Histoire de l’Église des Gaules (Georges Lusseaud)

HISTOIRE RELIGIEUSE DE L’ÉGLISE DES GAULES
DU Ier AU VIème SIÈCLE

Père Georges LUSSEAUD

1 – PROLOGUE A L’HISTOIRE CHRÉTIENNE DES GAULES

Terre Sainte et Galilée

La conquête romaine

La domination romaine

La Galilée

Maison de Lazare et saintes Maries de la mer

2 – HUMBLES PLONGÉES JUSQU’AUX RACINES DE NOTRE HISTOIRE

L’excursion gauloise à Rome

De 218 à la fin du IIe s. av. J.0

1er siècle avant l’Incarnation du Verbe

Jusqu’au débarquement chrétien

Chronologie

3 – LE IIe SIÈCLE

L’Eglise de Lyon subit la persécution (177)

Comment vivent les chrétiens ?

Les hérésies

Pères apostoliques

Le gnosticisme et Irénée de Lyon

4 – LE IIIe SIÈCLE

Les cruautés de l’empire militaire

Début de la persécution systématique (202)

Premier concile de Carthage (220)

Persécution de Dèce, début du monachisme (250)

Le schisme de Novatien (251)

Le Concile de Narbonne, premier des Gaules (255)

La paix de Gallien

Début du bas-empire

La suprême persécution hors des Gaules

5 – DÉBUT DU IVe SIÈCLE

Suite du contraste

Le schisme de Donat (311)

Le grand Concile d’Arles (314)

Chronologie des persécutions

6 – LE IVe SIÈCLE

Le règne de Constantin le Grand

Début de l’hérésie arienne (321)

Monachisme cénobitique (323)

Athanase révèle le monachisme aux Gaules (336)

L’arianisme d’Ulfila (341, 342)

Athanase : le dénouement

Installation de l’arianisme en Gaule (353)

Hilaire de Poitiers, et suite du dénouement d’Athanase

Conciles orientaux, avec Hilaire (357-358)

Le Concile de Paris (360)

Julien l’Apostat (361-363)

Plein essor de l’Eglise des Gaules (365)

Le christianisme, foi officielle (380)

Le pèlerinage de Silvia Théria (393-395)

Le début des invasions (400-405)

7 – ENTRÉE DANS LE Ve SIÈCLE

L’Église dans l’oikouménè

Les Gaules

Les Barbares

Les ethnies barbares

La poussée asiatique

Barbares et société romaine

Religion des Barbares et culture germanique

8 – Ve SIÈCLE – LE CHOC DES GRANDES MIGRATIONS

406-410 – La Gaule sous le choc des migrations germaniques

Dernière année de l’invasion générale de la Gaule

411-414 – Installation des Barbares

415-416 – Début de la controverse sur le pélagianisme

417-419 – Malaise dans les pays occupés par les Wisigoths ariens

420-423 – Début de la controverse sur l’augustinisme

424-431 – Double problème : pélagianisme et augustinisme

Le point sur l’installation des ethnies germaniques

9 – Ve SIÈCLE – LA FUSION GALLO-GERMANIQUE

440-456 – Reprise de l’activité conciliaire dans les Gaules

Quelques évêques des Gaules du Ve siècle

457-466 – Fusion gallo-franque en Gaule nordique et agonie de la Romania d’Occident

10 – Ve SIÈCLE – LE DÉNOUEMENT

467-476 – Premier acte final : disparition de la Romania d’Occident

477-499 – Deuxième acte final : naissance de la France, bastion de l’orthodoxie

11 – ENTRÉE DANS LE VIe SIÈCLE

Contre pélagianisme et augustinisme

Monachisme

Bilan des migrations

Géopolitique gallo-franque

Pourquoi le Midi se veut-il latin ?

12 – VIe SIÈCLE – SOUS CLOVIS L’ORTHODOXE

500-511

13 – VIe SIÈCLE – L’OEUVRE DE SAINT CÉSAIRE D’ARLES

512-542

La société gallo-franque et les lois

14 – VIe SIÈCLE – RÉFLEXIONS SUR LA VIE RELIGIEUSE DE L’OCCIDENT

15 – VIe SIÈCLE – LA DEUXIÈME MOITIÉ

16 – LA FIN DU VIe SIÈCLE

De 572 à 585

Le Concile de Tolède de 589

589-600 – La fin du grand siècle orthodoxe

Réflexions finales sur le VIe siècle

1 – PROLOGUE À L’HISTOIRE CHRÉTIENNE DES GAULES

TERRE SAINTE ET GALILÉE

AU 1er SIÈCLE, SITUATION DE L’ÉGLISE SUR L’ÉTENDUE DE LA TERRE

On a contesté la date de la mort du Christ : 30 ou 33 ? Les données astronomiques invitent à préférer la date traditionnelle : 33. Il s’agit du premier Vendredi Saint, situé au cours de la fête de la pâque, célébrée le 15 du mois de nisan, le soir de la pleine lune. Or, en 30, la pâque commença un jeudi ; mais en 33, un vendredi – toujours en se basant sur la pleine lune.

33 – Année de la Croix, de la Résurrection, de l’Ascension et de la Pentecôte.

Le règne de Tibère, commencé en 14, touche à sa fin. Il s’achèvera en 37, avec l’avènement de Caligula.

LA CONQUÊTE ROMAINE

Vers 100 av. JC, les Esséniens croyaient en la divinité d’un Messie appelé «Le Maître de Jus­tice». Ce personnage mourut de mort violente en 65 av. JC, tué par «les enfants des ténèbres». Prenant eux-mêmes le nom d’«élus de Dieu», les Esséniens entraient, disaient-ils, dans «la Nouvelle Alliance» et y étaient initiés par un baptême. Leur rite essentiel était le repas sacré dont les ministres étaient des prêtres[1] . Il n’est pas impossible que Jean-Baptiste ait enseigné selon la méthode essénienne. L’historien juif Max-I. Dimont[2] remarque : «Ce n’était pas là une notion non orthodoxe, ou hérétique, pour les Juifs qui depuis des siècles pratiquaient différents rites de purification par l’eau. Jean-Baptiste proclamait également qu’il était l’envoyé de Dieu et qu’il avait pour mission de donner accès au Royaume de Dieu. Le fait que Jean-Baptiste ne fût pas traîné devant les tribunaux prouve bien que ni les Pharisiens, ni les Sadducéens ne voyaient là une idée blasphématoire. Ce ne fut pas pour une raison politique ou religieuse que Jean-Baptiste fut condamné à mort par un roi iduméen, Hérode Antipas, nommé par les Romains gouverneur de la Galilée, et ce parce qu’il avait flétri le mariage d’Antipas avec sa nièce, mariage qu’il considérait comme illégal et incestueux».

La Palestine fut conquise par les Romains en 63 av. JC.

Mais il nous faut revenir en arrière, vers 200. Depuis longtemps, la question de l’hellénisme divisait les Juifs. Le prêtre Jason était allé jusqu’à ouvrir les portes du Temple aux rites païens. Les fidèles de l’antique Loi de Moïse se groupaient dans le parti Hassidéen[3] . Ils se révoltèrent et massacrèrent les Hellénistes. À ce moment, régnait Antiochus Épiphane, roi des Séleucides, dont le dessein était d’helléniser les Juifs. Antiochus avait invité les païens à venir en grand nombre noyauter la population de Jérusalem. (Notons qu’avant ces événements, des Juifs pénétrés de culture hellène, à Alexandrie, avait traduit la Bible en grec : la Septante).

Un fonctionnaire grec voulut contraindre un vieux prêtre juif, Mattathias, de sacrifier aux idoles. Pour toute réponse, il fut égorgé. Antiochus ayant ordonné des représailles, le peuple juif se souleva tout entier sous la conduite de Mattathias et de ses cinq fils, en 198 av. JC. On les appela les Macchabées. Ce mot a deux significations : «marteau», car les Hébreux révoltés se servaient de cet instrument pour massacrer les Séleucides; mais il peut être aussi une contraction des premières syllabes de leur cri de guerre «mi-leo-mocho-ba-eilim», «qui est semblable à Toi, ô Éternel». Cette guerre de religion stupéfia les Grecs en leur prouvant l’héroïsme et les qualités militaires du petit peuple juif. En 164 av. JC, celui-ci avait reconquis Jérusalem. Ce triomphe est à l’origine de la fête d’Hanouka.

Simon, l’unique survivant des Macchabées, signa un traité de paix en 143 av. JC. Le Royaume de Juda ressuscitait. Sans devenir roi lui-même, Simon fonda la dynastie asmonéenne. Mais la querelle à propos de l’hellénisme reprit de plus en plus âprement. Les Hassidim se scindèrent alors en trois parties : Esséniens, Pharisiens, Sadducéens. Retirés de la vie publique, les Esséniens formaient des communautés de type monacal, animées d’un puissant esprit messianique ; les Pharisiens s’attachaient à la synagogue, au rabbin, à la prière ; les Sadducéens, au Temple, au grand-prêtre, aux sacrifices.

Simon mourant de la main de son gendre, son fils Jean Hyrcan fut sacré tout ensemble roi et (oint) grand-prêtre. Ce cumul indigna les scrupuleux Pharisiens dont il était issu.

Il se fit donc sadducéen, puis se mit à favoriser l’hellénisation, cette bête noire. En 135 av. JC, il annexait les terres païennes d’Idumée et de Galilée, dont il convertit les habitants au judaïsme à la force de l’épée.

(D’Idumée devait sortir un roi haï par les Juifs : Hérode le Grand. Ce fut en en Galilée que le Christ vécut longtemps et prêcha, près d’un siècle et demi plus tard).

Aristobule 1er succéda à Hyrcan. L’hellénisation fut aussitôt poussée à son extrême. Un an après, régnait son frère Alexandre, Jannée. Le schisme entre Pharisiens et Sadducéens atteignit son point culminant. En 78 av. JC, Jannée mourut et sa femme Alexandra lui succéda jusqu’en 69.

Excellente souveraine, Alexandra se rangea du côté des Pharisiens et les Sadducéens souffrirent la persécution. Puis ce furent, tour à tour, ses fils ennemis Hyrcan II et Aristobule II – qui firent tant et si bien (si nous osons dire) qu’en 67 av. JC la guerre civile éclata.

Or, les Romains, sous la conduite de Pompée, venaient de conquérir la Syrie. Ils sommèrent Hyrcan d’abandonner le trône, et celui-ci, effrayé par l’extraordinaire puissance romaine, s’exécuta sans discuter et quitta le pays. Ayant choisi de résister (diplomatiquement), son frère Aristobule s’empara de nouveau du pouvoir.

Voyant cela, de son exil précipité Hyrcan en appela à Pompée pour qu’il le fît remonter sur le trône en tant qu’héritier présomptif. Surenchérissant en servilité obséquieuse, Aristobule fit valoir, auprès du même général romain, ses droits à la couronne. Quant aux Pharisiens, ils implorèrent Pompée de ne reconnaître ni l’un ni l’autre. En 63 av. JC, n’écoutant ni les uns ni les autres et se contentant d’un haussement d’épaules, Pompée conquit le royaume de Juda et l’appela Judée.

Ainsi finit, par la faute de leurs descendants si vite dégénérés, l’œuvre des Macchabées.

Voilà donc les Romains.

En 48 av. JC, Jules César, le conquérant des Gaules, de la Bretagne et autres lieux d’Europe occidentale, imposa sa dictature aux Romains. Il élimina Pompée, qui mourut de la main d’un assassin. Jérusalem passa au domaine de Rome. En 30 av. JC, avènement d’Octavien. Les Romains étaient les maîtres du monde. Mais ils subissaient un complexe d’infériorité à propos des Grecs, qu’ils se mirent à copier, avec une lourde maladresse, en toutes choses. En art, en littérature, en science, les Romains ne produisirent que des copies de second ordre des œuvres grecques. Notons que Rome s’écroula, quelques siècles plus tard, en conséquence de ce que l’histoire devait un jour séparer Rome de la Grèce.

Cela aide à comprendre que les Romains n’exercèrent aucune influence culturelle sur le peuple juif. Leur domination était d’un tout autre ordre.

LA DOMINATION ROMAINE

Les Romains sont maîtres de la vie matérielle : ils ont l’épée. Mais les Grecs continuent d’orien­ter la vie intellectuelle des Juifs : ils sont le cerveau.

Reprenons l’histoire à partir de 63 av. JC. Pompée s’institue gouverneur militaire jusqu’en 48. Mais il charge un Juif et un Iduméen de gouverner à sa place. Il nomme Hyrcan grand-prêtre et, ce qui signifie gouverneur, ethnarque. Il lui joint un conseiller politique : un Iduméen particulièrement odieux, Antipater.

Pompée mort, César nomme Antipater administrateur de la Judée. Ce triste personnage meurt en 43 av. JC, empoisonné par des membres de sa famille. Son fils Hérode lui succède.

Hérode est un monstre. L’empereur Octavien le nomme roi des Juifs. Son premier geste : l’assassinat d’Hyrcan. De son côté, Aristobule, emmené en captivité à Rome, meurt empoisonné. Ainsi s’achève la dynastie asmonéenne fondée en 143 par Simon Macchabée. Antigonus, à la tête du soulèvement juif, bat les légions romaines et les chasse de Judée. Mais ayant repris Jérusalem en 37 av. JC, Hérode fait exécuter Antigonus avec 45 membres du Sanhédrin. Convertis au judaïsme par l’épée en 135, les Iduméens sont maintenant les maîtres du peuple qui les a ainsi convertis.

Comment Hérode, le plus ignoble assassin de cette époque, put-il être appelé «le Grand» ? Cela reste un mystère. Il tua ses rivaux, son épouse favorite, plusieurs de ses fils, et, quand on annonça la naissance du Christ, il ordonna le massacre de tous les enfants mâles au-dessous de deux ans. Ce qui nous amène à l’Évangile selon saint Matthieu et à l’avènement du Verbe incarné.

À la mort d’Hérode, ses deux fils règnent sur les Juifs. À Antipas, les Romains attribuent la Galilée ; à Archelas la Judée, la Samarie et l’Idumée.

Cédant à la prière des Juifs, Octavien, l’empereur maintenant appelé Auguste, dépose le féroce Archelas. A sa place, il nomme des procurateurs dont l’administration, aussi funeste que celle d’Hérode et de son fils, se prolonge jusqu’en 66 ap. JC.

En Galilée, Antipas, le souverain qui condamne à mort Jean-Baptiste, excellent administrateur et favorable à l’hellénisation, introduit le mode de vie des Grecs. Convertis de force au judaïsme en 135 av. JC, les Galiléens acceptent cette hellénisation, qu’ils confondent maintenant avec le judaïsme lui-même. Mais ils tolèrent avec difficulté la domination romaine. Des révoltes éclatent. De même qu’en Judée, deux partis se sont formés : l’un pour la paix et la collaboration avec Rome; l’autre, celui des zélotes, pour la guerre. Les zélotes ont repris, contre l’occupant romain, la tradition des Hassidim et des Macchabées. Dans leurs rangs, dominent les Pharisiens.

Et cependant les Pharisiens représentent un élément relativement modéré de la résistance juive. Ils développent la tradition orale (et rabbinique) de la Torah. Plus rigides, les Sadducéens, riches matérialistes qui ne croient ni à l’immortalité de l’âme ni à la résurrection et interprètent la Loi à la lettre et non dans l’esprit. Très différents, les Esséniens : «Ils voyaient un mal dans la recherche des plaisirs et une vertu dans la pratique de la chasteté et la domination des passions[4]

En 6 ap. JC, les Galiléens se révoltent donc contre Rome. Répression impitoyable.

Entre 7 et 41, sept procurateurs romains se succèdent en Judée. Parmi eux, de 25 à 36 ap. JC, Ponce-Pilate – qui réside, lors de la fête de la pâque, tantôt dans l’ancien palais d’Hérode le Grand, tantôt et le plus souvent dans la forteresse Antonia, au nord-ouest de l’esplanade du Temple. Pendant l’enfance du Christ, Pharisiens, Sadducéens et Esséniens ont rejoint en masse les rangs des zélotes. De 41 à 44, les Romains fabriquent un éphémère roi des Juifs : Agrippa 1er, petit-fils d’Hérode. Il tombe dans la mer au cours d’une cérémonie et se noie le plus bêtement du monde. Après lui, le procurateur Albinus. Puis Florus, qui sera le dernier. Ce Florus, par ses exactions, provoque l’insurrection des zélotes qui, en 66, massacrent la garnison romaine de Jérusalem.

Survient alors le sage rabbin Jochanan ben Zacca, qui conclut une paix avec l’empereur Vespasien, sauvant ainsi le judaïsme. Il fonde à Jabné une académie, la eschiba, aux fins de transmettre l’enseignement judaïque aux Juifs dispersés dans le monde gréco-romain. Mais les 80.000 soldats de Titus, fils de l’empereur, assiègent Jérusalem, qui, en 70, subit un horrible massacre et tombe. L’arc de triomphe de Titus se dresse dans le ciel romain au moment où l’Église pousse ses rameaux en tous pays d’Orient et d’Occident.

LA GALILÉE…

Vers 1500 av. JC, les rois de l’est du Jourdain furent vaincus par Moïse. Avant 1200, les rois de l’ouest du même fleuve étaient soumis par Josué. Parmi eux, le roi de Qédech. Cette cité devint une ville-refuge où les criminels pourraient séjourner en paix dans l’attente de leur jugement. «On consacra Qédech en Galilée, dans la montagne de Nephtali»[5] . «Aux fils de Guerchân, d’entre les clans de Lévi, on donna, de la demi-tribu de Manassé, la ville de refuge pour le meurtrier, Colân en Bachân et ses pâturages… De la tribu de Nephtali, la ville de refuge pour le meurtrier, Qédech en Galilée et ses pâturages[6] …»

Vers 935 av. JC, «… comme Hiram, roi de Tyr, avait fourni à Salomon des bois de cèdre, des bois de cyprès et de l’or, autant qu’il en désirait, alors le roi Salomon donna à Hiram vingt villes au pays de Galilée[7] ».

Vers 730, quand Péqah, le pécheur, devint roi d’Israël (737-732), le roi assyrien Téglat-Phalasar, en marche vers Damas, déporta en Assyrie les habitants de Galilée et ceux d’autres contrées[8] .

Tobie, de la tribu de Nephtali, subit cette déportation. «…Tous mes frères et la maison de Nephtali, mon père (ancêtre), sacrifiaient au veau que Jéroboam, roi d’Israël, avait fabriqué à Dan et sur tous les monts de Galilée[9] ». Ce pays était donc devenu un lieu idolâtrique.

Vers 160, les combats dirigés par Simon se déroulaient en Galilée et en Galaad (aujourd’hui la Transjordanie). Mais voici qu’il est question d’une «Galilée des étrangers» : c’était la partie septentrionale, où s’étaient installés des Arabes et des Syrophéniciens. La Galilée n’avait jamais été un pays juif[10] .

En effet, en 135, elle fut convertie au judaïsme, ainsi que l’Idumée, à la force de l’épée. Moins d’un siècle et demi avant l’incarnation du Verbe divin…

Averti en songe par l’ange, en Égypte après la mort d’Hérode, le juste Joseph prit avec lui l’Enfant divin et sa Mère et les emmena au pays d’Israël. «Mais apprenant qu’Archelas régnait dans la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur et, averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter une ville appelée Nazareth[11] ».

Jésus venait de Galilée[12] quand Il se rendit vers Jean-Baptiste pour être baptisé. Apprenant la mort tragique du Baptiste[13] , Il se retira en Galilée. C’est au bord de la «mer de Galilée», ou lac de Tibériade[14] , que le Seigneur appela son premier apôtre, le pêcheur André. En Galilée[15] , Il renouvelle à ses disciples l’annonce de sa Passion. «Les foules disaient : c’est le prophète Jésus, celui de Nazareth en Galilée[16] ». Après la sainte Cène, dit le Seigneur, «Je vous précéderai en Galilée[17] ».

Pendant la Passion, on remarquait un grand nombre de femmes dans la foule, «celles-là mêmes qui avaient suivi Jésus de Galilée pour le servir ; parmi lesquelles était Marie la Magdaléenne, et Marie mère de Jacques, et la mère des fils de Zébédée[18] ».

Après la Résurrection du Sauveur, l’ange dit aux saintes femmes galiléennes : «Il s’est relevé des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée[19] ». «Quant aux onze disciples, ils allèrent en Galilée, sur la montagne que leur avait désignée Jésus, et l’ayant vu, ils se prosternèrent[20] …».

Alors qu’à Jérusalem le christianisme, du vivant de Jésus, se heurta à l’opposition tenace de tous les chefs et de tous les partis, unis contre lui pour la circonstance, en Galilée, il reçut l’accueil chaleureux du peuple.

Convertie au judaïsme en 135 av. JC, par la force de l’épée, la Galilée n’était pas en vérité un pays juif.

Il y eut, vers 1200 av. JC, l’anéantissement de la race cananéenne par Josué. Josué remit le pays de Galilée aux descendants de Nephtali[21] , lequel ancêtre était de Jacob et de Rachel. Et telle avait été la bénédiction de Jacob : «Nephtali est une biche en liberté, qui donne de beaux faons[22] ».

Or, dans la suite des temps, ce pays, par sa race peut être dominante, avait une parenté profonde avec la Gaule.

Les Galiléens étaient les Gaulois établis à l’ouest du Jourdain, mêlés à de nombreux autres peuples, très épris de culture grecque.

MAISON DE LAZARE et SAINTES MARIES DE LA MER

Pendant le premier millénaire orthodoxe, l’âme de la France parlait à nos pères. Notre pays s’exprimait alors de toute son âme. Du plus savant au plus humble, chacun recevait le souffle d’une histoire merveilleuse. Tous baignaient dans le merveilleux chrétien.

Innombrables traditions orales. On en retrouve les bribes disparates comme ce qui reste d’un trésor dans l’épave d’un navire écrasé au plus lourd du fond de la mer. Mais où les retrouve-t-on ? Dans ce qui reste de l’enseignement oral bénédictin et surtout cistercien, et plus encore dans sa confluence écrite : ce que nous a laissé la chevalerie médiévale. Car il y eut alors des écrivains : Chrestien de Troyes, Robert Boron de Montbéliard…; et des chanteurs appelés trouvères et troubadours, colporteurs de poèmes à clés; et donc le cycle d’Arthur… Pour saisir quelques éléments épars avec la délicatesse de tact que requiert leur fragilité, il nous faut déchiffrer les mythes : un peu celui de Roland et, beaucoup plus, ceux du saint Graal. Il nous faut aussi en reconnaître le souffle dans l’antique liturgie des Gaules aujourd’hui ressuscitée. Et cela, nous l’avons à portée du cœur et de la main.

Notons à ce propos, que l’histoire religieuse – si intimement liée à l’historiosophie – est, elle aussi, épiclétique.

Enseigné par les druides qui prédisaient qu’un dieu naîtrait d’une vierge, notre ancien peuple avait le sens des mythologies sacrées, mais pas le moins du monde le souci de laisser des traces écrites. Trop optimiste ? Ou bien : les druides devaient-ils sciemment disparaître en silence lorsque viendraient de l’Orient les disciples de l’Incarné attendu ?

La Gaule a vécu depuis de longs siècles dans la méta-histoire. Directement. De plain-pied. Sans l’intermédiaire (pourtant indispensable en soi) de ce que, depuis la fin des temps modernes, de Jules Michelet à Marc Bloch, nous appelons l’histoire. La Gaule ne comptabilisait pas les événements, leur chronologie, leur formule «chimique». Elle n’analysait pas la politique et l’économie. Elle allait d’un seul bond aux signifiances : la geste, l’icône gestuelle. Ainsi vécut-elle un « ancien Testament » mystérieux, dont la Bible, qui ne prit jamais l’aspect d’un livre, n’existe plus.

Voici vers quoi les traditions gauloises convergent : autour de l’an 44, débarquèrent sur les côtes de Provence ceux de la maison de Lazare, les saintes Marie, Marthe, et avec elles Joseph d’Arimathie. Ce n’étaient pas des apôtres comme à Jérusalem, Ephèse, Antioche, Athènes, Corinthe, Rome…, c’étaient les amis intimes, les familiers du Seigneur. Et la première Église fut Marseille : peut être les chrétiens grecs qui la fondèrent, marins et négociants, vinrent-ils un peu avant ou un peu après. Et les familiers du Christ remontèrent la vallée du Rhône. Et se joignirent à ceux des missionnaires syriaques, des chrétiens de Smyrne et d’Antioche. Et naquit l’Église de Lyon. Et naquirent les Églises d’Arles et de Narbonne. Et l’on dit que Zachée le publicain, sous le nom d’Amadour, fonda, ailleurs en Gaule, une Église. Et l’on n’entendit plus parler de Joseph d’Arimathie. Et commença le silence définitif des druides. Et bientôt, fort loin de la Provence et du fleuve Rhône, la Bretagne chrétienne naquit.

Qu’était la maison de Lazare ?

«Comme ils faisaient route, il entra dans un village, et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Et celle-ci avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole[23] » Ce village était Béthanie : proche de Jérusalem, sur le flanc oriental du mont des Oliviers. Jésus y habita lors de son dernier séjour en la ville sainte. Marthe et Marie étaient de la maison de Lazare. Qui devint l’ami du Seigneur.

«Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe sa sœur. C’est cette Marie qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c’est son frère Lazare qui était malade… Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare[24] ». Le Christ eut des disci­ples, des apôtres, et des amis familiers. Lazare et ses sœurs en étaient. Lazare mourut de sa maladie pendant que le Christ allait en Judée. À son retour, Il le ressuscita[25] .

Après quoi, «la foule nombreuse des Juifs connut que Jésus était là, et ils vinrent, non seulement à cause de Jésus mais aussi pour voir Lazare qu’Il avait relevé d’entre les morts. Et les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs s’en allaient à cause de lui et croyaient en Jésus[26] ».

Il y a d’autres Marie.

Marie la Magdaléenne. Magdala était un bourg presque riverain du lac de Gennésareth. Présente à la Passion, avec Marie mère de Jacques et de Joseph, un adolescent aussi appelé Joset, et Marie la mère des fils de Zébédée[27] . «Elles regardaient de loin», précise l’évangéliste Marc[28] . Les trois Marie avaient acheté des aromates pour venir l’embaumer[29] . Les premières, avant tous les autres, «Marie la Magdaléenne et l’autre Marie[30] » vinrent regarder au sépulcre et constatèrent la Résurrection. La mère des fils de Zébédée est Marie Salomé.

Qui était Joseph d’Arimathie ?

Patrie du prophète Samuel, le village d’Arimathie se tenait non loin de Lydda, au nord-ouest de Jérusalem, dans la plaine de Sarôn. Joseph, un homme riche de cette bourgade, «entra hardiment chez Pilate et lui demanda le corps de Jésus[31] ». Il eut cette audace, cet homme qui n’était pas un apôtre et qu’on ne remarquait guère dans la compagnie des disciples… Il y avait de mystérieux secteurs d’amour dans l’entour de l’Incarné… «Joseph d’Arimathie roula le corps du Christ dans un linceul propre et le mit dans un tombeau tout neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc[32] ».

Tout ce que Dieu a créé tend naturellement vers le sacrement et vers l’icône. Cette tendance exprime la vocation de tout ce qui existe à la louange multiforme du Christ et à la transfiguration finale. Or, ce cours nourrit l’ambition de vous initier à l’histoire religieuse.

Et cette histoire religieuse, historiosophie priante, prend place dans la théologie. Théologie en général. En particulier, théologie de l’Incarnation et théologie de la situation.

Au départ de cette initiation, nous remarquerons qu’il est relativement aisé, pourvu que le lecteur soit croyant et pieux, de faire sentir aux intelligences la vocation doxologique des animaux, des plantes et des minéraux. Le cosmos reste une grande et attractive inconnue dans maintes équations tourmentées. Mais remarquons aussi qu’il est plus difficile de faire toucher l’icône dans les événements – ce qui arrive – : l’histoire théologique est ressentie comme seule concevable. L’Occident, et contaminé par lui le monde entier, ignorent que ce qui arrive porte signifiance autant que ce qui se contente d’exister et de vivre dans son plan. Or, la vocation de l’Occident orthodoxe fut pendant mille ans, et redeviendra tant qu’il plaira à Dieu que nous puissions prier, penser et agir dans l’histoire, de manifester que l’icône est aussi dans l’action, qu’elle soit construction, combat ou pèlerinage.

2 – HUMBLES PLONGÉES JUSQU’AUX RACINES DE NOTRE HISTOIRE

AU PLUS PROFOND DE L’ÉPAVE

L’EXCURSION GAULOISE À ROME

En 390 av. JC, les Sénons marchent sur Rome. Ils entrent dans la ville et ressentent un profond dépaysement. Stupeur. Il s’étonnent, par exemple, que les Latins soient tous imberbes… c’est-à-dire rasés.

Profitant de ce désarroi d’une horde qui ne sait pas au juste ce qu’elle est venue faire dans cette cité déconcertante, les Romains se réfugient sur le Capitole et résistent à l’envahisseur incertain. Les Gaulois se retirent après avoir perçu une rançon. Et de nouveau, Rome respire…

Pendant ce temps, Cambyse, roi des Perses, a conquis l’Égypte. En terre sainte, où l’on a reconstruit le Temple de Jérusalem en suite de la fin de l’exil des Hébreux en Babylonie, la culture grecque connaît un regain d’influence. Puis, après 334 av. JC, Alexandre le Grand, ayant vaincu les Perses au Granique, deviendra le maître du Moyen-Orient et annexera la Palestine.

DE 218 À LA FIN DU IIème SIÈCLE…

En 218 av. JC, de nombreux Gaulois épris d’aventure s’engagent dans l’armée d’Annibal contre les Romains. C’est en effet l’époque des guerres puniques. Jusqu’à 200, vainqueurs, les Romains dominent le bassin méditerranéen. L’empire d’Alexandre entre dans la division, partagé en royaumes des Séleucides et des Ptolémées, et dans la décadence. Les Ptolémées gouvernent l’Égypte et la Palestine; les Séleucides, l’Asie Mineure et la Babylonie. La Palestine sera gouvernée par les Ptolémées de 393 à 198 av JC, possédant une administration indépendante présidée par un grand prêtre. En 198, les Séleucides y évincent les Ptolémées, et commence la guerre des Macchabées. Ces derniers fondent la dynastie asmonéenne, troublée par les luttes entre Sadducéens et Pharisiens.

Dans les Gaules, domine l’ethnie des Arvernes. En 120 av. JC, un acte de non-agression est conclu entre les Éduéens et les Romains. Mais ces derniers en profitent pour s’emparer de la Gaule méridionale. Deux ans plus tard, en 118, envoyé par les frères Gracque, consuls, Domitius Aherobarbus romanise l’ethnie méridionale des Tectosages. La Narbonnaise passe sous l’autorité du Sénat. Ici naît la « Gaule en toge », latinisée, opposée à la «Gaule chevelue» (Galia comata) plus ou moins centrée sur Gergovie ou Bibracte. Cette Gaule en toge (Galia togata) comprend nos actuelles provinces de Languedoc et Provence.

Pendant que s’effritent les cités grecques, qui formaient autant d’États, Annibal est vaincu par les Romains. Ceux-ci, au terme victorieux de la troisième guerre macédonienne, deviennent les maîtres de la Grèce.

En 102 av. JC, Marius, général romain, réprime la révolte des Gaulois méridionaux qui ont essayé de revenir à leurs traditions ancestrales.

Ier SIÈCLE AVANT L’INCARNATION DU VERBE

Les Éduéens deviennent maintenant l’ethnie dominante de la mosaïque de peuples gaulois. Cette prééminence s’explique par leur contrôle de la vie batelière sur Saône, Doubs, Rhône, Seine et Moselle. En 72 av. JC, le roi éduen Celtil règne effectivement sur la Gaule. Son fils est appelé Vercingétorix.

En 59 av. JC, César entre chez les Helvètes.

Que s’est-il passé ? Le druide Diviciac a rencontré l’orateur romain Cicéron à Tusculum, résidence proche de Rome. Il sollicite l’aide latine contre l’envahisseur germain Arioviste. Mais son frère Dumnorix, roi des Éduens, pactise avec ledit Arioviste afin d’enserrer les Romains dans une tenaille. Jules César, qui en conçoit une grande colère, nous laisse ce récit des événements[33] :

«…César pensait avoir assez de motifs pour sévir contre Dumnorix. Mais une considération le retenait, c’était le total dévouement de son frère Diviciac au peuple romain, son extrême attachement à sa personne, son incomparable fidélité, sa droiture et sa modération. Ce qui le retenait, c’était la crainte de s’aliéner Diviciac en envoyant son frère cadet au supplice». «Et donc, avant toute décision, il fit venir à lui Diviciac. Renvoyant ses interprètes habituels, il s’entretint avec lui par le truchement de Caïus Valérius Procillus, son ami, qui était l’un des chefs de la Province et en qui il avait confiance. Il lui rappela ce qu’on disait de Dumnorix, lui fit connaître ce que chacun lui en avait appris séparément. Après quoi, il l’exhorta à ne point s’offenser si lui-même décidait de son sort après avoir entendu sa cause ou s’il invitait l’État à le juger». «Baigné de larmes, Diviciac embrassa César, le suppliant d’être clément pour son frère. Il savait que tout était vrai, et personne n’en avait plus de chagrin que lui : il était d’un immense crédit dans son pays et dans le reste des Gaules, alors que son frère, plus jeune, et qu’il avait contribué à élever, n’en avait guère et, même, de moins en moins, du fait de son mauvais usage de la fortune et de la puissance. L’amour fraternel et le souci de l’opinion publique agitaient son âme…»

Poursuivant, puis achevant son récit en parlant de lui à la troisième personne, César décrit sa convocation de Dumnorix et la manière dont, à cause de son amitié pour le druide Diviciac, il lui fait grâce.

En 58 av. JC, se tient la grande assemblée des druides des Gaules. Assez semblable à l’Inde brahmanique, notre ancien peuple comprend trois grandes classes : le brenn, à la fois paysan et guerrier villageois (il n’existe en Gaule que des villages ou de petites bourgades, jamais de grandes villes comparables aux cités latines et grecques) ; le barde, poète et chanteur ; le druide, détenteur de la religion ésotérique et enseignant au suprême degré. La cueillette du gui, opérée avec une faucille d’or symbolisant un croissant de lune, est un rite de résurrection : fleurissant pendant l’hiver sur un arbre qui ne dresse plus que des branches dépouillées, le gui représente la victoire sur la mort, l’immortalité.

César appelle, d’une manière assez méprisante, les Gaulois : habitant des villages. De là vient le mot «paganus» – païen. Chose illogique ! C’est par ce terme que, beaucoup plus tard, on désignera les extra-chrétiens de l’Antiquité, et donc, les Romains et les Grecs eux-mêmes. À ce propos, nous vivons encore sur une sorte d’abus de langage.

L’année suivante, en 57, César entre en Belgique. Puis, en 56, en Armorique. Et il envahit la Bretagne insulaire. En 63, Pompée a conquis la Palestine…

En 52 av. JC, défaite de Vercingétorix à Alésia.

La rébellion contre Rome fut décidée par les druides. Les Carnutes furent les premiers à se lever. De leur chef, Conconnétodumne, César a écrit qu’on ne pouvait attendre que des folies. Le premier attentat se fit à Genabaum, à l’actuel emplacement d’Orléans. Puis Vercingétorix bat le rappel de toutes les Gaules.

Bourges devint aussitôt après le centre de la bataille (cette bourgade s’appelait Avaricum). Écoutons le récit de César :

«Vercingétorix enseignait une nouvelle façon de faire la guerre : il s’attachait à ce qu’on privât les Romains de fourrage et de ravitaillement; faute d’herbe à couper, l’ennemi se disperserait pour aller chercher du foin dans les granges, et cela permettrait aux cavaliers gaulois de mieux l’exterminer. De plus, le salut commun[34] devrait faire oublier les intérêts particuliers ; on incendierait villages et fermes sur les espaces parcourus par les Romains soucieux de fourrager; quant aux Gaulois, ravitaillés par tous les peuples, ils auraient tout en abondance. Les Romains, au contraire, n’avaient de choix qu’entre succomber à la disette ou s’exposer au danger en s’éloignant de leur camp – une armée qui a perdu ses bagages, en effet, ne peut continuer la guerre…»

Mais les Romains construisirent en peu de temps une place fortifiée, inexpugnable. Et les Gaulois, dans leur bravoure insensée, gestuelle et inefficace, dont « le sens » était ailleurs que dans l’ef­ficacité…, se brisèrent dans leurs assauts contre les remparts de Bourges. Vercingétorix dut s’enfermer avec ses troupes dans Gergovie. Là, César subit un revers. La bataille se déplaça jusqu’aux rives de la Loire. Puis les armées romaines de César et de Labienus se rejoignirent à Joigny et décidèrent de faire semblant de fuir. À Alésia, lieu sacré, les Gaulois, qui s’étaient laissés prendre à ce stratagème, comprirent qu’ils étaient encerclés. Et, écrit César, «l’instant de l’effort suprême est arrivé. Les Gaulois se voient perdus s’ils ne percent pas nos lignes. Quant à nous, Romains, d’un succès décisif nous attendons la fin de tous nos malheurs…».

Et voici la défaite. Sur son cheval blanc, Vercingétorix descend la pente d’Alésia. Il jette son glaive et son bouclier aux pieds de son vainqueur.

L’an suivant, en 51, la Gaule vaincue, César regagna ses quartiers d’hiver à Lucques (ou à Ravenne). Puis il franchit le Rubicon avec l’aide de ses légions formées par les Gaulois gagnés à sa cause.

En 50 av. JC, il fonda un empire universel.

En 46, ayant définitivement vaincu les Gaules, l’Égypte, le Pont et l’Afrique, il unifiait notre pays, maintenant divisé en provinces. Du nord au sud : la Belgique (des nordiques Ménapiens aux Bellovaques voisins de la Seine) ; la Lyonnaise (entre Seine et Loire, et de l’Armorique aux Helvètes); l’Aquitaine (de la Loire des Turons aux Pyrénées) ; la Narbonnaise (nos actuels Languedoc et Provence). Autun devenait la capitale intellectuelle des Gaules. Et pendant la cérémonie du triomphe de César, Vercingétorix fut cruellement mis à mort.

En 45 av. JC, César modifia le calendrier. Soixante-sept jours disparurent, et l’année débuta le 1er janvier, et non plus aux calendes de mars. Ce calendrier julien avait été calculé par le mathématicien Sosigène, originaire d’Alexandrie, sur la durée exacte de la translation terrestre de trois cent soixante-cinq jours et un quart.

En 44 av. JC, César fut transpercé de trente-cinq coups de poignards, le 15 mars, aux pieds de la statue de Pompée qui avait été sa victime en 48. Prononçant l’oraison funèbre, Marc-Antoine parla de la Gaule : «Voyez cette Gaule qui naguère nous envoya tant de tumultes, aujourd’hui cultivée aussi bien que l’Italie. Des communications nombreuses et sûres sont ouvertes d’une de ses extrémités à l’autre. La navigation est libre, animée, non pas seulement sur le Rhône ou la Saône, mais sur la Loire et la Meuse, et aussi jusque sur l’Océan».

En 30 av. JC, avènement d’Octavien qui règne au faîte d’un empire maître du monde.

En 25, Octavien-Auguste fit édifier à Narbonne un temple de marbre au dieu gaulois Geroum.

En 21, rébellion de l’éduen Julius Sacrovir. Vaincu, il mourut dans l’incendie, par lui-même allumé, de sa maison de campagne.

En 10 av. JC, assemblée générale des États gaulois. Vercumdarichabius, Éduen, fut nommé premier pontife des Gaules. Il était apparenté, par ses enfants, à la famille impériale. Cette année-là, Claude, futur empereur, naquit à Lyon. Lyon était alors la capitale des Gaules.

JUSQU’AU DÉBARQUEMENT CHRÉTIEN…

En l’an 14 de l’ère du Verbe divin incarné, l’empereur romain est Tibère ; il régnera jusqu’en 37.

En 26, Ponce-Pilate est nommé procurateur en Judée. Il n’aime pas les Juifs, qui ont démoli l’aqueduc dont il a entrepris la construction et écrit à son ami Lamia : «Conçois-tu, Lamia, des barbares plus immondes que les Juifs ?…» En 33, notre Sauveur fut mis à mort «sous Ponce-Pilate».

Cette année 33, celle du Jeudi Saint, du Vendredi Saint, de Pâques et de la Pentecôte, rien de notable ne semble se passer dans les Gaules.

Commencent les Actes des Apôtres. En 33, le martyre du proto-diacre saint Étienne. Peu après, la conversion, sur le chemin de Damas, de celui qu’on appellera saint Paul. Selon Eusèbe de Césarée, qui écrivit vers 300, Pierre serait venu à Rome en 42. Entre temps, le 16 mars 37, meurt Tibère. Caligula lui succède, jusqu’en 41.

En 38, une persécution sanglante a décimé la communauté juive d’Alexandrie. L’an suivant, en terre sainte : Hérode Antipas est dépouillé de sa tétrarchie par Caligula ; le gouvernement de sa province passe à Hérode Agrippa, qui reçoit le titre de roi. Puis, en 40, Antipas meurt en exil – on ne sait exactement si c’est à Lyon ou en Espagne ; et Philon, le philosophe alexandrin, maintenant très âgé, vient en ambassade à Rome.

Le 24 janvier 41, assassinat de Caligula. Commence le règne de Claude (jusqu’en 54, caractérisé par de nombreuses famines).

En 44, quand les familiers du Christ débarquent sur les côtes de Provence et fondent l’Église des Gaules, une terrible famine dévaste la Palestine, où Claude vient d’envoyer un nouveau procurateur, Cuspius Fadus.

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS SUIVANTS…

49 – Le protoconcile de Jérusalem présidé par saint Jacques. Terrible famine en Grèce. À Jérusalem, une sédition fait quelques milliers de victimes pendant la fête de la pâque. Un édit de Claude chasse les Juifs de Rome.

50 – Grande famine à Rome. Saint Matthieu commence, en araméen, la rédaction de son évangile.

53 – Agrippa II, fils d’Hérode Agrippa, obtient de Néron (qui ne règne pas encore) les tétrarchies de Philippe et de Lysanias et quelques autres villes. Félix devient

procurateur de Judée (jusqu’en 60).

54 – Le 13 octobre, mort de Claude et avènement de Néron.

55 – Saint Marc commence, en grec, la rédaction de son évangile. Depuis 49 circulent dans les Églises nouvelles-nées, les épîtres de l’apôtre Paul.

60 – En Palestine, fin de la procuration de Félix, que remplace, par décision de Néron, Porcius Festus.

61 – L’apôtre Paul arrive à Rome, prisonnier des Romains.

62 – En Palestine, la mort de Porcius Festus donne lieu à une période d’anarchie avant l’arrivée d’un autre procurateur. Puis voici de nouveau : Lucius Albinus. Annanius, premier évêque d’Alexandrie (jusqu’en 80).

63 – Luc commence la rédaction des Actes des Apôtres. En Palestine, Lucius Albinus étant procurateur, un paysan nommé Jésus fils d’Ananie annonce prophétiquement la fin imminente de Jérusalem. Déchiré à coups de fouet jusqu’aux os, il meurt en s’écriant : «Malheur à Jérusalem !».

64 – Incendie de Rome. Début des persécutions contre les chrétiens. Saint Luc commence, en grec, la rédaction de son évangile. Quittant la Judée, Lucius Albinus devient procurateur de Mauritanie. Gessius Florus sera le dernier à exercer la charge de procurateur en Judée. Bientôt commencera la grande guerre des Juifs.

65 – Linus, premier évêque de Rome (jusque vers 75 ou 76). Début des grands soulèvements juifs contre Rome.

66 – L’épître de Jude.

67 – Saint Pierre et saint Paul subissent le martyre à Rome.

68 – Le 9 juin, mort de Néron, remplacé par Galba.

69 – Le 15 janvier, mort de Galba. Othon lui succède. Mais le 14 avril, Othon se suicide, et son succes­seur, Vitellius, est mis à mort le 20 décembre. Pendant ce temps, le 1er juillet, sur l’instigation de Tiberius Julius Alexandre, préfet d’Égypte, Vespasien est proclamé empereur. Mais il séjourne encore, prudemment, en Égypte. Lucius Albinus, procurateur de Mauritanie depuis 64, qui avait administré la Judée de 62 à 64, trouve la mort dans une échauffourée contre Vitellius.

70 – Au début de l’automne, Vespasien arrive à Rome. Il confie la guerre contre les Juifs à son fils Titus.

Désastre de Jérusalem. Pendant que s’écroule Jérusalem, les Gaules tentent encore de se libérer du joug romain. Sous Néron, ce fut la rébellion de Vindex. Désespéré, il s’est lui-même percé de son épée. Maintenant, le chef de la révolte est un Lingon : Julius Sabinus. Il se proclame empereur des Gaulois. Mais il meurt vaincu, ainsi que son émouvante épouse Éponine qui a vainement essayé de fléchir la rigueur de Vespasien.

75 – S’étant rangé du côté des Romains pendant la tension entre Rome et les Juifs, Agrippa II est récompensé de sa fidélité par la dignité de prêteur.

78 – Mort de Vespasien. Son fils Titus, vainqueur de Jérusalem, lui succède.

79 – Catastrophe de Pompéi.

80 – Anaclet, deuxième évêque de Rome.

81- Le 13 septembre, mort de Titus. Règne Domitien jusqu’en 96. L’empereur constate que, depuis une dizaine d’années, la propagande chrétienne a fait son chemin dans l’aristocratie romaine.

84 – Avilius, deuxième évêque d’Alexandrie.

88 – Soulèvement de l’aristocratie militaire contre Domitien. Terrible répression. Les philo-sophes Épictète et Dion Chrysostome sont bannis.

91 – Acilius Glabrio, nommé consul pour l’année, est chrétien.

92 – Clément, troisième évêque de Rome. Éclate la persécution de Domitien contre les chrétiens. Déporté en l’île de Pathmos, l’apôtre Jean écrit l’Apocalypse.

95 – Lettre de Clément de Rome à l’Église de Corinthe. Suite de la persécution de Domitien. Martyre du consul Acilius Glabrio, Flavius Clemens et de sa femme…

96 – Reprise du complot aristocratique et mort de Domitien, assassiné dans sa chambre. Nerva lui suc­cède. Fin de la persécution commencée en 92. Le nouvel empereur supprime les honneurs rendus à son prédécesseur et, par une loi du Sénat, permet le retour à la liberté et dans leurs biens de ceux qui ont été chassés et dépossédés.

98 – Fin du règne de Nerva, début de celui de Trajan (jusqu’en 117).

100 – Ignace, évêque d’Antioche : «Fermez l’oreille à quiconque vous parle sans confesser que Jésus Christ, descendant de David, est né de la Vierge Marie». Hérésie des Docètes. Évariste, troisième évê­que de Rome, succède à Clément. À cette époque, on prend son repas chez soi avant de venir à la table de l’Eucharistie. On construit les premières églises. On célèbre la Fraction du pain, le dimanche, après une nuit de vigiles.

104 – Saint Jean écrit le quatrième évangile. Nouvel élan des persécutions, le plus souvent sur l’initiative des populaces urbaines.

107 – Martyre de saint Ignace d’Antioche.

112 – Trajan signe le rescrit adressé à Pline le Jeune sur les chrétiens.

Là, nous pouvons considérer que le 1er siècle est clos…

La paix romaine règne dans les Gaules et sur l’ensemble du monde. Les druides se sont repliés vers le pays de Galles. L’île de Mona devient le refuge du druidisme.

La plantation de la vigne prend son départ en Narbonnaise, sous Domitien. L’agriculture se développe.

Il existe des Églises un peu partout dans les Gaules… Mais elles ne groupent, ici et là, que quelques dizaines de personnes : les missionnaires orientaux, souvent syriaques, et quelques Gaulois seulement. Ce sont les premières racines.

3 – LE IIème SIÈCLE

CHRONOLOGIE SUCCINTE…

117 – Règne d’Hadrien (jusqu’en 138).

130 – Nouvelle insurrection juive.

140 – Enseignement de Pappias. Depuis 138, règne Antonin (jusqu’en 161).

155 – Martyre de saint Polycarpe de Smyrne, disciple de saint Jean.

161 – À Antonin succède Marc-Aurèle (jusqu’en 180).

163 – Martyre de saint Justin, le théologien du Verbe.

177 – Les martyrs de l’Église de Lyon. Saint Pothin.

180 – Saint Irénée, évêque de Lyon. Règne de Commode (jusqu’en 192).

193 – Règne de Septime-Sévère (jusqu’en 211).

202- Martyre d’Irénée de Lyon et début de la persécution systématique.

L’ÉGLISE DE LYON SUBIT LA PERSÉCUTION…

«Consultez vos annales et vous y trouverez que Néron, le premier, sévit par le glaive impérial contre notre secte. Plus tard, une autre tentative provint de Domitien, demi-Néron quant à la cruauté. Quels furent nos persécuteurs ? Des hommes iniques, impies, infâmes et que vous avez vous-mêmes (les Romains) l’habitude de condamner[35] ».

Cependant, les persécuteurs ne furent pas tous les hommes cruels et iniques dépeints par Tertullien. Les scrupules de Trajan méritent d’être notés.

Jusqu’en 202, le phénomène de la persécution antichrétienne manque d’une certaine assurance – et, pour tout dire, de bases certaines. L’hostilité populaire joue un grand rôle néfaste. Vers 116, Tacite révèle dans un précieux écrit que la populace tenait les chrétiens pour des gens infâmes, aux mœurs mystérieuses et troublantes. Et Tertullien écrira encore : «Si le Tibre inonde, si le Nil n’inonde pas les campagnes, si le ciel est fermé, si la terre tremble, s’il survient une famine, une guerre, une peste, alors un cri s’élève aussitôt : les chrétiens aux lions ! à mort les chrétiens !»

En 112, Pline demanda : «Est-ce le nom même de chrétien qui est punissable ?». Trajan répondit : «Il ne faut pas rechercher les chrétiens, mais s’ils sont dénoncés et convaincus, qu’on les chatie. Pourtant, si quelqu’un nie être chrétien et le prouve en suppliant nos dieux, qu’il obtienne le pardon». Et Tertullien, plus tard, commentera : «Le chrétien est punissable non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il est découvert, bien qu’on n’eût pas dû le poursuivre».

Or l’Église des Gaules croissait. Il existe dès maintenant une merveilleuse légende des fondateurs d’Églises gauloises : la famille de Béthanie et les familiers du Seigneur, à Marseille; à Béziers, saint Aphrodise, qui avait abrité en Égypte Joseph, Marie et l’Enfant divin ; à Autun, saint Amateur, qui avait lui aussi servi la Mère de Dieu et le Christ enfant ; à Cahors, saint Amadour n’était autre que Zachée le publicain, de qui le Seigneur avait choisi la maison ; à Saint-Paul-les-trois-Châteaux‚ saint Restitut, l’aveugle-né‚ miraculeusement rendu à la vue selon les évangiles; en Avignon, saint Ruf, fils de Sumon le Cyrénéen ; à Limoges, saint Martial, cet enfant que le Christ avait béni. Disciples de l’apôtre Paul, saint Trophime fonda l’Église d’Arles et saint Crescent l’Église de Vienne ; à Paris, saint Denys le martyr est également un converti par l’Apôtre…

Avant 150, il existait une Église de Lyon.

En 177, sous Marc-Aurèle, l’empereur philosophe à l’âme élevée, se réunirent, selon la coutume, autour de l’autel de Rome et d’Auguste, à Lyon, les délégués des trois Gaules. Chaque fois, c’était une fête joyeuse et volontiers turbulente. La populace s’en prit au petit groupe des chrétiens. Au mépris de la jurisprudence de Trajan, les autorités romaines laissèrent faire, et l’on arrêta, sans aucun mandat, quelques notables de la jeune Église.

Sous la torture, certains avouèrent des crimes imaginaires, énumérés par la foule en délire et ivre de sang. Lâche en tous temps et en tous lieux, la populace des révolutions, «libérations» et autres mas­sacres collectifs, acharna sa fureur bestiale sur une adolescente fragile, ancienne esclave récemment baptisée, appelée Blandine. Elle répondit qu’on ne faisait aucun mal chez les chrétiens ; les supplices ne la firent pas revenir sur cette paisible déclaration. La colère de la foule enfla. Elle se tourna contre Pothin, l’évêque, âgé de 90 ans et malade. Le gouverneur lui demanda :

– «Quel est le Dieu des chrétiens ?»

– «Tu le sauras quand tu en seras digne», répondit le vieillard.

Il respirait à peine quand on le mit en geôle, où il mourut deux jours plus tard des coups sans nombre qu’il avait reçus.

Moururent aussi saint Vit, patricien ; le diacre de Vienne, Sanctus ; Maturus, encore néophyte; Attale de Pergame, citoyen romain ; l’enfant Ponticus, supplicié près de Blandine. La populace hurlait: «Voyons si maintenant leur Dieu les ressuscitera !»

De même moururent : sainte Cécile à Rome ; les chrétiens de Scili en Afrique ; Ignace d’Antioche en 107, Polycarpe de Smyrne en 155 ; Justin en 163 ; à Rome, en 180, le vieillard Apollonius…

COMMENT VIVENT LES CHRÉTIENS…

«Nous autres, chrétiens, ne vivons pas à l’écart du monde. Nous fréquentons forum, bains, ateliers, boutiques, marchés, places publiques. Nous exerçons les métiers de marin, soldat, cultivateur, négociant[36] …». «Nous ne différons des autres hommes ni par le vêtement, ni par le logement, ni par la nourriture[37] » «Il est des métiers que nous n’exerçons pas : tenancier de maison publique, sculpteur ou peintre d’idoles, auteur ou acteur[38] ... Mais dans les armées, l’on compte de plus en plus de soldats chrétiens.

Le signe de croix, geste d’appartenance au Corps du Christ, se faisait au IIe siècle avec le pouce sur le front, les lèvres et la poitrine. Parmi les inscriptions chrétiennes sur les maisons, dominait le dessin du poisson, ou le mot ICHTUS (Jesous Christos Theou Uios Sôter). Les catacombes, dont la littérature romantique a donné une notion déformée, étaient les cimetières où les chrétiens ensevelissaient leurs défunts. Des cimetières la plupart du temps souterrains, comme cela se pratiquait depuis des siècles en Égypte ou en Phénicie. La loi romaine protégeait les nécropoles, raison pourquoi il arriva, en certains cas, qu’elles servissent de lieux de refuge.

Le livre de la Didachè et l’enseignement écrit des Pères apostoliques décrivent la préparation au baptême, ou catéchuménat, le baptême, l’assemblée eucharistique. De saint Ignace d’Antioche nous recevons une doctrine claire et nette de l’épiscopat. De saint Clément de Rome, l’assurance qu’il existait dès les années 90-100 une hiérarchie ecclésiastique fort cohérente.

Mais il y avait les hérésies

LES HÉRÉSIES…

Du vivant de saint Jean, les docètes nient la réalité de l’Incarnation et prétendent que le Christ n’aurait pris qu’une apparence de l’être humain.

En Orient, ces mêmes années 100, apparaissent les faux gnostiques. Ce sont des intellectuels, des esprits abstraits : les ancêtres des spiritualistes d’aujourd’hui.

Nombreux textes apocryphes, souvent imprégnés d’hérésies diverses, le plus souvent apparentées au gnosticisme. Vers 200, à Rome, le canon de Muratori établit la bibliothèque des livres vraiment inspirés par l’Esprit Saint. Seules y font défaut les épîtres de Jacques et de Pierre.

PÈRES APOSTOLIQUES…

Pendant les deux premières générations chrétiennes – disons : jusque vers 150 -, voici ceux qui engendrent dans la foi selon le témoignage direct des apôtres, premiers témoins du Seigneur. Ce sont:

– Clément de Rome

– Ignace d’Antioche

– Polycarpe de Smyrne

– Hermas, un simple fidèle

– l’évêque Papias

– les auteurs de la Didachè, de l’épître à Barnabé

LE GNOSTICISME ET IRÉNÉE DE LYON

Au fur et à mesure que le christianisme gagne, à grands pas, l’aristocratie et les élites cultivées, des hostilités écrites se multiplient. Épictète : les martyrs ne sont que des fanatiques. Fronton, précepteur de Marc-Aurèle : le christianisme n’est qu’un ramassis d’athées et de gens aux mœurs scandaleuses. Vers 178, voici le discours de Celse : Dieu est trop grand, s’il est Dieu, pour se révéler à des hommes.

Mais ce ne sont là que des œuvres extra-chrétiennes, anti-chrétiennes. Bien moins dangereuses que celles d’un nombre croissant de chrétiens dont l’orgueil et le rationalisme pervertit les intelligences : les hérésiarques. Et surtout, les faux gnostiques.

Peu avant 170, le Phrygien Montan, flanqué de deux femmes visionnaires, Maximilla et Priscilla, annonçait la fin imminente du monde et «une religion du Paraclet». En Orient et même en Occident, des chrétiens gagnés à ces idées bâtirent des églises selon Montan.

Assez voisin de cette hérésie, se développa une méthode de pensée qui prit rapidement la forme d’un système d’explication de Dieu, du monde et de la destinée : le gnosticisme. Cela se fondait sur un syncrétisme des ésotérismes égyptien et juif. Vers 40, peu avant l’arrivée de l’apôtre Pierre, à Rome Simon le magicien avait enseigné de cette façon. Mais pendant un siècle, s’ajoutèrent au premier syncrétisme des éléments de docétisme, de platonisme, de pythagoricisme, et, de plus en plus intense, un sentiment manichéen de la dualité inconciliable de l’esprit et de la chair. Dieu serait trop grand pour pouvoir condescendre, d’une manière aussi vulgaire que l’incarnation, à l’extrême indigence humaine. Séparation radicale : Dieu d’un côté, la chair de l’autre. Entre les deux, des êtres intermédiaires, ou éons, émanant de la nature divine par voie de dégradation.

Un éon du milieu de la verticale, devenu «le démiurge», ayant tenté d’égaler Dieu, aurait été rejeté de la hiérarchie spirituelle et, en signe de sa révolte, aurait créé le

monde matériel, intrinsèque-ment mauvais.

L’exposé d’une pareille doctrine concerne toutes les époques, et la nôtre en particulier. N’entendons-nous pas aujourd’hui des «croyants» parler d’émanation, de l’esprit comme dégradation du divin, de la matière comme dégradation de l’esprit, d’opposition radicale entre l’esprit et la matière, et du mépris hautement estimable de celle-ci et de la vie sensible ? Le gnosticisme fleurit de nos jours, dans la multiforme et diffuse hérésie spiritualiste, laquelle, au moins autant que le romanisme filioquiste, fait obstacle à la vraie conversion orthodoxe. Le spiritualisme, ou gnosticisme réduit à rien l’Incarnation du Verbe, les sacrements, le culte lui-même confiné à la production de certaines «ambiances» et de bonnes «effluves», l’eschatologie enfin (puisque les réincarnations estompent la perspective de la résurrection et de la transfiguration finales). Tout cela consiste en un pur et simple remplacement, par indigence autojustifiée, du donné révélé par de l’imaginaire intellectualisé.

Le faux-gnostique Valentin vécut à Rome de 135 à 165. Son verbe néfaste pénétra aussitôt les Gaules, où des femmes se mirent à officier et à prophétiser. (Notons le rôle d’un certain élément féminin)

L’influence de Marcion, fils d’un évêque de Sinope (sur la mer Noire), aggrava les effets de celle de Valentin. Lui aussi vint à Rome vers 144, enseignant que le Dieu de l’Ancien Testament était le détestable créateur et démiurge lui-même. Il constitua une contre-Église fortement structurée. Après sa mort, en 160, se multipliaient les communautés rurales marcionites, qui vécurent jusqu’au VIe siècle.

Irénée de Lyon écrivit, dans ce contexte chargé, son Traité contre les hérésies de la fausse gnose (Contra Haereses), vers 180.

Ce prestigieux évêque naquit à Smyrne en 135, de parents chrétiens. Il reçut les leçons de Polycarpe, le disciple de Jean. Grec cultivé, lecteur assidu de saint Justin, il vint à Rome puis fut élu évêque de Lyon dès son installation en Gaule, en 177, après le martyre de saint Pothin. Il joua un rôle de poids dans la fondation des Églises de Valence et de Besançon.

La querelle pascale l’opposa à l’évêque Victor de Rome (189-198). Rome, en effet, célébrait Pâques une semaine après l’Asie Mineure qui s’en tenait au 14 nisan, date de la tradition juive. Polycarpe de Smyrne et Anicet de Rome avaient échoué en 155 dans leur tentative d’accorder les deux usages. Successeur d’Anicet, Victor choisit une attitude autoritaire, allant jusqu’à menacer d’excommunication ses collègues orientaux. Il reçut d’Irénée une lettre très ferme l’invitant à une plus juste modération. Irénée eut gain de cause. Au IIIème siècle, les Églises d’Asie adoptèrent le dimanche d’après le 14 nisan, c’est-à-dire le comput romain.

À propos du Contra haereses, Irénée ne condamne absolument pas la gnose, qui est connaissance intérieure du contenu de la foi dans la lumière de grâce du Saint Esprit ; mais la fausse gnose, les doctrines hérétiques usurpatrices du nom de gnose. Défenseur de la pensée orthodoxe, il fut, dans ce livre immortel, le docteur par excellence de la Tradition.

Autre mise en garde au sujet des commentaires romains : Irénée ne soutint absolument pas une primauté quelconque de Rome sur les autres Églises ; mais avec un esprit de justice sans reproche, il loua cette prestigieuse Église de Rome pour le rôle éminent qu’elle tenait alors, Rome étant la capitale de l’empire maître du monde.

Pendant le pontificat de saint Irénée, en 197, Lyon fut en partie détruite et pillée. Puis de 200 à 202, les persécutions frappèrent avec férocité les chrétiens lyonnais. Irénée marcha au martyre en 202, à l’ouverture de la persécution systématique ordonnée par Septime-Sévère.

4 – LE IIIème SIÈCLE

LES CRUAUTÉS DE L’EMPIRE MILITAIRE

192 – La dynastie antonine s’éteint avec la mort tragique de Commode. Une longue et brutale dictature militaire s’établit.

193 – Septime-Sévère (il règne jusqu’en 211) fonde l’empire militaire.

197 – Dévastation de Lyon.

199 – L’évêque Zéphyrin de Rome succède à Victor.

200 – Le canon de Muratori fixe un premier catalogue autorisé des livres de la Bible. Publication de la première apologétique chrétienne en latin. C’est L’Octavius, de

Minucius Félix, avocat romain comparable à Cicéron. Cet ouvrage prend la forme d’un colloque entre gens distingués : Octavius, chrétien, Cœcilius Natalis, païen de Cirta, personnages aussi réels que l’auteur lui-même.

On apprend qu’Abgar IX, roi d’Osrohène, s’étant converti, Édesse devient une ville chrétienne. Ce texte de Tertullien témoigne de l’apparition d’une vigoureuse santé chrétienne : «Païens, si nous voulions agir, non pas même en vengeurs clandestins mais en ennemis déclarés, les effectifs nous feraient-ils défaut ? N’étant que d’hier, nous remplissons déjà la terre. Tout ce qui est à vous, villes, îles, forteresses, municipes, bourgades et même camps, et les tribus et les curies, et le Sénat, et le forum : nous y sommes. Nous ne vous avons laissé que vos temples !».

On assiste aux changements de la vie politique : le règne des fonctionnaires, maintenant exemptés de charges et d’impôts, s’installe avec insolence en tous lieux. L’argent devient roi.

Or, les persécutions recommencent à Lyon.

201 – Septime-Sévère reconstruit en Syrie les temples de Baal. Influence croissante des astrologues, qui développent une philosophie gnosticiste haineuse à l’endroit des chrétiens. Les persécutions enflent à Lyon.

DÉBUT DE LA PERSÉCUTION SYSTÉMATIQUE

202 -. Cette phrase atroce s’ouvre par le rescrit de Septime-Sévère : il faut maintenant frapper les convertis et leurs convertisseurs ; on recherchera les chrétiens pour les détruire, le fait d’être chrétien étant tenu pour un crime. On est loin de Trajan !

Dispersion d’Alexandrie, l’école chrétienne où le jeune Origène fait de ferventes études.

Martyre de saint Irénée de Lyon. Martyres d’Alexandre à Châlon, d’Épipode à Tournus. Valentin et Symphorien, autres martyrs, seront honorés dans ces villes ainsi qu’à Autun. Martyr d’Andéol à Viviers. Toute l’Église des Gaules est durement frappée.

203 – Martyre des saintes Perpétue et Félicité aux arènes de Carthage.

204 – Pendant que les chrétiens sont suppliciés en tous lieux de l’empire, se développe la secte mithriadiste. Cette religion païenne de l’héroïsme sévit en milieu militaire : doctrine de l’exaltation de la force virile, en réaction contre une société de plus en plus polluée par les fonctionnaires corrompus et les riches lascifs. Mithra, une sorte de surhomme, dieu de la pureté guerrière, est opposé au Christ.

Les intellectuels se ruent dans une autre voie : celle du néoplatonisme, école de philosophie fondée par Ammonius Saccas, dont Origène et Plotin ont été les élèves. C’est une restauration du paganisme gréco-latin.

205 – Succès rapide des écoles susnommées, auxquelles s’ajoutent divers occultismes et «religions à mystères».

210 – Tertullien, victime de son rigorisme, tombe dans l’hérésie de Montan, puis il fonde une secte rebelle. Naissance de Cyprien de Carthage. L’occultisme gagne les Gaules.

211 – Début du règne de Caracalla (jusqu’en 217).

212 – Rome n’est plus seulement dans Rome. Tous les hommes libres de l’empire deviennent ipso facto romains. Dans les Gaules, où la langue latine s’impose, les classes cultivées se romanisent. Mais seules, les riches familles s’apparentent aux Romains par le mariage.

213 – On apprend la mort de saint Clément d’Alexandrie, né en 150.

217 – Calliste de Rome, ancien esclave, succède à Zéphyrin.

218 – Règne d’Élagabal (jusqu’en 222).

220 – Détérioration constante de l’administration romaine. La monnaie entre en crise. En Orient, renouveau de la puissance des Perses; guerres sanglantes sur l’Euphrate et le Tigre.

PREMIER CONCILE DE CARTHAGE

En Afrique, concile de Carthage. 71 évêques d’Afrique proconsulaire et de Numidie, réunis sous la présidence d’Aggripinus de Carthage, manifestent leur tendance rigoriste, encore influencée par Tertullien, en déclarant invalide tout baptême conféré par des hérétiques.

221 – Hippolyte (Père de l’Église) reproche à Calliste de Rome sa mollesse contre les hérétiques sabelliens, et, adhérant au rigorisme africain, se fait reconnaître comme évêque de Rome face à Calliste. Le problème du comportement à adopter vis-à-vis des hérétiques, de plus en plus nombreux et actifs, se pose en termes dramatiques.

Mais dans les Gaules, il semble que les esprits restent calmes.

222- Les patriciens tuent Élagabal ; règne de son cousin Sévère Alexandre (jusqu’en 235). Urbain de Rome succède à Calliste et affronte à son tour l’opposition d’Hippolyte.

225 – Apparition de la Croix dans l’iconographie chrétienne.

226 – Succès du trait‚ Contre les chrétiens, du néoplatonicien Porphyre, disciple de Plotin, dans la lignée philosophique d’Ammonius Saccas.

230 – Pontien de Rome succède à Urbain.

235 – La fin de Sévère Alexandre, renversé par Maximin, ancien berger des Balkans, ouvre une phase d’anarchie militaire. L’empire ira en se disloquant par secousses jusqu’en

270. Recrudescence des persécutions : édit de Maximin en vue de désorganiser l’Église en s’attaquant aux évêques.

236 – Fabien de Rome succède à Antéros et divise son diocèse urbain en sept régions.

240 – Le concile de Carthage réunit 90 évêques, qui confirment leur principe de la rebaptisation des hérétiques.

244 – Règne de Philippe l’Arabe (jusqu’en 249). Toujours l’instabilité du pouvoir impérial livré aux factions militaires.

246 – En Afrique, Cyprien, futur évêque de Carthage et jusqu’alors influencé par l’occultisme, se convertit au christianisme.

PERSÉCUTION DE DÈCE, DÉBUT DU MONACHISME

250 – Règne de Dèce (jusqu’en 253) et édit de persécution : la religion officielle ne pouvant être séparée du système politique, toute abstention au culte des dieux devient trahison ; il s’agit, selon la parole d’Origène, «de parvenir à l’extermination, en tous lieux, du nom même du Christ». Certains païens trop peu zélés, peuvent être eux-mêmes suspectés et suppliciés.

L’africain saint Paul fuit le monde livré au meurtre et inaugure la vie érémitique en Thébaïde.

Mort de Tertullien. Origène est arrêté à Césarée de Palestine et torturé. Fabien de Rome subit le martyre. Le sang coule de toutes parts et les esprits sont troublés par la peur.

Le concile de Carthage présidé par saint Cyprien pose le problème des apostats : dans quelle mesure peut-on pardonner à ceux qui succombent à la peur ?

Fondation de quatre nouveaux sièges gaulois : Tours avec Gatien, Narbonne avec Paul, Clermont avec Austremoine, Limoges avec Martial. Mais Denys de Paris est décapité avec ses compa-gnons Rusticus et Éleuthère, et Saturnin subit le martyre à Toulouse.

251 – Au concile de Carthage, l’Église d’Afrique se pose trois questions : comment traiter les «lapsi» qui se repentent ? quelle réconciliation des prêtres hérétiques ou schismatiques peuvent-ils donner ? Comment juger Felicissimus et les autres prêtres factieux de Carthage ? Saint Cyprien donne lecture de son traité sur L’unité de l’Église : «hors de l’Église il n’y a ni sacrifice, ni sacerdoce, ni réconciliation».

Présidé par Corneille, le concile de Rome aborde aussi le problème des chrétiens défaillants sous l’effet de la torture ou de sa menace précise. Il cherche une règle d’harmonie entre la rigueur excessive des Africains et une indulgence génératrice d’abus. Il sera pardonné à celui qui aura apostasié en cédant à la peur ; mais l’apostat repentant ne sera réintégré qu’après une longue pénitence. Exclusion du prêtre Novatien, champion du rigorisme, qui, aussitôt, fonde une secte dissidente ayant des groupes jusque dans les Gaules.

Nouvelles observations sur l’histoire et le mythe en matière d’hagiographie et de ménologe

Si saint Martial est l’enfant que le Christ bénit, comment a-t-il pu être tué en 250 en conséquence de l’édit de Dèce ? Si saint Denys de Paris a été converti par l’apôtre Paul, comment …? Etc.

Au 1er siècle, nous avons fait deux parts : le mythe, en ses racines, et il est extra-chronologique ; les données historiques cadrées par la chronologie.

Au IIe siècle, même chose.

Mais au IIIe siècle, l’Église est vraiment entrée dans l’histoire. Raison pourquoi nous adoptons un plan chronologique.

Les Saints ont une vie sur-signifiante: Ils embrassent, dans leur rayonnement lumineux, non seulement les siècles qui les suivent mais aussi, parfois, ceux qui les précèdent. La sainteté hisse la créature obéissante à la grâce au-dessus et au plus profond de la dualité passé-avenir : dans le présent temps spirituel qui est présence du royaume ou monde transfiguré.

Cela mérite d’être considéré en esprit de prière. Prenant place dans la théologie, l’histoire religieuse, qu’elle soit celle de l’ensemble des Églises sur l’étendue de la terre ou simplement celle d’un peuple, participe à l’office et à la liturgie.

LE SCHISME DE DONATIEN

251 – (Suite). Le plus ancien des schismes éclate à Rome. Le prêtre Novatien s’oppose à l’Église : pourquoi ? Parce que hanté par sa sévérité à l’égard des lapsi après la persécution de Dèce. Parce qu’emporté par un rigorisme qui trouble son intelligence et tarit en lui la miséricorde. La majeure part de l’Église de Rome a opté pour l’indulgence, grâce à son évêque Corneille qui a profondément le sens de l’homme et, pourtant, la compréhension des faiblesses humaines. Alors, le prêtre Novatien ne comprend plus… et il pense : les évêques trahissent. Entraîné par ce rigorisme, Novatien regrette de n’être pas lui-même l’évêque de Rome. Raison pourquoi il fonde une autre Église.

Or, il a quelques partisans en Gaule.

253 – Règne de Valérien (jusqu’en 260). Lucius de Rome succède à Corneille. L’Église novatienne se développe surtout en Italie et en Espagne.

254 – Étienne de Rome succède à Lucius. La terreur des persécutions finit, à la longue par faire perdre la tête à certains chrétiens. Mais aussi, le rigorisme qui s’empare d’une partie de l’Église a de quoi les rendre fous !… Voici deux faits, en Espagne : l’évêque Basilide de Léon achète aux magistrats un faux certificat de sacrifice aux dieux (n’oublions pas la corruption des fonctionnaires, qui règnent localement en maîtres absolus !) ; l’évêque Martial de Mérida signe une déclaration d’apostasie. L’épiscopat espagnol demande leur déposition par un concile africain.

255 – Concile de Carthage : présidé par saint Cyprien, qui en trace les conclusions dans sa lettre synodale aux 18 évêques de Numidie. Devient évidente la divergence entre les Églises de Carthage et de Rome au sujet des lapsi et au sujet de la validité du baptême conféré par les hérétiques. Saint Cyprien aux évêques de Numidie : Ne vous occupez pas de ce qu’on dit à Rome ; suivez vous-mêmes, en Numidie, le principe de la nullité du baptême des hérétiques ; ce principe n’est pas nouveau, puisque posé par les évêques d’Afrique en 220 et sans cesse observé par eux depuis trente-cinq ans.

On apprend la mort d’Origène.

LE CONCILE DE NARBONNE, PREMIER DES GAULES

L’Église des Gaules tient son premier concile : le concile de Narbonne (255). Il s’agit de juger le cas litigieux de l’évêque Paul de Narbonne (qui préside), accusé par ses diacres d’avoir outrepassé la galanterie avec des femmes. Paul est innocent. L’histoire de ce concile, avec ses côtés amusants et merveilleux, s’apparente à la légende hagiographique. Elle montre à quel point le destin de notre Mère-Église se développe sous le signe de la tendresse. Pas d’hérésies, pas d’intrigues ecclésiastiques traduisant un souci des prééminences, mais un ardent souci de plaire à Dieu par une vie chrétienne toute droite, et de porter un témoignage pur au peuple à convertir.

256 – Concile de Carthage : 87 évêques africains sous la présidence de saint Cyprien‚ en suite d’un échange de lettres entre l’Afrique et Rome. Développement des divergences avec Rome. L’Afrique confirme solennellement sa position sur l’invalidité du baptême chez les hérétiques ; Rome pense que ce baptême est valide. Refus de toute primauté de l’évêque romain sur les autres évêques, et rappel que tous les évêques sont égaux entre eux dans l’épiscopat. L’Asie Mineure partage les opinions d’Afrique ; Alexandrie, celles de Rome.

257 – Aggravation de la terreur. Édit de persécution de Valérien : cette fois, la société chrétienne elle-même est considérée comme association illicite. Valérien ne place plus l’affaire sur le plan religieux : on peut croire ce qu’on veut, en privé ; mais sur le plan sociologique : sera criminel quiconque refusera de sacrifier publiquement aux dieux. Avant tout, que disparaisse l’Église, société non conforme à la société romaine.

En conséquence de cet édit, Cyprien de Carthage est exilé à Curube. But des mesures d’exil : désorganiser l’Église.

Sixte II de Rome succède à Étienne.

258 – Nouvel édit de persécution de Valérien : l’exil s’avère insuffisant; l’évêque‚ le prêtre qui refuse de sacrifier à Rome et Auguste sera exécuté ; les chrétiens ayant un haut rang dans l’empire abjureront le christianisme ou seront mis à mort; les chrétiens de la maison impériale et des services publics seront rabaissés au dernier rang de l’esclavage et enchaînés à perpétuité.

En conséquence de ce nouvel édit, saint Cyprien subit le martyre.

À ce moment, des tremblements de terre secouent la région méditerranéenne et font des dégâts en Italie et en Afrique, accompagnés de raz-de-marée et suivis d’épidémies de peste. Autre sujet d’angoisse : poussés à l’est par les Huns, les nations germaniques enfoncent par endroits la frontière du Danube et du Rhin.

La Gaule subit une brusque intervention des Francs dont le raid brutal va jusqu’en Espagne et en Mauritanie. De nombreux villages sont pillés et incendiés. Les Gaulois perdent confiance en la «paix romaine»…

259 – Denys de Rome succède à Sixte II, décapité en août 258.À Rome, martyr du diacre Laurent.

Martyrs des Gaules : Victorin au Puy-de-Dôme, Privat à Javols, Patrocle à Troyes, Ponce à Cimiez.

LA PAIX DE GALLIEN

260 – Un concile de Rome condamne solennellement l’Église novatienne. Les problèmes troublants ne font qu’enfler, troublant les âmes et exacerbant les tendances au rigorisme. Par exemple, Paul de Samosate, hérétique, cumule les fonctions d’évêque d’Antioche et de receveur des finances.

Mais commence le règne d’un homme doux : Gallien (jusqu’en 268) qui, influencé par sa femme Salonine, incline à la bienveillance envers les chrétiens. Édit de Gallien : fermeture des procès pour faits de christianisme ; restitution des biens d’Église.

À partir de cet édit la persécution prend fin dans les Gaules.

L’Église des Gaules va croître en paix. À la différence de toutes les autres Églises de par le monde, cette paix ne sera plus troublée…

Un souci domine la pensée de tout l’empire : la poussée des Barbares.

D’une part, ceux qui se sont engagés en masse dans les armées romaines, les federati : ils approchent du pouvoir suprême et forment une espèce d’État dans l’État. D’autre part, les milliers de guerriers qui font craquer les frontières du Danube et du Rhin, et dont la menace d’invasion générale se précise chaque jour.

268 – Règne de Claude II le Gothique. Nonobstant le surnom de cet empereur, Rome résiste victorieusement sur les frontières du Danube. On ne prend plus le temps de penser aux chrétiens.

270 – Règne d’Aurélien (jusqu’en 275), clément pour les chrétiens. Félix, évêque de Rome.

Saint Antoine se retire au désert. C’est l’âge d’or de l’érémitisme égyptien.

271 – Ayant perdu confiance en la paix romaine depuis le raid germanique de 258, les Gaulois aspirent, çà et là, au retour à l’indépendance. Mais Aurélien ramène la Gaule à l’obéissance.

275 – Saint Antoine organise la vie monastique en Égypte. Païens et quelques chrétiens eux-mêmes critiquent sévèrement le monachisme. On accuse d’inutilité, de paresse et de désertion ceux qui se font anachorètes ou ermites. Eutychianus de Rome succède à Félix.

280 – L’évêque Pierre d’Alexandrie écrit contre les théologiens origénistes.

DÉBUT DU BAS-EMPIRE

284 – Règne de Dioclétien (jusqu’en 305).

285 – Établissement de la dyarchie : Dioclétien, qui se réserve l’Orient, s’associe un collègue, Maximin Hercule, qui gouverne l’Occident.

293 – Établissement de la tétrarchie. Chacune des deux grandes parties de l’empire aura deux empereurs : un Auguste et, sous lui, un César. En Orient : Dioclétien est Auguste, et Galère est César. En Occident, Maximin Hercule est Auguste, Constance Chlore est César. Quatre nouvelles capitales : Trèves, Milan, Sirmium et Nicomédie.

Le César Constance Chlore, philochrétien, est une bénédiction pour les Gaules.

295 – En effet, partout ailleurs que dans les Gaules administrées par le clan philochrétien de Constance Chlore, la paix est rompue. Galère subit l’influence néoplatonicienne d’Héraclès et de Cornelius Labeo, disciples de Porphyre. Il a la double intention d’écraser l’Église sur ses territoires et de détruire le clan de Constance Chlore.

Bien qu’il soit l’époux et le père de deux femmes philochrétiennes, Prisca et Valéria, Dioclétien ne résiste pas aux projets de Galère, son «second» en Orient.

296 – En Orient, reprise des persécutions. Vont subir le martyre les deux médecins arabes Côme et Damien; saint Érasme, l’ermite du Liban; le thérapeute Pantaléimon ; Marguerite d’Antioche…

À Rome, Marcellin succède à Gaïus. Mais le succès de l’Église rigoriste de Novatien va croissant en Italie.

En Gaule : 96 ans de paix ! L’Église de Novatien, en régression. Et la paix continue…

300 – Espagne : concile d’Elvire. Rigorisme extrême. Une idée le domine : la chair, en elle-même, serait coupable. Autre souci : combattre le judaïsme, car les Juifs sont de plus en plus nombreux et influents dans la péninsule ibérique. Canon 33 : «S’ils sont mariés en entrant dans les ordres, les évêques, prêtres et diacres ne doivent plus avoir de commerce charnel avec leurs femmes, sous peine de déposition».

301 – Dioclétien essaie en vain d’enrayer la montée des prix.

En Gaule rayonnement des écoles d’Autun et de Bordeaux.

LA SUPRÊME PERSÉCUTION HORS DES GAULES

302 – À Antioche, Tangis, chef des aruspices, accuse les chrétiens de porter malheur aux armées impériales. L’oracle d’Apollon à Millet déclare : «des hommes, répandus sur la terre, m’interdisent de prédire l’avenir». César Galère pousse la persécution à son paroxysme à Nicomédie et en Égypte. Martyre probable des quatorze «Saints auxiliaires», parmi lesquels saint Georges, qui a déchiré‚ l’édit de Nicomédie.

303 – Édit de Dioclétien : cessation des assemblées chrétiennes ; démolition des églises ; destruction des livres sacrés ; abjuration forcée de tous les chrétiens exerçant une fonction publique. La police impériale saccage l’église de Nicomédie. Arrestation immédiate du chambellan de Dioclétien, Dorothée, qui est chrétien. Arrestation et martyre de l’évêque Anthime et de nombreux prêtres et fidèles.

La persécution fait rage en Orient, en Afrique et jusqu’en Italie.

En Italie : martyre du tribun Sébastien, de la jeune Agnès, du pape Marcellin, de Lucie de Syracuse… Pendant quatre ans, l’Église de Rome devra s’abstenir, par prudence, d’élire un nouvel évêque successeur du martyr Marcellin…

En Gaule, pour la forme, Constance-Chlore réduit la mesure de persécution, ordonnée pour tout l’empire, à quelques saccages d’églises. La populace elle-même s’abstient de manifester contre les chrétiens gaulois.

5 – DÉBUT DU IVème SIÈCLE

SUITE DU CONTRASTE

304 – Les chrétiens des Gaules vivent en bonne intelligence avec les intellectuels païens, sans rien concéder de leur foi.

305 – Coup de théâtre : l’abdication de Dioclétien…! Il abdique à Nicomédie et Maximin à Milan. De ce fait, Galère le persécuteur devient Auguste en Orient ; il s’adjoint le funeste César Maximin Daïa. Constance Chlore, Auguste en Occident, s’adjoint Flavius Sévère, qui administre l’Espagne.

En Gaule, vainqueur des légions rebelles, Constantin, fils de Constance Chlore, s’impose en futur chef de puissante envergure.

306 – En Orient, l’édit de Maximin Daïa : tous les sujets sans exception sacrifieront aux dieux. Tout l’Orient baigne dans la plus épouvantable terreur. Martyrs : les quatre «saints couronnés», artisans sculpteurs tués pour avoir refusé d’exécuter une statue d’Esculape dans le palais où Dioclétien a établi sa retraite ; Pamphile, docteur et prêtre en Palestine ; Philéas, évêque en Égypte ; toujours en Égypte, où les atrocités ne cessent de prendre de l’ampleur, l’officier romain Philorome, convaincu de christianisme… On livre les femmes chrétiennes à la prostitution ; plusieurs se suicident pour ne pas être violées.

En Italie, où Maxence laisse aller, les persécutions perdent peu à peu leur intensité. L’Italie entre dans la stabilité de la paix. Élection de Marcel de Rome.

Grande année pour les Gaules ! Constance Chlore étant mort à York pendant sa campagne de Bretagne, Constantin est proclamé Auguste par les légions, sans consultation préalable de Galère. À la tête des armées, ce jeune chef déjà prestigieux remporte des victoires spectaculaires contre les Alamans et les Francs.

307 – A Rome, jaloux de Constantin, Maxence, fils de Maximien, fait un coup de force et se proclame Auguste. Cela fait, en Occident, un Auguste de trop… En Gaule, Constantin épouse Fausta, fille de Maximien. À Alexandrie l’hérésiarque Arius est ordonné diacre.

308 Marcel de Rome intensifie sa lutte contre le schismatique Novatien.

À Alexandrie, l’hérésiarque Arius est ordonné diacre.

309 – Suite de la lutte contre l’Église schismatique novatienne.

310 – En Numidie, rebondissement des problèmes relatifs à l’attitude que l’Église doit adopter à propos des chrétiens qui cèdent aux injonctions impériales par terreur. Un fort parti rigoriste se forme contre Mensurius, primat de Carthage, et Secundius, primat de Numidie, accusés, à cause de leur sage modération, d’être des «traditeurs».

Arius, ordonné prêtre à Alexandrie.

LE SCHISME DE DONAT

311 – Année troublée pour l’Afrique. Mensurius meurt pendant son voyage à Rome. Son collaborateur, le diacre Cécilien, lui succède. Schisme de Donat : ce rigoriste extrême, évêque des Cases-Noires, devient primat de Carthage, contre Cécilien. Le parti rigoriste redouble de violente activité : une Espagnole excitée, Lucille, organise un scandale en accusant Cécilien d’avoir dilapidé les objets précieux laissés par Mensurius avant son départ pour Rome. Il s’ensuit un concile de Cirta, présidé par Secundus de Numidie : déposition de Cécilien, remplacé par Majorin, personnage soumis à l’influence de Lucille. Au concile de Cirta, Donat garde un habile silence ; il attend son heure. En effet, Majorin meurt peu après, et Donat devient effectivement primat de Carthage.

Militiade, nouvel évêque de Rome, parvient à apaiser le schisme novatien.

En Orient, sentant venir la mort, Galère produit un édit, contresigné de Licinius et de Constantin, qui rapporte les mesures de persécution prises contre les chrétiens. Puis il meurt. Mais aussitôt, devenu maître de tout l’Orient, Maximin Daïa reprend les persécutions et fait massacrer les confesseurs de la foi à qui il venait, à regret et sur l’ordre de Galère, d’ouvrir les portes des prisons. Il organise une propagande élaborée contre la foi et institue le clergé païen sur le modèle ecclésiastique chrétien ; il essaie de réaliser un syncrétisme religieux autour du culte de Jupiter solaire d’Antioche. Mais dès la fin de l’année, il se décourage devant l’inexpugnable vitalité de l’Église. De ce fait, 311 est la dernière année des persécutions féroces.

Secousses à la tête occidentale de l’empire. Maximien essaie d’assassiner Constantin dans son lit. La tentative échoue grâce à Fausta, et Constantin, qui a fait coucher un ennuque à sa place, arrête Maximien en flagrant délit de tentative de meurtre et le fait pendre dans sa prison.

Puis, ayant décidé qu’il n’y aurait qu’une seule tête impériale en Occident, et que ce serait la sienne, Constantin se prépare à se débarrasser de Maxence.

312 – En Afrique, Donat développe les bases doctrinales de son schisme. Composant une nouvelle doctrine ecclésiologique, il définit l’Église comme «l’exclusive société des

justes» et affirme : «au péché, nulle miséricorde». Avant la mort de Majorin, il avait assez rapidement écarté celui-ci, ainsi que Lucille, l’espagnole excitée.

Le rigorisme ne cesse de troubler les communautés, hors de la Gaule. Par exemple, à Alexandrie, les mesures miséricordieuses prises par le saint évêque Pierre contre les lapsi, provoquent les protestations de l’évêque Mélèce du Haut-Nil et l’apparition d’un schisme, toujours d’inspiration rigoriste, qui vivotera jusque vers 360.

Pendant ce temps, Constantin attaque Maxence. Il marche vers Rome à la tête de 40.000 Gaulois, Germains et Bretons. Le 28 octobre, ayant franchi le Pont-Milvius, il devient, par la mort de Maxence vaincu, seul Auguste d’Occident. «Constantin», écrira Eusèbe, «invoqua le Christ et lui dut sa victoire… Il a vaincu par une inspiration de la divinité». Une nuit précédant la bataille, Constantin reçut en effet la vision du Labarum.

Résidence du César des Gaules devenu le seul empereur d’Occident, la ville d’Arles prend le nom de Constantine.

313 – Intervention armée de Constantin en Afrique contre les schismatiques et hérétiques donatiens. On assiste alors à une évolution de la conscience chrétienne en Afrique : le refus de reconnaître la validité du baptême chez les hérétiques est maintenant tenue pour «doctrine hérétique de Donat».

À Rome, Constantin opte résolument pour Cécilien et pour son successeur Militiade (depuis 311) ; il invite ce dernier à régler une fois pour toutes l’affaire des schismes rigoristes. Concile de Rome ouvert le 2 octobre avec 38 évêques, dont 15 d’Italie, 3 des Gaules, 10 d’Afrique favorables à Cécilien et 10 d’Afrique favorables à Donat. La condamnation de Donat y est prononcée, mais elle demeure sans effet : le concile de Rome n’a pas fait le poids pour régler cette affaire avec une créance universelle. Certains soutiennent encore l’hérésie donatiste, malgré la décision conciliaire de reconnaître la validité du baptême des hérétiques.

Les choses ne vont pas aussi bien à Alexandrie, où l’hérésiarque Arius reçoit en charge l’église de Baucalie.

Quelles nouvelles d’Orient ?… Le 13 juin, cet édit de Licinius : «Durant que nous étions heureu-sement réunis à Milan, Constantin-Auguste et moi Livinius-Auguste, et qu’ensemble nous traitions des grands intérêts de l’État» : liberté de religion ; restitution de leurs biens aux chrétiens ; etc. Peu avant ces décisions, Licinius a repoussé une attaque de Maximin Daïa, et celui-ci, vaincu, s’est suicidé. Ainsi ont pu être annulées les mesures de persécution sur l’Orient. (Mais plus tard, quand il entrera en conflit avec son beau-frère Constantin, Licinius reprendra les persécutions en Orient…).

Retenons l’édit de Milan, du mois de février, qui, à l’occasion du mariage de la sœur de Constantin avec Licinius, établit la paix religieuse, mettant fin à une phase d’histoire de trois siècles.

314 – Constantin écrit à Chrestos de Smyrne : «Nous avons convoqué à Arles, le jour des calendes d’août, les évêques de localités diverses et en nombre presque indéfini…».

LE GRAND CONCILE D’ARLES DE 314

Concile plénier de l’Occident le Concile d’Arles réunit 600 évêques sous la présidence de Marin d’Arles. Six grands thèmes :

1 – la date de Pâques (on suivra l’usage romain – canon 1) ;

2 – l’affaire donatiste (acquittement de Cécilien de Rome) ;

3- validité du baptême des hérétiques (canon 8) ;

4- les ordinations faites par les évêques traditeurs ;

5- la discipline du clergé ;

6- l’esquisse d’une éthique chrétienne.

Ce concile pose les bases de la tradition canonique de l’Église des Gaules…

Tous les problèmes qui n’ont pu être résolus à Rome l’ont été à Arles. Forte de 54 années de paix continue, l’Église des Gaules représente le plein équilibre de la foi, de l’économie et de la pastorale.

Et nous entrons ici dans une autre phase de l’histoire chrétienne de notre peuple.

NOTE sur la lecture chronologique

Pourquoi avons-nous choisi la méthode chronologique ? Elle a ses détracteurs. D’aucuns lui reprochent d’introduire dans un cours d’histoire un «esprit de système», on ne sait quelle raideur…

Et, bien sûr, tout dépend de la manière…

Dans la plupart des cours d’histoire, se succèdent des exposés sur tel ou tel aspect de la vie de l’époque considérée. On reçoit «en bloc» tel aspect, puis tel autre, avec çà et là quelques dates, parfois données avec parcimonie. Et puis l’on revient en arrière, et ainsi de suite. C’est cette méthode-là que nous avons tenue pour moindrement vivante, ou «systématique» au sens péjoratif. En tout cas, elle manque d’une indispensable précision.

Et donc, depuis quelques pages, nous vous proposons de lire la vie des siècles lointains dans la succession des années. Parce qu’en fin de compte, c’est le meilleur moyen de se couler dans cette époque, de vivre avec en vivant dedans.

6 – LE IVème SIÈCLE

LE RÈGNE DE CONSTANTIN LE GRAND

315 – Constantin écrit : «Je porte un entier respect à la régulière et légitime Église catholique». Cela nous fait tout de suite entrer dans le climat du IVème siècle.

On lit dans l’œuvre de l’historien Eusèbe : «Un seul Dieu fut reconnu pour l’humanité entière ; en même temps un seul et universel pouvoir, l’empire romain, se leva et prospéra. La haine inexpiable fut désormais bannie entre les peuples, et, avec la connaissance du Dieu unique, de l’unique voie de salut, la doctrine chrétienne fut répandue parmi les hommes. Si bien que, durant cette période, un seul souverain étant investi d’une autorité sans réserve, une paix profonde régnait sur le monde. Ainsi par la volonté expresse de Dieu même, jaillirent ensemble, pour le bonheur des hommes, deux sources de félicité et de bien-être : l’empire romain et la doctrine chrétienne de l’amour».

L’Église des Gaules compte trente évêchés.

Sylvestre est évêque de Rome depuis 314, année du grand concile d’Arles. Dioclétien meurt dans sa retraite adriatique.

Un enfant naît à Poitiers : Hilaire, – pendant qu’on consacre la grande basilique de Jérusalem.

316 – L’Église donatienne est intervenue auprès du pouvoir impérial contre les décisions du concile d’Arles. Mais en novembre, Constantin exalte la mémoire de Cécilien de Rome : «Il fut un homme d’une parfaite innocence».

Dans les Gaules, s’agitent les Bagaudes.

Ce sont des paysans ruinés, des gens perclus de dettes, des esclaves fugitifs, rassemblés en bandes. Contre eux a durement réagi Dioclétien. Mais depuis les années 285-290, ils se réfugient dans les montagnes, descendant de temps à autre pour piller les fermes ou rançonner des voyageurs. Or maintenant, ces gens qu’on appelle aussi «rôdeurs» s’allient au schisme donatiste, dont ils finissent par constituer l’armée gauloise. Étrange histoire : cette secte inspirée par le rigorisme est représentée chez nous par des bandits !

317 – Quelque part en Pannonie (Hongrie actuelle), naît, dans une famille barbare et païenne, un enfant appelé (plus tard) Martin. Nous aurons beaucoup à reparler de lui.

Le Labarum, portant le monogramme du Christ, est inscrit sur les étendards de toutes les armées de Constantin.

318 – Lactance écrit son œuvre historique.

319 – Édit de Constantin sur l’art divinatoire, limitant les activités des aruspices et proscrivant les pratiques de magie.

DÉBUT DE L’HÉRÉSIE ARIENNE

321 – Au Concile d’Alexandrie, l’évêque de cette ville prestigieuse, Alexandre, invite Arius et ses adversaires à discuter devant 100 évêques d’Égypte et de Lybie.

L’hérésiarque y est soutenu par l’historien Eusèbe de Césarée, et par Eusèbe de Nicomédie. Le diacre Athanase, jeune homme de frêle corpulence, apparaît comme champion de l’orthodoxie.

Condamné, Arius doit quitter l’Égypte.

Afin de mieux se préparer à attaquer son beau-frère Licinius qui tient l’Orient, Constantin impose à l’Afrique une paix intérieure à tout prix. Il publie un édit de tolérance

favorable aux schismatiques et ordonne aux évêques orthodoxes de ne pas répondre aux injures de ces adversaires. L’Église donatiste en profite pour renforcer ses positions.

322 – L’arianisme progresse dans tout l’Orient. Eusèbe de Nicomédie accueille et protège Arius.

323 – Voici, au sujet de l’arianisme, l’épiscopat oriental divisé en deux partis violemment antagonistes. Constantin voudrait intervenir. Mais il décide de conquérir, avant tout, l’Orient administré par Licinius.

MONACHISME CÉNOBITIQUE

Pacôme fonde le monachisme cénobitique dans un village oriental abandonné.

Le monachisme est né en 250, avec saint Paul de la Thébaïde fuyant la persécution de Dèce. Maintenant, le maître des anachorètes est saint Antoine, qui gagna le désert en 270. Mais il a trop de disciples et, surtout, beaucoup trop de solitaires contestables.

Païen converti, disciple de l’anachorète Philémon, saint Pacôme institue le cénobitisme, c’est à dire la vie monastique en commun, avec une clôture interdite aux gens du

monde et un habit. Neuf monastères pacômiens seront bientôt fondés en Égypte, et Marie, sœur de Pacôme, va établir deux communautés de femmes.

Il arrive qu’un monastère compte plus d’un millier de moines.

324 – Saisissant le prétexte d’un incident de frontières, Constantin jette ses forces contre celles de son beau-frère oriental. Les ayant vaincues à Andrinople, il emprisonne Licinius puis, six mois après, le fait étrangler. Constantin est le seul maître du monde.

Consécration de Byzance, le lieu sur lequel il ordonne la construction d’une ville : la deuxième Rome.

325 – Au concile de Nicée, premier œcuménique, convoqué par Constantin aux fins de résoudre le problème tragique de l’hérésie arienne, 318 évêques, orientaux en grande majorité. Le concile s’ouvre le 20 mai, animé par Ossius de Cordoue et le diacre Athanase d’Alexandrie.

Seul un évêque, celui de Die, représente les Gaules. La propagande arienne et l’arianisme sont encore ignorés chez les Gaulois qui vivent en paix dans la plus pure orthodoxie.

326 – En juillet, la population de Rome injurie Constantin. Celui-ci, déjà exaspéré par les oppositions qui se nouent contre lui, se laisse influencer par l’impératrice Fausta contre Crispus, jeune prince né de son premier mariage. Crispus est arrêté, puis exécuté. Sainte Hélène, mère de l’empereur, lui reproche son crime à grands cris. Fou de douleur et pris de remords, Constantin fait assassiner son épouse Fausta dans son bain.

Hélène s’embarque aussitôt, à Naples, pour la terre sainte.

327 – En terre sainte, elle découvre les reliques de la sainte Croix. La sainte femme a institué les pèlerinages et généralisé le culte des reliques. Les Gaulois prennent l’habitude de se rendre en pèlerinage à Rome, sur les tombes où reposent les apôtres martyrs Pierre et Paul. Un nouveau courant poussera maintenant les pieux voyageurs vers l’Orient.

Depuis 155, les fidèles de Smyrne vénèrent les ossements de Polycarpe. Depuis 258, ceux d’Afrique, les reliques de Cyprien. Parfois, avant de communier, les fidèles baisent la parcelle d’os d’un martyr.

328 – Le diacre Athanase, défenseur de l’orthodoxie contre les ariens, devient, âgé de 33 ans, évêque d’Alexandrie.

330 – Fondation de Constantinople. Fidèle à sa politique de tolérance en matière de religion, Constantin y a laissé édifier les temples païens de Cérès, de Rhéa et des Tychès. Le 11 mai, commencent les fêtes de la fondation de la ville. Elles durent 40 jours.

Naissance de saint Basile.

331 – Naissance et baptême de Julien, neveu de Constantin, qui deviendra en 361 l’empereur apostat.

333 – Réorganisant l’administration suprême de l’empire, Constantin fait cinq parts : son aîné Constantin II reçoit la Gaule, la Bretagne et l’Espagne ; son second fils, Constance, l’Asie, la Syrie et l’Égypte; le plus jeune, Constant, l’Illyrie, l’Italie et l’Afrique ; son neveu Dalmace, la Thrace, la Macédoine et la Grèce ; un autre neveu, Hannibalien, le Pont et l’Arménie avec le titre de «roi des rois».

335 – Encore un effet de la tolérance systématique de Constantin : en Afrique, une loi confirme les privilèges des flamines et des sacerdotes municipaux. Mais, écrit l’empereur, «Je professe la plus sainte des religions. Nul ne peut contester que je sois le fidèle serviteur de Dieu». Il est encore catéchumène.

Consécration, en terre sainte, des trois églises élevées sur l’ordre de sainte Hélène.

Mort de Sylvestre de Rome, à qui succède Marc.

Concile de Tyr contre Athanase. Condamné à Nicée il y a dix ans, l’arianisme ne désarme pas. Athanase est déposé par les évêques de tendance arienne. Il part aussitôt à Constantinople demander l’aide de Constantin, mais celui-ci, qui le traite en trublion, l’exile à Trèves.

ATHANASE RÉVÈLE LE MONACHISME AUX GAULES

336 – Exilé à Trèves, Athanase révèle le monachisme à l’Église des Gaules.

Mort de Marc de Rome. Le siège reste vacant jusqu’à l’année suivante.

337 – Jules 1er, évêque de Rome. Rappelé d’exil, Athanase constate que, pendant son voyage, un hérétique s’est installé sur son siège d’Alexandrie. Il se réfugie à Rome.

À l’approche de Pâques, Constantin tombe malade. Il se rend alors aux bains de Nicomédie, puis aux sources de Drepanum, ville qu’il appelle maintenant Hélénopolis en l’honneur de sa sainte mère. Là, il reçoit l’imposition des mains du catéchuménat.

Il se fait ensuite transporter dans la ville d’Ancyrona, faubourg de Nicomédie, et y convoque quelques évêques. Selon ce que rapporte saint Jérôme, c’est Eusèbe de Nicomédie (favorable aux ariens) qui le baptise. À partir de son baptême, il ne porte plus la pourpre et se prépare à la mort.

Avant de mourir, Constantin rappelle Athanase de son exil. Il meurt le 22 mai, jour de la Pentecôte. Après les obsèques de Constantin, une insurrection militaire met à mort ses deux neveux. Les trois fils se partagent l’empire. Constantin II règne sur l’Occident. C’est un orthodoxe.

338 – Eusèbe écrit La vie de Constantin.

Athanase gagne l’Italie du nord et les Gaules. Soldat dans l’armée romaine, Martin, âgé de 20 ans, arrive en Gaule.

La vie sacramentelle a pris un grand développement. La foi est très enracinée dans les Écritures. Les heures de l’office divin se précisent, et saint Athanase d’Alexandrie incite les fidèles à se lever pour prier au milieu de la nuit.

Né du culte des martyrs, le culte des saints prend son essor. Eusèbe écrit : «Nous avons l’habitude de nous assembler sur leurs tombes, d’y prier et d’y honorer ces âmes bienheureuses». Maintenant, au baptême, on donne aux enfants un nom de saint.

La dévotion aux anges progresse.

Croissante influence du monachisme sur la spiritualité.

Apparaissent les maîtres spirituels. Le mouvement, parti de la Thébaïde, est maintenant communiqué aux chrétiens gaulois par Athanase en exil.

339 – Les premiers moines gaulois. Athanase reste dans les Gaules jusqu’en 346.

340 – Concile de Rome : Jules 1er de Rome écrit aux évêques orientaux pour défendre Athanase. Constantin Il est tué dans une bataille contre Constant. Ce dernier règne sur tout l’Occident (et Constance, l’arien, sur l’Orient). Mort de l’évêque et historien Eusèbe, né en 265.

341 – Concile d’Antioche, dit in encaeniis du fait de la consécration solennelle de «l’Église d’or» dont Constantin a ordonné la construction et dont Constance ordonne la consécration («In encaeniis» – «de la dédicace»). Bien que la majorité des évêques soit orthodoxe, l’épiscopat eusébien, favorable à l’arianisme mitigé, provoque une nouvelle déposition d’Athanase. Venu à ce concile, le Goth Ulfila se lie avec Eusèbe de Nicomédie. Il est ordonné à l’épiscopat avant de revenir dans son pays germanique pour y répandre l’hérésie arienne.

L’ARIANISME D’ULFILA

342 – Ulfila organise une Église nationale des Goths, dont l’arianisme schématisé à l’usage des Germains prend des formes insolites. C’est une religion de guerriers, assez proche de l’ancien mithriacisme romain : rites nocturnes, exaltation de la force, Jésus présenté comme un héros divinisé, religion pratiquement dépourvue de dogme précis.

Raid des Francs sur les terres fertiles de l’empire.

343 – Arrivant des Gaules qu’il vient de traverser après avoir passé l’été de 342 à Milan, saint Athanase se présente au concile de Sardique qui s’ouvre à la fin de l’année. Sur les 110 évêques présents, deux viennent des Gaules : Vicissimus de Lyon et Maxime de Trèves. Mais une très forte délégation eusébienne (habituons-nous à ce que ce qualificatif signifie : philo-arien). Ossius de Cordoue préside.

Apprenant la présence d’Athanase et de Marcel d’Ancyre, les Eusébiens refusent de participer aux sessions. Ils quittent Sardique dès l’ouverture du concile et, non loin, tiennent des conciliabules agités. À propos de l’innocence d’Athanase et de Marcel d’Ancyre, l’assemblée s’en tient aux décisions du concile de Rome de 340. Et cependant, à Sardique, on traite les « anasthasiens » comme un parti, afin que le concile ne commence pas dans une ambiance de discussion agitée.

Ossius écrit à Constance : «Lorsque les ennemis d’Athanase vinrent me trouver dans l’église où je me tenais ordinairement, je les priai d’exposer leurs preuves contre Athanase, leur promettant toute sûreté et une justice impartiale. Je dis que, s’ils répugnaient à s’expliquer devant tout le concile, ils devaient au moins s’en ouvrir à moi. J’ajoutai que si Athanase était reconnu coupable, il serait exclu par tous. S’il est reconnu innocent, que vous soyez convaincus de calomnie et que vous refusiez tout rapport avec lui, je le déterminerai à m’accompagner en Espagne. Athanase accepta ces conditions sans hésiter. Mais les eusébiens, doutant de la bonté de leur cause, déclinèrent mes propositions»

ATHANASE : LE DÉNOUEMENT

344 – Après le concile de Sardique, l’opposition des eusébiens prend une violence extrême et ne recule même pas devant les tentatives d’homicide.

Naissance de Jean Chrysostome à Antioche et de Jérôme à Emona, en Croatie.

346 – Le 21 octobre, Athanase quitte les Gaules et regagne Alexandrie, accueilli par son peuple enthousiaste. Il y vivra en paix jusqu’en 355.

347 – En Afrique, Constant sévit durement contre l’Église donatiste, dont un évêque est tué. En 327, sainte Hélène avait fait trois parts de la sainte Croix : une pour Rome, une pour Constantinople, une pour Jérusalem. Mais les reliques ont encore été partagées par la suite. Saint Cyrille écrit : «tout l’univers est rempli du bois de la Croix».

348 – En Espagne, naissance du poète Prudence, qui mourra en 410.

349 – Constant manque de caractère. Un Franc, Magnence, soulève l’armée contre lui et le poursuit à travers la Gaule.

350 – L’usurpateur Magnence rejoint l’empereur Constant et le tue. Athanase d’Alexandrie préside à l’ordination épiscopale de Frumence, qui fonde l’Église d’Abyssinie.

351 – L’évêque Ossius de Cordoue écrit à Constance II : «Souviens-toi que tu es un homme mortel». L’usurpateur Magnence règne sur les Gaules.

352 – Mort de Jules 1er, l’ami d’Athanase ; lui succède Libère de Rome.

INSTALLATION DE L’ARIANISME EN GAULE

353 – L’usurpateur Magnence se suicide à Lyon. À ce moment, Constance régnant sur tout l’empire, l’arianisme s’installe au pouvoir dans les Gaules. Constance épouse Eusébia, arienne ardente. Athanase écrit : «les femmes ont exercé une grande influence sur les destinées de l’arianisme». Constance établit sa résidence gauloise à Arles.

Concile d’Arles. Une fois les évêques réunis, Constance leur fait présenter un décret condamnant Athanase, déjà rédigé par Valens et Ursace qui, à eux deux, dirigent ce triste synode. Les évêques gaulois s’indignent avec véhémence : au lieu de questions doctrinales (d’autant plus impérieuses que voici l’arianisme dans les Gaules), on leur présente «un méchant règlement de comptes». Les légats de l’évêque romain ayant proposé qu’on acceptât la condamnation d’Athanase si l’on anathématisait l’hérésie d’Arius, le concile commence sur cet affreux compromis. Après avoir protesté, les évêques cèdent honteusement.

Libère écrit à Constance : «Je te demande, très religieux empereur, une paix véritable, non pas une paix appuyée sur des formules que contredisent les sentiments du cœur. Une paix basée, comme elle doit l’être, sur les principes de l’Évangile. Le concile que j’ai demandé à ta mansuétude était destiné, dans ma pensée, à régler non seulement la question d’Athanase mais beaucoup d’autres questions. On devait y fixer avant tout la doctrine de la foi». Les évêques des Gaules, avec Libère de Rome, demandent à grands cris un concile réparateur.

HILAIRE DE POITIERS, ET SUITE DU DÉNOUEMENT DE L’AFFAIRE D’ATHANASE

354 – Hilaire devient évêque de Poitiers, sa ville natale. Il comprend à quel point le danger de l’arianisme est grand dans les Gaules qui, n’ayant pas été concernées par cette hérésie en 325, n’ont prît‚ qu’une attention lointaine au concile de Nicée.

À Amiens, Martin a partagé son manteau avec un mendiant. S’étant converti, il devient le disciple d’Hilaire de Poitiers.

Raid des Alamans sur les terres fertiles de l’empire.

355 – En Gaule, Constance a confié l’administration générale à deux de ses cousins. L’un d’eux, Julien, le neveu de Constantin qui a renié son baptême, est nommé César des Gaules à son retour d’Orient. Règne éhonté des fonctionnaires. On ne peut plus rien entreprendre, fut-ce un voyage, sans la permission d’un contrôleur !…

Concile de Milan. 300 évêques occidentaux, quelques orientaux. Menées par Valens les pressions ariennes sont telles que l’épiscopat orthodoxe souffre de pessimisme. On demande une nouvelle souscription à la condamnation d’Athanase ! Réponse de l’orthodoxe Eusèbe de Verneuil : «On doit d’abord s’occuper de la foi, car plusieurs de ceux qui sont ici sont entachés d’hérésie. Il faut commencer par signer le symbole de Nicée, et, quand tous auront signé, je consentirai à mon tour à ce qu’on me demandera». Lui arrachant des mains papier et plume, Valens s’écrie : «Cela ne se fera pas !». Très irrité par cette scène, la population orthodoxe entoure alors l’église et se fait menaçante. Les ariens décident que les séances continueront dans le palais impérial. Une fois à l’abri, ils brandissent un édit de Constance favorable à leur doctrine. À leur tour, les orthodoxes refusent de signer : «cela est contraire au canon ecclésiastique !»

– «Ma volonté tient lieu de canon», réplique l’empereur. Puis il menace les orthodoxes de les faire mourir. Il se reprend et dit : «Je vais vous exiler». Pour finir, il les flanque à la porte de son palais.

Les uns sont battus de verges, d’autres emprisonnés, d’autres exilés. Denys de Milan est banni. Les ariens lui donnent pour successeur Auxence, un hérétique cappadocien qui va introduire des éléments orientaux dans la liturgie gallicane de Milan.

Commence en Occident la persécution des orthodoxes par le pouvoir arien. Voici le dialogue entre Constance et Libère de Rome, qu’il a fait conduire de force au palais :

«Libère, tu es chrétien, tu es évêque de notre ville. Je t’ai fait amener pour te prévenir que tu dois exclure de ta communion cet Athanase dont l’impiété touche à la folie.

L’univers entier partage ma conviction, et un concile a privé cet homme de la communion ecclésiastique».

– «Les jugements ecclésiastiques doivent être rendus avec une entière justice. Il ne tient qu’à ta piété de soumettre la cause d’Athanase à un jugement. Si les débats concluent à une sentence de condamnation, elle sera prononcée en toute justice selon les règles du droit ecclésiastique. Nous ne pouvons condamner sans jugement».

«Il a déjà été condamné, mais il se met à l’abri des poursuites !»

– «Ceux qui ont souscrit à la condamnation ignorent les faits. Ils ont agi par crainte de tes sévices».

– «Je te donne trois jours de réflexion. Si tu signes, tu retournes à Rome ;

sinon, tu choisiras le lieu de ton exil».

Libère est aussitôt exilé à Bérée, en Thrace. Le diacre arien Félix devient évêque de Rome. Alors, d’un seul coup, les églises romaines sont désertes. Les orthodoxes préfèrent prier chez eux.

356 – Exilé en Thébaïde, Athanase recueille le dernier soupir de saint Antoine qui naît au ciel, âgé de 105 ans.

Les ariens convoquent le concile de Béziers. Hilaire y va. Il répète inlassablement : «Rangez-vous aux décisions du concile de Sardique». Constance, fou de colère, l’exile en Phrygie.

Avant de quitter sa terre gauloise, Hilaire excommunie, avec quelques-uns de ses collègues orthodoxes, Valens, Ursac et Saturnin d’Arles. Apprenant l’exil de son maître,

Martin quitte les Gaules pour sa Panonie natale, afin de convertir sa famille.

En la personne d’Hilaire exilé, l’Église des Gaules noue un contact profond avec la pensée théologique d’Orient. L’évêque de Poitiers, «Athanase d’Occident», adresse son premier livre à Constance et écrit son traité De la Trinité.

CONCILES ORIENTAUX, AVEC HILAIRE

357 – L’empereur séjourne à Sirmium. De nombreux évêques occidentaux, ariens et philo-ariens, se rendent au concile de Sirmium, où Hilaire exilé ne craint pas de se rendre. Ils vont jusqu’à dire : «il est indubitable que le Père est plus grand, et qu’Il dépasse le Fils en magnificence, en majesté…». Hilaire s’écrie «c’est un blasphème !». Dans leur immense majorité, les évêques des Gaules repoussent la formule hérétique de Sirmium.

358 – Situation politique troublée dans les Gaules. Constance guerroyant contre les Perses, les troupes gallo-germaniques se soulèvent et proclament Auguste son cousin Julien, l’apostat. Une guerre civile s’en­suit, jusqu’en 361.

Hilaire exilé se rend au concile d’Ancyre. Il y trouve, sous la présidence de Basile d’Ancyre, des semi-ariens très embarrassés, si embarrassés qu’ils finissent par produire des formules dogmatiques presque orthodoxes. On finit par employer le mot «homoousios». C’est déjà une victoire d’Athanase, «le patriarche invisible», et d’Hilaire, «l’Athanase d’Occident».

359 – Dans son De synodis, Athanase donne le récit du concile de Rimini :

«Comme réponse à l’empereur qui exigeait l’adhésion aux formules de Sirmium, les orthodoxes avaient proposé de jeter l’anathème sur l’arianisme, et ils avaient déclaré l’inutilité d’une nouvelle profession de foi : car la question n’était pas de connaître la vraie foi, mais de confondre ses adversaires. Le concile de Nicée ayant fait tout le nécessaire au sujet de la foi, ses décisions gardaient force de loi; et si Ursace, Valens et leurs amis étaient du même sentiment que les orthodoxes, ils devaient, conjointement avec eux, anathématiser toutes les hérésies et, en particulier, l’arianisme».

«Devant leur refus, le concile, convaincu de leurs sentiments et de leurs desseins hérétiques, approuva une fois de plus et à l’unanimité les décrets de Nicée, et en particulier l’usage du mot «ousia», anathématisa en détail les principes de l’arianisme, déclara hérétiques et déposa Ursace, Valens, Germinius et Caïus, Auxence et Démophile, et fit connaître ses travaux à l’empereur dans une lettre rédigée en latin. Le concile faisait observer à l’empereur que le rétablissement de la paix dépendait du maintien de la foi de Nicée, et que les moyens proposés par Valens et autres n’auraient pas le même succès. Enfin les évêques priaient l’empereur de ne pas les retenir plus longtemps à Rimini, plusieurs d’entre eux étant accablés par l’âge et la misère, et les Églises ne pouvant rester plus longtemps privées de leurs évêques».

Le 18 juin, Constance quitte Sirmium pour retourner faire la guerre aux Perses. Arrivé à Constantinople, il reçoit les évêques ariens mais refuse de recevoir les évêques orthodoxes. L’arianisme ne désarme pas.

Après Rimini, en septembre Hilaire de Poitiers se rend au concile de Séleucie. On lui demande ce que croit l’Église des Gaules. Il répond en récitant la proclamation de la formule de Nicée. Aussitôt, éclate l’enthousiasme général; on l’admet à la communion à l’unanimité. Tour de génie d’Hilaire !.. l’admiration qu’il inspire est telle que les évêques semi-ariens réunis à Séleucie finissent par produire un texte conciliaire orthodoxe.

Constance II meurt sans avoir pu venir à bout de la guerre civile qui sévit dans les Gaules.

Alors, Hilaire quitte l’exil et revient à Poitiers.

LE CONCILE DE PARIS

360 – Que constate Hilaire en revenant dans son pays ? L’ensemble de l’épiscopat des Gaules est resté ferme dans l’orthodoxie. À cette époque, on peut dire que l’Occident

est seul solidement orthodoxe, l’Orient baignant dans l’hérésie et l’intrigue venimeuse.

Hilaire anime aussitôt le concile de Paris. Acte principal : la lettre aux Orientaux, signée d’Hilaire et de tout l’épiscopat gaulois. En voici la substance :«Nous affirmons que le terme « homoousios », prononcé à Nicée est juste. Nous l’expliquons en ce sens que le Fils possède avec son Père une même « ousia ». Il n’est donc ni créature ni fils adoptif. Si nous adoptons le mot « similitude », c’est à condition que ce soit une similitude de vrai Dieu à vrai Dieu, et qu’il n’y ait pas seulement union, mais unité dans la divinité».

Après 35 ans de palabres orientaux, c’est dans les Gaules que triomphe la foi de Nicée.

La guerre civile gauloise s’est apaisée. Julien, le prince qui a renié son baptême, est le chef incontesté. La ville de Bar-Isis, ensuite appelée Lutèce, reprend son nom gaulois : Paris. Julien en fait la capitale des Gaules. Il est «l’imperator de Paris». Aimé du peuple. Et nonobstant son paganisme militant, aimé des chrétiens. Il est moins pénible d’avoir des chefs athées ou païens que des chefs hérétiques.

Martin, âgé de 43 ans à son retour de Pannonie, se présente devant Julien :

«Auguste, je t’ai servi loyalement. Je te demande maintenant la permission de ne servir que Dieu»

– «Aurais-tu peur de notre combat de demain ?»

(Julien guerroie contre les Francs et les Alamans, car il a entrepris d’anéantir la menace barbare sur le Rhin).

«Si tu le crois, tu me verras au premier rang nu et sans armes».

Julien parie. Dans la nuit, Martin se présente nu au premier rang de la bataille, les mains vides. À vrai dire, il n’y a pas de bataille : l’ennemi signale qu’il se rend. Julien libère le chrétien de ses obligations militaires.

Martin rejoint son maître Hilaire de Poitiers. Commence aussitôt l’évangélisation des campagnes.

En Orient, l’enseignement mariologique de saint Ephrem le Syriaque…

Ayant appris la mort de Constance, Athanase retourne à Alexandrie. Il y restera jusqu’à sa sainte mort, en 373.

JULIEN L’APOSTAT

361 – Julien, le philosophe apostat, règne sur tout l’empire.

Le 6 janvier, à Vienne, il assiste aux fêtes chrétiennes de l’Épiphanie. Mais il est initié au culte de Mithra, et les solennités chrétiennes le laissent de glace.«J’ai lu, j’ai compris, j’ai refusé» : ainsi parle-t-il de la foi qu’il reçut dans son enfance.

À ce moment, deux événements se produisent : d’abord, retour offensif du paganisme romain; ensuite, le latin devient la langue nationale de la Gaule. Julien n’est pas un persécuteur mais, répétons-le, un intellectuel, un philosophe. Un noble cœur, «j’étais» écrit-il, «dans ma chère Lutèce sise au milieu d’un fleuve, dans une île de médiocre étendue, jointe au rivage par deux ponts. L’hiver y est moins rigoureux qu’ailleurs, peut-être à cause des douces brises de la mer qui viennent jusque là, n’ayant que 900 stades à parcourir. Ce pays des Gaules possède d’excellents vignobles. On y élève beaucoup de figuiers qu’on protège contre le froid hivernal par des couvertures de paille…»

Sous son règne, les Alamans et les Francs cessent leurs raids dévastateurs. Les brigands ne sévissent plus sur les chemins. Un chroniqueur gaulois nommé Libanius écrit : «On recommençait à se marier, à voyager, à célébrer les jours de fêtes et les cérémonies publiques».

Les Gaulois aiment cet homme qui a rétabli l’ordre et pratique une politique de tolérance.

362 – Il va de soi que Julien l’Apostat favorise toutes les tendances hérétiques et schismatiques du monde chrétien. Mais sans cruauté envers les orthodoxes. Grâce à lui, en Afrique, l’Église donatiste, abattue en 347 par Constant, renaît de ses cendres. Sur l’ordre des évêques donatistes, les basiliques orthodoxes africaines sont profanées.

Le Concile d’Alexandrie consacre le triomphe de saint Athanase.

Dans le Bordelais (Aquitaine), un poète est devenu célèbre : Ausone, gaulois romanisé, descendant de l’Éduen Arborius.

363 – Près de Poitiers, Martin fonde le monastère de Ligugé, premier en date dans les Gaules ; il y établit sa demeure.

Mais, y compris chez les orthodoxes, beaucoup élèvent une résistance indignée contre le monachisme. Le prêtre gaulois Vigilance proteste en ces termes : «Si tous se claustrent, qui pourvoira au service divin ? Qui convertira les gens du monde ? Qui maintiendra les pécheurs dans le chemin de la vertu ?».

Une loi scolaire vient d’interdire l’enseignement aux chrétiens. Le retour au paganisme va-t-il devenir méchant ? Julien a du mal à empêcher les populaces de se ruer dans les églises pour les profaner.

Pendant l’hiver 362-363, Julien séjourne à Antioche, devant préparer une guerre contre les Perses. À ce moment, il souffre de ses échecs et, les attribuant au christianisme, rédige quelques pages violentes contre la foi et l’Église. «La machination chrétienne», écrit-il, «est une invention de la malice humaine. Les chrétiens sont des traîtres; leurs dogmes, des mensonges; les récits de la Bible, des absurdités. Si les principes du Christ, qui ne fut qu’un homme, étaient applicables, ils ruineraient la société…». En juin, il subit de cuisantes défaites en Iran. Les armées romaines battent en retraite. Se portant courageusement au secours de son arrière-garde, Julien reçoit un javelot dans le foie. Il meurt dans la nuit, entouré de quelques philosophes, ses amis. Selon le témoignage d’Ammien Marcellin, il s’écrie en mourant : «Tu as vaincu, Galiléen !»

Jovien lui succède. Pour quelques mois seulement…

364 – Après le règne éphémère de Jovien, nouveau partage de l’empire : Valentinien, orthodoxe, régnera jusqu’en 375 ; son frère Valens, arien, jusqu’en 378. Valentinien fait, du poète gaulois Ausone, le précepteur de son fils Gratien.

En Orient, baptême de Jean Chrysostome, âgé de 20 ans. La coutume orientale était encore de ne pas baptiser dès leur bas âge les enfants nés de parents chrétiens.

«Le partage de l’Empire entre Valentinien 1er et Valens, frères chrétiens mais dogmatiquement séparés, parut rendre au paganisme une nouvelle espérance. L’un, Valentinien 1er, de principes (sinon de mœurs) très catholiques, n’avait nullement dessein d’imposer ses convictions et, s’il aida l’Église, il ne pourchassa dans le paganisme que les pratiques magiques et les sacrifices nocturnes. L’autre, Valens, arien fanatique, poursuivit d’une haine si active les catholiques qu’il en oublia de combattre les idolâtres, dont les fêtes publiques, voire les bacchanales, reparurent.

Mais cette indulgence provisoire ne pouvait rien changer au fait que, devenu chrétien, l’Empire était logiquement entraîné à lutter contre le culte païen. Car telle était la

réalité historique qui allait s’imposer. La situation s’était renversée : il fallait en tirer les conséquences. En une époque où le gouvernement des hommes ne se concevait qu’associé à des données religieuses, un Empire chrétien ne pouvait pas plus tolérer en son sein un paganisme puissant, qu’un Empire païen n’avait pu supporter un Christianisme en pleine croissance. Il était fatal que l’Empire renouvelé persécutât le paganisme, comme il était fatal qu’il finît par faire corps avec le Christianisme lui-même». Daniel Rops, L’Église des Apôtres et des Martyrs. Fayard 1948

PLEIN ESSOR DE L’ÉGLISE DES GAULES

365 – Avec la création des évêchés d’Embrun et de Grenoble, l’Église des Gaules compte maintenant 60 évêchés. Parmi les évêques les plus brillants : Hilaire de Poitiers, Réticius d’Autun, Fœbade d’Agen. Sur cette époque, Camille Julian écrira : «les chrétientés gauloises menaient une vie honnête, pacifique et banale».

Nouveau raid des Alamans. Martin pense que la poussée barbare représente, pour l’avenir, un nouveau danger arien plus grave peut-être que ce qu’il fut sous Constance. Il va créer les paroisses rurales : noyaux d’orthodoxie autour de l’église et du prêtre.

366 – Damase, évêque de Rome.

Saint Optat de Milève, un Numidien, publie une histoire du schisme de Donat, dont il réfute les principes.

367 – Hilaire de Poitiers naît au ciel.

L’empereur Valentinien a rétabli sa capitale de Trèves. Le poète gaulois Ausone :

«… dut arriver dans la capitale des légions vers la fin de l’année 367… Le poète a quitté à regret ses belles résidences et sa chère université, ses gueuletons champêtres et ses disciples bien-aimés. Car il a établi son équilibre en donnant la même passion à l’agriculture et à la pédagogie. Loin de Bordeaux, il se sent un peu désemparé, et c’est peut-être en chantant la Moselle qu’il a le mieux chanté la Garonne… Mais la ville de garnison est passionnante. On y voit caracoler des généraux tintamaresques. Tous les chefs militaires sous Valentinien portent des noms francs : Mérobaud, Ricomer, Arbogast. On essaye de contenir leur fougue en les couvrant de chamarrures…» Gaston Bonheur, Notre patrie gauloise, Laffont, 1974.

370 – Le mot «paganus» (païen) apparaît pour la première fois dans un décret officiel, pour désigner l’ancienne religion gréco-romaine. Le terme revêt maintenant un sens précis, péjoratif.

Raid des Sarmates. La menace barbare se fait pesante.

En Orient, saint Basile réorganise le monachisme cénobitique.

371 – Sous la direction de l’évêque Faust de Milève, en Afrique, s’organise une secte manichéenne animée d’un puissant esprit de propagande. Le jeune Augustin, futur évêque d’Hippone en recherche de voie spirituelle, reçoit un moment l’influence de cette secte.

373 – Athanase d’Alexandrie naît au ciel.

Ambroise devient évêque de Milan.

Apprenant qu’on veut l’élever à l’épiscopat, Jean Chrysostome s’enfuit au désert.

374 – Dans les Gaules, le Concile de Valence récapitule les canons disciplinaires. Il décrète l’irrégularité des bigames ou maris des veuves (canon 1), impose la pénitence des vierges qui ont rompu leur observance (canon 2), confirme la réception de ceux qui se sont laissés baptiser par les hérétiques…

Jérôme se fait moine au désert syrien.

375 – Les chrétiens de Tours, venus en force à Ligugé, en font sortir Martin et le contraignent à devenir leur évêque.

La mort de Valentinien, empereur orthodoxe d’Occident, ramène le désordre. Malgré le rôle de tuteur exercé par le sage Théodose, s’affrontent les partisans de Gratien et de Valentinien II, qui ne sont que des enfants.

A Jérusalem, sainte Mélanie fonde un monastère de femmes.

376 – «A partir de 375 environ, l’agonie du paganisme a commencé. Gratien, fils de Valentinien 1er, jeune prince profondément chrétien, prend les premières mesures qui vont trancher les liens entre l’État et la religion traditionnelle. A son avènement, il refuse d’accepter les insignes de « Pontifex maximus » que ses prédécesseurs chrétiens avaient tous reçus jusque-là…». Daniel Rops.

Gratien nomme le poète gaulois Ausone préfet des Gaules. Ausone est, lui aussi, un chrétien orthodoxe. Mais pas du tout un ascète.

377 – Déclaration solennelle de Damase de Rome contre l’arianisme et contre l’apollinarisme.

Fondation probable, à cette date, de la paroisse d’Amboise, la première de France, par saint Martin de Tours.

378 – Théodose règne (jusqu’en 395), mais encore seulement en Orient.

Raid des Goths sur les terres de l’empire.

379 – Basile le Grand naît au ciel.

Le poète Ausone est nommé, par Gratien, consul.

L’épanouissement des lettres chrétiennes mérite notre attention. L’illustration de la foi orthodoxe opère une entrée brillante dans la littérature. Le séjour de saint Hilaire de Poitiers en Orient a joué un rôle d’importance dans cette promotion. Par ailleurs, les auteurs se sont imprégnés des Grecs et des Latins, et particulièrement de Virgile.

Les citations de Virgile abondent dans l’œuvre de saint Ambroise de Milan.

On lit l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe (mort en 340), et quelques autres ouvrages historiques, par exemple les diverses Vie de Constantin, les livres de Jules l’Africain, qui écrivit au siècle précédent, ceux des philosophes Socrate, Sozomène…‚

Né en 348, le poète Prudence connaît un franc succès. Cet avocat espagnol, venu tardivement à la foi, exalte maintenant le saint héroïsme des martyrs.

Alexandrie a brillé par Origène et par Clément, puis par le grand saint Athanase. Antioche, par Flavien, Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, et maintenant par Jean Chrysostome. La Cappadoce, par Basile, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse. L’Afrique, par Lactance.

LE CHRISTIANISME, FOI OFFICIELLE

380 – Loi de Théodose : le christianisme devient la seule et unique foi officielle de l’empire.

Saint Ambroise préside le concile de Milan…

381 – Le Concile de Constantinople, deuxième œcuménique, complète et parachève l’œuvre dogmatique et canonique de Nicée.

Le concile de Constantinople fait apparaître de notables différences psychologiques entre l’Occident et l’Orient. Ce ne sont pas, de part et d’autre, les mêmes problèmes.

L’Occident vit paisiblement dans l’Orthodoxie. Il ne produit pas de grands hérésiarques. L’Église des Gaules a son autonomie parfaite, ses rites, ses usages. Elle vit en bonne intelligence avec Rome, dont l’évêque n’administre que la ville et la campagne immédiate. L’Occident a l’habitude de la paix.

Par contre, l’Orient se soucie des grands ensembles ecclésiastiques. Il y en a trois : Antioche, en difficulté avec Jérusalem au sujet des prééminences ; Alexandrie, capitale hellénistique rivale d’Antioche ; Constantinople, qui reçoit du concile la primauté d’honneur.

382 – Gratien prend, à Rome, des mesures sévères contre le paganisme : l’État n’assumera plus les frais du culte païen.

Damase de Rome confie à Jérôme le soin de traduire la Bible en latin.

383 – En Occident, l’usurpateur Maxime tue Gratien et chasse Valentinien II. Maxime‚ est pris et décapité. Mais aussitôt, plusieurs autres usurpateurs surgissent pendant cette année d’anarchie impériale.

Gratien mort, le poète Ausone perd son consulat et, dépourvu de tous ses titres d’honneur, il revient à Bordeaux.

Là, il retrouve son ami, saint Paulin de Nole. Celui-ci est un aristocrate gaulois, dont la famille est devenue sénatoriale en acquérant une terre à Nola, en Campanie. Époux de l’ardente espagnole Thérésia, il a d’abord connu une existence mouvementée : devenu hérétique priscillianiste, animé pendant un temps de sentiments manichéens, il s’est lui aussi avéré intellectuel de grande classe et, peut-être, fin poète. Et il a retrouvé l’Orthodoxie.

Quand Ausone revient de Trèves, Paulin vend tous ses biens et, ayant été ordonné prêtre à Barcelone, va vivre près de Nola sur le tombeau de saint Félix. Il est étrange que les Gaules l’aient peu connu…

Autre ami d’Ausone : son disciple Sulpice Sévère, qui réside à Prémillac, près de Périgueux et se rend souvent en pèlerinage aux divers lieux où souffle l’Esprit.

384 – Vainqueur à la bataille d’Aquilée, Théodose étend son règne sur l’Occident. Le voici maître de tout l’empire.

Sirice, nouvel évêque de Rome, publie les premières décrétales, lettres pontificales sur la foi, les mœurs ou la discipline.

Ayant quitté Rome, saint Jérôme s’installe à Bethléem, où il écrira la Vulgate.

386 – Au concile de Rome…, Sirice formule le vœu que les prêtres vivent dans la chasteté.

Jean Chrysostome quitte sa solitude et est ordonné prêtre par Flavien d’Antioche. Considérable succès de l’éloquence de sa prédication.

387 – Une émeute éclatant à Antioche, le prêtre Jean Chrysostome dirige le peuple en l’absence de l’évêque.

390 – Émeute de Thessalonique. Sa terrible répression. À Milan, saint Ambroise contraint l’empereur Théodose à la pénitence.

391 – Théodose donne le coup de grâce à l’ancien culte païen : il interdit les sacrifices et jusqu’à l’entrée dans les temples.

LE PÈLERINAGE DE SILVIA THÉRIA

393 – La pèlerine Silvia Ethéria se rend aux lieux saints et décrit les pieux édifices qui furent élevés sur l’ordre de sainte Hélène : les trois églises de la Passion‚ de la Croix et de la Résurrection.

395 – Le 6 janvier, Ethéria arrive à Bethléem. Mort de l’empereur Théodose. Arcadius règne sur l’Orient, et Honorius sur l’Occident.

En 394, s’est tenu dans les Gaules le concile de Nîmes… : concile national, suite à une tentative de l’usurpateur Eugène de rétablir le paganisme.

396 – En Afrique, Augustin est élu évêque d’Hippone.

397 – À Candes, en Touraine, saint Martin de Tours naît au ciel. Sentant venir l’énorme poussée barbare du siècle suivant, il a pourvu l’Église des Gaules du réseau de paroisses qui, dans moins de 10 ans, la sauvera.

Un tiers seulement de la population gauloise est chrétienne. Mais il y a trois piliers solides : le monachisme, en plein développement; un épiscopat valeureux ; les paroisses rurales.

Le poète Sulpice-Sévère, disciple d’Ausone, écrit La vie de Martin. Tours et Candes deviennent des lieux de pèlerinage.

Saint Ambroise de Milan naît au ciel.

399 – Anastase, évêque de Rome.

400 – Au concile de Turin, l’Église des Gaules affirme solennellement le principe territorial et manifeste sa pleine et entière autocéphalie. On se dispute pour la primatie : Vienne ou Arles ?

Les Francs Saliens, de religion païenne, s’établissent dans le pays de Waes, au nord de Gand, et remontent la vallée de la Lys jusque dans la région de Courtrai.

Plusieurs intrusions de Vandales, Alains et Suèves. Ces peuples poussent devant eux les Wisigoths, comme eux hérétiques ariens.

En Afrique, l’Église donatiste, minée par les scandales, se décompose en sectes antagonistes. Augustin d’Hippone fait tout ce qu’il peut, et avec succès, pour hâter la fin de

ce schisme qui aura empoisonné ce siècle chrétien.

401 – Innocent 1er, évêque de Rome. Le Wisigoth Alaric est battu par Stilicon, chef des armées romaines, devant Milan.

402 – Rufin d’Aquilée traduit en latin et complète L’histoire ecclésiastique d’Eusèbe.

Au concile de Rome, Innocent 1er octroie aux prêtres ruraux de son diocèse la permission de baptiser pendant le temps pascal. Chose que les prêtres gaulois font depuis longtemps…

403 – Nouvelle défaite du roi arien (wisigoth) Alaric devant Vérone.

404 – Estimant Rome trop peu protégée contre les Barbares, le gouvernement impérial se fixe à Ravenne.

LE DÉBUT DES INVASIONS

405 – Ayant franchi le Rhin, les Vandales (ariens) s’avancent dans les Gaules. Les Francs (païens) percent la frontière de l’empire du côté de la Belgique.

L’année suivante, commence la grande invasion des peuples germaniques. Saint Martin de Tours avait vu juste.

Nous entrons ainsi dans le Vème siècle de notre histoire…

7 – ENTRÉE DANS LE Ve SIÈCLE

En Occident, l’Empire romain a l’intuition de sa perte inexorable. Tout autre, en Orient, le destin du même empire : là, au contraire, une civilisation brillante marche sur les pas de Constantin. Complète divergence des destinées : en Orient, culture et puissance politique en ascension ; sur l’Occident va s’abattre un crépuscule. Une seule société occidentale détient culture, force stable, capacité de diriger les peuples : c’est l’Église. Le clergé.

L’ÉGLISE DANS L’OIKOUMÉNÈ

Une prodigieuse force nouvelle se développe à vive allure : le Monachisme. Chef de l’école théologique de Cappadoce, saint Basile le Grand (+ 379) a modifié la règle de Pacôme, joint des écoles aux monastères, mis de l’ordre chez les moines. Son œuvre liturgique, non moins importante, a donné ses bases à ce qui deviendra, vers le VIIIème siècle, le rite byzantin.

Vers 400, Rufin d’Aquilée poursuit l’œuvre d’Eusèbe, premier historien de l’Église né au ciel en 340.

381 a vu se tenir à Constantinople le deuxième Concile œcuménique.

En 393, la pèlerine Silvia Ethéria s’est rendue aux lieux saints. Depuis 387, date de l’émeute d’Antioche, le prêtre Jean, surnommé Bouche d’Or (Chrysostome) à cause de son éloquence, dirige le peuple en l’absence de l’évêque. Commence pour lui un destin tragique. Le voici à Constantinople où un ministre influent l’impose comme évêque.

Dénonçant aussitôt, avec violence, la médiocrité des chrétiens grecs, il s’attaque sans peur à ceux qui règnent et gouvernent. Refusant les compromis, haï par tout l’épiscopat oriental, saint Jean Chrysostome, patriarche de Constantinople, meurt en 407 sous la rocaille écrasée de soleil du chemin de l’exil. L’époque dans laquelle nous entrons retentit de ses paroles : «Mes bien-aimés, quand vous serez sur la place publique et quand vous gémirez dans la solitude, réfugiez-vous auprès de votre mère Église; elle seule vous consolera».

Rome s’enfonce dans le désordre et la confusion. En 382, le règne de Gratien produit des mesures d’extrême sévérité contre les dernières survivances de la religion polythéiste. Il s’achève en 383 par l’assassinat de Gratien et l’éphémère usurpateur Maxime, promptement assassin‚ lui aussi et suivi d’autres usurpateurs. Les citoyens romains ne voulant plus être soldats, les recrues germaniques, mêlées aux Parthes et aux Bretons, constituent la majorité de l’effectif des légions.

384 – Théodose finit par rétablir à Rome un ordre relatif, en étendant son règne (exclusivement oriental depuis 376) à l’Occident. En 391, il met radicalement fin à l’ancien culte polythéiste. La mort l’emporte en 395.

Sur l’instigation de Damase, évêque de Rome, saint Jérôme traduit la Bible en latin. En 384, quand Sirice succède à Damase, il s’établit à Bethléem et y écrit la Vulgate.

En 404, l’Italie s’effraie de l’imminence d’irrésistibles poussées barbares. Estimant Rome trop peu protégée, le gouvernement impérial se fixe à Ravenne.

En Afrique : depuis 396, saint Augustin, évêque d’Hippone; vers 400, le schisme donatiste s’ef-fondre sous la surabondance des scandales.

La péninsule ibérique des environs de 380 retentit des accents du poète chrétien Prudence. Avocat jusqu’à l’âge de 57 ans, ce tardivement converti exalte maintenant les martyrs et compose les Hymnes pour les heures du jour. Dans un autre traité, la Psychomachie, il oppose les vertus aux vices sous forme de personnages, créant cette littérature allégorique dont se délectera, quelques siècles plus tard, notre moyen-âge occidental. Il naît au ciel en 410.

LES GAULES

Premier vainqueur occidental de l’arianisme, en 367 saint Hilaire de Poitiers naît au ciel. En 374, le Concile de Valence renouvelle, en tendant à les durcir, les règles disciplinaires.

Consul en 379, de 376 à 383 le poète Ausone exerce les hautes fonctions de préfet des Gaules. Ordonné prêtre en Espagne, son ami Paulin de Nole enseigne brillamment l’orthodoxie en pays aquitains.

Fondateur du réseau des paroisses rurales en prévision d’une invasion barbare arienne qu’il sentait imminente, le grand Martin de Tours naît au ciel le 11 novembre 397. Le saint poète Sulpice Sévère, disciple d’Ausone, écrit aussitôt La vie de Martin.

Lourd de prestigieux mais lointains souvenirs, le paganisme[39] romain ne se renouvelle pas. Son vide métaphysique convient à l’humeur artificielle des gens riches qui se contentent, en matière de religion, d’un conservatisme routinier. Pendant que la sorcellerie progresse dans les campagnes, se développent dans les villes des sectes de type oriental et le néoplatonisme. Le mythriadisme, mystique militaire, a perdu du terrain au fur et à mesure que les barbares constituent le gros des légions; mais l’astrologie en gagne. On tend de plus en plus aux syncrétismes – tendance qui accompagne toujours le désarroi spirituel des civilisations proches de leur chute.

Après le règne furtif de Julien l’Apostat (361-363), païen (note 39) tolérant que les Gaulois ont aimé, il devient évident que l’ancienne religion polythéiste ne sera plus jamais restaurée par personne. A cette considération s’ajoute l’esprit de tolérance qui se maintient dans l’espace gaulois : on a forcément des amis païens (note 39) quand on fréquente la société riche et cultivée; de même, les populations urbaines gagnées au christianisme ne manifestent aucune hostilité contre l’élément juif, très nombreux.

Le monde antique se meurt – nous pouvons dire : le corps tranquille, mais l’âme angoissée; tout ensemble, se sachant perdu et ne pouvant «physiquement» croire en sa perte ; dans une sorte d’engourdissement traversé de quelques éclairs de pessimiste lucidité. N’ayant plus peur de lui, dont elle contemple maintenant l’agonie, l’Église se soucie de lui prendre de quoi édifier une culture classique. La naissante littérature chrétienne puisera ses modèles dans des auteurs qu’elle-même qualifie d’immortels : non seulement Cicéron et Virgile, mais aussi Sénèque, Tacite, Tite-Live. «Je ne tolère pas», disait le chrétien espagnol Prudence,«qu’on outrage la gloire de Rome !» Les lettrés gaulois, psychologiquement romanisés, partageaient cet avis.

En 400, l’Église des Gaules affirme avec force son autocéphalie traditionnelle au Concile de Turin. Dans cette même année, l’ethnie païenne[40] des Francs Saliens s’installe au nord de Gand et jusqu’à Courtrai. En 405, les peuples ariens (autres Francs et Vandales) percent la frontière de l’empire du côté de la Belgique. Saint Martin avait vu juste.

LES BARBARES

L’histoire officielle, surtout au niveau des enseignements primaire et secondaire, a fort mal compris ce qui s’est passé au début du Ve siècle. La plupart de nos contemporains pensent : grandes invasions. Une autre expression conviendrait mieux : Migrations. Ajoutons à cela que les barbares n’étaient pas des sauvages. Pourquoi nos erreurs d’aujourd’hui ? Parce que, à l’exception de quelques spécialistes qui enseignent en Sorbonne, notre instruction historique s’avère déficiente dès qu’il s’agit d’une époque antérieure au moyen-âge.

Entrons donc dans la réalité, et dans les psychologies, de ce temps méconnu.

Qu’est-ce qu’un barbare ? Sens de ce mot, à l’origine : quelqu’un qui ne parle pas le grec. Les Grecs se moquaient du langage germanique aux sonorités dures, et «barbare» est une onomatopée. Pour l’oreille grecque, ces Germains, en parlant, faisaient «bar … bar …bar …». D’où le nom que ces fines oreilles et bouches leur donnèrent.

A l’époque où nous voici, «barbare» signifie : qui ne parle point le grec et écorche le latin. Autrement dit, des peuples autrement structurés, vivant sur d’autres principes que ceux fondant la civilisation gréco-latine. Et la preuve qu’on ne tenait aucunement les ethnies barbares pour des races inférieures (absence radicale de ce que l’on appelle aujourd’hui le «racisme»), c’est que l’empire est bien content de les trouver pour en faire ses soldats.

Les grandes migrations, avant de «faire» le Ve siècle, ont été précédées, depuis fort longtemps, de nombreuses incursions plus ou moins violentes, repoussées par la force ou laissées sans lendemain. Ces incursions n’ont laissé que des ruines et, çà et là, surtout dans les campagnes, quelques éléments de population.

Cela vu, il nous faut considérer un autre élément du problème, bien plus important. Depuis assez longtemps, l’empire s’est mis à manquer de soldats citoyens. Il lui fallait donc combler les vides de son armée. Comment ? En recrutant des auxiliaires barbares : Maures, Dalmates, Hérules, Goths, Alamans, Francs… -, des Germains par conséquent, et nous le voyons, pas seulement des Germains. Par exemple, celui qui devint notre saint Martin de Tours, à l’origine, venu de ce qu’on appelle aujourd’hui la Hongrie, était un de ces barbares engagés dans l’armée impériale. Mais les générations se succédant, ces mercenaires finissent par se sentir chez eux, et très à l’aise, au sein des armées romaines. Ce ne sont plus, au sens strict, des auxiliaires, mais tout simplement des soldats romains, parfois même – par exemple Stilicon – les grands chefs des armées romaines. Pour assurer au mieux leur afflux, l’administration impériale installe en Gaule de véritables colonies de Barbares, avec femmes et enfants, que l’on appelle des Lètes ; les mâles y sont soldats à titre héréditaire.

Cette première assimilation des Barbares laisse des traces dans la toponymie (science des noms de lieux) : entre autres exemples possibles, les localités qui s’appellent Sermaize, Salmaise ou Charmasse gardent, par ces dénominations, le souvenir d’établissements sarmates; les noms en «gueux», tel Montgueux, près de Troyes, rappellent les Goths…

Mais l’affluence atteint un tel volume que l’empire, sous sa façade intacte, a partout des Barbares à son service ; d’autre part, dans les campagnes gauloises, on s’habitue à la présence des îlots de barbarie. Les Barbares étant laboureurs en même temps que soldats, ces îlots, les Lètes, ont reçu des terres à défricher. En raison de l’affluence d’une part, et d’autre part de la conservation du droit national et des usages traditionnels au sein des Lètes, il faut, dès la fin du IVe siècle, passer à un autre régime. Ainsi, les nombreux Barbares «de l’intérieur» deviennent des Fédérés : ils garderont désormais, non seulement leur législation propre, mais encore leur pleine autonomie, et donc leur organisation politique, leurs rois nationaux, seuls responsables devant l’empereur; celui-ci, de son côté, verse à ces rois un tribut représentant la solde annuelle des guerriers.

Une difficulté apparaît à ce moment-là : on manque d’espaces libres à leur attribuer. Comment faire ? On déplace ces groupes, on organise les cantonnements. Sur le vu d’un simple billet de logement, chaque autochtone sera tenu de leur abandonner le tiers de sa maison[41] ; l’édit impérial indique avec minutie la procédure à suivre au moment du partage : «… À tout prendre, la foule des barbares qu’un Athaulf ou un Genséric traînait avec lui n’était qu’une armée en cours de déplacement. Où et quand s’arrêteraient-ils définitivement. On l’ignorait. Les principaux intéressés eux-mêmes eussent été en peine de la dire. Tout ce qu’on savait, c’est qu’il fallait la loger; et, à cet égard, les règles en vigueur pour le cantonnement des troupes semblent avoir été partout appliquées sans difficultés[42] …». Le pouvoir impérial finit par imposer aux riches propriétaires autochtones de leur abandonner, en plus du logement, une partie de leurs jardins, champs, prairies et bois. Si bien que, là où s’établissent les Wisigoths, qui s’avèrent les plus gourmands, ils s’emparent légalement des deux tiers du territoire rural des propriétaires gaulois. Et, en effet, la situation change à partir des années 380 à 382, quand des peuples entiers, Ostrogoths et Wisigoths, se voient autorisés à se fixer à l’intérieur de l’empire, au sud du Danube. La qualité de fédérés devient alors «une étiquette trompeuse : en dépit des services qu’ils rendirent à Rome contre d’autres Barbares, les « fédérés » étaient à présent des conquérants en puissance établis sur le sol romain[43] ».

LES ETHNIES BARBARES

Nous ne parlerons ici que de celles qui intéressent notre histoire du Ve siècle, c’est-à-dire provenant des régions orientales et septentrionales de l’Europe. Notons cependant l’existence d’autres foyers barbares : ceux d’Afrique qui vivent dans l’anarchie, tribus berbères indépendantes, les Blemmyes de la Thébaïde, les Nobades de Nubie ; ceux du fond oriental de la Palestine, appelés Sarrasins; et bien sûr les Perses qui, eux, forment une antique et brillante civilisation.

Attachons-nous aux Germains; et d’abord, que signifie germain ? Tout simplement : voisin. C’étaient les voisins des ethnies gauloises, de l’autre côté du fleuve Rhin.

Cette multitude de peuples descend des régions brumeuses et froides de la Baltique, où ils vivaient au 1er siècle de notre ère. Ils y englobent assez vite les anciennes tribus dont ils ont triomphé. Puis ils se dirigent, vers 200, à l’ouest et au sud.

Les Alamans, en 275, délogent les Romains des «Champs décumates» (rive droite du Rhin). Leur avance est cependant contenue, en 357, par la victoire de Julien dans la plaine de Strasbourg. Ce peuple agressif intensifie ses razzias dans les régions que nous appelons aujourd’hui Alsace, Lorraine, Champagne et Bourgogne. Depuis les années 350, les Alamans sont ceux qui inspirent le plus de terreur dans les Gaules.

Plus au nord, les Burgondes. Ils ont suivi les Alamans sur l’Elbe, puis sur le Main et le Rhin. Moins cruels, plutôt bons vivants, mais bien décidés à conquérir de vastes territoires.

Près du Rhin, le peuple Franc rassemble le plus gros nombre. De fait, il s’agit plutôt d’une fédération d’ethnies. Deux groupes : ceux de la bordure du Rhin, les Ripuaires, de religion arienne (chrétiens hérétiques) ; ceux des pays maritimes, côtes de Hollande, les Saliens, restés dans le paganisme germanique.

Au cœur de l’Europe, sur le Danube, les Vandales, eux aussi en deux groupes : Silinges tournés vers l’ouest, Asdinges tournés vers le sud

En aval du Danube, les Goths, que Louis Halphen qualifie de «plus formidable des peuples germaniques». Venus des plaines de l’Ukraine, ils forment aussi deux groupes de religion arienne : ceux de l’est, «Goths brillants» ou Ostrogoths ; ceux de l’ouest, plus voisins de l’empire romain, les «Goths sages» ou Wisigoths.

Les Wisigoths barrent la route aux Gépides, originaires de la basse Vistule; les Ostrogoths, aux Hercules, qu’ils bloquent vers 250 entre la mer d’Azov et le Dniepr.

Du nord-ouest au sud-est du cœur de la spacieuse Germanie, s’étale une autre variété de peuples.

Les Frisons vivent repliés sur eux-mêmes et ne bougent guère. Au contraire leurs voisins, les Saxons, arrivés dans la vallée de la basse Weser, poussent sans cesse de l’avant.

Ils essaient de se frayer un chemin vers le sud et sur l’ouest, talonnant les Francs Saliens.

Quant aux Lombards, eux aussi voisins des Saxons et des Frisons, ils se déploient sur la Silésie, débouchant dans la vallée de la Morava.

A l’arrière-plan : les Angles, les Jutes, les Ruges, les Skires.

Enfin, ceux de l’extrême-nord. Les quatre grands groupes de Germains restés en Scandinavie. A l’ouest, les Norvégiens, qui ne parviennent pas à s’organiser. En voie d’organisation autour de leur capitale politique et religieuse, Upsal, les Suédois. Leurs voisins les Gautes, dans la région suédoise appelée par la suite Goeteland. Des migrants venus en Scanie vers 200-250, les Danois.

LA POUSSÉE ASIATIQUE

Des hordes parcourent l’immensité‚ des steppes russes : Slaves, Lithuaniens, Finnois Plus à l’est s’agitent les Alains, issus du grand peuple iranien des Sarmates. Mais plus à l’est encore, dans les steppes d’Asie centrale, se produisent des bouleversements.

Vers 300, toute la Chine tombe au pouvoir des Hiong-nou, ou Huns. Ces hordes nomadisent jus­qu’alors au-delà de la muraille de Chine; ils réussissent à forcer le rempart de Pékin. Puis une autre ethnie, celle des Jouan-Jouan, venue de Mongolie et de Mandchourie, leur barrent la route du nord, cependant que les Tibétains leur barrent celle du sud.

Que leur reste-t-il à faire ? sinon se ruer vers l’ouest ? En 335, chassés par leurs ennemis Jouan-Jouan et Thibétains, les Huns se ruent à travers la plaine russe.

Ils ébranlent toutes les tribus germaniques.

Que peuvent faire ces dernières, sinon envahir les territoires de l’empire.

En effet, poussés par les Huns, les Goths s’amassent maintenant aux frontières de l’empire ; ceux de l’ouest, ou Wisigoths, ont devant eux la terre gauloise. Pressés par ceux que pressent les Huns, les Burgondes se retrouvent sur le Rhin, contraints de le franchir. Sous la même pression, les Francs ne peuvent que gagner la Belgique.

BARBARES ET SOCIÉTÉ ROMAINE

Nous l’avons vu, les liens, depuis longtemps, ne manquent pas. Des colonies, Lètes, Fédérati, sont solidement installés à l’intérieur de l’empire.

Ce ne sont pas les ennemis, mais les alliés du peuple romain. Là où ils s’installent, notamment dans les pays gaulois, ils se font des amis au niveau de l’aristocratie locale.

Particulièrement les Wisigoths et les Burgondes, si avides de civilisation : ils ne veulent pas détruire la société romaine, mais s’y introduire et en profiter.

Telles sont les réalités que nous devons avoir devant les yeux à la veille des grandes migrations qui changeront la face de l’Occident et ouvriront, au Vème siècle, une période nouvelle de notre histoire

RELIGION DES BARBARES ET CULTURE GERMANIQUE

LA RELIGION D’URFILA

On connaît mal le paganisme germanique. Les forces cosmiques, telles que vent, orage, fécondité… deviennent des divinités. Exaltation de la force vitale.

Les grandes migrations bouleverseront l’équilibre religieux de l’Occident. Depuis 360, date du Concile de Paris qui consacrait le triomphe de saint Hilaire de Poitiers et, par lui, de la foi de Nicée, on croyait l’arianisme à jamais disparu. Or voici que les ethnies germaniques véhiculent dans leurs bagages un retour en force de l’hérésie. Mais il importe de noter qu’il s’agit là d’un «autre arianisme»: la religion d’Urfila.

Avant 300, le christianisme orthodoxe avait gagné quelques ethnies germaniques, en particulier les Goths de la Russie méridionale. Un évêque de Gothie siégeait en 325 au concile de Nicée… Fils d’une famille gothique chrétienne alliée à une lignée romaine, un garçon de vaste intelligence naquit en 311, et reçut le nom d’Ulfila. Doué d’une remarquable souplesse d’esprit, il fut bientôt rompu aux trois cultures germanique, grecque et latine. On l’ordonna lecteur de son Église. C’est en cette qualité de clerc mineur qu’en 341 on l’envoya en mission au concile d’Antioche. Il s’y lia d’amitié avec l’évêque arien Eusèbe de Nicomédie, qui le fit sans plus attendre élever à l’épiscopat.

De retour dans son pays, l’évêque Ulfila traduisit la Bible en gothique et la commenta. Seul corps doctrinal ulfilien, ses commentaires confirmèrent son choix définitif de l’hérésie arienne.

Mais sur la base de l’arianisme – Christ, homme seulement -, il fonda, en vérité, une religion qui n’était plus celle d’Arius et des eusébiens. Une évolution rapide se produisit, qui dépassa de toutes parts le corps doctrinal des commentaires de l’Écriture. Ulfila fit apparaître un Christ tout ensemble vaguement incarné, abstraction plutôt qu’homme réel, et réunissant en lui, à la manière d’une allégorie mythique, la somme des aspirations germaniques à l’exaltation de la force en action. Absence de véritable théologie dogmatique : avant tout, une ambiance cultivée par des rites appropriés, fort pro-ches du paganisme original des peuples septentrionaux. La Trinité, par exemple, devint le couron-nement céleste des hiérarchies militaires.

Ce n’est plus l’hérésie qu’avait combattue saint Hilaire contre les empereurs, non pas un retour de cette hérésie, mais une autre religion de dénomination chrétienne.

Vers 350, Ulfila créa son Église, dont il fut le chef. Ayant constitué un nouveau clergé, il composa une liturgie plus étrangère au christianisme qu’hérétique au sens propre.

Non point des églises avec leurs sanctuaires, mais des cérémonies nocturnes, au grand air, dans l’embrasement des torches. Une rituélie d’exaltation de la guerre, conçue pour des guerriers. On maintint cependant les sacrements de baptême, chrismation semble-t-il (ce n’est pas tout à fait sûr) et eucharistie, et aussi l’ordre. Foudroyante fut la religion d’Ulfila dans les ethnies germaniques.

Daniel Rops[44] émet cette hypothèse : «Un empire resté arien aurait peut-être pu absorber les Goths ariens; un empire catholique, des Goths demeurés catholiques; entre un empire catholique et des Germains ariens l’opposition religieuse ajoute ses motifs de haine à ceux que déterminent d’élémentaires appétits». Je ne suis pas entièrement de cet avis. L’empire des empereurs ariens, celui de Constance (? 361), n’aurait certes pas assimilé des Germains inventeurs d’un arianisme si différent… Un Athanase, un Hilaire n’auraient pas reconnu leur ennemi arien dans l’«Église» d’Ulfila.

Ayons ces précisions en mémoire en voyant s’amasser sur les frontières des Gaules et de l’Italie, poussées par les Huns, les ethnies «ariennes» prêtes à se ruer : Wisigoths, Ostrogoths, Francs, Ripuaires, Burgondes, Vandales[45] … Ce sera tout autre chose.

LA CULTURE GERMANIQUE

De littérature, point. Le seul monument littéraire, le composant la Bible gothique et les commentaires d’Ulfila. Peu de Germains savent lire. Bible et commentaires se diffusent par tradition orale. À chacune des transmissions orales s’ajoutent des variantes, selon le tempérament du peuple qui reçoit le message.

«C’est par un étrange abus de langage que des érudits allemand, soucieux de faire remonter jusqu’aux origines de leur histoire les débuts de leur littérature nationale, ont cru pouvoir réserver de longues pages et jusqu’à des chapitres entiers aux poèmes lyriques et épiques composés, à les en croire, par leurs ancêtres des premiers siècles avant l’époque des grandes invasions et aux temps de leurs conquêtes. Ces poèmes, nul ne les a jamais vus, et pour cause. Tout au plus trouve-t-on de ci de là de vagues allusions à des chants barbares destinés à exciter la fougue des guerriers s’élançant à l’assaut. Les faits parlent clair : la prise de possession du sol romain aboutit à peu près partout à la ruine de la culture littéraire ou scientifique, et c’est seulement dans la mesure où ils se laissèrent prendre aux charmes des lettres latines que les Germains en arrivèrent à connaître les joies de l’esprit[46] ».

Mais si les Germains doivent attendre le contact avec la société romaine pour atteindre aux aspirations littéraires[47] , leur contact avec l’Orient, plus ancien, leur a communiqué une initiation esthétique : par exemple, l’orfèvrerie aux couleurs chatoyantes.

En gros, disons que l’esthétique germanique, dont les prototypes sont en Crimée des Grecs et des Sarmates, se limite à la parure et aux tombeaux. Il faut comprendre que la Germanie est étrangère à la vie urbaine et que son paganisme, d’esprit cosmique, se passe de temples et de statues, et qu’il ignore l’architecture autant que la sculpture.

Mais les Germains cultivent l’art décoratif appliqué à la parure. L’Occident postérieur aux Vème et VIème siècles en sera très marqué.

Ici, parlons des Huns. On les tient trop généralement pour des sauvages. Or, ainsi les dépeint l’historien Ammien Marcellin peu avant 400 :

«Ces hommes courts de taille, trapus, la tête grosse, imberbes comme des eunuques, ressemblent à des bêtes à deux pattes plutôt qu’à des êtres humains. Ils portent pour vêtements une casaque de toile et de peaux de rats sauvages, qu’ils ne changent que lorsqu’elle tombe en lambeaux ; des peaux de chèvres autour des jambes, de grossières chaussures avec lesquelles on a peine à marcher. Ils sont comme rivés à leurs chevaux, mangeant sur leurs chevaux, buvant sur leur chevaux, dormant inclinés sur le maigre cou de leur monture ; c’est encore à cheval qu’ils traitent de leurs affaires et délibèrent. Leur barbarie est telle qu’ils s’abstiennent de faire cuire et d’assaisonner leurs aliments : ils se nourrissent des racines des plantes sauvages et de la chair de la première bête venue, dont ils font tiédir les quartiers en les plaçant entre leurs cuisses et le dos de leurs chevaux».

Cette image est celle qu’on a gardée quand on parle des Huns aux enfants de nos écoles. Et pourtant, en 448, l’écrivain grec Priscos accompagne un ambassadeur de l’empereur d’Orient à la cour d’Attila, et il laisse un autre portrait :

«Ils habitent maintenant, du moins quelques-uns d’entre eux, des maisons de bois. C’est dans une maison de ce genre qu’Attila a établi son palais. Elle se distingue par le poli de ses planches et l’élégance de la palissade qui la sépare du chemin. La maison de l’épouse préférée s’orne intérieurement de tapis de laine sur lesquels la jeune femme se tient accroupie, entourée de ses servantes. Le roi (Attila) a fait venir de loin des pierres pour édifier des thermes sur le modèle des thermes de l’empire. Mes compagnons et moi sommes encore sous la surprise de retrouver l’ordonnance de nos banquets : lits recouverts de belles étoffes, vaisselle d’or et d’argent, mets fins et délicats; et des poètes, des chanteurs et des bouffons divertissaient les convives. Attila, qui ne mangeait que de la viande, se servait de plats et de coupes en bois ; son costume était frustre; mais autour de lui nous vîmes des personnages vêtus avec recherche et portant des épées et des boucles rehaussées d’or et de pierreries. J’admirais particulièrement les beaux harnachements de leurs montures».

Or, les Huns poussaient les Germains.

Et les Germains firent brutalement craquer les frontières.

8 – Vème SIÈCLE

LE CHOC DES GRANDES MIGRATIONS

406 – Né en 365, âgé de 41 ans, saint Jean-Cassien se fixe à Marseille, où il fonde le monastère Saint-Victor. Jean Cassien a séjourné à Bethléem, étant alors moine pèlerin ; puis en Égypte, en 390, où il a reçu l’enseignement des Pères du désert; enfin, il a été attaché à saint Jean Chrysostome, en 400, à la cour de Constantinople.

Dans la nuit du 31 décembre, d’un seul bloc et en masse, les ethnies vandales, alaniques, suèves et burgondes envahissent l’espace gaulois. Traversant la Gaule tout entière, les Vandales passent les Pyrénées et pillent l’Espagne.

407 – LA GAULE SOUS LE CHOC DES MIGRATIONS GERMANIQUES.

Déferlement ininterrompu des ethnies poussées à l’est par les Huns.

Élu empereur par ses troupes, Constantin III fait abandonner la Bretagne par les armées romaines, qui passent toutes sur le continent, laissant les Bretons insulaires à la merci de toutes possibles invasions par mer. Celles-ci ne se font pas attendre. Aussitôt, les embarcations angles et jutes accostent en Bretagne insulaire.

ROME – Le 15 novembre, loi de Curtius, préfet du prétoire : suppression des allocations servant à payer les epula sacra et les jeux rituels de l’ancien paganisme latin. On détruit leurs autels.

CONSTANTINOPLE – Le 13 septembre, saint Jean Chrysostome meurt sur un chemin ensoleillé de son itinéraire d’exil. Le nouveau patriarche Atticus, gouverne son Église avec prudence et laisse les hérétiques en paix. Sur les conseils de Théophile, il se rallie un bon nombre de partisans de Jean Chrysostome ; mais quelques-uns font schisme et boudent les cérémonies officielles.

AFRIQUE… – Théophile d’Alexandrie, qui a bien en main toute l’Église africaine, achève de vieillir sans se préoccuper des controverses des origénistes. Mais deux hommes éminents le critiquent : saint Nil et saint Isidore de Péluse. Le Concile Provincial d’Afrique renouvelle (canon 105) l’interdiction faite aux prêtres, diacres et laïcs d’appeler «outre-mer» (= à Rome) d’une sentence prononcée contre eux par l’évêque. Ainsi les chrétiens africains restent dans la tradition canonique et ecclésiologique de Cyprien de Carthage.

408 – ITALIE… – Troisième raid des Wisigoths conduits par Alaric, et blocus de Rome.

L’empereur Honorius assassine de ses propres mains son fidèle général Stilicon. Cet empereur meurtrier produit, le 14 novembre, une loi excluant de l’administration du Palais «tous les ennemis de la secte catholique» : premières atteintes au traditionnel libéralisme impérial concer-nant les personnes.

Poussés en avant par la vague vandale, les Burgondes ariens sont admis comme fédérés par le nouveau pouvoir impérial dans les pays de Worms et de Mayence.

CONSTANTINOPLE… – Le 1er mai, meurt Arcadius, qui laisse quatre enfants : Théodose, Pulchérie, Arcadie et Marinz. Théodose II, dit le Calligraphe, lui succède (jusqu’en 450) : cet aimable maniaque des belles écritures consacrant à celles-ci le total de son temps et de ses forces, Pulchérie sera bientôt (en 414) associée à l’empire avec le titre d’Augusta.

409 – Voici un éloquent passage d’une lettre qu’écrit saint Jérôme à une jeune veuve, Agerochia, pour la dissuader de se remarier :

«Nous ne comprenons pas que l’Antéchrist approche. Nous survivons en petit nombre… Des nations innombrables et féroces ont occupé l’ensemble de la Gaule. Tout l’espace compris entre les Alpes et les Pyrénées, entre l’Océan et le Rhin, le Quade, le Vandale, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Burgondes, les Alamans, et – malheureux État ! – les Pannoniens devenus ennemis, l’ont dévasté. Mayence, cette cité naguère illustre, a été prise, saccagée, et dans son église plusieurs milliers de victimes ont été massacrées. La puissante ville de Reims, les habitants d’Amiens, Arras, ont été déportés en Germanie. Les Aquitains et la Novempopulanie, la Lyonnaise et la Narbonnaise, sauf un petit nombre de villes, ont été complètement ravagées. Celles que le glaive menace au dehors, la faim les ravage au dedans. Je ne puis sans verser des larmes, mentionner Toulouse dont la ruine n’a été empêchée jusqu’ici que par le mérite de son saint évêque Exupère. Hélas ! Rome ne lutte même plus, mais avec sa mort et ses meubles précieux rachète sa vie…» L’usurpateur Constantin fait d’Arles, siège primatial de l’Église des Gaules, sa nouvelle capitale administrative.

ESPAGNE… – Vandales, Alains et Suèves, tous de la religion d’Ulfila, pénètrent en Ibérie avec la complicité de l’usurpateur Constantin III qui règne depuis Arles.

ITALIE – Alaric le Wisigoth contraint le Sénat à opposer à Honorius, empereur légitime, un usurpateur de son choix, le préfet urbain Attale.

AFRIQUE… – Asiatique qui fut très longtemps higoumène d’un monastère de Galatie, très attaché à la mémoire de Jean Chrysostome, saint Nil accable de ses reproches le vieux patriarche Théophile d’Alexandrie. Même comportement d’un autre ami de Chrysostome, saint Isidore de Péluse, higoumène d’un monastère égyptien – qui écrit «L’Égypte, toujours ennemie de Moïse, toujours attachée à Pharaon, a lâché contre le saint docteur ce Théophile, homme passionné pour la pierre et pour l’or. Il s’est associé quatre complices, quatre apostats comme lui; ensemble, ils l’ont terrassés».

410 – DERNIÈRE ANNÉE DE L’INVASION GÉNÉRALE DE LA GAULE

L’ethnie païenne des Francs Saliens s’empare de la ligne de l’Escaut.

ITALIE – Le 24 août, prise de Rome par Alaric, roi des Wisigoths. A ce moment, l’évêque Innocent de Rome est à Ravenne avec une commission de sénateurs chargés de régler la conduite à tenir à l’égard des réclamations d’Alaric. L’historien Zozime raconte que les païens ont voulu rouvrir les temples et offrir des sacrifices pendant le siège de Rome; il prétend que le préfet Pompeïanus est allé trouver Innocent pour le mettre au courant, et que celui-ci aurait promis de fermer les yeux pourvu que tout se passât en secret…

Le monde est tout entier saisi d’effroi en apprenant la chute de Rome.

Saint Jérôme écrit cette lettre : «J’ai voulu me mettre aujourd’hui à l’étude d’Ézéchiel. Mais au moment où je commençais à dicter, j’ai ressenti un tel trouble en songeant à la catastrophe d’Occident que, comme dit le proverbe, les mots propres se dérobaient à moi. Qui eût pu croire que Rome, construite sur des victoires remportées contre tout l’univers, s’écroulerait un jour ? Et que la sainte cité de Bethléem accueillerait, réduits à la mendicité, d’anciens nobles des deux sexes, comblés naguère de richesses ?…».

AFRIQUE… – À contre cœur, Théophile d’Alexandrie ratifie l’élection de Synésius de Cyrène sur le siège épiscopal de Ptolémaïs. Ce nouvel évêque, très origéniste, a été le disciple de la célèbre magicienne Hypatie.

PERSE – Le 1er février, le Concile de Séleucie souscrit au symbole et aux canons de Nicée, approuvé par le roi Yazdegerd, qui devient dans la légende «le Constantin perse».

INSTALLATION DES BARBARES

411 – Sous la conduite d’Athaulf, successeur d’Alaric à la tête des Wisigoths, ceux-ci‚ commencent de s’installer au sud-ouest des Gaules – Languedoc et Aquitaine actuels.

Pendant ce temps, Arles a été reconquise par le patrice Constance, au nom d’Honorius, sur l’usurpateur Constantin III ; cette cité reste la base de ce que l’empire possède encore de ses anciennes provinces en Gaule. Or, l’autorité ecclésiastique grandit avec l’importance de la ville, siège primatial encore resplendissant du grand concile de 314.

ESPAGNE – Un traité est signé avec les Barbares qui ont envahi la péninsule ibérique.

ITALIE – Les trois évêques de Rome, Milan et Aquilée décident le pouvoir impérial à interdire la lecture des œuvres d’Origène.

AFRIQUE – Saint Augustin d’Hippone met les Africains en garde contre la diffusion des doctrines attribuées au moine breton Pélage.

412 – Les WISIGOTHS poursuivent leur installation dans le sud et le sud-ouest de la Gaule.

AFRIQUE – Synésius de Cyrène, évêque de Ptolémaïs, prononce des discours attestant sa foi orthodoxe depuis son élévation à l’épiscopat. Il prend parti contre l’attitude hostile de Théophile contre Jean Chrysostome. Accablé de reproches après le martyr de ce dernier, dont il porte la responsabilité écrasante, Théophile d’Alexandrie meurt le 15 octobre. Un de ses neveux, saint Cyrille, lui succède : orthodoxie farouche, mais jaloux de son autorité. Contre les doctrines attribuées à Pélage, saint Augustin d’Hippone compose trois livres sur «La rémission des péchés et le baptême des enfants».

CONSTANTINOPLE – Le patriarche Atticus de Constantinople s’inquiète au sujet d’une lettre d’Innocent de Rome à Anysius, évêque de Thessalonique, confirmant à celui-ci qu’il serait premier des évêques de l’Illyricum orientale et représentant du siège romain dans les deux diocèses de Macédoine et de Dacie. Atticus proteste en rappelant que ces deux provinces appartiennent politiquement à l’Orient.

413 – Étant entrés dans Narbonne, Toulouse et Bordeaux, les Wisigoths atteignent la côte atlantique et consomment les récoltes de blé du pays.

ORIENT – Après une longue brouille entre les deux sièges, Alexandre, nouvel évêque d’Antioche, reprend les relations avec Rome. Célestius répand les idées de Pélage à Éphèse.

AFRIQUE – Mort de Synésius, évêque de Ptolémaïs. Ayant prononcé deux sermons contre Pélage dans les basiliques de Carthage, saint Augustin d’Hippone commence d’écrire La cité de Dieu (il achèvera cette œuvre en 426).

414 – ORIENT – Amicalement accueilli par l’évêque Jean, Pélage séjourne à Jérusalem, où il exerce sur le peuple une notable influence. Ceux qui le suivent commencent d’être appelés les pélagiens.

AFRIQUE – Contre Pélage, saint Augustin d’Hippone écrit sa Lettre à Hilaire.

ESPAGNE… – Début d’installation des Wisigoths dans la péninsule ibérique.

DÉBUT DE LA CONTROVERSE SUR LE PÉLAGIANISME

415 – ORIENT – Conciles de Jérusalem (où comparaît Pélage) et de Diospolis, contre le pélagianisme.

L’espagnol, ami de saint Augustin, est à Diospolis, mais il dessert sa cause en flattant saint Jérôme devant l’évêque Jean de Jérusalem. L’Église de Chypre revendique sa pleine autonomie.

AFRIQUE – Contre Pélage, saint Augustin d’Hippone écrit Le traité de la justice parfaite.

Les problèmes suscités par l’installation des Germains en tous lieux de son espace sont à tel point préoccupants, que la Gaule ignore encore l’apparition de doctrines hérétiques attribuées au moine celtique Pélage. C’est en Afrique et en Orient que commence la dure controverse.

Qu’est-ce que le Pélagianisme ?

La doctrine prêchée par Célestius, puis systématisée par l’italien Julien d’Éclane, sur la base de l’enseignement ascétique du moine breton Pélage. Tout cela part de l’intention de secouer la torpeur des âmes en leur inculquant le sentiment du caractère impétueux de la Loi divine et la certitude infaillible des rémunérations futures.

Partant de là, le développement doctrinal de cette prédication, qui se veut ascétique et non proprement dogmatique, s’éloigne de la synergie orthodoxe en tendant, par déséquilibre théologique, à tout mettre sur le compte des énergies et de la liberté humaines, atténuant ainsi, au moins implicitement, le rôle de la grâce divine dans le salut de la créature humaine.

La liberté ? «Tous sont gouvernés», fait-on dire à Pélage, «par leur volonté personnelle, et chacun est laissé à son gré particulier». Mais la grâce ? Pélage l’assimilerait à la vertu éducative de l’exemple du Christ. Elle serait de même nature pour tous, et répartie en chacun en fonction de ses mérites actuels ou prévus. S’ensuit une déviation grave au sujet du péché d’Adam, puis des sacrements en général et du baptême en particulier. Le christianisme pélagien se réduit à suivre l’exemple du Christ, par une application intense de la seule volonté de l’homme.

Entourent aussitôt Pélage : Timesius et Jacques, jeunes gens de noble naissance ; Célestius et Julien, fils de l’évêque Hémor; Ctésiphon; Anianus, qui a traduit pour l’Occident l’œuvre écrite de saint Jean Chrysostome.

Animée d’un élan missionnaire soutenu, l’hérésie se répand en Aquitaine, malgré les Wisigoths ariens et sans que l’épiscopat ait encore les moyens de réagir; puis en Illyrie, en Belgique et en Bretagne.

Augustin d’Hippone se dresse contre elle. Mais dans les années qui vont suivre, l’Église des Gaules s’inquiétera principalement des tendances hérétiques, contraires à celles du pélagianisme, de l’Augustinisme… Car il arrive souvent que le combat passionné contre une hérésie conduise à une autre, et non point au parfait équilibre orthodoxe !

416 – CONSTANTINOPLE – Célestius répand les idées de Pélage dans la capitale de l’empire d’Orient.

Provoquant un soulèvement populaire, des pélagiens grecs saccagent la maison de saint Jérôme à Bethléem et tuent un diacre.

AFRIQUE – Au Concile de Carthage, saint Augustin demande la condamnation de Pélage.

MALAISE DANS LES PAYS OCCUPÉS PAR LES WISIGOTHS ARIENS

417 – L’installation des peuples germaniques se poursuit dans les Gaules. Elle démontre par elle-même que l’empire romain n’est plus qu’une façade. L’empire réagit maintenant…, mais avec l’équivoque énergie des faibles : en intensifiant son autoritarisme administratif là où il le peut encore. De plus en plus, le prestige de Rome se conjugue au passé et on respecte en Rome la Cité des anciens temps, embellie par l’accumulation des souvenirs ; mais l’Église romaine, plus ou moins consciemment, revendique pour elle-même l’autorité qui échappe chaque jour davantage à l’empire.

Ainsi, une décrétale de Zozime de Rome, du 22 mars, adressée à l’épiscopat gaulois, porte cette formule insolente : «placuit apostolicae desis» (il a plu au Siège apostolique).

Unanime et véhémente protestation immédiate des évêques gaulois, qui discernent dans ce «placuit» une atteinte à l’autocéphalie traditionnelle de l’Église des Gaules.

En septembre, Hilaire de Narbonne rappelle à l’évêque romain le caractère métropolitain de son siège ; le 26, Zozime lui répond que les évêques de la Viennoise et des deux Narbonnaises doivent, sous peine de nullité et d’excommunication, être ordonnés par l’évêque d’Arles. A ce moment, Proculus de Marseille et Simplicius de Vienne résistent aux prétentions de Zozime. Ce dernier a cependant reconnu qu’Arles était la primatie des Gaules.

Le Concile de Milan règle la dispute des évêques méridionaux au sujet du siège primatial. Rappelons que Milan appartient à l’espace ecclésial des Gaules.

ITALIE – Le 12 mars, mort d’Innocent de Rome, à qui succède Zozime (cf. ci-dessus, son placuit du 22 mars). Infatué de son autorité, ce nouvel évêque se brouille avec l’Afrique et les Gaules.

ESPAGNE – Impressionné par l’inexorable poussée barbare, l’historien Orose écrit son Adversus paganos, où apparaît pour la première fois l’expression ROMANIA désignant l’étendue de la civilisation romaine.

AFRIQUE – Le Concile de Carthage reproche à Zozime de Rome de ne pas avoir respecté la condamnation du pélagien Célestius, prononcée par son prédécesseur Innocent.

418 – Début de la résistance des orthodoxes d’Aquitaine contre le pouvoir wisigothique qui essaie d’imposer à toute la population autochtone la religion d’Ulfila. Quelques persécutions s’ensuivent.

AFRIQUE – À Carthage, le Concile plénier de toute l’Afrique accuse Zozime de Rome d’avoir accueilli Célestius. Saint Augustin adresse à Ravenne ses plaintes à l’empereur Honorius.

ITALIE – Recevant le rescrit d’Honorius, qui arrive de Ravenne en suite du courrier d’Augustin d’Hippone, Zozime obéit : il expulse Pélage et Célestius, et entérine leurs condamnations. Il meurt en décembre. Boniface lui succède au début de 419.

419 – Théodoric 1er succède à Wallia à la tête des Wisigoths (jusqu’en 451). De meilleurs rapports semblent déjà s’établir entre le pouvoir germanique arien et la population galloise du sud-ouest.

AFRIQUE – Le Concile de Carthage fait demander à Alexandrie, Constantinople et Antioche, le texte authentique (l’Afrique se méfie de Rome) des canons de Nicée.

Contre l’hérésie priscillianiste, l’infatigable saint Augustin publie le De anima et ejus origine. Saint Cyrille étant patriarche, reprennent les relations entre Alexandrie et Rome,

que l’hostilité de Théophile envers saint Jean Chrysostome avait interrompues.

PERSE – Le Concile de Séleucie adopte les canons de Néocésarée, Gangres et Laodicé.

DÉBUT DE LA CONTROVERSE SUR L’AUGUSTINISME

420 – Pendant que saint Jean Cassien dirige un puissant monastère à Marseille, son voisin‚ saint Hilaire, du monastère de Lérins, dénonce l’Augustinisme, c’est-à-dire les théories dangereuses d’Augustin d’Hippone sur la prédestination et la minimilisation du libre-arbitre de l’homme.

Le Pélagianisme, hérésie contraire, se défend avec ardeur. Il y a 18 évêques pélagiens en Italie. Célestius et Julien d’Éclane à la tête du mouvement. Mais Pélage lui-même, qui prolonge son séjour en Orient, ne réagit plus.

421 – CONSTANTINOPLE – Le 7 juin, Théodose épouse Eudoxie, païenne que le patriarche Atticus a récemment baptisée.

422 – ITALIE – Célestin 1er, évêque de Rome.

AFRIQUE – Genséric, chef des Vandales Astinges, possesseur de la terre à blé d’Afrique.

423 – Pendant que naît dans les Gaules une petite fille qu’on appellera un jour sainte Geneviève.

ITALIE – Mort d’Honorius, Valentinien III, empereur d’Occident.

ORIENT – Théodoret quitte son monastère d’Antioche pour devenir évêque de Cyr.

DOUBLE PROBLÈME : PÉLAGIANISME ET AUGUSTINISME

424 – On remarque l’extension du Pélagianisme dans les Gaules. L’épiscopat gaulois, qui a été plus anxieux au sujet de l’Augustinisme, se rend compte que «l’hérésie contraire», elle aussi très dangereuse, ne séduit pas les seuls chrétiens d’Orient. Une lutte s’engage sur deux fronts.

425 – Inspirée par l’impératrice Placidie, une ordonnance de l’empereur Valentinien III‚ impose, aux évêques gaulois contaminés par le pélagianisme, de faire leur rétractation entre les mains du primat Patrocle d’Arles.

426 – Patrocle d’Arles est assassiné par Félix, maître de la milice romaine. Saint Honorat, fondateur de la déjà prestigieuse abbaye de Lérins, lui succède à la primatie des Gaules.

AFRIQUE – Protestation véhémente des évêques africains contre leur collègue de Rome qui a soutenu le prêtre Apiarius, condamné par eux en raison de ses mœurs dissolues.

427 – CONSTANTINOPLE – Meurt le patriarche Sidinnius, qui a succédé à Atticus en 425. L’empereur Théodose II appelle sur le trône patriarcal, Nestorius, higoumène d’un monastère d’Antioche. En conséquence de ce choix dicté par des intrigues courtisanes, une nouvelle hérésie, le Nestorianisme, va maintenant préoccuper les Églises d’Orient.

Depuis le dernier jour de 406, c’est-à-dire vingt ans, la Gaule et toute l’Europe occidentale ont subi le choc des grandes migrations germaniques. Toute la vie a été profondément pertur-bée ; cependant, le récit chronologique montre que la vitalité de l’Église ne s’est pas affaissée pour autant. Le manifestent la pullulation des hérésies et la résistance passionnée qu’elles suscitent. Au moment où nous voici, avant même 430, on vient à peine de condamner, un peu partout, lePélagianisme qu’aus-sitôt l’on s’inquiète d’une doctrine tout aussi dangereuse bien qu’elle lui soit contraire, résultant des outrances du saint évêque d’Hippone qui a si ardemment combattu Pélage : l’Augustinisme. Cette lutte sur deux fronts va agiter la vie de l’Église des Gaules.

LE POINT SUR L’INSTALLATION DES ETHNIES GERMANIQUES

Le 31 décembre 406, qui gardait la frontière sur le Rhin ? qui essaya de contenir le soudain déferlement barbare ? D’autres Barbares, déjà installés sur nos terres : les Francs fédérés (federati) au service du gouvernement impérial. Qui commandait en chef les armées de l’empire ? Un Barbare : Stilicon.

Débarqué à Boulogne en 407, l’usurpateur Constantin III essaya de contenir les Burgondes en leur offrant le statut de fédérés et des territoires autour de Worms et de

Mayence, puis il poursuivit les Vandales, les Alains et les Suèves. Ne disposant pas d’une armée suffisante pour les refouler, il les laissa franchir les Pyrénées en 409 et, en

411, conclut un traité avec les Wisigoths, faisant d’eux les possesseurs du sud-ouest de la Gaule avec un statut de fédérés.

Le fait marquant de ce premier tiers du Vème siècle, c’est l’établissement des Wisigoths en Gaule.

Stilicon fut assassiné en 408. En 411, les Wisigoths avaient un nouveau chef : Athaulf. Le voici possesseur des riches plaines du Languedoc et de l’Aquitaine. Il ne se souvient de sa qualité de fédéré que pour réclamer du blé au gouvernement impérial de Ravenne.

Le nouveau chef de l’armée romaine était alors Constance. Il opéra par mer le blocus de la Gascogne[48] , espérant vaincre les Wisigoths par la famine. Mais en 414, Athaulf épousait Galla Placidia, la propre soeur de l’empereur Honorius, sa captive depuis le sac de Rome de 410. En 415, Athaulf était assassiné. Lui succédait le roi Wallia. Et Wallia négocia avec le pouvoir impérial.

Que fit Constance ? Il se servit des Wisigoths pour essayer d’arracher l’Espagne aux Vandales, aux Suèves et aux Alains. Wallis se conduisit en loyal chef des fédérés. Les Vandales Silinges et les Alains furent décimés. Mais plus heureux, les Vandales Astinges, commandés par Genséric, devinrent maîtres de la flotte impériale d’Espagne et s’étendirent, en 422, sur l’Afrique du nord.

La situation reste encore assez confuse dans les Gaules du nord de la Loire. Notre chronologie ne montre-t-elle pas que la vitalité de l’Église est plus nette au sud, dans les vastes régions occupées par la religion d’Ulfila, c’est-à-dire par les Wisigoths ?…

428 – Saint Jean Cassien de Marseille réagit contre l’Augustinisme qui inquiète les Gaules. Dans sa Conférence sur la protection divine, il rappelle que Dieu est la source nécessaire de toutes nos bonnes pensées et bonnes actions. Ne pouvant donc aucunement être accusé de pélagianisme, ni même de «semi-pélagianisme», Cassien se soucie de direction spirituelle plus que de spéculation métaphysique[49] . C’est par sa psychologie de l’effort personnel, plus que par des développements dogmatiques, qu’il s’éloigne des thèses de saint Augustin, sa pensée étant parfaitement conforme au principe orthodoxe de la synergie. Ceux qu’on a si abusivement qualifiés de «semi-pélagiens», c’étaient tout simplement… des orthodoxes.

BRETAGNE – Invasion massive des Angles et des Saxons.

ITALIE – Célestin, évêque de Rome, se réjouit de l’élection de l’hérésiarque Nestorius à Constantinople.

CONSTANTINOPLE – Rompant avec la prudence de ses prédécesseurs Atticus et Sisinnius, le patriarche Nestorius commence, dans son homélie d’inauguration, par demander à l’empereur de poursuivre vigoureusement les hérétiques : les ariens, qui ont encore une église à Constanti-nople ; les novatiens, favorisés à la Cour et pourvus d’un clergé important; les pélagiens. Or, cet homme est hérétique. Notons une fois de plus combien il convient de se méfier de ceux qui pourchassent les hérésies avec passion, dogmatisme et intolérance !… Le 30 mai, loi impériale contre tous les hérétiques, à l’exception cependant des novatiens. Mais certains propos de Nestorius inquiètent déjà saint Cyrille d’Alexandrie.

429 – Saint Honorat d’Arles, fondateur de Lérins, naît au ciel. Saint Hilaire, lui aussi‚ moine de Lérins, lui succède. A la résistance de Jean Cassien contrel’Augustinisme, s’ajoute celle de la puissante école monastique de Lérins. C’est de cette abbaye que, de 430 à 480, sortira cette merveilleuse promotion d’évêques occupant les chaires du midi de la Gaule, et parfois au-delà. Vénérius sera évêque de Marseille ; Ruricius, de Narbonne; Loup (frère de Vincent), de Troyes… Quant à Jean Cassien, il examine aussi les doctrines de Nestorius et écrit à Célestin de Rome la méfiance qu’elles lui inspirent. Mais le Nestorianismerestera une hérésie des Orientaux.

Le Concile de Troyes députe les deux évêques gaulois saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes en pays breton (Bretagne insulaire) pour y combattre le Pélagianisme.

ESPAGNE – Les Wisigoths servent le gouvernement impérial contre Vandales et Suèves, dans les montagnes de Galice.

CONSTANTINOPLE – Arrivée des pélagiens Julien d’Éclane et Florus. Ils sollicitent avec larmes leur réintégration à l’Église. Mais, inspirés par Célestius, ils se compromettent avec le patriarche Nestorius. Celui-ci, élevé selon les principes de l’école d’Antioche, enseigne une doctrine qui soulève maintenant émotion et désordre dans le peuple byzantin. Le scandale éclate par la faute d’un de ses disciples, le prêtre Anastase qui, en pleine chaire, parlant de la Vierge Marie, affirme qu’on n’a pas le droit de l’appeler Theotokos (Mère de Dieu) mais seulement «mère de Jésus». La bagarre éclate sur le champ, en pleine église. Un autre jour, un évêque présent interrompt une homélie du patriarche. Puis Eusèbe de Dorylée le dénonce par écrit comme hérésiarque.

AFRIQUE – Nette intervention de saint Cyrille d’Alexandrie dans le débat nestorien.

ROME – Célestin de Rome finit par se déclarer hostile au nestorianisme.

430 – NOUVELLES MIGRATIONS BARBARES – Leur arrière-garde étant attaquée par les Huns, les Burgondes ne peuvent plus se contenter des pays de Worms et Mayence. Pour éviter leur déferlement au nord des Gaules, Aetius, chef de la milice romaine, leur ouvre la Savoie. C’est donc encore le sud des Gaules qui voit s’installer les Germains. Mais au nord conduits par Clodion, les Francs Saliens, ethnie païenne, prennent Cambrai. Clodion reçoit de Valentinien III le titre de légat ; il fait élever son fils Mérovée à la cour de Ravenne. Par ailleurs, la lutte de l’épiscopat gaulois contre l’Augustinisme s’intensifie. A la demande de Léon, très influent dans le clergé romain[50] , saint Cassien écrit son ouvrage De l’incarnation. Saint Vincent de Lérins rappelle, en le louant, l’exemple mémorable d’Origène (maintenant si passionnément honni des Orientaux) : «Quel homme un peu zélé pour la religion qui ne soit accouru vers lui des parties les plus reculées de l’univers ? Quel chrétien ne le vénéra pas comme un prophète ? Quel philosophe n’eut pour lui le respect dû à un maître ?». Dans son Commonitorium, saint Vincent formule ainsi la foi catholique : «ce qui a toujours été cru, en tous lieux et par tous». Le grand abbé de Lérins s’élève aussi contre le Nestorianisme qui afflige l’espace ecclésial grec.

ITALIE – Ayant reçu les évêques Hilaire de Marseille et Prosper d’Aquitaine, Célestin de Rome leur donne mission de défendre l’Augustinisme. Prosper se fait aussitôt le champion de cette dangereuse doctrine dans les Gaules.

Mais l’école de Lérins redouble de vigilance.

AFRIQUE – Le 28 août, saint Augustin naît au ciel. Pendant son agonie, les Vandales assiègent Hippone. Saint Cyrille d’Alexandrie écrit à Nestorius afin de le faire revenir à l’orthodoxie. Il apprend que Célestin de Rome vient de condamner le patriarche hérésiarque.

CONSTANTINOPLE – Nestorius convainc l’empereur Théodose II de convoquer un grand concile. Le 7 décembre, il refuse de recevoir les quatre évêques que lui envoie saint

Cyrille.

431 – Les Burgondes s’installent en Savoie avec le statut de fédérés. L’école de Lérins‚ poursuit son combat contre l’Augustinisme.

IRLANDE – Arrivée du premier évêque de cette nation, Palladius, envoyé par Célestin de Rome.

ITALIE – Huit temples païens de Sicile sont dédiés à la Vierge Marie. Le temple de Vénus, au mont Eryx, devient «Sainte Marie des Neiges».

ORIENT – Le 7 juin, jour de la Pentecôte s’ouvre le Concile d’Éphèse, IIIe œcuménique. Condamnation et déposition de Nestorius. «Le saint concile a décidé qu’il n’est permis à personne de présenter ou d’écrire ou de composer une formule de foi autre que celle qui a été définie par les saints Pères réunis à Nicée avec l’Esprit Saint». La Vierge Marie sera appelée Théotokos, Mère de Dieu. Le patriarche Maximien succède à Nestorius.

Le mot «germain», créé par les Gaulois, signifie «voisin». Maintenant, les Germains ne sont plus les voisins; ils font partie de la vie quotidienne; ils sont partout; et définitivement installés.

Depuis une vingtaine d’années (sac de Rome par Alaric en 410), les Gaulois savent que l’empire est faible. Les coups contre lui ont succédé aux coups.

En Gaule, on sait aussi que les Barbares ne sont point entrés partout en détruisant les villages et en tuant leurs habitants. En voyant arriver les Burgondes, les Gaulois de la vallée du Rhône se rendent compte du caractère pacifique de cette ethnie. Depuis maintenant quinze à vingt ans, on constate que le pouvoir wisigothique vaut largement l’administration romaine tatillonne et corrompue, et fait respecter les églises orthodoxes. On vit avec eux. Avec eux, on ne vit pas plus mal qu’avec les Romains. Il y eut rarement des mariages, des fusions familiales avec l’occupant latin; mais il y en a déjà de plus en plus avec le nouvel habitant germanique.

Jusqu’à maintenant, l’Église soutenait le pouvoir impérial. Les peuples germaniques installés en Gaule et ailleurs, ne sont-ils pas encore fédérés à ce pouvoir ?

Voici que s’opère une première fusion des races, la fusion gallo-germanique. L’Église y sera très attentive.

9 – Vème SIÈCLE

LA FUSION GALLO-GERMANIQUE

432 – IRLANDE – Début de la mission de saint Patrick.

ITALIE – Célestin de Rome naît au ciel. