Ecoute et assimilation (MK)

ÉCOUTE ET ASSIMILATION

Maxime KOVALEVSKY

LITURGIE
ÉCOUTE ET ASSIMILATION

PRÉSENCE ET ÉCOUTE

ÉCOUTE ET ASSIMILATION

ÉLÉMENTS DE BASE DE TOUTE LITURGIE CHRÉTIENNE

LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS

STRUCTURE, DÉVELOPPEMENT ET SIGNIFICATION SYMBOLIQUE DE LA

LITURGIE EUCHARISTIQUE

LE RÔLE DES FIDÈLES DANS LA LITURGIE

INSTRUCTIONS PRATIQUES L’ANNÉE LITURGIQUE SUIVANT LES USAGES

DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ORTHODOXE DE FRANCE

LE CYCLE PASCAL

RENAISSANCE EN LANGUE VIVANTE DU CHANT LITURGIQUE CHRÉTIEN TRADITIONNEL

INTRODUCTION
PRÉSENCE ET ÉCOUTE

Comment l’homme doit-il être préparé pour recevoir pleinement le vérité chrétienne ? L’entendre ou l’apprendre comme une « leçon » ne sert à rien : il faut que tout l’être soit préparé aussi bien corporellement qu’intellectuellement, car cette vérité n’est pas du domaine « scolaire ». C’est pourquoi notre premier sujet d’étude sera : « Etre présent, écouter », et le suivant sera : « Ecouter et assimiler ». Grâce aux Offices, nous apprendrons à être présents, à écouter, à faire résonner la vérité par le chant et la Lecture et nous en tirerons les conséquences intérieures existentielles qui changent notre vie.

La « présence » est indispensable dans tout travail aussi bien intellectuel que spirituel. Ainsi X est là, parmi nous, mais il n’est pas présent : il se détourne. Si l’homme n’est pas présent, il ne peut rien apprendre, rien assimiler. Personne ne peut forcer qui que ce soit à travailler, à comprendre, à apprendre, si lui-même ne fait pas cet effort. Sa seule présence physique est inutile.

Qu’est-ce donc « être présent » de la sorte ? L’Evangile en parle souvent. Prenons un exemple évangélique simple : le Christ vient chez Marthe et Marie pour parler, pour apporter un message très important. Qui est « présent » ? Marie, Marthe, pleine de bonne volonté, s’occupe de choses matérielles, s’affaire pour la nourriture de l’assemblée attentive qui entoure le Messie. Mais elle oublie d’être présente à l’acte pour lequel a précisément lieu cette réunion : le Christ est venu pour enseigner. Marie s’assied aux pieds du Maître et l’écoute, tandis que Marthe s’indigne de ce que – selon elle – Marie n’est pas présente puisqu’elle ne fait pas son travail… Le Christ dit alors à Marthe que son travail à elle, certes, n’est pas inutile, mais que c’est Marie qui a « choisi la meilleure part ».

A partir de là, on en vient trop souvent à déduire que la vie pratique d’un chrétien qui s’occupe des autres n’est pas une nécessité, et qu’il suffit d’être aux pieds du Christ et de L’écouter, et l’on juge cette attitude supérieure à l’autre. Mais ce n’est pas cela qu’a voulu dire le Christ. Il a voulu dire que, « dans le cas présent », Il était venu « pour parler » : il fallait donc « L’écouter ». Quand nous voulons suivre l’apprentissage qu’est la catéchèse, il faut avant tout savoir pourquoi on est venu, et être totalement présent à l’enseignement; de même la pédagogie fondamentale apportée par la Liturgie est elle aussi, surtout et avant toute autre, le catéchèse le plus efficace.

Si vous parcourez attentivement les Écritures et la littérature patristique, vous verrez que la « présence » est requise comme un préalable indispensable, après lequel seulement vient « l’écoute ». Que signifie « écouter » ? C’est, pendant un moment, admettre qu’il y a « un autre » et que pendant un certain temps on n’existe pas à soi-même. Tant qu’on demeure « soi », il faut bien reconnaître – en nous plaçant pour l’instant sur le plan purement humain – que l’on n’écoute pas vraiment. Au moment où j’écoute « l’autre », c’est lui seul qui doit exister pour moi, et non plus rien de moi. Il est difficile, souvent, de ne pas tenter de deviner ceque l’autre va dire, et même de le lui souffler… C’est le défaut de personnes d’un certain âge et qui ont trop réfléchi : elles croient que d’avance, tout est dit, et qu’il est inutile d’écouter des choses qui ne sont pas toujours intelligentes…

Si donc nous voulons nous catéchiser chrétiennement, nous devons abandonner cette attitude et apprendre à écouter, à rechercher quelque chose de nouveau pour nous qui, peut-être, nous enrichira. Le psalmiste dit : « Écoute, ma fille, et prête l’oreille », et le Christ : « Bienheureux ceux qui écoutent la Parole et qui la gardent ». Toutes les Écritures Saintes sont fondées sur la prééminence de l’écoute. Saint Bernard dit que le péché et la déformation de l’homme sont venus par l’oreille : Éve a écouté le serpent. Mais c’est par l’oreille aussi que le péché peut et doit être corrigé.

Nous verrons plus loin comment l’Église, dans sa Liturgie, nous apprend à écouter. Mais déjà je vous dévoile un secret élémentaire : toutes les techniques simples de notre Liturgie sont basées sur l’écoute. Un des meilleurs exercices d’écoute est, par exemple, la méthode de chant avec « canonarque », base déjà de l’enseignement biblique : le Maître prononçait une sentence profonde et utile – ou plutôt il la chantait, la psalmodiait – et les élèves la répétaient. Nos chants avec « canonarque » sont ainsi construits: un préchantre chante un fragment de phrase, et tous la reprennent à sa suite, et ainsi fragment après fragment, tout le texte est enseigné aux fidèles. (Ex. : « Venez, peuples… » – Pentecôte – ou « La Vierge aujourd’hui… » – Noël – etc.) Pour pouvoir répéter, il faut écouter : c’est le principe élémentaire de base de toute tradition orale, celle par laquelle les vérités essentielles sont venues jusqu’à nous.

L’enseignement scolaire classique refuse de faire « répéter comme des perroquets », et fait exposer par l’élève, à peu près, avec son langage propre, ce qu’il croit avoir compris. Ce n’est pas un bon enseignement parce qu’il ne fait pas progresser l’être, le laissant dans les limites où il se trouve au moment où il commence à apprendre. Par contre, s’il sait qu’il devra répéter il écoutera. S’il écoute, il assimilera. S’il assimile, il s’enrichira. S’il n’écoute pas, il demeurera « lui-même », sans plus, dans ses propres limites. On sait que l’écoute d’une bonne conférence d’une heure remplace avantageusement plusieurs heures de lecture, sans quoi le conférencier ferait-il un tel effort ? En effet; l’assimilation par le son est à la fois naturelle et surnaturelle. La connaissance nous est donnée par le Christ à travers l’oreille : on sait de Lui seulement qu’Il parle. Jamais aucun de ses gestes n’est décrit, sauf quand Il a tracé – sur le sable – des signes une foi, qu’il n’a pas voulu parler. I1 n’a rien écrit… La Liturgie des catéchumènes, enseignement de la Parole, est le prolongement jusqu’à nous de cette pédagogie orale, et c’est par la voie orale que le- christianisme a étérépandu, aussi bien par le Christ que par ses apôtres.

Notre présence donc se manifestera par notre faculté d’écoute. Combien ai-je connu d’étudiants qui viennent aux conférences pour faire « acte de présence » alors qu’ils font semblant d’être présents. Or, dans notre catéchèse, il importera que nous ne fassions pas semblant d’écouter, de travailler. Il ne faut pas non plus incriminer celui qui professe, quand on ne l’a pas compris. En général, il n’est pas si mauvais :que cela…, ce qui est mauvais, c’est qu’on ne l’a pas écouté. Je me répète volontairement, cela entre dans le cadre de notre catéchèse : écouter, c’est pendant un moment disparaître. Si vous ne disparaissez pas, vous n’écoutez pas. Pour écouter, vous devez croire que l’autre existe plus que vous et qu’il peut vous apporter quelque chose.

C’est cela la vraie humilité, et non pas de se dire pécheur, mauvais, de battre sa coulpe. L’humilité, c’est de savoir que parfois l’on n’ »est pas », qu’il existe autre chose d’aussi valable, de plus valable que soi.C’est un acte de confiance à faire, que d’admettre que l’on puisse « recevoir » de quelqu’un d’autre. Ainsi, dans tout enseignement, il faut préalablement stipuler que le fait d’écouter n’est pas seulement un acte d’intérêt, mais d’utilité. Cet effort « peut servir », peut changer quelque chose à notre existence. C’est un effort existentiel. Quand l’homme écoute, il peut, pendant un moment, surmonter son égoïsme qui l’enferme dans sa coquille : il s’ouvre avec confiance à autre chose que lui-même dans l’espoir de trouver un moyen de se transformer.

Mais il ne suffit pas de « savoir » qu’il faut écouter. Il faut apprendre à réellement écouter. Une participation active, réelle, à la Liturgie et aux Offices est déjà l’exercice le plus valable.,

Commençons à déblayer les lignes essentielles de l’enseignement chrétien. On oublie assez souvent des choses qui sont essentielles dans cet enseignement et même quel est le sens d’un enseignement qui se veut chrétien. Le christianisme n’est ni une philosophie, ni une doctrine dans le sens scolaire du terme. C’est l’annonce d’une possibilité de vie nouvelle, fondée sur des bases essentielles pour l’acquisition desquelles il nous faudra non seulement faire un effort d’écoute et d’acceptation, mais également de réflexion profonde et de méditation personnelle.

Le Christ Lui-même définit les éléments les plus simples sur lesquels est basée notre foi, et surtout les possibilités de « metanoïa », de changement que nous apporte la Bonne Nouvelle. Il nous en donne les prémices. Répondant à une question, Il dit : « Tu aimeras ton Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur, de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même ». Sur ces deux commandements sont suspendus toute la Loi et les Prophètes. On a tendance à croire que ces deux commandements sont essentiellement chrétiens, alors qu’ils nous viennent de l’Ancien Testament. C’est le fondement biblique duquel part l’enseignement du Christ, et non .son aboutissement. Cela revient à. dire que celui qui ne remplit pas les prescriptions de ces deux commandements n’est même pas encore un homme religieux, avant d’être un chrétien.

Celui qui ne peut pas aimer Dieu comme il est prescrit, ne peut pas comprendre le christianisme : il restera toujours « à coté ». Réfléchissons sur ces deux commandements. Pourquoi ce second commandement biblique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ? Il y a une sagesse extraordinaire dans ce « comme toi-même » : il ne faut pas entendre « comme = autant », mais. »comme de la même manière que ». Ce n’est pas une question de degré mais de nature. C’est là qu’on voit combien ces formulations bibliques sont extraordinaires, courtes, concises et d’une profondeur théologique insurpassable. Nos rapports avec le Dieu transcendant sont exactement définis par le premier de ces deux commandements, ainsi.que par le second – nos rapports avec le prochain avec lequel nous devons rester « sur le même niveau ». Ce commandement élimine toute divinisation de l’homme pour lui-même. C’était important à une époque où; selon une constante de toutes les religions, Dieu était séparé de l’humanité par une multitude de divinités qui n’étaient que des projections de l’intelligence humaine, dans les limites des capacités humaines, et – à un niveau inférieur – par une série de héros. C’est toujours aussi important de nos jours où l’on parle volontiers d »‘idoles », où l’on en arrive à diviniser des personnalités. Ces hommes, aussi « merveilleux » soient-ils, ne sont que nos frères et nos égaux : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même« .

Qu’est-ce que le christianisme apporte ici de nouveau à la parole biblique ? Le Christ le dit pendant son dernier entretien avec ses apôtres, au cours de la dernière Cène : « Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres comme Je vous ai aimés », c’est-à-dire qu’à partir de l’Incarnation de Dieu dans la Personne du Christ, Dieu transcendant devenant connaissable, nous pouvons aimer le prochain d’un amour « divin », d’un »autre amour »qui, celui-là, est supérieur à l’amour que l’on porte à soi-même. Le Christ dit en particulier : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour autrui ». Telle est la mesure qui montre que l’on aime l’autre plus que soi-même. Si un tel amour est possible, c’est parce que la Révélation de l’Incarnation divine est donnée : Dieu S’est incarné en Christ à travers qui nous pouvons voir Dieu dans tout prochain, sans pour autant dans tomber dans l’idolâtrie. Telle est dans ce domaine la Révélation essentielle du christianisme. Si on l’abandonne, il n’y e plus de christianisme.

Donc, toute forme sociale d’un christianisme qui veut mettre au premier plan le service immédiat du prochain sans autre condition, est, au fond, un retour en arrière. C’est une régression à partir de ce que nous a apporté de nouveau le Christ. Nous pouvons aimer jusqu’au’ sacrifice, parce que nous savons que le mystère chrétien nous offre la possibilité, non seulement d’être solidaires de tous les hommes, mais encore d’aspirer à une déification de l’humanité : l’homme devient non seulement image de Dieu, mais « comme Dieu ». C’est un point très délicat, et si l’on ne maintient pas strictement une éducation chrétienne, l’on peut retomber dans l’idolâtrie d’un saint, d’un prêtre, de son conjoint, d’un professeur…, tout en croyant rester chrétien, alors que ce nouvel amour « plus fort que la mort » est donné uniquement « à l’image de Dieu » qui se trouve dans le prochain, et non pas au prochain en tant qu’être par lui-même. En tant qu’individu, tout homme est égal à l’autre devant Dieu. Nous pouvons évidemment avoir des préférences personnelles, mais pour être saines, elles doivent rester dans les limites du commandement : « Tu aimeras ton prochaincomme toi-même« :

Revenons maintenant au grand commandement : « Tu aimeras ton Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur, de toute ta pensée ». A première vue, cela parait impossible. Saint Jean dit qu’en la matière il y a énormément de menteurs : un homme qui dit aimer Dieu alors qu’il n’aime pas son frère, ment. Le frère qu’il voit tous les jours, il ne l’aime pas, alors comment Dieu qu’il ne voit pas, prétend-il L’aimer ? Il y a là un point mystérieux, et si l’on veut doctrinalement, rationnellement le décrire, on obtient toujours de fausses conclusions. C’est un problème d’expérience religieuse. C’est Dieu Lui-même qui nous donne la faculté de L’aimer. S’Il ne nous l’a pas donnée, nous devons Le supplier de nous l’accorder; nous devons chercher en nous-mêmes ce qui nous manque pour que nous soyons ainsi privés de cette possibilité d’amour. Mais il ne faut pas nous forcer, nous dire : »Je veux aimer Dieu de toute mon âme, de tout mon cœur, de toute ma pensée… » On peut s’efforcer d’aimer son prochain comme soi-même parce que .le niveau est le même. Mais dans l’amour de Dieu, nous sommes dans le domaine d’une hiérophanie, d’une apparition du sacré.

Il faut que dans notre vie, soit personnelle soit collective (par la Liturgie dans l’église), se produise une manifestation divine à partir de laquelle pourra se développer cet amour de Dieu. Une fois reçu, ressenti « dans notre cœur », il ne faut pas le laisser s’éteindre. Il n’y a pas de développement « automatique » en ce domaine : la relation la plus profonde, la plus authentiquement religieuse, n’est que les prémices d’un travail intérieur. Nous ne pouvons pas créer l’amorce de notre conversion à Dieu : c’est Lui qui nous la donnera, mais une .fois « saisis » par cet amour de Dieu, nous pouvons et devons le développer.

C’est là qu’apparaît une dimension nouvelle, avec le second commandement. Non sans un certain humour, saint Jean nous donne un système : Commence à aimer .ton prochain; cela t’apprendra à aimer Dieu… A un être qui s’est déjà exercé à aimer, l’amour de Dieu peut se révéler. Il n’y a plus alors de difficulté : un être saisi par l’amour divin l’est tout entier, « de tout son cœur », parce qu’il aura vu la Réalité auprès de laquelle tout le reste devient moins réel. » C’est là le grand mystère de la vie religieuse…

Personnellement, je n’ai jamais senti la réalité du monde sans Dieu. Un tel monde m’a toujours paru factice, illusoire. Parce que nous avons peur et que nous nous accrochons aux objets, aux faits de l’existence quotidienne, nous croyons vivre. Or, si nous nous analysons lucidement, sans peur, nous nous rendons compte que nous ne « vivons » pas, que ce que nous appelons « réalité » n’est que l’écoulement de fictions successives. Une fois touché par la Grâce de l’amour divin, l’homme s’aperçoit qu’il exister .une Réalité qui perce au-delà d’une foi abstraite, et traverse ce monde fictif qui devient alors ce que nous appelons « sacré ». Le monde ainsi sacralisé commence à prendre un certain poids, à se remplir d’un certain contenu : soudain tout prend un sens, même s’il s’estompe de temps en temps. Dès qu’on s’éloigne du premier commandement, dès que dans sa pensée, ses sentiments ou ses désirs, l’homme donne la préférence à autre chose qu’à Dieu, cette réalité subtile mais néanmoins sensible, commence à s’effriter, et nous retombons dans un monde informe. Ceci est très caractéristique de notre époque actuelle. Voyez l’humanité : elle ne croit plus, au fond, à la réalité de la vie qui l’entoure. C’est sans doute pour cela que certains (peut-être les plus éveillés…) cherchent des moyens d’évasion, que ce soit le yoga, les stupéfiants, la musique pop ou autres succédanés… Tous les éléments de recherche de la Réalité se trouvent réunis là : les gens cherchent à être – ne serait-ce qu’un bref instant – en contact avec quelque chose de plus réel que le monde irréel.

