chefs-d’œuvre sont engendrés dans les entrailles, le sacrifice, la souffrance, la recherche, l’hésitation, l’inspiration, par l’engagement de l’être total, par la lutte intérieure et la résistance extérieure. L’historien, lui, promulgue son jugement dans un climat paisible et désincarné.

D’autre part. si l’œuvre analysée possède une bibliographie abondante, l’homme de science nous présentera alors un diptyque des noms des prédécesseurs, inconnus aux non spécialistes, avec lesquels il entrera en polémique sur des détails futiles. Il sera bien malaisé au lecteur de rencontrer l’auteur au sein de cette foule.

J’ai par hasard, sur mon bureau un texte récemment édité et que je considère d’une valeur immortelle ; il n’a que 18 pages mais il est précédé de 62 pages d’introduction et de 22 pages d’appendice ; de plus, chacune des 18 pages est grignotée par 10 ou 20 lignes consacrées à des comparaisons de manuscrits, ne changeant en rien le contenu. Cette édition ressemble aux sandwichs des gares où l’on cherche avec peine de minuscules tranches de jambon, égarées dans les croûtes. Le Docteur Emmanuel Ponsoye, et nous le soutenons, préfère livrer la pensée de Jean Damascène sans encombrement critique, avec simplement quelques réflexions personnelles. Que les commentaires critiques et théologiques complètent ensuite cette traduction nouvelle !

Saint-Jean Damascène n’est pas que théologien, il est musicien et poète. La Vierge, dit-on, l’appela « le Psalmiste du Nouveau Testament ». Théologie et poésie ne font qu’un de ses chants. Il invite les Chrétiens de notre siècle à remanier l’art et la métaphysique.

La liturgie orthodoxe s’épanouit et fleurit dans les « canons » iambiques, les « dogmaticons », les « stichères » de ce psalmiste de la Nouvelle Alliance, et nous ne résistons pas au désir d’ajouter quelques exemples célèbres au livre du Dr E. Ponsoye :

CANON PASCAL

C’est le jour de la Résurrection : peuples, rayonnons de joie.

C’est la Pâque, la Pâque du Seigneur :

De la mort à la vie,

De la terre aux cieux,

Christ Dieu nous a menés,

Chantons l’hymne de la victoire,

Venez, buvons le breuvage nouveau

Ce n’est pas la source qu’un miracle

Fit jaillir du rocher,

C’est le Christ, la Source incorruptible qui s’élance du tombeau

Et nous donne sa puissance.

Tout est inondé de lumière,

Le ciel, la terre

Et l’enfer

Que toute créature célèbre

La Résurrection du Christ,

En lui, elle est fortifiée.

Christ est ressuscité des morts,

Par la mort, il a vaincu la mort,

A ceux qui sont dans le tombeau

Il a donné la vie !

CHANTS DOGMATIQUES A LA VIERGE

Le prophète David, ancêtre de Dieu, contemple ta grandeur, Marie, et te présentant comme Avocate de la vie proclame en son psaume : la Reine est apparue à la droite du Seigneur. Et Dieu a condescendu à s’incarner sans père, de Toi, Mère, afin de rénover l’image corrompue par les passions et de retrouver la brebis égarée dans les âpres montagnes. Il la prend sur ses épaules. Il l’apporte en bienveillance à son Père, il la joint aux vertus célestes, sauve le monde par sa grande et abondante miséricorde, ô Mère de Dieu.

Chantons la Gloire universelle, l’Œuvre de l’humanité, la Mère du Maître, Marie la Vierge, la porte Céleste, le Poème des incorporels, l’Engrais des fidèles. Elle est apparue, Ciel et Temple de la divinité ! Elle a détruit le mur de séparation, introduit la paix, ouvert le Royaume. En elle, nous possédons la solidité de notre foi. D’Elle est né pour nous le chef de combat. Osez donc, osez hommes de Dieu, car Il vaincra les ennemis. Lui, le Seigneur Tout-Puissant.

Nous recommandons à tous ce livre qui peut servir d’initiation à l’Orthodoxie et nous remercions le traducteur en appelant sur lui la Bénédiction de la Divine Trinité.

Monseigneur Jean, évêque de Saint-Denis
Docteur en Théologie
Recteur de l’Institut Saint-Denys

INTRODUCTION

Jean Damascène, appelé encore Mansour (en arabe le vainqueur) et Chrysorroas (qui roule de l’or dans ses flots) est né à l’extrême fin du septième siècle, à Damas en Syrie, de riches et pieux parents. Son père était conseiller à la cour du calife (Damas était sarrasine depuis 633) et une partie de ses biens passait à racheter des chrétiens devenus esclaves après leur capture, en haute mer le plus souvent. Il libéra ainsi un moine de l’Italie du Sud nommé Cosmas, homme rempli d’une grande science, profane et sacrée, et le reçut dans sa maison pour enseigner son fils Jean et un enfant adoptif qui s’appelait également Cosmas, et les élever dans la piété et la connaissance de Dieu.

Le calife attribua à Jean la charge de son père à la mort de ce dernier. A cette époque (730) l’empereur Léon l’Isaurien mettait en branle sa machine de guerre contre les icône. Jean soutenait de tout son pouvoir le culte des Images et écrivait des lettres dont le contenu doctrinal, solide et fortement pensé, appelait au combat les fidèles. Et comme à ces époques, où la variété des supplices ne s’arrêtaient qu’avec l’imagination, ce combat n’était pas purement spéculatif[1] , l’empereur irrité fit faire une fausse lettre, imitée d’après une de celles qu’envoyait Jean et faisant état d’une tentative de libérer Damas du joug sarrasin. Cette fausse lettre eut assez de poids pour amener le calife à renvoyer Jean et à lui faire trancher la main droite[2] . Cette main coupée, Jean la présenta à son poignet tranché en demandant instamment à la Vierge, devant une de ses icônes, de la lui rendre pour continuer son combat. Son homonyme Jean de Jérusalem qui rapporte l’histoire au Xe siècle, témoigne de sa guérison. Il ne reprit pas toutefois sa charge, bien que le calife, convaincu par le miracle de son innocence, la lui eût rendue, mais, assoiffé de solitude et de sainteté, il vendit ses biens, affranchit ses esclaves et se retira dans un monastère de Jérusalem en­couragé par son ancien maître, Cosmas, alors évêque de Maxime en Mésopotamie.

Quand un nouvel empereur iconoclaste, Constantin Copronyme, le fils du premier, apparut, il quitta sa laure pour reprendre la lutte en faveur des Images, sans tenir compte ni de la fureur de ce dernier ni des excommunications des « dignitaires » de l’Église (on n’ose à peine mettre une majuscule). Il parcourt la Palestine et la Syrie et s’apprête à monter à Constantinople pour apposer le sceau du martyr au témoignage de sa foi, mais la maladie le frappe, puis la mort, dans sa laure de St-Sabas, à Jérusalem, où on l’a transporté.

Ses nombreux ouvrages ont joui de tout temps d’une grande autorité, tant en Orient qu’en Occident, mais trois surtout sous le titre général de Source de Connaissance ont eu large audience. Les deux premiers, Dialectique et Hérésies, introduisent le troisième qui est l’objet de la présente traduction, d’une part en donnant les éléments d’une pensée « scientifique » et d’autre part en exposant les erreurs où la foi chrétienne est tombée, faute de cette méthode et faute évidemment d’une suffisante illumination.

C’est donc dire en quel sens son exposé sera « précis » Les mots sont profondément incapables, pense St Jean Damascène, de saisir les réalités qu’ils décrivent. Le mystère du langage est grand ; d’une part dans la correspondance qu’il établit entre les réalités concrètes et la pensée qui comprend, et d’au part dans la communication qu’il établit entre deux êtres, c’est ainsi qu’un père est émerveillé du premier sourire de son enfant en réponse au sien. La vie court sans qu’on ait le loisir de penser tous ces mystères et ceux qui en font profession les enveloppent de fuliginosités et de ténèbres pâlement éclairées, en sorte que l’on cesse de communier et de suivre. Les Pères ­de l’Église ont quelque peu l’habitude de l’humilité et il faut chez eux se livrer à un travail inverse ; sous une apparente simplicité se cache une source propre, fraîche et bien captée. On a une impression de nature et de naturel, où nulle idée, nulle pensée n’est gratuite, mais vient de l’expérience. C’est le goût de vérité qui porte Jean à examiner son outillage dialectique, mais il sait combien la « précision », c’est-à-dire en somme le fait de coïncider par nos sens avec l’objet, n’est qu’un côté de l’expérience. Il y a la « précision » de la vision directe des choses en Dieu et avec Dieu, par le noûs divin (de ce noûs ou intellect supérieur il sera parlé plus loin). De ce côté-là aussi il faut bien voir, bien sentir avec précision. Tous les « êtres raisonnables » ont cette faculté de plonger dans l’océan de la pensée divine, bien que la plupart du temps les vapeurs et les brumes du psychisme cachent l’éclatante lumière des eaux supérieures, ces « eaux du ciel où Il bâtit sa demeure ».

Dès lors la première « précision » devient la plus illusoire des vanités lorsqu’on la sépare de la deuxième. Le noûs et la sensation, dit Clément d’Alexandrie, ont en commun l’évidence. Ce n’est pas le lieu de développer ce thème, de montrer que la racine WeiD, en indo-européen a donné en sanskrit veda : je sais, en latinvideo : je vois, et en grec oida : je connais ; d’ajouter qu’en hébreu ce mot correspond à la connaissance la plus totale du couple humain. Cela peut toutefois indiquer combien la pensée antique a oscillé, par expérience directe, entre le pôle des sensations et celui des idées au sens platonicien (des « idées » vivantes et actives), comme un courant de haute fréquence que nous, modernes, enregistrons de plus en plus faiblement ou mal par atrophie, distorsion de l’organe correspondant.

Cette image qui n’est qu’une image permet du moins de comprendre cette analogia (lire analoguia) des Pères Grecs, qui n’est autre que le sentiment inné dans la nature humaine d’une correspondance entre le monde concret, c’est-à-dire le monde-sous-nos-sens, le monde des formes et le sans-forme ; les uns étant les « ombres portées » des autres. De faire entrevoir également l’immense importance de l’Image dans le monde où Dieu a non seulement révélé le divin (les traditions primitives sont fondées sur les aspects du divin), son Nom (Celui qui suis), mais où il a également conversé avec les hommes pour qu’on le vît, le touchât, l’entendît comme l’un de nous. D’une mystérieuse façon l’image est le prototype si elle est faite en voyant le prototype, en raison précisément de cette correspondance.

A cet Exposé Précis nous avons donc ajouté un des sermons Contre les Iconoclastes, le troisième, qui en reprenant les deux premiers constitué un traité théologique de défense de l’Icône. Le trait de la sainteté de Jean, c’est sa sauvegarde de la vision théologique de l’Icône, vision difficile à accueillir pour un occidental.

On n’a aucune peine à comprendre dès lors le cas que fait Jean des œuvres de Denys l’Aréopagite, ce « savant connaisseur du divin ». Denys a parlé avant lui de l’analogia et des loggias sacrés, ces mots imprononçables qu’a prononcés le Verbe, et qui sont les « racines célestes » des « réalités » terrestres. Jean n’était pas près de se laisser enfermer dans le dilemme – ou soi-disant tel – absurde où est tombé la scolastique et dont nous ne sommes d’ailleurs pas sortis : le dilemme réalité-dans­les-faits ou réalité-dans-les-principes. Dès que l’on a assimilé la petite, et comme incidente, remarque de Jean qu’il y a en théologie des choses exprimables et d’autres inexprimables, des choses connaissables et d’autres inconnaissables, on se trouve devant un principe d’indétermination qui fait que les instruments de la connaissance influencent ce que l’on connaît. Il faut donc après avoir amorcé la montée avec les pinces précises de la dialectique, abandonner ces instruments et faire un saut dans l’ineffable et, de là… dans l’inconnaissable. Même sans aucune expérience directe de ce que recouvre ces mots et en ne considérant cette « théorie », au sens le plus banal, que comme un jeu, on soupçonne la richesse des situations.

Dans la mesure où le jeu de l’Analogia correspond comme le jeu de l’oie, à ce qui existe, le ciel, la terre et tout l’intervalle, St Jean Damascène ne perd pas de temps comme tant d’autres contemplatifs d’Extrême-Orient à parcourir longuement les territoires que couvre ses « cartes ». En cela il est occidental, il est conscient sans cesse que ce jeu est, en réalité, un drame.

Il est extrêmement réjouissant de voir cet esprit, si préoccupé de dialectique et qui tient si ferme les rênes de son expression, laisser sa vive sensibilité veiner son exposé, sourdre et jaillir comme une source fraîche. On a le cœur saisi, littéralement, devant la douleur de Marie : celle, dit-il, qui avait conçu sans la volupté et enfanté sans douleur a le cœur broyé en voyant celui qu’elle savait être né surnaturellement mourir comme un malfaiteur. La poésie est le faire par excellence puisqu’en elle rythme et pensée discursive, musique venant des choses et musique faisant les choses, se fondent sans se confondre et s’unissent sans se mélanger. Toute la « poésie » (la Poiésis) divine, le faire de Dieu et le fait par Dieu, ont une image, une icône, dans la création de l’homme (entendons : quand l’homme crée). L’homme a « inventé » des paroles et des nombres qui calquent leur réalité sur la réalité des choses. Il ne saurait dire si ces nombres ou ces « racines verbales » sont dans la nature, sa nature, ou si son esprit les a induits, déduits, traduits, produits. Cette série de prépositions (in, de, trans, pro indiquent en dehors de toute forme conceptuelle, une pure relation) laisse supposer toute une science dont St Jean Damascène lui-même nous donne un aperçu en appliquant ce pur informel à ce qui est connaissable de Dieu, les relations entre les trois hypostases par les prépositions : de, par, en.

Aucun vocabulaire n’est assez ouvert à la fois au monde concret et au monde angélique pour chanter dignement les êtres de la création ; une implacable dialectique contraint, depuis la chute, nos langues ou plutôt nos esprits à séparer sous l’influence du Séparateur. Cette séparation, ce « mur de séparation », par le Christ est devenu illusion. Les êtres de la terre reflètent l’unité divine en associant les notions « contradictoires » de quantité et de qualité, la pensée et la matière, l’essence et l’existence… Il faut donc, pour parler, un chant polyphonique où un contrepoint profond vient redresser ce qu’a d’inadéquat le ton plus haut. Jean Damascène est donc poète, au sens banal du terme, autant que dialecticien, et cela, non que les débordements de l’un trouvent un contrepoids dans la sécheresse de l’autre, mais à cause de la rectitude naturelle de sa pensée au sens où une plante pousse droit, de la terre an ciel.

La théologie des Pères grecs n’évoque en rien nos systèmes philosophiques. On peut construire un édifice avec les mains et avec l’esprit ; si imposant et bien conçu qu’il soit il n’a pas la vie en lui. C’est pourquoi Jean Damascène ne veut connaître que la Tradition des Pères et l’Écriture, sans déranger les « bornes antiques ». Grégoire le théologien, Basile (le grand et divin), Grégoire évêque de Nysse, Cyrille d’Alexandrie, Léon le Grand, Léonce de Byzance, Athanase, l’autre Jean dit Chrysostome, Epiphane et, il va sans dire, l’expert du divin, Denys, tels sont les Pères, porteurs de Dieu, qu’il cite constamment.

Il les cite d’ailleurs pour ainsi dire sans s’en apercevoir. On trouve dans Grégoire le Théologien parfois les mêmes phrases mot pour mot. Il est évident qu’il n’y a pas là un «copiage », un plagiat pour parler plus correctement, mais une sorte d’accord intime et plein du cœur et de la pensée, et il arrive inversement que Jean pousse une formulation des Pères avec plus de profondeur en leur attribuant le mérite de cette pénétration. On devine par là la force de la Tradition. De naïfs savants qui traitent sans expérience de la chose assurent que la transmission écrite est plus fidèle et plus sûre que la transmission orale (« c’est évident ») ; de même on ne peut soupçonner cette force de la Tradition dans une mentalité profane et « universitaire ». Quant à l’Écriture divine, il pense à travers elle et l’on trouverait difficilement, je crois, un pareil chant pour inviter à la cultiver, avec tout ce que le mot comporte de labourage, de binage, d’arrosage, de reprise, pour parvenir au « seul fruit suave de la contemplation de Dieu ». Là est la « théologie » : une ascèse du corps et de l’âme (souffles passionnels, « dialogismes », c’est-à-dire raisonnements) permettant une participation à la « joie de son maître ».

Nous occidentaux, qui aimons les « sommes » et les exposés exhaustifs, nous avons un Père selon nos vues en St Jean Damascène et il est étonnant que seulement des fragments de son Exposé Précis aient été traduits en français. Cela vient sans doute de la fermeté de sa doctrine, qui n’est d’ailleurs que celle de ses Pères théophores, sur l’hypostase du Père, seule Source, seule Cause, engendrant le Fils et faisant procéder l’Esprit selon un mode que seuls Ils connaissent. Cette circularité, si l’on ose dire, des trois hypostases divines telles que les voyaient les Pères, donne un sentiment de plénitude là où la doctrine du filioqueen donne un de dualité, de polarisation. Dualité et pôles unis par énergie sont le fondement, les éléments, les stoïchéia de ce monde et peuvent être images de la Trinité. Mais on a les bras sciés par la glissade où s’est laissé aller l’Occident chrétien en faisant de la troisième personne de la Trinité un lien qui, fut-il d’amour, la subordonne aux deux autres Personnes, fait du Fils une deuxième cause, et admet dans le Saint-Esprit un mouvement d’aller-retour et non simple; et cela alors qu’Il procède du Père, d’après la parole même du Christ[3] .

S’il y a une tension, pour revenir à cette image puisée dans la physique moderne, ce n’est pas entre le Père et le Fils qu’elle est, mais entre le Fils, Verbe de Dieu, parole créatrice, et le Saint-Esprit qui joint, unit les parties, s’insinue entre les articulations, en amenant le tout à participer dans tous ses aspects et recoins à la plénitude. Supprimer cette tension réduit la création à une pyramide monolithique dont la base est anonyme et donc sans personnalité répondante. Et tel est bien l’état auquel tend l’Église en Occident latin qui a supprimé par son filioque cette tension en enlevant aux fidèles la communion au sang du Seigneur (qui pourtant a dit : « Buvez en tous ») et l’action de l’épiclèse.

S’il a sans doute parlé ou prié en arabe ou en syriaque, il a certainement pensé et écrit ses œuvres directement en grec. Le grec est de nos langues la plus souple, c’est-à-dire celle qu’on peut à la fois étirer ou réduire, comme un filet de résine odoriférante, sans pourtant qu’elle cède. C’est la langue idéale pour exprimer les antinomies, les nuances, les liaisons et oppositions, et faire saisir s’il est possible l’inexprimable. Certes l’auteur n’a pas le bonheur d’expression d’un Platon ou d’un Démosthène. Il recourt souvent à d’impressionnantes séries de participes. Du moins la fermeté de sa pensée coule-t-elle aisément dans cette matière élastique.

Il est nécessaire d’expliquer un certain nombres de termes grecs familiers aux spécialistes mais dont la traduction est parfois très malaisée.

Le mot hypostase est passé tel que dans le jargon théologique. C’est la racine ST de station, instant, stèle…, et la racine UB qui a donné hypo et hyper, sub etsuper, sous et sur parce qu’elle exprime ce mouvement de bas en haut, comme ana en grec. L’hypostase permet donc de remonter à la nature, à l’essencedans bien des cas il nous manque le verbe subster, car c’est la dérivation exacte, à partir du latin et des mêmes racines (l’esprit rude, l’h de hypo et hyper, siffle dans l’s latin desub et super) des mots hypostase et substance : remplacer subster par subsister c’est rabaisser l’hypostase à la subsistance[4] .

Perichôrèse est aussi passé en français, si l’on peut dire, mais c’est plus encore un mot de spécialiste. Il n’existe pas dans le dictionnaire Bailly mais vient du verbe perichôréo ; péri c’est l’adverbe-prépositionautour, au sujet, par dessus ; de la racine Pe R qui exprime l’idée qu’on lui connaît en français. Chôra, c’est la place, l’espace occupé par. Le verbe signifie : venir autour et aboutir à. La périchorèse est donc la faculté d’aboutir à la place de. Le latin théologique l’appellecircum­incessio et comme les Pères grecs usent souvent du verbe, il nous faudrait à circum-incession joindre circum-incéder : c’est beaucoup nous demander. J’ai cru pouvoir tirer de la racine WAD qui a donné : je vais, évader, envahi et gué (par le vieux français guaer venu de vadum : comme war donne guerre), le motpervasion et le verbe pervader[5] .

Le verbe theôréo est traduit par considérer, avec l’idée de spectacle (d’où théâtre) de vision, de constatation, de contemplation (opposée à action).

Il a fallu le plus souvent garder tel que le mot noûs qui signifie, dans l’idée que se font de l’homme les Pères grecs, ce qu’en Occident on appelle la « fine pointe de l’esprit », ou l’intellect supérieur. Jean Damascène dit, à la manière de Platon, que le noûs est à l’âme ce que l’œil est au corps ; Grégoire le théologien l’appelle phare et promontoire. L’« œil de l’âme » est certainement l’image qui rend le mieux ce sommet de l’être humain, car l’œil est à la fois féminin : il reçoit l’évidence – « les sens et le noûs ont en commun l’évidence », dit Clément d’Alexandrie – de la pensée divine; il contemple, inspecte, constate et considère (théôreo); et il est masculin, car le regard ordonne, saisit, foudroie, perce, embrasse à la vitesse-limite du rayon lumineux. Il y a autant de différence entre lui et l’âme qu’entre celle-ci et le corps, comme il y en a autant entre la graine, le ver à soie et le papillon. Le noûs est un « papillon » noétique : ce dernier qualificatif est également conservé tel que, ainsi que noème (« pensée » supérieure, informelle) et noérique.

Cette perspective (dite trichotomiste) va plus loin que la dualité corps-âme et s’impose, car en vérité quel est l’être qui n’ait pas d’âme, voire d’ange dans le ciel, dès lors qu’il est, qu’il a un « correspondant » céleste, et que Adam l’a nommé. L’homme ne tranche sur les autres êtres que par sa participation active, volontaire et libre, à ce que lui révèle ce noûs quand les nuages et brumes de l’âme ne masquent pas l’éclatant étincellement des sommets constamment illuminés de son être.

La pro-hairésis, c’est la faculté de choisir entre la lumière du sommet et les fuliginosités entre les deux extrémités, également pures, de l’être (d’où le terme demédiocre. Dans le Christ, dit Jean Damascène, il n’y a pas ce choix. Chez les héros et les saints non plus : « Il fallait bien, disent-ils; noblesse oblige ». L’exousia, c’est l’autorité et la possibilité qui vont avec ce libre choix. On traduit en général le premier par libre-arbitre et le second par liberté.

Ces quelques mots expliqués et remis dans la perspective de Damascène achèvent cette introduction. Le texte de l’abbé Migne ne satisfait pas les érudits ; il arrive que ces derniers ne s’intéressent plus aux idées en elles-mêmes, mais à l’appareillage minutieux de leur optique particulière ! Les quelques variantes que note Migne ne changent rien à la pensée de l’auteur et quant aux erreurs du traducteur, espérons qu’il en sera de même. Le traducteur, pris par de tout autres travaux, n’a pas eu le loisir de repenser et de recouler en français mélodique la pensée de Jean Damascène, il espère simplement que le lecteur pourra par ce «commutateur» se brancher sur elle.

Nous remercions en terminant l’Abbé Souche, aumônier des Cliniques d’Alès, de nous avoir procuré le texte, et notre ami, le professeur Mayer, d’avoir bien voulu revoir notre traduction.

EXPOSÉ PRÉCIS DE LA FOI ORTHODOXE
LIVRE I

CHAPITRE I

Le divin est incompréhensible et il ne faut pas s’enquérir indiscrètement de ce que ne nous ont pas transmis les saints prophètes, apôtres et évangélistes.

Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils monogène[6] qui est dans le sein du Père l’a lui-même enseigné. Le divin est ineffable et incompréhensible. « Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, ni le Fils si ce n’est le Père ». Et le Saint Esprit semblablement connaît ce qui est de Dieu, comme l’esprit de l’homme connaît ce qui est de l’homme. Après la première et bienheureuse nature[7] , nul n’a jamais connu Dieu si ce n’est celui auquel lui-même s’est révélé, non seulement parmi les hommes, mais parmi les puissances hypercosmiques et de celles-ci je dis même les chérubins et les séraphins.

Pourtant, certes, Dieu ne nous a pas laissés dans une complète ignorance, car chacun par nature a, semée en lui, la connaissance qu’il y a un Dieu. La création elle-même, par sa cohésion et par sa direction, proclame la magnificence de la nature divine. Ensuite la Loi et les Prophètes, puis son Fils monogène, le Seigneur, notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, ont manifesté la connaissance de Dieu, selon ce que nous pouvons atteindre. C’est pourquoi tout ce qui nous a été transmis par la Loi et les prophètes, par les apôtres et les évangélistes, nous l’acceptons, nous le connaissons, nous y appliquons notre piété et nous ne cherchons pas au-delà. Dieu est bon, il procure tout bien, n’étant soumis ni à l’envie ni à quelque passion que ce soit (l’envie est certes bien éloignée de la nature divine, impassible et seule bonne). Comme Il sait tout et procure ce qui convient à chacun, Il nous a découvert ce qu’il nous est utile de connaître et nous a tû ce que nous ne pouvons porter. Contentons-nous donc de cela et y demeurons, sans déplacer les bornes antiques, ni transgresser la divine tradition.

CHAPITRE II

L’exprimable et l’inexprimable ; le connaissable et l’inconnaissable.

Il faut que celui qui se prépare à parler ou à entendre parler de Dieu, sache clairement qu’en théologie[8] et dans l’économie divine, il y a des choses exprimables, d’autres inexprimables, des choses connaissables, d’autres inconnaissables; ensuite que autre est le connaissable et autre l’exprimable (tout comme autre est parler, autre est connaître). Tout ce que perçoit l’intellect indistinctement au sujet de Dieu ne peut donc être exposé proprement avec des mots, mais nous sommes forcés de parler de ce qui nous dépasse avec ce qui nous est familier ; c’est ainsi que nous parlons du sommeil de Dieu, de sa colère, de sa négligence, de ses mains, de ses pieds…

Nous savons donc et nous confessons que Dieu est sans commencement, ni fin, hors du temps et éternel, incréé, immuable, sans changement, simple, non composé, incorporel, invisible, ineffable, indescriptible, infini, inconcevable, incompréhensible, insaisissable, bon, juste, démiurge de toute créature, tout puissant, pantocrator, surveillant et prévoyant tout, juge ayant toute autorité et liberté ; que Dieu est un, c’est-à-dire une seule essence ; qu’Il se fait connaître et qu’Il est en trois hypostases, je veux dire le Père et le Fils et le Saint-Esprit; que le Père et le Fils et le Saint-Esprit sont un en tout sauf que l’un n’est pas engendré, le second est engendré et le troisième procède ; et que le Fils monogène, et Verbe de Dieu, et Dieu, a été conçu sans semence et sans corruption, des entrailles de sa miséricorde pour notre salut par la bienveillance du Père et la synergie du Saint-Esprit ; qu’il est né de la Sainte Vierge Marie, la Mère de Dieu, par le Saint-Esprit, et qu’il est devenu par elle un homme parfait ; et que lui-même est Dieu parfait en même temps qu’homme parfait, en deux natures, divine et humaine, avec l’intelligence, la volonté, l’énergie et l’autorité propres à chacune d’elle; ou pour parler plus simplement ayant la perfection dans la limite et la raison convenant à chacune, à la divinité et à l’humanité j’entends, combinées en une seule hypostase ; qu’il a connu la faim, la soif et la fatigue et fut crucifié, qu’il a affronté pendant trois jours l’épreuve de la mort et du tombeau, qu’il est remonté au ciel d’où il est aussi revenu vers nous et en viendra encore à la fin. De tout cela l’Écriture témoigne avec tout le chœur des Saints.

Qu’est l’essence de Dieu, comment est-elle en toute chose, comment, après s’être abaissé lui-même, le Fils monogène, Dieu, est-il devenu homme, d’un sang virginal, façonné par une autre loi que la loi naturelle ? Nous l’ignorons, nous ne pouvons rien dire ; il n’est pas possible d’exprimer ou de saisir entièrement quoique ce soit de Dieu en dehors de ce qui nous a été divinement déclaré dans les paroles divines de l’Ancien et du Nouveau Testaments.

CHAPITRE III

Démonstration que Dieu est.

Dieu est : ce n’est pas mis en doute par ceux qui acceptent les Saintes Écritures, l’Ancien et le Nouveau Testaments, je veux dire, ni par la plupart des Grecs (les gentils). Comme nous le disions en effet, en nous est naturellement semée la connaissance que Dieu est.

Cependant il y a dans la nature des hommes une si perverse disposition au mal que certains ont abaissé jusqu’à son pire et à son plus absurde degré le gouffre de perdition en disant qu’il n’y a pas de Dieu ; c’est ce qu’illustre David, le hiérophante : « L’insensé dit dans son cœur, il n’y a point de Dieu ». (Ps. 14-1). Les disciples et les apôtres du Seigneur, avec la sagesse que leur donnait le Saint-Esprit, ont manifesté par sa puissance et sa grâce l’opération divine, et dans le filet de leurs miracles ils ont tiré de l’abîme de l’ignorance ces insensés et les ont ramenés vivants à la lumière de la connaissance de Dieu. De même, après eux, leurs successeurs dans la grâce et la valeur, les pasteurs, les docteurs, ont éclairé ceux qui erraient dans l’obscurité et les ont convertis ; ils avaient reçu la grâce illuminante de l’Esprit, la puissance des miracles et la parole de grâce. Mais nous, au contraire, qui nous n’avons le charisme ni de faire des miracles, ni d’être docteur (sollicités par les jouissances de la vie nous nous en sommes rendus indignes), voyons quelques-unes des choses qui nous ont été transmises par ces interprètes de la grâce et expliquons-les en invoquant le Père et le Fils et le Saint-Esprit.

Tout ce qui possède l’être, est ou bien créé ou bien incréé. Ce qui est créé est toujours changeant : car ce dont l’être a commencé par un changement incline nécessairement au changement, soit par corruption soit par variation de choix[9] . Ce qui est incréé, par la raison corollaire, est immuable. Là où l’être est ainsi opposé, la raison de ses modalités est opposée, comme le veut ce qui est propre à chacun d’eux. Qui donc ne conviendra que tous les êtres sous nos sens, et les anges également, changent, varient et se meuvent de diverses façons. Les êtres doués d’intellect, les anges, disais-je, les âmes et les démons, par libre choix avancent dans le bien ou dévient vers le mal ; les autres soumis à la naissance et à la corruption, croissent ou diminuent, ils changent dans leurs qualité ou lieu. Soumis ainsi à la mutation, ils sont nécessairement créés ; étant créés, ils sont nécessairement faits par quelqu’un et il faut donc que ce créateur soit incréé, car si celui-ci eût été créé, il aurait été créé par quelqu’un, jusqu’à ce que nous remontions à l’incréé. Le créateur, donc, cet incréé, ce non-changeant, qu’est-il si ce n’est Dieu ?

La cohésion de la création, sa conservation, sa direction, nous enseignent aussi que Dieu est, lui qui a assemblé ce tout, le soutient, le garde et y pourvoie sans cesse. Comment en effet des natures aussi opposées que le feu et l’eau, l’air et la terre se sont-elles rencontrées pour l’accomplissement d’un monde un et persistent-elles indissolublement, si quelque puissance omnipotente ne les a assemblées et gardées de la dissolution ?

Qu’est-ce qui a mis en place, dans le ciel et sur la terre, les êtres de l’air et ceux des eaux et, avant ceux-ci, ce ciel et cette terre mêmes ; et l’air et la nature du feu et de l’eau ? Qui a mêlé et séparé ces choses ? Quel en est le moteur qui en poursuit le cours sans fin ni obstacle ? N’est-ce pas par l’artisan de ces choses, celui qui a posé le logos[10] de leur être à toutes, que le tout est porté et mené ? Quel est cet artisan ? N’est-ce pas celui qui les a faites et amenées à l’être ? Nous n’accorderons pas à la spontanéité une telle vertu. Admettons pourtant cet automatisme du devenir; qui l’aurait établi ? Accordons même si l’on veut, cet établissement. Qui garde, qui veille sur ces logoï qui ont d’abord posé les êtres. Un autre évidemment que cette spontanéité; et qu’est-il cet autre, si ce n’est Dieu ?

CHAPITRE IV

Qu’est-ce que Dieu ; son incompréhensibilité.

Dieu est ; cela est clair. Mais qu’est-il par essence et nature, voilà ce qui est absolument incompréhensible et inconnaissable. Il est d’abord évident qu’il est incorporel ; comment l’infini, l’illimité, le sans figure, l’impalpable, l’invisible, le simple sans composition, aurait-il un corps ? Comment serait immuable, ce que l’on peut cerner, ce qui est passible ? Et impassible, un combiné d’éléments qui se redissoudrait en ceux-ci ? Être combiné, c’est être dès le principe en opposition ; l’opposition est le principe de la séparation et celle-ci celui de la dissolution. Et la dissolution est entièrement étrangère à Dieu.

Et comment sauvegarder en même temps : Dieu se trouve partout, et : il remplit tout, comme dit l’Écriture : « N’ai-je pas moi, dit le Seigneur, rempli le ciel et la terre ? » (Jér. 23-24). Comment en effet un corps pourrait-il se trouver à travers un autre corps, comment ce qui partage serait-il partagé et ce qui tisse et unit s’opposerait-il dans le même temps à l’association, comme les humeurs se mêlent et s’imprègnent les unes autres ?

Certains parlent d’un corps immatériel, comme celui que les savants de la Grèce appellent cinquième corps, mais c’est impossible ; il serait, comme le ciel, soumis au changement (car c’est ce qu’ils appellent le cinquième corps). Et qui donc lui donne motion ; tout ce qui est mû est mû par un autre ; et quel est cet autre ? Et ainsi sans fin jusqu’à ce qu’on s’arrête à l’immuable, car l’immuable est ce qui meut en premier, et c’est le divin. Et ne peut-on cerner en un lieu ce qui a une motion ? Seul est donc immuable le divin qui meut tout à travers l’immutabilité. Donc le divin est incorporel.

Mais ce n’est pas là une explication de son essence pas plus que son innascibilité, son absence de commencement, d’altération, de corruption, et tout ce que l’on dit au sujet ou autour de Dieu. Car cela n’explique pas ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas. Or il faut que celui qui entend parler de l’essence de quelque chose, dise ce qu’elle est et non ce qu’elle n’est pas. Ainsi pour Dieu, on ne peut dire ce qu’Il est par essence ; ne conviennent à son propos que les négations. En effet Il n’est rien de ce qui est, non comme n’étant pas, mais comme au-dessus de tout ce qui est et transcendant à l’être même. Si donc il est une connaissance des êtres, ce qui est au-dessus de la connaissance sera entièrement au-dessus de l’essence ; et inversement ce qui est au-dessus de l’essence, sera aussi au-dessus de la connaissance.

Le divin est donc sans limite et incompréhensible ; on ne comprend de lui qu’une chose, c’est qu’il est indéfinissable et incompréhensible. Ce que nous disons de Dieu par affirmation ne révèle pas sa nature, mais ce qui est autour de sa nature. En disant qu’il est bon, juste, sage, ou autre, tu ne dis pas ce qu’est la nature, mais ce qui est autour de la nature de Dieu. Il y a aussi des propositions affirmatives sur Dieu, qui ont valeur de négation notoire. Ainsi en disant : Dieu est ténèbre, nous n’entendons pas cela, mais qu’il est au-dessus de la lumière, et non sans lumière ; en disant : il est lumière, nous entendons qu’il n’est pas ténèbre.

CHAPITRE V

Il y a un Dieu unique et non plusieurs.

Il a été montré clairement que Dieu est et que son essence est insaisissable, et ceux qui croient à la divine Écriture ne doutent pas qu’il soit un et non plural. Le Seigneur dit en effet au début de la Loi : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai retiré d’Égypte ; tu n’auras pas d’autres dieux que moi ». (Ex. 20-2). Et encore : « Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique ». (Deut. 6-4). Et par le prophète Isaïe : « suis Dieu, le premier et il n’y a pas d’autre Dieu que moi, après moi. Avant moi il n’y a eu aucun autre Dieu, et il n’y en aura pas après moi, et il n’y en a pas d’autre que moi (Es. 43-10). Et le Seigneur dans les Saints Évangiles parle ainsi au Père : « C’est là la vie éternelle qu’ils Te connaissent Toi seul vrai Dieu ». (Jean 17-3). Pour ceux qui ne croient pas à la divine Écriture nous donnerons l’explication suivante.

Le divin est parfait et il n’y a pas de manque en lui soit en bonté, soit en sagesse, soit en puissance; il est sans commencement, sans terme, éternel, immuable et, en un mot, parfait en tout. Si donc nous disons qu’il y a plusieurs dieux, il faut considérer entre eux une différence; s’il n’y a aucune différence c’est qu’il y en a un et non plusieurs, et s’il y a une différence entre eux, où est la perfection ? S’il manquait de perfection en bonté, en puissance, en sagesse, en temporalité, il ne serait pas Dieu, et son identicité à travers tout cela marque bien plutôt l’unicité que la pluralité. Peut-on préserver le non-cernable [l’incirconscriptible] là où sont plusieurs ? Là où est l‘un, l’autre n’est pas.

Et comment gouverner le monde à plusieurs ; celui-ci n’ira-t-il pas à la dissolution, à la corruption, pour peu qu’on envisage une opposition de pilotes ? Et la différence entraîne opposition. Si l’on veut que chacun ne gouverne qu’une des parties, qui alors en réglera l’ordre et la distribution ? Ne sera-ce pas Dieu ? Donc Dieu est un, parfait, incernable ; il fait tout, assemble et gouverne tout ; il est élevé au-dessus et au-delà de tout.

Et en outre par nécessité de nature la monade contient en principe la diade.

CHAPITRE VI

Du Verbe et du Fils de Dieu : démonstration corollaire.

Ce Dieu, un et unique, n’est donc pas sans verbe. Ayant un Verbe, celui-ci ne sera pas sans une substance[11] et commencera ni ne cessera pas d’être, car il n’était pas, lorsque le Dieu-Verbe n’était pas. Toujours Il a son Verbe, venu de lui, non comme notre propre verbe qui est sans substance et fluant dans l’air, mais subsistant en soi, vivant, parfait ; Il ne s’écarte pas de lui, mais est toujours en lui. En quel lieu serait-il, s’il allait hors de lui ? Notre nature est sujette à la mort et à la dissolution, aussi notre verbe est-il sans substance. Dieu est, toujours ; Il est parfait ; Il a de même son Verbe parfait et subsistant en soi, toujours vivant, ayant tout ce qu’a celui qui l’engendre. Notre propre verbe vient de l’intellect ; il n’est entièrement ni le même ni autre que lui en tout. Étant de l’intellect, il est autre que lui ; amenant l’intellect à se manifester, il n’est pas entièrement autre, mais étant un par nature, il est autre par ce sur quoi il repose. De même le Verbe de Dieu, par le fait de subsister en lui-même, se distingue de celui dont il tient la substance, mais par le fait de montrer en lui cela même qui est visible de Dieu, il est de même nature que celui-ci. De même en effet que la perfection en tout se montre dans le Père, de même la voit-on dans le Verbe venu de Lui.

CHAPITRE VII

Sur le Saint-Esprit : démonstration corollaire.

Dieu doit avoir le Verbe et l’Esprit. Notre propre verbe n’est pas séparé du souffle, mais en nous le souffle est autre que notre être. L’entrée et la sortie de l’air qui pénètre et s’exhale du corps soutient celui-ci et au cours de l’élocution ce souffle devient la voix du verbe, voix qui porte en elle la puissance de ce verbe. C’est pourquoi il faut confesser en toute piété que dans la nature divine qui est simple et non composée il y a aussi l’Esprit de Dieu ; car le Verbe n’est pas moins pourvu que notre propre verbe. Mais il y a de l’impiété à dire que l’Esprit est quelque chose d’autre, venu du dehors par rapport à Dieu, comme ce l’est pour nous qui sommes faits de parties. Nous avons entendu le Verbe de Dieu, il n’est pas pour nous dénué de substance, ni n’est venu comme un objet d’étude, ou comme une voix proférée, répandue et disparaissant dans l’air, non ; nous le tenons pour subsistant par essence en Lui, par libre choix, opérant en toute puissance. De la même manière l’Esprit de Dieu nous a été enseigné comme allant toujours avec le Verbe, manifestant son énergie et nous ne l’entendons pas comme une spiration sans substance. Si nous entendions l’Esprit en lui à la ressemblance de notre propre souffle, alors la grandeur divine serait abaissée ignominieusement; il est pour nous puissance essentielle, considérée en elle-même dans une hypostase particulière, venant du Père reposant dans le Verbe, étant son illustration il ne faut ni le séparer de Dieu en qui il est, ni du Verbe qu’il accompagne ; il est doué de puissance il ne s’écoule pas vers une inexistence, mais à la ressemblance du Verbe il a son hypostase, il est vivant, il a son choix libre, il se meut par lui-même, opérant, voulant toujours le bien ; il possède la puissance qui s’accorde à sa volonté et elle n’a ni commencement ni fin. Car il n’a jamais manqué ni au Père le Verbe, ni au Verbe l’Esprit.

Ainsi par l’unité de nature la pluralité de dieux des Hellènes apparaît comme une erreur ; par l’Esprit, le dogme des juifs est supprimé. Il reste de chacune de ces hérésies ce qui est utile; de la conception de Juifs, l’unité de nature, de celle des Hellènes la seule distinction par hypostases.

Si le Juif vient à rétorquer contre la doctrine du Verbe et de l’Esprit, que la divine Écriture le confonde et le réduise au silence. Au sujet du Verbe le divin David déclare : « Ton Verbe, ô Seigneur, perdure dans les siècles » (Ps 118-39). « Il a envoyé son verbe et ils sont guéris » (Ps. 106-20). Car le verbe proféré ne peut être envoyé, pas plus qu’il ne demeure, dans les siècles[12] . A propos de l’Esprit le même David dit : « Tu envoies ton souffle et ils sont créés » (Ps. 104-30).

Et ailleurs : « Par le Verbe du Seigneur, les Cieux ont été posés et par le souffle de sa bouche toute leur puissance. (Ps. 23-6). et Job : « L’esprit divin m’a fait, l’haleine du Tout-puissant m’a préservé ». (33-4). L’Esprit qui a été envoyé, qui crée, affermit et conserve, n’est pas un souffle évanescent, ni la bouche de Dieu un organe corporel ; il faut interpréter l’un et l’autre comme il convient à Dieu.

CHAPITRE VIII

De la Sainte Trinité

Nous croyons donc en un seul Dieu, unique principe, sans principe, incréé, inengendré, indestructible et immortel, éternel, infini, incernable, illimité, puissant infiniment, simple, non composé, incorporel, ne s’écoulant pas, impassible, immuable, inchangeable, invisible, source de bonté et de justice, lumière intellective, inaccessible ; puissance incommensurable, mesurée par son seul conseil personnel ; tout ce qu’il veut, il le peut ; auteur de toute créature visible et invisible, créateur et gardien de tout, prévoyant tout, maître, principe et roi de toute royauté; infini et immortel, sans rien qui s’oppose à lui, riche de tout, enfermé par rien et enfermant lui-même l’univers, rassemblant et prévoyant tout ce qui est; pénétrant toute essence sans souillure et au-delà de toute, suressentiel à toute essence, au-dessus de tout, au-dessus du divin, du bon, de la plénitude; il a posé les bornes des principes et des ordres, et le fondement de tous principes et de tous ordres ; il est au-dessus de l’essence, de la vie, de la raison, de la pensée ; il est sa propre lumière, sa propre bonté, sa propre vie, sa propre essence en tant que n’ayant pas l’être d’un autre et assurément pas de ceux qui sont puisqu’il est pour ceux-là la source de l’être, pour les vivants celle de la vie, pour ceux qui participent du verbe, celle du verbe; à tous, cause de tout bien ; connaissant tout avant que tout naisse ; nous croyons en une essence, une divinité, une puissance, une volonté, une énergie, un principe, une autorité, une seigneurie, une royauté, connue et adorée d’une même adoration, crue et servie par toute créature raisonnable, en trois hypostases parfaites, unies sans confusion, distinguées sans séparation (bien que ce soit paradoxal), Père et Fils et Saint-Esprit, en qui nous avons été baptisés; ainsi en effet le Seigneur a-t-il commandé à ses apôtres de baptiser, « les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mat. 24-19).

Nous croyons en un seul Père, principe et cause de tout, lui seul sans cause et sans génération, auteur de tout, par nature Père d’un seul, son Fils monogène (unique engendré), le Seigneur Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ ; engendré du Père avant tous les siècles ; lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. En disant : avant tous les siècles, nous montrons qu’il est a-temporel, et que sans commencement est sa génération; car il n’a pas été amené du non-être à l’être, Lui, le Fils de Dieu, la splendeur de gloire, le caractère de l’hypostase du Père, la sagesse vivante, la puissance, le Verbe subsistant[13] en soi, l’image essentielle, parfaite et vivante du Dieu invisible ; il était toujours avec le Père, en Lui, éternellement et sans commencement engendré de lui. On n’invoque pas le Père sans le Fils. S’il était sans Fils, il ne serait pas Père. Si c’est après seulement qu’il avait eu un Fils, il serait devenu Père, de non-Père qu’il était avant et il aurait ainsi subi un changement, amené, de non-Père qu’il était, à devenir Père ; c’est là le plus grave de tous les blasphèmes. Il n’est pas possible en effet de dire Dieu privé de fécondité naturelle ; la fécondité consiste à engendrer de soi, c’est-à-dire de sa propre essence, un être semblable par nature.

On ne peut donc dire sans impiété, dans la génération du Fils, que le temps soit intervenu et l’existence du Fils venue après le Père. C’est en effet de la nature du Père que vient la génération du Fils, disons-nous, et si nous n’accordons pas que le Fils existe dès le principe en même temps que le Père, tout en venant de lui, nous introduisons un changement dans l’hypostase du Père, puisque n’étant pas Père il est devenu Père. La création, elle, est venue après[14] , mais pas de l’essence de Dieu ; elle a été amenée du non-être à l’être par son conseil et sa puissance et il ne s’y attache pas un changement dans la nature de Dieu. La génération est d’amener à partir de l’essence de l’engendreur un engendré, tandis que la création et l’œuvre viennent de l’extérieur et non de l’essence du créateur et auteur; et le crée et l’œuvré ne sont en rien semblables à l’engendré.

En ce qui concerne donc le seul impassible, inaltérable, immuable et toujours le même, Dieu, il lui appartient d’engendrer et de créer sans passion; car par nature il est impassible, sans flux[15] , en tant que simple et sans parties, il n’a donc pas en nature de subir passion ni écoulement quand il engendre et crée, ni n’a besoin de quelque coopération. Mais la génération est sans commencement et éternelle, parce que œuvre de sa nature et essence de son essence, afin que ce générateur ne souffre pas de changement et qu’il n’y ait ni Dieu premier ni Dieu dernier, ni qu’il reçoive addition. La création en Dieu étant l’œuvre de sa volonté n’est pas coéternelle à Dieu ; puisque ce qui est amené du non-être à l’être n’a pas en lui d’être coéternel à celui qui est sans commencement et qui est de toute éternité. En sorte que l’homme ne fait pas comme Dieu fait. D’une part l’homme n’amène rien du non-être à l’être ; ce qu’il fait il le fait à partir d’une matière déjà présente ; non par la seule volonté, mais après avoir réfléchi, imaginé, dans son esprit, l’objet encore à naître, l’œuvrant ensuite de ses mains, dans la peine et le labeur, et souvent il n’y parvient pas, ses soins n’aboutissant pas comme il l’entendait. Dieu au contraire, en voulant seulement, amène toute chose du non-être à l’être. De même l’homme n’engendre pas de façon semblable à Dieu ; Dieu en effet, sans commencement, a-temporel, impassible, sans flux, sans corps, unique et infini, engendre hors du temps, sans commencement, impassiblement, sans flux, et en dehors du couple ; et son insaisissable génération n’a ni commencement ni fin. Elle est sans commencement parce qu’il ne change pas ; sans flux parce qu’impassible et incorporel ; sans nécessité de couple parce qu’incorporel encore ; Lui seul est Dieu, sans besoin de rien d’autre; et cela sans fin, sans interruption parce que sans commen­cement, hors du temps, infini et toujours semblable à lui-même; ce qui est sans commencement est infini, mais ce qui par la grâce est infini n’est pas toujours sans commencement, ainsi les anges.

Le Dieu qui est toujours, engendre donc son propre Verbe ; ce Verbe est parfait, sans commencement ni fin ; Dieu n’engendre pas dans le temps, lui dont la nature et l’existence sont au-dessus du temps. Il est clair que l’homme engendre à l’opposé ; il y parvient par génération, corruption, par multiplication qui s’écoule au-dehors, lié qu’il est à un corps, et par nature engendré du masculin et du féminin (le masculin a besoin en effet de l’aide du féminin). Que celui qui est au-delà de tout, transcendant toute pensée et toute saisie, nous soit propice.

L’Église sainte, catholique et apostolique, nous enseigne donc en même temps le Père et le Fils monogène, venu de lui hors du temps, sans flux, impassiblement, insaisissablement. et qu’il y a un seul Dieu, comme le feu avec sa lumière. Le feu n’est pas d’abord, puis la lumière ; ils sont en même temps. et de même que la lumière vient toujours du feu, qu’elle est toujours en lui, jamais séparée de lui, de même le Fils vient du Père, jamais il n’est séparé de lui de quelque façon que ce soit, toujours il est en lui. Mais la lumière venue du feu, sans séparation et demeurant toujours en lui, n’a pas sa propre substance à côté du feu ; elle est la propriété naturelle de ce dernier ? Tandis que le Fils, le monogène de Dieu, né du Père sans séparation ni intervalle et qui demeure toujours en lui, a sa propre hypostase à côté de celle du Père.

Il est donc appelé Verbe et splendeur parce qu’engendré du Père, hors du couple, impassiblement et intemporellement, sans écoulement, ni séparation; et Fils, d’autre part, et caractère de l’hypostase paternelle, parce que parfait, enhypostasié [ayant en lui sa substance] et semblable en tout au Père, sauf l’inengendré. Il est monogène parce que seul il est venu du seul Père de façon unique[16] . Aucune autre génération n’est semblable à la génération du Fils de Dieu ; il n’y a non plus aucun autre Fils de Dieu. Le Saint-Esprit procède du Père, sans génération mais par procession et ce mode d’existence est autre, incompréhensible et inconnaissable comme la génération du Fils. C’est pourquoi tout ce qu’a le Père est à lui, sauf l’inengendré; ce qui ne signifie pas différence d’essence ni de dignité, mais mode d’existence. Adam aussi n’est pas engendré, mais modelé par la main du Père ; Seth lui est engendré, car il est fils d’Adam et d’Éve, tirée, elle, de la côte d’Adam ; elle non plus n’est pas engendrée; ils ne diffèrent pas par nature mais par mode d’existence.

Il faut savoir que : ageneton, écrit avec un seul N signifie : incréé, ou bien non-venu [hors du devenir]. Le mot : agenneton écrit avec deux N, indique le non-engendré. D’après la signification du premier, l’essence diffère de l’essence, car l’essence de l’incréé (agenétos avec un N) diffère de celle du créé (genetos). D’après celle du second, l’essence ne diffère pas de l’essence. La première hypostase en effet de toute forme animale est non-engendrée, mais non in-créée ; tous les animaux ont été créés par le Démiurge et amenés à naître par son Verbe, mais tous n’ont pas été engendrés en ce sens que tous n’ont pas eu une autre forme semblable qui les aurait engendrés.

Selon donc le premier sens, les trois hypostases sur-divines de la Sainte Trinité sont en communion, puisqu’elles sont consubstantielles et incréées. Mais d’après le second il n’en est pas ainsi ; seul le Père est non-engendré, car il ne tient pas l’être d’une autre hypostase. Et seul le Fils est engendré ; il est engendré de l’essence du Père sans commencement, hors du temps. Et seul le Saint-Esprit, procédant de l’essence du Père, n’est pas engendré mais procède. C’est ainsi que la divine Écriture enseigne, bien qu’insaisissable soit le mode de la génération et de la procession.

Que l’on sache que ce n’est pas nous qui appliquons ces mots : paternité, filiation, procession, à la bienheureuse divinité ; bien au contraire ils nous ont été transmis ; comme dit le divin apôtre : « que fléchissent mes genoux devant le Père d’où provient toute paternité dans le ciel et sur la terre. » (Eph. 3, 14).

En disant que le Père est principe et plus grand que le Fils, nous n’entendons pas montrer qu’il est avant le Fils dans le temps ou par nature (c’est par Lui qu’il a d’ailleurs fait les siècles) ; il est cela parce que cause et uniquement pour cela, c’est-à-dire que le Fils est engendré du Père et non le Père du Fils et qu’ainsi le Père par nature est cause du Fils. De même nous ne disons pas que le feu vient de la lumière, mais la lumière du feu. Donc en entendant que le Père est principe et plus grand que le Fils, comprenons : par la cause. Nous ne disons pas que le feu est d’une essence et la lumière d’une autre ; de même le Père ne brille pas de l’éclat d’une essence et le Fils de celui d’une autre, mais les deux d’une seule et même essence. En outre, nous disons que le feu brille d’une lumière provenant de lui et nous n’envisageons pas quelque organe auxiliaire du feu d’où viendrait la lumière, mais une vertu naturelle. de même nous dirons que le Père fait toutes choses par le « faire » de son Fils monogène ; non par quelque organe servo-assistant, mais par une puissance naturelle et en-hypostasiée. Et nous disons aussi bien : le feu brille, ou la lumière du feu brille ; de même comprenons-nous : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait semblablement » (Jean 5-19). Mais la lumière ne repose pas sur une hypostase [sub-stance, fondement] propre distincte de celle du feu, alors que le Fils est une hypostase parfaite, non séparée de l’hypostase paternelle, comme nous l’avons dit plus haut. On n’a jamais au demeurant pu trouver dans la création une image adéquate à la Sainte Trinité. Le créé et le composé en effet, le fluant, le changeant, le cernable [définissable], le formel, le corruptible, tout cela peut-il mettre en évidence l’essence divine sur-essentielle, et radicalement autre ? Toute créature à l’évidence est rattachée à la plupart de ces genres qui tous par nature reposent sur la corruption.

De manière semblable nous croyons au Saint-Esprit, Seigneur vivifiant qui procède du Père et repose dans le Fils, adoré et glorifié avec le Père et le Fils, consubstantiel et coéternel ; l’Esprit de Dieu, le droit, celui qui mène, source de sagesse, de vie et de sanctification ; proclamé Dieu avec le Père et le Fils ; incréé, plénitude, créateur, pantocrator, contenant tout, puissance, infinie, régnant sur toute créature sans être dominé par rien, déifiant et non déifié, emplissant tout et non empli, participé non participant, sanctifiant et non sanctifié, paraclet apportant toute consolation ; en tout semblable au Père et au Fils ; procédant du Père et distribué par le Fils et participé par toute créature ; créant par lui-même et amenant à toute chose l’être, la sanctification, la conservation ; subsistant en lui-même, ayant sa propre hypostase, il n’est ni séparé, ni divergent du Père et du Fils. Il a tout ce qu’ont le Père et le Fils, sauf l’in-engendré et la génération. Le Père est sans cause et non-engendré ; il n’est pas de quelque chose ; il tient l’être de lui-même; rien de ce qu’il a, il ne l’a d’un autre. Lui-même au contraire est principe et cause de l’être pour chacun selon sa nature. Le Fils est engendré par le Père ; le Saint-Esprit est, lui aussi, du Père, non par génération, mais par procession. Nous avons appris qu’il y a une différence entre génération et procession, mais de quelle manière a lieu cette différence, on ne peut le savoir. Il y a, en même temps, et la génération du Fils par le Père, et la procession du Saint-Esprit.

Tout ce qu’a le Fils, l’Esprit aussi l’a du Père et l’être même ; si le Père n’est pas, le Fils non plus n’est pas, ni l’Esprit ; et si le Père n’a pas une chose, le Fils ni l’Esprit ne l’ont ; c’est par le Père, c’est-à-dire l’être du Père, que sont le Fils et l’Esprit ; c’est par le Père que le Fils a tout, c’est-à-dire qu’il l’a par le Père sauf d’être inengendré, d’engendrer, de faire procéder[17] . En cela en effet seulement différent les unes des autres les propriétés hypostatiques des trois saintes hypostases ; non par l’essence mais par le caractère propre de chaque hypostase se distinguant sans se diviser.

Nous disons que chacun des trois a une hypostase parfaite pour ne pas admettre que c’est la composition à partir de trois non-parfaits qui forme une seule nature parfaite, mais au contraire une seule essence simple, suprême et première en trois hypostases parfaites. En effet tout ce qui vient par union de choses imparfaites est nécessairement composé, alors que le composé ne peut venir de parfaites hypostases. C’est pourquoi nous ne disons pas le genre des hypostases mais dans les hypostases. Nous disons les choses imparfaites qui ne gardent même pas le genre de cela même que l’on fait avec elles. Ainsi la pierre, le bois, le fer sont chacun, en soi, parfaits dans sa nature particulière, mais ils sont imparfaits par l’édifice construit avec eux car chacun n’est pas lui-même l’édifice.

Nous disons donc parfaites les hypostases, pour ne pas admettre de composition dans la nature divine, car la composition est le principe de la séparation. Nous disons en outre qu’elles sont les unes en les autres, les trois hypostases, pour ne pas introduire une pluralité, une foule de dieux. Ainsi par les trois hypostases sans composition ni confusion, par la consubstantialité, par le fait que les hypostases sont les unes dans les autres, par l’identité enfin de volonté, d’énergie, de puissance, d’autorité et de mouvement, nous reconnaissons en parlant ainsi que Dieu est un et sans séparation. Car Dieu est véritablement un, Dieu, son Verbe et son Saint-Esprit.

Note marginalesur la distinction des hypostases ; de la chose, de la raison et de l’intellection.

Il faut savoir que autre est considérer en fait[18] , et autre par raison ou par pensée.

En effet, dans toutes les choses créées, la distinction des hypostases est considérée en fait ; Paul est en fait jugé à part de Pierre ; mais on juge par raison et pensée de leur communauté, de leur rapprochement et de leur unité. Nous concevons intellectuellement que Pierre et Paul sont une même nature et ont une seule nature commune. Chacun d’eux en effet est un vivant doué de raison et mortel ; chacun est une chair animée d’une âme raisonnable et noétique ; la communauté de nature est jugée par la raison. Les hypostases ne sont pas l’une dans l’autre. Chacune a ses propriétés, ses particularités, c’est-à-dire qu’elle est à part, avec beaucoup de choses qui la distinguent des autres ; elles se tiennent en des lieux différents et ne s’accordent pas dans le temps ; ensuite elles sont à part par le sentiment profond des choses, par la force, le genre, les traits, les habitudes, le tempérament, la valeur, l’activité et tous les caractères particuliers ; et, par-dessus tout, elles ne sont pas les unes en les autres, mais sont séparées ; de là qu’on dise, deux, trois ou plusieurs hommes.

Voilà ce qui se passe pour les créatures. C’est le contraire en ce qui concerne la sainte, suressentielle et insaisissable Trinité qui est au-delà de tout. En effet, ici, la communion et l’unité sont jugées en fait à cause de la co-éternité, de l’identité de nature, d’opération et de volonté, de la co-spiration de jugement, de l’identicité[19] d’autorité, de puissance, de bonté (je n’ai pas dit : similitude, mais : identicité) et l’élan unique qui la meut ; elle a unique essence, unique bonté, unique puissance, unique volonté, unique énergie, unique autorité ; unique et la même et non trois semblables les unes aux autres ; et en un seul et même mouvement des trois hypostases. Chacune d’elle est une par rapport aux autres non moins que en elle-même. Cela signifie que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un en tout sauf l’inengendré, la génération et la procession ; c’est là ce que discerne la réflexion. Car nous ne connaissons le Dieu un que dans ses seuls aspects de paternité, de filiation, de procession. D’après le causal, le causé et le parfait de l’hypostase, c’est-à-dire son mode d’existence, nous concevons une différence. Non pas qu’elles aient un lieu à part, comme nous, puisque la divinité ne peut être cernée par quoique ce soit (ces hypostases sont les unes en les autres), ni qu’elles soient confondues, mais parce qu’elles sont comme dit le Seigneur « moi dans le Père et le Père en moi ». Il n’y a différence ni de volonté, ni de jugement, ni d’énergie, ni de puissance, ni de rien d’autre, différences qui font naître en nous la divergence pratique[20] en tout. C’est pourquoi nous ne disons pas qu’il y a trois dieux, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais un Dieu, la Sainte Trinité, le Fils et l’Esprit étant rapportés à une seule cause et non donnés, oints ensemble selon l’hérésie de Sabellius. Ils sont unis, mais non confondus, ai-je dit, et sont les uns dans les autres, les uns en les autres et cette pervasion est sans fusion ni mélange. Ils ne s’éloignent pas non plus, ni ne se divisent par essence selon l’hérésie d’Arius. En un mot la divinité est indivise dans sa division, ses manifestations diverses et comme en trois soleils, sans séparation, se contenant les uns les autres en une seule communion de lumière. Ainsi, lorsque nous regardons à la divinité et à la cause première, vers la monarchie, au même et unique mouvement ou conseil, si je puis dire, de la divinité, à l’identicité d’essence, de puissance, d’opération, de seigneurie, c’est l’unité qui nous apparaît. Lorsque d’autre part nous regardons là où est la divinité ou, pour être plus précis, vers ce qui est divinité, ce qui vient de la cause première, hors du temps, sans intervalle et avec la même gloire, c’est les hypostases du Fils et du Saint-Esprit que nous voyons, et c’est les trois que nous adorons. Un Père, le Père sans principe, c’est-à-dire sans cause, car il n’est pas de quelqu’un. Un Fils, le Fils qui a un principe c’est-à-dire une cause, car il est du Père (si tu reçois le principe dans du temps, il est Lui sans principe ; celui qui fait les temps n’est pas dans le temps). Un Esprit, le Saint-Esprit, provenant du Père; non par filiation, mais par procession sans que le Père se soit écarté de l’inengendré (il a engendré) ni le Fils de la génération (celui-ci a été engendré de l’inengendré). Comment alors ? L’Esprit ne retourne pas non plus vers le Père ou vers le Fils, car il a procédé, il est Dieu ; sa propriété est l’immutabilité et comment lui resterait-elle s’il allait et retournait[21] et si le Père est Fils, il n’y a pas à proprement parler de Père, or il y a réellement un Père. Et si le Fils est Père, il n’y a pas non plus de Fils, or il y a proprement un Fils et un Saint-Esprit.

Il faut savoir que nous ne disons pas que le Père est de quelqu’un ; nous le disons Père du Fils. Le Fils nous ne le disons ni cause, ni Père ; nous le disons du Père et Fils du Père. Le Saint-Esprit nous le disons aussi du Père et le nommons Esprit du Père ; nous ne le disons pas du Fils, mais l’appelons Esprit du Fils : « Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, dit le divin Apôtre, il n’est pas de lui ». (Rom. 8-9). Et nous confessons qu’il nous a été manifesté et transmis par le Fils : « Il souffla, est-il dit, sur ses disciples : recevez le Saint-Esprit», (Jean 20-29), comme le rayon et l’éclatante lumière viennent du soleil, car il est la source du rayon et de la lumière; il nous dispense la lumière par le rayons et celle-ci nous illumine ; et c’est à elle que nous participons. Le Fils, disons-nous, n’est ni de l’Esprit, ni venu de lui.

CHAPITRE IX

De ce que l’on dit de Dieu.

Le divin est simple et sans composition. Ce qui est constitué de plusieurs et différentes choses est composé. Si donc nous parlions d’incréé, sans commencement, incorporel, immortel, éternel, bon, démiurge…, comme de différences essentielles en Dieu, il serait constitué de tout cela, et non pas simple mais composé, ce qui est de la dernière impiété. Il ne faut donc pas penser que les façons de nommer Dieu s’appliquent à quelque chose de son essence mais qu’elles montrent ou bien ce qu’il n’est pas, ou bien une certaine relation qui distingue les hypostases par opposition ou ce qui leur est associé par nature, ou bien enfin une énergie.

Il apparaît donc singulièrement que de toutes les manières de nommer Dieu la meilleure soit : celui qui est, ainsi qu’il se nomme lui-même lorsqu’il dit à Moïse sur la montagne : « Dis aux enfants d’Israël : celui qui est m’a envoyé » (Ex. 5-14). Comme s’il avait totalement rassemblé l’être en lui-même tel une immense mer d’essence sans limite et infinie. Comme le dit St Denys, Il est le Bon, et il faut[22] d’abord affirmer son être et dire alors qu’il est bon.

Le deuxième nom est : Dieu ; parce qu’il divinise et prend soin de tout, du mot : brûler, – Dieu est bien un feu qui brûle et détruit ce qui est mal – ; ou bien de : voir, contempler, car il est vraiment celui dont le regard s’étend à tout ; il a tout contemplé avant que naisse quoique ce soit, parce qu’il a tout pensé hors du temps dans sa pensée accomplissante et intemporelle qui est prédétermination, type et modèle, de ce qui vient à son heure déterminée.

Le premier nom exprime l’être et de quel être il s’agit. Le second l’énergie [ou opération]. Les expressions telles que : sans principe, incorruptible, non-devenu, c’est-à-dire incréé, incorporel, invisible…,montrent ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire qu’il n’a pas commencé, ne se corrompt pas, n’est pas créé, n’a pas de corps et qu’on ne le voit pas. Les expressions comme Bon, Juste, Saint…, reflètent la nature, ils ne montrent pas l’essence même. Les mots Seigneur, Roi…, montrent une relation pour distinguer les oppositions. On dit Seigneur de ceux qui ont seigneurie, roi de ceux qui ont un royaume, créateur une création et pasteur ceux qui font paître.

CHAPITRE X

De l’unité et de la distinction dans la divinité.

Toutes ces expressions donc sont à recevoir, sur toute la divinité d’une part, conjointement, semblablement, simplement, indivisiblement et en unité ; d’autre part distinctivement pour le Père et le Fils et le Saint-Esprit, le sans-cause et le causé, l’inengendré, l’engendré et le procédant ; ces dernières toutefois ne montrent pas l’essence mais la relation des uns avec les autres et leur mode d’existence.

Sachant donc cela et conduits par la main vers l’essence divine, ce n’est pas l’essence même que nous atteignons, mais ce qui est autour d’elle. Si par exemple nous savons que l’âme est sans corps, ni quantité, ni figure, nous ne saisissons cependant pas son essence ; non plus que celle du corps si nous le savons blanc ou noir, mais seulement ce qui environne l’essence. La vraie doctrine enseigne que le divin est simple, qu’il a une seule énergie, simple, bonne et opérant tout en tous, comme le rayon du soleil qui échauffe tout ; et en chacun, selon son aptitude naturelle, il opère une capacité à le recevoir en prenant cette opération du Dieu créateur[23] .

Distinctes également sont les choses qui concernent l’incarnation du Verbe divin, incarnation divine et par amour pour l’homme. Ni le Père, ni l’Esprit en effet n’y ont participé sous aucun rapport, si ce n’est par bienveillance et dans le miracle indicible que le Dieu Verbe a accompli, en devenant homme comme nous, en tant que Dieu immuable et Fils de Dieu.

CHAPITRE XI

Des expressions sur Dieu en mode corporel.

Comme nous trouvons dans la divine Écriture, au sujet de Dieu, de nombreuses expressions visant symboliquement le corps, ne méconnaissons pas que, pour nous, hommes pris dans l’épaisseur de la chair, il est impossible de penser ou d’exprimer les énergies divines, sublimes et pures de matière, autrement que par les images, symboles et types dont nous usons et qui nous sont familiers (tout ce qui est dit corporellement de Dieu est symbolique) ; elles ont une signification bien au-dessus de ces derniers, car le divin est simple et sans figure. Ainsi par les yeux de Dieu, ses paupières, son regard, nous entendons sa puissance à tout pénétrer et l’infaillibilité de sa connaissance, pour approcher par le moyen de ce sens d’une connaissance plus parfaite et de la certitude. L’oreille, l’ouïe sont la faveur et l’accueil qu’il accorde à notre prière. Nous-mêmes, n’est-ce pas par ce sens que nous devenons favorables à ceux qui nous adressent une demande, et que nous inclinons mieux vers eux notre oreille ? Sa bouche et sa parole sont la manifestation de son conseil, car par bouche et parole nous entendons les pensées du cœur. La nourriture, la boisson, c’est le concours que nous apportons à sa volonté. Nous-mêmes, par le sens du goût, n’accédons-nous pas à la demande de la nature ? Ce qui concerne l’odorat, c’est ce qu’il accepte de nos pensées, et nos pensées, qui ne sont pas les siennes, approchent ainsi de cette bonne odeur qu’il perçoit par ce même sens. La face, c’est sa manifestation quand il agit ; nous-mêmes nous nous manifestons par le visage. Les mains, c’est la réalisation de son opération ; de ces mains familières nous effectuons les choses les plus nécessaires comme les plus dignes de respect. De sa droite, nous attendons le secours de sa faveur ; c’est bien de notre main droite que nous nous servons dans les cas insignes, les choses respectables, et là où nous avons besoin de toute notre force. Le tact vise la perception et le discernement aigus des choses subtiles et cachées, de même que rien pour nous ne se cache de ce que nous pouvons toucher. Les pieds, la marche, c’est l’arrivée, la présence du secours à ceux qui appellent à l’aide contre les ennemis, ou pour quelque autre action ; c’est aussi en utilisant les pieds que nous arrivons à ce but. Son Serment, c’est l’invariabilité de sa décision ; nous confirmons un pacte les uns avec les autres par serment. La colère, le courroux, c’est le rejet, le dégoût du mal. Nous de même nous nous mettons en colère quand on s’oppose à notre jugement. L’oubli, le sommeil, l’assoupissement, c’est quand Dieu passe sur la vengeance contre ses ennemis et sur les lenteurs de ses proches â l’aider dans sa maison. En résumé toutes les expressions corporelles au sujet de Dieu, ont un sens caché qui nous enseigne, en partant de notre horizon, ce qui nous dépasse ; sauf si c’est quelque chose concernant la venue corporelle du Verbe de Dieu, car Lui s’est montré totalement homme pour notre salut, âme raisonnable et corps, avec toutes les particularités de la nature humaine et ses passions irréprochables (en ce qu’elles sont affliction et non péché).

CHAPITRE XII

Même sujet.

Voici encore d’autres « dits » de Dieu venus par réminiscence des loggias sacrés, comme dit le divin Denys l’Aréopagite.

Dieu est cause et principe de tout, essence des êtres, vie des vivants, raison des êtres raisonnables, intellect des intelligents, vocation et relèvement de ceux qui sont tombés, renouvellement et conversion des corrompus, stabilisateur saint des agités de la vie profane, fermeté de ceux qui tiennent debout, chemin vers les hauteurs pour ceux qui le suivent, tenus par sa main ; et, ajouterai-je, Père de ceux qu’il a faits car, d’abord, notre Dieu est Père qui amène les êtres du non-être, ainsi que ceux qui nous ont donné le jour et ont reçu de lui d’être et d’engendrer ; il est pour ceux qui le suivent le pasteur qui leur trouve pâture, la clarté des illuminés ; il est la plénitude de la perfection pour ceux qui la recherchent, la théarchie de ceux qui se déifient, la paix de ceux qui s’opposent, la simplicité des simples, l’unité de ceux qui s’unissent, le principe de toute sur-essence comme principe au-dessus de tout principe ; transmission excellente de ce qui est caché c’est-à-dire de sa connaissance à chacun selon ce qu’il est juste et possible d’atteindre.

Quelques précisions supplémentaires sur les noms divins[24] .

Le divin, étant insaisissable, sera toujours inexprimable. Ignorant donc son essence, ne recherchons pas le nom de son essence, car les noms expriment les choses ; mais Dieu étant bon et nous amenant du non-être à l’être pour partager sa bonté et nous ayant faits connaissants, de même qu’il ne nous a pas donné son essence, il ne nous a pas non plus donné la connaissance de cette essence. Car il est impossible à une nature de connaître vraiment ce qui se tient au-dessus d’elle. Si la connaissance s’applique à l’être, comment connaîtra-t-on le sur-essentiel ? Dans sa bonté indicible il nous accorde de se nommer d’après ce qui nous est familier, pour que nous ne soyons pas entièrement sans participer de sa sur-science, mais en ayons une notion, même obscure. Car ce qui ne peut tomber sous la saisie ne peut aussi recevoir de nom. Et par ailleurs en tant que cause de tout et ayant d’avance en lui la raison et la cause de tous les êtres, on lui applique un nom à partir de ces êtres et de leurs opposés ; ainsi lumière et ténèbres, eau et feu ; pour que nous sachions que cela n’est pas selon l’essence mais qu’il est sur-essentiel et non nommable ; comme cause de tous les êtres, il est nommé à partir de ce qui est causé.

C’est pourquoi des noms divins, les uns sont dits apopha­tiques (négatifs), qui l’indiquent au-dessus de l’être ; par exemple sans essence, ni temps, ni principe et invisible; non qu’il soit moindre que, ou manque de quoique ce soit (tout est à lui, tout est venu de lui et par lui, et tout se maintient en lui), mais parce que, éminemment, il est exclu de tous les êtres ; il n’est aucun des êtres, mais au-dessus de tous. D’autres sont des noms cataphatiques (affirmatifs) en tant qu’il est proclamé cause des êtres. En effet comme cause de tout être et de toute essence, il est l’Étant et essence ; comme cause de tout verbe et de toute sagesse, du raisonnable et du sage, il est dit logos et « logique », sagesse et sage ; pareillement noûs et noétique, vie et vivant, puissance et puissant ; de même pour le reste on le nomme surtout avec ce qui est le plus digne et le plus proche de lui. L’immatériel est plus respectable que le matériel, le pur que le souillé, et le saint que le profane, et s’en rapprochent davantage. C’est ainsi que lui conviennent mieux les noms de lumière et de soleil que ténèbre, de jour que de nuit, de vie que de mort ; de feu, de pneuma et d’eau qui sont vivants, que de terre et par-dessus tout de bonté que de malice ; ou pour dire la même chose, ce qui est que ce qui n’est pas. Car la bonté est l’existence et la cause de l’existence ; le mal c’est la privation du bien, c’est-à-dire de l’existence. Voilà pour les nominations négatives et affirmatives. Le rattachement des unes aux autres est très goûté, comme: essence suressentielle, divinité sur-divine, principe au-dessus de tout principe, etc. Il v a aussi quelques expressions négatives qui ont cependant valeur d’affirmation plus éminente ; ainsi ténèbres, non que Dieu soit ténèbre, mais parce qu’il est non pas lumière, mais au-dessus de la lumière.

Dieu donc est appelé intelligence, raison, pneuma, sagesse et puissance, en tant que leur cause à tous, immatériel, créateur et tout-puissant. Et ces expressions sont conjointement appliquées à toute la divinité, quelles soient affirmatives ou négatives ; et à chaque hypostase de la Sainte Trinité, semblablement, de la même façon et sans omission. Lorsqu’en effet je considère une des hypostases, je la reconnais Dieu parfait, essence parfaite. Lorsque je joins et compte ensemble les trois, je reconnais Dieu parfait. Car la divinité n’est pas composée, mais unité parfaite, en trois parfaits, sans parties et composition. Lorsqueje considère l’état des hypostases l’une envers l’autre, je sais que le Père est le soleil sur-essentiel, source de bonté, abîme d’essence, de raison, de sagesse ; de puissance, de lumière, de divinité, source engendrant et envoyant le bien caché en elle. C’est le même noûs, abîme de raison, qui engendre le Verbe et envoie, par le Verbe, l’Esprit manifestant. Et pour ne pas être trop long, il n’est au Père pas d’autre verbe, sagesse, puissance, volonté que le Fils qui est la seule puissance du Père, vertu primordiale de la création de toute chose. Ainsi comme hypostase parfaite venue d’une hypostase parfaite, comme lui le connaît, il est et il est appelé le Fils. L’Esprit Saint est la puissance du Père manifestant le secret de la divinité; procédant du Père par le Fils, comme lui-même le connaît, et non par génération. C’est pourquoi aussi le Saint-Esprit achève en sa perfection la création de toute chose. Tout ce qui donc s’accorde au Père en tant que cause, source et engendrant, doit être attribué au seul Père ; tout ce qui s’accorde au causé, au Fils engendré, au Verbe, puissance manifestante, volonté, sagesse, doit être attribué au Fils ; tout ce qui s’accorde au causé, procédant, manifestant, puissance perfectionnante, au Saint-Esprit. Le Père est cause et source du Fils et du Saint-Esprit, Père du seul Fils et envoyant le Saint-Esprit. Le Fils est Fils, Verbe, sagesse, puissance, image, splendeur, caractère du Père et vient du Père. Le Saint-Esprit n’est pas Fils du Père. Il n’y a aucun élan sans Esprit ; c’est aussi l’Esprit du Fils, non comme venant de lui, mais comme procédant par lui du Père. Le Père est la seule cause[25] .

CHAPITRE XIII

Du lieu de Dieu et que Dieu seul est incirconscriptible.

Le lieu d’un corps est la limite du contenant, selon la notion de contenant et de contenu ; ainsi l’air contient, le corps est contenu ; l’air contenant n’est pas tout entier le lieu du corps contenu, mais la limite du contenu, ce qui touche le corps contenu ; ce qui contient n’est pas du tout dans ce qui est contenu.

Il y a aussi un lieu noétique où l’on pense, où est la nature noétique et incorporelle ; là où elle est présente et opère, elle n’est pas contenue corporellement mais noétiquement. Car elle n’a pas de figure pour être figurée corporellement. Dieu est immatériel et incirconscriptible ; il n’est donc pas dans un lieu. Lui-même est son propre lieu, remplissant tout, étant au-dessus de tout, et enfermant tout. On dit pourtant qu’il est en un lieu, appelé le lieu de Dieu, d’où son opération se manifeste. Car il se répand à travers tout sans se mêler et transmet à tout son énergie, selon l’aptitude et la capacité de chacun à le recevoir, j’entends la pureté naturelle et le libre choix de chacun. Car l’immatériel est plus pur que le matériel et le vertueux que le soumis au vice. C’est cela qu’on appelle donc lieu de Dieu, ce qui a le plus part à son énergie et à sa grâce. C’est pourquoi le ciel est son trône car y sont les anges faisant sa volonté et lui rendant gloire sans fin. C’est là qu’est son repos, et la terre est son marchepied, car c’est en elle que par la chair il s’est rendu familier aux hommes[26] . Sa chair sainte est appelée le pied de Dieu. L’Église aussi est appelée lieu de Dieu, celui où gloire lui est rendue, comme une enceinte que nous établirions pour nous entretenir avec Lui. De même les endroits où se manifeste son opération soit dans la chair, soit incorporellement, sont dits lieux de Dieu.

Il faut savoir que Dieu est sans partie; entièrement et totalement partout, il n’est pas séparé, une partie dans une partie, à la manière d’un corps mais il est tout en tous et au-dessus du tout.

Note marginaleDu lieu de l’ange et de l’âme et de ce que l’on en peut circonscrire.

L’ange, à la manière du corps[27] , est contenu en un lieu, en sorte qu’il a figure et forme ; de même on le dit en un lieu parce qu’il intervient et opère noétiquement selon sa nature et qu’il n’est que là où l’on peut le discerner noétiquement et où il opère, car il ne peut pas opérer au même instant en divers endroits. A Dieu seul il appartient d’opérer en même temps en tout lieu. L’ange, qui par nature est capable de se déplacer instantanément, opère en des lieux différents; mais le divin qui est partout et au-dessus de tout opère en même temps en tout lieu son opération simple et unique.

L’âme, elle, est liée au corps, à tout le corps et non partie à partie ; elle n’est pas contenue par lui, c’est elle qui le contient, comme un feu contient du fer ; c’est en lui qu’elle opère ses propres fonctions.

Est circonscrit en effet ce qui peut être saisi dans l’espace, le temps ou l’intelligence ; incirconscrit ce qui n’est contenu ni par l’un ni par l’autre. Seul est donc incernable[28] le divin, parce que sans commencement, sans fin, contenant tout et contenu par nulle intelligence. Car n’est insaisissable, indéterminable et inconnaissable par nul être, cela seul qui n’est visible que par soi-même. L’ange peut être circonscrit dans le temps, puisqu’il a commencé dans l’être ; et dans un lieu, même si c’est spirituellement, comme nous disions, et par une saisie (intellectuelle). Ils ont une certaine connaissance les uns des autres et leurs lumières sont fixées par le créateur. Quant aux corps on peut les circonscrire dans leur commencement, leur fin, leur saisie intellectuelle.

Notes diverses rassembléessur Dieu, Père et Fils et Saint-Esprit. Du Verbe et de l’Esprit.

Le divin est entièrement immuable et inchangeable. Toute chose en effet qui ne dépend pas de nous, est déjà définie dans sa prescience, chacune dans son occasion et en son lieu. C’est d’après cela que le Père ne juge pas, il a remis le jugement tout entier au Fils. Car le Père a jugé déjà, à l’évidence, comme Dieu, avec le Fils et le Saint-Esprit. Mais ce Fils est descendu comme un homme corporellement et il siège sur le trône de gloire; sa descente et ce siège sont ceux d’un corps que l’on peut circonscrire; et il juge toute l’oïcouménée.

Toutes choses sont distinctes de Dieu non par lieu mais par nature. Pour nous l’intelligence, la sagesse, le conseil nous arrivent comme un état, et ils s’éloignent ; il n’en est pas ainsi pour Dieu. Pour lui rien n’arrive ou ne s’en va car il est sans changement et immuable et on ne saurait parler d’accident en lui. Le bien va avec l’essence. Celui qui constamment aspire à Dieu, le voit ; car Dieu est en tous. Les choses qui sont, sont suspendues à l’être et rien ne peut être qui n’ait l’être en Celui qui est. Dieu est entièrement présent en tous en tant que soutenant leur nature ; et le Dieu Verbe s’est uni à sa chair sacrée par hypostase et il s’est mêlé à notre nature sans confusion. Nul ne voit le Père si ce n’est le Fils et l’Esprit. Le Fils est conseil, sagesse et puissance du Père. Car il ne faut pas parler de qualité en Dieu, pour que nous ne disions pas qu’il est composé d’essence et de qualité.

Le Fils est du Père et tout ce qu’il a, il l’a de lui ; c’est pourquoi de lui-même il ne peut rien faire, car il n’a pas sa propre énergie distincte de celle du Père.

Nous savons par le cours et la direction du cosmos que Dieu qui par nature est invisible devient visible dans ses opérations.

Le Fils est l’image du Père et l’Esprit celle du Fils ; l’Esprit par lequel le Christ donne à l’homme d’être à son image.

Le Saint-Esprit est Dieu, intermédiaire entre l’inengendré et l’engendré, rattaché au Père par le Fils ; il est dit Esprit de Dieu, Esprit du Christ, esprit du Christ, Esprit du Seigneur, lui-même Seigneur, Esprit d’adoption, de vérité, de liberté, de sagesse (il les suscite toutes) ; rempli de toute essence, contenant tout, remplissant le monde selon l’essence, incontenable par le monde selon la puissance.

Dieu est une essence éternelle et sans changement, démiurgique [créatrice] des êtres, adorable pour une raison fondée sur la piété.

Le Dieu Père est l’Etant, éternellement inengendré, en tant que n’étant engendré de personne et ayant éternellement engendré le Fils ; le Fils aussi est Dieu, lui qui est toujours avec le Père, hors du temps et éternellement, sans effluence, sans passion, né de lui sans séparation. L’Esprit Saint aussi est Dieu, force sanctifiante, enhypostasié, procédant du Père sans séparation et reposant dans le Fils, consubstantiel au Père et au Fils.

Le Verbe est essentiellement co-présent toujours avec le Père. Le verbe est aussi la matière naturelle du noûs, selon laquelle il se meut, pense et raisonne, comme sa lumière et sa splendeur. Le verbe est encore ce qui dans le cœur parle en nous. Le verbe encore est le messager qui dans le noûs précède la parole. Le Dieu Verbe est donc essentiel et enhypostasié ; les trois autres puissances de l’âme ne sont pas considérées comme hypostasiées ; la première de celles-ci est le produit naturel du noûs, noûs dont elle s’écoule sans cesse par nature. La deuxième est dite intérieure; la troisième verbale, d’élocution

L’esprit est diversement envisagé. Il y a l’Esprit Saint. On dit que les puissances de l’Esprit Saint sont aussi des esprits. Le bon ange est un esprit ; le démon est également un esprit ; l’âme est esprit. Dans certains cas on appelle l’intellect aussi l’esprit ; le vent, l’air sont « esprit » [souffle].

CHAPITRE XIV

Propriétés de la nature divine.

Incréé, sans commencement, immortel, illimité, éternel, immatériel, bon, créateur, juste, illuminant, immuable, impassible, incernable, inlocalisable, indéfinissable, invisible, incompréhensible, ne manquant de rien, dépendant de sa seule autorité et de sa seule liberté, dominant tout, donneur de vie, tout puissant d’une infinie puissance, sanctifiant et se donnant, contenant et soutenant tout, prévoyant tout ; voilà tout ce qu’il a et il l’a par nature, sans le puiser ailleurs, et cette nature donne à tout ce qu’elle a fait tout ce qui est bon à la mesure de ce qu’il peut le recevoir.

Les hypostases demeurent et se fondent les unes en les autres : car elles sont inséparables et indivisibles les unes des autres par leur pervasion sans confusion les unes en les autres, non par fusion ou mélange mais par le fait de se porter l’une l’autre. Car le Fils est dans le Père et l’Esprit, et l’Esprit dans le Père et le Fils, et le Père dans le Fils et l’Esprit, sans qu’il y ait la moindre fusion, mixion ou mélange. Et il y a identité et unité de motion, car il y a un seul élan d’une seule motion des trois hypostases, ce que l’on ne peut constater dans la nature créée.

L’illumination et l’opération divine, étant une, simple, sans division, se faisant diverse pour le bien de ce qui est distinct et distribuant à chacun ce qui fonde sa nature propre, reste simple; se multipliant dans les êtres multiples en restant indivise, les amenant et les tournant en sa propre simplicité. Tous en effet aspirent à elle, ont en elle l’existence et à eux tous elle distribue l’être des êtres, la vie des vivants, la raison des raisonnables, la pensée de ceux qui pensent, elle qui est au-dessus de la pensée (noùs), au-dessus de la vie, au-dessus de la raison, au-dessus de l’essence.

Ajoutons qu’elle pénètre à travers tous sans se mêler à eux alors qu’aucun ne la pénètre, qu’elle les connaît tous d’une connaissance simple et les veille tous de son regard divin, omniprésent et immatériel dans cette même simplicité, qu’ils soient présents, passés ou à venir, avant leur naissance. Ajoutons qu’elle ne peut pécher, qu’elle efface les péchés et qu’elle sauve ; que tout ce qu’elle veut elle le peut alors que tout ce qu’elle peut elle ne le veut pas parfois; car elle peut détruire le monde, mais ne le veut pas.

LIVRE II

CHAPITRE I

Du siècle (ou éon)[30] .

Celui qui est avant les siècles a fait les siècles lui-même. Le divin David déclare : «Des siècles aux siècles, tu es». (Ps. 90-2). Et le divin apôtre: « …par lui il a aussi fait les siècles ». (Heb. I-2).

Le mot siècle a plusieurs sens, il signifie beaucoup de choses. On dit éon en parlant de la vie de chaque homme. On dit éon pour un intervalle de temps de mille années[31] . On dit le siècle pour le cours présent de cette vie et le siècle à venir pour celui sans fin qu’il y aura après la résurrection. On le dit encore, non plus pour un temps, ni une partie du temps mesurée par les révolutions dans la course du soleil, c’est-à-dire par la succession des jours et des nuits, mais pour le co-extensif aux siècles, une sorte de mouvement à la fois temporel et spatial ; en effet le temps, pour ceux qui sont dans le temps, c’est ce qu’est le siècle pour les êtres éternels.

On parle donc de sept éons de ce monde-ci, c’est-à-dire depuis la création du ciel et de la terre jusqu’à la consommation générale et la résurrection des hommes. Il y a en effet une consommation partielle, c’est notre propre mort ; il y en aura une commune et universelle, quand viendra la résurrection générale. Ce sera le huitième temps, l’aïon à venir.

Avant l’établissement du monde, lorsqu’il n’y avait pas le soleil pour séparer le jour de la nuit, n’était pas mesuré, mais co-extensif aux êtres éternels, comme une sorte de motion à la fois spatiale et temporelle. En ce sens il y a un aïon un. Toujours d’après cela, Dieu est dit non seulement éternel, mais prééternel car il a fait les siècles ; Dieu étant sans commencement est l’auteur de tout, des siècles et de tous les êtres. En disant Dieu, je parle évidemment du Père et de son Fils monogène, notre Seigneur Jésus-Christ, et de son Saint-Esprit; ils sont notre seul Dieu.

On parle aussi des siècles des siècles; les sept aïons de ce monde actuel comprennent de nombreux siècles comptés en vies humaines, mais l’aïon un comprend tous les siècles ; c’est le siècle des siècles, présents et à venir. La vie éternelle, le châtiment éternel désignent l’infinitude du siècle à venir. Après la résurrection le temps n’y sera plus mesuré par les jours et les nuits, mais il y aura un seul jour, sans soir; le soleil de justice resplendira joyeusement pour les justes, et les pécheurs seront dans une nuit profonde et sans limite. Comment donc le temps des milles années, de l’apocatastase d’Origène, y sera-t-il compté ? L’auteur unique de tous les siècles est Dieu, lui qui a fait toute chose, lui qui est avant les siècles.

CHAPITRE II

De la création (démiurgie).

Le Dieu bon, et plus que bon, ne s’est pas contenté de sa propre contemplation, mais, dans la sur-abondance de sa bonté il lui a plu qu’un autre participât à son action bienfaisante et à sa bonté, et il a amené du non-être à l’être et créé toutes choses, visibles et invisibles, et d’autre part l’homme composé de visible et d’invisible. Il crée par la pensée ; et la pensée est fondée comme œuvre, accomplie par le Verbe et achevée en perfection par l’Esprit.

CHAPITRE III

Des Anges.

Le même Dieu est l’auteur et le créateur des anges ; ils les a amenés du non-être à l’être et les a créés, à sa propre image, de nature incorporelle, comme un esprit, un feu immatériel ; c’est ce que dit le divin David : « Lui qui des souffles fait ses anges et des flammes de feu ses serviteurs ». (Ps. 104-4). Le léger, l’ardent, le brûlant, le pénétrant, l’aigu du feu en dépeignent bien l’élan, le divin office et la tension vers le haut qui leur fait écarter toute pensée matérielle.

L’ange est donc une essence noétique toujours en action, libre, incorporelle, servante de Dieu qui possède par grâce l’immortalité en sa nature ; seul le créateur connaît le genre et la limite de cette essence. Il est sans corps, immatériel par rapport à nous bien que, comparé à Dieu, le seul que l’on ne puisse comparer à rien, tout se trouve épais, dense et matériel ; seul le divin est véritablement sans matière et sans corps.

La nature angélique, ainsi, est raisonnable, noétique, libre et évoluant par sa connaissance et de sa propre volonté, car tout être créé est changeant ; seul l’incréé est immuable. Tout être raisonnable est libre. Et comme tout être doué de raison et d’intelligence est libre, la nature angélique, créée muable et libre, est poussée à se maintenir ou à progresser dans le bien ou dans le mal.

Elle est incorporelle, elle ne peut donc se repentir comme l’homme dont la faiblesse corporelle lui fait éprouver la repentance. Elle est immortelle par grâce et non par nature ; tout ce qui a commencé a naturellement une terminaison. Dieu seul est éternellement ; il est même au-dessus de l’éternel, car celui qui a fait le temps n’est pas sous mais au-dessus du temps.

Les lumières secondes perçues par l’intellect, reçoivent leur illumination de la lumière première et sans principe ; sans le secours de la langue et de l’ouïe, sans prononcer de parole, elles se communiquent leurs pensées propres et leurs décisions.

Les anges ont tous été faits par le Verbe, achevés en sainteté par le Saint-Esprit, pour participer à la grâce selon ce qui correspond à leur dignité, à leur ordre et à leur illumination.

Ils sont cernables car lorsqu’ils sont dans le ciel, ils ne sont pas sur terre ; et envoyés par Dieu sur terre, ils ne demeurent plus au ciel. Les murs, les portes, les serrures, les sceaux ne peuvent les enfermer ; ils échappent à ces limitations, bien que tels ils ne soient pas lorsqu’ils apparaissent à ceux qui en sont dignes et à qui Dieu l’accorde, car ils changent à ce moment et prennent l’aspect qui leur permet d’être vus et à ceux-ci de les voir. N’est à proprement parler sans limitation par nature, que l’incréé. Toute créature est limitée par le créateur, Dieu.

Leur sainteté leur vient, non de l’essence mais du dehors, du Saint-Esprit ; ils prophétisent par grâce divine, et n’ont pas besoin de mariage puisque immortels. Étant intellects, leur milieu est le ciel intelligible et on ne les cerne pas, corporellement ils n’ont pas de figure corporelle et ne sont pas dans les trois dimensions ; cependant lorsqu’ils apparaissent, ils sont là pour l’intellect et opèrent ; ils ne peuvent donc être ailleurs et y opérer au même instant.

Nous ne savons si par essence ils sont égaux ou différents ; seul le sait Dieu qui les a faits et qui connaît toute chose. Mais ils diffèrent par leur lumière et leur rang, que ce soit le rang qui leur vaut cette lumière ou leur participation ce rang[32] , et ils se transmettent des uns aux autres la lumière d’après la supériorité de rang ou de nature ; c’est évidemment les supérieurs qui transmettent aux suivants la lumière et la connaissance.

Ils sont pleins de force et de promptitude pour faire la volonté de Dieu et se trouvent là instantanément, au moindre signe divin pour veiller aux choses de la terre. Ils président les nations, leur territoire, comme le leur a ordonné le démiurge ; ils assurent la marche de ce qui nous concerne et nous prêtent secours en veillant constamment sur nous, par la volonté et l’ordre divins, sans cesser d’être toujours autour de Dieu.

Ils sont difficilement portés au mal, mais non à l’abri de son atteinte ; ils sont constants, immuables, non par nature mais par grâce et par le zèle qu’ils portent au seul Bien.

Ils voient Dieu, à la mesure où ils peuvent atteindre et c’est là leur nourriture ; ils sont au-dessus de nous en tant qu’incorporels, éloignés de toute affection du corps quoique non impassibles, car Dieu seul est impassible.

Ils changent de forme quand le demande leur Maître Dieu, et apparaissent aux hommes pour leur dévoiler les mystères divins.

Ils vivent dans le ciel où leur œuvre est de chanter à Dieu et de servir sa volonté divine.

Comme le dit le très saint, le sacré et le grand savant du divin, Denys l’Aréopagite, la théologie, c’est-à-dire l’Écriture divine, recense neuf essences célestes, et cet initiateur divin des mystères sacrés, y distingue trois ordres. Le premier, dit-il, est fait de ceux qui sont constamment autour de Dieu, destinés à s’attacher à lui, de près et sans intermédiaire ; c’est celui des séraphins aux six ailes, des chérubins aux innombrables yeux, et des trônes très saints. Le deuxième, celui des dominations, vertus, puissances. Le troisième et dernier, celui des principautés, des archanges et des anges.

Certains, comme Grégoire le Théologien, assurent que les anges sont venus avant toute créature « D’abord il a pensé les puissances angéliques et célestes, dit-il, et cette pensée était une œuvre ». D’autres disent que c’est après l’apparition du premier ciel. Mais tous affirment que c’est avant que fût modelé l’homme. Quant à moi je suis de l’opinion du Théologien. Il fallait d’abord que fussent créées l’essence de l’intellect, ensuite celle du sensible et alors, des deux, l’homme lui-même.

Certains enfin assurent que les anges sont les démiurges, d’une soi-disant essence ; ils se font la bouche de leur père le diable ; car étant créés ils n’ont rien d’un démiurge ; l’auteur de tout, qui prévoit et conserve, c’est Dieu, seul incréé, loué et glorifié dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit.

CHAPITRE IV

Du diable et des démons.

Parmi les puissances angéliques, le chef de file de l’ordre terrestre à qui Dieu avait confié la garde de la terre, n’était pas né mauvais par nature; il était bon, venu pour le bien et n’avait nulle trace d’un mal que Dieu aurait déposé en lui. Cessant de tenir haut la clarté et l’honneur que le Démiurge lui avait accordés, il se détourna, dans sa liberté et sa propre décision, de la loi pour aller contre la loi et se retira de celui qui l’avait créé, Dieu, en voulant lui résister. C’est lui le premier qui rejeta le bien et choisit le mal. Le mal n’est rien d’autre que la privation du bien, de même que l’obscurité est la privation de la lumière. Le bien est une lumière de l’intelligence supérieure le mal est la ténèbre de cette intelligence. C’est en effet après la création de la lumière qu’est venu le bien : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici cela était très bien ». (Gen. 1-31). C’est par sa libre volonté qu’il est devenu ténèbre. Tirée avec violence, une multitude infinie des anges suivit et tomba avec leur chef placé au-dessus d’eux. Avec la même nature que les autres anges, ils devinrent mauvais et inclinèrent par choix délibéré du bien vers le mal.

Ces anges n’ont force et liberté d’action que de Dieu seul, dont ils dépendent par économie, comme le montrent l’exemple de Job et celui des porcs dont il est question dans l’Évangile. La permission donnée par Dieu, ils exercent leur puissance en changeant d’aspect, se métamorphosant selon la figure sous laquelle ils veulent apparaître.

Ni les anges de Dieu, ni les démons ne connaissent les choses à venir ; ils prédisent cependant. Dieu dévoile aux anges l’avenir et leur demande de le prédire; ce n’est qu’ainsi que ce qu’ils annoncent se produit. Les démons aussi prédisent, tantôt parce qu’ils voient de loin venir les événements, tantôt parce qu’ils conjecturent. De là qu’ils mentent pour la plupart et qu’on ne doive pas les croire, même s’ils disent vrai souvent de la façon que nous avons dite, car ils connaissent aussi les Écritures.

C’est eux qui conçoivent le mal, les passions impures ; ils peuvent pousser l’homme, mais non le forcer, car nous avons en nous d’accepter ou de refuser leur influence. C’est pourquoi le feu inextinguible a été préparé, ainsi que l’éternel supplice, pour le diable, ses démons et ceux qui le suivent.

Ce que la mort est pour les hommes, la chute l’est pour les anges, car après la chute il n’y a pour eux pas de conversion ni pour les hommes après la mort.

CHAPITRE V

De la création visible.

Notre Dieu, auquel gloire est rendue dans la Trinité et dans la Monade, « a fait le ciel et la terre et tout ce qui est en eux », amenant du non-être à l’être toutes choses ensemble ; et cela non à partir d’une matière préexistante telle que le ciel, la terre, l’air, le feu, l’eau, bien que tout vienne de ces éléments, animaux, plantes, semences ; car par commandement du Démiurge ils sont venus de la terre, de l’eau, de l’air et du feu[33] .

CHAPITRE VI

Du ciel.

Le ciel est l’enveloppe contenant en résumé[34] les créatures visibles et invisibles. En lui sont enfermés et définis les puissances intellectives angéliques et ce que nos sens perçoivent et définissent. Seul le divin échappe à toute délimitation ; il remplit tout, renferme tout, délimite tout car il est au-dessus de tout et a tout créé.

L’Écriture emploie les mots : ciel, ciel du ciel, et cieux des cieux. Le bienheureux Paul dit avoir été ravi au troisième ciel. Nous comprenons dans la cosmogénèse du tout la « poièse » du ciel que les savants des nations appellent sphère sans astres, pour l’avoir pris à Moïse.

Dieu appela aussi le ciel : stéréome [firmament] ayant ordonné qu’il se sépare du milieu de l’eau qui est au-dessus du firmament et du milieu de l’eau qui est au-dessous du firmament. Le divin Basile, savant en Écriture divine, dit que sa nature est impalpable, comme une fumée. D’autres la disent aqueuse parce que tirée du sein des eaux ; d’autres tirée des quatre éléments ; d’autres que c’est un cinquième corps, autre que les quatre.

Certains auteurs ont enseigné que le ciel entourait en cercle le tout, comme une sphère dont il est la partie supérieure de toute part ; le point central de ce que qu’elle entoure serait la partie inférieure. Ce qui est subtil, léger, le Démiurge lui donne son rang élevé ; ce qui est lourd, porté vers le bas, son rang inférieur ; c’est là qu’est le milieu. Ils assurent que le feu, élément très subtil, ascendant, prend place immédiatement après le ciel ; ils l’appellent aussi éther ; après lui, un degré plus bas, est l’air. La terre et l’eau, lourdes et descendantes, sont appendues au point central ; l’eau et la terre sont en opposition, l’eau plus légère que la terre, est plus mobile. Partout en haut entourant l’air comme une enveloppe circulaire, est l’éther. Et le ciel les entourent tous à l’extérieur.

Ils disent aussi que le ciel se meut circulairement et qu’il maintient ce qui est à l’intérieur, lié et à l’abri des chutes. Ils assignent sept zones [ou ceintures] au ciel, échelonnées en hauteur; la nature du ciel est subtile comme une vapeur et à chaquezone correspond une planète ; il y en a sept : le soleil, la lune, Zeus, Jupiter, Hermès, Mercure, Arès-Mars, Aphrodite-Venus et Chronos-Saturne ; ils appellent aussi Aphrodite, Eosphore-Lucifer et Espère-Vesper[35] . Ce nom de planètes vient de ce qu’elles vont à rebours du mouvement céleste. Le ciel et le reste des astres vont de l’Orient au couchant, les planètes du couchant à l’Orient. Nous le savons par la lune qui rétrograde chaque soir.

Ceux qui assurent le ciel sphérique, disent qu’il s’écarte également de la terre en haut, sur les côtés et en bas (en bas et sur les côtés, d’après ce qui apparaît à nos sens, puisque d’où qu’on examine, le ciel est en haut et la terre en bas), et que son mouvement circulaire autour de la terre est très rapide ainsi que celui du soleil, de la lune et des astres. Le soleil est au-dessus de la terre le jour, au-dessous la nuit; quand il revient sur elle, qui est plongée dans la nuit, le jour revient également.

D’autres imaginent le ciel hémisphérique ; c’est ainsi que David, divinement inspiré, dit : « Il étend le ciel comme une peau ». (Ps. 104-3). Il veut dire une tente ; et le bienheureux Isaïe « Il a mis le ciel comme une voûte ». (Es. II-22). De plus, en se couchant, le soleil, la lune et les astres circulent autour de la terre depuis le couchant vers le nord et ils reviennent à nouveau ainsi vers le levant. Que le ciel soit l’un ou l’autre, tout advient et reste ferme par décret divin, et la volonté et le conseil divins le posent sur un fondement inébranlable : « Il a parlé et cela arrive. Il a tout disposé pour les siècles et pour les siècles des siècles. Il a mis une loi et elle restera toujours ». (Ps. 104).

Il y a un ciel du ciel, précédant le ciel, au-dessus du firmament; ce qui fait deux ciels puisque Dieu appelle le firmament ciel ; et c’est aussi l’habitude de l’Écriture divine d’appeler ciel l’air, parce qu’on tourne son regard vers le haut : « Bénissez, tous les oiseaux du ciel » dit-elle voulant dire l’air; l’air est en effet le domaine des oiseaux, et non le ciel. Ce qui fait trois cieux ; l’apôtre le dit aussi. On peut si l’on veut appeler cieux les sept zones, mais cela n’ébranle pas la parole de Vérité. C’est aussi l’habitude de la langue hébraïque d’employer le pluriel et de dire les cieux ; pour dire le ciel du ciel, elle dit les cieux des cieux. Il est évident qu’à cause de l’habitude de cette langue de mettre le mot au pluriel, le ciel du ciel, au-dessus du firmament, et les eaux au-dessus du firmament, désignent ou l’air également du firmament, ou les sept zones du firmament, ou le firmament.

Par conformation de nature toute chose d’après la Genèse est placée sous la corruption, et les cieux aussi ; c’est la grâce de Dieu qui les maintient et les préserve. Seul le divin, sans commencement par nature, est aussi sans fin. Il est dit d’eux : « Ils passeront, toi tu demeures » parce que les cieux seront effacés à la consommation : « Ils vieilliront et ils seront retournés comme une couverture et changés ; il y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre. » (Ps 102-27).

Le ciel est bien plus grand que la terre, dans une immense mesure. Son essence assurément ne doit pas être recherchée; elle nous est inconnaissable.

Que l’on n’entende pas les cieux ni les luminaires comme animés[36] ; ils sont inanimés et insensibles. Même quand l’Écriture dit « les cieux se réjouiront et la terre sera dans l’allégresse » (Ps. 96-II), c’est qu’elle appelle à la joie les anges du ciel et les hommes de la terre. Elle personnifie et parle des choses inanimées comme animées : « la mer le vit et s’enfuit ; le Jourdain retourna en arrière… » et : « Pourquoi, mer, t’es-tu enfuie et toi, Jourdain, retournes-tu en arrière ? » (Ps. 114. 3-5). Les montagnes et les collines prononcent des paroles en sautant. C’est aussi une façon de parler que dire : la cité s’est rendue, car on ne vise pas les maisons, mais les habitants de la ville. « Et les cieux racontent la gloire de Dieu » (Ps. 19-2), non avec une voix mais par leur immensité qui nous montre la puissance du Démiurge, pour qu’en rappelant leur beauté nous en glorifions l’auteur et l’artisan parfait.

CHAPITRE VII

La lumière, le feu, le soleil, la lune, les étoiles.

Le feu est des quatre éléments le plus léger, le plus porté vers le haut, en même temps qu’il brûle, éclaire ; il est créé au premier jour par le Démiurge. L’Écriture divine dit : « Et Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut. » Certains pensent que la lumière, ici, n’est autre que le feu : d’autres disent que le feu cosmique est au-dessus de l’air et l’appellent éther. « Dans le principe », donc, Dieu fit la lumière, c’est-à-dire au premier jour. Elle est la parure et l’ornement de toute la création visible. En effet supprime la lumière, et tout restera ignoré, dans les ténèbres, sans pouvoir montrer sa beauté : «Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit ». La ténèbre n’a pas d’essence, c’est un accident[37] , c’est l’absence de lumière, car l’air n’est pas lumineux par essence. C’est donc à cette privation de lumière dans l’air que Dieu donne le nom de Ténèbre : ce n’est pas l’essence de l’air qui est ténèbre, mais la privation de lumière, ce qui est accidentel et non essentiel. La nuit n’a donc pas été nommée la première, mais le jour ; de sorte que le jour est le premier et la nuit la dernière ; la nuit suit donc le jour, c’est pourquoi du commencement d’un jour à l’autre, il y a un nycthémère. L’Écriture dit : « Et il y eut un soir et il y eut un matin : jour un »[38] .

Dans les trois premiers jours, le jour et la nuit se produisent par expansion et rétraction de la lumière par ordre divin. Le quatrième, Dieu fit le grand luminaire, c’est-à-dire le soleil, comme principe et source du jour, car il maintient le jour ; le jour c’est quand le soleil est sur la terre et l’étendue du jour c’est la course du soleil sur la terre, du lever à son coucher. Et le petit luminaire, c’est-à-dire la lune, et les étoiles, eux, sont principe et source de la nuit et de sa clarté. La nuit vient de ce que le soleil est sous la terre et son étendue, sa durée, c’est la course du soleil depuis le coucher jusqu’au lever. La lune et les étoiles dont l’ordonnance éclaire la nuit, ne vont pas toujours sous la terre car il y a pendant le jour des astres sur la terre, mais la lumière du soleil qui est plus forte ne laisse pas voir leur propre éclat quand il est là.

Sur ces luminaires, Dieu fit retomber en quelque sorte cette lumière créée la première, non qu’il manquât d’autre lumière, mais pour qu’elle ne restât pas oisive. Le luminaire n’est pas en effet la lumière mais le réceptacle de la lumière.

Dans ces luminaires on compte les sept planètes ; on les dit mues d’un mouvement opposé au ciel, d’où leur nom de planètes, car le ciel, se déplace du levant au couchant tandis que les planètes vont du couchant au levant. Elles parcourent le ciel d’un mouvement très rapide. Voici leur nom : Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Il y a une planète pour chaque zone du ciel.

Dans la première, la plus élevée, est Saturne; dans la deuxième Jupiter, la troisième Mars, la quatrième le soleil, la cinquième Vénus, la sixième Mercure, la septième et la plus basse la lune.

Elles gardent leur trajectoire sans arrêt, que leur a assignée le Démiurge, et comme il les a établies. Comme dit le divin David : « Tu as fondé la lune et les astres ». (Ps. 8-4). Par ces mots : tu as fondé, il signifie l’ordre ferme et invariable, et l’enchaînement que Dieu leur a donnés. Il les a établies comme marques et signes pour les temps, les jours et les années. Le soleil d’une part constitue les quatre cycles saisonniers. Le premier est le printemps, dans lequel Dieu a aussi créé toute chose ; c’est encore avec lui que se montre la sortie des fleurs : c’est aussi le temps de l’équinoxe, car le jour et la nuit y ont douze heures. Le soleil s’y lève au milieu de l’horizon oriental ; la température est bonne ; il y a augmentation du sang chaud et humide ; il est intermédiaire entre l’hiver et l’été, plus chaud et sec que l’un, plus froid et humide que l’autre ; cette saison va depuis le 21 mars jusqu’au 24 juin. Ensuite le lever du soleil se fait plus vers le nord, et la saison d’été succède, située entre printemps et automne. Du printemps il a la chaleur, de l’automne la sécheresse, car il est chaud et sec ; il augmente la bile jaune. Il a le jour le plus long, de quinze heures; la nuit la plus courte, neuf heures. Il va du 24 juin au 25 septembre. Le lever du soleil redescendant vers le sud et au milieu, la saison d’automne remplace l’été, située entre le froid et le chaud, la sécheresse et l’humidité, entre l’été et l’hiver ; elle a le sec de l’été et le froid de l’hiver ; elle augmente la bile noire. Elle a aussi un équinoxe; les jours et les nuits y ont douze heures. Elle va du 25 septembre au 25 décembre. Le soleil descendant encore et se levant au plus méridional de l’horizon oriental, la saison d’hiver survient, avec son froid et son humidité, située entre automne et printemps; du premier elle a le froid, du second l’humidité. Elle a le jour le plus court, neuf heures, et la nuit la plus longue, quinze heures. Elle augmente le phlegme; elle va du 25 décembre au 21 mars. Le Démiurge a prévu avec sagesse qu’en ne tombant pas de l’extrême froid, chaud, humide ou sec, dans l’extrême opposé, nous n’ayons de grands à-coups de santé, à cause des changements brusques qui assurément sont dangereux.

Ainsi donc le soleil règle les saisons et avec elles l’année entière, en plus des jours et des nuits, par le cycle du repos et du trajet au-dessus de la terre et du coucher au-dessous ; il soutient les autres luminaires, lunes, étoiles en leur cédant de sa lumière.

Les mêmes auteurs assignent douze zodias, c’est-à-dire douze figures d’animaux, aux astres dans le ciel, et disent qu’ils ont un mouvement opposé au soleil, à la lune et aux autres cinq planètes, celles-ci passant par douze figures. Le soleil accomplit donc un mois dans chaque zodia et en douze mois il traverse les douze zodias, dont voici les noms

Bélier mars 21

Taureau avril 23

Gémeaux mai 24

Cancer juin 24

Lion juillet 25

Vierge août 25

Balanceseptembre 25

Scorpion octobre 25

Sagittaire novembre 25

Capricorne décembre 25

Verseaujanvier 25

Poissonfévrier 24

La lune chaque mois traverse ces douze signes car elle est la plus basse et celle qui va le plus vite ; c’est comme quand il y a un cercle à l’intérieur d’un autre, le plus intérieur est parcouru plus rapidement ; ce qui se passe pour la lune dont la trajectoire est plus basse et plus rapidement parcourue.

Les Hellènes assurent que tout est régi, gouverné par le coucher et le lever de ces astres, soleil et lune, et par leur conjoncture. De là vient l’astrologie. Nous disons simplement qu’ils annoncent la pluie, le beau temps, le froid et la chaleur, l’humidité ou la sécheresse, les vents…, et jamais nos actes, ce qui va nous arriver ; nous sommes libres de naissance et maîtres de nos actes. Si c’est le fardeau des astres qui nous fait tout faire, nous faisons tout par nécessité, et ce qui est nécessité n’est pas vertu ni mal ; nous n’avons alors ni vertu, ni malice, et ne méritons ni louange ni châtiment, et Dieu est injuste qui donne aux uns les biens et aux autres les maux. Il n’y a besoin ni de prévoyance ni de gouvernail dans la création de Dieu, si tout s’y fait et provient de la nécessité. Il est inutile aussi de raisonner, n’étant maître d’aucun de nos actes ; il est vain de prendre une décision car la raison est faite pour décider, et là où est la raison, là est la liberté.

Nous dirons, nous : ces conjonctures célestes ne sont la cause ni de ce qui arrive, ni de la façon dont cela arrive, ni de la corruption de ce qui est corruptible. Ce sont plutôt des signes de pluie et de changements atmosphériques. On pourrait dire seulement qu’ils ne sont pas la cause des guerres, mais leurs signes concourants. Et la qualité de l’atmosphère influencée par le soleil, la lune et les astres, établit des constitutions, des dispositions et des états différents, et ces états qui sont les nôtres se maîtrisent par la raison et se mènent comme il se doit. On voit souvent des comètes annoncer, comme des signes, la mort des empereurs; ce ne sont pas des astres ordinaires et c’est par le commandement divin qu’ils surviennent pour cette circonstance, et qu’ils s’effacent. Aussi bien, lors de la naissance salutaire du Seigneur et ami de l’homme, venu pour nous dans la chair, l’astre que voyaient les mages n’était pas de ceux qui sont là depuis toujours. On les voit tantôt traverser de l’Orient à l’Occident, tantôt du nord au sud, tantôt briller ou se cacher, ce qui n’est pas de la nature ou du cours normal des astres.

Il ne faut pas ignorer que la lune réfléchit la lumière du soleil, non que Dieu ait omis de lui donner sa propre lumière, mais afin que fût imposé à la création un rythme, un ordre tel que l’un commandât et l’autre fût commandé, et que nous soyions par là instruits à communier ainsi les uns avec les autres, à participer et à nous soumettre; la première place est à l’auteur et démiurge, notre Dieu et Maître, ensuite, les principes se tenant au-dessous de lui. Cela nous apprend à ne pas réclamer : pourquoi celui-ci préside-t-il et pas moi ? et à tout accepter de Dieu avec action de grâce et reconnaissance.

Le soleil et la lune ont des éclipses, ce qui prouve la sottise de ceux qui adorent la création, en montrant leur altération et leur changement, car tout change sauf Dieu, et ce qui change par nature est corruptible.

Le soleil s’éclipse quand la masse de la lune s’interpose comme un mur et fait ombre interceptant sa lumière, et cela dure évidemment le temps de cette interposition ; ne t’en étonnes pas, parce que la lune est petite et que, selon certains, le soleil a plusieurs fois le plusieurs de la terre (les saints pères les disent égaux) ; il suffit en effet souvent d’un petit nuage, d’une petite colline, voire d’un mur, pour le masquer.

L’éclipse de lune vient de l’ombre de la terre, lorsque la lune est dans son quinzième jour et se trouve à l’opposé. Le soleil est sur l’axe qui va de la lune à la terre de l’autre côté. La terre projette alors une ombre et la lumière du soleil n’arrive pas à éclairer la lune ; d’où l’éclipse.

La lune est dans sa plénitude le quinzième jour, ainsi le veut le Démiurge, car il faut qu’elle atteigne sa perfection. Le quatrième jour, nous l’avons dit, a été créé le soleil ; le soleil précède donc de onze jours, d’où vient que, dans l’écoulement du temps, les douze mois lunaires laissent douze jours aux mois solaires, car du quatrième jour au quinzième il y a onze jours. D’une part les mois du soleil ont 365 jours et un quart, d’où le fait qu’au bout de quatre ans, il y a un jour plein, lequel est dit bissextile, et cette année-là a 366 jours. L’année lunaire a 354 jours ; de la naissance de la lune (quand elle est nouvelle) à sa plénitude, il y a quatorze jours et trois-quarts ; elle commence alors à décroître jusqu’au vingt-neuvième jour et demi ; c’est alors qu’elle est la moins éclairée. Puis de nouveau soumise au soleil, elle renaît, se renouvelle, comme une sorte de mémorial de notre résurrection. Ainsi chaque année elle rend onze jours au soleil, et en trois ans cela fait un mois, celui que les hébreux intercalaient; ce qui faisait une année de treize mois en additionnant ces onze jours.

Le soleil, la lune, les astres sont composés, cela est clair, et soumis par nature à la corruption, nature que nous ignorons. Certains parlent d’un foyer illuminant à partir d’une matière obscure, lumière qui disparaîtrait quand il s’éteint ; d’autres assurent que le foyer éteint se change en air.

Le cycle du zodiaque se meut obliquement, d’où sa division en douze sections ou zodia ; le « zodia » a trois décades, trente parties, chacune soixante plus petites. Donc le ciel a 360 degrés, 180 dans l’hémisphère au-dessus de la terre, 180 dans celui au-dessous.

Les planètes habituelles : Bélier, Scorpion, Mars ; Tauros et Zygos, Vénus : Gémeaux, Vierge, Mercure ; Cancer, Lune ; Lion, Soleil ; Sagittaire, Poisson, Jupiter ; Capricorne, Verseaux et Saturne.

Planètes plus élevées : Bélier, Soleil; Tauros, Lune ; Cancer, Jupiter; Vierge, Mars ; Balance, Saturne ; Capricorne, Mercure.

Aspects de la lune : conjonction quand elle vient dans la région où est le soleil ; elle naît quand elle est à 15 degrés du soleil ; lever quand elle est en croissant et à 60 degrés ; coupée en deux, à 50 degrés de distance ; à deux cornes, à 120 degrés ; pleine et très éclairée, il y en a deux à 150 ; absolument pleine à 180 ; il y en a deux parce que l’une en croissance, l’autre en décroissance. La lune occupe chaque signe du zodiaque deux jours et demi.

CHAPITRE VIII

De l’air et des vents.

L’air est l’élément subtil, humide et chaud, il est plus lourd que le feu, plus léger que l’eau et que la terre; il produit la respiration et la voix ; il est incolore (par nature il n’a pas de couleur) transparent, diaphane, car il transmet la lumière ; il sert à trois de nos sens : voir, entendre, sentir ; il peut s’échauf­fer ou se refroidir, être humide ou sec ; en lui s’opèrent les déplacements : haut, bas, intérieur et extérieur, gauche droite et circulairement.

La lumière vient du soleil, l’air ne l’a pas en propre ; elle vient aussi de la lune, des astres et du feu. C’est ce que dit l’Écriture : « Les ténèbres étaient sur l’abîme », voulant montrer que l’air n’a pas en propre la lumière, dont l’essence est autre.

Le vent est le mouvement de l’air ; c’est un flux d’air changeant de lieu, et selon le lieu d’où il vient, on le nomme.

Le lieu propre vient de l’air car ce qui entoure chaque corps, c’est son lieu, et qu’est-ce qui l’entoure, si non l’air ? Les mouvements de l’air se font de divers endroits, d’où les vents tirent leur nom, au nombre de douze. On dit que l’air est du feu éteint ou bien l’évaporation de l’eau. Il est donc chaud de nature et se refroidit au contact de l’eau et de la terre ; il est froid dans les régions basses et chaud dans les hautes.

Le vent qui souffle de l’orient d’été est le kaikias ou moyen (Aristote) ; du levant d’équinoxe, c’est l’apeliôtes ; de celui d’hiver, l’euros ; du couchant d’hiver, lelips (de leibô : pleuvoir) ; de celui d’équinoxe, le zéphir, violent ou pluvieux ; de celui d’été, l’argestés (qui amasse les nuages), c’est-à-dire de l’Olympe ou aphyx. Il y a ensuite le notos (pluie) et l’aparktos, qui soufflent en sens contraire ; le boréal entre l’aparktos et le kailias ; entre l’euros et le notos, le phoenix appelé euronotos ; entre notos et libos, le libonotos ou leuconotos

CHAPITRE IX

Des eaux.

L’eau est aussi l’un des quatre éléments, chef-d’œuvre de Dieu. C’est l’élément humide et froid ; lourd, il descend vers le bas et coule. La divine Écriture le rappelle : « Les ténèbres étaient sur l’abîme et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » Car l’abîme n’est autre que l’eau immense et ce dont l’homme ne peut sonder le fond. Au commencement l’eau submergeait toute la terre et Dieu d’abord fit le firmament, séparant l’eau au-dessus du firmament de l’eau au-dessous du firmament, car celui-ci a été constitué par l’ordre divin au milieu de l’abîme des eaux ; c’est de là que le Seigneur dit : qu’il vienne, et il est venu. Comment Dieu a-t-il fait la place du firmament ? Par le soleil et l’échauffement ardent de l’éther. L’éther est répandu tout près du firmament avec son soleil, la lune, les astres, et si l’eau ne reposait au-dessus, le firmament eut été brûlé, volatilisé par la chaleur.

Dieu commanda ensuite que les eaux se rassemblassent en un seul lieu, ce qui ne veut pas dire un seul et unique lieu (car l’Écriture ajoute : « et il appela mers le rassemblement des eaux »), mais que leur séparation de la terre se fait ensemble, ou en même temps[39] . Elles s’amassent donc en certains endroits de celle-ci et le sec apparaît (la sèche). Ainsi les deux mers qui entourent l’Égypte, car celle-ci est entre deux mers. Il est donc apparu dans différentes étendues de mer, des montagnes, des îles, des promontoires, des ports avec leurs golfes, littoraux et falaises : la falaise est rocheuse, ses bords profonds, à pic rapidement ; le littoral est aussi appelé plage de sable. L’océan du levant est l’océan indien, celui du nord le caspien ; des lacs en sont venus.

L’océan est comme un fleuve entourant la terre ; la divine Écriture en parle, me semble-t-il : « un fleuve coulait du paradis ». Son eau est douce et potable, il recueille l’eau des mers qui en stagnant sans mouvement devient amère, le soleil évaporant la partie volatile, comme par des siphons, ce qui donne aussi les nuages et les pluies dont l’eau est douce parce que distillée.

Ce fleuve a quatre chefs, c’est-à-dire se divise en quatre fleuves. Le nom du premier est Pheison, c’est le Gange indien ; le nom du second, Géon, c’est le Nil, qui descend d’Éthiopie en Égypte ; le nom du troisième est le Tigre ; le nom du quatrième l’Euphrate. Il y a bien d’autres grands fleuves, qui se jettent dans la mer ou disparaissent sous terre. De là que la terre soit percée de canaux et de couloirs souterrains, comme si elle avait des vaisseaux par où les eaux venues de la mer viennent jaillir en sources. L’eau des sources tire donc ses qualités de la terre, où elle filtre et s’imbibe perdant son amer­tume maritime. Si l’endroit d’où elle sourd est amer ou salé, l’eau l’est également. L’eau est souvent comprimée et jaillit avec force en s’échauffant ; d’où les « caldes-aigues » naturelles.

Ainsi par le commandement divin, il s’est formé des dépressions dans la terre et dans leur creux se sont rassemblés les eaux ; d’où également les montagnes. C’est d’abord à l’eau que Dieu commanda de faire sortir une âme vivante (le souffle de vie), et il devait ensuite par l’eau et par le Saint-Esprit porté sur les eaux à son commandement, renouveler l’homme. C’est ce que dit le divin Basile. Il fit surgir les animaux, petits et grands, les cétacés, les dragons, les poissons nageant dans les eaux, et les oiseaux ailés. Par les oiseaux donc sont rattachés l’eau, la terre et l’air (car ces animaux sont venus des eaux, ils vivent sur la terre et volent dans l’air). L’eau est un élément admirable et à usages multiples; il purifie de la souillure, non seulement le corps mais l’âme, quand il a reçu la grâce de l’Esprit

Des Mers.

La mer Égée reçoit l’Hellespont, descendant sur Abydon et Seston ; ensuite le Propont qui mène en Chalcédoine et à Byzance ; de là les détroits où commence le Pont. Ensuite le lac Maiotis. Il y a encore au commencement de l’Europe et de la Lybie, la mer Ibérique, depuis les Colonnes jusqu’aux Pyrénées ; la mer Ligustique va aux limites de l’Étrurie. La Sardique, au-dessus de Sardes, coule en bas vers la Lybie. La mer tyrrhénienne (côte ouest de l’Italie) s’étend vers la Sicile à partir des frontières de la Ligurie ; la mer lybique ensuite, puis crétoise, sicilienne, ionienne, adriatique, laquelle provient de la mer de Sicile, et qu’on appelle aussi golfe de Corinthe, c’est-à-dire la mer d’Alcyon. Ensuite celle qui baigne Sounion et Scylla, dite mer Céronique. Ensuite celle de Myrton et Icare où se trouvent les Cyclades. La distance depuis le fleuve danaïde jusqu’aux colonnes d’Hercule est de 609.709 stades ; depuis Tinge en Lybie jusqu’à l’embouchure canobique 209.252 stades.

CHAPITRE X

De la terre et de ce qu’elle contient.

La terre est l’un des quatre éléments : sec, froid, lourd et immobile ; amené du non-être à l’être par Dieu au premier jour : « Au commencement, dit l’Écriture, Dieu créa le ciel et la terre ». Personne n’a pu dire un mot de sa base ni de sa fondation. Les uns disent qu’elle a été amassée sur les eaux et affermie là, comme le divin David : « Celui qui a affermi la terre sur les eaux » (Ps. 104-6). D’autres sur l’air. Un dit : « Celui qui a amassé la terre sur rien » (Job. 36-7). David, l’ancêtre de Dieu, dit de la face du créateur : « Moi j’ai affermi les colonnes ». Il appelle colonnes, sa force de résistance. Les mots : « Il a fondé celle-ci sur les mers ». (Ps. 23-2) montrent que la nature de l’eau est inscrite dans la terre. Que l’on accorde qu’elle ait été faite pour elle-même directement, ou à partir de l’air, des eaux ou de rien, il ne faut pas rejeter, mais tout garder avec piété et confesser que tout est maintenu par la puissance du créateur.

Donc au commencement, comme le dit la divine Écriture, la terre était cachée sous les eaux, non aménagée, c’est-à-dire sans organisation. Dieu commande, et survient de quoi recevoir les eaux, les montagnes commencent, et sur l’ordre divin, elle reçoit sa parure familière d’herbes de toute espèce, ornée de plantes ; l’ordre divin encore introduit en celles-ci une vertu de développement, de nutrition et de germination (d’aptitude à engendrer son semblable). Il surgit à la voix du Démiurge tous genres d’animaux, de reptiles, de bêtes sauvages et de bêtes marines. Toutes celles à l’usage de l’homme ; pour sa nourriture comme cerfs, brebis, chèvres… ; pour l’aider, comme chameaux, bœufs, chevaux, ânes… ; pour son divertissement, singes ou oiseaux, pie, perroquet ; ou des plantes et des herbes, données tantôt pour la nourriture, tantôt pour les fruits, le parfum ou leurs fleurs, comme la rose ; ou pour guérir les maladies. Il n’y a aucun animal, aucune plante où le Démiurge n’ait mis quelque vertu utile à l’homme. Lui qui, en effet, connaît toute chose avant qu’elle apparaisse, sachant la transgression où l’homme allait tomber par sa liberté et la corruption qui suivrait, créa tout ce qui, selon les circonstances, lui serait nécessaire, au firmament, sur terre et dans les eaux.

Avant cette transgression, il avait tout sous sa main ; Dieu l’avait mis comme chef à tout ce qui est sur terre et dans les eaux. Le serpent, familier de l’homme, et qui plus que tout être était près de lui, s’approcha avec des mouvements séduisants. C’est ainsi que le diable, prince du mal, insinua en nos premiers parents un pernicieux conseil. La terre d’elle-même offrait son fruit aux êtres qui lui étaient soumis ; il n’y avait sur elle ni pluie, ni hivers. Après la transgression « quand il eut rejoint les créatures sans raison et été assimilé à celles » (Ps. 49-14), la convoitise irréfléchie se mit à contrôler son intellect raisonnable ; il devint désobéissant au commandement divin ; la création qui lui était soumise se révolta contre lui, lui que le Démiurge avait mis sur elle comme chef ; et le créateur ordonna que fût travaillée dans la sueur, cette terre d’où il avait été tiré.

Mais si désormais les bêtes sauvages ne lui sont plus d’aucune utilité et l’effrayent, elles le portent du moins à reconnaître et à appeler le Dieu qui les a faites. Les épines poussées sur terre après la transgression, par la sentence du Seigneur, sont désormais attachées à la jouissance, comme l’épine à la rose, nous faisant souvenir de cette transgression par laquelle fut condamnée la terre à nous offrir épines et tribulations.

C’est ainsi que se sont passées les choses depuis le début jusqu’à maintenant et la parole du Seigneur nous invite à y croire qui en assure la permanence et a dit : « Croissez, multipliez et remplissez la terre ».

Certains disent que la terre est une sphère, d’autres un cône. Elle est minuscule dans le ciel, un point suspendu en son milieu. Elle passera et sera changée. Heureux celui qui hérite la terre des doux. La terre qui doit recevoir les saints est immortelle. Qui saura dignement admirer la sagesse infinie et incompréhensible du Démiurge ? Qui saisira la bienveillance prévenante de celui qui dispense de tels biens ?

CHAPITRE XI

Le Paradis.

Dieu, allant modeler l’homme, créature visible et invisible, « à l’image et à la ressemblance », comme un roi et seigneur de la terre et de ce qu’elle contient, établit d’abord un royaume pour qu’il y passât une vie bienheureuse de félicité. C’était le divin paradis, planté par la main de Dieu en Éden, dépôt de toute délice et de toute joie du cœur (Éden veut dire volupté). Il était à l’Orient dans la région la plus élevée de la terre ; l’air y était le plus doux, le plus léger et le plus pur. Orné de plantes perpétuellement en fleurs et au parfum exquis, baigné de lumière, il dépassait en beauté toute idée qu’on puisse s’en faire avec nos sens ; contrée réellement divine, c’était le pays digne de celui qui était l’image de Dieu, où ne séjournait nul être dénué de raison mais seulement l’homme façonné par les mains divines.

En son milieu était le bois[40] de vie, planté par Dieu, et le bois de la connaissance. Ce dernier était une sorte d’épreuve, d’exercice et de test de l’obéissance et désobéissance de l’homme ; d’où son nom de bois de la connaissance du bien et du mal. Ou bien il donnait à ceux qui le mangeaient la vertu de connaître leur propre nature, ce qui est un bien pour les parfaits, et un mal pour les imparfaits et leur désir avide ; nourriture trop solide pour qui est encore tendre et habitué au lait. Le créateur notre Dieu, voulait que nous soyions sans nul souci, ni troublés par mille objets, ni que la vie nous fût un sujet d’anxiété ; toutes choses qui échurent à Adam. Car il goûta de l’arbre, il connut qu’il était nu et se fit des ceintures avec des feuilles de figuier. Avant d’y goûter « ils étaient nus tous deux, Adam et Ève, et n’éprouvaient aucune honte » ; c’est de cette impassibilité que nous voulait Dieu, car c’est là le sommet de l’impassibilité, et qu’en outre, délivrés des soucis, nous ayons un seul travail, chanter sans fin ni cesse le créateur, comme les anges, et que nous vivions dans la douceur de sa contemplation en lui remettant le soin de nous-mêmes. C’est ce qu’il nous a déclaré par le prophète David : « Remets au Seigneur ton propre soin et il te nourrira » (Ps. 44-23). Et dans les Evangiles, enseignant ses propres disciples, il nous dit : « Ne vous mettez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez » (Mat. 6-25) et encore : « Recherchez le Royaume de Dieu et sa justice et toutes choses vous seront données en plus ». (Ib. 33.) Et à Marthe : « Marthe, Marthe, tu te fais du souci et du trouble pour beaucoup de choses : une seule chose est nécessaire, Marie a pris la bonne part et elle ne lui sera point ôtée ». (Luc. 10-14.) Cette part, c’est de s’asseoir à ses pieds et d’écouter ses paroles.

Le bois de vie était le bois ou bien capable d’opérer la vie, ou bien donné seulement à ceux qui étaient dignes de vie, non destinés à la mort. Certains ont entendu le paradis comme sensible, d’autres comme intelligible. Cependant, me semble-t-il, puisque l’homme est créé avec des sens et un intellect, tel devait être son sanctuaire très saint, sensible et intelligible, et possédant ces deux polarités. Avec son corps l’homme habitait une contrée divine et de la plus extraordinaire beauté ainsi que nous l’avons décrite ; avec son âme il vivait en un lieu sublime et de toute beauté, demeurant en Dieu qui demeurait en lui et lui faisait un vêtement splendide ; car il était entouré par la grâce, dans le délice du seul fruit suave de la contemplation, nourri par elle comme un autre ange ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il est digne d’être appelé le bois de la vie. C’est une vie que la mort ne tranche pas qui est donnée par la douceur de participer à Dieu à ceux qui la reçoivent. C’est cela aussi que Dieu a appelé aussi : tout bois : « De tout bois qui est dans le paradis vous mangerez en nourriture ». C’est lui ce tout dans lequel et par lequel tout subsiste.

Le bois de la connaissance du bien et du mal c’est la pénétration de contemplations difficiles c’est-à-dire la sur-science de sa propre nature qui d’elle-même révèle la magnificence du Démiurge. Elle n’est bonne qu’à l’homme parfait, tourné vers la contemplation, qui ne craint pas de chute ni de retournement parce qu’il a progressé vers cette contemplation en s’affermissant avec le temps. Elle ne l’est pas au contraire à celui, encore enfant qui brûle de s’élancer ; il manque de l’épreuve du temps d’une base plus ferme, plus solide, dans le souci assidu d seul bien, tiré qu’il est par les soins du corps et distrait par lui.

Je crois donc que le paradis avait ces deux aspects et que la tradition de nos Pères théophores, (ils enseignaient de l’une et l’autre façon) est vraie. On peut comprendre, avec ce : tout bois, la surconnaissance venue de la puissance divine à partir des choses créées ; le divin Apôtre dit : « Les choses invisibles de Dieu sont perçues par l’intellect à partir des faits depuis la création du monde ». De toutes ces intuitions et de ces contemplations, celle qui nous concerne, celle de notre constitution, je veux dire, est par nature la plus élevée ; David le dit : « Ta connaissance de moi est admirable. » (Ps. 138-6) c’est-à-dire de ma structure. Cette science était dangereuse pour Adam, tout frais encore modelé, pour la raison que nous avons dite.

Le bois de la vie c’est la pensée divine inhérente à tout ce qui est sous nos sens, et la montée, à travers le sensible, à la cause créatrice et démiurgique du tout ; ce qui est aussi appelé : tout bois ; c’est ce qui apporte la pleine et indivisible, l’unique participation au bien. Le bois de la connaissance du bien et du mal, c’est la nourriture sensible et délectable qui paraît douce mais qui en réalité jette celui qui la prend sous les coups du mal. Dieu dit en effet : « Vous mangerez pour nourriture de tout bois dans le paradis ». Il veut, je pense, dire ceci : que l’homme monte par toutes les créatures vers moi, le créateur, pour cueillir le seul fruit qui résume tous les autres, moi, la vie véritable ; que toute chose t’apporte pour fruit la vie, que ton existence propre soit ta participation à ma vie et tu deviendras alors immortel. « Du bois de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras point ; le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort. » Par nature la nourriture sensible prend la place de ce qui s’est épuisé et elle s’élimine au lieu secret de corruption. Il y a un changement dans la nourriture physique, on ne peut donc échapper à la corruption.

CHAPITRE XII

De l’homme.

Dieu a donc ainsi posé une essence noétique, j’entends les anges et tout ce qui est céleste, et ces êtres sont donc noétiques et de nature incorporelle; je dis incorporelle mais seulement comparée à la densité de la matière; seul n’est réellement incorporel et immatériel que Dieu. Il a d’autre part posé aussi l’essence du sensible, ce qui tombe sous nos sens, le ciel, la terre et ce qui est dans leur intervalle. Et celle enfin qui à la fois lui est proche (car proche de Dieu est la nature raisonnable, et subtile par le seul noûs), et à la fois à une distance presque infinie, puisque tombant sous l’évidence des sens. « Il fallait, comme le dit Grégoire, l’expert du divin, qu’apparût un mélange de l’une et de l’autre natures, marque de la plus grande sagesse et de la somptuosité gravitant autour d’elles, comme un lien entre ces natures visible et invisible. » Cet : il fallait, désigne la décision, le conseil du Démiurge qui règle et établit pour que tout s’accorde au mieux. Et que personne ne vienne dire à celui qui l’a modelé : pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier est libre en effet de façonner, à son gré, les divers modèles de vases qu’il a conçus dans sa sagesse.

C’est ainsi qu’il en était ; il a créé l’homme de la nature visible et invisible à sa propre image et ressemblance en modelant son corps de la terre et lui donnant son âme raisonnable et noétique au moyen de sa propre spiration[41] , d’où le nom d’icône divine que nous lui donnons : « selon l’image » vise l’intellect et le libre-arbitre, « selon la ressemblance » c’est ce qu’il est possible de lui ressembler en vertu.

Il a modelé le corps en même temps que l’âme et non celui-là d’abord et celle-ci ensuite, comme le veulent les délires origéniens.

Dieu a fait l’homme innocent, droit, vertueux, sans souci ni tristesse, orné de toute vertu et riche de tout bien, comme un deuxième monde, microcosme dans le macrocosme[42] , un ange adorateur et, mêlés ensemble, un spectateur de la création visible et un initié de la création noétique, roi de la terre régi d’en haut, terrestre et céleste, temporel et immortel, visible et intellectif, à mi-chemin de la hauteur suprême et du dernier degré, le même homme esprit et chair. Esprit par grâce et chair par vanité; l’un pour qu’il demeure en son Bienfaiteur et le glorifie, l’autre pour qu’il pâtisse, qu’en souffrant il se souvienne et apprenne à aimer l’honneur dû à la majesté divine[43] . Ici, dans cette vie, il est animal soumis, mais il évolue ailleurs c’est-à-dire dans le siècle à venir. C’est là la barrière du mystère de l’homme ; sa navigation vers Dieu le déifie; déifié il a participé de la splendeur divine, bien que non changé en la nature divine.

Il l’a fait sans péché par nature et libre de sa volonté. Je dis sans péché, non qu’il fut incapable de péché (seul le divin est impeccable) ni non plus que sa nature eût en elle de pécher, mais plutôt son libre arbitre ; il avait la liberté de demeurer dans le bien et d’y progresser soutenu par la grâce divine, ou de quitter le bien, d’aller au mal en se séparant de Dieu, par choix délibéré ; car là où il y a nécessité il ne saurait y avoir vertu.

L’âme est donc une essence vivante, simple, incorporelle, invisible aux yeux corporels dans sa nature ordinaire, immortelle, raisonnable et noétique, sans figure, se servant d’un corps organisé et lui procurant la vie, le sens, la génération. Elle n’a pas à côté d’elle un noûs juxtaposé; celui-ci n’est que la plus pure partie d’elle-même; ce que les yeux sont au corps, le noûs l’est à l’âme, et il est doué de liberté et de volonté, opérant et muable, c’est-à-dire changeant de volonté puisque créé. Tout cela lui est donné dans sa nature par la grâce du Démiurge, dont il reçoit l’être et d’être ainsi par nature.

Les diverses formes de l’incorporel (note marginale) :

C’est de deux manières que nous entendons ce qui est incorporel, invisible, sans figure ; premièrement selon l’essence, secondement selon la grâce. Les premiers le sont par nature les autres par rapport à la densité de la matière. Nous disons donc : incorporel par nature, quand il s’agit de Dieu, et : par grâce, pour les anges, les démons, les âmes, par rapport à l’épaisseur de la matière.

Le corps a trois dimensions : largeur, hauteur, profondeur ou épaisseur. Tout corps est constitué des quatre éléments, et celui des êtres vivants des quatre humeurs.

Il faut savoir qu’il y en a quatre : la terre, sèche et froide; l’eau, froide et humide; l’air, humide et chaud ; le feu, chaud et sec. Les quatre humeurs correspondent aux quatre éléments : la bile noire, à la terre, elle est sèche et froide. La pituite à l’eau ; froide et humide. Le sang à l’air; chaud et humide. La bile jaune au feu, chaude et sèche. Les fruits viennent des éléments; les humeurs, des fruits ; les corps vivants sont faits de ces humeurs et ils se dissolvent en celles-ci. Ainsi tout ce qui est constitué en corps, se résout en eux.

L’homme communie aux être inanimés, à ceux privés de raison et aux raisonnables.

Il faut savoir que l’homme touche aux inanimés, participe de la vie des êtres sans raison et communie par la pensée aux raisonnables. Il touche aux inanimés par ce corps et parce qu’il est combiné des quatre éléments; aux plantes, par la nutrition, le développement, la sémination ou puissance générative; aux êtres sans raison, par l’excès du désir, c’est-à-dire la colère et la convoitise, par la sensation et par ses motions par impulsion.

Il y a cinq sens : la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le tact.

Le mouvement par impulsion, c’est de pouvoir se transporter d’un lieu à un autre, de mouvoir tout son corps, de parler et de respirer ; ce que l’on peut faire ou ne pas faire.

Avec la raison l’homme touche aux natures incorporelles et noétiques; il réfléchit, il conçoit, il juge, recherche les vertus et accueille dans la joie leur sommet; l’homme est donc bien un microcosme.

Le corps a des propriétés qu’il faut connaître, il est susceptible de division, d’épuisement et de changement. Changement qualitatif : chaud, froid… ; épuisement (effluence) c’est-à-dire ce qui en un sens nous « vide » : le sec[44] , l’aqueux, le souffle souffrent déperdition et se vident en ce sens, puisqu’il faut en quelque sorte se remplir après et que cela amène les altérations habituelles comme la faim et la soif; division, c’est-à-dire éliminer une humeur d’une autre et séparer l’idée et la matière.

Les propriétés de l’âme sont la piété et la faculté de concevoir intellectuellement. Les vertus sont communes à l’âme et au corps, elles sont rapportées à l’âme et l’âme les exerce par le corps.

On doit savoir que le raisonnable maîtrise, de par sa nature, l’irraisonnable. Les puissances de l’âme sont les unes du raisonnable, les autres du non-raisonnable. La partie non-raisonnable est double, il y a ce qui éventuellement peut se soumettre et obéir à la raison, et ce qui n’obéit ni n’écoute. C’est ce qui est chez nous purement animal qui n’obéit pas ; on l’appelle le sphygmique [c’est-à-dire ce qui se contracte et se décontracte], le spermatique ou génératif, et le végétatif dit encore threptique (ou nutritif); ce dernier englobe aussi la croissance, le développement du corps[45] . Ces trois facultés ne sont pas sous le contrôle de la raison, mais de la nature. Il y a d’autre part, du non-raisonnable, écoutant et obéissant à la raison, la colère et la convoitise. On désigne encore conjointement cette partie non-raisonnable de l’âme, sous le nom d’accessible au désir et de passible. Le mouvement par impulsion[46] est contrôlé par le raisonnable, lui aussi.

Lui échappent donc le nutritif, le génératif et le pulsatif.

Le nutritif a quatre propriétés : elctique, il attire la nourriture ; cathectique, il l’absorbe sans la rejeter aussitôt ; alloiotique, il la transforme en humeurs ;apocritique, il sépare l’inutile pour le rejeter exonéré.

Il faut savoir que chez le vivant il y a des facultés « psychiques »,[47] végétatives et vitales. Les facultés « psychiques » selon le libre arbitrage, c’est la motion par impulsion et les sensations. De ces motions par impulsion sont le changement de lieu ou de position du corps, l’émission vocale et la respiration, puisque ce sont là des choses que nous pouvons faire ou ne pas faire. Les facultés vitales et végétatives échappent à ce choix ; celles-ci comportent la nutrition, le développement et la sémination ; celles-là consistent en la pulsation (contraction-décontraction). Ces facultés opèrent que nous le voulions ou non.

Il faut savoir que pratiquement ce qui résulte de cela est tantôt bon, tantôt mal. Par exemple le manque entraîne le besoin et ce besoin comblé la satisfaction ; de même l’attente d’une privation, d’une souffrance, entraîne la crainte, et son actualisation la détresse. Et l’on doit encore savoir que quand on dit : cela est bon, tantôt on exprime une réalité, tantôt une apparence ; même remarque pour le mauvais.

CHAPITRE XIII

Les plaisirs.

Des plaisirs, les uns concernent la psyché, d’autre le corporel. Des premiers, il y a ceux qui intéressent seulement l’âme en elle-même, comme ce qui concerne la science et la contemplation. Les plaisirs du corps sont dits tels, mais en réalité ils ne sont que par la conjonction âme et corps, comme pour la nourriture, la sexualité, etc, et l’on ne trouve pas de plaisir qui soit uniquement corporel.

Des plaisirs toujours, les uns sont véritables, les autres mensongers ; les uns sont de la pensée pure, comme la connaissance et la contemplation, les autres corporels avec la sensation. Les plaisirs du corps sont les uns naturels et nécessaires, sans lesquels la vie est impossible, comme de manger ; ils satisfont les besoins, comme les vêtements indispensables. D’autres sont naturels, mais non nécessaires comme les rapports sexuels qui pourtant viennent d’une loi naturelle tendant à la conservation du genre humain. On peut vivre dans la virginité, sans eux. Il y a des plaisirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, ceux qui vont au delà du besoin[48] comme l’ivresse, la débauche, la gloutonnerie. Ils ne tendent ni à la conservation de la vie, ni à la propagation de l’espèce. Ils sont bien au contraire nuisibles. Celui qui vit en Dieu a droit aux plaisirs que donne le nécessaire à l’existence ; il ne doit admettre qu’en deuxième lieu les plaisirs corporels non nécessaires et seulement en une occasion, une mesure et un mode convenables ; tous les autres sont à rejeter toujours.

Il faut prendre des plaisirs sains, non mêlés de tristesse, ni suivis de regrets ou générateurs de dommages, ne dépassant pas les bornes de la mesure, n’empêchant pas ce qui est plus important, et enfin ne devenant pas pour nous une sujétion.

CHAPITRE XIV

La tristesse.

Elle a quatre formes : la stupeur, l’affliction, l’envie, la pitié. La stupeur est la tristesse qui nous laisse sans voix ; l’affliction, la tristesse qui accable ; l’envie, la tristesse à cause des biens d’autrui ; la pitié, la tristesse devant les maux des autres.

CHAPITRE XV

De la crainte.

La crainte a six formes : la pusillanimité, la pudeur, la honte, la frayeur, la terreur et l’angoisse. La pusillanimité est la crainte d’une action à exécuter. La pudeur, crainte du blâme (ce sentiment est excellent). La honte, celle d’une malpropreté accomplie ; elle n’offre aucun espoir pour le salut. La frayeur vient d’une imagination trop puissante. La terreur est la crainte par représentation mentale inhabituelle. L’angoisse est la crainte de l’échec.

CHAPITRE XVI

Le Thymos[49] .

L’ardeur est une effervescence du sang autour du cœur, venue de l’exhalaison et de la turbulence de la bile ; d’où son nom de cholée et cholos = colère. Cette ardeur tourne parfois au désir de vengeance ; lorsqu’on nous blesse ou que nous estimons être blessés, nous sommes dans la tristesse et il y a une réaction passionnelle mêlée de désir et d’« ardeur »[50] .

Il y a trois formes de thymos. La colère qu’on appelle aussi cholée ou cholos ; c’est quand le thymos éclate et se déploie. Le ressentiment est colère entretenue, une mémoire de l’offense ; d’où l’origine du motqui le rapporte à la mémoire. La haine est une colère qui surveille son heure de se venger ; d’où l’origine du mot se tenir.

Il y a aussi le thymos, qui accompagne un calcul poursuivant un but de cupidité. Quand nous avons un désir et que nous en sommes empêchés, nous nous irritons blessés contre l’empêcheur parce qu’injustement traités et nous calculons évidemment, dans notre irritation à ce sujet, contre ceux qui nous gardent dans les voies habituelles de la nature.

CHAPITRE XVII

Le « phantastique ».

Le phantastique est une faculté psychique non raisonnée venue par le canal de la sensation : on l’appelle aussi sensation. L’imaginé[51] et le senti se rattachant à « imagination » et aux sens ; de même que la vision est la faculté concernant le visible qui est ce qui tombe sous la vision ; pierre, etc. L’imagination est une motion, de l’âme non raisonnable venue de choses imaginées. L’imaginaire, est une activité-passion vide, sans réalité et irraisonnée ; le siège de l’imagination est le viscère antérieur de l’encéphale.

CHAPITRE XVIII

La Sensation.

La sensation est la faculté animale capable de saisir le monde matériel en le discernant. Les sens sont les organes par lesquels nous sentons ; le sensible ce qui tombe sous les sens ; le « sensitif » est le vivant doué de sensibilité. Il y a cinq sens et, – donc, cinq organes sensoriels. Le premier est la vue…[52] .

CHAPITRE XIX

La pensée.

Le jugement et l’assentiment et l’impulsion vers l’action, sont de la pensée, ainsi que, en ce qui concerne l’action, le retrait ou le rejet ; ensuite ce que l’on conçoit intellectuellement, les vertus, les connaissances, les principes de l’art, la délibération et le choix personnel. De même ce qui en nous prédit l’avenir par les rêves, que les Pythagoriciens suivis par les Hébreux disent être la seule vraie prédiction. L’organe de la pensée est le viscère intermédiaire de l’encéphale et le courant psychique qui l’anime.

CHAPITRE XX

La mémoire.

Le mnémonique est la cause de la mémoire, de la remémorisation et leur lieu de dépôt. La mémoire en effet est l’image mentale persistant après une sensation ou une pensée, apparues en acte, la conservation de cette sensation ou pensée. L’âme accueille les choses par les sens ; elle sent et une représentation s’en forme ; elle réfléchit à ce qu’elle pense et cela devient interprétation ; garder les expressions de ces représentations et interprétations, c’est ce que l’on appelle se souvenir.

Il faut savoir qu’il n’y a pas de perception des intelligibles autrement que par la capacité à les recevoir et leur présence dans le noûs ; Cela ne vient pas des sens. Ce qui vient des sens vient en mémoire conformément à soi, mais ce qui vient du noûs, c’est nous qui nous le rappelons, si nous en avons perception car nous n’avons pas une mémoire de son essence[53] .

La réminiscence est la reprise d’un souvenir disparu par oubli (l’oubli est le rejet hors de la mémoire). L’image mentale vient par les sens des choses matérielles et se soumet au dianoétique ou dialogistique (les deux mots disent la même chose) qui reçoit, juge et transmet à la mémoire dont l’organe est le viscère postérieur de l’encéphale, dit parencéphale, et le courant psychique qui est en lui.

CHAPITRE XXI

Le discours intérieur et l’expression orale.

Le raisonné, dans l’âme, est divisé en discours intérieur et discours exprimé oralement. Il y a d’une part un discours intérieur, motion de l’âme survenant dans sa partie raisonnante sans élocution. C’est ainsi que même en nous taisant, nous tenons un discours, et qu’en rêvant nous conversons. Par là, tous nous dialoguons. Même les sourds de naissance ou ceux qui n’ont plus l’usage de la parole à la suite de quelque blessure ou maladie, n’en sont pas moins raisonnants. D’autre part, dans l’expression orale, le discours opère en plus par la voix et le langage ; c’est le raisonnement porté dehors corporellement par la langue, d’où le nom de proféré. C’est le héraut de la pensée. Par là sommes-nous aussi dits parlants.

CHAPITRE XXII

De la passion et de l’opération.

Le mot passion s’applique à plusieurs choses. On l’emploie pour ce qui est corporel, maladies et blessures. On l’applique à l’âme, comme pour la convoitise et la colère. Il y a aussi, c’est la plus commune, la passion des êtres vivants, que suit le plaisir ou la douleur, car à la douleur est attachée une passion ; la passion en elle-même n’est pas douleur ; car ce que l’on subit sans le ressentir n’est pas souffrance, et en soi, donc, la passion n’est pas souffrir ; la douleur est seulement la sensation de la passion ; il faut quelque chose d’assez important et digne de remarque pour tomber sous le sens.

Voici la définition des passions psychiques : est passion le mouvement ressenti sous la puissance du désir[54] à la représentation du bien ou du mal ; ou, autrement, la passion est le mouvement irraisonné de l’âme percevant le bien ou le mal ; de la perception du bien vient la convoitise, de celle du mal la colère. Voici la définition de la passion d’après le genre et ce qui est commun : la passion est mouvement d’un état en un autre. L’énergie[55] est le mouvement effectuant. L’effectuant se dit de ce qui est mû par soi-même ; ainsi la colère (thymos) d’un côté est une opération due au genre-colère, d’un autre côté elle est passion des deux parties de l’âme et en plus de tout le corps lorsque par la violence de la colère, elle agit en lui et le conduit à l’acte, car le mouvement est passé de l’un à l’autre, ce qui dit le mot passion.

Et cependant d’une certaine manière l’opération est dite aussi passion, car l’opération est une motion suivant les lois naturelles, et la passion, contre ces lois. On peut donc appeler passion une opération menée au-delà des lois naturelles soit par elle-même, soit par un autre. Le mouvement du cœur, quand le rythme des contractions est normal, est une opération ; quand il est déréglé par des palpitations, il est anormal et ce n’est plus une opération.

Tout ce qui est passible n’est pas appelé passion pour autant, mais seulement quand la motion est assez intense pour atteindre le seuil de cette sensibilité ; les motions mineures et imperceptibles ne sont pas du tout passions ; il faut que leur intensité soit notable. C’est là la limite de la passion, pouvoir être sentie ; les impressions trop minimes et imperceptibles ne sont pas passion.

Il faut savoir que, dans l’âme, nous avons deux sortes de facultés : celles de la connaissance et celles de la vie. Les premières sont l’intellect, la réflexion, l’opinion, l’imagination et la sensation. Les secondes sont le désir, la délibération et le choix délibéré.

Pour que cela devienne plus clair nous allons approfondir avec soin ces choses et nous commen-cerons par les facultés de connaissance.

Nous avons déjà assez parlé de l’imagination et de la sensibilité dans les préliminaires. Par le moyen de la sensibilité est conçue dans l’âme cette passion qu’on appelle imagination. De l’imagination[56] est tirée une opinion. La réflexion examine l’opinion : est-elle vraie ou fausse ? et décide du vrai ; on l’appelle réflexion, elle vient de ce qu’on réfléchit et qu’on discrimine ; juger et définir le vrai est appelé le noûs[57] .

On peut encore dire autrement. Il faut savoir que la première motion de l’intellect est dit intellection ; ce à quoi elle s’applique est la pensée. La réflexion, c’est quand l’âme s’arrête, essayant de s’en faire un schéma, à ce qui est pensé. La persistance de la réflexion, les preuves et l’examen auxquels soumet l’âme ce qu’elle a pensé, c’est l’intelligence. L’intelligence, après s’être déployée se tient un raisonnement appelé discours intérieur ; ceux qui le définissent ainsi assurent que c’est une complète notion de l’âme dans sa partie raisonnable, sans élocution qui est l’origine de l’expression orale, avec la langue.

Après avoir parlé des facultés de connaissance nous parlerons des vitales et appétantes.

Il faut savoir en effet que fondamentalement est insérée en l’âme une puissance appétante de ce qui lui est naturel et contenant en soi tout l’essentiel de la nature ; cette puissance est la volonté, car l’essence a d’une part appétit d’être, de vivre, d’être mue par l’intellect et les sens ; elle est avide et désireuse de sa propre réalisation, pleine et naturelle. C’est pourquoi on définit encore ainsi la volonté naturelle : désir vital et raisonnable, s’attachant à ce qui est de sa seule nature. La volonté est donc la tendance même, vitale, fondamentale et raisonnable, la puissance simple de tout ce qui constitue la nature. Cette tendance chez les êtres sans raison n’est pas raisonnée, ce n’est pas la volonté.

L’intention est une volonté naturelle, une tendance naturelle et raisonnable vers quelque chose. Car il y a, reposant dans l’âme humaine, une puissance aspirant à convoiter raisonnablement. Lorsque donc fondamentalement cette tendance raisonnable est dirigée vers quelque chose, on la dit intention ; car l’intention est tendance et aspi­ration raisonnée vers quelque chose.

On dit intention aussi bien de ce qui dépend du nous que de ce qui n’en dépend pas, de ce qui nous est possible et de ce qui ne l’est pas. Nous avons souvent des désirs charnels, ou bien celui d’être chaste, ou de dormir, etc. ; toutes choses qui dépendent de nous. Nous voulons aussi régner, nous n’en avons pas latitude ; et nous voudrions ne pas mourir, chose impossible.

L’intention vise une fin, mais n’envisage pas les moyens. La fin c’est par exemple ce désir de régner ou de guérir. Avant la fin il y a des choses que l’on veut, c’est-à-dire les moyens par lesquels nous devons guérir ou régner. Après l’intention commencent la recherche et l’examen et tout cela est en notre pouvoir. Le projet, ou délibération viennent alors. Le projet est une tentative pour parvenir à ce que nous voulons. Car on voit d’abord si l’affaire est à poursuivre ou non ; on estime alors ce qui est préférable et c’est la décision. On adopte et on règle ce que la délibération a jugé le meilleur ; c’est le dessein. Après avoir disposé les étapes vient le choix délibéré, la volonté arrêtée. Le choix en question en effet adopte entre deux projets le meilleur. C’est alors la mise en exécution, l’impulsion initiale et l’exécution même. On a alors rempli son intention qui dès lors cesse.

Chez les êtres sans raison un désir quelconque est aussitôt suivi de l’impulsion à agir. Leur désir n’est pas raisonné, ils sont poussés par leur nature. On ne parle donc pas, chez eux, de volonté ni d’intention, puisque la volonté est par nature intention fondée sur la raison et la liberté. Chez l’homme, être raisonnable, le désir naturel est conduit plutôt qu’il ne conduit, car il agit avec la raison et la liberté, puisque sont présentes conjointement les facultés de connaissance et de vie. C’est libre qu’il désire, libre qu’il veut, libre qu’il cherche et examine, libre qu’il projette, libre qu’il décide, libre qu’il dispose, libre qu’il choisit, libre qu’il s’élance, libre qu’il exécute en ce qui est de sa nature.

Il faut savoir qu’en Dieu on peut parler d’intention, mais non proprement de choix. Dieu ne délibère pas ; la délibération tient à l’ignorance et on ne délibère pas quand on sait. Si donc délibérer c’est ignorer, le choix l’est certainement aussi. Dieu connaît tout d’une manière simple, il ne délibère pas.

Nous ne parlons pas non plus de délibérer ni de choisir quand il s’agit de l’âme du Seigneur ; il n’y a pas en elle d’ignorance. Elle aussi par nature était ignorante des choses à venir, mais elle était unie par hypostase au Dieu-Verbe et elle connaissait toute chose, cela non par grâce, comme je l’ai dit, mais par union hypostatique. Il était à la fois Dieu et homme ; chez lui rien de voulu par dessein. D’une part il possédait en effet une volonté naturelle simple, celle que l’on trouve dans toute hypostase humaine mais ce voulu, ce dessein particulier d’autre part, son âme sainte ne l’avait pas opposé à sa divine volonté ; car il y a autant de ces desseins que d’hypostases, sauf pour la sainte, simple, une, indivisible divinité. Là en effet les hypostases ne sont en rien divisées, ni séparées, et ce qu’elles veulent ne l’est pas non plus. Et de plus, là où la nature est une, une aussi est la volonté de nature. D’autre part les hypostases n’étant pas séparées ce qu’elles veulent est un, un est leur mouvement. Chez les hommes aussi la nature est une et une aussi la volonté de cette nature, mais les hypostases en sont séparées, dissociées les unes des autres par le lieu, le temps, les circonstances et bien d’autres choses, et les volontés sont donc différentes ainsi que les desseins. Ainsi donc puisque en notre Seigneur Jésus-Christ les natures diffèrent, la volonté de ces natures, celle de sa divinité et celle de son humanité, diffèrent, avec leur facultés volitives. Mais puisque l’hypostase est une et un celui qui veut, un aussi ce qu’il veut, son dessein, celui de sa volonté humaine suivait évidemment sa volonté divine et voulait ce que sa divine volonté voulait qu’il voulût.

Il faut noter la différence, entre la volonté et l’intention ; entre le voulu, le volitif, et le voulant. La volonté est la puissance même de vouloir ; l’intention ce à quoi tend la volonté ; le voulu repose sous la volonté, c’est ce que nous voulons comme dans l’envie de manger par exemple ; ce désir simple est sous la volonté raisonnable. Le volitif c’est ce qui a la puissance du vouloir, l’homme. Le voulant celui qui use de la volonté.

Notons aussi que le mot volonté désigne parfois la volonté proprement dite, donc la puissance volitive : c’est la volonté naturelle ; tantôt ce qui est voulu : c’est la volonté exprimée, le dessein.

CHAPITRE XXIII

De l’énergie (ou opération).

Il faut savoir que toutes les facultés dont nous avons parlé, de connaissance, vitales, naturelles ou techniques, sont dites opérations. L’opération est en effet la puissance et la motion innée de chaque essence – ou encore : toute essence a une motion innée qui est son opération naturelle. Il est donc clair qu’à même essence correspond même opération : là où les natures diffèrent, les opérations diffèrent ; l’essence ne peut être séparée de son opération naturelle.

On peut dire encore qu’opération naturelle est la puissance monstrative de chaque essence. Et encore : opération naturelle est la puissance toujours active, et la première, de l’âme noétique, c’est-à-dire son verbe toujours et naturellement mu, s’écoulant d’elle sans cesse comme une source. Ou encore : opération naturelle est la puissance et la motion de chaque essence; seul le non-être n’en a pas.

On parle aussi d’opération pour des actes tels que parler, marcher, manger, boire, etc. Enfin l’effet d’une puissance, est aussi appelé opération.

On emploie ces deux expressions : en puissance et par opération. Un enfant encore au sein est dit lecteur en puissance ; il a la capacité de lire plus tard après l’école. On le dit lecteur par opération quand il sait lire, et en puissance par ce qu’il a la possibilité de maîtriser la lecture, mais n’a pas opéré cette maîtrise.

Dans le deuxième cas on peut dire à la fois en puissance et par opération.

La vie spontanément libre et raisonnable est par nature l’opération première, unique et véritable. En elle consiste la race humaine et ceux qui en privent le Seigneur, comment peuvent-ils parler de Dieu fait homme ?

CHAPITRE XXIV

Le volontaire et l’involontaire.

Comme le volontaire concerne une certaine action et que ce qui est estimé involontaire concerne aussi une certaine action il y en a beaucoup qui placent ce qui est réellement involontaire non seulement dans le domaine du subir mais aussi du faire. Notons que l’action est une opération de raison ; l’éloge ou le blâme suivent les actions, on les fait avec douleur ou avec plaisir ; on choisit les unes, on évite les autres, et des premières les unes sont toujours choisies, les autres suivant les circonstances; de même pour les secondes. De même certaines sont dignes de pitié et de compréhension, d’autres sont exécrées et punies. L’action volontaire est toujours suivie d’éloge ou de blâme, on la fait avec plaisir et l’auteur la choisit tantôt toujours, tantôt seulement quand il le faut. L’action involontaire entraîne la compréhension, la pitié, la douleur; on n’y a pas le choix et son auteur ne la veut pas de lui-même, même si on l’y force.

L’action involontaire vient soit de l’ignorance, soit de la contrainte. Il y a contrainte quand son principe déclenchant, donc sa cause, est extérieur, lorsque nous sommes forcés par un autre, sans être vraiment consentant ou mûs par notre propre élan ; ce à quoi l’on est contraint on ne le fait pas de soi-même.

On définit l’involontaire ce dont le principe est extérieur, sans l’adhésion personnelle de celui qui est forcé; ce principe c’est la cause qui fait agir. Il a lieu par ignorance, lorsque ce n’est pas nous qui sommes cause de l’ignorance, mais qu’elle se produit fortuitement. Si quelqu’un commet un crime étant ivre, cela n’est pas involontaire, bien que par ignorance, car l’origine de cette ignorance, l’ivresse, est de la faute de l’auteur. Par contre si quelqu’un pratiquant le tir à l’arc, dans le lieu approprié, tue son père qui y a pénétré, on dit qu’il a fait cela involontairement par ignorance.

L’involontaire est donc double, par contrainte et par ignorance ; le volontaire s’oppose à lui doublement, car il ne vient ni de la contrainte ni de l’ignorance. Le volontaire c’est ce dont le principe, c’est-à-dire la cause, est en celui qui connaît ses propres mobiles, pour lesquels et en lesquels l’acte est fait. Ces «mobiles» sont ceux que les rhétoriciens appellent circonstanciels : il y a par exemple quelqu’un, celui qui fait l’action ; quelqu’un qui la subit ; par quelque chose, le moyen ; où, le lieu ; quand, l’époque ; comme, le mode, la façon de l’action ; pourquoi, le but poursuivi.

Notons qu’il y a des états intermédiaires entre le volontaire et l’involontaire. Nous acceptons, par exemple, sans plaisir et avec peine, certaines choses pour éviter un mal plus grand. Comme quand nous jetons par dessus bord la cargaison du bateau, en cas de naufrage.

Ajoutons enfin que les enfants et les êtres sans raison agissent volontairement mais non par choix réfléchi ; comme lorsque nous agissons par emportement nous le faisons volontairement non par choix délibéré. Quand un ami arrive inopinément, nous ne l’avons pas choisi bien que nous l’accueil­lions volontiers. Quand on tombe par hasard sur un trésor, la volonté a fait la rencontre, mais le choix n’y est pas. Ces exemples montrent la volonté par le plaisir qu’ils procurent, mais non par le choix propre puisqu’il n’y a pas eu délibération ; celle-ci doit, comme il a été dit, précéder le choix[58] .

CHAPITRE XXV

Au sujet de ce qui dépend de nous, c’est-à-dire la liberté.

Parler de la liberté, c’est-à-dire de ce qui dépend de nous, invite à rechercher d’abord si quelque chose dépend de nous, car nombreux sont ceux qui ne l’admettent pas ; ensuite, qu’est-ce qui dépend de nous, sur quoi nous avons autorité ; expliquer enfin pourquoi le Dieu qui nous a faits, nous a donné cette liberté. Au sujet du premier point, montrons qu’en effet des choses dépendent de nous, en disant ceci, d’après ceux qui l’admettent.

Ils disent que ce qui est en devenir ne peut avoir pour cause que Dieu, la nécessité, le destin, la nature, le hasard ou la spontanéité. Mais l’œuvre de Dieu est essence et providence, celle de la nécessité un mouvement toujours identique à lui-même; quant au destin, la nécessité l’accompagne inévitablement, car il est en somme tiré d’elle. Celle de la nature c’est naître, croître et se corrompre (végétaux et animaux). Celle du hasard, c’est le rare et l’inattendu. Ils définissent le hasard, le concours de rencontre de deux causes ayant chacune un principe par choix délibéré, aboutissant à autre chose que ce que l’on attendait. Comme lorsqu’on creuse une tranchée et que l’on trouve un trésor; celui qui a mis là un trésor ne l’a pas fait pour qu’on le découvre et celui qui creuse n’escomptait pas un trésor ; le premier pensait le retirer quand il voudrait, le second creusait sa tranchée, et il arriva autre chose que ce que chacun se proposait. Celle enfin de la spontanéité, est ce qui arrive aux êtres inanimés ou sans raison. Ainsi disent-ils. Dans ces conditions à quoi rapporter ce qui vient de l’homme, si l’homme n’est ni la cause ni le principe de l’action ? On ne peut les imputer à Dieu, puisqu’il y en a d’injustes et de honteuses ; ni à la nécessité, car ce ne sont pas des actes répétés et machinaux ; ni au destin puisque, disent-ils le destin s’applique non à ce qui est possible, mais à ce qui est par nécessité ; ni à la nature car il ne s’agit pas de plantes ou d’animaux ; ni au hasard car les actions de l’homme ne sont ni rares ni inattendues ; ni à la spontanéité (automatisme) puisque, disent-ils, c’est réservé aux êtres inanimés et sans raison. Il reste donc que l’homme, agissant et faisant, est le principe de ses propres œuvres et qu’il est donc libre.

De plus, si l’homme n’est pas le principe de ses actes, la réflexion est superflue ; que lui servirait de délibérer, s’il n’était pas responsable. C’est cette réflexion, la cause de l’action. Il serait insensé de déclarer inutile ce qu’il y a de plus beau et digne de respect en l’homme. S’il délibère c’est en vue de l’action et toute délibération est en vue de l’action et à travers l’action.

CHAPITRE XXVI

Les choses qui arrivent ou événements.

Des choses qui arrivent, les unes dépendent de nous, les autres non. Des premières sont celles que nous sommes libres de faire ou ne pas faire, c’est-à-dire celles que nous faisons volontairement car si elles ne dépendaient pas de nous, elles seraient dites involontaires ; bref celles que suivent le blâme ou l’éloge et celles qu’on encourage ou érige en loi. Sont principalement en notre dépendance les choses pensées sur lesquelles nous hésitons et réfléchissons, comme dans le cas où il y a deux solutions possibles ; chaque solution est en notre pouvoir, mais s’oppose à l’autre, l’intelligence (noûs) choisit ; c’est le principe de l’action. Les deux solutions dépendent donc de nous ; s’ébranler ou non, se remuer ou non, désirer l’inutile, mentir, donner, se réjouir sur ce qu’il faut ou non, ou pas là où il faut, etc. et chaque fois que les œuvres de la vertu ou celles du mal sont en question. De tout cela nous sommes maîtres et libres. De même pour les arts ; nous sommes libres de nous appliquer à ce que nous voulons.

Notons cependant que si nous sommes libres toujours dans notre choix, souvent la mise en pratique est contrecarrée par la providence divine.

CHAPITRE XXVII

Pourquoi sommes-nous venus libres ?

La liberté, disons-nous donc, est co-induite dans la raison, et le changement, la mutation sont innées dans les êtres en devenir ; ce qui devient change ; quand le principe même de leur naissance est le changement, les choses sont changeantes. Ce changement c’est le passage du non-être à l’être et ce devenir-autre à partir d’une matière sous-jacente. Les êtres inanimés et les êtres sans raison subissent les changements somatiques examinés plus haut. Les êtres raisonnables, de par un choix raisonné et délibéré, ont un côté théorétique et un côté practique[59] ; le théorétique conçoit comment se comportent les êtres, le practique examine et définit les normes de l’action ; ils appellent le théorétique le noûs et le practique raison ; le théorétique est sapience, le practique intelligence.

Quand un homme examine, parce qu’il a le choix de l’application, il examine pour choisir après avoir jugé le meilleur par délibération ; s’il en est ainsi de nécessité la liberté se tient à côté du raisonnable, car s’il y a des êtres capables de raisonner, ils sont maîtres de leurs actes et libres; inversement les êtres sans raison sont conduits par leur nature plutôt qu’ils ne la mènent et ils ne s’opposent pas à ses désirs, mais dans le moment même où ils les éprouvent, ils s’élancent pour les satisfaire. L’homme à l’opposé, raisonne et mène la nature plutôt qu’il n’en est mené ; s’il le veut, il est libre de résister ou d’obéir à ses désirs. On ne loue ni ne blâme par suite les êtres dépourvus de raison ; au contraire de l’homme.

Il faut savoir que les anges sont des êtres doués de raison et par suite de liberté ; ils sont, en tant que créatures, soumis au changement. L’exemple du diable le montre, lui qui créé bon par le Démiurge devint librement l’inventeur du mal ; de même les puissances placées sous lui, c’est-à-dire les démons ; les autres armées angéliques montrent la persévérance dans le Bien.

CHAPITRE XXVIII

Ce qui ne dépend pas de nous.

Parmi les choses qui ne dépendent pas de nous, les unes ont, dans celles qui dépendent de nous, leur principe ou leur cause (ce sont les rétributions de nos actions) soit dans le siècle présent soit dans le siècle à venir ; toutes les autres dépendent du conseil divin. Car Dieu est la source de tout, mais la corruption a été introduite pour notre châtiment et notre utilité. « Dieu n’a pas fait la mort et ne se complaît pas dans la mort des êtres » (Sag. I-13) mais c’est par l’homme, par la transgression d’Adam que sont venus la mort et autres châtiments. Tout le reste doit retourner à Dieu, car notre apparition signe la puissance de la création ; notre durée, celle de sa sollicitude ; sa régulation et sa sauvegarde, celle de sa prévoyance ; et la jouissance des biens éternels, celle de sa bonté pour ceux qui suivent la loi naturelle qui nous a également modelés. Au reste comme certains nient la providence, nous allons en parler aussi.

CHAPITRE XXIX

La Providence.

La providence c’est la sollicitude de Dieu pour les êtres créés, c’est encore l’intention (la perspective), de Dieu qui dirige l’existence des êtres. Si cette perspective divine est la providence, il s’ensuit nécessairement que tout ce qui advient par elle, est, à bien juger, le meilleur et le plus digne de Dieu, et meilleur que tout autre ; le même qui a fait les êtres doit en être la providence, car cela ne s’accorde pas que l’auteur des êtres ne soit pas leur providence ; il faudrait que des deux l’un soit incapable de faire, l’autre de prévoir. Dieu est donc auteur et providence ; sa puissance créatrice, constituante et prévoyante, c’est sa volonté bonne. « Tout ce qu’il a voulu, Dieu l’a fait dans les cieux et sur la terre » (Ps. 134-6) et à sa volonté nul ne s’est opposé. Il a voulu tout ce qui est, et tout a été ; il veut que le monde soit ainsi constitué, et il l’est; tout ce qu’il veut arrive.

Il prévoit et prévoit le meilleur ; on peut le mesurer à la rectitude des choses. Dieu seul est bon et sage par nature, donc il prévoit ; celui qui n’avise pas à l’avance n’est pas bon. Même les hommes et les êtres sans raison prévoient par nature pour leur progéniture et l’on blâme l’imprévoyant. Et en tant que bon il prévoit le meilleur.

Il faut admirer tout et admettre sans plus examiner toutes les œuvres de la providence, même si bien des gens les trouvent injustes, parce que la providence de Dieu est inconnaissable et incompréhensible. Lui seul connaît nos pensées, nos actes et les choses à venir. Je précise. Tout ce qui ne dépend pas de nous, car ce qui dépend de nous n’est pas le fait de la providence, mais de notre libre-arbitre.

Parmi les effets de la providence, les uns viennent par bienveillance, les autres par permission. Tout ce qui est bien vient assurément par bienveillance; par permission…[60] , il permet souvent que le juste connaisse des calamités pour que se montre sa vertu cachée ; c’est le cas de Job. D’autrefois il laisse survenir des choses déroutantes pour que leur apparition dans la réalité amène un effet immense et admirable ; c’est le cas de la croix pour le salut des hommes. Ou bien illaisse un saint souffrir héroïquement pour qu’il garde une conscience pure et ne tombe pas, à cause de la force et de la grâce reçues, dans l’orgueil; c’est le cas de Paul.

Certains sont abandonnés, dans certains cas, pour que d’autres se redressent en les voyant : c’est le cas de Lazare et du riche ; car par nature la vue de la souffrance nous étreint. Un autre est abandonné pour la gloire d’un autre et non à cause de son propre péché ou celui de ses parents ; c’est le cas de l’aveugle de naissance pour la gloire du Fils de l’homme. Dieu en laisse encore souffrir pour exciter le zèle, et que leur souffrance, magnifiée et glorifiée, agisse sur les autres qui espèrent cette gloire et aspirent aux biens à venir ; c’est le cas des martyrs. Il laisse aussi parfois quelqu’un tomber dans des actions honteuses pour corriger une passion plus mauvaise ; c’est le cas de celui dont on vante les vertus et les actions d’éclats, que Dieu laisse aller à la fornication afin que cette chute le ramène au sentiment de sa faiblesse, qu’il s’humilie et vienne se confesser au Seigneur.

C’est nous, notons-le, qui décidons ce que nous allons faire, mais l’accomplissement, quand il s’agit du bien, tient au concours de Dieu qui dans sa justice et sa prescience aide ceux qui l’ont choisi avec une conscience pure ; quand il s’agit du mal, Dieu nous laisse à l’abandon, toujours dans sa justice et sa prescience.

Il y a deux formes d’abandon ; l’un par économie et pour instruire, l’autre est l’abandon final et sans espoir. Le premier vient pour redresser celui qui souffre, pour son salut et son expérience, ou pour exciter le zèle des autres par l’exemple, ou encore pour la gloire de Dieu. L’abandon suprême vient quand Dieu a tout fait pour sauver ; l’homme n’a rien appris, ou bien n’est pas guéri ; pis même, il est devenu incurable et persiste dans ses dispositions : il est alors livré à l’ultime perdition comme Judas. Que Dieu nous épargne et nous préserve d’un tel abandon.

Sachons que la providence de Dieu a des voies nombreuses et qu’on ne peut ni les comprendre en raisonnant, ni les saisir intuitivement (noûs).

Sachons aussi que tous les mépris portés à ceux qui les acceptent avec action de grâce, amènent au salut et se changent en quelque chose d’utile.

Sachons encore que Dieu avant tout veut que tous soient sauvés, que tous trouvent son royaume. Il ne nous a pas pétris et façonnés pour le châtiment mais pour partager sa bonté, en tant que bon. En tant que juste, il veut que les pêcheurs soient punis.

La volonté, la première, celle qui nous dirige et veut notre bien, vient de lui ; la deuxième, la volonté qui tolère et permet, est de notre faute. Celle-ci est double : l’une calculée pour instruire et pour notre salut, l’autre désespérée pour le châtiment final, comme nous l’avons dit. Cela concerne ce qui ne dépend pas de nous.

De celles qui dépendent de nous, il veut celles qui sont bonnes et les agrée. Celles qui sont sales et de pure malice, il ne saurait ni nous y pousser, ni nous y suivre, mais il les laisse à notre libre-arbitre. Ce que l’on obtient de force n’est pas le fait de la raison, ni de la vertu. Dieu voit à l’avance pour toute la création et à travers toute la création ; il fait le bien en instruisant, même au moyen des démons (voir Job, ou la scène des porcs).

CHAPITRE XXX

La prescience et la prédestination.

Il faut savoir que Dieu connaît tout à l’avance, mais ne prédétermine pas tout. Ce qui nous arrive de notre fait, il le sait d’avance ; il ne le prédétermine pas, car il ne veut ni que la malice survienne, ni que la vertu soit imposée. De sorte que la prédétermination est l’ouvrage du commandement divin qui prévoit ; et ce qui, ne dépend pas de nous, il le prédétermine dans sa prescience. Car Dieu dans sa bonté et dans sa justice a tout jugé à l’avance par sa prescience.

C’est Dieu qui donne la vertu à la nature, Lui principe et cause de tout bien ; sans son concours et son aide, nous ne voulons ni ne faisons le bien. C’est à nous de demeurer dans la vertu, de suivre Dieu qui nous y invite, mais nous pouvons aussi la rejeter, c’est-à-dire gagner le mal et suivre le diable qui nous appelle sans pouvoir nous forcer. Car le mal n’est que la séparation d’avec le bien ; la ténèbre est aussi absence de lumière. Là où nous demeurons dans la nature, nous sommes dans la vertu ; en glissant de la nature, donc de la vertu, dans la contre-nature, nous pénétrons et restons dans le mal.

La conversion, le passage du contre-nature au selon la­ nature, du diable vers Dieu, se fait par l’ascèse et les souffrances.

Cet homme, le Démiurge l’a établi masculin lui donnant part à sa grâce et le faisant communier avec lui par celle-ci. De là qu’il ait prophétiquement imposé leur nom aux animaux, comme à des serviteurs à lui donnés. Créé raisonnable, intelligent et libre, à l’image de Dieu, il a pris sur lui à juste titre le primat des choses terrestres, sous le maître commun qui les a tous créés.

Dieu sachant, dans sa prescience, qu’il viendrait à transgresser sa volonté et qu’il serait la proie de la corruption, lui fit une aide tirée de lui et féminine ; une aide pour assurer après la transgression la conservation de l’espèce par les générations successives. La première apparition de l’homme en effet est une création et non une génération ; création, d’une part, est le premier modelage de Dieu ; génération, d’autre part, la succession mutuelle à la suite de la sentence de mort pour transgression.

Il le plaça dans le paradis à la fois noétique et sensible, vivant avec son corps dans ce dernier et avec les anges par son âme cultivant des pensées divines et nourri d’elles ; il était nu par simplicité et s’élevait en une vie sans artifice vers le seul créateur par les créatures, dans la joie et la félicité de la contemplation.

Ensuite il fit à sa nature le don de la volonté libre et lui donna cet ordre : ne goûte pas de l’arbre de la connaissance ; de cet arbre nous avons déjà parlé suffisamment au chapitre du paradis, selon nos capacités. Il donne ce commandement, en lui promettant que s’il garde la dignité de son âme, laisse triompher sa raison et reconnaît son créateur en gardant son précepte, il partagera la béatitude éternelle, vivra pour les siècles, devenu plus fort que la mort. Mais que, d’autre part, il laisse l’âme se soumettre au corps et honore ses charmes en méconnaissant son propre honneur, comme une créature sans raison, qu’il secoue le joug de celui qui l’a fait et néglige son commandement divin, et il sera livré à la mort et à la corruption, plongé dans la nécessité du travail et traînant une existence misérable. Car il y avait du danger à ce que, n’ayant connu ni l’épreuve ni la tentation, il rencontrât l’incorruptibilité et tombât dans l’orgueil et sous le jugement du diable. Après sa chute par suite du libre arbitre, l’incorruptible lui eût valu une fixation immuable et sans repentance dans le mal ; comme aux anges, mais en sens inverse ; le choix de la vertu par leur libre arbitre leur a valu un fondement immuable dans le bien par la grâce.

Il fallait donc que l’homme fût d’abord éprouvé. Ni tenté ni éprouvé, l’homme n’est digne à aucun titre. Amené à la perfection par la tentation dans la garde du commandement divin, il eût connu l’incorruptibilité pour prix de sa vertu. Devenu un intermédiaire entre Dieu et la matière, délivré de la condition des êtres par la garde du commandement, dans l’état d’union avec Dieu il devait acquérir une fermeté inébranlable dans le bien. Mais la transgression le rejeta au contraire vers la matière, et de son auteur, je veux dire Dieu, il renia l’esprit (noûs). Le voilà assigné à la corruption, devenu passible au lieu d’impassible, mortel au lieu d’immortel ; il a besoin d’une fugitive génération par accouplement et, par désir de la vie, il s’attache à la volupté qui dès lors était liée au désir, mais par contre il n’a pas peur de haïr ceux qui voudraient le retenir et il transmet à sa génération l’impulsion vers la matière et loin de Dieu, et la colère venue du seul et authentique ennemi de son salut. L’homme a donc été vaincu par la jalousie du diable car le démon envieux, l’ennemi du bien, ne supportait pas l’idée que nous parvenions en haut, lui-même étant devenu d’en bas après sa révolte ; c’est donc aussi par l’espoir d’être dieu qu’il prend au piège le misérable, et l’amenant au même faîte de sa propre révolte, il le précipite dans le même gouffre de sa chute.

LIVRE III

CHAPITRE I

Économie et thérapeutique divines en vue de notre salut.

Ainsi l’homme est pris au piège dès l’attaque du prince des démons. N’ayant pas observé l’ordre du Démiurge, il est dépouillé de la grâce, privé de la familiarité[61] de Dieu, couvert de la rudesse d’une vie pénible (ce sont là les feuilles de figuier) et enveloppé de nécrose, c’est-à-dire de la mort et de l’épaisseur opaque de la chair (c’est là la vêture de peau). Le voilà expulsé du paradis par le juste jugement de Dieu, condamné à mort, soumis à la corruption. Et celui qui lui avait donné l’être et la grâce du Bien dans l’être, au lieu de le mépriser a souffert avec lui. A de multiples reprises il l’a tout d’abord enseigné et appelé à se repentir, par des pleurs et des tremblements, par un déluge d’eau et la malédiction de tout le genre humain, par la confusion et la séparation des langues, soit avec des anges qui le surveillaient, des embrasements de villes, des symboles théophaniques, des guerres, victoires et défaites, des signes et des prodiges, des forces diverses, par la loi et par les prophètes. Par tout cela était ravivée la flamme de son zèle, effacé un péché qui se répandait partout, traitant l’homme en esclave et ajoutant au tas de misères de sa vie toutes sortes de maux, et enfin était tracée pour l’hom­me, la voie montant à ce bien dans l’être, dont nous parlions.

Mais avec le péché la mort est entrée dans le monde comme une bête féroce et sauvage, saccageant la vie humaine ; il fallait donc que celui qui devait nous délivrer du péché, n’ait pas connu le péché, ni la sentence de mort qui le suit ; qu’il ait retendu les nerfs, renouvelé la nature, donné l’exemple, enseigné le chemin de la vertu qui détourne de la corruption et attire à la vie éternelle ; enfin qu’il lui fît voir l’océan immense de l’amour de Dieu pour l’homme. Car le créateur, le Seigneur, s’est chargé lui-même de la lutte, pour l’homme qu’il avait façonné ; il devient son précepteur et l’enseigne par son œuvre ; et, comme l’adversaire a pris l’homme au piège par l’espoir d’être un dieu, il l’attrape lui-même en lui jetant cette chair où il se montre à la fois le Bon, le Sage, le Juste et le Puissant de Dieu. Bon parce qu’il n’a pas méprisé la faiblesse de son modelage, mais en a eu pitié lors de sa chute et lui a tendu la main. Juste parce que, l’homme étant le vaincu, c’est par lui qu’il fallait vaincre le tyran, et non par un autre ; et ne pas arracher l’homme à la mort par la force, mais que celui que la mort tenait par le péché en esclavage, fût aussi le vainqueur dans le Bon et le Juste, et libérât, œuvre impossible, le semblable par le semblable. Sage parce qu’il trouva la solution la plus merveilleuse à cet impossible. En effet, par la bienveillance de Dieu le Père, le Fils monogène, Verbe de Dieu, et Dieu, lui qui est dans le sein de Dieu le Père, consubstantiel au Père et au Saint Esprit, lui qui est avant tous les siècles, sans commencement et au commencement, vers Dieu le Père, lui qui, enfin, étant Dieu, existant en forme de Dieu, il s’est abaissé en inclinant les cieux. Abaissement sans abaissement, car le sublime ne peut s’abaisser, et pourtant il condescend à des esclaves d’une condescendance indicible et insaisissable, le mot descente a le même sens. Étant Dieu parfait, il devient homme parfait et amène à sa perfection ce renouveau des renouveaux[62] , le seul nouveau sous le soleil, dans lequel éclate la puissance infinie de Dieu. Car qu’y a-t-il de plus grand que Dieu devenu homme ? Ainsi le Verbe, sans changement, est-il devenu chair, du Saint-Esprit et de Sainte-Marie, toujours vierge et Mère de Dieu. Ami unique de l’homme, il devient le passage entre Dieu et les hommes sans qu’interviennent la volonté, la convoitise ou la présence de l’homme avec la volupté de l’amour charnel, car il est venu selon la première venue au monde celle d’Adam, conçu dans le sein pur de la Vierge par le Saint-Esprit. Il se fait obéissant au Père, guérissant notre propre désobéissance, avec ce qu’il a reçu de nous et comme nous, et devient pour nous le modèle d’une obéissance sans laquelle il n’est pas de salut.

CHAPITRE II

Du mode de conception du Verbe et de sa divine incarnation.

L’ange du Seigneur a été envoyé à la Sainte Vierge, issue de la famille de David. « On sait que notre Seigneur est issu de Juda, famille dont aucun membre n’a servi à l’autel » (Heb. 7-13), comme le dit le divin apôtre (nous y reviendrons plus tard avec plus de précision). Et l’ange dit, en lui annonçant : « Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi » (Luc 1-28). Elle est troublée par cette parole, mais il ajoute : « Ne crains point, Marie ; tu as trouvé grâce auprès du Seigneur et tu enfanteras un fils que tu appelleras Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés » (Jésus signifie : sauveur). Elle demande alors : « Comment cela sera-t-il, je ne connais point d’homme ». L’ange lui dit encore : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi celui qui naîtra de toi est saint et il s’appellera Fils de Dieu ». Elle répond : « Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ».

Après cette acceptation de la Sainte Vierge, le Saint-Esprit descend sur elle, selon la parole du Seigneur transmise par l’ange ; il la purifie[63] et lui donne la puissance apte à recevoir la divinité du Verbe et à le concevoir. Alors l’adombra la Sagesse et la Force du Dieu Très-Haut en-hypostasié, le Fils de Dieu, consubstantiel au Père, comme une semence divine, et il se modela en puisant dans son sang très chaste et très pur, une chair animée d’une âme raisonnable et noétique, prémisse de notre propre modelage, et cela non par l’action d’un germe mais par celle démiurgique du Saint-Esprit; non comme un modèle auquel on retouche et ajoute, mais comme un achèvement total et d’un coup ; le Verbe même de Dieu s’est fait hypostase en la chair. Le Verbe divin ne s’est en effet pas uni à une chair pré-hypostatique en elle-même, mais a établi sa demeure dans le sein de la Sainte Vierge ; dans sa propre hypostase et sans qu’on puisse le circonscrire, du sang exempt de souillure de la toujours Vierge, il a pris une chair animée d’une âme raisonnable et noétique, prémisse de la pâte à pétrir l’homme nouveau et devenant par la chair hypostase du Verbe, de sorte que, en même temps, cette chair est à la fois chair du Dieu Verbe et chair animée d’âme raisonnable et noétique. C’est pourquoi nous ne parlons pas d’homme déifié, mais de Dieu fait homme. Étant par nature Dieu parfait, il est devenu homme parfait par nature. Il n’a pas changé sa nature, il n’a pas fait apparition[64] pour l’économie (de notre salut), mais à la chair animée, prise de la Sainte Vierge, raisonnable, noétique et obtenant de lui l’être, il s’unit selon l’hypostase sans confusion, ni changement, ni séparation; il n’a pas converti la nature de sa divinité en l’essence de la chair, ni l’essence de la chair en la nature de sa divinité; il n’a pas, enfin, achevé la composition d’une seule nature à partir de sa nature divine et de la nature humaine qu’il avait assumée.

CHAPITRE III

Les deux natures : contre les monophysites.

Les deux natures sont unies l’une à l’autre sans changement ni mutation ; la nature divine ne sort pas de sa simplicité propre; la nature humaine ne tourne pas au divin, elle n’est pas reléguée à l’inexistence ; et les deux natures n’en sont pas devenues une seule, composée. Nature composée, c’est n’être consubstantielle à aucune de celles qui la composent, dès lors que autre parce que des autres. Le corps est composé des quatre éléments ; on ne le dit consubstantiel ni du feu, ni à la terre, ni à l’eau, ni à un autre. Si donc, d’après ces hérétiques, le Christ après l’union[65] a préparé une seule nature composée, il n’est plus consubstantiel au Père, de nature simple, ni à sa Mère qui n’est pas composée d’humanité et de divinité. Dès lors il n’est ni dans la divinité, ni dans l’humanité ; on ne peut l’appeler ni Dieu, ni homme, mais le Christ seulement, et ce titre n’est pas celui de l’hypostase, mais disent-ils eux-mêmes, d’une nature unique.

Nous, nous n’enseignons pas une nature du Christ composée, ni une nature autre issue d’autres (différant d’elle), comme l’homme est fait d’âme et de corps, ou comme ce corps est tiré de quatre éléments ; non, il est Dieu et homme, parce que de Dieu et de l’homme, car nous confessons qu’il est Dieu parfait, de la divinité et de l’humanité, et nous disons qu’il est de ces deux et en ces deux natures. Ce nom de Christ est pour nous celui de l’hypostase ; il signifie les deux natures et nous ne l’employons pas d’une seule façon. Lui-même en effet s’est oint lui-même ; d’une part en tant que Dieu il oint le corps, par sa divinité ; d’autre part il est oint en tant qu’homme, car le même est l’un et l’autre[66] . L’onction de l’humanité c’est la divinité. Si donc le Christ était d’une seule nature composée, comme il est semblable au Père, le Père serait donc aussi composé et consubstantiel à la chair ce qui est une absurdité et un blasphème.

Et comment une seule nature pourrait-elle recevoir les caractéristiques différentes de substances opposées ? Comment pourrait elle être créée et incréée, mortelle et immortelle, circonscrite et non-circonscrite ?

Si d’après eux cette nature du Christ est une, ils l’affirment donc simple, et confessent ou bien un Dieu dépouillé et lui prêtent une forme imaginaire au lieu d’une venue en notre humanité, ou bien un être purement humain comme les nestoriens. Où est alors le Christ parfait en divinité et parfait en humanité ! Et quand diront-ils le Christ en deux natures, s’ils affirment une seule nature composée après l’union ? Car il est bien évident qu’avant l’union il avait une seule nature[67] .

Là est bien ce qui fait l’erreur des hérétiques, confondre nature et hypostase. Quand nous disons qu’il y a une seule nature humaine, il faut savoir que ce n’est pas eu égard à l’âme et au corps que nous la disons la même; on ne peut dire que l’âme et le corps sont de même nature, comparés l’un à l’autre. Mais il y a une quantité d’hypostases humaines, et tous les hommes ont reçu la même nature ; tous sont composés d’âme et de corps, tous participent de la nature de l’âme, tous ils possèdent l’essence du corps et une forme commune ; nous parlons cependant d’une seule nature en des hypostases nombreuses et diverses, chacune ayant évidemment deux natures, étant complète en deux natures, j’entends l’âme et le corps.

On ne peut pas en notre Seigneur Jésus-Christ accepter un genre commun, car il n’y a pas eu, il n’y a pas et il n’y aura pas un autre Christ de la divinité et de l’humanité, en la divinité et en l’humanité, le même Dieu parfait et homme parfait. C’est pourquoi ne disons pas qu’il y a en notre Seigneur Jésus-Christ une seule nature et que comme dans un individu composé, d’une âme et d’un corps, elle est en Christ de la divinité et de l’humanité[68] . Là en effet il y a un individu, mais ici le Christ n’est pas un individu et il n’a pas affirmé un genre de Chrismation (ou d’onction). Non, nous disons que cette union vient de deux natures parfaites, divine et humaine. Elle ne vient pas à la façon d’un pétrissage, d’une fusion, ou par cette concrèse, cette anacrèse que veulent ces oracles, Dioscore, Eutychès, Sévère et leur engeance maudite ; ni sur une personne, par attraction, ou quelque dignité, quelque volonté correspondante, ou une égalité d’hon­neur, ou par bienveillance, comme le disent ces ennemis de Dieu, Nestorius, Diodore de Mopsueste, Théodore et leur démoniaque cohorte. Elle vient (littéralement) par synthèse, c’est-à-dire par hypostase sans changement, sans confusion, sans altération, sans séparation ni distancement, et nous confessons, en deux natures qui ont la perfection, une seule hypostase du Fils de Dieu incarné, en disant que la même hypostase est de sa divinité et de son humanité et en affirmant les deux natures conservées en lui après cette union. Nous ne les posons cependant pas chacune séparément mais unifiées l’une en l’autre en une seule hypostase composée. Nous disons cette union essentielle, c’est-à-dire véritable et non imaginaire. Essentielle encore, non comme une seule nature composée, achevée par les deux natures, mais les natures unies l’une à l’autre véritablement en une seule hypostase composée, celle du Fils de Dieu, et leurs différences essentielles conservées. Le créé est resté le créé et l’incréé l’incréé ; le mortel est resté mortel et l’immortel, immortel ; le défini le défini, et l’infini infini ; le visible visible et l’invisible invisible. « Le premier brille par les miracles, le second succombe sous les injures »[69] .

Le Verbe est proche intimement[70] des choses humaines de par sa chair sacrée, et il transmet à la chair ce qui lui est propre en un mode de don réciproque, par la communication (la pervasion) l’une avec l’autre des deux parties, leur union hypostatique, et parce qu’il est un et le même « celui qui opère les choses divines et humaines dans l’une et l’autre forme, par la communication entre les deux »[71] . C’est pourquoi on dit aussi bien que le Seigneur de gloire a été crucifié (bien que sa nature divine n’ait pas souffert) que l’on affirme que le Fils de l’homme était dans le ciel avant la passion, comme l’a dit lui-même le Seigneur. Car il était un seul et même Seigneur de gloire, Fils de l’homme par nature et en vérité, c’est-à-dire devenu homme, et nous connaissons et ses miracles et sa passion. Même si le même accomplissait les premiers d’une manière et subissait les secondes d’une autre, nous savons que son hypostase est une, ce qui sauvegarde l’essentielle différence des natures. Et comment garder cette différence, sans garder ce qui possède cette différence ? La différence, des choses qui diffèrent est une différence et la raison en laquelle diffèrent les natures du Christ l’une de l’autre, c’est la raison des essences. Il touche, disons-nous, les extrêmes par la divinité au Père et à l’Esprit, par l’humanité à sa mère et à tous les hommes. En raison du synapse des natures, nous disons qu’il diffère du Père et de l’Esprit, et de sa mère et de tous les hommes ; les natures en effet sont coaptées par hypostase en composant une seule hypostase selon laquelle il diffère du Père et de l’Esprit, et de sa mère et de nous.

CHAPITRE IV

Comment se fait ce don réciproque ?

Nous l’avons déjà dit souvent, autre est l’essence et autre l’hypostase. L’essence c’est la forme commune, ce qui réunit des hypostases de même espèce (comme Dieu, l’homme)l’hypostase par contre désigne l’individu, c’est-à-dire le Père, le Fils, le Saint-Esprit, Pierre, Paul. On doit donc savoir que les mots divinité et humanité désignent les essences c’est-à-dire les natures ; d’autre part celui de Dieu, d’homme, est appliqué aussi à la nature, comme lorsque nous disons : Dieu est une essence insaisissable, Dieu est un ; de plus on le prend aussi pour les hypostases en appliquant le général au particulier, comme lorsque l’Écriture dit : « C’est pourquoi Dieu, ton Dieu t’a oint » (Ps. 45-8), en désignant le Père et le Fils ; et lorsqu’elle dit : « Il y avait un homme sur la terre d’Austide », en parlant du seul Job.

Connaissant deux natures en notre Seigneur Jésus-Christ et une hypostase, composée de celles-ci, lorsque nous considérons d’une part les natures, nous parlons de son humanité, de sa divinité, et d’autre part l’hypostase, composée des natures, tantôt nous disons le Christ, de l’un et de l’autre à la fois, ou Dieu-homme pour la même raison, ou Dieu incarné ; tantôt nous nous servons d’une partie, Dieu seulement, ou Fils de Dieu; Homme, seulement, ou Fils de l’homme ; tantôt ce sont les aspects les plus élevés, parfois l’aspect de son abaissement. Les uns et les autres sont en lui et Lui est un ; celui qui est d’en-Haut est toujours du Père sans cause, celui d’en bas est devenu tel par amour pour l’homme.

Quand nous employons le mot : divinité, nous n’entendons pas les particularités de l’humanité (la divinité n’est pas créée ni passible) ; quand c’est le mot : humanité, nous n’entendons pas non plus celles de la divinité (la chair, l’humanité n’est pas incréée). En nommant l’hypostase d’un mot visant soit une partie, soit les deux en même temps, nous lui attribuons néanmoins les qualités des deux natures. Car le Christ est à la fois, Dieu et homme, créé et incréé, passible et impassible; et lorsqu’on le nomme d’une de ses parties, Fils de Dieu et Dieu par exemple, il reçoit les propriétés de la nature sous-jacente, c’est-à-dire de la chair ; on l’appelle Dieu souffrant et Seigneur de gloire crucifié (non comme Dieu mais comme homme) ; et lorsqu’on le nomme homme et Fils de l’homme, il reçoit les propriétés de la nature divine et ses gloires, fils prééternel et homme sans commencement; non comme enfant, ni comme homme, mais en tant que Dieu qui est avant tous les siècles et devenu enfant aux derniers jours. Voilà le comment de ce transfert de propriétés réciproques de chacune des natures, du fait d’une même hypostase et de la pervasion (périchorèse) de celles-ci l’une en l’autre. C’est en cela que nous pouvons dire du Christ : « Notre Dieu a été vu sur terre et a vécu parmi les hommes ». (Baruch 3-38), et que cet homme est incréé, impassible et incernable.

CHAPITRE V

Nombre de natures.

De même que dans la divinité nous confessons une seule nature, nous disons qu’il y a véritablement trois hypostases ; ce qui tient à la nature et à l’essence nous le disons simple mais nous savons reconnaître la différence entre les hypostases à ces trois seules particularités ; être acausale et paternelle, causée et filiale, causée et procédant. Celles-ci nous les savons inséparables, indissociables les unes des autres, unies et pervadant les unes dans les autres, sans confusion. Car elles sont trois unies sans confusion, distinguées, sans séparation, trois bien qu’unies. Si chacune a son fondement en elle-même, si chacune donc est hypostase parfaite et possède la propriété particulière qui fait la différence de son mode d’existence, par contre elles sont unies par l’essence et les propriétés de nature, et le fait de ne pas être dissociable, de ne pas sortir de l’hypostase du Père ; elles sont et on les appelle un seul Dieu. De la même manière aussi, dans la divine et ineffable économie, surpassant toute pensée et toute intelligence, nous confessons en l’un de la Sainte Trinité, le Dieu Verbe, notre Seigneur Jésus-Christ, d’une part la dualité des natures, divine et humaine, se rencontrant[72] l’une avec l’autre, unies selon l’hypostase, et d’autre part l’unité dans cette hypostase parfaite, composée des deux natures. Nous disons que sont conservées les deux natures, même après leur union dans cette hypostase composée, dans le seul Christ, et qu’elles y sont en vérité avec leurs propriétés de nature, bien qu’unies sans confusion, différant sans se séparer, et par là comptées. Et de même que les trois hypostases de la Sainte Trinité sont unies sans confusion et distinguées sans division[73] , de même elles sont comptées sans que le nombre opère en cela distinction, séparation, altération ou division ; car nous savons que Dieu est un, Père et Fils et Saint-Esprit. De la même façon les deux natures du Christ sont unies, mais unies sans confusion, et si elles pervadent l’une en l’autre, ce n’est point en se changeant l’une en l’autre. Chacune conserve sa nature propre inchangée, ce qui fait qu’on peut les compter sans introduire de division ; le Christ est un, parfait en divinité et en humanité. Le nombre n’est pas en soi facteur de division ou d’unité, mais signifie la possibilité de tomber dans le nombrable par unification ou division. Ce mur a cinquante pierres, il est un ; cinquante pierres font ce mur, elles sont plusieurs ; il y a deux natures dans un brandon, le feu et le bois, unies dans le brandon, divisées en ce que le feu a sa nature et le bois la sienne : elles sont unies sous un aspect, divisées sous un autre, le nombre n’y est pour rien. Ainsi de même qu’il est impossible, pour les trois hypostases de la divinité, de parler d’une seule hypostase, même si elles sont unies entre elles, pour ne pas opérer de confusion ni de disparition de différences des hypostases, de même dans les deux natures du Christ, unies dans l’hypo­stase, on ne peut ni ne doit dire qu’il y a une seule nature de peur d’effacer, confondre ou supprimer leur différence.

CHAPITRE VI

Toute la nature divine est unie à toute la nature humaine en une seule de ses hypostases et non part pour part.

Les genres communs et généraux sont affirmés des particuliers qui reposent sous eux. Comme genre l’essence est commune, l’hypostase particulière ; elle n’est pas particulière parce que partie de la nature (elle n’a pas de parties), mais particulière en nombre par individuation. C’est en nombre qu’on dit les hypostases différentes et non par nature. L’essence de l’hypostase est affirmée parce qu’en chacune des hypostases de même genre l’essence est parfaite. Les hypostases diffèrent donc, non pas par l’essence, mais par les accidents, qui sont leurs caractéristiques propres, celles de l’hypostase non de l’essence ; car on définit l’hypostase, l’essence plus les accidents. De sorte que l’hypostase a ceci de commun avec le particulier, d’exister aussi par elle-même, alors que l’essence n’est pas soutenue par elle-même mais est considérée dans les hypostases. Si donc une hypostase souffre, toute essence passible, à laquelle appartient celle-ci, est dite avoir souffert en l’une de ses hypostases sans que pourtant toutes les hypostases du même genre aient à souffrir parce qu’une hypostase souffre.

Nous confessons donc que la nature de la divinité est entière parfaitement en chacune de ses hypostases, toute dans le Père, toute dans le Fils, toute dans le Saint-Esprit. C’est pourquoi le Père est Dieu parfait, le Fils Dieu parfait et le Saint-Esprit Dieu parfait. De même, par l’in-humanisation en l’homme de l’un de la Sainte Trinité, le Dieu Verbe, nous disons que la nature de la divinité, entière et parfaite, s’est unie en une de ses hypostases à toute la nature humaine, et non une partie à une autre partie[74] . Comme le dit le divin apôtre, « en lui demeure corporellement la plénitude de la divinité » (Col. 2-19), c’est-à-dire dans sa chair ; et son disciple, le théophore, le connaisseur du divin, Denys, dit qu’il s’est uni totalement à nous en l’une de ses hypostases. Rien ne nous oblige à dire que toutes les hypostases de la Sainte Trinité (les trois) se sont unies à toutes les hypostases de l’humanité, hypostatiquement. Sous aucun rapport le Père ni le Saint-Esprit ne se sont joints à l’incarnation du Verbe, si ce n’est par bienveillance et par conseil.

Nous disons que toute l’essence divine s’est unie à toute la nature humaine ; en effet, de ce qu’il a déposé dans notre nature le Dieu Verbe, qui au commencement nous a façonnés, n’a rien évité, mais a tout pris, le corps, l’âme, l’intellect, la raison et leurs particularités (un être auquel il manque l’un d’eux est un animal, non un homme) ; il m’a pris tout entier et s’est totalement uni à moi pour me donner un salut total, car il ne peut guérir ce qu’il n’a pas assumé.

Le Verbe de Dieu s’est uni à la chair par l’intermédiaire du noûs, intermédiaire de Dieu par sa pureté, et de la chair par sa densité, car le noûs est le chef de l’âme et de la chair et il est d’autre part le plus pur de l’âme, et, du noûs, Dieu est le chef. Lorsqu’il cède au meilleur, le noûs du Christ montre son « hégémonie » ; il est dominé, il cède au meilleur et il accomplit ce que veut la volonté divine.

Le noûs est devenu le lieu où la divinité s’unit à lui par hypostase, comme aussi la chair évidemment; non pas en y cohabitant, comme le prétend l’opinion maudite des hérétiques sous prétexte qu’une mesure n’occupe pas la place de deux mesures ; ils jugent des choses immatérielles en termes de corps. Comment le Christ Dieu parfait et homme parfait, serait-il consubstantiel au Père et à nous si c’est une partie de la nature divine qui s’unit à une partie de la nature humaine ?

Quand ensuite, nous disons que notre nature est ressuscitée des morts, a été élevée et s’est assise à la droite du Père, ce n’est pas les hypostases des hommes qui ont ressuscité et se sont assises à la droite du Père, mais toute notre nature dans l’hypostase du Christ. Le divin apôtre dit donc : « Il nous a ressuscités et assis avec et dans le Christ » (Ephes. II-6).

Et nous disons que l’union s’est faite des essences communes. Communes en ce sens que l’essence l’est pour les hypostases contenues en elle, car l’on ne saurait trouver une nature à part, séparée, c’est-à-dire une essence puisqu’il faudrait dire à propos des mêmes hypostases qu’elles seraient co-essentielles et hétéro-essentielles, et dire même la Sainte Trinité co-essentielle et hétéro-essentielle selon la divinité. C’est donc la même nature qui se trouve dans chacune des hypostases. Quand nous disons que la nature du Verbe s’est incarnée, d’après les bienheureux Athanase et Cyrille, nous disons que la divinité s’est unie à la chair. C’est pourquoi nous ne pouvons dire : la nature du Verbe a souffert, car la divinité n’a pas souffert en lui. Et nous disons : la nature humaine a souffert dans le Christ, sans laisser entendre toutes les hypostases des hommes, mais confessant que le Christ a souffert par sa nature humaine. En disant : la nature du Verbe, nous signifions le Verbe lui-même. Le Verbe a ce qui est commun à l’essence et ce qui est propre à son hypostase.

CHAPITRE VII

Sur l’hypostase unique, composée du Verbe.

Nous disons donc que la divine hypostase du Dieu-Verbe est, avant le temps, hors du temps et éternellement, simple, non composée, incréée, non corporelle, invisible, impalpable, incernable; elle a tout ce qu’a le Père, consubstantielle à lui ; elle diffère par la génération et par sa relation avec l’hypostase du Père mais elle est parfaite sans jamais s’éloigner de l’hypostase du Père. Aux derniers jours sans quitter le sein du Père, il a établi demeure, sans qu’on puisse le cerner, dans le sein de la Sainte Vierge, sans semence, incompréhensiblement, comme seul lui le sait et en cette même hypostase prééternelle a été hypostasiée en lui la chair, venue de la Sainte Vierge.

Il était donc en tout et au-dessus de tout, même dans le sein de la Sainte Théotokos quand s’opérait l’incarnation ; il s’est donc incarné d’elle prenant les prémisses de notre propre pétrissage, en une chair animée par une âme raisonnable et noétique, faisant de cette hypostase de chair l’hypostase du Verbe de Dieu et devenant l’hypostase composée du Verbe (qui était simple avant) ; composée de deux natures parfaites, de la divinité et de l’humanité. Cette hypostase porte les carac­téristiques de la divine filiation du Dieu Verbe et les propriétés le différenciant du Père et du Saint Esprit, et les propriétés et les caractéristiques le faisant différent de sa mère et du reste des hommes ; elle porte aussi les propriétés de la nature divine en lesquelles il est uni au Père et à l’Esprit, et les traits qui l’unissent à sa mère et à nous. Il diffère enfin encore et du Père et de l’Esprit, et de sa mère et de nous, en ce que le même existe comme Dieu et comme homme. C’est là la particularité la plus singulière que nous connaissions à l’hypostase du Christ.

Voilà pourquoi le même est confessé Fils unique de Dieu, même après son inhumanisation, et Fils de l’homme, un Christ, un Seigneur, un Fils monogène et Verbe de Dieu, Jésus notre Seigneur. Notre piété va à ses deux générations ; l’une prééternelle du Père, au-dessus de la causalité, de la raison, du temps et de la nature; l’autre dans les derniers temps à cause de nous, comme nous et pour nous. A cause de nous, parce que pour notre salut; comme nous, parce qu’il est venu homme d’une femme qui l’a porté le temps de sa gestation ; pour nous, parce que c’était une gestation au-dessus des lois, sans semence, du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Nous ne le prêchons pas comme Dieu seul, dépouillé de notre humanité, ni comme homme seulement, le privant de sa divinité, ni tantôt l’un tantôt l’autre, mais lui seul et le même, en même temps Dieu et homme, Dieu parfait et homme parfait, entièrement Dieu et entièrement homme, entièrement Dieu même après la chair et entièrement homme, même avec sa divinité surdivine. En disant Dieu parfait et homme parfait nous montrons la plénitude sans rien omettre de chaque nature ; en disant totalement Dieu et totalement homme, la singularité unique de l’hypostase.

Nous confessons aussi une seule nature du Dieu Verbe, incarnée, et en disant incarnée, nous visons l’essence de la chair, selon le bienheureux Cyrille. Mais le Verbe incarné n’a pas renoncé à son immatérialité personnelle ; bien que tout entier incarné, il est tout entier incirconscriptible. Corporellement il est minimisé et replié, et divinement il n’est pas circonscrit, la chair ne pouvant s’élever à cerner son incernable divinité.

Tout entier donc il est Dieu parfait, mais non entièrement Dieu, car il n’est pas seulement Dieu mais homme, et tout entier homme parfait, mais non entièrement homme, car il est aussi Dieu. Le mot entièrement en effet démontre la nature et le mot entier l’hypostase, comme le mot autrement la nature et autre l’hypostase.

Notons enfin, que si nous disons les deux natures du Christ pervader l’une en l’autre, nous savons cependant que cette pervasion est venue de la nature divine ; car celle-ci se répand et pervade partout comme elle veut, mais rien à travers elle. Elle transmet à la chair ses propres gloires, demeurant elle-même impassible sans participer aux souffrances de la chair. Si déjà le soleil nous envoie ses énergies en restant non participant, combien plus l’auteur et Seigneur du soleil.

CHAPITRE VIII

Faut-il ramener les natures du Christ à la quantité continue ou discontinue ?

Si l’on demande au sujet des natures du Seigneur : sont-elles à ramener à la quantité continue ou discontinue ? Nous dirons que les natures du Seigneur ne sont ni un corps unique, ni une surface, ni une ligne, ni un temps, ni un lieu pour se réduire à la quantité continue car ce sont les choses que l’on compte de façon continue.

Le nombre, remarquons-le, s’applique à ce qui diffère ; on ne peut rien nombrer qui ne diffère en rien, mais en ce qui diffère, là on peut nombrer. Ainsi de Pierre et Paul on ne peut les compter là où ils sont un. On ne peut dire deux natures, unis qu’ils sont par raison d’essence, mais on dit deux hypo­stases, puisque différant par hypostase. De sorte que le nombre est de ce qui diffère ; dans la mesure où elles diffèrent les choses sont différentes et dans cette mesure on peut les nombrer.

Les natures du Seigneur sont donc unies sans confusion par hypostase, et se distinguent sans division par moyen et mode de différence. Dans le mode où elles s’unissent, on ne peut les compter, car nous ne disons pas que c’est par hypostase que le Christ a deux natures ; elles sont comptées par le mode dont elles se distinguent sans division, car les natures du Christ sont au nombre de deux, par raison et mode de différence. Unies en effet et pervadant l’une dans l’autre par hypostase, elles sont unies sans confusion, conservant chacune sa propre différence de nature. Voilà comment cette façon de différer et elle seule fait qu’elles sont comptées et réductibles à la quantité discontinue.

Le Christ ainsi est un, Dieu parfait et homme parfait que nous adorons avec le Père et le Saint-Esprit d’une seule adoration avec sa chair immaculée et sans dire qu’on ne doit pas adorer celle-ci, car elle est adorée dans l’hypostase une du Verbe. Nous ne rendons pas un culte à la créature, car nous n’adorons pas la chair seule, mais unie à la divinité, les deux natures ramenées à une seule personne et à une hypostase du Verbe de Dieu. Je ne puis toucher à la braise parce que le feu est dans le bois. J’adore les deux natures du Christ, la divinité unie à la chair. Je n’ajoute pas une quatrième personne à la Trinité, loin de moi, mais je confesse une personne du Verbe et de la chair. La Trinité est restée une trinité même après l’incarnation du Verbe.

CHAPITRE IX

Est-ce qu’il n’y a pas de nature sans hypostase ?

Il n’y a pas de nature sans hypostase pas plus que d’essence sans personne, car c’est dans les hypostases et dans les personnes que l’essence et la nature peuvent être considérées. Mais il n’est pas nécessaire aux natures unies l’une à l’autre selon l’hypostase, de posséder chacune sa propre hypostase car elles peuvent concourir en une seule hypostase, ne pas demeurer sans hypostase et ne pas avoir chacune sa propre hypostase, mais d’être l’une et l’autre dans une seule et même hypostase. Car la même hypostase du Verbe servant d’hypostase à l’une et à l’autre ni ne laisse l’une de celles-ci en-hypostasiée, ni n’admet que les natures aient l’hypostase l’une plus que l’autre ou bien que celle-ci soit tantôt à l’une tantôt à l’autre ; mais l’hypostase appartient toujours à l’une et à l’autre des natures inséparablement, indivisiblement. Elle n’est pas divisée ou distinguée en parties et attribuée partie à l’une, partie à l’autre ; elle demeure entièrement et sans division toute l’une et toute l’autre. Car la chair du Verbe de Dieu ne subsiste pas à part soi, ni n’est devenue une autre hypostase à côté de l’hypo­stase du Verbe de Dieu, mais subsiste en celle-ci, ou plutôt elle est en-hypostasiée (en lui) ; elle n’est pas devenue hypostase subsistant en elle-même. C’est pourquoi il (le Christ) ne manque pas d’hypostase, ni n’introduit d’autre hypostase en la divine Trinité.

CHAPITRE X

Du Trisagion.

De là, dans le Trisagion, cet appendice, venu du frivole Pierre Cnaphée (Pierre le Foulon) – nous l’appelons un blasphème – qui ajoute une quatrième personne en posant à part le Fils de Dieu, la puissance en-hypostasiée du Père, et à part le Crucifié comme étant un autre à côté du Fort, et proclame la Sainte Trinité passible en crucifiant avec le Fils, le Père et le Saint-Esprit. Loin de moi ce blasphème, ce bavardage en l’air. Le Agios ô Théos, nous l’entendons du Père sans définir avec lui seul le nom de la divinité, mais en reconnaissant aussi Dieu le Fils et le Saint-Esprit[75] . Le Saint Fort (Agios Ischiros), nous l’entendons du Fils, sans retirer la force au Père et au Saint-Esprit. Le Saint Immortel (Agios Athanatos) nous l’entendons du Saint-Esprit, sans mettre le Père et le Fils à part de l’immortalité. A chacune des hypostases, nous attribuons tous les noms divins dans le simple et l’absolu, imitant le divin apôtre quand il dit : « Nous avons un seul Dieu, le Père, duquel nous sommes, ainsi que toutes choses ; et un Seigneur Jésus-Christ, par qui sont toutes et nous par lui ; et un Saint-Esprit, en qui sont toutes choses et nous en lui ». (I Cor. 8-6). C’est ce que dit aussi Grégoire le théologien : « Pour nous aussi il y a un Dieu, le Père, de qui sont toutes choses, et un Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses, et un Saint-Esprit, en qui sont toutes choses ». (Or. 39). Ces mots : de qui, par qui, en qui, ne séparent pas les natures ; (les prépositions ne doivent pas être inversées, ni l’ordre des noms) ; ils caractérisent les particularités de la nature une et sans confusion. On trouve la même chose, si on ne le lit pas négligemment, chez l’apôtre résumant en une formule, avec le : « De lui, par lui et en lui sont toutes choses ; à lui la gloire dans les siècles des siècles. Amen ». (Rom. 9-36).

Le divin et saint Athanase nous est témoin que le Trisagion ne vise pas le Fils seulement mais la Sainte Trinité, ainsi que Basile, Grégoire et tout le chœur des Pères théophores ; les saints séraphins avec le triple sanctus nous montrent les trois hypostases de la divinité sur-essentielle. Par la Seigneurie unique, ils font connaître l’essence unique de la Trinité théarchique et sa royauté. Grégoire le théologien dit en effet : « De même le Saint des Saints, adombré par les séraphins et glorifié par leurs triples sanctifications, rapproche en une seule Seigneurie et divinité. C’est ce qu’un de ceux qui nous ont précédé a médité de façon très belle et très élevée ». (Or. 42).

Les écrivains de l’histoire de l’Église, rapportent que le peuple de Constantinople priait ardemment pour une calamité envoyée par Dieu, du temps de l’archevêque Proclus. Il arriva qu’un enfant du peuple fut ravi et initié par quelque didascale[76] angélique au chant du Trisagion « Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous ». Revenu à lui l’enfant rapporta ce qui lui avait été enseigné et tout le peuple chanta l’hymne ; et la calamité s’arrêta. Et lors du saint et grand concile œcuménique, le quatrième, celui de Chalcédoine, le Trisagion fut ainsi chanté comme il avait été transmis ; il figure dans les actes de ce saint concile. Il est donc vraiment ridicule, risible que cet hymne du Trisagion, chanté d’abord par les séraphins, pour montrer la divinité tri-hypostatique, ce chant révélé par les anges, autorisé par les circonstances de son apparition, confirmé par le synode des Saints Pères, il est donc risible que l’opinion absurde de Cnaphée l’ait foulé aux pieds et qu’il faille maintenant le corriger comme si les séraphins avaient été trop loin. Quelle présomption, pour ne pas dire quelle démence ! Voilà, nous, ce que nous disons, et que les démons en crèvent. « Agios ô théos, agios ischiros, agios athanatos, éléison imas ».

CHAPITRE XI

La nature considérée dans le genre et dans l’individu ; différence entre union et incarnation ; comment comprendre la nature une du Verbe de Dieu incarné.

La nature est ou bien induite directement de la simple contemplation (en effet elle n’a pas par elle-même de soutien) ; ou bien, par généralisation dans toutes les hypostases de même genre, en les coaptant, et on dit que la nature est considérée dans le genre ; ou bien par totalisation, en présumant des accidents dans une seule hypostase et on dit que la nature est considérée dans l’individu (la même que celle qui est considérée dans le genre). Donc le Dieu Verbe, par l’incarnation, n’a pas assumé la nature telle qu’on l’induit de la seule contemplation ; l’incarnation n’est pas cela, une incarnation fictive et décevante ; ni non plus celle considérée dans le genre, car il n’a pas assumé toutes les hypostases ; mais la nature dans l’individu, la même que celle qui est dans le genre. C’est dire qu’il a assumé les prémisses de notre pâte, non que par elle-même elle ait une substance, et que, individuée, elle ait alors été assumée par lui, mais elle a existé en son hypostase de chair; d’après cela « le Verbe a été fait chair », sans changement, certes, et la chair est devenue Verbe, sans mutation ; et Dieu homme. Le Verbe est Dieu, et l’homme Dieu par union hypostatique. C’est donc la même chose de dire la nature du Verbe ou la nature dans l’individu. Cela ne montre pas seulement et surtout l’individu, c’est-à-dire l’hypostase, ni ce que les hypostases ont de commun, mais la nature commune considérée et examinée avec soin dans l’une des hypostases.

L’union est donc autre que l’incarnation, car l’enosis d’une part montre la seule conjonction mais pas du tout avec quoi se fait cette conjonction. L’incarnation d’autre part, ou encore l’inhominisation (c’est la même chose), montre la conjonction avec la chair, c’est-à-dire avec l’homme ; de la même façon la brûlure du fer montre son union avec le feu. Le bienheureux Cyrille, dans sa deuxième épître à Soucense, expliquant qu’il y a « une seule nature du Verbe incarnée » parle ainsi : « Si en effet nous nous étions arrêtés de parler après les mots : une seule nature du Verbe, sans ajouter : incarnée, nous aurions évacué l’économie de notre salut, et aussi bien leur interrogation feinte était persuasive. Mais si une seule nature est le tout, ou est la perfection de l’humanité ? Et comment subsisterait notre propre essence ? Mais comme avec ce mot : incarnée, cette essence est affirmée et introduite, et avec elle la perfection de l’humanité, qu’ils cessent de mettre à sa place un bâton de roseau ! » Il pose donc ainsi la nature du Verbe pour la nature. S’il avait d’ailleurs dit : hypostase au lieu de : nature, son expression aurait été correcte sans le mot : incarné, car en disant qu’il y a une seule hypostase du Verbe nous sommes dans le vrai. C’est de la même façon que Léonce de Byzance a entendu ce mot pour la nature (au lieu de l’hypostase).

Dans son discours pour attaquer Théodoret, au deuxième anathème, le bienheureux Cyrille dit encore : « La nature du Verbe, donc l’hypostase, qui est le Verbe lui-même ». De sorte que dire : la nature du Verbe, ne signifie pas seulement l’hypostase, ni le commun des hypostases, mais la nature commune considérée par totalisation dans l’hypostase du Verbe.

Qu’il soit dit que la nature du Verbe a été incarnée, c’est-à-dire s’est unie à la chair ; mais que d’autre part la nature du Verbe ait souffert dans la chair, nous ne l’avons jamais entendu jusqu’à ce jour; nous avons seulement appris que le Christ a souffert dans la chair et parler de la nature du Verbe ne signifie pas l’hypostase. Il reste donc à dire que s’être incarné veut dire s’être uni à la chair et que devenir chair pour le Verbe, c’est pour l’hypostase du Verbe devenir sans changement hypostase de chair. Qu’on dise aussi que Dieu est devenu homme sans mutation mais jamais nous n’avons entendu dire que la divinité est devenue homme, ou s’est incarnée, ou s’est in-humanisée. On nous a appris que la divinité s’est unie à l’humanité en l’une de ses hypostases. Que l’on dise aussi que Dieu a pris une forme, c’est-à-dire une autre substance, la nôtre. A chacune des hypostases en effet nous donnons le nom de Dieu, mais ne disons pas : la divinité, pour l’hypostase car ce mot, divinité, ne s’applique pas au Père seul, au Fils seul, ou à l’Esprit seul ; la divinité signifie la nature, le Père l’hypostase, comme l’humanité la nature et Pierre l’hypostase. Dieu signifie la communion de nature et s’applique à chacune des hypostases par dérivation de nom comme le mot homme : Dieu est ce qui a la nature divine, homme la nature humaine.

Retenons qu’en tout cela le Père et le Saint-Esprit n’ont participé en aucune façon à l’incarnation du Fils si ce n’est par les signes divins, par bienveillance et conseil divins.[77]

CHAPITRE XII

La Sainte Vierge est Mère de Dieu ; contre les Nestoriens.

Nous proclamons la Sainte Vierge proprement et véritablement Mère de Dieu ; celui qui est né d’elle est vrai Dieu, celle qui a engendré le Dieu véritable, incarné d’elle, est vraie Mère de Dieu. Nous disons que Dieu est né d’elle, non parce que la divinité du Verbe a pris d’elle le principe de l’être, mais en tant que le Verbe même de Dieu, né du Père hors du temps et avant les siècles et existant hors du temps éternellement avec le Père et le Saint-Esprit, a habité dans son sein dans les derniers temps pour notre salut, s’est incarné et est né d’elle sans changement. Car la Sainte Vierge n’a pas engendré un simple homme, mais le Dieu véritable ; non pas nu, mais vêtu de chair ; non comme un corps descendu du ciel et transité par elle comme par un canal, mais prenant d’elle une chair consubs­tantielle à la nôtre et s’hypostasiant en lui. Car si ce corps était venu du ciel et ne venait pas de notre nature, quel besoin y avait-il de la descente en l’homme ? L’in-hominisation du Verbe de Dieu est venue pour que cette même nature pécheresse, tombée et corrompue, vainquît le tyran qui nous a trompés et fût ainsi libérée de la corruption ; comme le dit le divin apôtre : « Par l’homme est venu la mort, par l’homme aussi la résurrection des morts. » (1 Cor. 15-21). Si l’un est vrai, l’autre l’est aussi.

Et si l’apôtre dit encore : « le premier Adam est venu de la terre, le deuxième Adam, le Seigneur, du Ciel » (I Cor. 19-47), il ne dit pas que le corps est venu du ciel, mais montre qu’il n’est pas un simple homme, car, vois-tu, il le nomme Adam et Seigneur, en indiquant l’un et l’autre, car le mot Adam signifie de la terre et montre que la nature de l’homme, celle qui a été façonnée dans la poussière, est terrestre, tandis que le mot Seigneur montre l’essence divine.

L’apôtre dit encore : « Dieu a envoyé son Fils monogène, venu d’une femme ». (Gal. 4-4). Il ne dit pas : par une femme, mais : d’une femme. Le divin apôtre entend ainsi que le même est Fils monogène de Dieu et Dieu, qui est homme, venu de la Vierge, et le même est né de la Vierge, qui est le Fils de Dieu et Dieu (né corporellement, c’est-à-dire comme l’homme). Il n’a pas établi sa demeure en un homme déjà façonné, comme dans le cas d’un prophète, mais il est devenu lui-même essentiellement et véritablement homme, c’est-à-dire hypostasiant dans son hypostase une chair animée d’une âme raisonnable et noétique lui-même devenu hypostase en celle-ci. Voilà ce que veut dire ce : venu d’une femme; car comment le Verbe de Dieu serait-il venu sous la loi, s’il n’était devenu un homme semblable à nous ?

Voilà pourquoi à juste titre et en vérité nous appelons Sainte Marie, la Mère de Dieu, et ce nom contient tout le mystère de l’économie, puisque si celle qui a mis au monde est Mère de Dieu, l’engendré d’elle est entièrement Dieu et entièrement homme. Comment Dieu, lui qui existe avant tous les siècles, serait-il engendré d’une femme s’il n’est devenu homme ? Le Fils de l’homme est homme évidemment; si donc le même, engendré d’une femme, est Dieu, unique aussi est celui qui est engendré du Dieu Père, par essence divine et sans principe, et qui est né dans les derniers temps de la Vierge par essence humaine, dans le temps et avec un commencement. C’est là ce que signifient les deux natures et les deux générations dans l’hypostase une de notre Seigneur Jésus-Christ.

D’autre part nous n’appelons jamais la Sainte Vierge, la Mère du Christ. C’est pour lui enlever le titre de Théotokos que ce vase d’impiété, Nestorius, cet impur et infect judaïsant, a trouvé cette infamante dénomination par manque de vénération pour la seule qui soit vénérable au-dessus de toute créature, la Théotokos ; qu’il crève avec son père Satan. Car le roi David aussi est christ, et Aaron, le grand prêtre, aussi ; l’onction allait à la royauté et au sacerdoce. Tout homme théophore, porteur de Dieu, peut être déclaré christ, mais non pas Dieu par nature, comme l’a soufflé ce Nestorius, soi-disant inspiré en appelant théophore celui qui est né de la Vierge. Quant à nous gardons-nous de dire ou de penser théophore, mais Dieu incarné.

Le même Verbe en effet est devenu chair, d’une part porté par la Vierge, d’autre part progressant en tant que Dieu avec le développement [dans son sein], développement déjà déifié par lui en même temps que sa venue à l’être, de sorte qu’à la fois ces trois choses : développement, existence et déification de celui-ci par le Verbe, sont apparues, et que nous pensons et disons la Sainte Vierge Mère de Dieu non seulement à cause de la nature du Verbe, mais de la déification de la nature humaine, dont la conception et l’existence ont été miraculeusement opérées en même temps : conception d’une part du Verbe, d’autre part existence de la chair, en ce Verbe même, où la Mère de Dieu apporte surnaturellement au Modeleur de quoi se modeler, et de se faire Homme au Dieu qui a tout créé et déifie ce qu’il assume, l’union sauvegardant les choses unies telles qu’elles sont en s’unissant ; je veux dire non seulement le divin, mais aussi l’humain du Christ ; ce qui est au-dessus de nous et ce qui est selon nous. Car le Christ n’est pas venu d’abord selon nous pour être ensuite au-dessus de nous, mais toujours, dès le début de son existence, il a été ces deux choses, parce qu’il a possédé, dès la conception première, l’existence en ce Verbe même ; l’humain d’une part est selon la nature ordinaire, le divin d’autre part de Dieu surnaturellement. Il avait en outre les particularités de la chair animée ; le Verbe avait accepté ces choses, en raison de l’économie du salut, produites vraiment naturellement et dans l’ordre naturel des choses.

CHAPITRE XIII

Propriétés des deux natures.

En confessant notre Seigneur Jésus-Christ Dieu parfait et homme parfait, nous disons qu’il a tout ce qu’a le Père, sauf l’inengendré, et tout ce qu’a le premier Adam, sauf le péché, c’est-à-dire un corps et une âme raisonnable et noétique ; ensuite qu’il a ce qui correspond aux deux natures, les deux ordres de propriétés naturelles de ces deux natures : deux volontés naturelles, divine et humaine ; deux énergies naturelles, divine et humaine ; deux libertés naturelles, divine et humaine; sagesse et gnose, divines et humaines. Consubstantiel à Dieu le Père, il veut et opère avec la liberté de Dieu ; consubstantiel aussi à nous, il veut et opère librement comme l’homme ; à lui les miracles, et à lui les souffrances.

CHAPITRE XIV

Les volontés et les libertés de notre Seigneur Jésus-Christ.

Puisque le Christ a deux natures, chacune a donc sa volonté et sa liberté. Puisque d’autre part l’hypostase des deux natures est une, par nature lui-même est un lorsqu’il veut et opère selon ces deux natures, desquelles, en lesquelles et auxquelles est le Christ, notre Dieu : vouloir et opération ne sont pas séparés, mais unis. Il veut et opère en chacune des deux formes, en communion avec les deux. Là où l’essence est la même, les mêmes sont volonté et opération ; là où est une différence, différentes aussi la volonté et l’opération. Inversement là où l’opération et la volonté sont les mêmes, il y a une même essence ; là où la volonté et l’opération différent, l’essence diffère aussi.

De l’identité d’opération et de volonté du Père et du Fils et du Saint-Esprit, nous reconnaissons donc l’identité de nature. De la différence des volontés et opérations, dans l’économie divine, nous reconnaissons également la différence des natures ; et connaissant la différence des natures, nous reconnaissons aussi par où diffèrent les volontés et opérations. De même en effet que le nombre des natures du même Christ un, saisi et affirmé dans la piété, ne divise pas le Christ un et montre, sauvegardée, la différence des natures dans leur union, de même le nombre des volontés et des opérations essentiellement attachées à ses natures (car il voulait et opérait notre salut, avec l’une et l’autre des natures), n’introduit pas de division ; loin de moi la pensée. Cela montre seulement que, même dans l’union, celles-ci sont sauvegardées. Nous parlons des volontés et opérations naturelles, et non hypostatiques. Je dis la puissance même de volonté et d’opération selon laquelle veut et opère ce qui veut et ce qui opère. Si cela nous l’attribuions à l’hypostase nous serions amenés à dire que les trois hypostases de la Sainte Trinité ont chacune une volonté et une énergie différentes.

Il faut savoir en effet que ce n’est pas la même chose que le vouloir et le comment de ce vouloir. Le vouloir appartient à la nature, comme le voir ; c’est le fait de tous les hommes. Mais le comment on veut n’est pas de la nature, mais de notre propre jugement ; de même le comment on voit (bien ou mal). Les hommes ne veulent ni ne voient de la même façon. De même pour les opérations, car le comment du vouloir, du voir et d’opérer est une façon de se servir du vouloir, voir et opérer, s’attachant à la façon de s’en servir séparés des autres avec les différences qu’on sait.

Le vouloir, donc, dit simplement, c’est la volonté, c’est-à-dire la puissance volitive, désir raisonnable et volition de nature ; le comment on veut, c’est-à-dire ce qui est l’objet de la volonté, c’est le voulu, la volance individuelle ; le volitif est le vouloir inhérent à l’être ; la nature divine, ou humaine, par exemple est volitive. Le voulant c’est celui qui use de la volonté, c’est-à-dire l’hypostase, Pierre par exemple.

Puisque le Christ est un, et une son hypostase, un aussi est-il divinement et humainement quand il veut. Puisqu’il a deux natures volitives et raisonnables (ce qui est raisonnable est volitif et libre) nous dirons qu’il a deux volontés, deux volances, de nature, car il a pris la puissance volitive qui par nature existe en nous. Et puisque le Christ est un et qu’il veut en chaque nature, nous dirons qu’en lui ce qu’il veut est une même chose. Et cela non parce qu’il veut seulement ce que veut par nature Dieu (la divinité ne veut pas manger, boire, etc.), car il veut aussi ce qui soutient la nature humaine, non en opposition de jugement mais par particularité des natures ; il voulait en effet par nature ces choses lorsque sa volonté divine permettait à la chair de sentir et d’agir à sa manière propre.

La volonté est naturellement attachée à l’homme, c’est ce qui ressort de là. Outre la vie divine, il y a trois formes de vie : végétative, esthésique et intellectuelle. Le propre de la vie végétative, d’une part, est le mouvement qui fait la nutrition, l’accroissement et la génération. Celui de la vie esthésique (ou de la sensation) est le mouvement excitatif. Celui enfin du raisonnable et de l’intellect, c’est la liberté. Si donc la nutrition appartient par nature au végétatif, l’excitation à la sensibilité, par nature aussi la liberté s’attache au raisonnable et à l’intellectif. La liberté n’est rien d’autre que la volonté. Le Verbe, donc, fait chair animée, intellective et libre, est devenu également volitif.

Les choses physiques se passent d’être apprises ; on n’apprend pas ni ne raisonne sur la vie, la faim, la soif, le sommeil. La volonté non plus ne s’apprend pas; le vouloir est donc naturel.

En outre chez les êtres sans raison, la nature les conduit ; elle est conduite chez l’homme parce que mue par sa volonté librement ; l’homme est donc volitif par nature.

En outre si l’homme est généré à l’image de la bienheureuse et suressentielle divinité, comme la nature divine a liberté et volonté, l’homme, image de celle-ci, est libre et volitif, et les Pères ont défini libre-arbitre la volonté.

En outre enfin, si le vouloir existe chez tous les hommes et n’est pas chez celui-ci pour n’être plus chez celui-là, et si ce que l’on peut voir de commun chez tous caractérise la nature des individus placés sous cela, c’est donc par nature que l’homme est volitif.

Inversement si la nature n’est pas touchée par le plus et le moins, et si le vouloir existe également en tous et non pas beaucoup chez l’un et peu chez l’autre, l’homme est donc volitif par nature. De sorte que si l’homme est volitif de nature, le Seigneur, qui est venu et comme Dieu et comme homme, est également volitif de nature. Il a pris notre nature, il a pris aussi notre volonté naturelle et c’est dans ce sens que les Pères ont dit que notre volonté est en prototype chez lui.

Si la volonté n’était pas attribut de la nature, elle serait hypostasique ou contre-nature ; hypostatique, le Fils alors a un autre conseil que le Père (ce qui est hypostatique ne regarde qu’une hypostase) ; contre nature, la volonté est dès lors une chute hors de la nature et ce qui est contre elle détruit ce qui est selon elle.

Le Dieu et Père de toute chose, veut comme Dieu ou comme Père. Mais s’il ne veut qu’en tant que Père, sa volonté est autre que celle du Fils (car le Père n’est pas le Fils). Si c’est en tant que Dieu, le Fils aussi est Dieu, ainsi que le Saint-Esprit : donc la volonté est attribut de la nature, elle est naturelle.

En outre, si, selon les Pères, là où la volonté étant une, l’essence est également une, une aussi est la volonté de la divinité du Christ et celle de son humanité ; donc une et la même sera leur essence.

En outre, si, selon les Pères, la différence des natures n’apparaît pas dans la volonté une, il faut nécessairement qu’en disant une la volonté de la nature du Christ, nous ne disions pas de différence en celle-ci, ou bien qu’en disant une différence de nature nous ne disions pas la volonté une.

Inversement, comme on le trouve dans le divin Évangile, le Seigneur alla vers les contrées de Tyr et de Sidon « et entrant dans une maison, il voulut que personne ne le sache, et ne put rester caché » (Marc 7-24). Sa volonté divine étant toute puissante, si voulant se cacher il n’a pas pu, c’est comme homme qu’il a voulu et ne l’a pu ; il était donc aussi avec une volonté humaine.

Autre chose : « arrivant dans ce lieu, il dit : j’ai soif. Ils lui donnèrent du vin mêlé de fiel et l’ayant goûté il ne voulut pas boire » (Jean. 19-28 – Mat. 27-34). Si c’est en tant que Dieu qu’il eut soif et que, ayant goûté, il ne voulut pas boire, il était passible comme Dieu, car la soif est passion ainsi que goûter. Si c’est entièrement comme homme et non comme Dieu qu’il eut soif, il avait donc aussi une volonté humaine.

Le bienheureux apôtre Paul nous dit qu’il est «devenu obéissant jusqu’à la mort, à la mort même de la croix» (Phil- 2-8). L’obéissance est la soumission de la réelle volonté ou de la non-réelle ; on ne parle pas d’obéissance ou de désobéissance chez les êtres dénués de raison. Le Seigneur s’est fait obéissant au Père, non en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Comme Dieu il n’est ni obéissant ni désobéissant, car ce sont là des choses placées sous ses mains, dit le divin Grégoire. Le Christ avait donc aussi une volonté humaine.

Quand nous appelons naturelle la volonté, nous ne l’entendons pas soumise à la nécessité, mais au libre-arbitre ; là où est la raison, là est toujours la liberté. Ce n’est pas la seule nature divine incréée qui n’a rien avec la nécessité, mais aussi la nature noétique et créée, et pour la même raison. Dieu en effet est bon par nature, démiurge par nature, Dieu par nature ; tout cela n’a rien avec la nécessité ; car de qui vient la nécessité ?

Notons que le mot : libre-arbitre, couvre plusieurs acceptions, qui se rapportent à Dieu, aux anges et à l’homme. La liberté appartient à Dieu sur-essentiellement; chez les anges le projet marche avec l’exécution sans admettre aucun intervalle de temps ; ils ont par nature la liberté et en usent sans l’entrave, ni la répugnance, ni la révolte du corps ; chez les hommes enfin, le projet est envisagé dans le temps avant l’exécution, car l’homme est libre certes et par nature doué de libre-arbitre, mais il y a l’attaque du diable et la présence du corps et à cause ‘de cette attaque et de la lenteur du corps, l’exécution traîne derrière le projet.

C’est le voulant qu’Adam a obéi, et l’ayant voulu qu’il goûta (du fruit) ; la volonté a donc subi en nous la première passion, mais cette première passion, le Verbe fait chair ne l’a pas assumée avec la nature; c’est pourquoi nous ne sommes pas nés hors du péché.

S’il existe en outre dans notre nature cette puissance, la liberté, qui est son œuvre, et s’il ne l’a pas assumée, c’est ou bien parce qu’il ne l’a pas trouvée bonne, rabaissant ainsi sa propre création, ou bien parce que par jalousie il n’a pas voulu nous rendre la santé totale, elle comprise, se montrant lui-même sujet à la passion, en ne voulant pas ou en ne pouvant pas nous sauver parfaitement.

Il ne peut pas y avoir une chose une qui serait le composé des deux volontés, à la manière d’une hypostase composée des deux natures. D’abord les composés le sont des êtres en hypostase et non de ceux considérés sous un autre rapport que le leur propre. Deuxièmement, si nous parlons de compo­sition des volontés et des énergies nous serons aussi obligés de parler de composition des autres propriétés de nature, l’incréé et le créé, l’invisible et le visible, etc. Et de quel nom qualifier cette volonté composée de deux volontés ? On ne peut donner à ce composé le nom de ce qui la compose, car il faut alors appeler nature et non hypostase le composé des natures. De plus si nous disons qu’il y a une volonté composée en Christ, nous le séparons du Père par la volonté, car la volonté du Père n’est pas composée. Il reste donc que seule l’hypostase du Christ est composée et commune, par ses natures et ses propriétés de natures.

A parler à la rigueur, on ne peut dire que dans le seigneur il y ait un dessein, ni un choix préalable. Ce dessein, en effet, survient après une recherche, une délibération, c’est-à-dire le conseil et le jugement, sur ce que l’on ne connaît pas. C’est une présentation des choses avant la chose jugée. Après lui vient le choix décisif qui élit, choisit une chose plutôt qu’une autre. Or le Seigneur n’est pas un simple homme, il est Dieu aussi; sachant tout, sans besoin d’examen, ni de recherche, ni de délibération, ni d’appréciation, il avait en propre le bien et l’altérité foncière pour le mal. C’est ce que dit en effet le prophète Isaïe « Avant de connaître, l’enfant rejettera le mal et choisira le bien; parce que avant que l’enfant sache ce qui est bien et ce qui est mal, il repoussera le mal pour choisir le bien. » (Es. 7-15). Par cet : avant que, il montre qu’il ne cherche ni ne délibère à notre manière, mais que étant Dieu et divinement sub-stant par la chair, c’est-à-dire uni à la chair par hypostase, il possédait le bien par son être même et toute connaissance. Car les vertus appartiennent à la nature et existent en tous également et naturellement, même si tous nous n’opérons pas également ce que veut la nature. Car nous sommes tombés, après la transgression, du selon la nature dans le contre nature et le Seigneur, du contre au selon la nature, nous a fait remonter : c’est cela le : selon l’image et selon la ressemblance. L’ascèse et ses épreuves ne sont pas conçues pour accroître une vertu importée du dehors, mais pour rejeter le mal et le contre-nature importés; la rouille du fer, de même, ne lui est pas naturelle, mais vient de la négligence; avec un peu de peine nous l’enlevons et mettons à jour l’éclat naturel du fer.

Notons que le mot gnômé a plusieurs significations et emplois. Tantôt il désigne une exhortation, un conseil comme dans ce passage du divin apôtre : « Au sujet des vierges je n’ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne ce conseil… » (1 Cor 7-25) ; tantôt une délibération, comme lorsque le prophète David dit : « Ils ont secrètement délibéré contre ton peuple. » (Ps. 83-4) ; tantôt une sentence, comme dans Daniel : «De qui est venu cette sentence impudente» (Dan. 2-15) ; tantôt quand il s’agit de la foi, d’une opinion, d’un sentiment. Pour être bref, le mot est reçu dans vingt-huit acceptions.

CHAPITRE XV

Les opérations (ou énergies) en notre Seigneur Jésus-Christ.

Nous disons également qu’en notre Seigneur Jésus-Christ il y a deux énergies ; en tant que Dieu et consubstantiel au Père, il a semblablement l’énergie divine; en tant qu’homme consubstantiel à nous, il a l’énergie de la nature humaine.

Notons que autre est l’opération, autre l’opératif, autre l’opéré et autre l’opérant. L’opération d’abord, c’est la motion active et essentielle de la nature ; l’opératif, c’est la nature d’où l’opération s’élance ; l’opéré, c’est l’effet de l’opération ; l’opérant, celui qui use d’opération c’est-à-dire l’hypostase. On appelle aussi opération ce qui est opéré et inversement, comme la création la créature; nous disons toute la création par exemple en voulant dire les créatures.

Notons aussi que l’opération est une motion agie plus qu’agissante comme le dit Grégoire le Théologien dans le sermon sur le Saint-Esprit : « S’il y a une opération, elle sera agie et n’agira pas et après qu’elle aura été agie, elle cessera ».

Notons enfin que la vie même est opération (c’est même la première opération des êtres vivants), ainsi que toute l’économie du vivant : végétatif, croissance ; également la motion par impulsion (donc la sensation) et le mouvement noétique ou libre. L’opération est l’effet d’une puissance. Si donc nous voyons ces choses dans le Christ, nous affirmerons de lui une opération humaine.

La pensée première qui se constitue en nous est dite opération ; c’est une opération simple, on ne peut l’empêcher ; le noûs projette obscurément ses noèmes propres, lesquels précisément lui valent son nom. C’est encore une opération que la mise au jour et l’explication des choses pensées, par le moyen du discours ; celle-ci n’est plus ni simple, ni inévitable, mais se voit dans une relation particulière constituée qu’elle est de pensée et de parole. Cet état même de celui qui fait vis-à-vis de ce qui devient, est opération ; ce qui est accompli parfaitement est aussi une opération, soit que cela ne concerne que l’âme soit que cela concerne l’âme agissant sur le corps, ou que celui-ci soit animé dans cet accomplissement par l’esprit. L’esprit en effet examine d’abord ce qui va se passer et opère à l’aide du corps ; d’où une « hégémonie » de l’âme qui mène et redresse le corps en s’en servant comme d’un organe. Le corps opère autrement ; il est mené et mû par l’âme ; il accomplit son rôle par le contact, la maîtrise et comme la possession de ce qu’il effectue. L’âme accomplit le sien dans la forme et la représentation de ce qui va devenir. Il en est de même pour notre Seigneur Jésus-Christ ; la puissance des miracles était opération de sa divinité ; l’action de ses mains, vouloir et dire : «je le veux, sois pur », c’était, cela, opération de son humanité. L’humain accomplit son rôle dans la fraction du pain, en écoutant le lépreux, en disant : «je veux » ; la divinité accomplit le sien en multipliant les pains et en purifiant le lépreux. Par l’une et l’autre opérations, celle de l’âme et celle du corps, il a montré que l’opération divine est une et la même, innée sur les deux plans. Nous savons les natures unies et pervadant l’une en l’autre, nous ne nions pas leur différence, nous les dénombrons sans les diviser ; de même nous savons que les volontés et les opérations se joignent, nous connaissons leur différence et nous les dénombrons sans introduire de division. La chair a été déifiée sans subir de changement de sa nature propre ; de même, volonté et opération ont été déifiées sans outre – passer leur domaine propre car un est celui qui a voulu et opéré d’une façon et de l’autre, c’est-à-dire divinement et humainement.

Il faut donc dire que le Christ, par ses deux natures, a deux opérations. A nature autre opération différente, et à opération différente autre nature ; et inversement à même nature même opération et à même opération même essence ; cela d’après les Pères qui ont parlé du divin. De deux choses l’une, ou bien on dit qu’il y a une opération en Christ et il faut dire une essence ou bien, et c’est la vérité, nous confessons deux essences, avec l’Évangile et les Pères, et nous confessons aussi deux opérations correspondantes. Étant en effet consubstantiel à Dieu le Père, en divinité, il l’égale aussi en opération ; consubstantiel à nous en humanité, il est notre égal en opération. Le bienheureux Grégoire, évêque de Nysse, dit : « Ceux dont l’opération est une, leur puissance est en tout la même. » Car toute opération accomplit (réalise) la puissance. Il ne peut y avoir une seule nature, opération et puissance, de nature incréée et créée. Si le Christ n’a qu’une opération, rattachons la souffrance des pensées de son âme à la divinité du Verbe; crainte, tristesse, angoisse, veux-je dire.

Si l’on vient nous dire, à cause de cette parole des Saints Pères traitant de la Sainte Trinité : « à même essence même opération et à essence différente, différente opération », qu’il ne faut pas appliquer les choses de la théologie à celles de l’économie[78] , nous répondons : si les Pères n’ont visé là que la théologie et si le Fils après l’incarnation n’a pas même opération que le Père, c’est qu’il n’est pas de la même essence. A qui dès lors attribuerons-nous les paroles : « Mon Père agit jusqu’à présent et moi aussi j’agis (Jean 6-17) ; ce qu’il voit faire à son Père, le Fils le fait semblablement (Jean 5-21) ». Et : « Les œuvres que je fais témoignent de moi (Jean 5-25). » Et : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, le Fils aussi vivifie qui il veut (Jean 5-21) ». Ce qui le montre consubstantiel au Père après l’incarnation et avec la même opération.

En outre si la Providence appartient non seulement au Père et au Saint-Esprit mais aussi au Fils, même après l’incarnation, et si l’opération en va de même, l’opération après l’incarnation est donc la même que celle du Père.

Si de plus nous savons par les miracles que le Christ est de même essence que le Père et si les miracles viennent de l’opération de Dieu, c’est qu’après l’incarnation il a même opération que le Père.

S’il y a une seule opération de sa divinité et de sa chair, elle est composée ; il aura donc une autre opération que le Père ou bien l’opération du Père sera composée. Si l’opération est composée, la nature l’est aussi. Si l’on admet une personne par opération, répondons que si l’on admet une personne par opération, on admet en bonne logique une opération par personne et l’on aura, puisqu’il y a trois personnes, c’est-à-dire trois hypostases dans la Sainte Trinité, trois opérations, ou bien, s’il y a une opération, on n’aura qu’une personne, une seule hypostase ; et cela quand les Saints Pères ont déclaré d’une seule voix que ceux qui ont même essence ont même opération.

De plus, si l’on admet une personne par opération les oracles qui assurent qu’il n’y a ni une ni deux opérations du Christ, ne lui accordent ni une personne ni deux.

Dans une épée chauffée au rouge deux natures sont conservées, celle du feu et celle du fer, donc deux opérations avec leurs achèvements. Le fer coupe et le feu brûle ; la coupe est l’achèvement de l’opération du fer, la brûlure celle du feu ; leur différence est préservée dans la coupure brûlante et la brûlure coupante bien que la brûlure n’aille pas sans la coupure, ni la coupure sans la brûlure après union des deux. Nous ne parlons pas de deux épées brûlantes à cause de la duplicité de l’opération naturelle et nous ne confondons par leurs différences essentielles à cause de l’unicité de l’épée brûlante. Il y a ainsi dans le Christ, sa divinité avec son opération divine et toute puissante, et son humanité, la nôtre. Son humanité s’accomplit dans le geste de prendre la main de l’enfant et de la tirer à lui, sa divinité en lui rendant la vie. Une chose est ceci, une autre celle-là, même si elles sont inséparées l’une de l’autre dans l’opération théandrique. Si, parce que l’hypostase du Seigneur est une, l’opération était une, à cause de l’hypostase une, une serait l’essence.

En outre si nous disons qu’il n’y a dans le Seigneur qu’une opération, elle sera divine, humaine ou ni l’une ni l’autre. Si elle est divine, nous disons que Dieu est seul et dépouillé de notre humanité. Si elle est humaine, nous blasphémons en le disant simplement homme. Si enfin elle n’est ni l’une ni l’autre, il n’est ni Dieu ni homme et n’est consubstantiel ni au Père ni à nous. Car de l’union est venue l’identicité par hypostase, mais la différence des natures n’est pas supprimée. La différence des natures étant sauvegardée, les opérations le sont également. Car la nature ne va pas sans opération.

S’il y a une seule opération du Christ notre Maître, elle sera créée ou incréée, car entre les deux il n’y a ni opération ni nature. Si elle est créée, il ne montrera que la nature créée; si elle est incréée, que la nature incréée. Il faut qu’en tout corresponde à la nature ce qui lui est naturel, et une nature ne peut être privée de ses attributs. L’opération naturelle ne lui provient pas du dehors et montre que la nature ne peut ni être ni être connue sans son opération naturelle. Ce par quoi chacune opère donne son crédit à chaque nature; on n’y peut rien changer.

S’il y a une seule opération en Christ, c’est la même qui fait les choses divines et humaines ; aucun être ne peut, demeurant dans le domaine de sa nature, faire ce qui lui est contraire ; le feu ne peut à la fois refroidir et échauffer, ni l’eau dessécher et mouiller ; comment dès lors celui qui, étant Dieu par nature et devenu homme par nature, accomplirait-il des miracles et souffrirait-il par une seule opération ?

Si donc le Christ a pris l’esprit humain, donc une âme raisonnable et noétique, il a toujours pensé et en tout; l’opération de l’esprit c’est la pensée ; donc le Christ opère comme homme et opère sans cesse.

Le très grand et sage saint Jean Chrysostome, dans l’explication des Actes, deuxième sermon, parle ainsi : « on ne pècherait pas en appelant aussi sa passion un acte, car en supportant tout, il a fait cette œuvre grande et merveilleuse de détruire la mort et d’opérer le reste ».

On définit toute opération, le mouvement essentiel d’un nature, comme nous l’ont transmis ceux qui ont l’expérience de ces choses ; qui dès lors a vu une nature sans cette motion, ou inopérante, ou ait trouvé une opération où n’existe pas de mouvement avec sa puissance naturelle ? Personne de sensé, d’après le bienheureux Cyrille, n’accorderait une seule opération naturelle à Dieu et à sa créature; la nature humaine ne rend pas la vie à Lazare et la nature divine ne pleure pas ; les pleurs sont le propre de l’homme et la vie est celui de la vie en-hypostasiée, mais ils sont conjoints, l’un avec l’autre à cause de ce « même » de l’hypostase[79] . Car le Christ est un et une est sa personne, son hypostase, mais il a deux natures, divine et humaine. De la divinité vient par nature la gloire ; elle est devenue commune à chacune par suite de l’identicité de l’hypostase ; de son humanité d’autre part viennent d’humbles choses communes aussi à chacune. Un et le même est celui qui est l’un et l’autre, Dieu et homme, et à lui, le même, sont les attributs divins et humains. La divinité a opéré des miracles, mais non sans la chair ; et les choses humbles, la chair, mais non séparée de la divinité. La divinité, en restant impassible, était attachée à la chair souffrante et ces souffrances accomplissaient notre salut ; la partie supérieure de son âme (noùs) sainte était attachée à la divinité opérante du Verbe, concevant et pensant à ce qu’il fallait accomplir.

La divinité transmet donc au corps ses propres honneurs, mais elle reste sans participer aux souffrances de la chair. Car la divinité n’a pas souffert de la chair, bien qu’elle ait opéré par son intermédiaire. La chair était comme un organe de la divinité. Si donc dès la prime conception rien n’a été distingué de chaque forme, et si les actions sont venues tout le temps d’une personne unique, tout comme elles ont été inséparables, nous percevons cependant à la qualité des œuvres la qualité des formes.

Le Christ opère donc en chaque nature, et en lui chacune des deux nature opère en communion avec l’autre; le Verbe d’une part opère ce qui est du Verbe, ce qui se réfère au principe et à la souveraineté, dans la liberté et l’autorité de la divinité ; le corps d’autre part opère en vue de la volonté du Verbe, uni à lui, dont il est devenu l’organe, car il n’avait pas l’impulsion de lui-même pour aller au-devant de souffrances naturelles, ni cette répulsion pour les afflictions, ni la prière pour les détourner, ni souffert les maux extérieurs[80] , mais il était poussé selon sa nature par le Verbe qui voulait et permettait, par économie, qu’il souffrît et fît ce qui lui est propre pour qu’on ait foi en la vérité par les œuvres de sa nature.

De même que, suressentiellement il prend corps, porté par la Vierge, ainsi opère-t-il l’humain, au-dessus de l’homme. Avec des pieds terrestres il foule une eau instable ; il ne fait pas les eaux dures comme terre, mais par la puissance surnaturelle de la divinité, il les maintient pour qu’elles ne s’écoulent pas sous le poids de ses pieds matériels. Il n’a pas fait humainement ce qui est humain, car il n’était pas homme seulement mais Dieu, et par là encore ses souffrances se font vivifiantes et salutaires. Il n’a pas opéré divinement non plus ce qu’il fit de divin, car il n’était pas seulement Dieu, mais homme; c’est pourquoi il opère ses miracles par le contact, les paroles, etc.

Si l’on dit : nous parlons d’une seule opération du Christ, non pour supprimer l’opération humaine, mais c’est parce que l’opération humaine est une passion opposée à l’opération divine, que nous disons qu’il y a une seule opération en Christ ; suivant le même raisonnement, nous dirons que ceux qui parlent d’une seule nature le feraient non pour supprimer la nature humaine, mais parce que la nature humaine s’oppose à la nature divine en tant que passible. Quant à nous, n’allons pas déclarer passion la motion humaine à cause de l’intervalle qui la sépare de l’opération divine. Pour parler de façon générale, aucune existence n’est connue ou définie par comparaison ou confrontation, en sorte que les choses qui sont seraient trouvées par un rapport mutuel de causalité. Si donc parce que la motion divine est opération, l’humaine est passion, parce que la nature divine est bonne la nature humaine sera toujours pécheresse ; et inversement c’est parce que la motion humaine est dite passion que la motion divine sera dite opération, et parce que la nature humaine est pécheresse que la nature divine sera bonne ; dès lors toutes les créatures seront mauvaises et trouvé menteur celui qui nous dit : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici c’était très bon ». (Gen. 1-31).

Nous disons, nous, que les Saints Pères ont appelé de diverses façons la motion humaine pour les raisons suivantes. Ils l’ont déclarée, puissance, opération, différence, motion, propriétés, qualité et passion, non par opposition à la nature divine, mais comme puissance de conservation immuable. Opération parce qu’elle caractérise et révèle le permanent dans la variété de l’espèce ; différence, parce qu’elle permet la distinction ; motion, parce qu’elle manifeste ; propriété parce que constituant et se produisant par elle-même et non par quelqu’autre ; qualité, parce qu’elle créé des formes ; passion, parce qu’elle est mue. Tout ce qui, en effet, vient de Dieu et après Dieu, souffre motion c’est-à-dire est mû parce que rien n’a le mouvement en soi-même ni la puissance. Et cela non par opposition, comme on l’a dit, mais par la raison suffisante posée démiurgiquement sur eux par la cause qui a effectué le tout ; de là que tout en la déclarant après la motion divine, ils l’ont proclamée opération. Car celui qui dit : « Chacune des deux formes opère en communion avec l’autre », que fait-il d’autre que celui qui dit : « lorsqu’il eut jeûné quarante jours il eut faim », (Mat. 4-2) (car il a rendu à la nature son opération lorsqu’il le voulut), ou que ceux qui affirment en lui une opération différant selon les cas (ou double, ou autre et autre) ? Car ces choses par antinomie signifient les deux opérations. C’est souvent par l’antinomie que le nombre est indiqué et par les mots : divine et humaine. La différence est une différence entre des choses qui diffèrent ; comment les choses qui n’ont pas l’être diffèreraient-elles ?

CHAPITRE XVI

Contre ceux qui disent : « Si l’homme a deux natures et deux opérations il faut que le Christ ait trois natures et de même trois opérations ».

Chaque homme est un composé de deux natures, l’âme et le corps, et il les possède invariables en lui-même ; on admet donc ces deux natures, dont il garde même après leur union les propriétés naturelles ; car le corps n’est pas immortel mais soumis à la corruption, ni l’âme mortelle mais immortelle ; le corps n’est pas invisible et on ne voit pas avec les yeux du corps l’âme raisonnable, noétique et incorporelle, alors que le corps est opaque, visible et privé de raison.

Ce que l’on distingue par opposition d’essence n’est pas d’une même nature : donc le corps et l’âme n’ont pas une même essence.

En outre si l’homme est un être vivant raisonnable et mortel et si toute définition indique les natures sous-jacentes. le raisonnable par raison de nature n’est pas la même chose que le mortel. Il s’en suit que, suivant cette définition, l’homme n’est pas d’une seule nature.

Si l’on disait l’homme d’une seule nature, on confondrait genre et nature, comme quand nous disons qu’un homme ne diffère pas d’un autre par quelque différence de nature. Mai, tous les hommes sont constitués de la même façon, composés d’âme et de corps, accomplis en deux natures et ramenés à une seule définition. Et cela ne va pas contre ceci : Saint Athanase lorsqu’il disait que toutes les créatures, en tant que créées, ont une même nature, dans le discours l’opposant aux blasphémateurs contre le Saint-Esprit parlait ainsi : « le Saint-Esprit est au-dessus de la créature, autre par rapport à la nature des choses créées, et proprement de la divinité il convient de le redire ». (Ep. 2 à Serap). Tout ce que l’on peut retrouver de commun en beaucoup d’êtres, sans que l’un en possède plus et l’autre moins, on l’appelle essence. Puisque tout homme est constitué d’âme et de corps, on dit d’après cela que les hommes ont une seule nature. Mais dans l’hypostase du Seigneur nous ne pouvons parler d’un seule nature ; en effet celles-ci gardent, même après l’union, leur propriété naturelle et l’on ne saurait trouver un genre des Christs, car nul autre Christ n’est survenu, de la divinité ­ et de l’humanité, qui serait le même, Dieu et homme.

En outre ce n’est pas la même chose d’être un selon le genre de l’homme, et un par l’essence de l’âme et du corps. L’unité du genre humain vient de ce qui est invariable en tous les hommes ; celle de l’essence de l’âme et du corps fait disparaître l’être même de ceux-ci, les amenant à l’inexistence complète. Ou bien en effet le un sera changé en l’essence de l’autre, ou bien il deviendra un autre à partir d’autres, et les deux seront changés, ou bien en demeurant dans leurs propres limites ils seront deux natures. En effet par raison d’essence le corporel n’est pas la même chose que l’incorporel. Il n’est donc pas nécessaire qu’en parlant d’une seule nature chez l’homme (non pas parce que l’âme et le corps seraient essentiellement les mêmes, mais à cause de l’invariant des individus formant un genre), nous disions aussi une seule nature en Christ, là où le genre groupant de nombreuses hypostases n’existe pas.

En outre en tout composé, on ne parle de composition qu’à partir des composants immédiats. On ne dit pas qu’une maison est composée des éléments, eau et terre, mais de briques et de poutres. Aussi bien l’on devrait dire que l’homme est aussi combiné de cinq natures au moins : les quatre éléments et l’âme. Ainsi en notre Seigneur Jésus-Christ nous ne regardons pas les parties des parties, mais les constituants immédiats, divinité et humanité.

Enfin si nous disions qu’il y a deux natures en l’homme, nous serions forcés d’en dire trois en Christ et vous qui parlez des deux natures de l’homme, vous établissez le dogme des trois natures du Christ ; et de même pour les opérations, car l’opération doit correspondre à la nature. Grégoire le Théologien est témoin qu’on dit que l’homme a deux natures ; deux natures, dit-il Dieu, et homme puisque âme et corps. Et dans son sermon sur le baptême il déclare : «Nous sommes double, âme et corps, de nature visible et invisible ; la purification est donc double, d’eau et d’esprit ».

CHAPITRE XVII

De ce que la nature de la chair du Seigneur et sa volonté ont été déifiées.

Il faut savoir que ce n’est pas par changement de nature, variation, altération ou confusion qu’on dit la chair du Seigneur déifiée et devenue semblable à Dieu, et Dieu : Grégoire le Théologien l’affirme : « … Ceux dont l’un a déifié et l’autre a été déifié et, j’ose dire, fait semblable à Dieu ; et ce qui a oint est devenu homme, et Dieu ce qui est oint » (Or. 39). Et en effet cela ne vient pas d’un changement de nature, mais par union, dans l’économie, je veux dire l’union hypostatique, en laquelle il est uni au Dieu Verbe, et par la périchorèse l’une ou l’autre des natures, comme lorsque nous parlons de la chaleur du fer. Car de même que nous confessions l’in-humanisation sans changement ni variation, nous reconnaissons de même la déification de la chair ; parce que le Verbe est devenu chair, il n’a pas quitté les limites de sa divinité propre ni les honneurs divins qui lui revenaient, et la chair déifiée n’a certes pas changé sa nature habituelle ni ses propriétés naturelles. Même après l’union, les natures sont restées inconfondues et leurs propriétés indemnes ; la chair du Seigneur fut remplie des énergies divines par l’union, sans mélange, avec le Verbe, c’est-à-dire hypotastique, et sans jamais rejeter ses propriétés naturelles. Elle n’a pas opéré le divin selon son opération propre, mais par le Verbe uni à elle et démontrant à travers elle sa propre opération. Le fer échauffé brûle, non que par raison de nature il possède l’énergie de brûler, mais parce qu’il s’est uni au feu.

Cette chair était donc mortelle en elle-même, et vivifiante par l’union hypostatique avec le Verbe. Nous disons de la même manière : il y a déification de la volonté, non que sa motion naturelle ait changé mais par union à la volonté divine et toute puissante du Verbe et parce que devenue volonté du Dieu fait homme. De là que, voulant se cacher il ne l’ait pu par lui-même parce que le Dieu-Verbe jugeait bon qu’apparût en lui véritablement l’existence de la faiblesse de la volonté humaine (Marc. 7-24) ; et que, d’autre part, il ait opéré, en voulant, la purification du lépreux par l’union avec la volonté divine.

Notons combien la déification de la nature et de la volonté démontre et signifie deux natures et deux volontés. La brûlure ne change pas la nature de ce qui est brûlant en celle du feu mais montre qu’il y a le brûlant et le brûlé, deux, et non une, natures[81] . Ainsi la déification n’achève pas une seule nature composée, mais deux et leur union hypostatique. Grégoire le Théologien dit donc : « Ceux dont l’un a déifié et l’autre a été déifié ». Par ces mots : ceux…, l’un…, et l’autre…, il a montré les deux natures.

CHAPITRE XVIII

Encore au sujet des volontés, des libertés, des intellects, des connaissances et des sagesses.

En disant le Christ Dieu parfait et homme parfait, accordons-lui entièrement tout ce qui vient de son Père et tout ce qui vient de sa Mère : il est devenu homme pour que celui qui fut vaincu, vainquît. Il n’était en effet pas impossible à celui qui peut tout, d’arracher, dans sa liberté et sa toute puissance, également l’homme au tyran, mais c’eût été un sujet de contestation pour le tyran, qui avait vaincu l’homme, d’avoir été contraint par Dieu. Dans sa miséricorde et son amour pour l’homme, Dieu désirant que se montrât vainqueur celui qui était tombé, se fit homme, restaurant le semblable par le semblable.

Que l’homme soit un être vivant raisonnable et noétique, personne ne le conteste ; comment alors est-il devenu homme, s’il a pris une chair sans âme ou une âme sans noûs ? Car tel n’a jamais été l’homme. Et que gagnerions-nous de l’in-humanisation, si n’est sauvé celui qui a souffert le premier, et s’il n’est renouvelé et revigoré par le rattachement à la divinité ? Car ce qui n’est pas assumé n’est pas non plus guéri. Il a donc assumé l’homme tout entier, même quand ce qu’il avait de plus beau eût été abattu et sans force, afin que tout entier il eût la grâce du salut. Il n’y a pas de noûs privé de sagesse et de connaissance; si donc il est dénué aussi d’opération et de motion, il est complètement inexistant.

Le Dieu Verbe voulant donc renouveler le « selon l’image », est devenu homme. Qu’est-ce que ce «selon l’image», si ce n’est pas le noûs ? Le meilleur étant perdu, il a assumé le pire ; car le noûs est intermédiaire de Dieu et de la chair ; de la chair parce que habitant avec elle, de Dieu parce que à son image. Le noûs se mêle donc au noûs[82] et se met à mi-chemin de la pureté de Dieu et de l’épaisseur de la chair ; si donc le Seigneur a assumé une âme sans le noûs, il a assumé l’âme d’un être sans raison.

L’évangéliste dit que le Verbe a été fait chair. Mais il faut savoir que pour les Saintes Écritures, l’homme est tantôt une âme : « Jacob entra en Égypte avec 75 âmes ». (Gen. 46-27), tantôt une chair : « Toute chair verra le salut de Dieu ». (Isaïe 40-5, Luc. 3-6). Le Seigneur est donc venu comme homme et non comme chair sans âme ou sans noûs. Il dit d’ailleurs lui-même : « Pourquoi frappes-tu un homme qui vous a dit la vérité. » (Jean. 8-40). Il a donc assumé une chair, animée d’une âme raisonnable, noétique, menant la chair et menée par la divinité du Verbe.

Par nature donc, il lui appartenait de vouloir et comme Dieu et comme homme ; l’humain suivait et se soumettait à sa volonté, sans être mû suivant son propre dessein mais voulant ce que voulait sa divine volonté. La volonté divine le permettant, il souffrit avec ce qui est propre à la nature (humaine). Lorsqu’il repoussa la mort, c’est sa divine volonté qui le voulut et permit qu’il repoussât la mort, fût à l’agonie et dans la crainte. Et lorsque, au contraire, sa divine volonté voulut que son humaine et mortelle volonté choisît la mort, la passion devint volontaire pour celle-ci. Car ce n’est pas seulement comme Dieu qu’il se donna volontairement à la mort, mais aussi comme homme. Par là à nous aussi il donne la grâce de l’audace envers la mort. C’est pourquoi il dit, avant de souffrir pour notre salut : « Père, s’il est possible que cette coupe s’éloigne de moi ». (Mat. 26-39, Luc 22-42), ce qui montre que c’est en tant qu’homme qu’il allait boire la coupe, et non en tant que Dieu. Homme, il désire que la coupe s’éloigne ; d’où ces mots venus de la frayeur naturelle : « Que ma volonté ne se fasse pas (c’est-à-dire puisque je suis d’une autre essence que toi), mais la tienne. » C’est-à-dire la mienne et la tienne, car je te suis consubstantiel ; ces paroles sont à nouveau celle du courage, l’âme du Seigneur a été éprouvée d’abord dans la faiblesse de la nature, et a souffert par sympathie naturelle à la séparation d’avec le corps, parce que dans sa bienveillance il s’était fait homme comme nous ; mais fortifié de nouveau par la volonté divine, il reprend courage contre la mort. Il était entièrement Dieu dans son humanité et entièrement homme dans sa divinité ; comme homme il a soumis lui-même, en lui-même et pour lui-même, l’humain à Dieu le Père, nous donnant en lui l’exemple et le modèle de l’obéissance au Père.

C’est librement qu’il voulut de sa volonté divine et humaine. La libre volonté est entièrement innée en toute nature raison­nable. Quel sens aurait le raisonnable si ce n’est de raisonner librement ? Le démiurge en effet a imparti un désir naturel aux êtres sans raison qui les amène par force à la conservation de leur nature. Privés de raison ce désir naturel les conduit, ils ne le conduisent pas, de là que dès l’apparition de ce désir, ils s’élancent pour le satisfaire car ils n’ont l’usage ni de la raison, ni du conseil, ni de l’examen, ni du jugement ; de là aussi qu’on ne les loue pas de chercher la vertu, ni qu’on les disent bienheureux, ni qu’on les châtie pour avoir mal fait.

La nature raisonnable possède un désir naturel mené par la raison et maintenu dans les bornes de la nature. Car la supériorité de la raison c’est cela, la volonté libre, que nous appelons motion naturelle dans le raisonnable. C’est pourquoi on la loue quand elle cherche la vertu, on la proclame bienheureuse ; et on la châtie quand elle cherche ce mal.

L’âme du Seigneur a donc voulu librement, mais elle a voulu librement ce que la volonté divine voulait qu’il voulût. Car la chair du Seigneur n’était pas mue sur un signe du Verbe ; c’est Moïse et tous les Saints qui ont été mus par un signe divin ; mais le même qui était Dieu et homme a voulu selon la volonté divine et humaine ; c’est pourquoi ce n’est pas par le dessein mais plutôt par puissance naturelle que les deux volontés du Christ diffèrent l’une de l’autre. Car sa volonté divine était sans commencement, tout puissante avec la puissance correspondante, et impassible, et sa volonté humaine commença dans le temps, elle supporta les passions irréprochables de sa nature ; elle n’était pas par nature tout puissante bien que, devenue véritablement par nature celle du Verbe de Dieu, elle fut aussi tout puissante.

CHAPITRE XIX

De l’opération Théandrique.

Le bienheureux Denys, avec sa notion nouvelle d’une certaine opération théandrique, (opération dont le Christ aurait usé envers nous) dit, sans supprimer les opérations des natures, qu’il y a une seule opération venue du divin et de l’humain ; on pourrait alors parler d’une nature nouvelle et unique, venue des natures divine et humaine, car ceux dont l’opération est une ont, d’après les Saints Pères, une seule essence. Mais il voulait montrer la nouveauté inexprimable de la manifestation des opérations naturelles du Christ, de la périchorèse, des natures du Christ concourant de façon indicible l’une avec l’autre sa manière d’agir, étrange et paradoxale du point de vue humain, inconcevable par nature pour les êtres, et, enfin, le mode de ce don réciproque selon l’union ineffable. Car nous ne disons pas que les natures sont séparées, ni qu’elles opèrent séparément mais que, en union, chacune opère en communion avec l’autre ce qui lui est propre. Il n’a ni opéré humainement les choses humaines, puisque il n’était pas un simple homme, ni les choses divines comme Dieu seulement, c’est-à-dire qu’il n’était pas un Dieu «nu » mais qu’il existait à la fois et comme Dieu et comme homme. De même que nous savons l’union des natures et leur différence naturelle, de même nous savons celles des volontés et des opérations naturelles.

Sachons donc que, en parlant de notre Seigneur Jésus-Christ, notre propos porte tantôt sur ses deux natures, tantôt sur une personne et que les deux cas nous ramènent à la même pensée ; les deux natures sont un seul Christ et le Christ un a deux natures ; cela revient au même de dire que le Christ opère en chacune de ses natures ou que chaque nature opère en Christ en communion avec l’autre. Donc la nature divine, d’une part, communie avec la chair opérant, parce que la bienveillance et la volonté divines lui permettent de souffrir et de faire ce qui lui est propre et en ce que l’opération de la chair a constamment été salutaire, ce qui n’est pas de l’opération humaine mais divine. La chair, d’autre part, communie à la divinité du Verbe qui a opéré en accomplissant avec le corps comme avec un organe, ses opérations divines et parce que celui qui opérait divinement et humainement était un.

Il faut savoir que son saint noûs opère aussi selon sa nature propre, saisissant et sachant qu’il est noûs de Dieu[83] ; et qu’il est adoré par toute la création, invoqué par les affligés et ceux qui souffrent sur sa terre ; il communie à la divinité opérante du Verbe, qui règle et gouverne le Tout, saisissant, sachant et réglant non comme le noûs d’un simple homme, mais uni à Dieu par hypostase et fait noûs de Dieu.

C’est donc cela que montre l’opération théandrique : Dieu s’est fait homme, donc il s’in-humanise, et son opération humaine était également divine, donc déifiée, non à – part de son opération divine ; et son opération divine n’était pas à – part de son opération humaine, chacune des deux apparaissant avec l’autre. On appelle périphrase le tour qui permet de comprendre deux choses en une seule expression. Comme quand nous disons qu’il n’y a qu’une coupure brûlante ou qu’une brûlure coupante d’une épée rougie au feu, alors que nous disons que couper et brûler sont deux choses, et autre leur nature à chacun : au feu celle de brûler, à l’acier celle de couper. De même il y a, disons-nous, une seule opération théandrique du Christ et nous entendons les opérations de ses deux natures ; l’opération divine de sa divinité, celle, humaine, de son humanité.

CHAPITRE XX

Des passions naturelles et irréprochables.

Nous confessons qu’il a assumé toutes les passions naturelles et irréprochables de l’homme, car il a pris l’homme tout entier et tout ce qui est sien, sauf le péché. Le péché n’est pas naturel ni semé en nous par le démiurge ; c’est la semence du diable recueillie volontairement dans notre libre-arbitre, elle ne nous est pas imposée de force. Les passions naturelles et irréprochables sont celles qui ne dépendent pas de nous et qui par suite de la condamnation pour transgression sont entrées dans la vie humaine : la faim, la soif, la fatigue, la peine, les larmes, la corruption, répulsion de la mort, la frayeur, l’angoisse et ses sueurs, ses gouttes de sang, le secours des anges dans la faiblesse naturelle, etc. ; toutes existent dans la nature humaine.

Il a tout assumé afin que tout fût guéri. Il a été tenté et a vaincu pour nous préparer la victoire et donner à la nature la puissance de vaincre l’adversaire pour que la nature autrefois vaincue, par le moyen des épreuves mêmes où elle avait été vaincue, vainquît à son tour celui qui autrefois l’avait vaincue.

Donc le mal s’attaqua à lui de l’extérieur, comme pour Adam ; pas par des raisonnements car pour Adam ce ne fut pas par des raisonnements, mais par le serpent. Mais le Seigneur repoussa l’attaque et la dissipa comme une fumée en sorte que, les passions qui l’attaquent vaincues, celles-ci nous soient plus faciles à combattre et que le nouvel Adam sauve l’ancien.

Sans doute nos passions naturelles et selon la nature étaient-elles en Christ au-dessus de la nature. Selon la nature elles suivaient leur cours en lui quand il permettait à la chair de subir ce qui lui est propre ; au-dessus de la nature parce que ces passions naturelles en Christ ne précédaient pas sa volonté ; jamais on n’a pu voir en lui rien de forcé, tout fut volontaire. C’est le voulant qu’il eut faim, le voulant qu’il eut soif, le voulant qu’il eut crainte, le voulant qu’il mourut.

CHAPITRE XXI

De l’ignorance et de la servitude.

Il faut savoir qu’il a assumé la nature ignorante et asservie ; la nature de l’homme est servante de celui qui l’a faite, Dieu, et ne possède pas la connaissance de ce qui est à venir. Si donc, d’après Grégoire le Théologien, tu sépares ce que tu perçois des yeux et ce que tu perçois par l’esprit, la chair est ignorante et servile : par l’identicité de l’hypostase et l’union ineffable, l’âme du Seigneur eut la plénitude de la connaissance et le reste des pouvoirs miraculeux. De même que par nature, la chair des hommes n’est pas vivificatrice, de même la chair du Seigneur, unie par hypostase au Dieu Verbe, n’était pas d’un côté exempte de la mort, et d’un autre devint vivificatrice par l’union hypostatique au Verbe et il n’est pas possible de dire qu’elle n’était et n’est pas toujours vivifiante. De même la nature humaine ne possède pas essentiellement, la connaissance de l’avenir, mais l’âme du Seigneur, par l’union avec lui du Dieu Verbe et l’identicité hypostatique. eut la plénitude, comme je l’ai dit, avec le reste des pouvoirs miraculeux, de la connaissance des choses à venir.

Il faut savoir aussi qu’il ne nous est pas non plus possible de l’appeler serviteur, car les mots servitude, domination ne font pas connaître la nature, mais ce qui s’y rapporte, comme ceux de paternité, de filialité. Ce qui n’indique pas l’essence, mais la relation. De même disons-nous donc de l’ignorance. Si tu sépares par de fines pensées, c’est-à-dire de subtiles considérations de l’intellect, le créé de l’incréé, la chair est servile à moins d’être unie au Dieu Verbe ; une fois unie par hypostase, comment serait-elle servile ? Le Christ est un, il ne peut donc être esclave de lui-même et Seigneur ; ces mots ne sont pat à prendre absolument, mais visent une relation. Et de qui serait-il serviteur ? Du Père ? Mais le Fils alors n’a pas tout ce qu’a le Père, puisqu’il est serviteur du Père et non de lui-même. Et pourquoi l’Apôtre dit-il «… de sorte que vous n’êtes plus serviteurs mais fils », (Gal. 4-7), de nous, devenus fils grâce à lui, si lui est serviteur ? On le désigne de ce nom, non qu’il soit serviteur, mais parce qu’il a pris pour nous la forme d’un serviteur et qu’avec nous il est appelé serviteur. Étant impassible, il s’est assujetti aux passions à cause de nous et est devenu le ministre de notre salut. Enfin ceux qui l’appelles esclave divisent le Christ un en deux, comme les Nestoriens. Quant à nous, nous disons qu’il connaît tout, lui Maître et Seigneur de toute créature, Christ un, le même à la fois Dieu et homme. « Car en lui sont tous les trésors cachés de la sagesse et de la connaissance » (Col. 2-3).

CHAPITRE XXII

De la Progression.

On dit qu’il progressait en sagesse, en âge et en grâce parce que, avec les années, il manifestait la sagesse existant en lui ; et encore parce qu’il faisait son propre progrès, dans ce progrès des hommes en sagesse et en grâce, et dans l’accomplissement de la bienveillance du Père, c’est-à-dire la connaissance de Dieu et le salut des hommes, en s’appropriant toujours ce qui est nôtre[84] . Quant à ceux qui disent qu’il progresse en sagesse et en grâce par une acquisition additive de celles-ci, ils nient que l’union n’était pas dès la prime existence de la chair ni ne proclament l’union hypostatique, mais avec le vain Nestorius je crois qu’ils déclarent une monstrueuse union relationnelle et une simple inhabitation « ne sachant ni ce qu’ils disent ni au sujet de quoi ils font leurs affirmations » (I Tim. FI). Si c’est réellement que la chair, dès la prime existence, s’est unie au Dieu Verbe, ou plutôt exista en lui, et s’il a eu l’identicité hypostatique envers elle, comment n’aurait-il eu la plénitude parfaite de sagesse et de grâce ? Non que celle-ci ait partagé la grâce, ou qu’elle ait participé par grâce à ce qui est au Verbe, mais plutôt par l’union hypostatique les choses divines et les choses humaines sont devenues un seul Christ, et le même qui était à la fois Dieu et homme répandait la grâce, la sagesse et la plénitude de tous les biens dans le monde[85] .

CHAPITRE XXIII

De la crainte.

On entend le mot : crainte de deux manières. Il y a une crainte naturelle, l’âme ne veut pas se séparer du corps parce que au commencement a été placée en elle par le Démiurge une sympathie naturelle et une familiarité qui lui font redouter et repousser la mort avec angoisse. Telle est sa définition : la crainte naturelle est une force qui nous attache à l’être avec angoisse. Si toute chose a été amenée par le Démiurge du non-être à l’être et non vers le non-être, il y a donc en tous un élan vers ce qui soutient chacun d’eux. Et le Dieu Verbe devenu homme a donc eu cette tendance, montrant d’une part le désir de ce qui soutient la nature, en ayant envie de nourriture, de boisson, de sommeil et en ayant connu par nature l’épreuve de leur besoin ; d’autre part la répulsion pour ce qui détruit comme il sentit, lors de la passion, l’angoisse de la mort. Cependant si c’est par la loi naturelle que cela lui est survenu, ce n’est pas comme à nous par nécessité, car c’est de plein gré en le voulant qu’il l’a accepté. De sorte que cette crainte, la frayeur et l’angoisse, sont des passions naturelles irréprochables et non sujettes au péché.

Il y a aussi une crainte survenant à la pensée de la trahison, de l’infidélité, de l’heure de la mort, comme lorsque nous redoutons la nuit le bruit de quelqu’un qui arrive ; celle-ci est anti-naturelle et nous disons pour la définir : une crainte anti-naturelle est angoisse irraisonnée. Le Seigneur ne l’a pas éprouvée. C’est pourquoi il n’a jamais eu peur, si ce n’est au moment de la passion, même si souvent il s’est échappé pour l’économie (du salut), car jamais il n’a ignoré les temps.

Qu’il ait véritablement eu de la crainte, saint Athanase le dit dans le sermon contre Apollinaire : « C’est pour cela que le Seigneur disait : maintenant mon âme est troublée. Ce maintenant veut dire, lorsqu’il voulut, quoiqu’il montrât ce qui était, car il ne disait pas ce qui n’était pas comme si cela était et comme si ce qu’il disait n’avait qu’une apparence de réalité. Tout est arrivé en vérité et naturellement ». Et plus loin : « Jamais la divinité n’a admis la souffrance sans que le corps ait souffert. ni montré de trouble ou de tristesse sans que l’âme ne fût troublée ou triste, ni elle ne pria et ne fut tourmentée sans que la pensée priât ou se tourmentât ; et cela ne survint pas par une faiblesse de nature ; non, cela arriva par démonstration d’existence ». Ne pas survenir par faiblesse de nature, signifie qu’il ne l’avait pas enduré involontairement.

CHAPITRE XXIV

Sur la prière du Seigneur.

La prière c’est une montée de l’esprit vers Dieu ou la demande à Dieu de ce qu’il nous faut. Comment se fait-il alors que le Seigneur ait prié pour Lazare et au moment de la Passion ? Son saint intellect n’avait pas besoin de s’élever vers Dieu, dès lors qu’il était uni par hypostase au Dieu Verbe, ni de demander quoique ce soit puisque le Christ est un. Mais en s’appropriant notre personne, en devenant modèle pour nous, il nous apprenait à prier Dieu, à nous élever vers lui avec son intellect saint nous ouvrant la route de cette montée vers Dieu. De même qu’il a enduré les passions et nous a pré­paré le moyen de les vaincre, ainsi priait-il, nous ouvrant la route, je le répète, qui monte vers Dieu, accomplissant pour nous toute justice, comme il le disait à Jean, nous réconciliant avec le Père, qu’il honorait comme cause et comme principe, et montrant qu’il ne s’oppose pas à Dieu. Lorsqu’il disait de Lazare : « Père je te rends grâce que tu m’aies écouté. Je savais, moi, que tu m’écoutes toujours, mais j’ai parlé pour la foule qui m’entoure, pour qu’ils sachent que tu m’as envoyé » (Jean 12-42), est-ce qu’il ne coule pas de source pour tous qu’il rend honneur à son Père comme à sa cause en parlant ainsi et qu’il montre qu’il n’est pas son adversaire ?

Lorsqu’il disait : « Père, s’il est possible, que cette coupe s’éloigne de moi ; toutefois non comme je veux mais comme tu veux ». (Mat. 26-39) n’est-il pas évident qu’il nous enseigne qu’il faut, dans les tentations, demander le secours de Dieu, préférer la volonté divine à la nôtre et qu’il montre combien véritablement il s’est approprié notre nature et a en vérité deux volontés naturelles correspondant à ses natures mais non opposés entre elles ? « Père, dit-il (il lui est donc consubstantiel), s’il est possible », ce n’est pas qu’il l’ignore, car qu’y a-t-il d’impossible à Dieu ?, mais il nous apprend à préférer la volonté divine à la nôtre ; seul est impossible, ce que Dieu ne veut ni ne permet. « Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». En tant que Dieu il a même volonté que le Père, en tant qu’homme il montre la volonté naturelle humaine, et celle-ci par nature implore en repoussant la mort.

C’est en s’appropriant notre propre personne qu’il dit : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ». Car le Père, si ce n’est en distinguant par de subtiles considérations ce qui tombe sous les yeux de ce que perçoit le noûs[86] , ne pouvait être dit son Dieu, comme pour nous et, quant à lui, sa propre divinité ne l’a jamais quitté, mais c’est nous qui étions abandonnés et oubliés, et c’est en s’appropriant notre personne qu’il a prié ainsi.

CHAPITRE XXV

L’appropriation.

Il faut distinguer deux sortes d’appropriations. L’une de nature et d’essence, l’autre de personne et de manière d’être. De nature et d’essence, lorsque le Seigneur, dans son amour de l’homme, a assumé notre nature et ce qui la concerne, en devenant homme par nature et en vérité, et éprouvé en tant que tel. De personne et d’état lorsqu’on endosse la personne d’un autre par état (par lien de pitié, je veux dire, ou d’amour) et qu’à sa place on prononce pour lui les paroles qu’il ne sait dire ; c’est ainsi qu’il s’est approprié notre malédiction et notre abandon, choses qui n’étaient pas naturelles et non que lui-même fut cela ou le fut devenu, mais parce que, se chargeant de notre personne, il s’est mis à notre rang; c’est cela le : « devenu malédiction pour nous ». (Gal. 2-13)

CHAPITRE XXVI

Des souffrances du corps du Seigneur et de l’impassibilité de sa divinité.

Le Verbe même de Dieu a tout enduré dans la chair, sa divine et seule impassible nature demeurant impassible. En effet le Christ un, composé de divinité et d’humanité, était dans la divinité et dans l’humanité ; le passible a souffert dans ce qui en lui était appelé à souffrir ; l’impassible en lui n’a pas souffert avec le premier. Car l’âme, étant passible, souffre et subit avec le corps quand on le blesse, bien que non blessée elle-même; la divinité étant impassible, n’a pas souffert avec le corps.

Il faut ne pas ignorer que nous disons que Dieu a souffert par la chair, mais jamais que la divinité a souffert par la chair ou que Dieu a souffert à travers la chair. Si le soleil éclairant un arbre que l’on abat à la hache, n’est pas touché par ce hachage et reste impassible, combien plus la divinité impassible du Verbe, unie à la chair par hypostase, demeure-t-elle impassible pour la chair qui souffre. De même si l’on verse de l’eau sur un fer rougi au feu, ce dont la nature est de souffrir de l’eau, le feu veux-je dire, s’éteint, et le fer reste indemne ; sa nature est telle que l’eau ne le touche pas. Combien plus, quand la chair souffre, la divinité seule impassible n’admet-elle nulle passion, en reste séparée. Inutile que les exemples soient totalement ressemblant. Il faut ne considérer dans les exemples que ce qui est semblable et ce qui est opposé. S’ils étaient semblables en tout, ils seraient la réalité elle-même, non des exemples ; spécialement pour les choses divines, car on ne saurait trouver, c’est impossible, des exemples semblables en tout lorsqu’on parle soit de théologie soit de l’économie.

CHAPITRE XXVII

La divinité du Verbe reste inséparablement unie à l’âme et au corps, même dans la mort du Seigneur et l’hypostase reste une.

Notre Seigneur Jésus-Christ était sans péché « car il n’a pas commis de péché, celui qui ôte le péché du monde, ni la ruse ne s’est trouvée dans sa bouche » (Es. 53-9, Jean I-29), et il ne fut pas soumis à la mort, bien que par le péché la mort fût entrée dans le monde. Il meurt donc, celui qui pour nous accepte la mort, et il s’offre au Père en sacrifice pour nous. Nous avions commis une faute contre lui, il devait, lui, se faire rançon pour nous délier par là de notre condamnation ; qu’on nous épargne que ce sang du Seigneur ait été offert au tyran. C’est pourquoi la mort s’avance, avale l’appât du corps et se blesse au hameçon de la divinité et, ayant goûté le corps qui n’a point péché et qui donne la vie, elle se corrompt et vomit tout ce qu’elle avait autrefois avalé. Les ténèbres s’effacent quand survient la lumière, ainsi disparaît la corruption sous l’attaque de la vie ; la vie vient en tous et la corruption au corrupteur.

C’est pourquoi même mort comme homme et son âme sainte séparée de son corps immaculé, sa divinité est restée inséparée de l’un et de l’autre, le corps et l’âme j’entends, et l’hypostase une ne s’est ainsi pas divisée en deux hypostases ; le corps et l’âme eurent en effet de la même façon l’existence dans l’hypostase du Verbe et, séparés l’un de l’autre par la mort, chacun d’eux continue d’avoir l’hypostase une du Verbe. De sorte que l’hypostase une du Verbe était l’hypostase et du Verbe et de l’âme et du corps, car jamais l’âme ni le corps n’ont eu leur propre hypostase à côté de celle du Verbe et l’hypostase du Verbe est toujours une et non double. L’hypostase du Christ est donc toujours unique. Même si l’âme s’est séparée du corps, par le Verbe elle lui était unie hypostatiquement.

CHAPITRE XXVIII

Corruption et destruction.

Le mot phtora a deux significations. Il signifie en effet les souffrances humaines comme faim, soif, fatigue, enfoncement des clous, mort, c’est-à-dire séparation de l’âme et du corps, etc. En ce sens disons que le corps du Seigneur est corruptible puisqu’il a assumé volontairement tout cela. La phtora signifie ensuite l’achèvement du corps en les éléments qui le constituaient, c’est la dissolution et la disparition : ce que le plus souvent on appelle la destruction. Le corps du Seigneur n’a pas subi cette épreuve, comme le dit le prophète David : « Tu n’enfermeras pas mon âmedans le schéol et tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption». (Ps. 15-10).

C’est pourquoi c’est de l’impiété que de dire avec Julien et Gaianus, ces insensés, que le corps du Seigneur, avant la résurrection, est incorruptible au premier sens de ce terme, car s’il est ainsi incorruptible, il ne nous est pas consubstantiel et c’est en apparence et non en réalité qu’il y a eu ce que nous dit l’Évangile, la faim, la soif, les clous, le flanc percé, la mort. Si ce ne fut qu’une apparence, le mystère de l’économie est un simulacre et une mise en scène, et si c’est en apparence et non en vérité qu’il s’est fait homme, nous sommes sauvés en apparence et non en vérité. Il suffit. Ceux qui disent cela n’ont point part au salut. Quant à nous, nous avons rencontré le salut véritable et nous le gardons. Nous confessons d’autre part selon le second des sens du terme, c’est-à-dire indestructible, que le corps du Seigneur était incorruptible, comme nous l’ont transmis les Pères Théophores ; assurément après larésurrection des morts du Sauveur, et selon le premier sens, nous disons que le corps du Seigneur était incorruptible. A notre propre corps, le Seigneur a donné la résurrection et avec cela l’incorruptibilité, par son propre corps, lui qui était les prémisses de la résurrection, de l’incorruptibilité et de l’impassibilité, « car, dit le divin apôtre, le corruptible doit revêtir l’incorruptibilité » (I Cor. 15-53)

CHAPITRE XXIX

De la descente en enfer.

L’âme déifiée est descendue en enfer. Le soleil de justice s’était levé sur ceux de la terre, de même la lumière a brillé sur ceux qui sous la terre reposent dans les ténèbres et l’ombre de la mort ; et de même qu’il a annoncé à ceux qui sont sur la terre la paix, la libération aux prisonniers, le recouvrement de la vue aux aveugles, et qu’il a été la cause d’un salut éternel pour ceux qui croient, et pour ceux qui ne croient pas l’épreuve de l’infidélité, de même a-t-il fait pour ceux qui sont en enfer, « afin que devant lui tout genou fléchisse dans le ciel, sur terre et sous la terre » (Phil. 2-10). Après avoir ainsi délivré les enchaînés depuis les siècles, il est revenu des morts en nous ouvrant le chemin de la résurrection.

LIVRE IV

CHAPITRE I

Après la résurrection des morts.

Après la résurrection des morts toutes les passions ont disparu ; la corruption, j’entends, telle que faim, soif, sommeil, fatigue, etc. Même s’il prit de la nourriture après la résurrection, ce ne fut pas par une loi naturelle mais pour l’économie ; car il n’avait pas faim mais authentifiait ainsi la réalité de la résurrection et le fait qu’elle était bien celle de la chair qui avait souffert et ressuscité. Il n’a rejeté aucune partie de notre nature, ni le corps ni l’âme, mais il a possédé le corps, l’âme raisonnable, noétique, volitive et opérative, et les a assis à la droite du Père ; voulant et opérant notre salut, divinement et humainement ; divinement d’une part par la prévoyance, la garde et la direction de toute chose ; humainement d’autre part en se souvenant de ceux qui sont sur la terre, vivant avec eux, voyant et sachant que toute créature raisonnable l’adore. Car son âme sainte sait qu’elle est unie selon l’hypostase au Dieu-Verbe et qu’elle est adorée comme âme de Dieu et non, simplement, comme âme. Monter de la Terre au Ciel et en redescendre encore sont des opérations d’un corps qui s’est limité « car il reviendra de nouveau vers vous, dit l’Écriture, de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel ». (Act. I-II).

CHAPITRE II

Du siège à la droite du Père.

Nous disons que le Christ s’est assis à la droite de Dieu le Père corporellement, mais nous ne tenons pas la droite du Père pour localisable. Comment ce que l’on ne peut cerner aurait-il une droite localisable ? La droite et la gauche sont des choses délimitées. Par droite du Père nous entendons la gloire et l’honneur de la divinité, où celui qui existait comme Fils de Dieu avant tous les siècles comme Dieu et consubstantiel au Père, s’est assis corporellement après qu’il se soit incarné et que sa chair ait été glorifiée ; il est adoré d’une même adoration avec sa chair par toute créature.

CHAPITRE III

A ceux qui disent : « si le Christ a deux natures, ou bien vous rendez un culte à la créature en adorant la nature créée, ou bien vous dites qu’il y a une nature adorable et une non adorable ».

Nous adorons le Fils de Dieu, avec le Père et le Saint-Esprit, lui qui était incorporel avant son humanité et qui maintenant s’est fait chair, devenu homme sans cesser d’être Dieu. Sa chair donc, selon sa nature à elle, serait à ne pas adorer parce que créée si tu distingues en de subtiles considérations ce que tu vois de ce que tu perçois de ton intellect ; unie au Dieu Verbe, elle est adorée à cause de lui et en lui. De la même manière l’empereur est vénéré qu’il soit revêtu ou non de la pourpre, et celle-ci en tant que telle est foulée aux pieds, négligée, mais en tant que vêtement impérial, elle est vénérée et on lui rend gloire ; celui qui la traiterait indignement serait condamné à mort et autres châtiments. De même on peut toucher un bois ordinaire, mais présenté au feu et devenu brandon on ne le peut plus, non en lui-même mais parce que le feu s’est mêlé à lui ; la nature du bois ne possède pas l’intouchabilité ; c’est le brandon, c’est-à-dire le bois enflammé. Ainsi la chair qui de sa propre nature n’est pas adorable, est adorée dans le Dieu Verbe incarné, non en elle-même mais dans le Dieu Verbe uni à elle par hypostase; nous ne disons pas que nous adorons une simple chair, mais la chair de Dieu, c’est-à-dire Dieu incarné.

CHAPITRE IV

Pourquoi le Fils de Dieu s’est-il fait homme et non le Père ou l’Esprit, et qu’a-t-il redressé après s’être fait homme ?

Le Père est Père et non Fils ; le Fils est Fils et non Père ; l’Esprit est Saint-Esprit et non Père ni Fils. La propriété est immuable ; comment une propriété perdurerait-elle si elle changeait et tombait dans le mouvement ? A cause de cela le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme, pour que sa pro­priété immuable demeurât. Étant Fils de Dieu, il est devenu Fils de l’homme, incarné de la Sainte Vierge, sans sortir de sa propriété de Fils.

Le Fils de Dieu s’est fait homme afin que ce pourquoi il avait fait l’homme lui fût à nouveau donné en grâce ; il l’a fait en effet à son image, noétique et libre, et à sa ressemblance, c’est-à-dire parfait en vertus dans la mesure où la nature de l’homme le permet ; celles-ci sont en effet comme des caractères de la nature divine ; absence de souci, d’inquiétude, de trouble, bonté, sagesse, justice, liberté vis-à-vis de tout mal. Il l’avait donc établi en communion avec lui (car il l’a fait pour la non corruption et par la communion avec lui il l’a élevé à l’incorruptibilité). Et puisque par la transgression du commandement nous avons obscurci, laissé perdre les caractères de l’image divine et sommes tombés dans le mal, nous avons été dépouillés de la communion divine « car quelle part le lumière a-t-elle avec les ténèbres ? » (1 Cor. 6-4) ; et nous sommes sortis de la vie, tombés dans la corruption de la mort ; parce qu’il nous avait donné ce qu’il y a de meilleur et que nous ne l’avons pas gardé, il a pris pour lui le pire – je veux dire notre nature – afin que par lui et en lui il renouvelât le « à l’image et à la ressemblance », et que d’autre part il nous apprît à vivre selon ces vertus, nous en facilitant en lui-même l’acquisition, qu’il nous délivrât de la corruption par la communion à la vie, lui prémisse de notre résurrection, qu’il renouvelât ce vase inutile et brisé, pour nous délivrer de la tyrannie du diable en nous appelant à la connaissance de Dieu et qu’enfin il nous redonnât vigueur et nous enseignât à combattre et à vaincre le tyran dans la patience et l’humilité.

Le culte des démons a donc cessé, la créature a été sanctifiée par le sang divin, les bois sacrés et les temples des idoles sont détruits, la connaissance de Dieu vit en nous, on rend un culte à la Trinité consubstantielle, la divinité incréée, le Dieu un et véritable, le Demiurge et le Seigneur. Les vertus sont pratiquées, l’espérance de la résurrection nous est donnée par la résurrection du Christ, les démons tremblent, eux qui naguère tenaient les hommes entre leurs mains ; et le plus merveilleux c’est que tout cela a été réalisé par la croix, les souffrances et la mort. Par toute la terre l’Évangile de la connaissance divine est annoncé et ce, non par la guerre, ni les armes, ni les troupes tournées contre l’ennemi, mais par quelques pauvres hommes, nus, illettrés, pourchassés, brutalisés, condamnés à mort, annonçant celui qui a été crucifié dans sa chair et mis à mort. Et ils sont venus à bout des sages et des puissants, car la toute-puissance du crucifié les accompagnait. La mort naguère si redoutée est vaincue, et elle qui autrefois était haïe et détestée est préférée à la vie : voilà ce qu’a obtenu la venue du Christ, voilà les signes de sa puissance. Moïse avait libéré un seul peuple des Égyptiens, de l’esclavage du Pharaon, en fendant la mer. Lui, a tiré toute l’humanité de la corruption de la mort et de la tyrannie amère du péché. Il n’amène les pêcheurs à la vertu ni par force, ni en les engloutissant sous terre[87] , ni en les flambant au feu, ni en les lapidant, mais en persuadant par la douceur et la bonté les hommes de choisir la vertu, de lutter pour elle dans les épreuves et d’y trouver leur joie. Autrefois ceux qui péchaient en portaient la peine ; encore persistaient-ils dans leur péché et le péché pour eux était un dieu ; aujourd’hui c’est pour la piété et la vertu que l’on maltraite, torture et met à mort.

Merci, ô Christ, Verbe de Dieu, sagesse, puissance et Dieu tout-puissant ; que te rendrons-nous en échange de tout cela, nous pauvres incapables ? Tout est à toi et tu ne demandes rien de nous, si ce n’est d’être sauvé alors que c’est toi-même qui nous l’accordes et qui, dans ton inexprimable bonté, rends grâce à ceux qui la prennent. A toi la grâce qui nous a donné d’être et d’être bienheureux dans cette grâce, à toi qui, dans ton inexprimable condescendance, nous y ramène quand nous en sommes tombés.

CHAPITRE V

A ceux qui demandent si l’hypostase du Christ est créée ou incréée ?

Avant l’incarnation, l’hypostase de Dieu le Verbe était simple, non composée, incorporelle, incréée ; après s’être incarnée elle est devenue hypostase de chair, composée de la divinité qu’elle n’a pas cessé de posséder et de la chair qu’elle assumait ; elle porte les particularités des deux natures et se fait connaître en deux natures en sorte que la même et unique hypostase est incréée par divinité et créée par humanité, qu’elle est visible et invisible ; nous sommes obligés, en disant qu’il y a deux hypostases, ou de diviser le Christ un, ou de nier la différence des deux natures et d’introduire changement et confusion.

CHAPITRE VI

Quant a-t-elle été appelée : le Christ ?

Ce n’est pas avant l’incarnation à partir de la Vierge, comme certains le prêchent faussement, que le noûs a été uni au Dieu Verbe, et alors appelé Christ. Ce sont les absurdes radotages d’Origène qui enseignent la préexistence des âmes. Pour nous, nous disons que le Fils et Verbe de Dieu est devenu le Christ, du moment où il a fait sa demeure dans le sein de la Sainte toujours Vierge, où il s’est fait chair sans changement et où la chair a reçu l’onction de la divinité ; ce qui est l’onction de l’humanité, comme le dit Grégoire le Théologien. Le Très Saint Cyrille d’Alexandrie écrit ceci à l’empereur Théodose : « quant à moi je dis qu’il ne faut donner le nom de Jésus-Christ ni au Verbe de Dieu sans humanité, ni certes, au temple enfanté par une femme, non uni au Verbe. Ce n’est que selon son union inexprimable à l’humanité, par économie, que le Verbe venu de Dieu est saisi comme Christ ». Et il dit à l’impératrice : « Certains disent que le nom de Christ ne convient qu’au seul Verbe venu de Dieu, conçu et existant proprement en lui-même ; mais on ne nous a enseigné ni à le penser ni à le dire, car c’est seulement quand le Verbe est devenu chair que nous disons qu’il a été appelé le Christ Jésus ; il a été oint de l’huile d’allégresse, c’est-à-dire de l’Esprit, et c’est alors qu’il fut appelé le Christ. Et que ce soit là l’onction de l’humain nul n’en douterait parmi ceux qui ont accoutumé de juger droitement ». Et Athanase, que l’on célèbre partout, dit dans son sermon sur l’Épiphanie salutaire : « Le Dieu qui préexistait à sa venue dans la chair, n’était pas homme mais était Dieu auprès de Dieu[88] , invisible, impassible. Le nom de Christ, à cause de la chair, lui est donné lorsqu’il est devenu homme parce qu’à ce nom sont jointes la passion et la mort ».

Que si la divine Écriture déclare : « C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’huile d’allégresse » (Ps. 44-8), on doit savoir que souvent la divine Écriture use de temps passé pour un temps futur; par exemple : «Après cela il s’est montré sur la terre et mêlé aux hommes». (Bar. 3-38). Or jamais Dieu ne s’est montré ni mêlé aux hommes, après ces paroles. De même : « Sur les fleuves de Babylone, là nous sommes allés et nous avons pleuré ». Or jamais cela n’est arrivé.

CHAPITRE VII

Pour ceux qui demandent si la Sainte Théotokos a engendré deux natures et si deux natures ont été pendues à la croix.

Agénéton et généton, écrits avec un seul n, se rapportent à la nature ; ils veulent dire incréé et créé. Mais agennéton et gennéton c’est-à-dire l’engendré et l’inengendré, marqués par deux n, se rapportent non à la nature mais à l’hypostase. La nature divine est donc, d’une part, incréée et tout ce qui, d’autre part, vient après la nature divine est créé. On considère donc dans la nature divine incréé, l’agenneton dans le Père, car il n’est pas engendré ; le genneton dans le Fils, qui, éternellement, est engendré par le Père ; et la procession du Saint-Esprit. Les premiers spécimens des genres des êtres vivants sont inengendrés mais non incréés ; ils sont créés par le Démiurge, mais non pas engendrés par leurs semblables. La genesis en effet est création ; la gennesis (engendrement), de Dieu, c’est la voie du Fils consubstantiel venu du seul Père ; lorsqu’il s’agit des corps, c’est la voie de l’hypostase consubstantielle qui vient par relation mâle-femelle. Par là nous savons que l’engendrer ne réfère pas à la nature mais à l’hypostase. S’il référait à la nature on ne verrait pas dans la nature l’engendré et l’inengendré[89] . La Sainte Théotokos a donc engendré l’hypostase connue en deux natures, l’une divine engendrée par le Père hors du temps, l’autre à la fin, incarnée dans le temps de la Vierge et enfantée par la chair.

Mais si nos contradicteurs insinuent que l’engendré par la Sainte Théotokos est deux natures, nous disons : oui, il est deux natures car c’est le même qui est Dieu et homme. De même pour la crucifixion, la résurrection, l’ascension. Le Christ étant en deux natures, a donc souffert, dans la nature passible et a été crucifié ; car il a été mis en croix dans sa chair et non dans sa divinité. D’ailleurs si nous leur demandions : les deux natures sont-elles mortes ?, ne diraient-ils pas que non. Donc ce n’est pas deux natures qui ont été crucifiées ; mais le Christ a été engendré, c’est-à-dire que le Verbe divin s’est in-humanisé ; il a été engendré dans la chair, crucifié dans la chair, il a souffert dans la chair, est mort dans la chair, demeurant impassible dans sa divinité.

CHAPITRE VIII

Pourquoi appelle-t-on premier-né le Fils monogène de Dieu ?

Le premier engendré est dit premier-né qu’il soit monogène ou le premier parmi d’autres frères. Si donc l’on disait le Fils de Dieu premier-né mais sans dire monogène, nous croirions qu’il est premier-né des créatures, lui-même étant créature. Puisqu’on le dit et premier né et monogène, il faut lui conserver l’un et l’autre titres. Nous le disons « premier-né de toute créature » (Col. I-15) puisque lui est de Dieu et que la création aussi est de Dieu, mais lui seul est venu de l’essence de Dieu le Père, en dehors du temps ; c’est avec raison qu’on le dit Fils monogène premier-né et non premier-créé. Car la création n’a pas été amené du non-être à l’être à partir de l’essence du Père, mais par sa volonté. « Premier-né de beaucoup de frères », (Rom. 8-29), car il était le fils unique également de sa mère mais puisqu’il a partagé, comme notre prochain, la chair et le sang et s’est fait homme, nous sommes nous aussi fils de Dieu à travers lui, par l’adoption du baptême ; lui-même Fils de Dieu par nature, est devenu premier-né parmi nous; nous fils de Dieu par acquisition et par grâce et devenus ainsi ses frères. D’où cette parole « Je monte vers mon Père et votre Père » (Jean 20-17). Il ne dit pas : notre Père, mais mon Père pour marquer la nature, et : votre Père pour marquer la grâce. Et : «mon Dieu et votre Dieu». Il ne dit pas notre Dieu mais mon Dieu et si l’on saisit la pensée profonde derrière les apparences : votre Dieu c’est le Démiurge et Seigneur.

CHAPITRE IX

De la foi et du baptême.

Nous confessons un seul baptême pour effacer les péchés et pour la vie éternelle, car le baptême signifie la mort du Seigneur ; nous sommes donc ensevelis avec le Seigneur par le baptême, comme le dit le divin apôtre. De même que le Seigneur n’est mort qu’une fois, de même devons-nous n’être baptisés qu’une fois, baptisés selon la parole du Seigneur, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, confessant le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Ceux qui sont baptisés dans le Père et le Fils et le Saint-Esprit, à qui l’on a enseigné la nature unique de la divinité en trois hypostases, re-crucifient le Christ si on les baptise à nouveau, comme le dit le divin apôtre : « il est impossible à ceux qui ont été illuminés une première fois…, de se renouveler dans la repentance ; ils ont recrucifié en eux-mêmes le Christ l’exposant à l’ignominie. » (Hébr. 6-6). Ceux qui n’ont pas été baptisés dans la Sainte Trinité doivent être rebaptisés, car si le divin apôtre dit que nous «avons été baptisés en Christ et en sa mort» (Rom. 6-3) il ne dit pas que ce doive là être l’épiclèse du baptême, mais que le baptême est la figure de la mort du Christ. Le baptême, avec sa triple immersion, signifie les trois jours au tombeau du Christ. Être baptisé en Christ signifie que ceux qui croient sont baptisés en lui et l’on ne peut croire au Christ, sans avoir appris à confesser le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Car le Christ est le Fils du Dieu vivant, qu’a oint le Père avec le Saint-Esprit, comme le dit le divin David : « C’est pourquoi Dieu, ton Dieu t’a oint, d’une huile d’allégresse au-dessus de tes compagnons. » (Ps. 45-7). Et Isaïe dit de la face du Seigneur : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a oint » (Isaïe 61-1). Cette épiclèse, le Seigneur l’enseigna à ses propres disciples quand il leur dit : « les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Puisque Dieu nous avait faits pour l’incorruptibilité, nous qui avons transgressé son commandement salutaire, il nous a condamnés à la corruption de la mort pour que le mal ne fût pas immortel; par miséricorde il a condescendu à des esclaves et devenu comme nous il nous a délivrés de la corruption par sa propre passion ; il fait couler de son côté saint et immaculé une source de délivrance, l’eau qui nous fait renaître et nous lave du péché et de la corruption, le sang, breuvage procurant la vie éternelle. Il nous a donné le commandement de renaître d’eau et d’esprit, le Saint-Esprit étant présent dans l’eau par la prière et l’épiclèse. L’homme est double, corps et âme, il nous a donc donné une double purification par l’eau et le Saint-Esprit; le Saint-Esprit nous renouvelle « à l’image et à la ressemblance », l’eau par la grâce du Saint-Esprit purifie le corps du péché et délivre de la corruption ; l’eau exprime l’image la mort, l’Esprit dispense les arrhes de la vie.

Au commencement en effet « l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux » ; l’Écriture témoigne que dès alors l’eau était purificatrice. Au temps de Noé Dieu a submergé le péché du monde. Ce qui était impur selon la loi était enlevé par l’eau, les vêtements mêmes étaient lavés à l’eau ; Élie montra que la grâce du Saint-Esprit était mêlée à l’eau en faisant brûler l’holocauste avec l’eau. Et presque tout d’après la loi était purifié par l’eau. Or les choses visibles sont les symboles des choses intelligibles et assurément la régénération est psychique car la foi, quoique nous soyions créature, sait par le Saint-Esprit donner l’adoption filiale et conduire à la félicité originelle[90] .

L’effacement des péchés est donc donné à tous semblablement par le baptême, et la grâce du Saint-Esprit par l’analogie de la foi et de la purification qui précède. Maintenant donc par le baptême nous recevons les prémisses du Saint-Esprit, et la nouvelle naissance devient le commencement, le sceau, la sauvegarde et la lumière d’une autre vie.

Il nous faut de toutes forces nous garder purs, sans faillir, des œuvres malpropres, et non comme les chiens retourner à des vomissements, pour ne pas être à nouveau les esclaves du péché. Car la foi sans les œuvres est morte, comme les œuvres sans la foi ; la foi s’éprouve dans les œuvres.

Nous sommes baptisés dans la Sainte Trinité parce que ce qui est baptisé à besoin, pour se constituer et se préserver, de la Sainte Trinité ; et il est impossible que les trois hypostases ne soient pas présentes à la fois; la Sainte Trinité est indivisible.

Le premier baptême, celui du déluge a amputé le péché. Le deuxième est celui dans la mer et dans la nuée ; la nuée est le symbole de l’Esprit, la mer celui de l’eau. Le troisième c’est celui de la Loi ; quiconque était impur faisait des ablutions à l’eau, les vêtements mêmes étaient lavés, pour reparaître dans le camp. Le quatrième est celui de Jean pour initier et amener les baptisés à la repentance pour qu’ils croient au Christ. «Moi je vous baptise, dit-il, dans l’eau ; mais il vient après moi quelqu’un qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et le feu. » (Mat. 3-11). Jean fait donc une purification préalable pour le Saint-Esprit. Le cinquième est celui du Seigneur celui dont lui-même a été baptisé, non qu’il eût besoin d’une purification mais pour s’approprier ma propre purification, broyer les têtes des dragons dans l’eau, laver mon péché, et pour que tout le vieil Adam fût enseveli dans l’eau ; pour sanctifier le baptême, pour que s’accomplisse la loi, que se dévoile le mystère de la Trinité, pour être le type et la figure de ce qu’est : être baptisé. Nous aussi nous sommes baptisés du baptême parfait du Seigneur, celui de l’eau et de l’Esprit. Le Christ, dit-on aussi, baptise de feu, car la grâce du Saint-Esprit s’est répandue sur les saints Apôtres sous forme de langues de feu, comme le dit le Seigneur lui-même : « Jean a baptisé d’eau, vous vous serez baptisés dans l’Esprit et le feu dans peu de jours. » (Act. I-5) ; il y a aussi le baptême du châtiment par le feu à venir. Le sixième, c’est celui de la repentance et des larmes, il est douloureux. Le septième est celui du sang et du martyre, celui dont le Christ même a été baptisé pour nous ; auguste et bienheureux, il n’est pas touché par de nouvelles souillures. Le huitième, le dernier, n’est pas salutaire ; il fait disparaître le mal car le mal et le péché cessent d’agir, et il châtie éternellement.

C’est sous la forme corporelle d’une colombe, que le Saint-Esprit a fait irruption, montrant les prémisses de notre baptême et rendant honneur au corps, puisque lui aussi, le corps, était Dieu par déification, et qu’aussi bien une colombe autrefois avait annoncé la fin du déluge. Il descend sur les saints Apôtres sous forme de feu, car il est Dieu; « Dieu est le feu consumant » (Deut. 4-24).

L’huile est reçue au baptême ; elle indique notre onction, faisant de nous des christs et nous promettant la miséricorde de Dieu par le Saint-Esprit ; la colombe aussi ramenait, vers ceux qui avaient été sauvés du déluge, un rameau d’olivier.

Jean qui posa sa main sur la divine tête du maître, fut aussi baptisé dans son propre sang.

Il ne faut pas retarder le baptême, lorsque les œuvres témoignent de la foi de ceux qui s’y présentent, car celui qui obtient le baptême par ruse sera davantage condamné que cela ne lui servira.

CHAPITRE X

De la foi.

La foi est double : « La foi vient en écoutant. » (Rom. 10-17)[91] . En écoutant les divines Écritures, nous avons la foi par l’enseignement du Saint-Esprit et celle-ci est rendue parfaite par tout ce qu’a institué le Christ, en croyant à son œuvre, en vénérant et en pratiquant ses commandements, lui qui nous a renouvelés. Celui qui ne croit pas suivant la tradition de l’Église catholique, ou qui communie avec le diable par des œuvres honteuses, voilà l’incroyant.

En outre : « La foi est la substance des choses que l’on espère, la preuve de celle que l’on ne voit pas. » (Heb. 1-1); c’est aussi l’espoir, qui ne doute ni ne discute de ce que Dieu nous a annoncé et de l’exaucement de nos prières. La première vient de notre conscience , la seconde des charismes de l’Esprit.

Il faut savoir que par le baptême nous sommes circoncis de tout ce voile (qui nous couvre) depuis la naissance, c’est-à-dire du péché. Spirituellement nous devenons israélites et peuple de Dieu.

CHAPITRE XI

De la croix, et à nouveau, de la foi.

«Le Verbe crucifié est une folie pour ceux qui périssent ; pour nous qui sommes sauvés c’est une puissance de Dieu (1 Cor. 1-23) ; l’homme spirituel juge de toute chose, l’homme psychique ne comprend pas les choses de l’Esprit (1 Cor. 2-15) ».

C’est en effet une folie pour ceux qui ne le reçoivent pas avec foi et qui discutent la bonté et la toute puissance de Dieu, car ils sondent les choses divines avec les raisonnements de la nature humaine. Tout ce qui est de Dieu est au-dessus de la nature, des mots et de la pensée. Si l’on réfléchit comment tout est venu du non-être à l’être, pourquoi Dieu l’a manifesté et si l’on veut exprimer cela en raisonnements naturels, on n’arrive à rien car c’est là une connaissance toute psychique et démoniaque. Mais que, pris par la main de la foi, on réfléchisse au Dieu bon, tout-puissant, vrai, sage et juste, alors tout sera aisé, uni, et une route directe trouvée. On ne peut être sauvé en dehors de la foi ; la foi soutient tout, l’humain et le spirituel. Sans la foi le laboureur n’ouvrirait pas ses sillons à la terre, ni le marchand ne confierait sa vie à un faible bois et aux fureurs de la haute mer, ni les époux ne s’engageraient l’un avec l’autre, ni l’on ne ferait quoi que ce soit dans la vie. C’est par la foi que nous comprenons que tout est venu du non-être à l’être par la puissance de Dieu, par la foi que nous nous dirigeons droitement dans les choses divines et humaines. La foi est un assentiment sans recherches vaines.

Toutes les actions du Christ, tous ses miracles sont grands, divins et merveilleux, mais le plus admirable de tous, c’est sa croix vénérable, car rien d’autre ne détruit la mort et le péché de notre premier père, ne dépouille l’enfer, ne donne la résurrection et la force de mépriser les choses présentes, et la mort même ; rien d’autre ne nous fait trouver le retour à notre félicité originelle, ne nous ouvre les portes du paradis, n’a assis notre nature à la droite de Dieu, ne nous a fait devenir enfants et héritiers de Dieu, rien d’autre que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. Par la croix tout est réformé : « Nous qui avons été baptisés en Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés (Rom. 6-3); nous qui avons été baptisés en Christ nous avons revêtu le Christ (Gal. 3-27). Le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu (Cor. 1-24)». Voici que la mort du Christ, c’est-à-dire la croix, nous a revêtus de la sagesse et de la puissance en-hypostasiées de Dieu.

Le Verbe crucifié est puissance de Dieu, soit qu’il fasse par Lui éclater ce qui est possible à Dieu, c’est-à-dire la victoire sur la mort, soit que, à la façon des branches de la croix tenues et rassemblées en leur milieu par le centre, la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur, c’est-à-dire tout le visible et l’invisible de la création, soient maintenus cohérents.

Il nous a été donné le signe sur le front, comme à Israël la circoncision ; en lui, nous croyants, nous nous distinguons des incroyants et nous nous reconnaissons. C’est le bouclier, l’arme et le trophée contre le diable. C’est le sceau, pour que l’ange exterminateur nous épargne, comme dit l’Écriture. C’est le redressement de ceux qui gisent à terre, la fermeté de ceux qui sont debout, le bâton des faibles, la houlette des brebis, la main tendue à ceux qui tombent, la perfection de ceux qui progressent, le salut de l’âme et du corps, l’éviction de tous les vices, le médiateur de tous les biens, la disparition du péché, la plante de la résurrection et l’arbre de la vie éternelle.

C’est pourquoi ce bois vénérable, véritablement digne de piété, sur lequel le Christ s’est offert lui-même pour nous, est adorable en tant que sanctifié par son saint corps et par son sang ; et aussi les clous, la lance, les vêtements, les lieux sacrés où il a séjourné (la crèche, la grotte, le Golgotha salutaire, le tombeau vivifiant, cet acropole de la Sion des Églises), et autres choses semblables. Comme le dit David, l’ancêtre de Dieu : « Nous entrerons dans son tabernacle, nous adorerons au lieu où se sont tenus ses pieds ». La suite montre qu’il parle de la croix : « Lève-toi, Seigneur, dans ton repos ». (Ps. 131-7). La Croix est suivie de la résurrection. Si nous affectionnons des choses qui nous sont chères comme la maison, le lit, le vêtement, combien plus celles du Dieu sauveur, par lesquelles aussi nous sommes sauvés.

Et nous adorons également le type de la croix vénérable et vivifiante, même tirée d’une autre matière : nous ne vénérons certes pas la matière, mais le type, qui est le symbole du Christ. Il a dit en effet à ses propres disciples comme s’il leur léguait son testament : « alors apparaîtra le signe du Fils de l’homme dans le ciel ». (Mat. 24-30), voulant parler de la croix. C’est pourquoi aussi l’ange de la résurrection dit aux femmes : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ». Il y a beaucoup de christs et de Jésus, mais il y en a un seul crucifié. Il ne dit pas : percé d’une lance, mais crucifié. Il faut donc adorer le signe du Christ, car là où est son signe, lui y est aussi. Quant à la matière dont on a fait l’image de la croix, quoique la pierre ou l’or soient dignes de respect, il n’y a pas à adorer une fois l’image détruite. Nous adorons donc tout ce qui est consacré à Dieu, en reportant sur lui la piété.

Le bois de vie, celui que Dieu planta au paradis, a préfiguré cette croix vénérable, car la mort étant venue par le bois, il fallait que par le bois fussent données la vie et la résurrection ; Jacob le premier, en se prosternant devant le sommet du bâton de Joseph, a réalisé l’icône de la croix et de même, en bénissant ses enfants avec ses mains croisées, il a très clairement désigné le signe de la croix. Le bâton de Moïse frappa la mer comme une croix et sauva Israël en plongeant Pharaon dans l’abîme ; ses mains étendues en croix faisaient fuir Amaleck ; le bois adoucit l’amertume de l’eau, il fissure la pierre et en fait sourdre l’eau. Le bâton d’Aaron lui assure la dignité du sacerdoce. Le serpent a été élevé sur le bois, quoique mort, et le bois sauvait ceux qui regardaient avec foi à l’adver­saire mort, comme le Christ qui dans la chair du péché a été cloué au bois sans qu’il ait connu le péché. Le grand Moïse déclare : « Vous verrez votre vie pendue au bois devant vos yeux ». (Deut. 28-66) et Isaïe : « Tout le jour j’ai étendu mes mains vers un peuple incrédule et discuteur ». (Es. 55-2). Nous qui adorons cela, puissions-nous trouver part auprès du Christ crucifié. Amen.

CHAPITRE XII

De l’adoration vers l’Orient.

Ce n’est pas légèreté ou hasard que nous adorions tournés vers l’Orient. Notre nature est constituée de visible et d’invisible, les sens et l’intellect, double est donc l’adoration que nous offrons au Démiurge ; nous chantons avec l’intelligence et avec les lèvres, nous sommes baptisés d’eau et d’Esprit, de même nous unissons-nous deux fois au Christ en participant par les sacrements et par la grâce de l’Esprit.

Dès lors donc que Dieu est lumière intelligible et que le Christ est nommé soleil de justice (Math. 4-2) et Orient (Zac. 3-8), dans les Écritures, on doit lui consacrer l’Orient pour l’adorer. Tout ce qui est bon doit être consacré à Dieu, par qui tout ce qui est bon se bonifie. Et le divin David dit : «Royaumes de la terre, chantez à Dieu, psalmodiez au Seigneur lui qui est monté sur les cieux des cieux à l’Orient » (Ps. 67-33). L’Écriture dit encore : « Dieu planta le paradis en Eden à l’Orient ; là il plaça l’homme qu’il avait modelé »; celui-ci ayant péché il le fit sortir, « et le fit demeurer à l’opposé du paradis de délices » (Gen. 2) c’est-à-dire au couchant. C’est donc en cherchant l’ancienne patrie et en regardant à elle que nous adorons Dieu. Le tabernacle de Moise avait aussi sa tente et son propitiatoire vers l’Orient. La Tribu de Juda, parce que plus honorée, campait à l’Orient. Dans le temple célèbre de Salomon la porte du Seigneur était encore à l’Orient. Enfin le Seigneur sur la croix regarda vers le couchant et nous nous prosternons donc les yeux tournés vers lui. A l’Ascension, il fut porté vers l’Orient ; c’est ainsi que les apôtres l’adorèrent, et ainsi reviendra-t-il comme il l’a dit lui-même : « Comme l’éclair part de l’Orient et éclaire jusqu’à l’Occident, ainsi sera la parousie du Fils de l’homme ». (Mat. 24-27). C’est donc en l’attendant que nous adorons vers l’Orient. C’est une tradition non écrite des apôtres, mais beaucoup de choses nous sont ainsi parvenues.

CHAPITRE XIII

Des Saints et immaculés mystères du Seigneur.

Bon, tout bon et au-dessus du bon, est Dieu, lui qui est entièrement bonté ; dans la richesse surabondante de sa bonté, il n’a pas supporté d’être seul bon (ce qui est sa nature) sans que nul n’y participât, mais au contraire, grâce à lui[92] , il a fait d’abord les puissances noétiques et célestes ; ensuite le monde visible et sensible, et l’homme noétique et sensible. Tout ce qui est venu de lui communie par l’être à sa propre bonté, car il est, lui, l’être de toute chose « puisqu’en lui sont toutes choses» (Rom. II-36); et cela non seulement parce que c’est lui qui les a amenées du non-être à l’être, mais aussi parce que sa propre énergie garde et maintient ce qui est venu de lui ; surtout les êtres vivants, parce qu’ils communient à sa bonté et par la vie et par l’être. Et de même les êtres raisonnables y communient, tant parce que nous disions que par (et surtout) ce raisonnable; ils sont les plus proches de Lui, quand bien même est-il incomparablement au-dessus.

Assurément l’homme, né raisonnable et libre, reçut la liberté d’être par choix personnel continuellement uni à Dieu, du moins s’il persistait dans le bien, c’est-à-dire l’obéissance au créateur. Mais venu à transgresser le commandement de celui qui l’avait fait, lui, il tomba sous le coup de la mort et de la corruption. L’Auteur et le Démiurge de notre race, dans ses entrailles de miséricorde, s’est fait semblable à nous, devenu tout l’homme sauf le péché, et s’est uni à notre nature. Il nous avait livré sa propre image et son propre esprit et nous ne les avons pas gardés ; il a donc partagé, lui, la faiblesse et la pauvreté de notre nature pour nous rendre purs et incorruptibles et nous faire participer à sa divinité.

Il fallait donc avoir partagé non seulement les prémisses de ce qu’il y a de meilleur dans notre nature, mais tout l’homme avec sa volonté, être né d’une deuxième naissance et nourri d’une nouvelle nourriture qui correspondît à cette naissance, et parvenir le premier au degré de la perfection. Par sa naissance, c’est-à-dire son incarnation, son baptême, sa passion, sa résurrection, il a libéré la nature de notre premier père du péché, de la mort et de la corruption ; il est devenu prémisses de la résurrection, il s’est posé lui-même comme chemin, type et exemple afin que nous aussi en suivant ses traces, nous devenions par don ce que lui est par nature, fils et héritiers de Dieu, cohéritiers avec lui. Il nous a donc, comme je l’ai dit, donné une deuxième naissance de façon que, de même que nés d’Adam nous lui étions semblables, nous, héritiers de la malédiction et de la corruption, de même en naissant de lui, nous lui soyons semblables, héritant l’incorruptibilité, la bénédiction et la gloire.

Dès lors qu’il est l’Adam spirituel, il fallait qu’il y ait une naissance spirituelle, et semblablement une nourriture. Mais nous sommes doubles et composés, il fallait donc que la nais­sance fût double, tout comme la nourriture, composée. La naissance nous a donc été donnée d’eau et d’Esprit, c’est celle du Saint Baptême. La nourriture, c’est le pain même de vie, notre Seigneur Jésus-Christ, qui est descendu des Cieux. Au moment d’aller pour nous à une mort volontaire, il laissa la nuit où il fut livré un Nouveau Testament à ses saints disciples et apôtres et à travers eux à tous ceux qui croient en lui. Et dans le cénacle de la sainte et glorieuse Sion, en mangeant l’ancienne pâque avec ses disciples et en accomplissant ainsi l’Ancien Testament, il lava les pieds des disciples, symbole du saint baptême. Ayant ensuite rompu le pain, il le leur donna en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est rompu pour vous en rémission des péchés ». De même prenant la coupe de vin et d’eau, il la leur donna en disant : « Buvez-en tous, ceci est mon sang, celui de la nouvelle alliance, répandu pour vous,en rémission des péchés; faites ceci en mémoire de moi ; chaque fois que vous mangerez de ce pain et boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Fils de l’homme et confirmerez sa résurrection jusqu’à ce qu’il revienne ». (Mat. 26).

Que si « la parole de Dieu est vivante et efficace » (Heb. 5-12) et si « tout ce que veut le Seigneur, il le fait » (Ps. 134-6) ; s’il dit : que la lumière soit, et elle fut, qu’il y ait un firmament et il fut ; si « les cieux ont été affirmés par la parole de Dieu et par le souffle de sa bouche toute leur puissance » (Ps. 32-6) ; si le ciel, la terre, l’eau, le feu, l’air et toute leur ordonnance ont été accomplis par la parole de Dieu, et par dessus tout cet être dont on a tant parlé, l’homme ; si le Dieu Verbe a voulu se faire homme et s’est donné sans semence une chair avec le sang très pur et intact de la Sainte toujours Vierge ; si donc tout cela, ne peut-il faire du pain son corps, et du vin et de l’eau son sang ? Il dit au commencement « que la terre produise une herbe verte », et jusqu’à présent, la pluie venue, elle pousse ses jets par le précepte divin qui fait jaillir et fortifie. Dieu dit : ceci est mon corps, et : ceci est mon sang, et : faites ceci en mémoire de moi, et cela se produit par son précepte tout-puissant jusqu’à ce qu’il revienne ; car ce sont ses paroles : jusqu’à ce qu’il revienne. Et la pluie, dans cette nouvelle culture, vient par l’épiclèse, c’est la puissance ad-ombrante du Saint-Esprit[93] . De même que tout ce que Dieu a fait, il l’a fait par l’opération du Saint-Esprit, de même aujourd’hui encore l’opération du Saint-Esprit opère-t-elle ce qui est au-dessus de la nature et que ne peut saisir que la foi. «Comment cela m’arrivera-t-il, dit la Sainte Vierge, puisque je ne connais point d’homme». L’ange Gabriel répond : « L’Esprit Saint descendra sur toi et la puissance du Très-Haut t’adombrera ». (Luc. 1-30). Et tu demandes encore comment le pain devient corps du Christ, et le vin et l’eau sang du Christ ? moi je te dis : le Saint-Esprit fait irruption et accomplit cela qui surpasse toute parole et toute pensée.

C’est de pain et de vin que l’on se sert parce que Dieu connaît la faiblesse de l’homme (la plupart repoussant, comme trop difficiles à admettre, les choses qui sortent de l’ordinaire) et se servant de sa coutumière condescendance, il fait par le coutumier de la nature ce qui est surnaturel. Pour le baptême, parce que c’est la coutume des hommes de se laver avec de l’eau et de s’oindre d’huile, il a ajouté la grâce du Saint-Esprit à l’eau et à l’huile et en a fait l’ablution de régénération. De même puisque l’homme a coutume de manger du pain et de boire du vin et de l’eau, il leur a joint sa divinité et les a faits son corps et son sang, afin que, par l’accoutumé et le naturel, nous parvenions au surnaturel.

C’est un corps véritablement uni à la divinité que le corps venu de la Sainte Vierge ; ce n’est pas que le corps élevé dans le ciel en redescende, mais c’est le pain même et le vin qui sont changés en corps et sang de Dieu. Si tu recherches de quelle façon cela se fait, qu’il te suffise d’entendre que c’est par le Saint-Esprit, de même que c’est de la Sainte Vierge et par le Saint-Esprit que le Seigneur, par lui-même et en lui-même, assuma la chair. Et nous ne savons rien de plus que cela : la parole de Dieu est vraie, opé­rante, toute-puissante et cette façon (que tu cherches) est introuvable. Et il n’est pas plus difficile de dire comment, naturellement et en s’en nourrissant, le pain, le vin et l’eau deviennent le corps et le sang de celui qui mange et boit et non un corps différent du premier ; ainsi le pain, le vin et l’eau de la prothèse sont changés surnaturellement, par la descente et l’irruption du Saint Esprit, au corps et au sang du Christ, et il n’y en a plus deux mais un et le même.

Il vient donc pour ceux qui par la foi le reçoivent digne­ment en rémission des péchés pour la vie éternelle et la sauvegarde du corps et de l’âme. Pour ceux qui participent indignement sans foi, c’est un châtiment et une condamnation; de même que la mort du Seigneur, pour ceux qui croient est devenue la vie et l’incorruptibilité dans la jouissance de la félicité éternelle, et, pour les incroyants et les déicides un châtiment et une condamnation éternels.

Le pain et le vin ne sont pas le symbole du corps et du sang du Christ (loin de moi !) ; c’est le corps même du Seigneur, déifié. Le Seigneur lui-même le dit : « ceci est, non le symbole du corps, mais mon corps ; et, non le symbole du sang, mais le sang ». Et aux Juifs « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous-même. Car ma chair est véritablement un breuvage. Et encore : celui qui me mange vivra » (Jean 6-54).

C’est pourquoi approchons-nous en toute crainte, avec une conscience pure et une foi ne doutant pas, et il en sera pour nous toujours comme nous croyons, sans que nous doutions. Vénérons-le en toute pureté d’âme et de corps ; car il y a deux puretés. Approchons-nous de lui avec un ardent désir, les paumes des mains en croix, et recevons le corps du crucifié. Portant sur lui les yeux, les lèvres et le visage, prenons le charbon ardent divin pour que le feu en nous du désir s’appropriant l’ardeur du charbon, brûle nos péchés, éclaire nos cœurs, et que nous brûlions et soyions déifiés en participant au feu divin. Isaïe a vu un charbon ardent ; le charbon n’est pas un bois ordinaire, mais un bois uni à du feu ; de même le pain de la communion n’est pas du simple pain mais du pain uni à la divinité. Et le corps uni à la divinité n’a pas une seule nature mais l’une est celle du corps, l’autre celle de la divinité qui s’y unit ; et l’une et l’autre sont deux natures, non une.

Melchisédech, prêtre du Dieu Très-Haut, reçut Abraham, qui revenait de la tuerie entre deux races étrangères, avec le pain et le vin ; cette table préfigurait la table mystique et le prêtre était le symbole et l’image du Christ, véritable grand’prêtre, car il est dit : « Tu es prêtre pour toujours selon l’ordre de Melchisédech ». (Ps. 109-4). Et c’est ce pain que préfiguraient les pains de proposition. C’est ce sacrifice pur, et par là non sanglant, que le Seigneur demanda par le prophète qu’on lui offre depuis le lever du soleil jusqu’au coucher. (Mat. I-10).

Le corps et le sang du Christ viennent soutenir notre âme et notre corps; non pour être dépensés, corrompus ou éliminés (loin de moi) mais pour notre être et sa sauvegarde en réparant nos brèches, en nettoyant nos souillures ; s’il trouve un or mélangé, il le purifie au feu du jugement pour que nous ne soyons pas, plus tard, jugés avec le monde. Il purifie de tout mal et de toute humeur se mêlant à nous, comme le dit le divin apôtre : « Si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne serons pas jugés – nous sommes corrigés par le Seigneur pour n’être pas condamnés avec le monde ». Et c’est encore ce qu’il dit : « De sorte que celui qui participe indignement au corps et au sang du Seigneur mange et boit son jugement par lui-même ». (1 Cor. II-29). Purifiés par lui, nous sommes unis au corps du Seigneur et à son Esprit et devenons corps du Christ.

Ce pain est prémisses du pain à venir, qui est epiousion. Ce mot veut dire soit : à venir, c’est-à-dire du siècle futur, soit : que l’on prend pour la sauvegarde de notre être. D’une façon ou d’une autre, il désigne au fond le corps du Seigneur, car la chair du Seigneur est souffle de vie puisqu’elle vient de l’Esprit vivifiant et ce qui vient de l’Esprit est spiration, non que par là je veuille enlever la nature du corps mais pour montrer ce qu’il a de vivifiant et divin.

Que si certains ont appelé antitypes du corps et du sang du Seigneur, le pain et le vin, comme Basile le théophore, ce n’est pas après avoir été sanctifiée mais avant d’être sanctifiée qu’ils l’ont dit de la prosphora (oblation).

On emploie le mot participation parce qu’en elle nous participons à la divinité de Jésus. On dit aussi la communion et avec raison parce qu’en elle nous communions au Christ et nous avons part à sa chair et à sa divinité ; nous sommes tous un corps et un sang du Christ et les membres les uns des autres, le même corps que le Christ.

Il faut de toute force empêcher les hérétiques d’avoir cette participation ni la leur accorder. « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, dit le Seigneur, ni ne jetez vos perles à des pourceaux » (Mat. 7-6) pour ne pas partager leurs errements et n’être pas condamnés avec eux. Car si c’est une union entière avec le Christ et les uns avec les autres, nous nous unissons également à ceux qui participent avec nous, selon le choix personnel. L’union même vient en effet de ce choix et ne va pas sans notre conviction propre « Nous sommes tous un corps, car nous participons à un pain », comme le dit le divin apôtre (2 Cor. 10-17).

On les dit antitypes des (biens) à venir, non parce qu’ils ne sont pas vraiment le corps et le sang du Christ, mais parce que dès maintenant nous avons part à travers eux à la divinité du Christ, tandis que, alors, nous participerons avec l’intellect par la seule vision directe.

CHAPITRE XIV

De la Généalogie du Seigneur de la Sainte Mère de Dieu.

Nous avons, au sujet de Sainte Marie qui est au-dessus de toute louange, toujours Vierge et Mère de Dieu, nous avons dans ce qui précède un peu parlé et exposé l’essentiel : elle est et on la dit véritablement et proprement Mère de Dieu. Complétons maintenant ce qui reste à dire. Elle a été prédestinée par le conseil prééternel et prescient de Dieu, annoncée et son icône présentée sous diverses images et paroles des prophètes dans le Saint-Esprit, et elle est sortie de la race de David au temps fixé, en vertu des promesses qui avaient été faites à ce dernier : « Le Seigneur, est-il dit, a promis à David en vérité et il ne le frustrera pas : du fruit de tes entrailles, je mettrai un fils sur ton trône ». (Ps. 131-11). Et encore : « je l’ai juré une fois dans mon saint ; je ne mentirai pas à David ; sa semence durera dans les siècles et son trône sera comme le soleil en ma présence et il sera affermi comme la lune, pour les siècles, témoin fidèle dans le ciel ». (Ps. 88-6) et Isaïe : « Que pousse le rameau de Jessé et sorte la fleur de sa racine ». (Isaïe II-I).

Joseph descend de la race de David, les saints évangélistes Matthieu et Luc l’on montré explicitement, mais Matthieu fait descendre Joseph de David par Salomon, et Luc par Nathan. L’un et l’autre sont silencieux sur l’ascendance de la Sainte Vierge.

Il faut savoir cependant que ce n’était l’habitude ni chez les Hébreux, ni dans la Sainte Écriture de faire la généalogie des femmes. La loi était de ne pas prendre femme d’une tribu dans une autre. Joseph qui descendait de la race de David et était juste (le divin Evangile l’atteste) n’aurait pas pris en mariage la Sainte Vierge, contre la loi, si elle n’était venue du même rameau que lui. Il a donc suffi de montrer la descen­dance de Joseph.

Il faut aussi savoir que telle était la loi qu’un mari étant mort, son frère prenait en mariage l’épouse du défunt et assurait une descendance à son frère. L’enfant qui, d’après la nature, était né du second, c’est-à-dire du générateur, était donc, d’après la loi, du défunt.

De la lignée de Nathan, fils de David, était né Lévi qui donna Melchi et Panther ; Panther donna Bar-panther (ainsi nommé)[94] . Barpanther donna Joachim, Joachim donna la Sainte Théotokos. De la lignée de Salomon, fils de David, Matthan prit femme, qui lui donna Jacob. Matthan étant mort, Melchi de la famille de Nathan, fils de Lévi, frère de Panther, épousa la femme de Nathan, mère aussi de Jacob, et d’elle il engendra Héli. Jacob et Héli furent des frères du même sein, Jacob de la famille de Salomon, Héli de celle de Nathan. Héli, de la famille de Nathan, mourut sans enfant, et Jacob son frère, de la famille de Salomon, prit sa femme et donna une descendance à son frère, engendrant Joseph. Donc Joseph, d’après la nature, est fils de Jacob et descend de Salomon, et d’après la loi, fils d’Héli et descend de Nathan.

Joachim prit donc Anne pour femme, Anne vénérable et digne de louange. Et, comme l’autre Anne qui, stérile, par prière et par vœu engendra Samuel, de même elle aussi, par prière et par vœu, obtint de Dieu la Théotokos et ne resta donc pas délaissée aux yeux de tous. La grâce enfanta donc (c’est ce que veut dire le mot Anne) la Souveraine, car ce nom de Marie signifie cela et elle est bien souveraine de toute créature, puisque devenue Mère du Démiurge. Elle est mise au monde dans la maison de la bergerie de Joachim et amenée au temple. Plantée dans la terre de la maison de Dieu, nourrie par le Saint ­Esprit, comme un olivier fécond, elle devint le lieu de toute vertu, ayant purgé son noûs de toute convoitise charnelle de la vie et préservant ainsi la virginité de son âme avec celle du corps comme il convenait à celle qui allait recevoir Dieu dans son sein. Car ce qui est saint repose dans ce qui est saint. C’est ainsi qu’elle poursuit la sainteté et s’élève jusqu’à être le temple saint et admirable, digne du Dieu Très-Haut.

L’ennemi de notre salut surveillait les vierges à cause de cette parole du prophète Isaïe : « Voici que la vierge concevra dans son sein, elle enfantera un Fils et lui donnera le nom d’Emmanuel » (Es. 7-14), c’est-à-dire Dieu avec nous. Celui qui confond les sages dans leur astuce l’attrapa à son hameçon lui qui constamment se vante de sa sagesse ; la jeune fille est fiancée à Joseph (la nouvelle part, pour qui connaît les lettres : Es. 29-II). L’engagement et la garde de la Vierge furent déception pour celui qui surveillait les vierges. Lorsqu’arriva le plérome du temps, un ange du Seigneur lui fut envoyé, annonçant la conception du Seigneur. Ainsi elle conçut le Fils de Dieu, la puissance en-hypostasiée du Père, non de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, c’est-à-dire par copulation et germe, mais de la bienveillance du Père et de la synergie du Saint-Esprit. Elle fournit au créateur de quoi être créé, au modeleur d’être modelé, et au Fils de Dieu et Dieu de s’incarner et s’inhumaniser de ses sangs purs et immaculés, en acquittant la dette de la première Mère. De même que celle-ci avait été modelée d’Adam sans copulation, de même mit-elle au monde le nouvel Adam enfanté selon la loi naturelle et engendré surnaturellement. Car il naît d’une femme sans père, et du Père sans mère, puisqu’il est de la femme d’après les normes de la gestation et sans père parce qu’engendré surnaturellement; puisque c’est après le temps habituel (les neuf mois sont accomplis et la naissance survient au dixième), dans les normes de la gestation. Cette naissance est surnaturelle parce que sans douleur; il n’y avait pas de volupté à son origine, la douleur ne l’accompagna pas, comme l’a dit le prophète : « Avant d’être en douleur, elle a enfanté. » (Es. 56-7). Et encore : « Avant qu’arrive le moment des douleurs, elle s’enfuit et enfanta un homme. » (Id.).

C’est donc d’elle qu’est venu le Fils de Dieu incarné ; non pas un homme théophore, mais Dieu incarné ; non un oint, comme un prophète, d’énergie divine, mais l’oint par la présence de celui tout entier qui oint, en sorte que ce qui a oint est devenu homme, et ce qui est oint, Dieu ; et cela non par changement de nature, mais par enôsis (union­unité-unification) selon l’hypostase, car c’est le même qui oint et qui est oint, s’oignant, en tant que Dieu, lui-même en tant qu’homme. Comment dès lors n’est-elle pas Theotokos, celle qui a engendré le Dieu incarné d’elle ? Elle est véritablement, proprement Mère de Dieu et Souveraine, elle est maîtresse de toute créature et en même temps servante et mère du Démiurge. Et de même que celui qui était conçu gardait vierge celle qui avait conçu, de même en naissant garda-t-il intacte la virginité, passant seul à travers elle et la gardant fermée. La conception s’est faite en écoutant ; la naissance, par les voies habituelles (même s’il en est qui inventent le mythe d’une naissance par la côte de la Mère de Dieu), car il ne lui était pas impossible de traverser une porte sans en briser les scellés.

Elle reste donc vierge même après l’enfantement, la toujours-Vierge, et jusqu’à la mort elle n’a jamais approché d’homme. Même s’il est écrit : « Et il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût son fils premier-né. » (Mat. 1-25). Premier-né s’applique à celui qui né d’abord, même s’il doit rester unique. Ce mot : premier-né, indique naître le premier, il ne signifie pas la naissance d’autres après. Et ce « jusqu’à ce que… » indique le terme d’un temps déterminé, il n’exclut pas celui qui vient après. Le Seigneur dit : « Voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mat. 28-20) sans qu’il doive nous quitter après la fin du monde ; le divin apôtre dit donc : « Et nous serons toujours avec le Seigneur. », en parlant de la résurrection générale. (Id).

Comment d’ailleurs, après avoir engendré Dieu et reconnu ce miracle par l’expérience de ce qui avait suivi, aurait-elle accepté de s’approcher d’un homme ? Loin de moi. Penser de telles choses n’est pas d’un sage jugement, moins encore les faire.

Quant à elle, bienheureuse jugée digne de dons surnaturels, elle endura les douleurs auxquelles elle avait échappé en mettant au monde, au moment de la passion, déchirée dans ses entrailles de mère et lacérée dans son âme comme par une épée en voyant élevé comme un malfaiteur celui qu’elle savait Dieu par son engendrement. Et c’est ce que signifie : un glaive te transpercera l’âme. Mais la joie de la résurrection changea sa tristesse, en proclamant Dieu celui qui était mort dans la chair.

CHAPITRE XV

Des Saints et de la vénération de leurs reliques.

Il faut vénérer les saints ; ce sont des amis du Christ, des enfants, des héritiers de Dieu, comme dit Jean le Théologien, l’Evangéliste : «A ceux qui l’ont reçu il a donné de devenir enfants de Dieu (Jean 1-12). De sorte qu’ils ne sont plus esclaves mais fils ; s’ils sont fils ils sont aussi héritiers de Dieu et co­héritiers du Christ ». (Gal. 47). Le Seigneur dans les saints évangiles dit aux apôtres : « Vous êtes mes amis. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. » (Jean 14-14). Et si le Démiurge et le Seigneur de toute chose est dit le roi de ceux qui règnent, le Seigneur des Seigneurs et le Dieu des dieux, de même sont les saints : dieux, seigneurs et rois. Leur Dieu est le Dieu qu’on appelle, et qui est, Seigneur et Roi : « Car je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, dit-il à Moïse » (Ex. 3-6). Dieu fit de Moïse un dieu pour Pharaon. Dieux, rois et seigneurs dis-je, non par nature, mais parce qu’ils ont dominé et régné sur les passions, gardé inaltérée la ressemblance de l’image divine dans laquelle ils avaient été engendrés (car on appelle également roi, l’image du roi) et parce qu’ils se sont unis librement à Dieu, en lui offrant une demeure et devenant dans cette participation, par grâce, ce qu’Il est par nature. Comment ne vénèrerait-on les serviteurs devenus amis et fils de Dieu ? Car vénérer ces co-serviteurs pour leurs bienfaits, c’est montrer ses dispositions envers leur maître commun.

Ils sont devenus dépôt du trésor de Dieu, sa demeure pure : « Je ferai ma demeure en eux, je marcherai parmi eux et je serai leur Dieu ». dit Dieu (Lév. 26-12). Et c’est l’Écriture divine qui dit aussi : « les âmes des justes sont dans la main de Dieu et la mort ne les touchera pas. » (Sag. 3-1). Car la mort des saints est davantage un sommeil qu’une mort. « Ils ont été à l’épreuve dans ce siècle, ils vivront à la fin. » (Ps. 48-10). « Précieuse devant le Seigneur est la mort de ses saints. » (Ps. 115-15). Qu’y a-t-il en effet de plus précieux que ce qui est dans la main de Dieu ? Dieu est vie et lumière et, dans la main de Dieu, ils sont dans la lumière et la vie.

Et par l’intermédiaire du noûs Dieu a habité aussi dans leur corps, dit l’apôtre : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui demeure en vous ? (1 Cor. 3-6). Le Seigneur est Esprit. Si quelqu’un ruine le temple de Dieu, Dieu le ruinera lui aussi. » (2 Cor. 3-17). Comment dès lors ne pas vénérer les temples vivants de Dieu, les tabernacles vivants de Dieu ? eux qui vivent constamment dans la présence de Dieu.

Le Christ, notre Maître, nous a donné, sources salutaires, les reliques des saints qui répandent leur action bienfaisante et un parfum qui embaume; que personne ne le mette en doute, car si d’une roche âpre et dure il a coulé de l’eau dans le désert par la volonté de Dieu, et même d’une mâchoire d’âne pour Samson qui avait soif[95] , ne peut-on croire que les reliques des martyrs répandent un parfum d’agréable odeur ? Certes non quand on connaît la puissance de Dieu et le respect qu’il porte à ses saints.

D’après la loi, quiconque touchait un mort était impur, bien qu’il ne fût pas mort. Nous, nous ne tenons pas pour morts ceux qui se sont endormis dans l’espoir de la résurrection et dans la foi, parce que la vie elle-même, la cause de la vie, a été comptée parmi les morts. Comment le corps d’un mort peut-il faire des miracles ? Comment les démons sont-ils chassés par eux, les maladies guérissent-elles, les aveugles recouvrent-ils la vue, les lépreux sont-ils purifiés, les tentations et les tristesses s’évanouissent-elles, comment enfin tout don excellent du Père des lumières descend-il grâce à eux sur ceux qui demandent avec une foi certaine ? Quelles peines n’endurerais-tu pas pour trouver un protecteur qui te recommande à un roi mortel et prononce à ta place les paroles convenables ? Et il n’y aurait pas à les vénérer, eux qui protègent toute la race des hommes, qui pour nous font à Dieu les demandes ? Oui, certes, il faut les vénérer, en élevant à Dieu en leur nom des églises, en apportant nos dons, en honorant leur mémoire et en puisant en elle notre joie spirituelle, afin que cette joie à laquelle ils nous convient devienne la nôtre, et de peur que, tentés de ne pas la suivre, nous n’encourions leur déplaisir. Ceux qui servent Dieu, se réjouissent en ceux qui le servent aussi, et ses soldats sont offensés également par ceux qui l’offensent. Par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels, du fond du cœur et par pitié pour ceux qui souffrent, nous croyants, servons les saints, eux surtout qui ont servi Dieu. Elevons-leur des stèles, des icônes, devenant en les imitant nous-mêmes leurs stèles et icônes vivantes. Honorons la Théotokos, parce que réellement et par-dessus tout Mère de Dieu. Honorons le prophète Jean, précurseur et Baptiste, apôtre et martyr ; « de ceux qui sont nés de femme, il ne s’en est pas élevé de plus grand » dit le Seigneur (Mat. I) ; il fut le premier héraut du royaume. Honorons les apôtres, ces frères du Seigneur, qui l’ont vu et assisté dans ses souffrances, et que Dieu le Père « dans sa prescience avait destinés à être conformes à l’image de son Fils (Rom. 8-29), d’abord apôtres, deuxièmement prophètes, troisièmement pasteurs et docteurs » (I Cor. 12-28). Ensuite les martyrs appelés de toute classe sociale, soldats du Christ ayant bu son calice et baptisés alors du baptême vivifiant de sa mort, unis à lui dans ses souffrances et dans sa gloire ; leur digne chef est le proto-diacre et l’apôtre du Christ, le proto-martyr Étienne. Et tous nos saints Pères, ces ascètes théophores, qui ont lutté pour le témoignage de leur conscience, longtemps et à grande épreuve, « ils ont marché vêtus de peaux de mouton, de chèvres, manquant de tout, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les trous de la terre, eux dont le monde n’était pas digne » (Hébr. II-37). Et enfin honorons ceux qui avant la grâce, prophètes, patriarches, justes, ont annoncé la venue du Christ. D’eux tous nous suivons la vie, nous imitons la foi, l’amour, l’espérance, le zèle, la vie, l’endurance dans les passions, la patience jusqu’au sang, afin d’être associés aussi à leur couronne de gloire.

CHAPITRE XVI

Des icônes.

Certains parmi nous blâment ceux qui adorent et vénèrent les icônes de notre Sauveur et de notre Souveraine, comme celles des autres saints et serviteurs du Christ ; qu’ils sachent qu’au commencement Dieu fit l’homme à son image. En tant que qui nous prosternons-nous devant d’autres ? si ce n’est qu’ils sont faits à l’image de Dieu. Comme le dit ce savant connaisseur du divin, Basile, « la vénération de l’image va à son modèle ». Le modèle, c’est celui qui est peint sur l’icône et dont vient l’image. Pourquoi le peuple de Moïse se prosternait-il autour du tabernacle portant l’image et le type de ce qui est au ciel, et même de toute la création. Cependant Dieu dit à Moïse « Voici, tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne. » (Ex. 25-40). Et les Chérubins adom­brant le propitiatoire n’étaient-ils pas faits de main d’homme ? Quoi de plus renommé que le temple de Jérusalem ? N’était-il pas fait de main d’homme et construit par son art ?

L’Écriture divine condamne ceux qui adorent des statues, mais aussi ceux qui sacrifient aux démons. Or les Grecs sacrifiaient, et les Juifs sacrifiaient, mais les Grecs aux démons et les Juifs à Dieu ; et les sacrifices des Grecs étaient rejetés et condamnés, et ceux des justes étaient acceptés par Dieu. « Noé offrit un sacrifice et Dieu en respira l’agréable odeur », accueillant le parfum des bonnes dispositions envers lui. Ainsi les statues des Grecs, images des démons, se trouvaient rejetées et interdites.

En plus qui peut faire la reproduction du Dieu, invisible, incorporel, incernable, sans figure ? C’est le dernier degré de la démence et de l’impiété que figurer le divin. D’où le peu d’usage des icônes dans l’Ancien Testament, mais dès lors que Dieu, dans ses entrailles de miséricorde, est vérita­blement devenu homme pour notre salut, et cela non pas comme pour Abraham et pour les prophètes, auxquels il est apparu sous l’aspect d’un homme, mais parce que devenu véritablement, essentiellement homme, il a passé sa vie sur terre, s’est mêlé aux hommes, a fait ses miracles, a souffert, a été crucifié, ressuscité et a monté au ciel. Toutes ces choses sont arrivées réellement, les hommes les ont vues, on les a reproduites en dessins pour nous en souvenir et pour l’enseignement de ceux qui n’y ont pas assisté en sorte que sans les avoir vues, mais en écoutant et en croyant, nousretrouvions la joie du Seigneur. Comme tout le monde ne savait pas lire ou n’en avait pas le loisir, les Pères ont vu dans ces icônes comme un bref rappel de ces actions sublimes. Souvent, alors même que l’on ne pense pas à la passion du Seigneur, en voyant l’icône de la Crucifixion du Christ, elle nous revient mémoire et, tombant à genoux, nous adorons celui qui est reproduit et non la matière ; pas plus que nous n’adorons la matière des Évangiles ni la matière de la croix, mais l’image gravée dessus. Quelle différence y a-t-il entre une croix sans Christ sculpté et une croix avec ; et de même pour la Théotokos. La vénération pour elle rejaillit sur celui qui par elle s’est incarné. Pareillement les exploits de ces hommes saints nous poussent au courage, au zèle à imiter leur vertu et à chanter la gloire de Dieu. Comme nous le disions, la vénération pour la grandeur des serviteurs prouve nos bonnes pensées envers le commun Maître et la vénération de l’icône rejaillit sur le modèle. Il y a une tradition non écrite, comme d’adorer tourné vers l’Orient et beaucoup d’autres choses semblables; c’est elle qui nous fait adorer la croix.

On raconte l’histoire suivante : Abgarus, roi de la ville d’Edesse avait envoyé un peintre pour faire un portrait du Seigneur et il n’y arrivait pas parce que son visage brillait d’un éclat insoutenable ; le Seigneur couvrit son divin visage de son manteau et celui-ci se trouva reproduit sur le manteau qu’il envoya à Abgarus qui le demandait.

Les apôtres ont laissé bien des traditions non écrites. L’apôtre des gentils, Paul, écrit : « Ainsi, frères tenez ferme aux traditions que nous avons enseignées, soit en parole, soit dans nos lettres. » (2 Thes. 2-II). Et aux Corinthiens : « Je vous loue, frères, de ce que vous vous rappelez tout ce qui vient de moi et que vous reteniez les traditions comme je vous les ai transmises. » (1 Cor. II-2).

CHAPITRE XVII

De l’Écriture.

Dieu est un, que prêchent l’Ancien et le Nouveau Testaments, et qu’on chante et glorifie dans la Trinité ; le Seigneur dit : « Je ne suis pas venu détruire la loi mais l’accomplir. » (Mat. 5-17). Car c’est Lui qui a opéré notre salut auquel tendaient toute l’Écriture et tout le mystère : « Vous scrutez les Écritures et ce sont elles qui rendent témoignage de moi, dit-il encore. » (Mat. 5-39). L’apôtre dit : « Dieu nous a en plusieurs manières parlé autrefois par les prophètes ; dans les derniers temps il nous a parlé par son Fils ». (ibid.). C’est donc par le Saint-Esprit qu’ont parlé la Loi, les prophètes, les évangélistes, les apôtres, les docteurs, les pasteurs.

« Toute Écriture est inspirée de Dieu et toujours utile. » (2 Tim. 3-10). C’est pourquoi il est très bon et utile pour l’âme de scruter les Écritures. Comme un arbre planté au bord des eaux, l’âme est arrosée par la divine Écriture; elle croît, donne du bon fruit (la foi orthodoxe), et des feuilles drues, je veux dire des actions dignes de Dieu, font son ornement. Elle rythme en nous l’action vertueuse et la pure contemplation. Nous y trouvons un appel à toute vertu, une dissuasion de tout mal. Aimons-en l’étude et nous la connaîtrons; avec du soin, un peu d’effort et la grâce de Dieu qui donne tout, tout s’obtient : « Celui qui demande reçoit, qui cherche trouve et l’on ouvrira à celui qui frappe. » (Luc 11-10). Frappons donc au merveilleux paradis des Ecritures, embaumé, succulent, admirable, tout bruissant de chants d’oiseaux célestes à nos oreilles noétiques, touchant notre cœur, consolant l’affligé, apaisant l’irrité et remplissant d’une joie éternelle ; elle embarque notre intelligence sur le dos d’or de l’éclatante colombe divine et sur ses ailes brillantes elle nous conduit en haut vers le Fils monogène, l’héritier du vigneron de la vigne noétique, et par lui nous amène au Père des lumières. Et ne frappons pas négligemment, mais avec ardeur et sans relâche ; ne nous lassons pas de frapper. C’est ainsi qu’il nous sera ouvert. Si en lisant une fois, deux fois, nous ne comprenons pas ce que nous lisons, ne nous décourageons pas de frapper, mais persistons, méditons, interrogeons. : « Interroge ton père et il t’annoncera, tes anciens et ils te diront », (Deut. 32-7) car la connaissance n’est pas chez tous. Puisons à la source du paradis ses eaux courantes, inépuisables et très pures, jaillissant dans la vie éternelle. Jouissons et abandonnons-nous insatiablement à cette joie ; elle procure la grâce sans qu’il en coûte. Il n’est pas défendu de recueillir de l’utile dans les auteurs profanes, mais soyons de prudents banquiers ; entassons l’or pur, refusons le falsifié. Retenons les paroles profondes et jetons aux chiens ces dieux ridicules, ces mythes absurdes, car c’est d’elles que dès lors nous tirerons une plus grande force pour les combattre.

Il faut savoir que l’Ancien Testament a vingt-deux livres, comme les lettres de l’alphabet hébraïque. Car il y a vingt-deux lettres, dont cinq sont doubles, ce qui fait vingt-sept « éléments[96] ; doubles sont le caph, le mem, le noun, le , le sadé. C’est pourquoi on compte vingt-deux livres alors qu’il y en a vingt-sept, à cause des lettres doubles. Ruth est joint aux Juges, et ils sont comptés pour un livre par les Hébreux ; le premier et le second livre des Rois, un livre; le troisième et le quatrième des Rois, un livre ; le premier et le second des Paralipomènes, un livre ; le premier et le second d’Esdras, un livre. Ainsi donc les livres tiennent en quatre pentateuques, il en reste deux autres et tels sont les livres reçus. Cinq pour la Loi : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. C’est le premier pentateuque ou Loi. Il y a ensuite un autre pentateuque, que l’on appelle les Graphies, ou encore l’Hagiographie ; ce sont : Josué fils de Noun, les Juges avec Ruth, premier livre et second des Rois, les troisième et quatrième des Rois : un livre, les deux des Paralipomènes : un livre. C’est le deuxième Pentateuque. Le troisième Pentateuque comprend les livres en vers : Job, Psaumes, Proverbes de Salomon, l’Écclésiaste, le Cantique des Cantiques (du même auteur). Le quatrième pentateuque, le prophétique : les douze Prophètes : un livre, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel ; ensuite les deux d’Esdras réunis en un livre, et celui d’Esther. Le Panaretos (tout vertueux) ou sagesse de Salomon, et la Sagesse de Jésus que le père de Sirach donna en hébreu et que traduisit en grec Jésus, fils de Sirach ; ces livres sont élevés et bons, mais non comptés au canon, ni déposés dans l’arche.

Dans le Nouveau Testament il y a les quatre Évangiles : selon Matthieu, Marc, Luc, Jean ; les Actes des Saints Apôtres, par l’évangéliste Luc ; sept épîtres catholiques : une de Jacques, deux de Pierre, trois de Jean, une de Jude ; quatorze épîtres de l’apôtre Paul ; l’apocalypse de Jean l’évangéliste. Ce sont les canons des Saints apôtres transmis par Clément.

CHAPITRE XVIII

De ce qui est dit du Christ.

Il y a quatre façons de parler du Christ selon qu’on l’envisage avant l’inhumanisation, au moment de l’union, après l’union et après la résurrection. Des « Légomènes » avant l’inhumanisation il y a six modes ; certains de ceux-ci montrent la conjonction de nature et la consubstantialité avec le Père, comme : « Moi et le Père nous sommes un » (Jean 10-30) et « qui m’a vu a vu le Père » (Jean 15-9) et « Celui qui était en forme de Dieu » (Phil. 2-6), etc. ; d’autres montrent la perfection de l’hypostase, comme : « Fils de Dieu et caractère de son hypostase » (Héb. I-3), et « l’ange du grand conseil, conseiller admirable » (Es. 9-6)…

D’autres montrent la pervasion les unes en les autres des hypostases : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14-10), et le fondement indivisible, comme Verbe, sagesse, puissance, splendeur. Car le Verbe a dans le noûs un fondement indivisible, je parle du Verbe essentiel, et de même la sagesse ; tout comme la puissance dans le pouvoir, et la splendeur dans la lumière sont fondées indivisiblement et en découlent.

D’autres montrent le Père comme cause ; ainsi : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14-28), car c’est de lui qu’il a l’être et tout ce qu’il a (l’être par engendrement non l’être par création) ; ainsi : « Je suis venu du Père, je vais au Père » (Jean 16-28), « Je vis par le Père » (Jean 6-58). Tout ce qu’il a, il l’a non par attribution ni par enseignement, mais en tant que de sa cause ainsi qu’il le dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même mais seulement ce qu’il voit faire au Père » (Jean 5-19), car si le Père n’est pas, le Fils non plus n’est pas ; et le Fils est du Père et dans le Père et avec le Père, non après le Père. De même ce qu’il fait est de lui et avec lui ; c’est une seule et même volonté ; non pas semblable, mais la même volonté, et il y a une même opération et une même puissance du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

D’autres montrent comment s’accomplit la bienveillance paternelle à travers son opération, et cela non comme s’il était un organe ou un serviteur, mais en tant que son Verbe essentiel et en-hypostasié, sa sagesse et sa puissance, en considérant la motion unique dans le Père et le Fils. Ainsi : « Toutes choses ont été faites par lui (Jean 1-3), et « afin qu’ils reconnaissent que tu m’as envoyé » (Jean II-42).

D’autres sont des prophéties ; les unes au futur : « Il viendra et se manifestera » (Ps. 49-3), dans Zacharie : « Voici ton Roi vient à toi » (9-9), et il est dit dans Michée : « Voici le Seigneur quittera sa place; il descendra et il montera sur les lieux très hauts, au-dessus de la terre » (I-3). Les autres, bien qu’à venir, sont au passé : « Ce Dieu, notre Dieu, s’est montré après cela sur la terre et a vécu parmi les hommes » (Bar. 3-38), et « le Seigneur m’a créé au commencement de ses voies pour ses œuvres » (Pr. 8-22), et « c’est pourquoi, Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile d’allégresse au-dessus de tes semblables » (Ps. 44-8), etc.

Et ce qui est dit de lui avant l’union, l’est aussi après, d’autre part ce qui est dit après l’union ne l’est jamais avant l’union, si ce n’est, nous l’avons dit, prophétiquement. Il y a trois manières pour ce qui est dit dans l’union. Quand nous parlons en bonne part, nous parlons de déification, de « logosis », d’exaltation de la chair, etc., ce qui montre que venu dans la chair il était riche de l’union au Dieu-Verbe très haut, et de sa co-nature ; quand c’est en « mauvaise » part, nous parlons de l’incarnation, de l’inhumanisation, kénose, appauvrissement, abaissement du Dieu-Verbe. Ces choses et d’autres semblables sont dites du Dieu-Verbe en raison de son partage de l’humain. Quand c’est des deux à la fois, nous parlons d’union, de communion, d’onction, de co-nature, de conformité, etc. C’est en cette troisième manière, que les deux premières sont justifiées. Car l’union montre ce que l’un et l’autre reçoit de l’harmonie et de la pervasion avec son co-existant. La chair, d’une part, dans l’union hypostatique est dite déifiée, devenant Dieu, semblable au Dieu-Verbe. D’autre part on dit que le Dieu-Verbe est incarné, devenu homme et créature ; on l’appelle le dernier des hommes (Es. 53-3) Et cela non pas que les deux natures se changent en une seule composée (il est impossible que des opposés par nature fassent ensemble une seule nature), mais parce que les deux natures sont unies par hypostase et pervadent l’une en l’autre sans confusion, ni changement. Cette pervasion vient non de la chair mais de la divinité ; la chair ne peut pervader en la divinité ; c’est la nature divine qui en pervadant, une seule fois, dans la chair, a donné à la chair aussi l’indicible pervasion vers celle-ci, que nous appelons énôsis.

Il ne faut pas ignorer non plus que dans la première et la deuxième catégories, dans l’union, l’inverse est aussi présent. Quand nous parlons, de la chair, d’une part nous employons les mots de déification, de logôsis, d’exaltation, de chrismation (ou onction). On part, ici de la divinité et l’on considère la chair. Quand nous parlons du Verbe, d’autre part, ce sont les mots de kénose, d’incarnation, inhumanisation, d’abaissement, et autres de ce genre, toutes choses qui de la chair sont rapportées au Dieu-Verbe, car lui les a endurées.

Il y a ensuite trois manières d’exprimer après l’union. La première est monstrative de la nature divine ; ainsi : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14-10), et « moi et le Père nous sommes un » (Jean 10-30). De plus tout ce qui est dit de lui avant l’inhumanisation est dit aussi pareillement après l’inhumanisation, sauf qu’il n’avait pas encore assumé la chair et ses particularités de nature.

La deuxième concerne la nature humaine comme : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir, moi, un homme qui vous ait dit la vérité » (Jean 8-19), et « c’est ainsi que le Fils de l’homme doit être élevé » (Jean 3-14) et autres paroles semblables.

Il y a maintenant, six manières de parler (ou écrire) du Christ Sauveur dans son humanité, c’est-à-dire en tant qu’homme agissant ou parlant. Il y a ce qu’il dit ou fait en tant qu’homme : enfant de la vierge ; il progresse en stature et en âge ; il a faim, soif, est épuisé, pleure, a sommeil; on le perce de clous, on le met à mort…, tout cela, ce sont des passions naturelles et sans faute. Dans ces cas-là il y a jonction du divin avec l’humain, mais en notant bien qu’il s’agit véritablement du corps sans que le divin souffre lui-même tout en nous apportant l’économie du salut à travers ces épreuves.

Il y a ensuite les cas où le Christ fait « comme si » ; par exemple quand il demande : « où avez-vous mis Lazare ? » (Jean 11-34), ou quand il va au figuier, qu’il se retire (Mat. 21-19), dans certaines prières, « il fit semblant d’aller plus loin » (Luc 24-27). Dans aucune de ces circonstances ou d’autres analogues il n’avait besoin de faire semblant, comme Dieu ou comme homme, mais il le faisait à la manière de l’homme pour souligner ce qui était nécessaire. Ainsi quand il prie pour montrer qu’il n’est pas opposé à Dieu, qu’il vénère le Père en tant que celui-ci est sa cause à lui ; ou quand il interroge, non qu’il soit ignorant mais pour montrer que, restant Dieu, il est véritablement homme ; ou qu’il se retire pour nous apprendre à ne pas nous avancer trop vite, ni nous livrer à l’avance.

Certaines paroles concernent un appel et la relation intime (avec son Père) ; ainsi : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné » (Mat. 27-46), et « celui qui ne connaissait pas le péché, s’est fait péché à cause de nous » (2 Cor. 5-21), et « devenu pour nous malédiction » (Gal. 3-13), et « le Fils même sera assujetti à celui qui a tout assujetti » (1 Cor. 15-28).

En effet ni comme Dieu ni comme homme, il n’a jamais été abandonné du Père ; et il n’est devenu ni péché, ni malédiction ; ni n’a eu besoin d’être assujetti au Père. Il est Dieu et donc égal au Père ; il ne lui est ni opposé, ni soumis non plus. Il est homme, mais jamais n’a-t-il cessé d’écouter le Père ni besoin d’assujettissement. C’est donc s’appropriant notre personne, pour se mettre lui-même à notre rang, qu’il a ainsi parlé, car nous étions, nous, dans le péché et la malédiction, et par là abandonnés.

D’autres viennent de ce que la pensée distingue. Car si tu distingues par la pensée ce qui n’est pas réellement dissociable, c’est-à-dire le Verbe et la chair, dès lors il est dit serviteur et ignorant parce qu’il était de la nature serve et ignorante et si la chair n’était pas unie au Dieu Verbe, elle était (en lui) serve et ignare ; mais par l’union au Dieu-Verbe par hypostase elle n’était ni serve ni ignorante, c’est pourquoi il a appelé le Père, son Dieu.

Il y a ensuite ce qu’il dit pour se manifester à nous et pour notre foi, ainsi : « Père glorifie moi de la gloire que j’ai eue auprès de toi avant que le monde fût ». (Jean 17-5), car pour lui il était et il est glorifié, mais pour nous sa gloire n’était ni manifestée ni crue. Comme le dit l’Apôtre, « il a été déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de Sainteté, par la résurrection des morts » (Rom. 1-4). C’est en effet par les miracles, par la résurrection et la venue du Saint-Esprit que le monde a vu et a cru qu’il est le Fils de Dieu. Et « il croissait en sagesse et en grâce ».

Il y a ce qui concerne sa personne en tant que Juif, le fait qu’il est à compter parmi les Juifs. C’est ainsi qu’il dit à la Samaritaine : « Vous, vous adorez ce que nous ne connaissez pas, mais nous nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. » (Jean 4-22).

La troisième catégorie est celle des paroles qui montrent l’hypostase une et établit les deux natures. Ainsi : « Je vis par le Père, et celui qui me mange vivra par moi » (Jean 6-57), et : « Je vais vers le Père et vous ne me verrez plus » (Jean 16-10) et : « Ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de Gloire » (1 Cor. 2-8), et : « Personne n’est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le Ciel» (Jean 3-13).

Celles d’après la résurrection, qui se rapportent à la divinité comme « les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit » (Mat. 28-19), et montrant que le Fils est Dieu. Et : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles » (Mat. 28-20, et autres semblables, car il est avec nous en tant que Dieu. Celles d’autre part, qui se rapportent à son humanité : « elles lui embrassèrent les pieds » (Mat. 28-9) et « c’est là qu’ils me verront » (ib. I0), et autres semblables.

Les genres des paroles se rapportant à son humanité après la résurrection sont différents. Les unes en réalité ne visent pas la nature du corps glorifié mais l’économie pour montrer que c’est le même corps qui avait souffert qui a ressuscité ; elles notent les plaies, la prise d’aliments, de boisson, après la résurrection. D’autres visent réellement la nature (du corps glorifié) : déplacement d’un lieu à l’autre sans effort, entrer les portes fermées. D’autres visent sa feinte : « Il fit semblant d’aller plus loin », d’autres, les deux natures : « Je monte vers mon Père et votre Père ; vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20-17), et : «Il entrera le roi de gloire » (Ps 20-7), et : «Il s’est assis à la droite de la majesté dans les lieux très hauts » (Héb. 1-3). D’autres enfin indiquent qu’il s’est mis à notre rang, par distinction : « Mon Dieu et votre Dieu ».

On doit donc attribuer les choses élevées à la nature divine qui, incorporelle, dépasse toute passion ; les inférieures à la nature humaine ; celles qui sont communes, au composé, c’est-à-dire au Christ un, qui est Dieu et homme; et savoir que les unes et les autres sont d’un seul et même Seigneur, Jésus-Christ. En sachant ce qui est propre à chacune et en voyant que les unes et les autres viennent d’un même (Seigneur), notre foi est juste, droite et sans erreur. Comme le dit le divin Cyrille, partout où l’on reconnaît une différence entre les deux natures unies, cela montre que la qualité de la nature n’est pas la même en la divinité et en l’humanité. Mais le Fils, Christ et Seigneur est un ; étant un sa personne aussi est une, car l’unité hypostatique n’est divisible à aucun titre quelle que soit la connaissance des différences de natures.

CHAPITRE XIX

Dieu n’est pas la cause des maux.

Il faut savoir que d’habitude la Sainte Écriture appelle son opération la permission divine ; ainsi l’apôtre dans son épître aux Romains : « un potier n’est-il pas libre[97] de faire d’une même argile un vase d’honneur et un vase sans honneur ? » (9-21). C’est le même qui fait les uns et les autres, car il est le même créateur de toutes choses, mais ce n’est pas lui qui les fait d’honneur et sans honneur, mais le choix personnel de chacun. Le même apôtre écrit dans le même sens à Timothée (deuxième épître) : « Dans une grande maison il n’y a pas que des vases d’or et d’argent, mais de bois et de terre ; les uns sont pour l’honneur, les autres vils. Si donc quelqu’un se purifie lui-même, il sera vase d’honneur, sanctifié et utile au maître pour toute bonne œuvre » (2-20…). Il est évident que la purification n’est que volontaire (si quelqu’un se purifie lui-même, dit-il). Et la réciproque s’ensuit. Si quelqu’un ne se purifie pas, il sera vase sans honneur, sans usage pour le Maître, bon pour le rebut. D’où la parole susdite et celle-ci : « Dieu les a tous enfermés dans l’incrédulité » (Rom. II-32), et : « Dieu leur a donné un esprit d’obscurcissement, des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne point entendre » (Is. 6-10). Tout cela ne doit pas être tenu pour opéré par Dieu mais permis par Dieu parce que le bon par nature est libre et ne force pas.

C’est dans l’habitude de la divine Écriture de dire que c’est son opération et son action, alors que ce n’est que sa permission : elle dit même que « Dieu a fait les maux » (Isaïe 45-7) et « qu’il n’y a pas dans la ville de maux qu’il n’ait fait » (Amos 3-6), elle ne veut cependant pas dire que Dieu est cause des maux ; ce mot de mal a deux aspects et deux significations : tantôt il désigne la nature du mal, ce qui s’oppose à la vertu et à la volonté de Dieu, tantôt ce qui est mal et douleur pour notre sensibilité, c’est-à-dire les tribulations et la souffrance. C’est une apparence que dans ce dernier cas il s’agisse de maux car en vérité ils deviendront un bien en amenant à la repentance et au salut ceux qui comprennent; ce sont eux que l’Ecriture dit venir de Dieu.

Il faut d’ailleurs savoir que c’est nous aussi qui en sommes la cause, car de maux que l’on veut sortent des maux que l’on ne veut pas.

Également savoir que l’Écriture présente d’habitude comme la cause ce qui n’est qu’accident. Par exemple : « C’est contre toi seul que j’ai péché, j’ai fait ce qui est mal à tes yeux, en sorte que tu sois trouvé juste dans ta sentence et que tu l’emportes dans ton jugement ». (Ps. 50-6). Celui qui a péché n’a pas péché pour que Dieu l’emporte et Dieu n’avait pas non plus besoin de notre péché pour en apparaître le vainqueur. Il l’emporte incomparablement sur ceux-mêmes qui ne pêchent pas, étant démiurge, insaisissable, incréé et ayant en lui, par nature, la gloire. Il n’est donc pas injuste quand sa colère éclate contre nous qui péchons ; mais en cédant à la repentance il se montre le vainqueur de notre péché sans que nous ayons péché en vue de cela ; la chose est survenue comme cela. C’est comme si quelqu’un disait, lorsque cessant de travailler il s’assied et qu’un ami survient : « mon ami est venu pour que je ne travaille pas aujourd’hui ». Or l’ami n’est venu pour qu’il s’arrête de travailler ; c’est arrivé comme çà car c’est sans se soucier de l’ami qu’il a cessé de travailler. C’est ce qu’on appelle un accident, parce que c’est survenu comme çà. Dieu ne veut pas d’ailleurs être seul juste, mais que tous lui ressemblent autant qu’il se peut.

CHAPITRE XX

Il n’y a pas deux principes.

Tirons de là qu’il n’y a pas deux principes, l’un du bien, l’autre du mal. Le bien et le mal sont opposés l’un à l’autre, se détruisent l’un l’autre et ne peuvent subsister l’un dans ou avec l’autre. Chacun serait une partie du tout et serait d’abord circonscrit, limité, non seul pour le tout et seulement pour une partie du tout.

De plus qui va assigner à chacun sa place ? Car l’un ne saurait dire à l’autre de se joindre à lui, de lui prêter assistance ; le mal qui parle de paix n’est pas le mal, ni quand il concourt au bien; et le bien n’est pas le bien dès qu’il dispose au mal. Si donc un autre délimite à chacun des deux son champ d’action, ne sera-ce pas Dieu ?

Nécessairement de deux choses l’une : ou bien l’un touche et détruit l’autre, ou bien entre les deux est un milieu dans lequel il n’y a ni le bien ni le mal, une sorte de diaphragme les séparant. Ce qui fait dès lors non pas deux, mais trois principes.

Nécessairement encore ce principe (autre que ces deux) consiste ou bien à pratiquer l’entente, mais le mal ne le peut, car la paix n’est pas le fait du mal ; ou bien à se battre, et le bien ne le peut, car se battre n’est pas, certainement, un bien ; ou bien se battre est le mal et le bien de ne pas se défendre mais de succomber sous le mal ; ou être perpétuellement dans les larmes et maltraité, ce qui n’est pas le signe où l’on reconnaît le bien ; il y a donc un seul principe éloigné de tout mal.

Mais alors, dit-on, d’où vient le mal ? puisque le mal ne peut avoir son origine dans le bien. Nous répondons que le mal n’est pas autre chose que la privation du bien et le chemin qui dévie du « selon la nature » vers le « contre nature » ; rien n’est mauvais par nature. Tout ce qu’a fait Dieu est très bon, tel qu’il est venu ; tout ce qui persiste, tel qu’il a été créé, est très bon. Ce qui se sépare volontairement du naturel et va contre-nature, devient mauvais.

Tout ce qui sert et obéit au démiurge est selon la nature. Lorsqu’une créature, volontairement, se rebelle et désobéit à son créateur, elle établit le mal en elle-même. Car le vice n’est pas une essence, ni une propriété d’essence, mais un accident, c’est-à-dire la déviation volontaire du selon au contre la nature; c’est le péché.

D’où vient alors le péché ? C’est l’invention du diable, de sa liberté d’opinion. Le diable est donc le mal ? Non, pas tel qu’il est venu. Il était bon ; ange lumineux et tout éclatant, tel a-t-il été créé par le démiurge, libre en lui-même en tant que raisonnable ; c’est volontairement qu’il s’est détourné de la vertu, selon la nature, et dirigé vers la ténèbre du mal, en s’éloignant de Dieu, le seul bon, donateur de vie et de lumière. Car c’est de Lui que tout ce qui est bon tire sa bonté et pour autant qu’on s’éloigne de Lui (il ne s’agit pas de l’espace) on va vers le mal.

CHAPITRE XXI

Pourquoi Dieu a-t-il créé ceux qu’il sait devoir pécher sans repentir ?

Dieu par bonté amène du non-être à l’être les choses qui arrivent et il sait à l’avance ce qu’elles seront. Donc, d’une part, il n’y en aurait pas de mauvaise à venir, ni de prescience à leur sujet, dès lors qu’il ne devrait pas y avoir cet avenir. La science concerne ce qui est, la pré-science ce qui sera. D’abord il y a l’être et, seulement après, être bon ou mauvais. D’autre part si le fait de devoir devenir mauvais dans le futur, empêchait les êtres que Dieu va susciter dans sa bonté de naître, c’est que le mal l’emporterait sur la bonté de Dieu. Dieu a donc fait bonnes toutes les choses qu’il a faites et c’est par le choix libre et personnel que chacune devient bonne ou mauvaise. Lorsque le Seigneur dit : « Il aurait mieux valu que cet homme ne fût pas né ». (Marc 14-21), ce n’est pas pour critiquer sa propre nature mais cette méchanceté qui est survenue à sa créature par son propre choix et sa mollesse à décider. Et c’est cette mollesse de son jugement qui a rendu inutile le bienfait de son créateur. C’est comme si un roi remettait richesse et puissance entre les mains de quelqu’un qui tyranniserait son bienfaiteur ; après l’avoir repris en main, il lui infligera ce qu’il mérite s’il le voit persister jusqu’au bout dans sa tyrannie.

CHAPITRE XXII

La Loi de Dieu et la Loi du péché.

Dieu est bon, suréminemment bon, et de même est sa volonté, car est bon ce que Dieu veut. La loi est le précepte qui nous l’a appris pour qu’en demeurant en elle nous soyons dans la lumière. La transgression de ce commandement est le péché ; elle a été provoquée sous l’influence du diable et par notre assentiment volontaire et délibéré ; on la nomme aussi loi (du péché).

En prévalant dans notre esprit, la loi de Dieu attire à elle et avertit notre conscience, et on appelle aussi loi de notre esprit, notre conscience. Quand c’est l’influence du mal, la loi du péché, qui prévaut dans les membres de notre chair, elle nous influence à travers celle-ci. En transgressant une seule fois volontairement la loi de Dieu et en accueillant l’influence du mal nous lui avons donné entrée en nous vendant au péché. De là que notre corps y soit prompt. C’est donc ce goût, cette sensibilité au péché, autrement dit la convoitise et la volupté du corps, qu’on appelle loi de nos membres charnels.

Ainsi d’un côté la loi de mon esprit, ma conscience, se complaît dans la loi de Dieu, c’est-à-dire son commandement, et la désire, et d’un autre la loi du péché, c’est-à-dire l’influence de la loi qui est dans mes membres, (la convoitise, l’inclination et l’impulsion du corps et de la partie non raisonnable de l’âme), cette loi donc fait la guerre à la loi de mon esprit, à ma conscience et me tient prisonnier, même voulant la Loi de Dieu, même l’aimant, même ne voulant pas le péché, en se mêlant à moi ; elle m’égare par la douceur du plaisir, la convoitise du corps et la part irraisonnable de l’âme, comme je le disais, et me persuade de me livrer au péché, mais « ce qui était impossible à la loi, là où la loi était impuissante à cause de la chair, Dieu l’a fait en envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché (car il a assumé la chair, mais non le péché) : «il a condamné le péché dans la chair afin que la justice de la loi s’accomplît en ceux qui ne marchent pas selon la chair, mais selon l’Esprit. Car l’Esprit subvient à notre faiblesse » (Rom. 8-3…, 26) et il donne puissance à la loi de notre esprit contre la loi qui est dans nos membres. Et en effet « nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables » (Rom. 8-26), c’est-à-dire qu’il nous apprend comment prier. De sorte qu’il est impossible de suivre les commandements du Seigneur si ce n’est par la patience et la prière.

CHAPITRE XXIII

Contre les Juifs, le Sabbat.

Le septième jour est appelé sabbat, qui veut dire repos, car en ce jour, dit l’Écriture, « Dieu se reposa de toutes ses œuvres » (Gen. 2-2), c’est pourquoi le nombre des jours va jusqu’à sept, puis recommence un cycle, en repartant du premier. Ce nombre était en honneur chez les juifs parce que Dieu avait ordonné de l’honorer ; et ce, non pas négligemment, mais avec les plus lourdes peines pour ceux qui y manquaient. Et il n’a pas établi cela au hasard mais pour des raisons saisies comme un mystère par ceux-là qui sont doués de pénétration spirituelle[98] .

Pour autant que je sache, moi qui n’ai pas cette science, et pour commencer par les plus bas et les plus épais arguments, Dieu connaissait la grossièreté, l’attrait pour la chair, l’entière inclination au matériel et le manque de discernement du peuple d’Israël. C’était donc en premier lieu « pour que le serviteur et la bête de somme se reposassent » (Deut. 6-14) car « l’homme juste plaint la vie de ses bêtes » (Prov. ). En même temps, avec le loisir que leur laissaient ainsi les préoccupations maté­rielles, ils se tournaient vers Dieu, passant tout le septième jour à chanter des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels, et à méditer les Écritures divines, en se reposant en Dieu. Lorsqu’il n’y avait pas encore de loi, ni d’Écriture inspirée, le sabbat n’était pas consacré à Dieu. Et lorsque fut donnée par Moïse l’Écriture divinement inspirée, le sabbat fut consacré à Dieu, pour la commenter et la méditer en ce jour, eux qui ne consacraient pas toute leur vie à Dieu, ni ne servaient leur Seigneur par désir comme un Père, mais découpaient de leur vie un petit morceau pour Dieu, le moins possible, et cela par crainte de contrôles et de peines en cas de transgression. « Car ce n’est pas pour le juste qu’est posée la loi mais pour l’injuste » (I. Tim. I-9). Puisque Moïse, le premier est resté dans le jeûne quarante jours, puis de nouveau quarante jours devant Dieu, certainement il s’est infligé des jeûnes pendant les sabbats, quoique la loi ait prescrit de ne pas se mortifier le jour du sabbat. Et si l’on dit que cela n’était bon qu’avant la loi, que répondra-t-on au sujet d’Élie, le Thesbite qui vint à bout d’une marche de quarante jours en ne prenant qu’une fois de la nourriture. Et bel et bien en jeûnant, en voyageant lors des sabbats de ces quarante jours et, en se mortifiant ainsi, il a rompu le Sabbat : et Dieu, lui qui avait donné la loi, ne s’est pas mis en colère contre lui ; il lui a même donné la récompense de sa vertu en se montrant à lui à Horeb. Et que diront-ils de Daniel ? N’est-il pas resté trois semaines entières sans nourriture ? (Dan. 10-2). Et tout Israël ne faisait-il pas la circoncision le huitième jour, même si cela tombait un jour de sabbat ? Est-ce que le grand jeûne, prescrit par la loi, n’était pas observé s’il tombait aussi un sabbat ? Est-ce que les prêtres et les lévites, dans leurs fonctions du tabernacle, ne violaient pas le sabbat, sans être fautifs ? Et même, du bétail venait-il à tomber dans un trou lors du sabbat, celui qui l’en tirait n’était pas fautif, alors que celui dont c’était la faute était condamné. Et tout Israël n’a-t-il pas porté l’arche de Dieu pendant sept jours, en marchant autour des murailles de Jéricho, sept jours dont un sabbat ?

Comme je le disais, c’est pour vaquer à Dieu, pour lui laisser une part et se reposer, serviteur et bétail, que l’observation du sabbat fut inventée pour eux encore enfants, encore asservis aux éléments du monde, eux charnels et incapables de penser plus loin que la lettre, plus haut que le corps. Mais « lorsque le temps a été accompli, Dieu a envoyé son Fils, monogène, homme né d’une femme et sous la loi, pour racheter ceux sous la loi et pour que nous recevions l’adoption filiale » (Gal. 4-4). Et à nous qui l’avons reçu, il nous a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, nous qui avons cru en lui, et nous ne sommes plus serviteurs mais fils, non plus sous la loi mais sous la grâce, non plus des serviteurs à temps partiel et dans la crainte du Seigneur, mais des serviteurs tenus de lui consacrer tout le temps de notre vie, en nous « reposant » du péché et en remettant à Dieu de donner vacance à l’esclave, c’est-à-dire à la colère et à la convoitise ; la convoitise en la tournant tout entière vers Dieu, la colère en s’en armant contre les ennemis de Dieu, et quant au bétail, notre corps, en le faisant reposer de la servitude du péché et en le poussant à prêter ses offices aux divins commandements.

Voilà ce que la loi spirituelle du Christ nous commande et ceux qui l’observent sont au-dessus de la loi de Moïse. Quand le parfait arrive, le partiel disparaît ; quand le voile de la loi (c’est-à-dire celui du temple) fut déchiré par la croix du Sauveur et quand le Saint-Esprit a éclairé avec des langues de feu, la lettre a perdu sa force, les choses corporelles ont cessé, la loi de servitude s’est arrêtée et la loi de liberté nous a été donnée. Et nous célébrons le repos parfait de la nature humaine, je veux dire le jour de la résurrection dans lequel le Seigneur Jésus, principe avant-coureur de la vie et sauveur, a amené ceux qui rendent à Dieu un culte en esprit pour l’héritage promis. Lui-même y est entré nous ouvrant le chemin après être ressuscité des morts et avoir ouvert les portes du ciel, et il s’est assis corporellement à la droite du Père là où entreront aussi ceux qui observent la loi spirituelle.

Pour nous, donc, qui nous tenons à l’esprit et non à la lettre, c’est l’abandon de tout ce qui est charnel, le culte spirituel et l’attachement à Dieu. La circoncision, c’est celle de la volupté du corps et l’abandon du superflu, du non-nécessaire, car le prépuce n’est pas autre chose que la peau en trop de la volupté en nous. Tout plaisir qui ne vient pas de Dieu ni pour Dieu est un plaisir superflu ; l’image en est le prépuce. Le Sabbat est le repos du péché. De sorte que l’un et l’autre se trouvent être une même chose ; ils sont accomplis ensemble par les spirituels et ne vont en rien contre la loi.

Il faut encore savoir que le nombre sept est celui de tout le temps actuel, comme dit le sage Salomon « fais-en part à sept et même à huit » (Eccl. II-2). Et David, à la parole divine, psalmodiant sur l’octave, chantait le rétablissement à venir de toute chose, après la résurrection des morts. La loi donc, en prescrivant d’arrêter le septième jour le travail du corps et de se livrer aux choses spirituelles, sous-entendait mystiquement au véritable Israël, à celui dont l’intellect voit Dieu, de s’élever tout le temps vers Dieu au-dessus des choses sensibles.

CHAPITRE XXIV

De la virginité.

Les gens charnels parlent mal de la virginité et les voluptueux avancent en témoignage : « Maudit soit celui qui ne suscite pas de germe en Israël » (Deut. 25-9). Nous disons, nous, encouragés par le Dieu-Verbe incarné de la Vierge, que la Virginité était originelle et innée en principe dans la nature des hommes, car c’est d’une terre virginale qu’a été modelé l’homme, c’est du seul Adam qu’Éve a été créée. Dans le paradis la virginité était l’état normal. La divine Écriture dit donc qu’ils étaient nus, Adam et Eve, et n’en éprouvaient pas de honte. Après leur transgression, ils surent qu’ils étaient nus et, pris de honte, ils se cousirent des ceintures. Lorsqu’après la transgression ils entendirent : « Tu es terre et tu retourneras dans la terre » (Gen. 3-7), lorsque par la transgression la mort entra dans le monde, seulement alors « Adam connut sa femme Ève, elle conçut et engendra » (Ibid. 19). C’est pour éviter la destruction et la perte du genre humain par la mort que fut inventé le mariage ; ayant des enfants, la race des hommes fut ainsi préservée.

Mais ils diront sans doute : que veut dire alors « le masculin et le féminin » (Gen. 1-28), le « croissez et multipliez » (id) ? A quoi nous répondrons que « ce croissez et multipliez », ne vise pas toujours la multiplication par union conjugale. Car Dieu pouvait multiplier le genre humain par d’autres moyens, s’ils avaient gardé inviolé son commandement jusqu’à la fin. Mais Dieu, qui dans sa prescience connaît toute chose avant qu’elle n’arrive, savait qu’ils allaient désobéir et être condamnés à mort, et c’est en prévision qu’il fit le masculin et le féminin et ordonna de croître et de multiplier. Faisons donc route en arrière et voyons les avantages de la virginité, autrement dit de la chasteté.

Noé reçu l’ordre d’entrer dans l’arche et de maintenir préservés les germes du monde : « Entre, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils ». (Gen. 8-1) et ceux-ci, il les sépare des femmes, pour qu’ils échappent, avec la chasteté, au fléau et à ce déluge universel. Quand le cataclysme eût cessé : « Sors, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils ». (Gen. 8-16). Voilà encore qui autorise le mariage en vue de la multiplication. Elie, ensuite, cet aurige du char de feu venu du ciel, n’embrassa-t-il pas le célibat et sa vertu ne fut-elle pas attestée par son enlèvement au-dessus des hommes ?

Qui a fermé les cieux, ressuscité les morts, coupé le cours du Jourdain ? N’est-ce pas Élie, le vierge ? Élisée, son disciple, qui montra une égale vertu après avoir demandé double part de la grâce du Saint-Esprit, ne fut-il pas son héritier ? Et les trois jeunes gens ? N’est-ce pas par l’ascèse de la virginité qu’ils furent plus forts que le feu et devinrent par la virginité réfractaires au feu ? Et Daniel ne dut-il pas à son corps fortifié par la virginité de fermer la gueule aux bêtes dont les dents ne purent le déchirer. Lorsque les Israélites se préparaient au regard de Dieu, est-ce qu’ils ne devaient pas garder leur corps chaste ? Les prêtres ne se gardaient-ils pas chastes, pour entrer dans les lieux inviolables et y apporter le sacrifice ? La loi ne disait-elle pas que la chasteté est une longue prière ?

Il faut donc saisir le commandement de la loi spirituellement, car il y a, dans le sein de notre âme, un germe spirituel conçu par amour et crainte de Dieu : il enfante dans les douleurs l’esprit de salut. C’est ainsi qu’il faut entendre : « Bienheureux celui qui a un germe en Sion et des proches en Jérusalem ». (Is. 21-9-Septante). Serait-on bienheureux, étant débauché, ivrogne ou idolâtre, s’il suffisait d’avoir un germe en Sion et des parents en Jérusalem ? Personne de sensé ne le soutiendrait.

La virginité est l’état des anges et de toute nature incorporelle. Nous le disons, non pour blâmer le mariage, loin de moi cette pensée, car, nous le savons, le Seigneur quand il était avec nous a béni le mariage ; et il est dit : « Le mariage est à honorer et l’amour conjugal sans souillure ». (Heb. 13-4). Mais nous savons que la virginité est meilleure que ce qui est bon, car il y a dans les vertus des degrés, élevés ou inférieurs, comme dans les vices. Nous savons que tous les mortels sont nés par le mariage, après les promoteurs de la race humaine. Ceux-ci sont modelage de la virginité et non du mariage, et l’a-gamie des anges, disions-nous, est un modèle à imiter. Autant l’ange est supérieur à l’homme, autant la virginité est plus grande que le mariage. Que dis-je un ange ? Le Christ lui-même, gloire de la virginité, non seulement vient du Père hors du temps, sans flux, sans couple, mais encore devenu homme comme nous, il s’est incarné de la Vierge pour nous sans union, montrant en lui la totale et véritable virginité. De là qu’il ne nous ait pas donné comme une loi de la garder, car « tous ne peuvent recevoir cette parole » (Mat. 19-II), comme il l’a lui-même dit, mais nous l’ait proposée par son exemple et nous en ait donné la force. Et à qui n’est-il pas manifeste que la virginité est aujourd’hui mise en pratique parmi les hommes ?

Avoir des enfants est bien quand c’est dans le mariage, et le mariage est bon aussi qui coupe la luxure et la rage du désir par des relations légitimes en évitant les folies d’actes contre-nature. Le mariage est bon pour ceux qui n’ont pas la maîtrise d’eux-mêmes ; meilleure est la virginité qui augmente la fécondité de l’âme et apporte à Dieu le fruit mûr à son heure qu’est la prière. « Le mariage est à honorer et l’union conjugale sans souillure, mais Dieu jugera la luxure et l’adultère ». (Heb. 13-4).

CHAPITRE XXV

De la circoncision.

La circoncision fut donnée à Abraham, avant la loi, après la bénédiction et la promesse, comme signe pour le mettre à part, lui, les siens et ceux de sa maison, des nations au milieu desquelles il vivait. Elle montre ceci : tant qu’Israël fut seul avec lui-même pendant quarante ans dans le désert, sans se mêler à d’autres nations, ceux qui naquirent dans le désert ne furent pas circoncis. Lorsque Josué leur fit franchir le Jourdain, ils furent circoncis et la seconde loi de circoncision promulguée. Car il fut donné à Abraham une loi de circoncision, puis elle cessa pendant les quarante ans au désert. Et Dieu donna encore pour la seconde fois une loi de circoncision à Josué, après le passage du Jourdain, comme il est écrit au livre de Josué fils de Noun « En ce temps-là le Seigneur dit à Josué : « Fais-toi des couteaux tranchants en éclats de pierre et circoncis une deuxième fois les enfants d’Israël » (Jos. 5-2) puis, peu après : « Car Israël avait marché quarante-deux ans dans le désert de Madbara ; raison pour laquelle la plupart n’étaient pas circoncis, qui étaient nés des combattants sortis du pays d’Égypte et n’ayant pas obéi aux commandements de Dieu ; le Seigneur leur avait juré qu’ils ne verraient pas la bonne terre qu’il avait juré à leurs pères de leur donner, terre où coulaient le lait et le miel. A leur place il y établit leurs fils que Josué circoncit, puisqu’ils n’avaient pas été circoncis durant le voyage. » (ibid. 6-7). De sorte que la circon­cision était la marque séparant Israël des nations où il vivait.

C’était la figure du baptême. En effet de même que la circoncision coupe une partie du corps qui n’est pas utile, mais est un superflu sans utilité, de même par le Saint Baptême sommes-nous circoncis du péché ; ce péché, d’évidence, est convoitise superflue et non désir utile. Car il est impossible d’échapper à toute convoitise ou de n’avoir jamais goûté au plaisir, mais l’inutile du plaisir c’est-à-dire la convoitise et le plaisir inutiles (et c’est le péché), voilà ce dont circoncit le Saint Baptême, nous posant sur le front le signe vénéré de la croix ; il ne nous met pas à part des nations, car toutes les nations ont trouvé le baptême et sont scellées du signe de la croix, mais dans chaque nation il distingue le croyant de l’incroyant. Quand la vérité est apparue, l’ombre et la figure sont devenues vaines, de sorte qu’il est sans utilité d’être circoncis; à l’opposé du Saint Baptême. « Car celui qui est circoncis est obligé d’observer la loi tout entière » (Gal. 5-3). Le Seigneur, pour accomplir la loi a été circoncis ; et il a observé toute la Loi et le sabbat pour accomplir et garder la loi. Mais du moment qu’il fut baptisé et le Saint-Esprit manifesté aux hommes, sous la forme d’une colombe descendue sur lui, de ce moment furent annoncés le culte et le mode de vie spirituels, ainsi que le royaume des cieux.

CHAPITRE XXVI

De l’Anti-Christ.

Il nous faut savoir que l’Anti-Christ[99] doit venir. Et tout homme est l’Antichrist qui ne confesse pas que le Fils de Dieu est venu dans la chair, qu’il est Dieu parfait, devenu homme parfait en restant Dieu parfait. Mais on appelle plus spécialement Antichrist celui qui viendra à la fin des siècles. C’est pourquoi il faut d’abord que l’Évangile ait été prêché dans toutes les nations, comme le dit le Seigneur, et alors il viendra pour éprouver les Juifs qui s’opposent à Dieu. Car le Seigneur leur a dit : « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’avez pas accepté ; qu’un autre vienne en son propre nom, et lui sera accepté ». (Jean 5-43). Et l’Apôtre : « C’est parce, qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. C’est pourquoi Dieu leur enverra un esprit d’erreur qui les fera croire au mensonge, pour qu’ils soient jugés, tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais se sont complus dans l’injustice. » (2 Thes. 2-8). Ainsi les Juifs n’ont pas reçu, comme étant Fils de Dieu, le Seigneur Jésus-Christ et Dieu, mais ils rece­vront l’imposteur, celui qui se dira Dieu. Car il s’arrogera le nom de Dieu, comme l’a appris l’ange à Daniel, en disant : « Il ne se souciera pas du Dieu de ses pères. » (Dan. II-37). Et l’apôtre : « Que personne ne vous séduise en aucune façon, avant que d’abord l’apostasie n’arrive et ne se découvre l’homme d’iniquité, le fils de perdition, l’adversaire qui s’élève sur toute parole de Dieu, et s’offre à la piété jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se désignant lui-même comme Dieu. » (2 Thés. 2-3). Dans le temple de Dieu, non le nôtre mais l’ancien, celui des Juifs, car ce n’est pas chez nous qu’il viendra mais chez les Juifs, non pour le Christ mais contre le Christ ; c’est pour cela qu’on appelle Antichrist.

Il faut donc d’abord que l’Évangile soit prêché dans toute les nations, « alors se révèlera l’inique, dont l’avènement est l’opération de Satan, avec toute puissance, signes et faux miracles, toute la séduction de l’iniquité pour ceux qui périssent ; le Seigneur l’ôtera de la parole de sa bouche et le détruira par l’éclat de son avènement. » (2 Thes. 2-8). Ce n’est pas le diable lui-même qui devient homme, comme pour l’hominisation du Seigneur, loin de moi la pensée, mais c’est l’homme engendré dans la luxure qui recevra toute l’énergie de Satan, car Dieu sachant à l’avance que dans la liberté il choisirait l’aliénation, a permis que le diable habite en lui.

Il est né, disons-nous, de la luxure et a été nourri dans le secret mais soudainement il se dresse, s’oppose et se fait roi. En prélude à son règne, à sa tyrannie plutôt, il affecte la sainteté, mais lorsque son pouvoir s’est affermi il persécute l’Église de Dieu et manifeste toute son infamie. Il viendra « avec des signes et de faux miracles », simulés mais non authentiques ; il trompera les intelligences dont le fondement est pourri et sans fermeté, et il les éloignera du Dieu vivant jusqu’à scandaliser les élus mêmes si possible.

Henoch et Elie le Thesbite seront envoyés et ils ramèneront le cœur des pères vers les enfants, c’est-à-dire la synagogue vers notre Seigneur Jésus-Christ et vers la doctrine des apôtres ; mais ils seront massacrés. Alors viendra du ciel le Seigneur de la même façon que les apôtres l’avaient vu monter au ciel. Dieu parfait et homme parfait, avec gloire et puissance, il enlèvera du souffle de sa bouche l’homme d’iniquité, le fils de perdition. Que personne ne s’attende à voir venir de la terre le Seigneur, mais du ciel; c’est lui-même qui l’a déclaré.

CHAPITRE XXVII

De la Résurrection.

Nous avons foi également en une résurrection des morts, car cela sera effectivement : il y aura une résurrection des morts. En disant résurrection, nous entendons résurrection des corps. La résurrection, c’est quand se dressent pour la deuxième fois ceux qui sont tombés, car les âmes étant immortelles comment ressusciteraient-elles ? Si l’on définit la mort séparation de l’âme et du corps, la résurrection est une nouvelle coaptation de l’âme et du corps, un second « dressement » de l’être dissous et tombé. Le corps même qui a été corrompu et dissous se redressera incorruptible. Car il n’est pas impossible à celui qui, l’ayant formé au commencement de la poussière de la terre, l’a dissous à nouveau et l’a reversé à la terre d’où il avait été pris, de le faire par un retour du démiurge, surgir à nouveau.

S’il n’y a pas de résurrection, mangeons, buvons et menons une vie de volupté et de vices. S’il n’y a pas de résurrection en quoi différons-nous des êtres sans raison ? S’il n’y a pas de résurrection, bienheureuses les bêtes avec leur vie exempte de tristesse. S’il n’y a pas de résurrection, pas non plus de Dieu ni de providence, tout se mène et se fait automatiquement. Car nous pouvons voir la plupart des justes dans la pauvreté, traités injustement et sans récompense dans la vie présente, et les pécheurs, les injustes florissant dans leurs richesse et leurs jouissances. Est-ce qu’un jugement sain prendrait cela pour une œuvre de justice et de prévoyante sagesse ? Il y aura, oui, il y aura une résurrection, car Dieu est juste et il rendra une juste rétribution à ceux qui le soutiennent. Si c’était en effet la seule âme qui eût lutté dans les combats de la vertu, l’âme seule serait couronnée; si l’âme seule se roulait dans les plaisirs, seule elle serait châtiée. Mais comme l’âme n’a marché ni dans la vertu ni dans le vice sans le corps, les deux recevront en même temps la rétribution.

D’autre part c’est la divine Écriture qui atteste aussi la résurrection des morts. Ainsi Dieu dit à Noé après le déluge : « Je vous ai donné tout cela comme l’herbe verte mais vous ne mangerez pas la chair avec son sang-âme, car je redemanderai de la main de toutes les bêtes sauvages, et de la main de l’homme, son frère, je redemanderai son âme. A qui verse le sang de l’homme, son sang sera versé en échange, car j’ai fait l’homme à l’image de Dieu. » (Gen. 9-3) comment redemanderait-ille sang de l’homme de la «main» de toutes les bêtes si les corps des hommes ainsi morts ne ressuscitaient pas ? Car les bêtes ne meurent pas à la place de l’homme.

Il est dit aussi à Moïse : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob… Dieu n’est pas le Dieu des morts. » (Ex. 3-6, Mat. 22-32), de ceux qui sont morts et ne seront plus, mais des vivants, ceux dont les âmes vivent entre ses mains et dont les corps vivront de nouveau par la résurrection. David, l’ancêtre de Dieu, lui dit : « Tu leur retires le souffle et ils expirent et retournent dans leur poussière. » (Ps. 104-29). Et il ajoute : « Tu envoies ton souffle et ils sont créés et tu renouvelles la face de la terre ».

Isaïe aussi : « Les morts ressusciteront et ceux dans les tombes se lèveront. » (27-9). Ce ne sont pas évidemment les âmes qui gisent dans les tombeaux, mais les corps.

Le bienheureux Ezéchiel aussi : « Et, voici, il arriva, dit-il, pendant que je prophétisais, que la terre trembla, les os se rapprochèrent, os à os, chacun à sa place. Je regardais et voici qu’il leur vint des nerfs, de la chair s’y mit et les recouvrit, et ils s’enveloppèrent de peau entièrement. » (38-7,8). Ensuite il apprend comment leurs esprits, rappelés, revinrent en eux.

Le divin Daniel également : « Et à ce moment-là se lèvera Michel, le grand archonte, qui se dresse pour les fils du peuple ; il y aura un temps de détresse, détresse telle qu’il n’y en a point eu depuis qu’il y a des nations sur la terre jusqu’à maintenant. Et à ce moment ton peuple sera sauvé, tous ceux qui auront été trouvés inscrits dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se lèveront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre et la honte éternels. Et ceux qui auront eu l’intelligence brilleront comme la splendeur du firmament et, parmi les nombreux justes, ils brilleront encore, comme des astres dans l’éternité. » (12-1, 2, 5). En disant « beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre, se lèveront », il est évident qu’il vise la résurrection des corps, car on ne dit pas que les âmes reposent dans la poussière.

Et c’est aussi, surtout, le Seigneur qui dans les Saints Évangiles nous a transmis : « Car ceux qui sont dans les tombeaux, dit-il, entendront la voix du Fils de Dieu et ils s’avanceront, ceux qui ont fait le bien pour une résurrection de vie, ceux qui ont fait le mal pour une résurrection de condamnation ». (Jean 5-28). Et dans les tombeaux ne sont pas des âmes, si on parle sainement.

Ce n’est pas seulement par la parole, mais par des actes qu’il a manifesté la résurrection des corps. Il a d’abord ressuscité Lazare le quatrième jour, alors que, corrompu, il sentait déjà ; et ce n’était pas une âme privée de corps mais l’âme avec le corps ; et non pas un autre corps mais celui-là même, corrompu, qu’il réveilla. Comment d’ailleurs aurait-on su ou cru que ce mort était ressuscité si l’on n’avait reconnu ses traits propres ? Il a aussi ressuscité Lazare pour montrer sa propre divinité et donner foi en sa résurrection et en la nôtre ; ce Lazare qui allait mourir à nouveau. Le Seigneur est devenu prémisse de la résurrection parfaite, celle qui n’est plus soumise à la mort. C’est pour cela que le divin apôtre Paul dit aussi : « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine ; nous sommes encore dans nos péchés (1 Cor. 15-10). Le Christ est ressuscité, prémisse de ceux qui dorment (ib. 20). Premier-né d’entre les morts (Col. 1-18). Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, de même aussi Dieu amènera-t-il ceux qui sont endormis, par Jésus, avec lui » Thes. 4-14). L’apôtre dit de même, c’est-à-dire : comme le Seigneur a ressuscité.

La résurrection du Seigneur a été la réunion d’un corps déjà incorruptible et d’une âme, (car ils avaient été séparés) ; on le voit quand il dit : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours » (Jean 2-19). L’Évangile est un témoin digne de foi quand il parle de son propre corps : « Touchez-moi et voyez, dit le Seigneur à ses propres disciples qui croyaient voir un esprit, que c’est bien moi, que je n’ai pas changé ; un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’ai. » (Luc. 24-39). En leur disant cela, il leur montra ses mains et son côté ; et il les présenta à Thomas pour qu’il les palpât. Tout cela ne suffit-il pas pour qu’on croie à la résurrection des corps ?

Le divin apôtre dit encore : « Car il faut que le corruptible revête l’incorruptibilité et que le mortel revête l’immortalité (1 Cor. 15-53), et encore : il est semé dans la corruption, il ressuscite dans l’incorruptibilité; semé dans la faiblesse, il ressuscite dans la puissance, semé sans honneur, il ressuscite en gloire ; semé psychique – c’est-à-dire opaque et mortel – il ressuscite corps spirituel. » (Ib. 42), comme le corps du Seigneur après la résurrection qui pénètre, les portes fermées, qui ignore la fatigue, le besoin de nourriture, de sommeil, de boisson. « Ils seront comme les anges de Dieu », dit le Seigneur (Marc 12-25) ; i1 n’y aura ni mariage, ni enfantement. Le divin apôtre dit donc : « Car nous partageons la vie des cieux, d’où nous attendons aussi le Sauveur, le Seigneur Jésus, qui changera notre corps d’abaissement pour le conformer à son corps de gloire. » (Phil. 3-21) ; il ne parle pas d’un changement en une autre forme, loin de moi la pensée, mais le changement de corruptible en incorruptible.

Mais on dira : comment les morts ressuscitent-ils ? Quel manque de foi et d’intelligence ! Celui qui change la poussière en corps à sa seule volonté, celui qui fait se développer dans le sein de sa mère une minuscule goutte de germe et s’achever en un corps aux organes complexes et de tous genres, ne ressuscitera-t-il pas, rien que par sa volonté, ce corps qui est né, s’est dissous. Et avec quel corps reviendront-ils ? Insensé, qu’au moins, si ta dureté t’empêche de croire aux paroles de Dieu, crois à ses œuvres : « car ce que tu sèmes ne sera vivifié s’il ne meurt ; quand tu sèmes ce n’est pas le corps développé que tu sèmes, mais une simple graine de blé ou autre. C’est Dieu qui lui donne corps, comme il le veut, et à chacun des germes son corps particulier ». (1 Cor. 15-35). A considérer donc comme les semences sont recouvertes par les sillons comme dans des tombeaux, on peut ajouter : qui leur préétablit ces racines, ces tiges, ces feuilles et ces fleurs délicates ? N’est-ce pas le créateur de l’univers, son ordre d’architecte ? Ainsi crois également qu’il y aura une résur­rection des morts dans son conseil et sur un signe de Dieu, car il possède une puissance qui suit constamment son conseil.

C’est pourquoi, à la résurrection, nos âmes seront réunies à des corps devenus incorruptibles et nous comparaîtrons au redoutable tribunal du Christ ; y seront cités aussi le diable, ses démons et son homme à lui, l’Antichrist, avec les impies et les pécheurs, pour être livrés au feu éternel. Non pas un feu matériel comme le nôtre, mais celui que Dieu connaît. Ceux qui auront fait le bien brilleront comme le soleil en compagnie des anges avec notre Seigneur Jésus-Christ, nos yeux constamment sur Lui et les siens sur nous, portant le fruit de la joie sans fin qu’il donne, et le louant avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles infinis des siècles.

Amen !

CONTRE CEUX QUI REJETTENT
LES SAINTES ICÔNES

Introduction

Le problème de l’icône, quand on l’a dépouillé de son contexte historique, est un des plus profonds, sinon le plus, qui se posent à l’homme; il n’est autre que celui de son verbe, de la double ouverture qu’a ce verbe sur le monde-sous-les-sens et le monde des « idées » (le visible et l’invisible), et de la correspondance (analoguia) des deux par sa vertu opérative.

Tomber sous les sens est pour l’homme l’expression même d’une évidence à laquelle il ne peut se dérober et, par là, l’objectivité, l’existence « en chair et en os » ou, disons, le concret, a une force qu’aucune argumentation ne saurait remplacer. Il n’argumente pas l’évidence ; elle le saisit autant qu’il la saisit. Face à cette évidence « irréfragable » des sens, il s’en tient une autre qui l’atteint intuitivement et le convainc par dessus les raisonnements : celle du sens que lui offre ce concret. L’homme en effet, pour Saint-Jean Damascène qui assume la tradition, vit dans le sensible par son corps et dans le noétique par son esprit (le noûs). Et le monde dans sa profusion montre un ordre et il s’y lit la pensée divine. Les pierres disent la fermeté de son fondement et, celles qui sont précieuses, une capacité de réfléchir dans leur eau l’orient du ciel. Les plantes, ainsi fondées, disent le déploiement de cet ordre, son animation cachée. Les bêtes, avec la survenue des sens, des pattes et d’un cri, annoncent l’individu « autonome » et une libération devenant effective en l’homme, animal raisonnable et libre. Pas de système ni de philosophie qui aille contre cette évidence. Mais cette liberté, pourquoi ? C’est ici qu’apparaît ce sens profond du tout et l’intervention du verbe de l’homme pour refléter en écho le monde ambiant et « conditionnant », tout comme le cri animal, mais aussi, en opposition avec ce dernier, pour le douer d’un sens en articulant ses parties et en le chantant dans une gloire et une poésie ineffables.

Ce verbe est donc une icône faisant écho au monde d’ici-bas et au monde d’en haut, en quoi il est antinomique; tel un être vivant, existant par son milieu etcontre son milieu en y faisant apparaître un autre inimaginable. Un symbole dans l’antiquité était un objet divisé ou déchiré en deux qui, rassemblé, (d’où son nom) permettait aux parties détenant un morceau de se reconnaître. Mais, dans ce cas, il n’est qu’un signe, comme l’est un panneau de signalisation routier, tandis qu’ un symbole véritable est antinomique en ce qu’il évoque et invoque ; il évoque un tout dans ses moindres parties et invoque sur lui la puissance angélique qui le fait être. Par là il comprend ce monde au sens qu’il énumère ses aspects et détails et en celui qu’il anime, ordonne et glorifie celles-ci ; il est créateur de par une vertu singulière de faire accorder ce qui est opposé.

Il faudrait dire qu’il était créateur parce qu’il est trop évident que, dans l’antinomie du Ciel et de la Terre qui porte en elle, nous dit Jean Damascène, l’opposition et celle-ci la corruption, il ne fait plus jaillir la ressemblance, mais la limitation, la séparation et la mort. Sans doute y a-t-il eu à l’origine une langue merveilleuse, racinant dans le ciel, et par suite l’homme pouvait-il à l’aide des symboles invoquant ses puissances, nommer le monde et lui parler avec autorité. Avec nos langues « vivantes », restes morcelés, concassés, agglomérés et « métamorphisés » des anciennes langues sacrées (« mortes »), nous errons et nous nous trompons, encore qu’une des plus grandes joies soit d’en faire rouler les débris dans sa bouche.

Saint-Jean Damascène nous fait sentir (livre II, chap. 22) le pouvoir du verbe de pouvoir par l’esprit juger du vrai à partir des données des sens et, inversement, à partir de cette lumière évidence du noûs, la descente des « noèmes » en langage intérieur, qui, proféré, s’unit à l’évidence de la réalité concrète. Cette lumière on peut la qualifier d’intellectuelle à condition de ne pas la séparer de l’inexprimable, ni même de l’inconnaissable, mais c’est donner au mot une extension abusive pour l’intellectuel qui pense ses théories issues de ses raisonnements; bien que, contre toute logique celles-ci permettent de comprendre et d’agir un monde qui, bien évidemment ne l’avait pas attendu pour être[100] . Contre toute « logique », Jean Damascène se fait le défenseur de la présence divine dans les Icônes, « faites de main d’homme » ; tout comme Grégoire Palamas, contre le dialecticien humaniste Barlaam, défendra, triomphe de l’orthodoxie, l’incognoscibilité de Dieu et la possibilité pour l’homme de le connaître. Le panneau de bois, les couleurs, l’art et l’œil de la foi, concourent à apporter la lumière du mont Thabor. Ce qui veut dire qu’en réalité, derrière les apparences désolantes et sans espoir, l’être humain et cosmique n’est pas isolé ni étanche dans l’océan de l’Etre et de la gloire de Dieu.

Le verbe humain reliait le ciel et la terre, le Verbe de Dieu réunit en une seule hypostase la nature divine et la nature humaine, ce qui oint et ce qui est oint. Le Christ est l’icône du Dieu inconnaissable ; l’icône du Christ, de sa Mère et de ses Amis, les Saints est une réminiscence au sens de Platon (s’il est sans danger de l’évoquer ici) c’est-à-dire une restitution du prototype. Une telle théologie est une dynamite; l’esprit recule, il préfère un divin moins proche ; la raison en explique le nécessairement éloignement ; la religion la voile par respect du sacré. L’icône est alors fondamentalement détruite, défigurée en image pieuse illustrant les Ecritures auxquelles l’archéologie biblique et la critique donnent des bases sérieuses[101] . L’homme est alors frustré de la familiarité avec Dieu (contre toute logique, rien n’est plus proche du respect que la familiarité). Il sait bien pourtant, qu’on exalte, et à juste titre, les héros et il ne doute pas que l’art ne puisse les glorifier « tels qu’en eux-mêmes enfin l’éternité les change ». Si donc cette gloire humaine peut être sentie et exprimée, quel ne sera pas le désir des fidèles de contempler, et celui de l’iconographe de peindre, la gloire non-humaine du Christ, de sa Mère et de ses Amis, les Saints. Si une autre théologie se refuse à contempler et à représenter cette gloire, sur un panneau de bois ou en des mots humains, le monde devient obscurci. Cette gloire des Icônes est si objective en Orient que le nombre est infini, de nos jours encore, des icônes miraculeuses, tandis qu’en Occident peu à peu s’en est éteinte la « dynamie ».

Par contre ce qui est devenu opératif en Occident c’est le symbolisme mathématique appliqué au concret mesuré quantitativement. Les essences simples déduites des phénomènes ces apparences trompeuses, nous dit-on, pour le « réalisme naïf », sont pour le savant, en propres termes, des Êtres scientifiques. Et à son tour d’être taxé de naïveté, il ne voit pas, ce savant, qu’il pourrait mieux nommer ces essences, ces abstractions, des Êtres scients car ils connaissent et font êtreces apparences. Faute de connaître en eux des êtres véritables, ou tout au moins un aspect d’eux allant à la mesure dont il les a mesurés, le savant s’enferme dans sa « théorie », sa contemplation, et relègue à l’église un monde angélique « dénué de réalité objective ».

Il n’en reste pas moins que la dure ascèse par laquelle sont connus ces êtres et obtenue leur coopération pour agir sur les phénomènes, est une illustration de l’attitude orthodoxe devant l’icône. L’icône intéresse, elle, tous les plans de l’être mais c’est son caractère opératif qu’il importait de souligner, en la replaçant dans le cadre de la métalogique de la foi, métalogique, dont précisément la science actuelle échappant à des cadres trop « justes » offre l’exemple.

Défense des Icônes

C’est l’habitude du serpent mauvais, du prince du mal, du diable, je veux dire, de combattre de mille façons l’homme que Dieu a modelé à son image et de consommer sa mort par d’insolubles oppositions. Dès le commencement il sema en lui l’espoir et le désir de la divinité et le conduisit avec eux à la mort des êtres sans raison. Il l’attrapa de surcroît au piège des plaisirs honteux et irraisonnés. Quelle n’est pas la distance entre la divinité et le désir irraisonné ! Il l’amena alors à nier Dieu, comme le dit David, l’ancêtre de Dieu : « l’insensé dit en son cœur : il n’y a point de Dieu ». (Ps.52-I) ; puis à la pluralité des dieux ; puis il le persuada de ne plus adorer le seul Dieu par nature, mais les démons, et jusqu’aux cieux, terre, lune et étoiles, et le reste de la création. Il lui a même fait adorer les bêtes et les reptiles. Car il est également déplorable de ne pas accorder à ce qui est vénérable l’honneur qui lui est dû et de rendre une gloire inconvenante à ce qui est honteux. La vérité en prenant la voie du milieu évite ce qui est déplacé. Elle apprend à confesser un seul Dieu, une seule nature en trois hypostases le Père et le Fils et le Saint-Esprit; elle affirme que le mal n’a pas d’essence, c’est un accident, en pensée, en parole ou action allant contre la loi de Dieu, et il n’a d’existence que dans le moment où l’on pense, parle ou agit, cessant lorsqu’on s’arrête. Elle prêche encore l’un de la Sainte Trinité, le Christ en deux natures et une seule hypostase. Mais l’adversaire de la vérité, l’ennemi du salut des hommes qui autrefois les poussa à faire l’image de démons, d’hommes impies, d’oiseaux, bêtes et reptiles, et à les adorer comme des dieux, fourvoyant les nations et bien souvent les enfants d’Israël, voilà qu’il vient aujourd’hui bouleverser l’Eglise du Christ où règne la paix. De ses lèvres injustes et de sa langue trompeuse, il enrobe le mal avec les paroles divines pour tenter d’en cacher le genre ténébreux et informe et détourne les cœurs faibles des coutumes authentiques trans­mises par les Pères.

Il s’en est en effet élevé affirmant que l’on ne doit pas faire d’icônes, ni proposer à la contemplation, à la glorification, à l’admiration et au zèle, les miracles et les souffrances salutaires du Christ, et les victoires des Saints contre le diable. Mais qui donc, tant soit peu doué de connaissance divine et d’intelligence spirituelle, ne reconnaît là l’instigation du diable ; car il ne tient pas à voir publier sa défaite et sa honte, ni à ce qu’on illustre la gloire de Dieu et des Saints. Tout d’abord si c’est l’icône du Dieu invisible que nous faisions, nous serions dans l’erreur, car c’est impossible puisqu’il est sans corps, sans figure, invisible et infini. Si d’autre part nous tenions ces icônes pour des dieux et leur rendions un culte, nous serions des impies.

Mais nous n’avons fait rien de tel et il n’y a pour nous point de chute à faire l’image du Dieu qui s’est incarné, s’est montré dans la chair sur la terre, s’est mêlé aux hommes dans son ineffable bonté et assumé de la chair la nature, la densité, la forme et les couleurs. Et c’est de plus notre désir de voir ses traits. Comme le dit le divin apôtre : «nous voyons à présent en reflet, et comme en énigme ». Or l’icône est bien cela un reflet, une allusion convenant bien à la densité de notre corps, car l’esprit a beau s’efforcer, comme le dit le divin Grégoire (Nazianze. IIème sermon sur la Théologie), il ne peut aller au delà du corporel.

Éloigne-toi, diable jaloux. Tu es jaloux de ce que nous voyions la ressemblance de notre Maître et qu’elle nous sanctifie ; que nous voyions ses souffrances salutaires et nous émerveillions de sa condescendance; que nous contemplions ses miracles et reconnaissions et glorifions la puissance de la divinité. Tu es jaloux des saints parce qu’ils sont l’honneur de Dieu. Tu ne veux pas que nous regardions leur gloire ainsi représentée et qu’elle nous porte à suivre leur courage et leur foi. Tu ne peux supporter le soulagement qu’ils procurent au corps et à l’âme de ceux qui croient. Mais nous ne te croyons pas, diable jaloux, ennemi de l’homme.Écoutez, vous, peuples, races, langues, hommes, femmes, jeunes gens, vieillards, enfants et tout petits, nation sainte des chrétiens, si quelqu’un vous annonce un autre évangile que celui qu’a reçu la Sainte Eglise catholique des Apôtres, des Pères et des Conciles, et qu’elle a gardé jusqu’à ce jour, ne l’écoutez pas. N’accueillez pas le conseil du serpent, tels Eve à qui il en échut la mort. Quand un ange, quand un empereur nous annoncerait un autre évangile que celui que vous avez reçu, bouchez vos oreilles. J’hésite à dire, comme l’apôtre : qu’il soit anathème, maintenant même où il s’agit de corriger.

Ils assurent pourtant, ceux qui ne cherchent pas l’esprit de l’Ecriture, que Dieu a dit par la bouche de Moïse, le nomothète (législateur) : « tu ne te feras aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux ni de ce qui est sur la terre. » (Ex. – 24), et par celle de David, le prophète : « qu’ils soient confus de honte ceux qui adorent les statues et qui s’exaltent dans leurs idoles ». (Ps 96-8), et bien d’autres choses semblables (car il en est d’autres de la même pensée dans la divine Ecriture et chez les Pères).

Que leur répondrons nous donc ? Rien d’autre que ce que répondit le Seigneur : « Cherchez le sens de l’écriture » (Jean 5-35). Chercher est bien, mais il faut procéder avec intelligence, car il n’est pas possible, mes biens aimés, que Dieu ait menti. C’est le même Dieu qui a donné la Loi, l’Ancien et le nouveau Testaments, et parlé à plusieurs reprises et en plusieurs manières par les prophètes et dans les derniers temps, par son Fils monogène. Faites très attention à cela ; ces mots ne sont pas de moi ; c’est l’Esprit Saint qui les a prononcés par le Saint Apôtre Paul : « C’est à plusieurs reprises et en plusieurs manières que Dieu a parlé autrefois à nos pères par les prophètes. » (Heb. I-I) C’est, tu le vois, plusieurs fois et en plusieurs manières que Dieu a parlé. Un médecin d’expérience ne donne pas toujours et à tous le même remède, mais prescrit à chacun ce qu’il faut en tenant compte de la maladie, de son siège, des circonstances de temps, c’est-à-dire de l’évolution et de l’âge ; il donne d’après cet âge ceci aux enfants, cela aux vieillards, une chose aux affaiblis, une autre aux vigoureux, et aux faibles pas toujours la même mais d’après l’évolution et la maladie ; il donne différemment selon que c’est l’été, l’hiver, l’automne et le printemps et enfin d’après le lieu et ses qualités propres. C’est ainsi qu’a procédé le grand médecin des âmes envers des enfants, atteints de cette maladie, l’idolâtrie, qui déifiaient les idoles et les adoraient, refusant à Dieu l’adoration, mais en reportant la gloire à la créature : il leur a interdit de faire des images. Car du Dieu incorporel, invisible, immatériel, sans figure, sans limite et incompréhensible, on ne peut pas faire une icône ; comment la faire si on ne l’a jamais vue ? « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l’a dit ». (Jean-I-18), et : « Nul ne verra ma face et ne vivra ». (Ex. 23-2), dit Dieu.

Car ils ont bien adoré des icônes en tant que dieux. Écoute ce que dit l’Ecriture dans l’Exode des enfants d’Israël, lorsque Moïse monta sur le mont Sinaï et s’attarda en présence de Dieu pour y recevoir la Loi, et comment un peuple ignorant se leva contre Aaron, le serviteur de Dieu ; « Fais-nous des dieux qui aillent devant nous, disaient-ils ; car cet homme, ce Moïse, nous ne savons ce qu’il est devenu. » (Ex. 32-1). Et ensuite lorsqu’ils offrirent les parures de leurs femmes, les fondirent, mangèrent et burent, en s’enivrant de vin et d’erreur, et commencèrent à s’amuser, ils disaient : « Voici tes dieux, Israël ». Tu vois bien que ces idoles étaient leurs dieux. Car s’ils n’ont pas fait la statue de Jupiter ou de tel autre dieu, comme idole, le fait est que de leur or donné pour faire une idole, il sortit l’effigie d’un bœuf. Ils eurent donc bien leurs statues de métal coulé et se proster­nèrent devant elles que les démons habitaient ; et ils adorèrent la créature pour le créateur, ainsi que le dit le divin Apôtre : « Ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible en une ressemblance d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles et ils ont adoré la créature à la place du créateur. » (Rom. I-23). En vertu de quoi, Dieu leur interdit de faire aucune ressemblance.

Je sais qu’on a pu dire en toute vérité : « Le Seigneur ton Dieu, est le seul Dieu ». (Deut. 6-4), et : « Tu adoreras le seigneur ton Dieu et ne rendras de culte qu’à lui seul.» (ib. 13), et : « Tu n’auras pas d’autres dieux » (Ex. 25-3) ; et : « Tu ne te feras aucune image taillée des choses en haut dans les cieux ou ici-bas sur la terre. » (Ex. 20-4), et : « Qu’ils soient couverts de honte les adorateurs de statues. », et : « Les Dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre sont des dieux morts ». (Ps. 96-7). Or tout ce que Dieu a dit autrefois aux Pères de cette manière, Dieu nous l’a dit dans les derniers temps en son Fils Monogène par qui il a fait les siècles et je sais qu’il est écrit aussi : « C’est là la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi seul vrai Dieu vivant et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (Jean 17-3).

Je crois en un seul Dieu, principe unique de tout, sans principe, incréé, impérissable et immortel, éternel et perpétuel, incompréhensible, incorporel, invisible, infini, sans figure ; une seule essence suressentielle, divinité sur-divine, en trois hypostases, le Père et le Fils et le Saint Esprit ; à cela seul je rends un culte. J’adore un seul Dieu, une seule divinité mais je rends un culte à une trinité d’hypostases : Dieu-Père, Dieu-Fils incarné, Dieu-Saint-Esprit ; non pas trois mais un seul Dieu ; pas des hypostases séparées, mais unies. Je n’offre pas trois mais une adoration ; non à chacune des hypostases séparément, mais aux trois hypostases conjointement ; à un Dieu unique j’offre une unique adoration. Je n’adore pas la créature à la place du Créateur, mais j’adore le Créateur fait créature, réduit à la créature sans abaissement ni amoindrissement pour glorifier ma propre nature et me faire participer pleinement à la nature divine. En même temps que le Dieu-Roi, j’adore la pourpre de son corps non en tant que vêtement ou quatrième personne[102] , loin de moi, mais ! en tant que devenue semblable à Dieu, à cela même qui l’a ointe, sans changement. Car la nature divine n’est pas devenue celle de la chair, mais de même que le Verbe est devenu chair sans changement, demeurant ce qu’il était auparavant, de même la chair est devenue Verbe, sans quitter ce qu’elle était, elle s’est plutôt identifiée au Verbe par hypostase. C’est pour cela qu’avec confiance je fais l’icône du Dieu invisible, devenu pour nous participant de la chair et du sang ; pas l’icône de la divinité invisible, mais celle de la chair de Dieu que nous avons vue. Si l’on ne peut déjà faire une image de l’âme, combien plus de ce qui à l’âme a donné l’immatériel.

Mais, disent-ils, Dieu a déclaré par Moïse le nomothète : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et le serviras lui seul ». (Ex. 6-13), et : « Tu ne te feras aucune image taillée des choses qui sont dans les cieux et ici-bas sur la terre. » (Deut. 20-4).

Mes frères, ils se trompent en réalité ceux qui ne savent pas que « la lettre tue et l’esprit vivifie », et ne cherchent pas l’esprit caché sous la lettre. C’est à eux que j’aurais lieu de dire : que celui qui vous a enseigné cela vous enseigne aussi la suite. Apprenez comment l’entend le nomothète, quand il dit par exemple dans le Deutéronome : « Et le Seigneur vous a parlé du milieu du feu ; vous avez perçu le son des paroles; vous n’avez perçu aucune image, mais sa voix.» (Deut. 4-14), et un peu après : « Et gardez bien vos âmes car vous n’avez pas vu de ressemblance le jour où le Seigneur vous a parlé sur le Mont Horeb du milieu du feu ; ne transgressez pas la loi, ne faites pas d’images taillées, de ressemblance d’animal de la terre ou ressemblance d’oiseau ailé… » (Deut. 4-15) et la suite ; et un peu plus loin : « De peur que levant le regard vers le ciel et voyant le soleil, les étoiles et tout le monde céleste, tu ne fasses l’erreur de les adorer et de leur rendre un culte. » (Deut. 4-19). Tu vois que l’objectif reste le même : ne pas servir la créature à la place du Créateur et n’offrir l’adoration du culte qu’au seul Démiurge ; de là qu’il rattache toujours l’adoration au culte. Il dit encore : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ; tu ne te feras aucune image taillée – Tu ne les adoreras pas et ne les serviras pas, car je suis le Seigneur ton Dieu. » (Deut. 5-7). Et encore : « Vous détruirez leurs bois sacrés, vous briserez leurs autels et vous brûlerez les statues de leurs dieux. » (Ex. 34-13). Et peu après : Tu ne te feras pas de dieux en métal coulé. » C’est, tu le vois, à cause de l’idolâtrie qu’il interdit les images, puisqu’on ne peut faire l’image du Dieu sans quantité, sans limite, invisible, car, dit-il : « Vous n’avez pas vu sa forme ». C’est dans ce sens que Paul déclare au milieu de l’Aréopage : « Étant de la race de Dieu nous ne devons pas estimer le divin semblable à de l’or, de l’argent, de la pierre, travaillés avec l’art et l’imagination de l’homme. » (Act. 17-19).

C’est donc aux juifs, pour leur tendance à l’idolâtrie, qu’était ordonné cela. Quant à nous, pour m’exprimer théologiquement, débarrassés de la crainte des idoles, il nous a été donné d’être avec Dieu dans la pureté et la connaissance de la vérité, de servir l’unique Dieu et d’abonder de la plénitude de la connaissance divine. L’état d’enfance dépassé, nous ne sommes plus sous le pédagogue ; ayant reçu de Dieu le discernement nous connaissons ce dont on peut ou non faire l’icône. Car notre Loi-pédagogue est venue dans le Christ, pour être justifiés par la foi, nous qui étions dans la servitude des éléments quand nous étions enfants. « La foi étant venue nous ne sommes plus sous le pédagogue car, est-il dit, vous n’avez pas vu sa forme. » Ô sagesse du nomothète ! Comment faire l’icône de l’invisible, dessiner ce qui n’a pas ni quantité, ni mesure, ni limite, ni forme ? Comment peindre l’incorporel ? Comment figurer le sans-figure ? Que nous est-il ainsi rappelé mystiquement ? C’est ceci : tant que Dieu est invisible, n’en fais pas l’icône, mais dès lors que tu vois l’incorporel devenu homme, fais l’image de la forme humaine ; lorsque l’invisible devient visible dans la chair, peins la ressemblance de l’invisible. Lorsque ce qui n’a ni quantité, ni mesure, ni taille par l’éminence de sa nature, lorsque celui qui étant en forme de Dieu prend la forme d’un esclave et par cette réduction assume la quantité, la mesure et les caractères du corps, dessine alors sur ton panneau et propose à la contemplation celui qui a accepté d’être vu, exprime son indicible condescendance, sa naissance de la Vierge, le baptême dans le Jourdain, la transfiguration au Thabor, la Passion qui donne l’impassibilité, les miracles, les manifestations de sa nature et de son opération divines accomplies par l’opération de la chair, le tombeau salutaire du Sauveur, l’Ascension au ciel ; illustre alors tout cela en paroles et par la peinture, dans les livres et sur le panneau de bois.

« Tu ne te feras, est-il dit, aucune image taillée ni aucune ressemblance ». Dieu ayant prescrit cela, « ils firent, est-il dit encore, les tentures de la tente du Témoignage d’hyacinthe et de pourpre, d’écarlate et fin lin retors, travail brodé de chérubins (Ex. 36-37) et « ils firent le propitiatoire, en haut de l’arche d’or pur avec deux chérubins » (Ex. 37-6). Que fais-tu là Moïse ? Tu dis : tu ne te feras aucune image taillée, ni aucune ressemblance, et tu prépares des tentures brodées de chérubins et deux chérubins d’or pur ? Mais écoute ce que te fait entendre Moïse, le zélé serviteur de Dieu, par ces faits, ô aveugles et insensés[103] , comprenez la signification des mots et gardez bien vos âmes. J’ai dit : vous n’avez pas vu de ressemblance le jour où le Seigneur vous a parlé au mont Horeb du milieu du feu de peur que vous n’erriez et ne fassiez des ressemblances, des images – et aussi : tu ne feras pas de dieux en métal coulé. Je n’ai pas dit : tu ne feras pas d’icônes des chérubins en tant que serviteurs assistant au propitiatoire, mais : tu ne te feras pas de dieux en métal coulé, et : tu ne te feras pas de ressemblances en tant que dieux et tu n’adoreras pas la créature à la place du Créateur. Je n’ai donc pas fait de ressemblance de Dieu, ni de qui que ce soit en tant que Dieu, ni d’homme, car la nature de l’humanité a été asservie au péché et je n’ai pas adoré la créature à la place du Créateur, mais j’ai dressé la tente, image de toute la création selon le modèle montré sur la montagne, et fait des chérubins adombrant le propitiatoire comme assistants de Dieu. Vois combien s’éclaire le dessein de l’Ecriture, à ceux qui cherchent avec intelligence. Il faut bien savoir, mes bien-aimés, qu’en toute affaire on trouve la vérité et le mensonge, et qu’on doit chercher l’objectif, bon ou mauvais, de l’auteur. Car dans l’Evangile, les mots : Dieu, ange et homme ; terre, eau, feu et air, soleil et lune ; lumière et ténèbres ; satan et démons ; serpents et scorpions ; vie, mort et enfer ; vertus et vices, tout le bien et tout le mauvais, tout y est dans la lettre. Mais pareillement, puisque tout ce qui y est dit est vrai et que son objectif est la gloire de Dieu et notre salut, la gloire aussi de ses saints, qu’il a glorifiés, et la honte du diable et des démons, nous l’embrassons, nous le baisons, nous l’enveloppons d’affection avec les yeux, les lèvres et le cœur ; et également l’Ancien et le Nouveau Testaments et les paroles des Pères Saints et éprouvés. Quant aux écrits honteux, détestables et impurs des manichéens, contenant les mêmes mots et imaginés pour la gloire du diable et de ses démons et la perdi­tion des âmes, nous crachons dessus et les rejetons. De même en est-il dans l’affaire des images ; il faut chercher la vérité et le dessein de l’auteur ; sont-elles authentiques, rigoureuses et à la gloire de Dieu et des Saints ? Si elles poussent au zèle pour la vertu, à la haine du mal et au salut de l’âme, il faut les recevoir, les vénérer comme images, mémorials, illustrations, livres des illettrés et souvenirs, il faut les adorer, les embrasser, les chérir des yeux, des lèvres et du cœur, parce que c’est la ressemblance de Dieu qui s’est incarné, de sa Mère ou des Saints qui ont partagé ses souffrances, et illustration de la gloire du Christ et des Saints, vainqueurs du diable, de ses démons et de leur erreur. Si quelqu’un prétend représenter la divinité immatérielle et incorporelle, nous le rejetons comme un menteur ; si c’est à la gloire, en l’honneur et pour l’adoration du diable ou des démons, nous crachons sur l’image et la jetons au feu. Si l’on déifie une image d’homme, d’animal, d’oiseau ou de quelqu’autre créature, nous l’anathématisons. De même que les Saints Pères ont détruit les autels et les temples des démons et à leur place ont érigé des temples, au nom de Dieu et des Saints et que nous les vénérons avec piété, de même ont-ils détruit les images des démons et leur ont-ils opposé les icônes du Christ, de sa Mère et de ses Saints, et les vénérons-nous. D’autre part jamais dans l’Ancien Testament Israël n’a-t-il élevé de temple au nom d’un homme et n’a-t-il eu de fête consacrée à sa mémoire. La nature humaine en effet était encore sous la malédiction et la mort était une condamnation; c’est pourquoi l’on pleurait, et celui qui touchait un mort était réputé impur. Mais aujourd’hui la divinité s’est mêlée, sans confusion, à notre nature, tel un remède de salut et de vie, et notre nature est véritablement glorifiée et transformée pour l’immortalité ; c’est pourquoi on leur dédie des temples et l’on peint leur icône.

Que tout le monde le sache : celui qui met la main à détruire l’icône venue d’un zèle et d’un désir divins, à la gloire et en souvenir du Christ, de sa Mère ou de l’un de ses Saints (et aussi à la honte du diable, de sa défaite et celle de ses démons) et qui ne l’adore, ne le vénère ni ne l’aime, non en tant que Dieu, mais que icône vénérée – celui là est ennemi du Christ, de la Sainte Théotokos et des Saints, et le défenseur du diable et de ses démons montrant en agissant ainsi son chagrin de voir Dieu et les Saints vénérés et glorifiés, et le diable couvert de honte. En effet l’icône est un trophée, une démonstration, une inscription sur la pierre pour rappeler la victoire de ceux qui se sont illustrés et vaillamment conduits, et la honte des vaincus jetés à terre. J’ai vu souvent ceux qui aiment beaucoup quelqu’un à la vue d’un vêtement de l’être qu’ils chérissent, caresser des yeux et des lèvres ce vêtement comme si c’était lui. Il faut rendre à tous ce qui leur est dû, dit le Saint apôtre Paul, « à qui est dû l’honneur, l’honneur; au roi d’abord qui a préséance, à ceux détenant l’autorité ensuite; ils sont ses envoyés » (Rom. 13-7 – Pierre 2­13) à chacun selon sa dignité.

Où trouves-tu dans l’Ancien Testament et dans l’Evangile les mots : Trinité, consubstantiel, ou, explicitement, une seule nature de la divinité, ou en propres termes, trois hypostases, unique hypostase du Christ et deux natures. Pareillement, puisque à partir des mots d’une égale puissance contenus dans l’Ecriture, les Pères Saints ont défini ces expressions, recevons aussi celles-ci et rejetons ceux qui ne les acceptent pas. Je t’ai moi-même montré que Dieu dans l’Ancien Testament a prescrit des icônes; et d’abord le tabernacle même et tout ce qui s’y trouvait. Dans l’Evangile ensuite le Seigneur lui-même dit à ceux qui pour le tenter lui demandaient s’ils est permis de payer le tribut à César : « Apportez-moi une pièce de monnaie ». Le denier présenté, il leur demande : « De qui est-ce l’image ? » De César, disent-ils. Il déclare alors : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mat. 22-16). Puisque c’est l’image de César que l’on a, elle est à César ; rendez donc aussi à César. Quand c’est l’icône du Christ, rendez au Christ car elle est au Christ[104] .

Le Seigneur en appelant bienheureux ses disciples dit : « Beaucoup de rois et de prophètes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu. Bienheureux vos yeux car ils voient, vos oreilles car elles entendent. » (Mat. 13-16). Les apôtres ont vu corporellement le Christ, ses souffrances et ses miracles, et ont entendu ses paroles ; nous désirons nous aussi voir et entendre pour être bienheureux. Ils l’ont vu face à face puisqu’il était présent corporellement ; nous aussi, puisqu’il n’est pas présent corporellement, nous écoutons ses paroles à travers des livres, nous en sommes sanctifiés et bienheureux et nous adorons, vénérant ces livres qui nous font entendre ses paroles. Il en est de même pour l’icône peinte ; nous contemplons ses traits corporels autant qu’il est en nous, nous saisissons en esprit la gloire de sa divinité. Nous sommes double, faits d’âme et de corps, et notre âme n’est pas à nue mais enveloppée comme d’un manteau ; il nous est impossible d’aller au spirituel sans le corporel. En entendant les paroles sensibles, écoutons de nos oreilles corporelles, et saisissons les choses spirituelles ; de même arrivons-nous par la contemplation corporelle à la contemplation spirituelle. L’homme ayant un corps et une âme, le Christ a pris le corps et l’âme ; c’est pourquoi aussi le baptême, la communion, la prière, la psalmodie sont doubles corporelles et spirituelles ; et ainsi les luminaires et l’encens.

Laissant tout le reste, le diable ne s’est attaqué qu’aux icônes et telle est sa jalousie des icônes que l’on trouve dans le Pré (Spirituel) de Saint Sophron, patriarche de Jérusalem, l’histoire suivante : « Le Père Théodore l’Aclioliote racontait qu’il y avait sur le mont des Oliviers un reclus, athlète spirituel, auquel le démon de la luxure faisait une guerre incessante. Un jour que ce dernier l’accablait, le vieillard finit par se plaindre et dit au démon : quand me laisseras-tu ? Retire-toi de moi pour le peu qui me reste de cette vie que tu as épuisée. Le démon se montra à ses yeux et lui dit : promets-moi de ne révéler à personne ce que je vais te dire et je cesserai de te faire la guerre. Et le vieillard promit : par celui qui siège dans les lieux très hauts, je ne dirai rien de ce que tu me diras. Le démon lui déclara : n’adore plus cette icône et je ne te combattrai plus. Cette icône représentait notre souveraine, la Sainte Vierge, la Théotokos, tenant dans ses bras notre Seigneur Jésus-Christ. Tu vois de qui ceux qui empêchent d’adorer les icônes sont les imitateurs et les instruments ? Le démon de la luxure aimait mieux que le vieux moine n’adorât pas l’icône de la Vierge plutôt qu’il ne tombât dans l’impureté de la luxure ; il savait que c’est là un plus grand péché que la luxure.

Puisqu’aussi bien le sermon porte sur l’icône et l’adoration disposons plus amplement ce sermon à leur sujet et disons en premier lieu ce qu’est l’icône, en second lieu d’ou procède-t-elle, troisièmement les différents genres d’icônes, quatrièmement ce dont on peut et dont on ne peut faire l’icône, cinquièmement qui le premier a fait l’icône.

Enfin sur l’adoration ; d’abord qu’est-ce que l’adoration ; en second lieu les genres d’adoration; en troisième lieu, que trouvons-nous dans l’Ecriture à quoi il est offert l’adoration quatrièmement que toute adoration n’est que par le seul adorable par nature, Dieu ; cinquièmement que la vénération pour l’icône vise le prototype.

1° – Qu’est-ce que l’icône ? L’icône, donc, est ressemblance, modèle, représentation montrant par elle-même celui dont elle est l’icône. L’icône, par ailleurs, n’est pas le prototype même, c’est-à-dire celui qui est représenté. Autre est l’icône, autre le sujet ; l’on trouve toujours une différence sur un point ou sur un autre ; elle ne serait sinon autre chose que celui-ci. Ainsi le portrait d’un homme, même s’il reproduit les traits de son corps, n’a pas la puissance qui l’anime, elle ne vit, ni ne parle, ni n’exprime, ni ne sent, ni ne meut ses membres; ou encore un fils tout en étant l’image naturelle du père, en diffère sur quelque point. Il est fils et non père.

2° – D’où procède-t-elle ? Toute icône révèle et montre quelque chose que l’on ne peut pas voir. Ainsi l’homme n’a pas une connaissance immédiate de l’invisible, le psychique étant recouvert par le corporel, ni de l’avenir, ni de ce qui est loin de lui ou absent, car il est circonscrit dans le temps et l’espace. L’icône est saisie par l’esprit pour guider dans la connaissance, la manifestation et la démonstration de ce qui est voilé ; et plus encore pour l’utilité, le bénéfice et le salut, pour que nous connaissions ce qui est proposé en flétrissure ou en triomphe que nous aspirions à suivre avec zèle ce qui est bien et rejetions avec dégoût ce qui est mal.

3° – Les différents genres d’images : La nature offre le premier genre d’icône[105] . En chaque chose le naturel doit être en premier, ensuite seulement la convention et l’imitation ; ainsi doit être en premier l’homme dans sa nature, et alors vient ce qui en est adopté par convention ou imitation. L’icône première sans changement du Dieu invisible est donc le Fils du Père, montrant en lui le Père : « Personne n’a jamais vu Dieu » (Jean 1-18) et : « Non que personne ait vu le Père ». (Jean 6-46). Le Fils est l’icône du Père «lui qui, dit l’apôtre, est l’icône du Dieu invisible ». (Col. 1-15), et aux Hébreux : « … lui qui est la splendeur de sa gloire et le caractère de son hypostase ». Il montre en lui le Père ; à Philippe (dans l’Evangile de Jean) qui demande : « montre nous le Père et cela nous suffit », le Seigneur répond : « J’ai passé tant de temps avec vous et tu ne me connais pas, Philippe; celui qui m’a vu a vu le Père ». (Jean 14-8). Le Fils est donc l’icône du Père par nature, sans changement, semblable en tout au Père, sauf l’inengendré et la paternité. Le Père en effet engendre, il est inengendré ; le Fils est engendré et non Père. Par l’Esprit Saint donc, nous connaissons le Christ Fils de Dieu et Dieu, et dans le Fils nous voyons le Père. La parole par nature est messagère de l’intellect et le souffle révèle la parole. L’Esprit est l’icône du Fils semblable à lui sans changement, ne différant qu’en ce qu’il procède. Et un fils est l’image naturelle de chaque père. Voici donc le premier genre d’icône par nature.

Le second genre d’icône est la pensée en Dieu des choses à être par lui, c’est-à-dire son conseil pré-éternel qui est éternellement de la même manière. Car le divin est sans changement et son conseil sans commencement, en lequel les choses déterminées arrivent à leur heure prédéterminée par lui selon qu’elles ont été conçues avant les siècles. Prédéterminé, est le mot de Saint-Denys pour les icônes et les modèles des choses à être par lui, sa pensée au sujet de chacune d’elles. Dans son conseil en effet sont caractérisées et iconifiées, avant qu’elles n’arrivent, les choses prédéterminées par lui qui seront immanquablement.

Un troisième genre d’icône procède de Dieu par l’imitation ; c’est l’homme. Comment le créé sera-t-il de la même nature que l’incréé si ce n’est par imitation ? De même qu’il y a un Dieu, Père intellect, Fils-Verbe et Saint-Esprit, il y a un homme, intellect, verbe et souffle. Egalement par la liberté et la souveraineté. Dieu dit en effet : « Nous ferons l’homme selon notre image et selon notre ressemblance. » Et peu après vient : « Ils domineront les poissons de la mer et les oiseaux du ciel. » et encore : « Dominez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute la terre, et soumettez-là. »

Un quatrième genre d’icône est celui de l’Ecriture, remplie de figures de formes des choses invisibles et incorporelles, signifiées corporellement pour une intellection supra-consciente de Dieu et des anges, parce que nous ne pouvons contempler l’incorporel sans des figures, analogiques comme le dit l’expert des choses divines, Denys l’Aréopagite. Que des types aient été avec raison proposés des sans-types et des figures des sans-figures, on dirait que la raison unique est notre propre analoguia (correspondance) incapable sans intermédiaire de s’élever aux contemplations spirituelles et ayant besoin d’appuis familiers conformes à sa nature. Si donc la parole divine, prévenant notre propre analoguia et nous ouvrant une voie toujours plus élevée, nous propose aussi certains types des simples et des informels, comment ne ferait-on pas l’icône de ce qui a reçu une forme, selon notre propre nature, et que l’on aimerait regarder mais qui est impossible à voir puisqu’il n’est pas là. Quelque effort qu’il fasse, dit Grégoire le Théologien, l’intellect ne peut aller au delà du corporel, mais « les invisibles de Dieu, à partir de la création cosmique sont vues noétiquement par ses ouvrages » (Rom. 1-20). Nous voyons aussi des images, dans les choses créées, qui nous indiquent énigmatiquement les manifestations divines. Ainsi nous disons que la Sainte Trinité, au dessus de tout principe a une icône dans le soleil, sa lumière et ses rayons, ou dans la source jaillissante, l’eau qui court et son lit, ou dans l’intellect, le verbe et le souffle, ou dans le rosier, la rose et son parfum.

Un cinquième genre d’icône est ce qui illustre et décrit à l’avance ce qui sera plus tard ; par exemple le buisson (ardent) la pluie sur la toison (Gédéon) pour la Vierge, Mère de Dieu, ainsi que la verge (d’Aaron) et l’urne ; ou le serpent qui nous guérit par la croix de la morsure de l’antique serpent ; ou la mer, l’eau, la nuée, pour l’Esprit qui baptise.

Un sixième genre d’icône est celle qui, en souvenir d’événements passés, illustre les miracles et la vertu, à la gloire et à l’honneur de ces vaillants qui se sont distingués par leur vertu, ou bien expose, à la honte des hommes mauvais, leur perversité ; grâce à elle nous évitons le mal et aspirons au bien. Elle a un double aspect : ou bien c’est une parole écrite dans un livre (la lettre est une « icône » de la parole) ; ainsi Dieu a gravé la Loi sur les tables et a ordonné qu’on écrive la vie des hommes amis de Dieu (Ex. 17-14) ; ou bien c’est une contemplation sensible – ainsi l’urne, la verge d’Aaron dans l’Arche qu’il ordonna de garder en souvenir perpétuel, ou les noms des tribus qu’il fit graver sur les pierres de l’ephod (Ex. 18-11) et aussi les douze pierres tirées du Jourdain représentant les Prêtres (Ah, quel mystère immense en vérité pour les fidèles !) qui portaient l’Arche, après le retrait des eaux. Nous aussi, aujourd’hui, nous peignons les icônes de ceux qui ont excellé en vertu pour nous les rappeler, les imiter et par amour pour eux. De deux choses l’une : ou que l’on supprime toute image en opposant sa propre loi à celui qui l’a instaurée ou bien que l’on reçoive chaque icône d’après le genre convenant à chacune.

4° – Ce dont on peut ou non faire icône : Les corps ont une figure, une délinéation corporelle, une coloration; on peut en faire l’image. L’ange, l’âme, le démon, bien que sans corps, ni densité sont par nature formels et délimités. Intelligibles ils sont du monde de l’intellect et c’est, nous le croyons, noétiquement qu’ils ont existence et puissance. C’est une icône corporelle que l’on fait d’eux, comme Moïse des chérubins, et tels se montrèrent-ils à ceux qui en furent dignes ; et l’icône corporelle permet une certaine vision incorporelle et noétique. Seule la nature divine qui n’est pas circonscrite, est toujours incorporelle, informelle et insaisissable ; et ce même si l’Ecriture divine attribue à Dieu des figures corporelles, du moins elles apparaissent telles, au point que leur forme même est visible, alors qu’elles sont incorporelles. Or ce n’est pas par des yeux corporels, mais noétiques, qu’elles se sont montrées aux prophètes et à ceux qui ont eu la révélation (car elles n’ont pas été vues de n’importe qui). Pour résumer, nous pouvons faire l’icône de toutes figures dont nous avons la vision ; nous les saisissons par l’intellect, comme elles ont été vues ; car si à partir des paroles il arrive que nous saisissions des figures intellectuellement, inversement à partir de ce que nous voyons, nous arrivons à une saisie intellectuelle. C’est de la même façon que pour chacun de nos sens, à partir de ce que nous sentons, goûtons ou touchons, par le moyen du verbe nous parvenons à leur intellection.

Nous savons donc que la nature de Dieu, celle de l’âme et du démon ne sont pas visibles, mais que par une certaine transformation on peut les voir, la providence ayant attribué des types et des figures aux êtres incorporels, sans types et dénués de forme corporelle, pour nous tendre la main et nous en donner une connaissance même épaisse et partielle et que nous ne soyons pas dans une totale ignorance de Dieu et de la création invisible. Dieu en effet par nature est toujours incorporel ; l’ange, l’âme, le démon, comparés à Dieu qui seul n’est comparable à rien, sont des corps ; comparés aux corps matériels, ils sont incorporels. Voulant que nous connaissions les incorporels, Dieu leur a posé figures, types et images, d’après la correspondance de notre nature, leur figure corporelle rendue visible dans une vision immatérielle de l’intellect. C’est elle que nous figurons et dessinons. Comment en effet faire image et figure des chérubins ? Mais l’Ecriture contient même des figures et images de Dieu.

Qui le premier a fait une icône ? Dieu même le premier a engendré son Fils monogène, son Verbe ; c’est son icône vivante, naturelle, le caractère inchangé de son éternité. Il a fait ensuite l’homme selon son image et selon sa ressemblance. Et Adam vit Dieu, il entendit le bruit de ses pas déambulant au déclin du jour et se cacha dans le paradis ; Jacob aussi vit Dieu et lutta avec lui. C’est comme un homme, cela est clair, que Dieu lui apparut. Moïse aussi vit le dos d’un homme ; Isaïe le vit aussi tel un homme assis sur un trône; Daniel vit une ressemblance d’homme et comme un fils d’homme s’avançant vers l’Ancien des jours. Aucun n’a vu la nature de Dieu, mais le type et l’image de ce qui allait être car il allait lui le Fils et Verbe de Dieu, lui invisible, devenir un homme en vérité, de sorte qu’il s’unît à notre nature et qu’on le vît sur la terre. Tous, donc, en voyant l’icône et le type de celui qui allait venir, adorèrent, ainsi que le dit l’apôtre Paul dans l’épître aux Hébreux : « Ils sont tous morts avec la foi, sans avoir recueilli les choses annoncées, mais en les voyant de loin et en les saluant avec joie ». (Heb. 11-13). Et je ne ferai pas, moi, l’icône de celui qui à cause de ma nature est apparu charnellement ? Et je ne l’adorerais pas ni ne le vénè­rerais en adorant et en vénérant son icône ? Abraham vit, non la nature car personne n’a jamais vu Dieu, mais l’icône de Dieu et tombant à genou il l’adora. Josué, fils de Noun, vit, non la nature de l’ange, mais l’icône, car non plus la nature angélique n’est visible aux yeux de chair, et tombant à genou il l’adora. De même Daniel (l’ange n’est pas Dieu mais créature de Dieu, son serviteur qui l’assiste) l’adora non comme Dieu mais comme assistant et liturge de Dieu. Et je ne ferai pas, moi, l’icône des amis du Christ, ni ne les adorerais, non comme dieux, mais comme icônes des amis de Dieu ? Josué ni Daniel n’ont adoré, comme dieux, les anges qu’ils voyaient. Moi non plus je n’adore pas l’icône. comme Dieu, mais à travers l’icône et les Saints, j’offre à Dieu adoration et vénération et, à cause de lui, piété et honneur aussi à ses amis. Ce n’est pas à la nature angélique que Dieu s’est uni, il s’est uni à la nature humaine. Dieu n’est pas devenu ange ; Dieu est venu dans la nature et la réalité de l’homme : « Car il ne prend pas certes des anges mais il prend de la semence d’Abraham ». (Hebr. 2-16). Il n’est pas devenu nature des anges. Fils de Dieu, par hypostase, il est devenu nature de l’homme, Fils de Dieu par hypostase. Les anges n’ont pas participé ni communié à la nature divine, mais à l’énergie et à la grâce (divines). Les hommes, eux, participent et communient à la nature divine, ceux qui prennent le Saint corps du Christ et boivent son sang ; ils sont unis selon l’hypostase à la divinité ; les deux natures quand nous prenons le corps du Christ sont unies selon l’hypostase sans séparation. Nous participons aux deux natures, à celle du corps corporellement, à la nature divine spirituellement ou plutôt à toutes les deux avec les deux (non pas identifiés selon l’hypostase, car nous subsistons d’abord et sommes unis ensuite, mais par mélange (du corps et du sang). Et comment ne seraient-ils pas plus grands que les anges, ceux qui par observation des commandements gardent l’union à l’abri de toute altération. Notre nature est inférieure et lourde par rapport aux anges à cause de la mort et de la densité du corps, mais par la bienveillance et le secours de Dieu elle est devenue plus grande que les anges. C’est elle, en effet qu’assistent les anges avec crainte et tremblement, elle que le Christ a assise sur le trône de la gloire, et en tremblant qu’ils assisteront au jugement. L’Ecriture nous déclare qu’ils n’assistent ni ne participent à la gloire divine : « Tous sont en effet des liturges spirituels envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut ». (Heb. I-14), et qu’ils ne régneront pas avec nous, ni ne seront glorifiés ni ne seront invités à la table du Père. Les saints par contre sont fils de Dieu, fils du Royaume, héritiers de Dieu et co-héritiers du Christ. Je vénère donc les saints et glorifie ensemble les serviteurs, les amis, les co­héritiers du Christ ; serviteurs (esclaves) par nature, mais amis par libre choix, fils et héritiers par grâce divine, comme le dit le Seigneur au Père (Jean. 17-22).

Après avoir parlé de l’icône nous parlerons à présent de l’adoration et d’abord de ce qu’elle est.

L’adoration et ce qu’elle est. L’adoration (prosternation), donc, est signe de subjection, c’est-à-dire de soumission et d’humilité ; il y en a divers genres.

Les genres d’adoration : Le premier est l’adoration du culte que nous offrons à Dieu, le seul adorable par nature. De celui-ci il y a divers genres. Le premier est celui de l’esclave-serviteur car toutes les créatures se prosternent devant lui comme des serviteurs devant un maître « car tous les êtres te servent », dit l’Ecriture. (Ps. 118-91), les unes volontairement, les autres involontairement, les uns se prosternent sciemment et volontairement ; les hommes pieux ; les autres avec la même connaissance mais contre leur volonté, les démons ; d’autres sans connaître le seul Dieu par nature se soumettent involontairement à celui qu’ils ne connaissent pas.

Le deuxième est celui dans lequel nous adorons par amour et émerveillement devant sa gloire naturelle ; car lui seul est digne de glorification, puisqu’il ne tient sa gloire de personne et qu’il est lui-même la source de toute gloire et la lumière incompréhensible de tout bien ; douceur sans pareille, beauté inégalable, abîme de bonté, sagesse d’origine insaisissable, puissance sans limite, le seul digne d’être pour lui seul admiré, adoré, glorifié et aimé.

Le troisième procède de la reconnaissance pour tout ce qui nous arrive de bien. Tous les êtres en effet doivent remercier Dieu et lui offrir une constante adoration parce qu’ils tiennent tous l’être de lui, que par lui ils sont constitués et qu’à tous sans jalousie il distribue ses propres biens au double de leur demande ; il veut que toute nature soit sauvée et participe à sa propre bonté ; il use de patience envers nous, pêcheur ; son soleil s’étend sur les justes et sa pluie sur les bons et les méchants. Et aussi, parce que le Fils de Dieu est venu pour nous comme nous et nous a faits participants de la nature divine et parce que nous serons « semblables à lui », comme le dit Jean le Théologien dans l’épître catholique (1 Jean 3-2).

Le quatrième vient du besoin et de l’attente de ses bienfaits. Sachant que sans lui nous ne pouvons faire ou avoir aucun bien, ceux-ci nous poussent à nous prosterner, lui demandant, lui qui connaît tout ce dont nous avons besoin, ce que nous désirons : être tiré du mal ou trouver le bien.

Le cinquième : c’est celui de la repentance et de la confession. Le péché nous fait tomber à genou et nous prosterner devant Dieu, en le priant de pardonner nos erreurs, en serviteurs prudents. Et ce genre a trois aspects. On pleure en effet ou bien par amour, ou bien par besoin des bienfaits de Dieu ou bien par crainte des châtiments. Le premier reflète de bons sentiments désir de lui et disposition filiale ; le second appartient au mercenaire et le troisième à l’esclave.

Qu’adore-t-on dans l’Ecriture et quels genres de prosternation faisons-nous devant les créatures ?

On adore d’abord ceux en qui Dieu le seul saint repose ; il repose sur les saints, la sainte Théotokos et tous les saints. Autant que cela soit possible, ils sont semblables à Dieu, par leur libre choix, par l’inhabitation en eux de Dieu et de son énergie. C’est justement qu’on les appelle dieux non par nature, mais par don, comme le fer brûlant est appelé du feu non par nature mais par don et participation du feu. Il est dit en effet ; « Vous serez saints, parce que moi je suis saint ». (Lev. 19-2). Il y a d’abord la libre décision et à tous ceux qui décident de choisir le bien Dieu accorde alors son concours en vue du bien. Ensuite : « Je ferai d’eux ma demeure et m’y promènerai » (Lev. 31-12), et : « Nous sommes des temples de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en nous » (2 Cor. 6-16). Ensuite : « Il leur donna autorité sur les esprits impurs pour les chasser et guérir toute maladie et toute infirmité » (Mat. 10-1). Ensuite : « Je vis, dit le Seigneur, et je glorifierai ceux qui me glorifient ». (1 Rois 2-30), et : « Les choses que je fais vous les ferez vous-même et vous en ferez de plus grandes » (Jean 14-12): « Si nous souffrons avec lui nous serons glorifiés ». (Rom. 8-17) « Dieu se tient dans l’assemblée des dieux, il juge au milieu des dieux. » (Ps. 18-1). Donc de même ils sont réellement dieux, non comme Dieu mais comme participant à la nature de Dieu, de même sont-ils adorables non par nature mais comme ayant en eux l’adorable par nature; le fer rouge non plus n’est pas dangereux par lui-même à toucher, ni brûlant, mais parce qu’il participe à la nature de la chaleur. On les adore donc en tant que glorifiés de Dieu, devenus par Dieu redoutables à ses ennemis et bienfaisants à ceux qui s’adressent à eux avec foi, non comme dieux et bienfaiteurs par nature mais servants et assistants de Dieu ayant par leur amour libre accès auprès de lui. Nous les adorons, car le roi est servi lorsqu’il voit qu’on vénère le serviteur qu’il aime, non en tant que roi mais que ministre obéissant et ami fidèle. Ils voient leur prière exaucée ceux qui s’approchent avec foi, aussi bien quand ils prient le roi lui-même que parce que le roi accueille favorablement le respect et la confiance de celui qui s’adresse à son serviteur ; car c’est par son nom qu’il le prie. C’est ainsi que par les apôtres ceux qui s’approchaient obtenaient la guérison ; ainsi que l’ombre, les mouchoirs, les tuniques des apôtres étaient source de guérison. Tous ceux au contraire qui dans un esprit de révolte et de désobéissance veulent se faire adorer comme des dieux, sont dignes du feu éternel ; on ne doit pas les adorer ; et ceux qui dans leur mépris et leur pensée orgueilleuse n’adorent pas les serviteurs de Dieu seront condamnés comme des fiers, des orgueilleux, sans pitié pour Dieu. Témoins les enfants qui insultaient sans respect Elisée ; ils furent la proie des ours.

Le deuxième genre est celui selon lequel nous nous prosternons devant les choses créées dont Dieu s’est servi pour notre salut soit avant la venue du Seigneur, soit après l’économie de son incarnation ; telles que le mont Sinaï, Nazareth, la crèche de Bethléem, la Grotte, le Saint Golgotha, le bois de la croix, les clous, l’éponge, le roseau, la sainte et salutaire lance, le manteau, la tunique, le linceul, les bandelettes, le saint tombeau, Sion la montagne sainte, et aussi le Mont des Oliviers, la piscine des brebis, le jardin béni de Gethsémani. Ma piété va à ses choses, et mon adoration, ainsi qu’à tout temple saint de Dieu sur lequel est invoqué le nom de Dieu, non à cause de leur nature mais parce que réceptacles de l’énergie divine, par lesquels et en lesquels il a paru bien à Dieu d’opérer notre salut. Les anges, les hommes et toute chose matérielle ayant participé à l’opération divine et aidé à mon salut, reçoivent ma piété et mon adoration à cause de cette opération divine. Quant aux juifs ne les adore pas ; ils n’avaient pas pour but mon salut quand ils ont crucifié le Seigneur de gloire, mon Dieu ; ils étaient au contraire animés de jalousie et de haine envers Dieu et rejetaient leur bienfaiteur. « Seigneur j’ai aimé l’ordonnance de ta maison, dit David, et le lieu où demeure ta gloire. » (Ps. 25-8), et : « Adorez à la Montagne Sainte ». (Ps. 131-7) montagne sainte animée de Dieu que la sainte Théotokos ; montagnes raisonnables de Dieu que les apôtres : « Les montagnes sont exultées comme des béliers et les collines comme des agneaux de brebis ». (Ps. 113-4).

Il y a un troisième genre où nous adorons les choses consacrées à Dieu ; je veux dire les Saints Evangiles et les autres livres : « Ils ont été écrits pour notre instruction, nous qui sommes arrivés à la fin des siècles. » (1 Cor. 10-11). Patènes, calices, encensoirs, chandeliers, autels, sont certes choses dignes de piété. Vois en effet comment Dieu enleva la royauté à Balthasar qui avait fait mettre à la disposition du peuple les vases sacrés.

Le quatrième genre est celui dont les icônes vues par les prophètes sont adorées (c’est en icône en effet qu’ils eurent la vision de Dieu), ainsi que les images des choses futures, telles que la verge d’Aaron, image du mystère de la Vierge, et l’urne, la table. Jacob aussi se prosterna devant le sommet d’un sceptre, image du sauveur. Il y a aussi des icônes des choses passées pour nous les rappeler ; le tabernacle même était une icône de l’univers cosmique : « Vois, est-il dit à Moïse, le type qui t’a été montré sur la montagne. » (Ex. 25-40). Et les chérubins d’or, ouvrage de métal coulé, et les chérubins sur les tentures, travail de broderie. De la même façon nous adorons le modèle de la croix vénérée et la ressemblance de l’aspect physique de mon Dieu, de celle qui l’a enfanté dans la chair et de tous les siens.

D’après le cinquième genre nous nous inclinons les uns devant les autres comme étant part de Dieu et faits à l’image divine, nous abaissant les uns devant les autres, remplis de la loi d’amour.

D’après le sixième, c’est devant ceux qui ont autorité et gouvernement : « Rendez à chacun ce qui lui est dû, à qui l’honneur, l’honneur » (Rom. 13-7). Jacob se prosterna devant Esaü, c’était son frère, le premier-né, et devant Pharaon parce que établi chef par Dieu.

D’après le septième, les serviteurs s’inclinent devant leur maître et leur bienfaiteur ; ou bien ceux qui demandent devant ceux qui peuvent les exaucer ; ainsi Abraham devant les enfants d’Emmor lorsqu’il leur acheta la double caverne.

Pour nous résumer on se prosterne en signe de crainte, de désir et de respect, de soumission et d’humilité. Il ne faut adorer personne comme Dieu, le seul Dieu par nature, et rendre à chacun ce qui lui est dû à cause du Seigneur.

Voyez quelle force et quelle divine énergie sont données à ceux qui s’approchent des icônes des saints avec foi et conscience pure. C’est pourquoi, frères, restons sur le roc de la foi, dans la Tradition de l’Eglise, sans déplacer les bornes qu’ont posées nos Pères saints ; ne donnons pas de place à ceux qui veulent tailler à neuf et démolir l’édifice de l’Eglise sainte, catholique et apostolique. Si on laisse faire ceux qui ont ce dessein peu à peu le corps tout entier de l’Eglise sera détruit. Non, mes frères, non enfants de l’Eglise qui aimez le Christ, ne couvrez pas de honte votre mère, ne la dépouillez pas de sa parure. Recevez-la telle que je vous la présente. Apprenez ce que dit Dieu à son sujet : « Tu es belle tout entière, mon amie, et il n’y a pas de tâche sur toi. » (Cant. 4-7).

Offrons adoration et culte au seul Créateur et Démiurge, le seul adorable par nature. Adorons aussi la sainte Théotokos, non comme Dieu mais mère de Dieu, par la chair. Adorons enfin les Saints; ils sont les élus, les amis de Dieu ayant libre accès auprès de lui. Car si devant les empereurs souvent corrompus, impies et pêcheurs, devant ceux qu’ils investissent de leur autorité et devant leur effigie même, les hommes se courbent, selon le mot du divin apôtre : « Soyez soumis aux pouvoirs et aux autorités. » (Tite 3-1), et : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mat. 22-21), combien davantage ne faut-il se prosterner devant le Roi des rois, le seul Maître par nature, et devant ses serviteurs et amis qui ont régné sur leurs passions, « chefs institués de toute la terre ». (Ps. 44-19) ; ils ont reçu autorité sur les maux et sur les démons et règneront avec le Christ en royauté pure et indestructible, eux dont la seule ombre chassait maux et démons. Ne jugeons donc pas l’icône une ombre affaiblie et méprisable car c’est en vérité celle de son prototype. Frère, le chrétien l’est par la foi ; celui donc qui avance avec foi, gagnera beaucoup ; celui qui discute ressemble au flot mouvant de la mer, agitée et battue de vent, il ne lui sera rien laissé. C’est par la foi que tous les Saints ont complu à Dieu. Recevons donc la tradition de l’Eglise dans la simplicité du cœur et non par d’abondants raisonnements. Dieu a fait l’homme simple, eux ont cherché d’abondants raisonnements. N’acceptons pas qu’on nous enseigne une foi nouvelle que la tradition des Saints Pères réprouverait. Le divin apôtre déclare : « Si quelqu’un vous annonce autre chose que ce que vous avez reçu, qu’il soit anathème. » (Galat. 1-9). Nous adorons donc les icônes ; nous n’offrons pas notre adoration à la matière, mais à travers elles à ceux qui en elles sont représentés, car, comme le dit le divin Basile, « la vénération de l’icône se transmet au prototype. »

Troupeau très saint du Christ, peuple du Christ, race sainte, corps de l’Eglise, que le Christ vous remplisse de la joie de sa résurrection, qu’il vous rende dignes en suivant ces traces des saints, des pasteurs et des docteurs, de rencontrer sa gloire dans la splendeur des saints. Puissiez-vous la trouver par sa grâce, en le glorifiant éternellement, avec le Père sans principe.

A lui la gloire aux siècles des siècles.


[1] . Nous n’avons, il est vrai, rien, à leur envier…

[2] . Il semble que le Calife ait fortement douté au fond de lui ; sinon ce n’est pas la main de Jean qu’il eut fait couper mais la tête.

[3] . La formule équivoque du concile de Latran ne change rien à cette constatation.

[4] . Sub-sto existe d’ailleurs en latinil veut dire être dessous et a donné substantia.

[5] . Encore n’en ai-je usé qu’avec modération, revenant tantôt à périchorèse pour les « théologiens » et à communier pour les « profanes ». Il existe d’ailleurs en anglais.

[6] . Unique engendré.

[7] . Ce qui est après la nature divine.

[8] . Théologie. Au sens fort, primitif et étymologique. il ne s’agit pas de « discours sur le divin » mais, par l’analogia, des signes de la « conversation » du noûs avec Dieu. L’économie est l’ensemble des voies et moyens de Dieu pour que nous réalisions la première.

[9] . Ce choix, ou plutôt ce pré-choix ; (les « héréti­ques » sont ceux qui « choisissent » une partie du Tout de l’Église) dont il va être si souvent question, a aussi un sens plus profond et primitif; c’est une option, une aspiration.

[10] . ou leur verbe, leur raison. La racine le G d’où viennent les mots logos, lecture… exprime l’idée de lien et de rapport.

[11] . veut dire : fonder ou poser en principe.

[12] . Le verbe proféré, c’est-à-dire la parole humaine, n’est ni en mission ni en station perpétuelles.

[13] . Il faudrait copier le latin sub-stare et inventer sub-ster, sub-stant. Subsister donne subsistance et non substance.

[14] .Nous avons déjà rencontré, au tout début, cet : après.

[15] . Cette insistance sur cette absence d’écoulement vise l’hérésie gnostique (émanation du Verbe comme un courant, un flux) et arienne qui donnait un aspect valentinien, gnostique à la génération du Verbe (Migne).

[16] . Grégoire le Théologien emploie le même tour (Or. 23) : « … Fils réellement le Fils parce que seul, du seul, seulement et de façon unique ».

[17] . On ne peut dire avec plus de netteté que le Saint-Esprit procède du seul Père.

[18] . ou en acte.

[19] . Le mot peut être traduit par identité, mais souvent, comme ici, ce n’est pas possible ; car il signifie que quelque chose est le même pour ce qui est considéré : d’où le mot identicité.

[20] . Pratique, opposé à conceptuel ou théorique.

[21] . Principe de la défense antifilioquiste. Si l’Esprit retourne vers le Père, il cesse d’être immuable ; et de plus en allant du Fils vers le Père, celui-ci se « filialise », si l’on peut dire, et il n’y a pas un Père ; or il y a proprement un Père, dit l’auteur.

[22] . Le texte porte : et il ne faut pas.

[23] . Argument repris au moment des luttes palamites.

[24] .Ce qui termine ce livre n’existe pas dans d’anciens manuscrits mais est attribué à notre auteur.

[25] . On ne peut être plus clair.

[26] . Dans l’Écriture des Septante : Baruch 3-38.

[27] . Peut être y a-t-il une faute dans le texte.

[28] . In-circon-scriptible.

[29] . Logos, de la racine Le G, pour les Grecs et les Pères, a un premier sens extrêmement élevé. De même que le noûs participe à la nature angélique (et à ce titre le Paradis n’est pas dans un lieu ni un passé disparus), de même le logos est la raison profonde, la raison d’être des êtres ; c’est aussi le lien reliant ces êtres (analogia) ; c’est enfin l’expres­sion, l’élocution. On comprend pourquoi nul autre mot ne pouvait mieux convenir au Verbe.

[30] . En latin : aevum et saeculum.

[31] . Aristote : du ciel.

[32] . Textuellement chez Grégoire le Théologien.

[33] . Cette affirmation surprenante pour un moderne est le trait qui perce notre confiance en la logique des Pères (car tous ont dit de même), mais conduisant à séparer logique et foi chez eux comme chez nous.

C’est une gageure de découvrir le point de vue d’où elle procède. Ces quatre (ou cinq) Eléments sont symbolisés dans le sphynx égyptien ou les génies ailés des bas-reliefs assyriens. Or les figures d’homme, d’aigle, de lion et de taureau dont ils sont faits, sont précisément celles des quatre Etres vivants de la vision d’Ezéchiel et de St-Jean (Apocalypse), ce qui montre l’antiquité de cette théorie.

Si l’on prend garde par ailleurs au déploiement de ces Eléments dans la Genèse et surtout à l’importance des noms, on saisira pourquoi c’est Dieu qui les leur donne, alors que dans le monde visible et invisible qu’ils circonscrivent c’est l’Homme qui nomme. Il va sans dire que les éléments visibles sont les ombres allusives, « énigmatiques s, de ces puissances hyper­cosmiques, immédiatement après la Première Nature, qui sont restées en réminiscence dans les traditions primitives et retrouvées dans le psychisme profond même de nos jours.

[34] . enveloppe, résumé, sommaire.

[35] . Des noms unis par un tiret, le premier est grec, le second latin. Eosphore : porte-lumière, Espère : étoile du soir…

[36] . Platon et les anciens les tenaient pour animés ; les Manichéens de même et jusqu’à Origène. Mais on peut supposer que par la corres­pondance, l’analogia, entre le ciel et le Ciel, les mouvements du premier symbolisaient ceux du second; en ce sens, les astres étaient donc « animés ».

[37] . Ici se manifeste la faiblesse de la pensée systématique aristoté­licienne. Un seul argument ruine cette thèse : si la ténèbre n’a pas d’essence, quelle impiété de déclarer que Dieu lui a donné un nom : Leila, en hébreu, la nuit.

[38] . Un seul jour, une unité de jour. Tous ces textes sont tirés de Gen. I.

[39] . Interprétation naïve, montrant les « trous » étonnants de l’exégèse des Pères, dès qu’ils quittaient la « Théologia ».

[40] . Tel est le mot employé : bois et non arbre.

[41] . Pour St Jean Chrysostome cette inspiration est « une énergie vitale » qui soutient l’âme « par essence » ; pour Théodorat c’est la nature de l’âme qui est ainsi signifiée et l’âme logique est pneuma ; St Cyrille : « Par son souffle Dieu a inspiré l’âme dans le corps de l’homme, sans que cette âme soit le souffle de Dieu.» (N. de Migne). Dans l’Ecriture l’âme de vie ou souffle vital (néphesh en hébreu) anime les créatures, mais Dieu donne en plus son inspiration (neshamah), par les « narines », à l’Homme.

[42] . Pour Grégoire l’homme est macrocosme.

[43] . Texte incertain.

[44] . C’est le « solide », l’équivalent en nous du « solide » dans les aliments.

[45] . Un être vivant augmente en volume, en espace; il croit et se développe, déployant sa complexité; il « sémine », c’est-à-dire se met sous forme de «symbole-mémorisateur-reproducteur»; enfin dit la Genèse (Gen. il porte du fruit. L’auteur a omis ce point, ou bien il l’a compris avec le « spermatique ».

[46] . Ce mot : impulsion traduit mal le grec : c’est le déclenchement volontaire de l’action et non l’impulsion (« irraisonnée ») au sens habituel.

[47] . animales (psyché équivaut à néphesh).

[48] . C’est cela l’excès du désir.

[49] . Souffle vital, âme, désir, volonté, cœur, sentiment, ardeur, courage, ire. Tels sont les sens du mot. L’ardeur, au sens premier de chaleur, est peut être le meilleur. On traduit toujours par colère.

[50] . de colère.

[51] . L’imaginé ou le représenté : c’est la première image qui se forme dans l’esprit après la sensation.

[52] . L’énumération qui suit est sans intérêt.

[53] . Toute l’anthropologie des Pères est dans ces mots.

[54] . Ou puissance appétante.

[55] . Ou opération.

[56] . Les images mentales, la représentation.

[57] . Exactement il y a : le vrai jugé et défini…

[58] . Peut-être n’est-il pas mauvais de dégager ici, après cette étude de l’homme et derrière une terminologie quelque peu technique, la vivante anthropologie des Pères.

Un monde angélique, « informel », comme dit St Denys, et noétique dans lequel plonge (ou s’élève) le noûs de l’homme. Un monde psychique (subtil dirait l’hindouisme) où temps et distances transformés permettent échanges et dépassements,dits « surnaturels » et, mieux dits encore, extra­ordinaires, où la forme soutient les corps. Enfin un monde sensible, esthé­sique, celui des sens. Tels sont les trois domaines, ou champs comme dit la Genèse, de l’Univers, du Tout.

Autant le monde corporel est autre que le psychique, autant celui-ci que le noétique. Des sensations une image se forme ; cette faculté d’ima­giner est la phantaisie. Sur ces images s’exerce l’intelligence et le Vrai vient du noûs. De même que la lumière (qui est ténèbre si elle n’est pas arrêtée) se réfléchit et joue, lorsque la brume est dissipée, de même la pure lumière intelligible, simple, noétique se réfléchit et irradie le ciel, la terre et l’intervalle. Et l’homme comprend lorsque connaissant consubstantiel­lement les puissances qui le font être, il les épouse et embrasse avec elles les objets qu’elles comprennent elles-mêmes. On ne peut éviter de décrire en termes amoureux la fête, intime et universelle, qu’est pour l’homme la connaissance. On est loin des approches de fourmi de la raison au sens où le mot est ravalé d’ordinaire. Quand on pense à l’abîme de profondeur que cachent de simples mots comme précisément : simple, un, on n’a pas de peine à comprendre la nécessité de l’ « outil » angélique pour voir à travers leurs (nos) « yeux », les immenses perspectives de la Foi, des Ecri­tures, du double récit de la Genèse en particulier. Mais précisément, s’agissant d’êtres, on ne les connaît, ces anges, qu’en tant qu’êtres et ils ne se révèlent qu’à qui les reconnaît pour tels ou non à qui ne s’en sert que comme d’un outil, selon l’ignominie (au sens littéral) moderne, et sans les aimer.

Remarquons qu’à diverses reprises Damascène nous parle de l’essence du Sensible. Il attribue ainsi l’être au pôle opposé au pôle noétique et nous voyons dans l’Ecriture également le balancement entre le Ciel et la Terre, les Eaux supérieures et les Eaux inférieures ; la Terre fait pousser, jaillir son jet ; elle n’est pas passive et l’Incarnation est la fête de la Terre, l’Ascension son exaltation.

[59] . Ces mots calqués sur le grec sont presque « français ». On n’a aucune peine à en saisir la « traduction ».

[60] . Un trou dans les manuscrits ; conjecture : « par permission, et selon des modes différents… ».

[61] . Littéralement : privé de tout dire. Franchise (au sens premier) de langage.

[62] . Littéralement : le plus nouveau de tous les nouveaux…

[63] . Cette purification par la parole du Seigneur est mentionnée par Grégoire de Nazianze, Léon le Grand.

[64] . L’économie du Salut n’aurait été qu’une apparence, un « semblant ».

[65] . Il s’agit de l’union de la nature divine à la nature humaine.

[66] . Le même Christ est oint et oignant.

[67] . Il était le Verbe et n’avait que la nature divine.

[68] . Le Christ est un, de la divinité et de l’humanité. Le Christ est celui qui a l’onction et fusionne en un seul celui qui la donne et celui qui la reçoit.

[69] . Léon, pape.

[70] . se fait de la famille. Racine indo-européenne Weik : en grec donne aussi « occourience », maison, voisinage et paroisse (et perroquet !) ; en latin : vious : voisin, village….

[71] . Léon, pape.

[72] . Le Christ est le fruit de la rencontre de l’une avec l’autre (valeur du parfait).

[73] . La nature même du nombre par elle-même n’additionne ni ne divise (Léonce contre Sévère).

[74] . Comme Sévère : l’essence partagée .

[75] . Petrus Fullus, du siège d’Antioche avait ajouté : “St Deus, St Fortis, St Immortalis, qui crucifixus est pro nobis, miserere nobis”.

[76] . Enseigneur.

[77] . Ce chapitre est ardu.

[78] . Le plan du divin à celui de l’incarnation.

[79] . L’hypostase est la même pour les deux natures. On touche ici du doigt que l’on ne peut traduire le grec par identité.

[80] . Traduction lourde mais difficile. Souffrances naturelles c’est-à-dire correspondant à sa nature. Maux extérieurs : venus du dehors.

[81] . Le verbe brûler a un mouvement à la fois actif et passif : un fer rouge brûle, tout comme l’essence et la paille. On a donc de la peine à traduire, mais la pensée est suffisamment claire.

[82] . Tel est bien le texte sous nos yeux

[83] . Cela explique sans doute le texte objet de la note du chapitre précédent : Tel est bien le texte sous nos yeux !

[84] . Le Christ « progresse » en tant que Dieu en manifestant chaque jour davantage sa divinité, et en tant qu’homme en réalisant les vues de la bienveillance de Dieu concernant son salut.

[85] . Ce court chapitre montre combien la pensée de l’auteur est acérée et exigeante.

[86] . Cette formule qui revient et qu’on trouve chez saint Grégoire, marque leur hésitation à séparer le «concept» perçu par le noûs concret perçu par les sens. C’est la maladie grecque de conceptualiser qui gâte notre relation : noûs – âme – corps.

[87] . Épisode de la révolte des Fils de Coré contre Moïse (Nomb. 16).

[89] . Cette phrase est obscure.

[90] . Je risque un contresens, mais il ressort ce sens-là du contexte théologique. Plutôt que : « La foi sait mettre-en-l’état-de-fils (c’est-à-dire donner l’adoption) nous qui sommes créatures du Saint-Esprit.

[91] . Littéralement : par ouïe, par audition.

[92] . Grâce à ce bon, il n’y a pas de substantif comme le bien, ce qui rend la traduction malaisée.

[93] . « Le pain recevant l’invocation de Dieu, n’est déjà plus du pain ordinaire, mais l’eucharistie » St Irénée (Liv. IV ch. 35). Basile (Du Saint-Esprit : ch. 27) assure que cette invocation vient du Christ et des apôtres. Cyrille de Jérusalem (Catéch. I Myst.): «… de même que le pain de l’eucha­ristie, après l’appel du Saint-Esprit, n’est pas simple pain mais le corps du Christ…» St Jean Chrysostome : « Lorsque le prêtre se tient à la Sainte Table, élevant ses mains au ciel, appelant le Saint-Esprit à venir et à toucher les dons offerts, il y a un grand silence… Lorsque l’Esprit donne sa grâce, lorsqu’il descend, lorsqu’il touche les dons, lorsque tu vois que l’agneau est égorgé et préparé, éloigne le tumulte et le trouble. » (Note Migne)

[94] . Levi, Melchi, Panther, sont ignorés de l’Africain. André de Crête les nomme. On ne sait d’où l’A. tire ce renseignement.

[95] . Interprétation des Septantes. (Jug. 15-17)

[96] . Stoïcheia – lettre et élément.

[97] . N’a-t-il pas la « permission » : Liberté-possibilité-autorité).

[98] . L’auteur fait sans doute allusion au mystère des lettres et des nombres, objet de la cabbale.

[99] . Sans doute, malgré l’usage, peut-on « traduire » anti au lieu de anté qui veut dire avant et non contre.

[100] . Le monde n’a pas attendu les formulations d’Einstein pour être dans la Relativité.

[101] . J’ai renoncé aux guillemets dans ces deux dernières phrases tant il en faudrait, mais l’humour gagne à ne pas se montrer !

[102] . de la « Trinité ».

[103] . C’est Moïse qui parle (N.D.T.)

[104] . Argument inattendu et profond à la réflexion, montrant combien Jean a travaillé et a été travaillé par le sujet.

[105] . « L’icône naturelle est la première » (littéralement), c’est-à-dire dont la nature est la même que celle du prototype.

Numéro d’Editeur : 661

Dépôt légal, 1er trimestre 1966