Et c’est là que nous devons être attentifs à notre responsabilité : nous possédons la Révélation chrétienne qui est non seulement une révélation religieuse extraordinaire, mais une doctrine qui « tient debout ». Elle peut donner une solution à tous ces « chercheurs de vérité »qui déjà se rapprochent de Jésus en dehors de l’institution ecclésiale, notamment en Amérique depuis peu. Nous ne devons pas juger ces mouvements désordonnés mais les comprendre, et comprendre que s’ils sont en porte-à-faux, c’est parce que nous sommes nous-mêmes en porte-à-faux. Avant qu’ils ne se livrent à des recherches fantaisistes, les chrétiens, eux, avaient oublié ce qui est nécessaire à l’homme, et en particulier, qu’il existe un autre réalité que la réalité quotidienne. On peut en effet être apparemment religieux- quelle que soit cette religion, chrétienne ou «non, et vivre dans un monde purement profane ou la réalité n’est que le confort, les affaires, le logement, le plaisir. Disons franchement que tous, dès l’école, nous avons été ainsi éduqués, et qu’on nous a suggéré une fausse image de la Réalité.

Celui qui cherche la Réalité devrait .se précipiter vers Dieu qu’il pourrait « aimer de tout son cœur. », mais il ne le fait pas parce que Dieu était et reste encore pour beaucoup, placé dans la « boite des idées religieuses » pourrait-on dire, dans un compartiment réservé, au lieu d’être présenté comme la Réalité suprême, la seule qui nous fasse « vivre ». C’est là que nous péchons contre ce commandement primordial qui veut que,

justement, nous plaçons Dieu non dans un secteur particulier de notre vie, mais dans sa totalité. Même alors ce n’est encore qu’un début : on n’est pas encore chrétien, mais simplement « religieux », dans le sens biblique du mot.

Nous avons donc, grosso-modo, éclairci les deux commandements préchrétiens que nous devons nécessairement méditer avant d’enchaîner sur l’enseignement de l’Eglise. Rien qu’avec cette étude préliminaire j’espère avoir su éveiller en vous quelques réflexions. Apprenons donc avant tout à « écouter » pour.que la Parole se déposeen nous et y travaille. Ne répugnons pas à « apprendre par cœur » : ce qu’on a ainsi retenu constituera la matière de livres déposésdans notre subconscient, et nouspourrons par la suite les y retrouver spontanément et les relire de mémoire en y découvrant des richesses qu’enfant (ou néophyte) nous ne savionsencore y voir. Notre catéchèse aura ce double aspect : nous nous efforcerons d’apprendre par cœur certaines formules que l’enseignement chrétien déposera dans notre intelligence et notre cœur (par exemple le Credo, le Notre Père), et quand viendra pour chacun de nous la nécessité de méditer ce que nous aurons ainsi appris, nous n’aurons plus besoin de compulser des ouvrages. La matière sera déjà en nous.

ÉCOUTE ET ASSIMILATION

Lisons ensemble un texte évangélique que nous devrions tous bien connaître et méditer, et que nous allons tâcher d’approfondir ici – Luc, chapitre 8.

« Une grande foule s’étant amassée, des gens étaient venus à Lui de diverses villes ; Jésus dit en parabole : le semeur sortit pour répandre sa semence, et, pendant qu’il semait, une partie tomba le long du chemin et fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent. Une autre partie tomba sur la pierre et aussitôt levée sécha, parce qu’elle n’avait pas d’humidité. Une autre partie tomba parmi les épines et les épines croissant avec elle l’étouffèrent. Une autre partie tomba dans la bonne terre, et ayant levé, elle donna du fruit au centuple. Parlant ainsi, Il disait : Que celui qui a des oreilles entende bien. Ses disciples Lui demandèrent ce que signifiait cette parabole. A vous, leur dit-Il, il a été donné de connaître le mystère du Royaume de Dieu, tandis qu’aux autres il est annoncé en paraboles, de sorte qu’en voyant ils ne voient point et qu’en entendant ils ne comprennent point. »

« Voici ce que signifie cette parabole : la semence, c’est la parole de Dieu. Ceux qui sont « le long du chemin », ce sont ceux qui entendent la parole mais chez qui ensuite vient le démon qui l’enlève de leur cœur, de peur qu’ils ne croient et ne soient sauvés. Ceux en qui on sème « sur la ‘pierre », ce sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent avec joie, mais comme elle ne peut pas prendre racine, ils croient pour un temps et succombent à l’heure de la tentation. Le grain qui est tombé « parmi les épines » c’est pour ceux qui, ayant entendu la parole, la laissent peu à peu étouffer par les soucis, les richesses, les plaisirs de la vie. Il n’arrive pas à maturité. Enfin, ce qui est tombé « dans la .bonne terre » est pour ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance. »

A cela il faut ajouter un texte de Matthieu : « Le Royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé que l’homme a pris et a semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais lorsqu’il a poussé, il est plus grand que toutes les plantes potagères. Il devient un arbre de sorte que les. oiseaux duciel viennent s’abriter dans ses rameaux ».

Il faut encore ajouter la parabole du bon grain et de l’ivraie bien connue, où le Christ parle de l’homme qui a semé du bon grain avant que le diable ne vienne derrière Lui semer de l’ivraie, et qui voit lever en -même temps .les bonnes et les mauvaises graines. A celui qui veut arracher les mauvaises plantes, Dieu dit d’attendre perce qu’il risque d’arracher en même temps quelques épis de blé, d’attendre la moisson et ensuite de faire le tri pour engranger le bon grain et brûler l’ivraie.

Ceci a un rapport direct avec notre sujet – « l’écoute ». Celui qui a des oreilles, qu’il entende. Comment la parole de Dieu s’assimile-t-elle ? Comment entre-t-elle dans notre cœur pour nous transformer ? Ces paraboles l’expliquent toutes avec précision : c’est par une assimilation progressive.

Le petit grain imperceptible devient une plante immense… Le grain lève tandis que l’homme sommeille… Il en est de même de nous devant l’enseignement du Christ. Notre effort ne doit pas aller au-delà d’une réceptivité sans réserve. Il ne faut pas à tout prix faire des déductions rapides, s’imaginer qu’on a tout compris et que d’emblée, « on sait ». « Ecoute, ne réfléchis pas, mais tiens ce que tu as entendu ». Les personnes pieuses lisent inlassablement les Ecritures jusqu’à ce que les paroles de Dieu restent dans leur subconscient comme des livres vivants. Animées d’une force intérieure, ces paroles germent en elles comme une semence et progressivement, leur donnent la possibilité d’assimiler « organiquement » pour répondre aux questions qui se poseront à elles par la suite. L’enseignement du Christ ne nous donne pas des solutions formulées d’avance, des « recettes », mais en nous offrant d’assimiler sa parole, I1 nous donne la possibilité de trouver ultérieurement des solutions à des cas concrets.

Il faut bien comprendre cette attitude pour la faire nôtre. Elle nécessite un effort soutenu mais sans crispation. Notre effort doit être continu, nous sommes la terre qui travaille inlassablement, sur laquelle tombe la pluie, dans laquelle le grain se décompose pour renaître en quelque chose d’autre. Nous devons l’aider. Si nous n’arrosons pas, la terre se dessèche.

La parabole très précise nous protège aussi du désespoir inutile. Ce que nous avons reçu avec confiance, avec ouverture d’esprit, travaille de soi-même en nous. Si nous ne voyons pas le fruit immédiat, nous ne devons pas nous en étonner, bien au contraire Il faut nous réjouir que ce travail se fasse si lentement, et patienter. S’il n’en était pas ainsi, le christianisme serait voué à l’échec. Il y a deux mille ans que le Christ a parlé, et nous vivons encore, pour la plupart, comme si ses paroles n’avaient pas été énoncées…

Le fait de prononcer certaines vérités, de les .publier, d’écrire des millions de livres, de discuter théologie pendant deux mille ans, de construire une culture soi-disant chrétienne, n’empêche pas les êtres d’être mauvais. Si l’on ne comprenait pas que l’enseignement du Christ et de l’Eglise est une semence et non une doctrine, il y aurait de quoi désespérer. Mais les crises qui, périodiquement secouent les Eglises chrétiennes où tout est loin d’être parfait, sont des crises de croissance : le grain commence encore à se décomposer pour donner son fruit plus tard. C’est ainsi que le Christ a conçu son enseignement.

Reprenons le texte de saint Luc que nous venons de lire, et nous verrons qu’il n’y a là que des paroles simples, accessibles à tous ; mais d’une précision et d’une profondeur extraordinaires.

Le semeur est le prédicateur, ici. Dieu même, le Christ, ou encore chacun de nous quand nous tentons de faire connaître le mystère de ce qu’Il dit et fait. Chacun de nous qui entre en communication avec autrui peut être assimilé à un semeur qui donne ce qui lui a été donné sans chercher à savoir d’avance si cela portera ou non des fruits, non comme un contradicteur qui imposera ses vues, ou un mage qui apportera des révélations spirituelles. Même si nous n’avons pas beaucoup d’espoir, le grain semé lèvera tôt ou tard bien que nous ne puissions jamais vraiment savoir dans quelle terre nous semons.

Le semeur jette sa semence, et quelques graines tombent au bord de la route : c’est l’attitude, la plus caractéristique de notre époque. Tous nous sommes près de la route qui joue un rôle si important en cette ère d’agitation. Dans nos villes, ne restons-nous pas dans nos maisons quand nous ne marchons pas dans les rues ? La première difficulté vient de notre vie citadine : le grain tombe près de la route où passe le diable ; où surviennent tant d’impressions que le grain ne parvient pas à pénétrer en nous qui sommes trop sollicités par une foule de distractions passagères.

Le Christ dit encore : « Une partie tomba sur la pierre, et aussitôt levée, elle sécha parce qu’elle n’avait pas d’humidité ». Il explique ensuite aux apôtres que ceux en qui on sème « sur la pierre » sont ceux qui entendent la parole, la reçoivent avec joie mais en qui rien ne prend racine. Ils croient pour un temps et succombent à l’heure de la tentation. On explique généralement cette parabole par l’allusion facile à des « cœurs de pierre », à des gens durs, méchants. Mais cela va plus loin. Dans le texte symbolique, le Christ dit : « elle leva très vite, mais elle sécha parce qu’elle n’avait pas d’humidité ». Il s’agit là de l’homme  »emballé », du feu de paille sèche, sans humidité. La semence y lève vite, plus vite même qu’ailleurs – il y a peu de terre sur la pierre bien chauffée par le soleil, et le grain lève rapidement, mais les racines ne,peuvent pas se former parce qu’elles ne peuvent pas pénétrer. Ces hommes « sans humidité », c’est l’homme abstrait, intellectuel, savant, qui comprend très vite, mais n’est pas « disponible ». Un tel homme se croit éclairé par ses lectures et croit pouvoir aussitôt briller à travers des formules frappantes prises dans ses nouvelles acquisitions. C’est un piège qu’il faut savoir éviter.

L’homme de la première parabole ne recueille pas la parole ; celui de la deuxième la recueille trop rapidement et comprend sans assimiler réellement. C’est une des tentations de notre siècle. Ces hommes ne sont pas « bons » pour le Royaume des cieux, car, comme dit le Christ, leur foi sèche succombera aux tentations : une autre doctrine mieux exposée, mieux charpentée, balaiera leurs croyances mal enracinées.

Une troisième attitude, peut-être moins dangereuse aujourd’hui où tout est remis en cause, « mais grand fléau du christianisme pendant des siècles de « christianisme-religion d’habitude », « religion d’Etat » ; c’est celle des « épines » qui empêchent la graine de parvenir à maturité. Ce sont les soucis, les petits ou grands intérêts de la vie, la petite vie bourgeoise ou les grandes ambitions qui accaparent l’être et ne lui laissent plus assez de temps ni d’endurance pour assimiler progressivement ce qu’il a entendu.

Le Christ dit que la parole divine donne une possibilité de croissance non seulement pour notre vie spirituelle en Dieu, mais pour notre personnalité totale et dans tous les domaines, aussi bien dans celui de l’art que dans celui « de nos « affaires ». Une vie chrétienne bien comprise donne plus de » liberté, de force, d’équilibre qui croissent en même temps que la maturité spirituelle. Mais elle comporte également le germe d’un danger. Par exemple, c’est dans le monde protestant du 17ème siècle que le capitalisme est né d’une certaine « logique chrétienne ». En effet, quand on comprend que l’on n’est que gérant des affaires du monde, que l’on ne travaille pas pour soi seul, mais aussi pour Dieu, on arrive à mieux travailler, plus efficacement. On s’enrichit, mais cet enrichissement même devient progressivement une plante nuisible, une mauvaise herbe qui dissimule le bien-fondé de l’intention première. Paradoxalement, les résultats d’un christianisme bien réfléchi peuvent assez facilement étouffer le christianisme lui-même…

Enfin, le Christ dit : « une autre partie tomba dans la bonne terre et donna du fruit au centuple (…) et porta du fruit par la constance ». Non seulement, il faut que la terre soit bonne pour l’ensemencement, que l’homme ait un cœur « bon et excellent », mais les fruits ne seront portés que « par la constance« . L’impossibilité de comprendre, de s’instruire sans soutenir un effort étendu dans le temps n’est pas une constatation théorique ou doctrinaire. L’idée même de « semence » contient en elle le notion de durée certaine pour le mûrissement spirituel. Il n’est pas possible dans le domaine de la connaissance vivante, d’éviter l’apprentissage. L’enseignement « extérieur » est nécessaire mais, jamais suffisant. On ne peut, par exemple, chanter mieux après avoir lu un traité sur la pose de la voix.

Le Christ dit de façon précise et imagée que seul l’homme qui met la main à le pâte ou à la charrue, commencera à comprendre ce qui lui est dit, mais cela ne signifie pas qu’il n’est pas important que les choses soient dites. En effet, un autre écueil nous attend dans la vie spirituelle et dans la connaissance du christianisme : croire que par nous-mêmes, par une sorte d’intuition qui pourrait être prise pour une inspiration du Saint-Esprit, nous pouvons savoir et agir. Ce n’est pas possible : nous devons écouter avant de savoir et d’agir. Le Christ y insiste. Quand Il termine sa parabole, Il n’explique pas, Il laisse ses auditeurs dans une sorte de consternation : « Parlant ainsi, Il disait à haute voix : que celui qui a des oreilles entende bien« , qu’il laisse pénétrer en lui la semence. Enfermés dans notre coquille, nous ne pouvons pas apprendre le Royaume de Dieu. Nous l’avons vu : écouter, c’est cesser d’exister et admettre que quelque chose existe qui est plus que soi.

C’est bien pour cela qu’il y a les études de théologie, les églises, la Liturgie. Et là, nous en revenons à la question : quel est le rôle de la Liturgie ? Elle prévoit qu’il faut écouter mais admet d’avance… qu’on n’écoute pas ou qu’on écoute mal. Pourquoi la Liturgie se répète-t-elle chaque jour, chaque semaine, chaque année ? C’est pour aider â l’assimilation. A la nième fois, on entendra peut être « quelque chose » que l’on finira par retenir.

Après l’écoute, l’étape suivante est donc l’attente. Si le Christ avait voulu dire que la compréhension peut être immédiate, Il aurait comparé la parole à un torrent ou à un éclair. Or, la parole est semence. Ne faisons pas de déductions rapides. Peut-être vient une autre parole qui apportera, une sève nouvelle à la précédente, comme le pluie qui vient aider la maturation…

C’,est bien pour cela qu’il y les études de théologie, les églises, la Liturgie. Et là, nous en revenons à la question quel est le rôle de la Liturgie ? Elle prévoit qu’il faut écouter mais admet d’avance… qu’on n’écoute.pas ou qu’on écoute mal. Pourquoi la Liturgie se répète-t-elle chaque jour, chaque semaine, chaque année ? C’est pour aider à l’assimilation. A la nième fois, on entendra peut-être « quelque chose » que l’on finira par retenir.

L’Eglise ne nous oblige pas à faire des déductions immédiates, personne ne nous demande si nous avons compris. Nous sommes libres d’avancer dans la compréhension, ou de nous retirer si cela ne nous convient pas. L’enseignement des Écritures tout comme celui de l’Eglise, propose sans relâche et rappelle que certaines vérités demandent à être répétées d’innombrables fois pour être à peu près « comprises ». Ce n’est pas pure théorie, puisque ce système donne de bons résultats… Celui qui ne comprend pas la nécessité de la Liturgie, il vaut mieux qu’il ne vienne pas à l’église. Mais celui qui n’est pas fermé à ce mode d’enseignementadmet assez facilement qu’il se fait par couches successives et progressives de répétitions. On pourrait analyser la technique de ce processus, mais c’est secondaire. Ce qui est important, c’est d’entrer dans ce jeu librement, sans crispation, de se laisser pénétrer par ces répétitions en se souvenant de la parabole pour comprendre qu’elles sont les semences qui se déversent dans ‘l’âme et progressivement y porteront leur fruit, si cette âme n’est ni trop desséchée ni trop brûlante, si elle ne les enfouit pas sous les soucis, les richesses, les plaisirs…

Il y a évidemment là un certain danger pour ceux qui participent à la richesse de l’Eglise : la richesse acquise par la Liturgie peut étouffer la Liturgie elle-même: nous pouvons nous sentir riches et être étouffés par cette richesse qui nous est destinée. Ce n’est pas pour elle-même que cette richesse nous est donnée, mais pour que nous assimilions la parole de Dieu et en soyons transformés et transformions le monde. Ce n’est pas pour que nous soyons riches, pour que nous sachions bien parler de religion, ou présenter de beaux Offices en paradant. Voilà encore de ces épines… Il est très facile pour un homme pieux de profiter de la richesse qu’il trouve dans l’Eglise pour s’enrichir « de l’extérieur ». On voit ainsi des être « nuls » qui, ainsi enrichis extérieurement, parviennent à faire illusion et même devenir clercs et acquérir par là un poids nouveau pour eux. Ils peuvent profiter « humainement » de cette nouvelle dimension – c’est une tentation. Le Christ ne dit pas que fatalement ils seront mauvais, mais qu’ils ne parviendront que difficilement à maturité, étouffés par leurs propres mauvaises herbes.

La maturité n’est pas donnée par une doctrine bien apprise. Elle est la possibilité acquise de distinguer par soi-même ce qui est vérité de ce qui ne l’est pas, ce qui est de Dieu de ce qui n’est n’est pas de Lui. C’est l’apprentissage difficile que tout l’enseignement biblique et évangélique nous offre de pouvoir faire.

Je me répète, mais je voudrais que vous compreniez bien la raison de tous ces cours où l’on répète sans cesse des choses pas toujours tellement dites… Mais toute chose trop bien dite est suspecte, car elle correspond à un cœur sans profondeur. Voyez les hommes politiques qui parlent admirablement bien : ils sont capables de faire prendre n’importe quoi pour vérité révélée. Autant la parole divine est une semence, autant la parole humaine est une prostitution. Nous ne pourrons jamais assez lutter contre la tentation de présenter comme vraies des choses à demi vraies. L’homme qui sait bien raisonner et bien parler, peut faire passer tout ce qu’il veut comme vérité.

Il n’est pas mauvais qu’ici, même nous, vos professeurs nous n’hésitions pas à balbutier… Dès qu’on arrive à une dialectique impeccable, on ne sème plus comme il faut, on sème « à côté ». Souvent un « excellent professeur », quand il présente un problème ou pose une question, présente en même temps, incluse, la réponse. Il ne peut alors y avoir maturation intime de l’auditeur. Il y a bien entendu des cas où il suffit de « suivre », comme quand le Christ disait à ses Apôtres de le suivre « en abandonnant tout. Mais alors il n’y a pas « enseignement » – c’est un appel ».

Tout cela doit nous engager à travailler sans tomber en désespoir devant notre médiocrité. Les crises de désespoirs ne sont que des crises de croissance. Si nous avons fait ce qu’il faut pour que le grain germe, il germera. Peut-être est-il justement en train de se décomposer pour sortir de terre comme une plante vigoureuse ?

Concluons sur cette double perspective : tout n’est pas donné, il faut travailler et nous ne pouvons pas tout faire. Ce qui est semé en nous de l’extérieur progressera lentement à condition que nous ayons de la « constance« .

INTRODUCTION
A
LA DIVINE LITURGIE

L’ACTION LITURGIQUE
ÉLÉMENTS DE BASE DE TOUTE LITURGIE CHRÉTIENNE

La « Liturgie eucharistique » fait cheminer le croyant vers l’accomplissement du mystère de la communion avec Dieu à travers une succession d’actions où se retrouvent sous-jacents les principaux éléments constitutifs de toute liturgie chrétienne en général :

– l’action de grâces

– le mémorial

– le sacrifice

– la communion.

C’est l’agencement entre eux de ces éléments indispensables qui détermine ce qu’on appelle le « rite », et c’est de la variation de leurs combinaisons que découle la diversité des rites.

1°) L’ACTION DE GRACES définit un acte presque oublié : dans la vie courante nos actions de grâces sont rares… C’est une manifestation essentiellement sémitique. Les recueils de prières synagogales d’où dérivent par filiation naturelle une grande partie des prières chrétiennes, contiennent un très fort pourcentage d’actions de grâces par lesquelles l’homme, en louant et en bénissant Dieu se lie à Lui dans l’exultation. Et c’est précisément ce terme qui a engendré dans la liturgie chrétienne le mot « eucharistie » qui signifie exactement « actions de grâces ».

Il faut donc que dans toute démarche liturgique existe cet élément essentiel, par exemple : « Béni soit notre Dieu », formule initiale de l’Office byzantin ; ou encore la formule finale ou « doxologie » qui, suivant l’usage de l’Ancien Testament, termine chaque prière et que nous trouvons dans la Prière du Seigneur : « … car c’est à Toi qu’appartiennent le règne, le puissance et la gloire aux siècles des siècles ». Le Christ Lui-même, avant tout acte important, formule l’action de grâces traditionnelle, comme il est dit au jour de la Cène ; « …Prenant du pain et rendant grâces… », puis, « …prenant une coupe, Il rendit grâces… en disant… ».

2° LE MÉMORIAL est un élément caractéristique de la liturgie chrétienne. C’est que le « fait chrétien » n’est pas un mythe : les évènements que nous actualisons en les revivant dans la Liturgie, ne sont pas purement symboliques, mais toujours attachés à des personnages et à des faitshistoriques réels.

Cette remarque est importante dans la liturgie chrétienne, ce n’est jamais seulement une « idée » qui est considérée et fêtée. Le symbole existe, mais toujours lié au souvenir d’un évènement vécu.

C’est ainsi par exemple, que la Sainte Cène représente non seulement le communion de l’humanité avec Dieu, mais également le dernier repas du Jeudi Saint au cours duquel le Christ accomplit le rite traditionnel auquel Il donna un sens et un contenu nouveaux qu’Il transmit à ses disciples.

Dans tout texte liturgique chrétien, le « mémorial » est toujours présent, non seulement pour remémorer et actualiser un fait déterminé, mais pour le lier concrètement à la succession des évènements qui l’ont précédé et amené. C’est ainsi que les « préfaces » qui sont » les prières les plus anciennes et que le prêtre dit avant la Consécration des Dons, rappellent tous les bienfaits de Dieu « :.. du non être à l’être Tu nous as appelés… » (Saint Jean Chrysostome). Quand il est question du Sacrifice, le prêtre dit : « …reçois notre sacrifice comme Tu recevais le sacrifice de notre père Abel, comme Tu recevais le sacrifice d’Abraham… ».

Chaque Liturgie nous fait donc revivre un ensemble de faits avec lesquels nous entrons en communion, et nous sacrifions avec actions de grâces un mémorial qui va de la Création jusqu’à nos jours.

3°LE SACRIFICE. Il faut donner ici à ce terme son véritable sens de « sanctification » (étymologiquement « sacrifice » signifie « rendre une chose sacrée »). C’est donc la consécration d’un élément cher à l’individu (un objet auquel il tient particulièrement, ou encore tout ou partie de lui-même ou de sa vie) que ce dernier dédie à Dieu, et qui se trouve sanctifié par l’acte de consécration. Une parole, un geste, un chant consacrés à Dieu sont également « sacrifices ». La Liturgie est donc la sanctification consciente d’une partie de la vie.

C’est ainsi que dans le Psaume lucernaire que l’on chante aux Offices du soir, il est dit : « Que ma prière s’élève comme l’encens devant Toi et l’élévation de mes mains, comme le « sacrifice » vespéral… ».

LA COMMUNION. Il faut ici considérer ce terme dans son sens le plus large, celui de « communication » entre deux êtres mus par une même foi, la communion des Saints…

Dans toute réunion chrétienne sacramentelle, il y a avant tout communion tant aux Sacrements qu’à la Parole, communion dans l’amour fraternel (conditions d’authenticité spirituelle et première caractéristique de la Liturgie).

Pour aider à découvrir la permanence de ces éléments de base dans toutes les parties de la Liturgie selon Saint Germain de Paris (selon l’ancien rite des Gaules), célébrée dans l’Eglise catholique orthodoxe de France, en voici un exemple :

La Liturgie eucharistique débute par l’entrée solennelle du clergé au chant de l’Introït (ou « Prælegendum » ou « Chant d’Entrée »). On retrouve dans ce chant :

– L’Action de grâces; qui est évidente dans la doxologie, élément fondamental par lequel se termine le chant du psaume : « … Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit… »

– Le mémorial qui figure dans l’antienne (refrain) de l’Introït, tirée d’un psaume ou composée, choisie pour actualiser en le commémorant l’évènement autour duquel sera centrée le Liturgie du. jour.

Parallèlement, dans le plan de la Liturgie conçue comme évocation de la .vie du Christ, l’action simultanée de le procession du clergé et du Chant d’entrée rappelle l’entrée du Christ dans la vie de prédication.

– Le Sacrifice, puisque d’emblée, consciemment les fidèles consacrent à Dieu et vont rendre sacrée. une part de leur temps, de leur vie.

– La Communion, alors que l’assemblée des fidèles prend solennellement possession du local et se constitue en communauté, en « peuple de Dieu », afin d’entrer dans le déroulement de l’action symbolique qui aboutira progressivement, à travers la communion dans la Parole, à la communion eu Corps et au Sang du Christ.

LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
(Liturgie selon l’Ancien Rite des Gaules)

La structure de la Liturgie célébrée par l’Eglise orthodoxe de France et l’esprit qui l’anime, sont ceux de la Liturgie célébrée en France avant les réformes de Charlemagne. Elle appartient donc au patrimoine de l’Eglise indivise en même temps qu’à celui du sol français. Elle répond par conséquence à l’exigence de l’Orthodoxie Universelle : « Unité de dogme dans la diversité des Eglises locales ».

(Pour connaître et comprendre les raisons dogmatiques et historiques qui, dans le cadre de l’Eglise orthodoxe actuelle, ont présidé à la restauration de l' »Ancien Rite des Gaules » à travers la Liturgie `selon Saint Germain de Paris (6ème siècle), se référer aux études suivantes : « La Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules » et « Le Canon Eucharistique dans l’Ancien Rite des Gaules » par l’Archiprêtre Eugraph Kovalevsky ; Editions orthodoxes Saint-Irénée, 1956, et « Rapport de la Commission liturgique 1968 »).

Cette Liturgie restaurée selon l’Ancien Rite des Gaudes a été célébrée pour le première fois le 1er mai 1945 en la Chapelle Saint-Irénée, rue Saint-Louis-en-l’Ile de Paris par Monseigneur Jean, évêque de Saint-Denis, alors Archiprêtre Eugraph Kovalevsky (1905-1970).

STRUCTURE, DÉVELOPPEMENT ET SIGNIFICATION SYMBOLIQUE
DE LA LITURGIE EUCHARISTIQUE

La Liturgie Eucharistique se compose de deux parties :

– La « Liturgie des Catéchumènes » ou Synaxe c’est-à-dire la Communion dans la Parole ;

– La « Liturgie des Fidèles » ou Commémoration de la Sainte Cène, c’est-à-dire la Communion au Corps et au Sang du Christ.

Entre la 1ère et la 2ème partie se situait autrefois le « renvoi des catéchumènes ». Il en subsiste la fermeture symbolique par les acolytes (desservants de l’autel), des grilles d’accès à la nef sur l’injonction du diacre : « Les portes ! Fermez les portes ! » (portes matérielles et portes de notre entendement qui doit se fermer à toute sollicitation extérieure). Cette action signifie que la communion qui couronnera la Liturgie des Fidèles est réservée au baptisés déjà initiés aux saints mystères. C’est pour la même raison que le Notre Père, prière sacrée par excellence, n’est dite à haute voix et par tous qu’au cours de la Liturgie des Fidèles ; aux autres Offices, le célébrant en énonce – en. principe seulement les premiers et derniers mots, le corps de la prière n’étant prononcé mentalement que par les initiés.

Voici le schéma général de la Messe du dimanche. Elle est précédée de la « Prothèse », préparation des Dons par un célébrant dans l’abside nord, à gauche de l’autel. Evoquant la naissance cachée du Christ dans la « grotte », le « tombeau » et le « sein virginal », elle est dissimulée aux regards des » fidèles. ».

LITURGIE DES CATÉCHUMÈNES

PARTIE PRÉPARATOIRE :

– Entrée des officiants qui prennent place (Chant de l’Introït)

– Salutation mutuelle du célébrant et des fidèles.

– Invocation de la Sainte Trinité (Chant du Trisagion)

– Prière finale de cette partie : on y trouve, sous forme condensée, « l’ordre du jour » (c’est la « Collecte » lue par le célébrant).

LECTURES

– entourées de chants-commentaires (Graduel, Benedicite, Alléluia)

– Epître (ou Ancien Testament)

– Evangile.

HOMÉLIE

– commentant les lectures entendues.

PRIERE COMMUNE pour les nécessités de la vie. « Grande Litanie ».

Fermeture symbolique des grilles intérieures selon la construction des églises « qui n’en ont pas obligatoirement.

Le point culminant vers lequel converge toute l’action de la Liturgie des Catéchumènes est le CHANT SOLENNEL DE L’EVANGILE.

LITURGIE DES FIDELES

– CONFESSION DE LA FOI (récitation commune du Credo de Nicée).

– EXPLICATION POÉTIQUE de l’action sacramentelle qui va se dérouler et INVITATION à y participer activement. (Préface aux fidèles lue par le célébrant).

– PROCESSION DES DONS transportés solennellement de l’autel de « prothèse » (=préparation) sur le grand autel. C’est le symbole, en tant que mémorial, de l’entrée du Seigneur à Jérusalem. (« Grande Entrée » au chant de l’offertoire).

– COMMÉMORATION DES VIVANTS ET DES DÉFUNTS en communion avec les Saints (Diptyques) Les fidèles apportent les offrandes.

– RÉCONCILIATION entre eux des fidèles présents, indispensable pour donner sa pleine valeur au mystère de la communion. (Baiser de paix).

– GRANDE PRIÈRE EUCHARISTIQUE CENTRALE (Canon eucharistique ou Anaphore) qui se décompose de la manière suivante :

– Dialogue entre le célébrant qui invite l’assistance à participer au Sacrifice, et les fidèles qui l’autorisent à accomplir en leur nom ;

– Discours commémoratif des bienfaits de Dieu (Préface), entrecoupé du Chant triomphal du peuple : « Saint, Saint, Saint ! » (Sanctus), et amenant au :

– Mémorial de le Sainte Cène, terminé par les Paroles institutionnelles ;

– L’élévation des Espèces (pain et vin) et :

– L’Appel du Saint Esprit sur les Dons offerts achevant leur transformation en Corps et Sang du Christ (Épiclèse). Le point culminant de la Liturgie des fidèles. Ce moment de l’ÉPICLÈSE est marqué soit par silence, soit par trois fois trois coups de cloche.

– PRÉPARATION A LA COMMUNION.

– Fraction de l’Agneau. (Fraction du pain déjà consacré) ;

– Préparation à la participation effective de la Communion par la récitation commune de la Prière du Seigneur ou Prière dominicale. (Notre Père) ;

– Présentation des Dons consacrés aux fidèles appelés à cet endroit « les saints » (Triple élévation).

– COMMUNION

– du clergé

– des fidèles.

– ACTION DE GRACES de toute l’assemblée..(Tricanon, petite litanie, action de grâces proprement dite, prière de renvoi).

REMARQUES

– L’Office des Laudes que, dans l’Église orthodoxe de France, l’on chante immédiatement avant la Liturgie dominicale, devrait, en principe, en être nettement distinct. Ces deux Offices n’y sont artificiellement soudés, l’un à l’autre que pour répondre à des besoins d’ordre .pratique propres à la vie d’une paroisse dont les exigences matérielles sont différentes de celles d’une communauté monastique qui vit selon un horaire « naturel », selon un rythme liturgique régulier qui est son essentielle raison d’être. Laudes et Vêpres sont « obligatoires ».

– Quelques termes grecs ou hébreux ont été conservés dans notre Liturgie en français. Ces formules liturgiques ont en effet étégardées telles que la Tradition nous les a apportées car, pour la plupart, aucune traduction absolument fidèle n’en a encore .été trouvée. C’est ainsi, pour que leur sens n’en soit pas altéré, que nous avons conservé, en particulier : « Kyrie eleison », « Sabbaoth », « Agios », de même qu' »Alléluia » et. »Amen » qui subsistent dans toutes les célébrations judéo-chrétiennes.

– « Kyrie eleison » signifie plutôt : « Seigneur, gracie-nous » ou « accorde-nous ta grâce », ou « fais-nous grâce », que « Seigneur, prends pitié » de la traduction œcuménique.

– « Sabbaoth » signifie « Dieu des armées ».

– « Agios », terme grec, signifie « Saint ». On le chante à plusieurs reprises au cours de la Liturgie, et son origine scripturaire est chaque fois différente (Isaïe, Apocalypse…).

– « Amen » : c’est l’expression condensée de l’accord de l’assemblée aux prières du célébrant, formule essentielle par laquelle est publiquement confirmée la validité de l’acte liturgique. La signification la plus proche de ce terme hébreu est : « En vérité ! ».

– « Alléluia » est une exclamation hébraïque de louange et d’allégresse dont l’intime jubilation ne pourrait être rendue que par la traduction (affaiblie) de « Gloire à Toi, Seigneur ! »

– « Hosanna » est un cri de joie, de triomphe.

– Ajoutons l’exclamation grecque « Axios » qui signifie : « Il est digne » et qui, répétée par l’assemblée après chacune de ces proclamations par l’Evêque, valide et confirme toute ordination majeure ou mineure.

LA LITURGIE PONTIFICALE

Présidée et célébrée par l’Evêque, la Liturgie Pontificale est identique – bien que plus solennelle – à la Liturgie dite « ordinaire », mais elle comporte quelques éléments complémentaires :

C’est ainsi que l’Evêque est accueilli par le clergé assemblé à l’entrée de l’Eglise, et qu’il y pénètre au chant d’un Hymne à la Vierge.

… On. observera que l’Evêque bénit à plusieurs reprises l’assemblée en tenant d’une main un chandelier à trois branches (le « trikyrion », symbole de la .Divine Trinité), et de l’autre un chandelier à deux branches (le « dikyrion », symbole des Deux Natures en Christ), et que l’on répond aux bénédictions initiale et finale de l’Evêque par une acclamation en langue grecque, acclamation que l’on retrouve, abrégé, au cours de l’Office, chaque fois que l’Evêque bénit solennellement : « Is pola eti despota » (« Longue vie à l’Evêque ! »).

On observera également qu’une prière spéciale pour l’Evêque est dite par le diacre au cours de la lecture des « diptyques ».

REMARQUES

– La cérémonie solennelle de l »‘habillement de l’Evêque » ne se fait au milieu de l’église en début d’Office que dans certaines grandes fêtes.

– Seul l’Evêque bénit des deux mains, symboles du Fils et de l’Esprit.

On dit aussi que la main droite est la main de force et de justice, et la main gauche celle de la miséricorde et du pardon.

LA LITURGIE VESPERALE

Actuellement, dans certaines paroisses, on célèbre la Divine Liturgie le soir, sauf le dimanche, certains jours fériés coïncidant avec une fête chrétienne, et les jours où est célébré un Office de Vêpres. La Liturgie du soir peut être :

– soit « du Sanctoral » : lorsqu’on fête particulièrement un saint ;

– soit « votive » : à une intention particulière (malades, défunts…) ;

– soit « vespérales : formée de Vêpres abrégés soudées à la Liturgie ordinaire.

Les particularités de sa structure sont les suivantes :

– Les versets du Prælegendum sont remplacés par la lecture du PSAUME 104, dit « PSAUME COSMIQUE » (en tout ou partie) qui exalte les bienfaits de la Création, suivi d’un Psaume variable de jour en jour. (pour que soit répartie de façon continue la lecture du Psautier).

Après la lecture de l’Epître et précédant l’Evangile, l’Alléluia est remplacé par le chant du PSAUME LUCERNAIRE (« Que ma prière s’élève… « ).

– Le Credo .est omis.

– Après les Litanies, le Chant de l’Offertoire (« Grande Entrée ») est remplacé par l’HYMNE VESPERAL (« Lumière joyeuse… »).

– Après la communion, le chant « Rendons grâces au Seigneur… » est remplacé par le’ MAGNIFICAT.

LA LITURGIE DES PRÉSANCTIFIÉS

Ce terme désigne la liturgie sans consécration, dont les Saints Dons ont été préalablement sanctifiés et conservés pour .être distribués aux jours aliturgiques des féries[1] de carême ; des Lundi, Mardi et Mercredi Saints ; des Dimanches d’abstinence des Quatre-Temps.

La particularité la plus sensible de son déroulement est la PROCESSION DES DONS qui .se fait dans le silence, tandis que les fidèles sont prosternés. Avant la Procession des Saints Dons, le chœur chante la première partie de l’Hymne : « Maintenant les puissances célestes, célèbrent invisiblement avec nous. C’est le Roi de Gloire, qui fait son entrée. C’est le Sacrifice mystérieux et accompli qui est porté en triomphe. » Une fois que les Dons sont déposés sur l’autel, quand l’assistance s’est relevée, le chœur termine : « Accédons par la foi et l’amour, afin d’être participants à la vie éternelle. Gloire à Toi, Seigneur, gloire à Toi ».

LE ROLE DES FIDÈLES DANS LA LITURGIE

Le mot LITURGIE signifie ŒUVRE COMMUNE.

Cette action sacrée communautaire obéit à une ordonnance précise qui nécessite quelques explications d’ordre général. En effet, que ce soit dans un louable élan à la participation, ou encore parce qu’ils jugent plus ou moins arbitraires les indications qui leur sont données du geste par le chef de chœur – mais dans tous les cas par ignorance – nombreux sont les fidèles qui chantent indistinctement ce qui leur plaît, même si ce chant ne leur est pas destiné.

Or, si, dans l’assistance, les fidèles chantent les parties destinées au chœur seul ou au clergé, ils dégradent involontairement l’ordonnance de l’Office et par là même (et c’est là l’essentiel) se signification symbolique.

En ne chantant que les parties qui leur sont réservées et qui sont précisées dans le recueil « La Sainte Messe selon Saint Germain de Paris », ils contribuent à rendre l’Office vivant et à lui donner SA PLEINE VALEUR SACRAMENTELLE.

Tous nous participons au sacerdoce du Christ « qui offre et qui est offert », et nous y participons doublement en intention et en action. L’assemblée des fidèles, le Peuple Royal, unit son intention à celle du prêtre, elle offre avec lui le Sacrifice eucharistique. Elle s’associe à l’immolation mystique de l’Agneau et au mystère rédempteur du Golgotha. Elle reçoit, si elle s’y est préparée, le Corps et le Sang de la victime-divine, communiant par là aussi à tous les membres de l’Eglise qui sont membres du Christ. Elle se joint en esprit à la Vierge Mère de Dieu, aux Anges et aux Saints qui, invisiblement présents autour de l’autel, offrent aussi ce Sacrifice.

Mais à cette « action commune » qu’est la Liturgie, le fidèle n’est pas appelé à « assister » en spectateur muet dont l’intention reste pudiquement cachée : il est invité, au contraire, à y œuvrer activement, en plénitude de tout son être – corps et esprit unis – manifestée dans le prière, la voix et l’attitude. Il doit prendre conscience que c’est DIEU, L’AUDITEUR à qui est destinée cette œuvre d’art où chaque geste possède une signification déterminée et dont lui ; fidèle, est un des « acteurs » et non un figurant ou un auditeur passif.

Cependant, sa participation ne doit pas être anarchique et fausser l’équilibre de cette action commune. Ainsi, tombant dans l’excès opposé à la passivité, il peut croire, par grande piété, devoir chanter tout – ou presque – en même temps que le chœur, ce qui est une erreur.

En effet, la répartition des « rô1es » entre clergé (prêtres et diacres), chœur et assemblée, est déterminée avec précision. C’est dans la structure symbolique de l’action liturgique qu’il faut en chercher les raisons et le sens spirituel.

Cette STRUCTURE SYMBOLIQUE est fortement influencée par les doctrines de Saint Denys l’Aréopagite, et en particulier par certains chapitres de sa « Hiérarchie céleste ». Les témoignages des écrivains ecclésiastiques décrivent d’ailleurs toujours le chant de la Liturgie chrétienne dans une forme tripartite :

– le « chant au chœur » (clergé)

– le « chant au pupitre » (chantres)

– le « chant dans la nef ».(peuple royal)

La répartition entre des trois catégories est donnée par l’enchaînement même des textes liturgiques ; et le chœur n’est pas du tout, comme on le croit souvent, une « délégation » des fidèles, chargée d’exécuter à leur place certaines prières dans un but purement esthétique. Si l’on accepte la Liturgie avec sa structure, c’est dans cette structure « stricte » qu’il est raisonnable, voire indispensable, de l’accepter.

Ainsi :

– Le PRETRE s’adresse au nom de tous, directement à DIEU ;

– Le DIACRE parle à l’ASSISTANCE en l’incitant à prier ;

– Les CHANTRES exposent des TEXTES OBJECTIFS ou de méditation ;

– Les FIDÈLES, eux, RÉPONDENT au prêtre ou au diacre (par exemple en disant : « Amen », ou « Et avec ton esprit ») ; DIALOGUENT avec-lui (comme notamment pendant le Canon Eucharistique, après que le diacre ait proclamé « Mystère de foi »), ou encore, fermant le cycle, ils s’adressent directement à DIEU (par exemple en disant « Kyrie eleison », ou avant la lecture de l’Evangile : « Gloire à Toi, Seigneur ! », ou encore après cette lecture : « Louange à Toi, ô Christ ! « ).

Faire chanter tout l’Office par l’assistance équivaudrait à priver les fidèles des moments où ils écoutent, c’est-à-dire des moments de silence intérieur qui est capital. Ainsi pendant la Consécration, le chœur chante : « Nous Te prions, Seigneur, et supplions ta majesté que montent nos humbles prières vers Toi, Dieu très clément » (chant facultatif) afin de permettre aux fidèles de se recueillir en silence. Mais il est évident que la répartition des chants ne doit pas être comprise comme une restriction imposée à la participation des fidèles par une autorité extérieure, même si cette autorité est la Tradition. En effet, les textes destinés aux chantres ne constituent pas les parties strictement indispensables à l’action sacramentelle. Il n’y a donc pas de raison d’imposer leur exécution au peuple royal. Par contre, ce sont les « RÉPONSES » aux appels du prêtre et du diacre – et surtout les « Amen » – qui ont une valeur fondamentale pour la validité de l’action liturgique. On ne saurait jamais assez insister sur ce point.

Le RÔLE DES FIDÈLES dans l’action liturgique est donc multiple. Il consiste à :

– SOUTENIR par une attention vigilante ceux qui apportent les paroles de l’Instruction divine (clergé, le chœur)

– PARTICIPER à la prière commune à laquelle les invite le diacre ;

– CHANTER certaines parties de l’Office qui ne prennent leur plein sens que lorsqu’elles sont prononcées par toute l’assistance ; (celui qui

ne se sent pas capable de faire entendre sa voix dans l’harmonie du chant ne sera pas exclu de cette participation s’il articule à voix basse les paroles chantées par tous).

– Joindre au chant l’attitude, le GESTE appropriés.

REMARQUE :

Les acolytes et le clergé non-célébrant participent au chant de la même manière que les fidèles. Ils doivent donc prendre connaissance du « chant des fidèles » et s’en souvenir afin de ne pas chanter inconsidérément en même temps que le chœur. S’ils veulent chanter la partie du chœur, ils doivent se placer parmi les choristes. Par ailleurs, avant d’accéder aux ordres tant majeurs que mineurs, il est recommandé de participer à la chorale pendant plusieurs mois régulièrement.

INSTRUCTIONS PRATIQUES
concernant les gestes et objets liturgiques destinés aux fidèles et leur signification

Dans ses limites terrestres, l’homme éloigné de Dieu est retranché du monde invisible. Or, Être et choses ne se limitent pas à leur seule apparence visible – ils sont aussi l’image, la représentation sensible de Réalités supérieures (les « archétypes ») inaccessibles tant aux sens qu’à l’intelligence rationnelle.

Pour atteindre ces réalités spirituelles, l’homme a recours au symbole, pont jeté entre lui et le monde invisible (par définition étymologique, le symbole « jette ensemble » ; il réunit donc ce qui était séparé). Les symboles liturgiques sont revêtus de la puissance spirituelle des archétypes qu’ils portent en eux. Par leur intermédiaire accessible aux sens et à l’intelligence, le chrétien priant se trouve lié à la réalité divine dans une communication réciproque que les Pères appellent « synergie ».

C’est ainsi que le Temple est construit à l’image de la Jérusalem céleste : tout y est symbole, depuis son architecture jusqu’à la plus humble veilleuse ; par exemple l’autel, les Portes Royales[2], chaque objet de culte, les vêtements sacrés, les offrandes, les icônes, chaque geste, tout est symbole de la réalité du Monde Divin.

Sans entrer ici dans le détail multiple des symboles liturgiques, voici quelques remarques d’ordre pratique, destinées à éclairer les actes symboliques les plus courants accomplis par les fidèles.

LE SIGNE DE CROIX

C’est le geste qui manifeste visiblement le christianisme ; c’est l’image du battement d’ailes des anges. En accord avec l’Eglise indivise, le fidèle participant à la liturgie des Gaules l’accomplit souvent au cours de l’Office de la manière suivante :

L’index et le médius de la main droite sont tenus droits (deux doigts : symbole de Deux Natures en Christ), tandis que l’annulaire, l’auriculaire et le pouce sont joints (trois doigts : symbole de la Trinité).

Les orthodoxes orientaux font apparaître différemment ces mêmes symboles : les Deux Natures en Christ sont représentées par l’annulaire et l’auriculaire repliés sur le paume, tandis que le pouce, l’index et le médius réunis représentent la Sainte Trinité. Mais le « geste » lui-même est identique :

On porte les deux doigte tendus (ou les trois doigts unis) successivement au front (la pensée), à la poitrine (la vie, l’amour), l’épaule droite (l’action dans la justice), et enfin à l’épaule gauche (l’action dans le miséricorde qui tempère la justice).

A un seul moment dans le cours de la Liturgie, le signe de croix s’accomplit différemment : avant la lecture de l’Evangile. Du pouce on trace une petite croix sur le front (la pensée), sur les lèvres (la confession) et sur le cœur (la vie).

D’une manière générale, le signe de croix se fait :

– à l’entrée de l’église, afin de se purifier, d’écarter les influences du monde extérieur, de se mettre en état de réceptivité. S’il se trouve un bénitier à proximité, on y prendra de l’eau bénite, symbole de purification, vestige des grandes ablutions préliminaires (ce qui rend illogique le geste de prendre de l’eau bénite en sortant de l’église) ;

– chaque fois qu’au cours de la prière, est mentionnée la Sainte Trinité (Père, Fils et Saint Esprit) pour mieux faire pénétrer ce mystère fondamental dans notre être tout entier ;

– chaque fois qu’au cours des litanies, le diacre dit : « Prions le Seigneur », pour montrer qu’on ne participe pas à la prière uniquement par l’esprit ou le sentiment, mais encore par l’être conscient tout entier ;

– chaque fois qu’une pensée étrangère vient distraire notre attention, afin de l’écarter ;

– avant de consommer le pain béni remis par le prêtre à la fin de la Liturgie : on se signe en tenant le morceau de pain.

Remarque : On ne se signe pas pendant la bénédiction du prêtre. Le signe de croix que, de sa main bénissante, il met sur chaque fidèle, n’a pas à être doublé par le geste de ce dernier qui se contente de s’incliner légèrement en signe d’acceptation et de remerciement.

Le signe de croix n’est pas seulement le symbole de notre adhésion au mystère de la Croix (salut du monde par la mort et la résurrection du Christ, acceptation et transfiguration de notre condition personnelle), mais aussi un moyen efficace de purification et de protection contre le monde démoniaque et le monde des illusions. Il doit donc être fait en pleine conscience de la valeur de chacun des gestes qui le composent.

LES INCLINAISONS

Elles accompagnent certains moments de l’Office en signe d’acceptation, de respect, de remerciement, d’humilité ou de profond recueillement. Elles peuvent êtres « médiocres », « profondes », ou devenir le « fléchissement des genoux » :

« Médiocres » : on abaisse la tête ;

« Profondes » : on se courbe profondément en laissant glisser les deux mains à plat jusqu’aux genoux;

« Prosternation » : on s’agenouille, front contre terre (sauf les dimanches et jours de fête, à moins d’invitation spéciale).

En passant devant l’autel, et que les Saints Dons y soient ou non déposés on s’incline en signe de respect en marquant un temps d’arrêt : par lui-même l’autel est traditionnellement sacré ; il est Trône, Tombeau et Table de communion ; le Christ y siège mystiquement et sa parole y est déposée sous forme de l’Evangéliaire.

LES OFFRANDES

Elles sont déposées entre les mains du prêtre ou du diacre après le Procession des Dons, sauf le don d’argent qui est remis à la quête. Elles peuvent être apportées de l’extérieur ou achetées à la table d’offrandes où l’on remet également le prix de l’huile des veilleuses commandées à une intention particulière et qui brûleront devant l’icône désignée pendant une durée déterminée par le donateur.

Ces oboles que nous donnons à l’Eglise symbolisent notre reconnaissance des dons célestes dispensés par. Dieu et sont la marque d’une participation effective du « peuple royal » au sacrifice eucharistique.

Les offrandes sont au nombre de sept : le pain, le vin, l’encens, l’huile, le cierge, le diptyque, l’argent.

Le pain, le vin, l’huile (d’olive de préférence), l’encens, le cierge et le diptyque sont offerts à la célébration de l’action liturgique. Les fumées de l’encens sont « un parfum agréable à Dieu », elles symbolisent la ferveur de 1’être qui s’élève vers Lui. Les flammes des cierges et des lampes à huile qui brûlent devant les icônes sont les symboles de l’âme priante tendue vers le ciel. La cire du cierge qui fond à la chaleur de la flamme est une image du dépouillement et de la transformation que la prière, doit opérer en nous : la « tunique de peau » doit disparaître pour faire place à la « tunique de lumière ». L’huile des lampes est symbole de l’amour pur qui nourrit, adoucit, guérit et en même temps brûle, éclaire et veille.

Le « diptyque » est un feuillet double sur lequel le fidèle inscrit d’un côté les prénoms des vivants, de l’autre côté ceux des défunts pour lesquels il désire que l’on prie. Après la Procession des Dons, tandis que le diacre dit les prières au nom de l’assemblée, les acolytes lisent à voix basse les noms sur les diptyques qui leur ont été .distribués.

Le pain levé, préparé selon un, rituel approprié, se présente sous forme de « prosphores » pains ronds, sur lesquels est moulé le nom de Christ. Les grands sont destinés à la communion, les petits également à moins que le donateur ne désire les emporter chez lui après qu’ils aient été bénis.

Le vin (de préférence rouge, et cuit – pour sa meilleure conservation) est présenté dans de petites bouteilles.

Le don d’argent est destiné à l’entretien de la Maison de Dieu. Il représente symboliquement la participation de chacun à la vie de cette Maison qui est celle de tous, participation sans laquelle elle ne peut exister matériellement.

LE BAISER DE PAIX

Transmis de proche en proche à partir du célébrant parmi tous les fidèles, il est le Symbole évident du•rayonnement de l’amour fraternel en même temps qu’il est indispensable à l’accomplissement de l’action liturgique : sans réconciliation préalable la Communion ne peut acquérir « son » plein sens.

Remarque : Le baiser de paix se traduit par une « accolade simple » et non double. Celui qui apporte le baiser dit à son frère : « Paix à toi et à l’Eglise »; celui qui reçoit répond : « Et à ton esprit ». Mais en période pascale (entre Pâques et l’Ascension), l’on dit : « Christ est ressuscité » et « En Vérité Il est ressuscité », tandis que l’on échange une « accolade triple ».

POUR COMMUNIER

Le fidèle s’approche de la Coupe en tenant les mains croisées sur la poitrine. Il peut – mais ce n’est pas obligatoire – se prosterner au moment où il s’en approche. En arrivant, il « dit son nom de baptême au prêtre et veille à ne laisser tomber ni une goutte ni une parcelle sur le voile rouge que les acolytes tiennent entre le calice et son menton.

AVANT ET APRÈS LA LITURGIE

Il est instamment demandé aux fidèles qui entrent ou qui se retirent de le faire en silence, tant par respect élémentaire pour le caractère sacré du lieu que pour permettre le recueillement de ceux qui désirent se concentrer dans leur prière personnelle.

VÉNÉRATION DES ICÔNES

L’icône n’est pas une « image pieuse » représentant le visage du Christ, d’un Saint, ou un évènement de la vie du Christ. Elle est un « objet de culte ».

Elle nous permet, à travers l’image, de saisir ce qui y est symboliquement signifié ; elle ne « représente » pas, elle « signifie ».

Ainsi, devant l’icône du Christ, on saisit que Dieu n’est représentable que parce qu’Il S’est fait homme.

Quand on contemple l’icône de la Vierge avec l’Enfant Jésus (on la représente très rarement seule), c’est l’instrument consentant de l’Incarnation de Dieu que l’on vénère.

Quand on contemple l’icône d’un événement de la vie du Christ ou de l’Eglise, on saisit le sens de cet événement dans le plan de notre salut.

Quand on contemple l’icône d’un Saint, on saisit, en la personne d’un disciple du Christ, la réalisation du plan divin dans le vie concrète : « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne dieu » (Saint Athanase).

Le « culte » des icônes doit être entendu dans le sens de « vénération » et non d’adoration. En vénérant les icônes, on confesse la réalité de l’Incarnation divine qui touche et transforme non seulement nos conceptions intellectuelles et notre être affectif, mais notre corps et l’ensemble de la nature créée.

Remarque : Que ce soit dans une église ou dans un foyer, l’icône, objet de culte, n’est jamais considérée comme un objet décoratif. L’iconographie elle-même est un « acte liturgique » qui exclut qu’un peintre d’icônes puisse être incroyant ou indifférent.

L’ANNÉE LITURGIQUE SUIVANT LES USAGES DE
L’ÉGLISE ORTHODOXE DE FRANCE

Le Divine. Liturgie – comme en général tout Office divin – ne peut être considérée comme une œuvre isolée, fermée sur elle-même. Elle fait partie d’un tout cohérent : « L’Année liturgique ». C’est, en effet, par rapport aux autres Offices de cet ensemble, que chaque Liturgie prend son vrai sens, aussi bien spirituel que littéraire ou musical. Pour nous rapporter à une image « humaine », un Office isolé ne peut être considéré comme le serait un roman ou une pièce de théâtre. Il est un des volets d’un polyptique, une épisode d’une épopée qui serait celle de notre salut.

L’année liturgique se développe en deux cycles superposés l’un à l’autre :

1° LE CYCLE DES FÊTES FIXES, immuable, qui évoque toutes les manifestations d’Arrivée du Christ dans le monde et dans nos vies, ainsi que certains événements de sa vie et de celle de sa mère, et la mémoire des Saints. Ce cycle suit le calendrier solaire habituel.

LE CYCLE PASCAL, mobile, qui évoque les Achèvements et les Réalisations. Il se déplace avec la fête de Pâques dont la date, selon une tradition biblique, est définie par le calendrier lunaire (1er dimanche après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps).

La combinaison de ces deux cycles retrace l’histoire d’après un plan symbolique et logique plus que chronologique, exposant les événements selon la progression spirituelle qui les lie entre eux et qui, parallèlement, entraîne la progression du chrétien conscient sur les pas du Christ, dans la « vie en Christ ».

LE CYCLE DES FETES FIXES

Il commence par la période de l’AVENT (« adventus » : venue) qui précède la fête de la Nativité du Seigneur. Dans l’ancien rite des Gaules, la période de l’Avent est formée de 6 semaines au cours desquelles l’Eglise prépare les croyants à la Venue du Christ, et plus précisément aux Deux Avènements : sa naissance « humaine » de la Vierge Marie, et son Dernier Avènement à la fin des temps où « Il reviendra en gloire juger les vivants et les morts ». Cette double attente est caractéristique des rites occidentaux, et plus particulièrement de celui de l’ancienne Gaule.

Durant toute cette période, les chants des Offices préparent progressivement à la venue du Messie. En voici deux exemples : une antienne du début de l’Avent[3] : « Le Seigneur viendra. Il ne Se repentira pas ; s’Il tarde, attendez-Le, car Il S’accomplira, Alléluia ! » ; et une antienne de la fin de l’Avent : « Voici qu’Il vient, le Désiré des nations, et la gloire du Seigneur remplira le Temple ».

Aux Vêpres des sept jours qui précèdent Noël sont chantées les « Grandes Antiennes » qui exaltent les sept « Noms divins », commençant par celui de « Sagesse » pour arriver à celui d »Emmanuel » (« Dieu avec nous »), en passant progressivement par « Adonaï », « Rejeton de Jessé », « Clef de David », « Orient », « Roi des nations ». A chaque nouveau Nom proclamé est allumée une veilleuse du sanctuaire, de sorte que la veille de Noël, les sept veilleuses brillent dans l’attente du Soleil de .justice.

Les prophéties d’Isaïe qui prédisent que la Vierge enfanterait un fils, sont lues quotidiennement sur un ton spécial tout au long de ces six semaines.

En principe, aussi bien en Orient qu’en Occident, pendant toute la période de l’Avent, l’Eglise prescrit un « Carême », moins sévère toutefois que celui de Pâques, pour nous inciter à la pénitence et à la purification. La couleur liturgique de l’Avent est le violet, couleur des « préparations ».

La célébration de NOËL est marquée par un ensemble de plusieurs Offices : Elle commence par des NOCTURNES au cours desquels est chantée la prophétie la plus explicite d’Isaïe annonçant la naissance du Christ, chant auquel répond, verset après verset, le refrain : « Car Dieu est avec nous ! » Suit immédiatement la MESSE DE MINUIT qui célèbre la naissance prééternelle du Verbe (le graduel proclame : « En toi réside la principauté au jour de ta puissance; dans la splendeur des Saints, Je T’ai engendré de mon sein avant l’aurore »). La MESSE DU JOUR célèbre sa naissance à Bethléem (« Un enfant nous est né, un Fils nous est donné… » dit l’Introït). La MESSE DE L’AURORE – rarement célébrée dans les paroisses chante la naissance du Christ en nous.

C’est au IVème siècle que Noël (qui signifie « jour de la naissance ») a été fixé au 25 décembre : cette fête coïncide avec le solstice d’hiver qui marque le retour du soleil, image de le naissance du Verbe fait chair, « Soleil de Justice ». Le tropaire[4] dit : « Ta naissance, ô Christ notre Dieu, a fait resplendir dans le monde la lumière de l’intelligence : ceux qui servaient les astres sont instruits par l’astre de T’adorer, Soleil de Justice, et de Te contempler, Orient venu des hauteurs, Seigneur, gloire à Toi ! ».

Quelques FÊTES SATELLITES font suite à Noël, telles – entre autres – celle de Saint Jean l’Evangéliste, celle des Saints Innocents (les enfants massacrés par Hérode à Bethléem), celle de Saint Joseph, celle de Saint Étienne, celle de la Circoncision et du Nom de Jésus, et la fête commémorant l’adoration des mages qui subsiste de nos jours en Occident sous le forme folklorique de « Fête des rois » (le graduel dit : « Tous viendront de Saba, apporter de l’or et de l’encens, magnifiant les œuvres du Seigneur… »).

La date du 6 Janvier appelle une explication particulière : primitivement cette date correspondait à la fête de la THÉOPHANIE en laquelle s’unissaient à la fois le souvenir de la naissance du Christ et celui de son Baptême. A l’époque de Constantin, la fête de la « Nativité » proprement dite, fut transportée au 25 décembre, tandis que le 6 Janvier restait réservé à la seule fête de l »‘Epiphanie » ou « Théophanie » (« épiphanie » : manifestation ; « théophanie : manifestation de Dieu). En Occident, cette fête prit rapidement le caractère de manifestation de Dieu aux Gentils sous la forme de « Fête des Rois mages ». En Orient, par contre, c’est l’événement du « Baptême du Christ » où fut révélé le mystère de sa Divinité et entrouvert celui de la Sainte Trinité, qui devint le thème central de cette fête appelée également « Fête de l’Illumination ». Le mot « Théophanie » est encore justifié par le fait que c’est par le Baptême du Christ que commence la période de sa mission publique, de son « Apparition » au monde.

Ce multiple aspect de la fête est marqué dans le tropaire : « Pendant ton Baptême dans le Jourdain, ô Christ, fut manifestée l’adoration due à la Trinité, car la voix du Père Te rendit témoignage en T’appelant Fils Bien-aimé, et l’Esprit, sous forme de colombe, confirmait la vérité de cette parole. Christ-Dieu qui apparu et as illuminé le monde, gloire à Toi ! ».

Dans les célébrations de l’Eglise catholique orthodoxe de France les deux fêtes subsistent sans se confondre : le 6 Janvier, on commémore l’ÉPIPHANIE, l’adoration de l’Enfant-Dieu par les Sages d’Orient, et le dimanche suivant cette date, on célèbre la solennité de la THÉOPHANIE, caractérisée par un Office spécial avec Bénédiction des eaux.

Le 2 Février, quarante jours après la fête de la naissance de Jésus, a lieu la fête de la Purification de la Vierge, appelée dans l’Eglise orthodoxe la SAINTE RENCONTRE. Petit enfant introduit dans le Temple, Jésus est reconnu comme le Messie par le vieillard Siméon, ultime représentant du monde biblique, qui s’écrie : « Et maintenant Seigneur, laisse ton serviteur, selon ta parole s’en aller en paix, parce que mes yeux ont vu le Salut qui vient de Toi et que Tu as préparé pour être mis devant tous les peuples, Lumière qui doit briller sur toute nation et Gloire de ton peuple Israël ! ». C’est le rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Testament, où un monde vieilli s’efface pour laisser place à la loi du Christ.

Le tropaire de cette fête dit : « Salut, Pleine de Grâce, Mère pure de Dieu et Vierge ! De Toi a resplendi le Soleil de Justice, Christ notre Dieu, illuminant ceux qui sont dans les ténèbres. Et toi, juste vieillard, sois dans la joie, car tu as reçu dans tes bras le Libérateur de nos âmes, Celui qui nous donne la résurrection ! ».

L’Office est marqué par la Bénédiction des cierges, symboles de la Lumière nouvelle, « chandelles » qui ont donné à cette fête son nom populaire de « Chandeleur ». Les cierges bénis sont emportés dans les foyers, conservés et allumés pour apporter consolation et santé spirituelle.

La date du 25 mars a été choisie pour fêter l’ANNONCIATION parce qu’elle précède de neuf mois la naissance divine du Christ. Le tropaire dit : « Aujourd’hui, c’est le commencement de notre salut et la manifestation du mystère prééternel. Le Fils de Dieu devient le Fils de la Vierge, et Gabriel annonce la grâce. Crions donc avec lui à la Mère de Dieu : « Salut, Pleine de Grâce » le Seigneur est avec toi ! »

L’Office est marqué par le dialogue entre la Vierge et l’archange Gabriel.

Avril, Mai, Juin et Juillet ne comportent pas de grande fête du Seigneur dans le cadre des fêtes fixes : ces mois sont occupés en général par les grandes fêtes mobiles du cycle pascal. Cependant, on y trouve des fêtes de Saints dont la vie est liée à la vie terrestre du Christ : c’est ainsi, par exemple, que le 24 Juin, jour du solstice d’été, on commémore la naissance de Saint Jean-Baptiste, le 29 Juin, on fête la mémoire des Saints Pierre et Paul, et le lendemain, celui du Collège des Douze Apôtres.

Août, mois de le maturation de la nature et des moissons, est caractérisé par deux fêtes : la Transfiguration et l’Assomption.

Le 6 Août, la TRANSFIGURATION retrace l’événement historique de la Transfiguration du Christ sur le Mont Thabor devant trois disciples élus, prémices de notre transfiguration future et de celle de toute la nature. Au cours de la Messe, selon la tradition de l’Eglise orthodoxe, le célébrant bénit les fruits apportés par les fidèles.

Voici le tropaire de cette fête : « Ô Christ Dieu, Tu T’es transfiguré sur la montagne, Tu as montré à tes disciples ta gloire autant qu’ils pouvaient la supporter. Que ta lumière éternelle resplendisse pour nous aussi, pécheurs, par les prières de ta Mère. Ô Donateur de lumière, gloire à Toi ! ».

Le 15 Août, l’ASSOMPTION de la Vierge Marie clôt le cycle se rapportant à la vie terrestre du Christ qui, ce jour, reprend dans ses bras celle de qui Il a reçu son corps. La Vierge est vénérée pendant cette fête comme prémice de la nouvelle humanité transfigurée.

La veille, les Vigiles de l’Assomption présentent une analogie avec l’Office de l’Enterrement du Christ, célébré dans la nuit du Vendredi au Samedi Saints. Pour cet Office, l’Eglise catholique orthodoxe de France a adopté le rite jérusalémite de l »‘Enterrement de la Vierge ». La procession qui porte l’icône de la Vierge au tombeau (comme est portée, le Vendredi Saint, la Croix symbolisant le corps du Christ) est accompagnée d’un chant dont la mélodie est semblable à celle du chant qui accompagne l’Ensevelissement du Seigneur.

Le tropaire dit : « Dans ton enfantement tu demeures Vierge. Dans ton assomption tu n’abandonnes pas le monde, ô Mère de Dieu. Tu passes de la vie à la Vie, étant mère de la Vie, et par tes prières tu délivres nos âmes de la mort ».

A ces fêtes fixes, qui ont la particularité d’être directement liées à la vie de Jésus Lui-même, ajoutons :

L’EXALTATION DE LA CROIX (14 Septembre) qui revêt un double aspect : c’est d’une part la commémoration historique de la découverte des restes de la Croix à l’instigation de l’Impératrice Hélène et celle de sa reconquête ultérieure par l’Empereur Héraclius ; c’est, d’autre part, la fête du « Symbole de le Croix » qui ordonne le monde suivant la rencontre du cheminement horizontal de notre vie temporelle avec la montée verticale vers Dieu de ce qui est éternel en nous.

La Liturgie pontificale de ce jour est marquée par un rite particulier : l’Evêque, au milieu de l’église, bénit solennellement les quatre points cardinaux avec la grande croix descendue de l’autel. Le chœur accompagne chacune de ces quatre bénédictions par le chant du « Kyrie eleison » répété cent fois.

Pour cette fête, le chant du Trisagion est remplacé par celui-ci : « Devant ta Croix, nous nous prosternons ô Maître, et ta Sainte résurrection; nous la chantons ».

La TOUSSAINT : elle est spécifique des rites occidentaux (dans le calendrier byzantin, la « Fête de tous les Saints » figure le premier dimanche après la Pentecôte). Située en Occident à la fin de l’année liturgique (1er novembre) dans une perspective eschatologique (celle de la fin des temps », de leur accomplissement), elle préfigure l’instauration du Royaume de Dieu qui rassemblera en une foule immense tous les Saints et tous les défunts. La Toussaint est une vision apocalyptique. L’Epître de la fête est : Apocalypse 7, 2-12.

Le fête de tous les Saints est immédiatement suivie, le 2 Novembre, par le JOUR DES MORTS, commémorations des défunts. Le sens de ce rapprochement est illustré par le chant de l’Office des morts (texte byzantin) : « Accorde le repos avec les Saints, Seigneur, aux âmes de tes serviteurs, là où il n’y a ni maux ni peines ni soupirs, mais la vie éternelle ».

LES FÊTES DE LA VIERGE MARIE MÈRE DE DIEU

La « Naissance de la Vierge » (8 septembre) et sa « Conception » (8 décembre), et « L’Entrée de la Vierge au Temple » (21 novembre).

(L’Annonciation et l’Assomption de la Vierge étant unies aux fêtes du Christ, ont déjà été évoquées.)

SAINT MICHEL (29 septembre), saint Patron protecteur de la France qui est particulièrement vénéré dans l’Église catholique orthodoxe de France.

De plus, le début de chaque saison est marqué par trois jours de pénitence et de purification (mercredi, vendredi et samedi), désignés sous le nom de QUATRE-TEMPS de printemps, d’été, d’automne et d’hiver. Les mercredi et vendredi des Quatre-Temps est célébré la liturgie des Présanctifiés.

LE CYCLE PASCAL

Ce cycle commence par le temps de pénitence du. GRAND CAREME, lui-même précédé des TROIS SEMAINES PRÉPARATOIRES, celles de Septuagésime, de Sexagésime et de Quinquagésime.

Pendant les deux premières semaines préparatoires, on chante aux Vêpres les lamentations des Hébreux : « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion… », évoquant notre exil de la Patrie céleste à laquelle nous aspirons et vers laquelle nous nous acheminons par la purification du Carême et la Communion pascale.

Dès la fin de la Messe de Septuagésime; après le rite du « Souvenir de la honte et de la nudité d’Adam », symbole de notre chute originelle, les ornements liturgiques deviennent violets et le resteront jusqu’à Pâques.

Après la Messe du dimanche commençant la troisième semaine de préparation (Dimanche et Quinquagésime), se place le rite – caractéristique pour l’Occident – de « L’Enterrement de l’Alléluia » ; en signe de pénitence, cette exclamation de joie ne sera plus chantée jusqu’à la Nuit pascale où le diacre, sur une mélodie triomphale reprise par la foule, annoncera son « retour ».

Le Mercredi de la même semaine, on « impose les cendres », d’où le nom de MERCREDI DES CENDRES. Cette tradition venue des temps bibliques confirme le caractère pénitentiel de cette période. (Ces cendres sont obtenues en brûlant les rameaux bénis de l’année précédente, ce que l’on doit également faire dans les foyers familiaux afin de passer le Carême sans ce symbole de triomphe final[5].

C’est à partir de ce jour que commence le GRAND CARÊME proprement dit.

Le PREMIER DIMANCHE DE CARÊME (Quadragésime) est lu le récit de la Tentation de notre Seigneur après les quarante jours de jeûne qui ont préparé le début de son ministère apostolique[6].

Ce jour est également consacré à la fête du TRIOMPHE DE L’ORTHODOXIE qui commémore le rétablissement de la vénération des icônes après une longue période d’iconoclasme (Xème siècle), rétablissement capital pour l’intégrité de la doctrine chrétienne. Il confirme la légitimité et même la nécessité d’un art plastique sacré que, sous des influences islamiques rationalisantes, avaient refusé les iconoclastes. Et le tropaire dit : « Devant ton image, nous nous prosternons, ô Plein de Bonté, en demandant la rémission de nos péchés… » Dans les cathédrales orthodoxes est célébré ce jour le rite de « L’Anathème » : après le Liturgie dominicale l’Evêque lit publiquement la Confession de la Foi orthodoxe (détaillée) et le peuple en confirme chaque paragraphe en affirmant fortement : « Nous confessons ». L’archidiacre énumère ensuite les erreurs de doctrine (hérésies) touchant à l’intégrité de le foi. Et le peuple répond à chaque paragraphe : « Qu’elles soient écartées ! ». Le mot « anathème » est pris là dans son sens « d’exclusion » (et non de malédiction) par lequel s’exprime la volonté de purification doctrinale.

Le DEUXIEME DIMANCHE DE CARÊME est centré sur la Transfiguration, fête de la « LUMIÈRE INCRÉÉE » (à remarquer qu’en Orient, ce même jour est consacré à la mémoire de Saint Grégoire Palamas, défenseur de la théologie de la « Lumière Incréée »).

Le Messe solennelle est anticipée au samedi soir ; c’est une Messe vespérale où est lu l’Evangile de la Transfiguration. L’Eglise prépare ainsi les catéchumènes à la Passion volontaire du Christ, guidant les pénitents vers la contemplation de la Lumière divine. C’est dans le même esprit de pénitence que la Messe du dimanche est consacrée à la « Confession générale », suivie de la Liturgie des Présanctifiés.

Mais la contemplation de la Lumière Incréée n’est possible que si nous sommes exorcisés des démons qui nous rendent muets et sourds; or, Seul, le Christ peut nous exorciser et nous libérer de l’emprise du Malin. C’est pour cette raison que, le TROISIÈME DIMANCHE DE CARÊME est lu le chapitre de l’Evangile où le Christ, après avoir expulsé un démon muet, entre en discussion avec les judaïstes et explique le sens de l’acte qu’Il vient d’accomplir.

Une fois exorcisés, ayant recouvré la vue et l’ouïe, nous devons aussitôt nous nourrir de la Parole de Dieu et du Pain qu’Il nous donne, ce qui explique qu’à la Messe du QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME est lu l’Evangile de la « Multiplication des pains ». Le même jour, on commémore la « Croix vivifiante », croix fleurie proposée comme consolation au milieu des efforts du Carême. Ce dimanche est appelé en Occident « Laetare » (« se réjouir ») d’après les premières Paroles de la Messe : « Réjouis-toi, Jérusalem… » ; le Carême est allégé (d’où les réjouissances populaires de la « mi-carême ») et, dans la mesure du possible – ce jour seulement – les ornements passent du violet au rose parme.

Le CINQUIÈME DIMANCHE DE CARÊME porte le nom « Dimanche de la Passion » (ne pas confondre avec la Semaine Sainte qu’on appelle couramment « Semaine de la Passion », ni avec l’Office de la nuit du Jeudi au Vendredi Saints où est lu le récit de la Passion). L’Eglise y place comme Evangile Jean 8, 46-59, dans lequel le Christ proclame ouvertement sa Divinité et met en état d’exaspération ses ennemis judaïstes (tenants du judaïsme officiel hostile à l’idée d’un messianisme non temporel), et accélère sa condamnation et l’accomplissement de son abnégation salutaire.

A partir de cette dernière semaine, la doxologie (paroles de gloire à la fin des psaumes) est omise et des voiles violets recouvrent la croix de l’autel et les icônes, et ce, jusqu’à Pâques.

Le Carême de pénitence (mais non le jeûne) prend fin avec le DIMANCHE DES RAMEAUX. On entre dans la SEMAINE SAINTE.

Le « Jour des Rameaux » est préparé par le samedi de la « Résurrection de Lazare » qui le précède immédiatement, prémices de la résurrection du Monde et manifestation de la souveraineté du Christ sur la mort. Le tropaire commun à ces deux fêtes exprime bien le sens des évènements évoqués et leur liaison avec la Semaine Sainte et Pâques qui s’approchent : « Affirmant la résurrection universelle avant ta Passion, ô Christ Dieu, Tu ressuscites Lazare des morts. Et nous, comme des adolescents, portant l’insigne de la victoire (les rameaux d’olivier), nous T’acclamons, ô Vainqueur de la mort. Hosanna dans les lieux très hauts ! Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur ! ».

Le Dimanche des (Rameaux (comme plusieurs Offices occidentaux) est marqué par un rite venu directement de Jérusalem en Gaule d’où il s’est propagé ensuite dans toutes les Eglises latines : bénédiction des rameaux (si possible, branches d’olivier et palmes), procession du clergé et des fidèles hors de l’église toutes portes closes, réouverture solennelle du portail et rentrée du clergé et du peuple dans l’église.

Cette action commémore l’entrée historique du Seigneur à Jérusalem et symbolise notre entrée future à sa suite dans la Jérusalem céleste. (L’Introït chante : « A l’entrée du Seigneur dans la Ville Sainte, les enfants des Hébreux, annonçant la Résurrection de Celui qui est la Vie et portant des rameaux, criaient : Hosanna in excelsis ! »)

Elle symbolise également notre entrée immédiate dans le Cycle « Semaine Sainte – Pâques – Pentecôte ». Remarquons que ce qui est particulier â ce cycle, en dehors de son importance religieuse, c’est son caractère de mémorial chronologique que l’on ne trouve dans aucune autre période[7]. En effet, à partir du Dimanche des Rameaux les Evangiles nous relatent à leurs dates successives tous les événements importants pour notre salut. Il nous devient dès lors possible de les revivre liturgiquement dans leur intensité jour après jour aux mêmes dates que les ont vécus le Christ et ses disciples, ce qui est capital pour l’assimilation du contenu salutaire de ces évènements.

I1 parait donc inutile d’insister sur l’importance vitale que revêt une participation aussi régulière que possible à tous les Offices de cette période.

Les trois premiers jours, LUNDI, MARDI et MERCREDI de la SEMAINE SAINTE, jours d’attente et de vigilance, préparent les fidèles à leur participation aux événements des Jeudi, Vendredi et Samedi Saints. Il n’y a pas de consécration eucharistique, mais chaque jour on célèbre la Liturgie des Présanctifiés. De longues lectures d’Evangiles relatent, aussi bien pendant ces Messes qu’aux Offices des Vêpres, les actions du Christ et les paroles qu’Il a prononcées entre le moment de son entrée triomphale à Jérusalem et celui du début de sa Passion[8].

Durant ces trois jours, l’attention des fidèles est particulièrement attirée sur trois péchés leur interdisant de participer à la Passion du Christ : la sécheresse de l’âme (« le figuier stérile »), la profanation du sacré.(« expulsion des marchands du Temple ») et l’hypocrisie (« discours contre les Pharisiens »).

Le soir du MERCREDI SAINT, anticipant sur l’Evangile qui sera lu pendant les Nocturnes qui vont suivre, l’Eglise propose après le Bénédiction des Huiles, « L’Onction des malades » à tous les fidèles présents. (L’Evangile narre l’épisode de la femme qui verse de l’huile précieuse sur le Christ, Le préparant symboliquement à son ensevelissement prochain). Ainsi préparés, ceux-ci pourront aborder les jours solennels et tragiques des Jeudi et Vendredi Saints.

Les jours préparatoires sont terminés.

L’Office des Nocturnes de la NUIT DU MERCREDI AU JEUDI SAINTS (le premier grand Office de la Semaine Sainte) est appelé « Office des Ténèbres » (de même que les Nocturnes du Jeudi au Vendredi Saints). En effet, pour signifier les ténèbres dans lesquelles la condamnation du Christ avait plongé l’humanité, on éteint progressivement quinze cierges placés au milieu de l’église. L’Office s’achève dans l’obscurité complète. Un bruit insolite (par exemple : coup de gong, crécelle ou bois frappé) rappelle alors le triomphe temporaire et apparent de Satan, ainsi que le désarroi de la nature.

Chacun des trois Nocturnes d’un Office des Ténèbres contient une « Leçon » tirée des Écritures ou d’écrits des Pères de l’Église. Le première de ces trois Leçons est une Lamentation de Jérémie, cantilée par deux chantres : l’un annonce chaque verset par le modulation d’un lettre de l’alphabet hébreu, l’autre expose le texte sur un ton spécial de plainte, la plainte de l’Église.

La deuxième Leçon est une homélie (ou sermon) de saint Jean Chrysostome (le mercredi) et de saint Augustin (le jeudi).

La troisième est une Lecture de l’Évangile qui, ce Mercredi, commence par les paroles du Christ : « Vous savez que la Pâque a lieu dans deux jours et que le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié »; elle se poursuit par le récit de l’onction du Christ par une femme (voir plus haut), puis par celui de la trahison de Judas qui vend son Maître aux prêtres. La Lecture s’achève par l’ordre du Christ à deux apôtres de faire les préparatifs au banquet de la Pâque.

C’est ainsi que l’on est introduit dans la commémoration du JEUDI SAINT, très grande fête qui, n’étant pas chômée, n’est généralement pas assez pleinement vécue par la majorité des fidèles. Depuis le matin jusqu’à la fin de la Messe de communion du soir, la couleur liturgique passe du violet au blanc en signe de joie : c’est ce jour que le Christ institue la Nouvelle Alliance scellée par la Communion mystérieuse à son Corps et à son Sang, prémices de la résurrection de la chair et de le déification du monde.

Le point culminant du Jeudi Saint est la Messe du soir, commémoration directement chronologique de la SAINTE CÈNE, dernier repas du Christ avec ses disciples. Ce jour-là, le Post-Sanctus du Canon eucharistique affirmé en effet cette conformité de dates : « Vraiment Saint, vraiment béni (…) est notre Dieu, Seigneur Jésus-Christ (…) qui, la nuit où Il Se livra librement pour la vie du monde – c’est-à-dire aujourd’hui – prit du pain… ».

Au cours de la Lecture de l’Évangile, si la Messe est célébrée par un Évêque, celui-ci refait le geste du Seigneur qui, lavant les pieds à ses douze apôtres, renverse les valeurs et, de Roi, devient Serviteur.

A la fin de cet Office, les Dons consacrés qui seront consommés le Vendredi Saint – jour sans consécration – sont transportés sur un autel provisoire. L’autel principal est dépouillé de tout ce qui le recouvre, en symbole de la désolation de l’Église ainsi que du dépouillement total du Christ avant son triomphe.

La NUIT DU JEUDI AU VENDREDI SAINTS – qui commence presque aussitôt après la Messe du soir – est consacrée au second Office des Ténèbres, uni aux Vêpres au cours desquelles est lu l’entretien du Christ avec ses apôtres clôturant la Sainte Cène après l’Institution de la Communion.

Ce « Dernier Discours » terminé par la « Prière Sacerdotale » est la plus haute initiation du Verbe et le type même de la Communion dans la Parole ».

C’est ainsi que, ce soir du Jeudi Saint, la forme complète de la Liturgie eucharistique chrétienne se trouve être constituée : Communion à la Parole et Communion au Corps et au Sang du Christ.

L’ensemble du service est axé sur la Lecture des douze premières étapes de le Passion du Christ selon les Synoptiques (Evangile de saint Matthieu, saint Marc et saint Luc), intercalée par fragments dans le corps de l’Office : rappel des douze « stations » antiques et des douze portes de Jérusalem. Cette Lecture revêt en ce jour (ainsi que le jour suivant) une forme particulière : la narration des faits est lue par le diacre, les paroles du Christ sont prononcées par le célébrant, et les autres « personnages » du drame sont représentés par les chantres ou des groupes de chantres[9].

L’Office du Jeudi Saint est le plus long de l’année, aussi bien en Orient qu’en Occident: il est en effet calculé pour occuper en principe – toute la nuit, suivant le déroulement horaire des évènements vécus par le Christ jusqu’au matin (même sous sa forme abrégée en usage dans les paroisses, il dure environ trois heures). La tradition de prier pendant toute la nuit persiste cependant sous forme de « veillée » : des fidèles se relaient dans l’église jusqu’au premier Office du matin suivant.

Les Offices du VENDREDI SAINT, jour de la Condamnation et de la Mort du Christ, sont organisés de manière que les fidèles puissent rester en prières communes dans l’église pendant toute la journée et même jusqu’au samedi matin.

Après la « veillée » du Jeudi au Vendredi commencent, dès la première heure, les « Heures Royales » où des Psaumes et des Lectures de l’Ancien Testament récapitulent les prophéties concernent la Passion du Christ, et où des Lectures du Nouveau Testament relatent et commentent l’ensemble des évènements de la Passion. Exécutés intégralement, ces Offices amènent à la « Neuvième Heure » (trois heures de l’après-midi), heure de la Crucifixion.

La « Crucifixion » elle-même (dont la forme et les textes remontent à l’antiquité chrétienne) commence par trois prophéties, la lecture de l’Epître de saint Paul sur la « folie de la Croix », et la Lecture des dernières étapes de la Passion relatées par l’Evangile de saint Jean (suite de la lecture « à plusieurs personnages »). Au cours de la Lecture, au moment où le narrateur dit : « Il baissa la tête et remit son esprit », tous se prosternent et observent un long silence. Puis la Lecture reprend.

Dieu est crucifié, mais au même instant, par le Sang et l’Eau qui jaillissent du coté du Christ, naît l’Eglise : après l’Evangile, le célébrant découvre progressivement du voile violet les trois branches de la Croix qu’il présente aux fidèles, tandis que le clergé proclame à trois reprises : « Voici le bois de la Croix sur lequel le Salut du monde a été suspendu ! » à quoi le peuple répond chaque fois : « Venez, adorons-Le ! ».

La « Vénération de la Croix » s’accompagne ensuite du chant des « Impropères », reproches du Christ à son peuple qui Le tue : « Ô Mon peuple, que t’ai-Je fait ? En quoi t’ai-Je affligé ? Réponds-Moi !.. »

Ensuite, un premier chant d’espoir en la Résurrection se fait déjà entendre.

Le soir du Vendredi Saint a lieu le très beau rite – propre à l’Eglise orthodoxe – de l' »Ensevelissement du Seigneur », Office qui unit Vêpres et Ténèbres : le célébrant encense la Croix ainsi que le linceul préparé sur l’autel. Puis il la dépose sur le linceul, l’oint de parfums et, très lentement, chante seul le Trisagion. Les prêtres posent ensuite sur leurs têtes la Croix enveloppée dans le linceul dont quatre fidèles tiennent les coins. En procession, ils font le tour de l’église et la déposent sur le Tombeau somptueusement fleuri préparé au milieu de l’église, tandis que le chœur chante très lentement : « Le noble Joseph descendit du bois ton Corps très pur, l’enveloppa d’un linceul immaculé, et, couvert d’aromates, il le déposa dans un sépulcre neuf ».

Après les Lamentations de Jérémie est proclamée la prophétie d’Ezéchiel donnant un tableau saisissant de la Résurrection universelle. Les « Plaintes sur le Tombeau » précèdent la Lecture de l’Evangile qui relate la dernière manifestation de résistance de l’humanité à la Résurrection du Christ : le sépulcre est scellé par les prêtres et gardé par les soldats.

Le Christ a sanctifié la terre par son corps et illuminé l’enfer par son âme, afin de tout remplir de sa Divinité.

Un chant s’entend au loin : ce sont les femmes qui, à l’aube, vont au Tombeau pour oindre le Christ.

Le SAMEDI SAINT, au cœur du repos divin, la Création se renouvelle progressivement dans le silence du Grand Sabbat : il n’y a pas d’Office jusqu’au milieu de l’après-midi où sont célébrées de courtes Vêpres au cour desquelles la Croix, symbole de l’Enseveli, reprend sa place sur l’autel.

« La Messe des Eaux » est célébrée au début de la soirée : elle comporte les Lectures de plusieurs prophéties qui amènent à la bénédiction des eaux baptismales et, éventuellement, au baptême des adultes.

C’est au cours de cette Messe que les icônes sont dévoilées et que les ornements, du violet passent au blanc. L’Evangile est déjà l’un des Evangiles de la Résurrection, celui de Matthieu qui se termine par : « … allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit… », texte que nous pouvons considérer comme institutif du Sacrement de Baptême. (Le plus souvent, cet Office prend fin après la Lecture de l’Evangile, la consécration étant différée à la Messe nocturne qui suit.)

Après cette intense préparation dans la Semaine Sainte, vécue jour après jour, éclate enfin la joie de PÂQUES.

Au début de la nuit commence la VEILLÉE PASCALE, marche accélérée des ténèbres vers la Lumière. Elle commence par la « Bénédiction du Feu nouveau » à l’entrée de l’église qui, elle, est plongée dans l’obscurité totale. Elle se poursuit par la procession, vers l’autel, du « Feu », transporté à l’aide d’un cierge à trois branches (le « trident ») rappelant les trois jours d’ensevelissement du Christ, progressivement allumé branche par branche. Puis, viennent le chant de « l’Exultet » et la « Bénédiction du Cierge pascal » dont la flamme se communiquera de proche en proche à tous les cierges des fidèles jusqu’à l’illumination totale de l’église. Le clergé se retire, sauf un diacre porteur du trident, et au son des cloches, les fidèles demeurent dans l’attente de la Bonne Nouvelle.

A minuit – en principe – le clergé entonne de l’extérieur : « Ta Résurrection, ô Christ Sauveur, les Anges la chantent dans les cieux. Accorde, à nous, qui sommes sur terre, de Te glorifier avec un cœur pur ».

Arrivée à l’entrée de l’église aux portes grandes ouvertes, la procession s’arrête. Porteur du trident, le diacre, représentant du peuple, accueille le clergé par l’annonce joyeuse du « Retour de l’Alléluia », chanté à trois reprises par tous. Aussitôt le célébrant répond par l’annonce de le Résurrection du Christ au chant :

« Christ est ressuscité des morts ! Par la mort Il a vaincu la mort ! A ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la Vie. Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! »

repris triomphalement au moins trois fois par le chœur, tandis que le clergé pénètre jusqu’au Sanctuaire d’un pas allègre, bénissant les quatre points cardinaux en proclamant fortement : « Christ est ressuscité ! » ce que l’assemblée confirme unanimement : « En vérité, Il est ressuscité ! », (cette annonce peut être faite successivement en différentes langues).

Puis commence l’Office des Matines composé de trois Nocturnes. Les psaumes de David des Nocturnes habituels sont remplacés dans le rite des Gaules par des textes spéciaux de saint Jean Damascène, entrecoupés de l’antienne triomphale : « Christ est ressuscité des morts ! Alléluia ! ». Ces psaumes néotestamentaires sont chantés sur un rythme extrêmement vif tandis que, sur ce même rythme les prêtres encensent plusieurs fois l’église en continuant de proclamer : « Christ est ressuscité ! ».

Après le troisième Leçon des Matines (Evangile de la Résurrection), on entonne les « Strophes de Pâques » : « Portant des aromates de grand matin, les femmes accourent au Tombeau du Donateur de Vie… », puis : « Ô belle Pâque (…) terme de toute tristesse, car c’est aujourd’hui que le Christ resplendit… », et enfin : « C’est le jour de la Résurrection ! Rayonnons de joie en cette solennité ; embrassons-nous les uns les autres ; disons « frères » même à ceux qui nous haïssent ; pardonnons tout à cause de la Résurrection… ».

A ce moment, les célébrants se donnent le « Baiser pascal » (triple accolade) accompagné de l’annonce : « Christ est ressuscité ! » à laquelle est donnée la réponse : « En vérité Il est ressuscité ! » Cette accolade joyeuse se transmet du clergé aux fidèles qui, l’action liturgique étant alors suspendue, s’embrassent entre eux, tandis que le clergé se mêle à la foule pour échanger avec elle ce même salut fraternel porteur de paix et de joie.

Enfin, dans le même élan et suivant le même rythme, la DIVINE LITURGIE PASCALE termine cette Fête des Fêtes. A la fin de l’Office, le prêtre distribue, à la place de pain béni, des œufs durs colorés ou décorés, symboles de la vie sortant du tombeau. Des agapes fraternelles réunissent ensuite les fidèles qui partagent les mets symboliques : l’œuf béni, le pain de fête levé agrémenté de fruits confits, et la « pascha » (mélange de fromage blanc, de miel, d’œufs, de crème) rappelant par sa couleur l’Agneau pascal, par sa forme, les pyramides d’Egypte (et ainsi la Pâque juive) et suggérant par ses composants le nourriture du Paradis, « pays où coule le lait et le miel… ».

Après la joie exubérante de le Messe de Nuit, la Messe du jour du DIMANCHE revêt un caractère de joie plus contenue, plus calme. Si celle de la nuit de Pâques reflète l’expérience de la vie future, la Liturgie du jour nous ramène au mémorial de l’événement historique de la Résurrection : le Christ, bien que dans son Corps Glorieux, est présent parmi nous. Il est apparu à Marie-Madeleine et va apparaître à d’autres témoins visiblement, dans notre monde terrestre. Seules les dernières paroles du Tricanon nous ramènent à une vision eschatologique : « … accorde-nous en vérité de demeurer en communion avec Toi au jour sans crépuscule de ton Royaume ».

Pendant la SEMAINE PASCALE qui suit la Nuit de la Résurrection persiste cette même atmosphère. Ses sept jours se présentent comme sept Dimanches successifs, avec textes variables propres à chaque jour (Semaine Pascale = Octave de Pâques).

Toute cette Semaine, et ensuite jusqu’au Dimanche qui précède le Jeudi de l’Ascension, les Offices gardent un caractère particulièrement joyeux dans la concision. Ils se trouvent modifiés même dans leurs « parties• fixes » (prières initiales et finales, litanies, etc.).

Cette période liturgique du TEMPS APRÈS PÂQUES correspond à la période historique très mystérieuse de 40 jours au cours de laquelle le Christ Ressuscité est apparu à plusieurs reprises à ses disciples pour les confirmer dans leur foi en leur montrant, par la présence de son Corps Glorieux, ce que sera le Royaume de Dieu.

Durant ces 40 jours, le Cierge Pascal ne cesse de brûler aux Offices : symbole du Christ Ressuscité, il est visible à nos yeux comme le Christ a été visiblement présent parmi ses disciples.

Le 40ème jour, « … le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et I1 S’assit à la Droite de Dieu ».

En ce jour de l’ASCENSION, le Cierge Pascal est éteint après que tous soient venus allumer un cierge à sa flamme. C’est invisiblement que le Christ demeurera en nous désormais : « Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Matth. 28, 20). Avant son Ascension, le Christ annonce la prochaine descente de l’Esprit Saint : c’est la fête de l’espérance.

Le tropaire dit : « Tu es monté au ciel en Gloire, ô Christ notre Dieu. Tu as rempli de joie tes disciples par la promesse du Saint Esprit. Ta bénédiction l’a rendue manifeste : c’est Toi le Fils de Dieu et le Libérateur du monde. »

Le « temps » de l’ASCENSION A LA PENTECÔTE est une période de séparation nécessaire : le Christ cesse d’être visiblement présent parmi nous pour que son œuvre et son enseignement soient parachevés et confirmés par « un autre Consolateur », l’Esprit Saint qui procède non de Lui, mais du Père, ainsi qu’il est dit dans le dernier entretien de Jésus avec ses Disciples : « Lorsque sera venu le Paraclet que Je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de Vérité qui procède du Père, Il rendra témoignage de Moi… » Durant cette période, l’Eglise propose comme Evangiles des fragments de ce dernier entretien où le Christ annonce la venue du « Paraclet » (dans la tradition hébraïque, le mot « paraclet » signifie « interprète – commentateur inspiré »).

Au cours de ces 10 jours où il est « orphelin », le chrétien est appelé à prendre conscience du fait qu’avec l’Ascension du Christ, l’œuvre de notre salut n’a pas encore atteint son accomplissement : « Il vous est avantageux que Je M’en aille. Car si Je ne M’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; mais si Je M’en vais, Je vous L’enverrai… » La connaissance de la vie de Jésus, de son enseignement, de sa mort et de sa Résurrection ne peut être réellement assimilée et devenir source de foi vivante que par la grâce du Saint Esprit qui descendit sur les Apôtres le jour de Pentecôte, qui descend également sur chacun de nous dans le Sacrement de Communion après le baptême, et descend sur les Dons sanctifiés et offerts à chaque Liturgie eucharistique : « … quand Il sera venu, Lui, l’Esprit de Vérité, Il vous fera pénétrer dans toute la vérité ; car Il ne parlera pas de Lui-même, mais tout ce qu’Il a entendu, Il le dira, et les choses à venir, Il vous les annoncera… »

Schématiquement l’on pourrait dire que, de même que l’intuition éclaire et complète l’intelligence (à la condition évidente de ne pas en être née, de ne pas « procéder » de cette même intelligence), de même le souffle de l’Esprit Saint éclaire et complète la connaissance donnée par le Verbe. Dans la mesure où des images peuvent traduire des vérités spirituelles, la théologie de l’Eglise orthodoxe enseigne que le Christ, d’une part, et le Saint Esprit, d’autre part, représentent – pour ainsi dire – les deux bras de la Sainte Trinité dont les actions se complètent et agissent, sans se confondre dans l’économie de notre salut à partir d’un Principe unique : le Père.

La PENTECÔTE (« 50ème jour ») est un des sommets de l’année liturgique. Elle est la fête de l’institution de l’Eglise : de simples pêcheurs, les apôtres deviennent détenteurs de la grâce divine ; ils acquièrent la connaissance des langues (il s’agit moins de la connaissance de différents dialectes que de la compréhension de toutes les mentalités humaines, et ceci est capital dans le message de 1’Eglise) ; ils acquièrent également la faculté de parler directement et avec justesse au Nom de Dieu. C’est à partir de ce jour que s’établissent, et la forme de la vie ecclésiale, et la liturgie : « Tu es béni ô Christ notre Dieu, qui as révélé les sages pêcheurs en leur envoyant le Saint Esprit. Par eux, Tu as pris au filet le monde entier, Ami des hommes, Gloire à Toi ! » (Tropaire).

Dans les textes liturgiques, la Pentecôte est opposée à la confusion de Babel : « Lorsque Tu descendis en confondant les nations, ô Très Haut, Tu séparas les langues. Lorsque Tu distribuas les langues de feu, Tu appelas tous et tout à l’union. D’une voix unanime, chantons l’Esprit très Saint ! »

Les Vigiles du samedi, veille de Pentecôte, sont marquées par les Lectures de Prophéties et par la Bénédiction des eaux baptismales, et ce jour de préférence, comme avant la Messe des eaux qui précède la Nuit pascale, des adultes sont baptisés s’il y a lieu.

Selon les Actes des Apôtres, la descente du Saint Esprit survint le cinquantième jour après Pâques, « à la troisième heure » c’est-à-dire à neuf heures du matin. C’est pourquoi, en mémorial historique de la descente du Saint Esprit, la Liturgie est précédée des Tierces Royales (forme élargie de l’Office de Tierces), célébrées si possible à neuf heures du matin.

Pour la DIVINE LITURGIE, l’église est abondamment garnie de fleurs rouges, les ornements sont rouges ainsi que les vêtements liturgiques et les fidèles tiennent une fleur rouge avec leur cierge allumé : symbole évident de la couleur des « Langues de feu » dont parlent les Actes des Apôtres.

Au cours de l’Office, l’Hymne à l’Esprit Saint : « Viens, Esprit Saint, Dieu Créateur… » (repris en diverses circonstances telles que dédicace, ordinations, etc.), est chanté par le chœur tandis que le clergé et les fidèles demeurent prosternés. L’Office est également marqué par la « Grande prière au Saint Esprit » de saint Syméon le Nouveau Théologien, que le célébrant dit agenouillé face aux fidèles, entrecoupée par l’antienne : « Viens, Lumière sans crépuscule ! »

Avant la Postcommunion a lieu la procession hors de l’église au chant : « Venez, peuples, adorons la Divinité en Trois Personnes: le Père dans le Fils avec le Saint Esprit. Le Père de toute éternité engendre le Fils éternel et Roi; le Saint Esprit est dans le Père, glorifié avec le Fils, Puissance unique, unique Substance, unique Divinité ; c’est Elle que nous adorons en disant : Saint Dieu qui es tout créé par le Fils avec le concours du Saint Esprit ; Saint Fort par qui nous avons connu le Père et par qui l’Esprit Saint est venu dans le monde ; Saint Immortel, Esprit Consolateur, qui procède du Père et repose dans le Fils ; Trinité Sainte, Gloire à Toi ! »

Puis, sur le parvis, le clergé lit le passage de l’Evangile (Saint Jean 15, 26-27) dans lequel le Christ envoie ses apôtres comme témoins dans le monde. Cette lecture est faite en plusieurs langues, signifiant par là l’universalité du message chrétien.

Le premier Dimanche après la Pentecôte est encore, en Occident, consacré à la Sainte Trinité (en Orient, il est consacré à Tous les Saints). Avec ce dimanche prend fin la Période Pascale ; les particularités de l’Office pascal disparaissent, les ornements passent au vert, couleur des périodes « après » (cette couleur reparaît également après l’Epiphanie jusqu’à la Septuagésime).

On entre dans le TEMPS APRÈS LA PENTECOTE qui, selon la date de Pâques, contient un nombre variable de dimanches. Le Dernier Dimanche après la Pentecôte est celui qui précède le Premier Dimanche de l’Avent. La suite des Dimanches après la Pentecôte qui ont chacun leur Office propre, se superpose au cycle des fêtes fixes du calendrier, comme nous l’avons décrit plus haut.

Cette longue période correspond à la vie et au développement de l’Eglise à partir de la Pentecôte. Il est naturel que la dernière fête fixe se combinant à cette période soit la fête de Tous les Saints (1er Novembre), vécue en Occident comme « Fête d’Accomplissement ». Il est naturel aussi que le Temps après la Pentecôte prenne fin avec le début de l’Avent, préparation et attente du second et glorieux Avènement du Christ, mystérieusement lié avec sa première et humble Venue sur terre.

(Complétons nos observations générales à propos des « couleurs liturgique » symboliques, en notant que les fêtes des martyrs sont symbolisées par le rouge, celles des Vierges et des Confesseurs par le blanc, et enfin celles de la Vierge par le bleu et le blanc.)

N.B. Mentionnons une fête propre à l’Occident qui s’insère entre Pâques et l’Ascension, mais qui ne fait pas partie du cycle « historique » : les ROGATIONS, « fête de saison », instituée en Gaule au Vème siècle et étendue à tout l’Occident au IXème.

Elle dure trois jours, généralement (comme dans l’Eglise catholique orthodoxe de France) les Lundi, Mardi et Mercredi précédent l’Ascension. Ces jours de « demande » (« rogare » : demander) sont consacrés à des prières pour « conjurer les fléaux », à la Bénédiction de la terre (et si possible à la visite des cimetières avec prières pour les défunts) qui se fait en procession au chant des Litanies des Saints. Le bréviaire bénédictin dit : « … trois jours consacrés à la prière qui s’appuie avec confiance sur les paroles de notre Seigneur : demandez et l’on vous donnera ».

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Ce texte fondamental – que tout fidèle de notre Eglise devrait connaître à fond – fut publié pour la première fois en 1968.

Il est recommandé de le relire de temps à autre, notamment pendant le temps pascal, pour approfondir d’année en année la compréhension de la Liturgie chrétienne.

Nous recommandons aux étudiants des Cours par Correspondance d’étudier également les six grands articles sur la Liturgie de Maxime Kovalevsky, publiés par PRÉSENCE ORTHODOXE dans les numéros 1, 3, 4, 5, 7 et 12.

RENAISSANCE EN LANGUE VIVANTE

DU CHANT LITURGIQUE CHRÉTIEN TRADITIONNEL

Conférence du 20 Mai 1976 par

MAXIME KOVALEVSKY

Il n’est pas si éloigné le temps où, quand dans un lieu de culte, nous entendions un chant en latin -grégorien ou autre -, nous étions assurés de nous trouver dans une église romaine. Quand nous entendions un culte en français « parlé » et un choral chanté par toute l’assistance, nous savions que nous nous trouvions dans un temple protestant. Enfin, des prières cantilées par les célébrants alternant des chants exécutés par un chœur en langue grecque, slave ou roumaine, sans accompagnements d’instruments, montrait que nous participons à une liturgie orthodoxe.

Les trois grandes traditions de musique liturgique chrétienne paraissaient posséder chacune ses caractères extérieurs propres, organiquement et irrévocablement liés non seulement à la langue utilisée et au type de culte, mais à la doctrine elle-même, ce qui conduisait parfois à des malentendus. Ainsi, les communautés confessant la théologie de l’Eglise romaine et soumises à la juridiction de Rome, mais pratiquant le rite byzantin, étaient systématiquement assimilées à des communautés orthodoxes, comme par exemple Saint Julien-le-Pauvre à Paris, ou le monastère bénédictin de Chèvetogne en Belgique. Par contre, des mouvements de « retour aux sources liturgiques » qui existaient bien avant le Concile Vatican II, tels que Taizé pour le monde protestant et l’Eglise orthodoxe de France pour les Orthodoxes, paraissaient suspects aux milieux dont ils étaient issus parce que leur culte rompait avec des habitudes fortement ancrées.

Tout est changé depuis quelques années. Le Concile Vatican II autorise l’emploi des langues vivantes qui, très rapidement s’imposent comme obligatoires. Ce changement de forme d’expression a des conséquences incalculables. La nécessité de célébrer en langue vivante entraîne une révision en profondeur non seulement des textes, mais de toute la célébration.

Dans l’Eglise protestante, des mouvements de tendance monastique créent une forme d’Office se rapprochant des Offices bénédictins, ce qui les oblige à une révision générale des textes et de la musique. Dans l’Eglise orthodoxe qui commence à se développer en Occident, deux nouveaux problèmes se posent :

1. L’adhésion à l’Eglise orthodoxe de nouveaux membres nés dans des milieux de culture occidentale, oblige à traduire tous les textes en de nouvelles langues vivantes. Elle nécessite aussi la recherche des sources orthodoxes communes qui, en Occident, se retrouvent dans les survivances des traditions de l’Eglise indivise. Il serait en effet factice et déraisonnable d’imposer à ces nouveaux membres des formes cultuelles qui leur sont étrangères. Ce serait une sorte de « colonisation ».

2. L’assimilation des descendants d’émigrés à une nouvelle culture nécessite également la traduction des Offices, mais dans ce cas, sans que soient rompus leurs liens avec les traditions ancestrales.

Les cadres qui semblaient fixes sont modifiés. Dans chacune des trois Confessions, en face de ces situations nouvelles, nous retrouvons des attitudes identiques :

– Il y a les révolutionnaires, les contestataires dits « progressistes, qui veulent rompre non seulement avec les habitudes périmées des derniers siècles, mais avec toute forme de tradition.

– Il y a les « intégristes » qui restent attachés au passé immédiat et refusent tout changement, parce qu’ils sont sincèrement persuadés que les habitudes de ce récent passé constituent la seule vraie tradition.

Il y a enfin ceux qui veulent le « retour aux sources » et s’efforcent de retrouver la Tradition authentique, épurée des habitudes surajoutées, afin d’y puiser des principes intemporels toujours valables. (Ne confondons pas « tradition » et « habitudes »… !)

Ces derniers efforts de retour aux sources peuvent être couronnés de succès. En effet, à l’intérieur de chaque tradition, des travaux sérieux ont été réalisés. Ces travaux, malheureusement indépendants les uns des autres, ont mis en évidence d’une part les structures essentielles de chaque forme de liturgie et de sa musique et, d’autre part, les déformations qui, au cours des temps, les avaient obscurcies, et avaient amené les rites en l’état où ils se présentent à nous actuellement, c’est-à-dire très différents les uns des autres.

En ce qui concerne l’ensemble des textes et des rites, les structures fondamentales deviennent plus apparentes. A travers ces textes épurés, on retrouve un tronc commun à toutes les traditions chrétiennes. Il n’en est pas de même pour la musique qui donne pourtant vie à ces textes, à ces structures. Aujourd’hui nous possédons des matériaux suffisants pour rétablir chaque tradition dans sa pureté. Les chants grégorien, byzantin, slavon, copte, éthiopien ou autre ne sont plus des inconnus. Mais, à ma connaissance, aucune confrontation sérieuse n’a été tentée jusqu’ici pour dégager des bases communes à ces différentes traditions musicales. Or, elles sont toutes issues d’une source commune. Nous pouvons donc nous demander pourquoi ces chants authentiques, tels que les recherches les ont retrouvés, présentent aujourd’hui à l’oreille des différences aussi marquées.

Les recherches historiques montrent que, d’une part, il n’existe pas d’apparitions spontanées de chants originaux, mais que, d’autre part, aucune tradition ne se déduit automatiquement de celle qui la précède immédiatement dans le temps. Toujours, après une période d’imitation et de tâtonnements, il se produit comme une nouvelle naissance d’un art distinct de celui qui le précède, mais cependant lié à lui dans une mutation continue. C’est ainsi que le chant « grégorien » n’est pas le résultat d’une simple traduction en latin du chant gréco-syrien, mais la nouvelle naissance d’un chant qui épouse les particularités do la langue latine et de la mentalité occidentale. Il en est de même du chant « vieux-slave » et, en particulier, du chant « russe » qui, bien que né du chant byzantin, donna très rapidement naissance à une création tout à fait nouvelle.

Si, dans ces chants, on trouve, dans l’état où ils se présentent actuellement, des différences marquées, on y trouve aussi des points communs importants. Or jusqu’ici, la question ne semble pas s’être posée de savoir si, en étudiant ces caractères communs, on ne pourrait pas en déduire des principes intemporels qui pourraient servir à nouveau de base pour construire une musique adaptée aux langues nouvellement entrées dans les liturgies, sans toutefois couper le lien avec la Tradition première, toujours féconde. C’est ce que j’ai tenté de faire. Je me suis appuyé sur les considérations générales suivantes.

Dans le domaine de l’art liturgique, la musique occupe une place privilégiée. Elle est un art non directement imitatif. Elle est « spontanéité », car elle possède la puissance (redoutable) de modifier et même de susciter les mouvements de l’être intérieur. Elle possède un caractère fugitif quasi-immatériel : une fois émis, les sons disparaissent du monde physique et ne laissent leur empreinte que dans la mémoire. Par la mémoire, la musique est liée aux couches les plus profondes de la conscience et favorise la connaissance.

Enfin, plus que tout autre, cet art appelle à la participation : l’auditeur est toujours, dans une certaine mesure, « co-créateur » avec l’exécutant, l’auteur et les autres participants.

C’est assurément pour ces diverses raisons que le musique occupe une place prédominante dans toute célébration liturgique.

Par ailleurs, on constate que le choix des matériaux utilisés par une musique liturgique est conditionné par le caractère particulier de la révélation qu’elle doit véhiculer. C’est ainsi qu’une religion adorant par exemple les forces de la nature, utilisera plus volontiers des instruments à vent ou de percussion. Une religion anthropomorphiste comme celle de la Grèce antique, préférera la poésie chantée (musikè), accompagnée d’instruments à cordes pincées (suite discontinue de sons préétablis) représentant l’accord rationnel de la sensibilité humaine avec une loi mathématique traduisible par des nombres.

Tout différents seront les moyens utilisés par le Christianisme. La révolution chrétienne apporte une vision rénovée du monde : c’est la vision biblique avec sa profondeur sémitique traditionnelle, rajeunie par la Bonne Nouvelle de libération et de résurrection. Dans cette révolution, quels sont les points essentiels qui donnent à la musique liturgique chrétienne son caractère spécifique ?

  1. L’Homme est créé de la terre, mais il est animé par le souffle de Dieu et, grâce à ce souffle, il est l’image de Dieu. D’où l’extrême importance du souffle, synonyme d’esprit, et son rôle de véhicule privilégié des paroles sacrées.
  2. Le Royaume des cieux n’est ni un lieu ni une loi extérieure. Il est à l’intérieur de nous. Aucune force extérieure ne peut donc déterminer entièrement notre vie intérieure.
  3. La vérité nous rend libres. Cette vérité n’est ni naturelle ni intellectuelle. C’est un don accordé d’en haut et assimilé vitalement, progressivement, comme une nourriture, par l’être total. Le centre vital de l’Homme n’est pas le cerveau mais le « cœur », l’être global.

Les documents historiques et les témoignages des premiers Pères concordent pour affirmer que sans hésitation, dès les premiers siècles, l’Eglise est amenée à assigner des fonctions précises à sa musique, dans des buts précis :

-.Exprimer des démarches intérieures de l’Homme sans intermédiaire mécanique.

Soutenir, préciser et sanctifier la Parole.

Libérer les participants au culte des contingences du monde extérieur pour les rendre disponibles à l’action de grâce.

– Favoriser l’assimilation et la remémoration de l’enseignement.

Ces buts imposeront tout naturellement le choix des matériaux mis en œuvre dans l’élaboration de la musique liturgique chrétienne. Je reprends ces différents points :

Exprimer : seule la voix humaine (le souffle-esprit) est jugée capable d’exprimer directement l’être intérieur, la « pensée du cœur ». La musique sera donc purement vocale, sans aucune intervention d’instruments. (L’Eglise reste intraitable sur ce point jusqu’au 9ème siècle en Occident et jusqu’à nos jours en Orient,)

Soutenir : seule une cantilène ou une mélodie organiquement née du texte et épousant les rythmes subtils du souffle porteur des paroles et de la pensée est à même d’enrichir et de soutenir le langage. Le chant sera donc composé à partir d’inflexions de la voix et d’un rythme qui se crée au fur et à mesure du développement du discours musical, et non à partir de rythmes calculés d’avance et de notes (qui sont des sons discontinus préétablis).

Préciser : seule une cantilène fixant traditionnellement les accents logiques et emphatiques de la phrase, assure la transmission rigoureuse d’une pensée orale à travers les siècles. D’où l’obligation de cantiler les textes sacrés en éliminant des Offices « le parlé » courant.

Sanctifier : seul un chant traditionnel peut donner au langage la dignité et le poids nécessaires pour énoncer dans une assemblée la Parole divine, ou exprimer la prière collective. Il se crée ainsi un style qui se distingue nettement du style profane. Ce style sera FORMULAIRE pour réveiller, par des associations constantes dans les couches de la conscience, la part du sacré qui y est déjà assimilée.

Libérer : quant au célébrant, seul un certain type d’exécution de la cantilène lui permet de se libérer de sa propre individualité. Il devra donc utiliser des formules traditionnelles simples mais souples, sévèrement sélectionnées, et ne pas s’en écarter. Quant aux fidèles, seul un certain type de chant leur permet de se libérer des soucis quotidiens et des états passionnels. (L’Offertoire de le Liturgie byzantine ne dit-il pas : « Déposons tous les soucis de ce monde… »?). Ce chant, tout en évitant les associations de pensée avec le monde extérieur, ne doit en aucun cas avoir de caractère envoûtant, voire magique, ni même créer une « atmosphère de prière ». Il ne doit pas exciter ni bercer, mais tenir en éveil et rendre disponible à l’action de la grâce divine. D’où le choix d’un rythme libre, ni syncopé ni régulier, et de modes ne contenant pas d’attractions contraignantes.

Assimiler et mémoriser un enseignement oral, tel qu’il est donné par la Liturgie, ne peut être facilement assimilé, mémorisé et transmis que s’il est élaboré en un nombre limité de formules bien frappées et agençables en combinaisons nombreuses et variées. La rencontre, dans une nouvelle combinaison, d’une formule déjà connue et aimée, entraîne des associations intérieures qui assurent la cohérence générale de la doctrine et sa plus profonde compréhension. La musique suivra dans ce sens le texte sacré : elle ne sera pas construite à partir de notes isolées ou de mélodies déjà composées ; elle sera, elle aussi, « formulaire », construite à partir de cellules musicales plus ou moins développées, unies entre elles en ensembles cohérents, conçus non comme des pièces indépendantes, mais comme membres de ces grands corps vivants que sont l’Office et l’Année liturgique.

Ces exigences et les règles de composition et d’exécution qui en découlent sont communes à toutes les musiques liturgiques chrétiennes authentiques. Les différences mélodiques que nous avons constatées entre les grandes familles de chants liturgiques sont dues au fait que les structures des langues auxquelles les mêmes principes de composition ont été appliqués, étaient différentes.

Je me suis donné pour tâche de dégager ces principes généraux, de les réduire à l’essentiel et de les appliquer à la création d’un ensemble de chants liturgiques en français pour l’Eglise orthodoxe.

Comme ces chants sont destinés à des fidèles et un clergé d’origine et de culture occidentales, il était conforme à la tradition ecclésiale de baser aussi bien les structures des Offices que la musique qui les rend vivants, sur des éléments surtout « occidentaux », par exemple grégoriens. J’ai commencé à faire ce même travail depuis quelques années pour des communautés de langue allemande, et j’observe un phénomène intéressant : l’application des mêmes principes et des mêmes cellules musicales à la langue allemande, donne déjà, à l’oreille, des résultats différenciés.

Maxime Kovalevsky

[1]. Une « férie » est un jour de semaine sans célébration particulière.

[2]. A l’image du Temple de l’Ancien Testament (qui se composait de trois parties : le « Temple » proprement dit, le « Saint » et le « Saint des Saints ») l’église est – en principe – divisée en trois parties : le « narthex », séparé de la « nef » par une grille ou un mur ajouré, la nef, et enfin le « sanctuaire », séparé de la nef par une cloison plus ou moins haute selon les époques et les usages locaux. C’est. l' »iconostase » des églises orthodoxes, recouverte d’icônes et percée de trois portes, celle du centre (à deux battants : « Portes Saintes » ou « Portes Royales ») symbolisant l’entrée du Royaume des cieux. Dans nos églises orthodoxes occidentales, l’iconostase est réduite à des proportions telles qu’elle ne dissimule pas l’action liturgique des prêtres.

[3]. L’antienne est un verset qui annonce et encadre un chant où il peut aussi s’intercaler. On peut la comparer à un refrain.

[4]. Tropaire : composition monostrophique en prose rythmée, d’origine byzantine, exposant le sens de la fête dans un style concis, facile à retenir et à exécuter par tous.

[5]. En Occident, l’usage populaire a introduit, dans ce temps de préparation et d’abstinence, le « mardi-gras », veille du Mercredi des Cendres, où l’on mange « gras » pour la dernière fois jusqu’à Pâques. Cet usage fait aujourd’hui partie du folklore puisqu’en fait, dans l’Eglise romaine, des dérogations permettent de ne faire abstinence que durant quelques jours. Dans l’Eglise orthodoxe tous les jours de Carême sont observés de la même manière, sauf les samedis et les dimanches où est permise une légère relâche.

[6]. Le mot « Carême » vient du latin « quadragesimus » : quarantième.

[7]. C’est ce qui nous semble expliquer logiquement l’origine de la mobilité du cycle pascal : pour suivre un ordre chronologique précis, il était impossible d’adapter le calendrier solaire instauré par Jules César, à des événements qui s’enchaînent et se précipitent sur une courte période dont les Evangiles nous relatent le contenu suivant le calendrier lunaire en vigueur dans le monde sémitique à l’époque du Christ.

[8]. Dans les récite de la vie du Christ, le mot « passion » n’a jamais un autre sens que celui – étymologique – de « souffrance », de « série de tourments ».

[9]. Cet Office à la fois réaliste et transposé, extrêmement vivant, a donné. naissance en Occident à la forme littéraire et musicale des « Passions », très répandue à partir de la fin du XVIe siècle (Schütz, Bach,Teleman…).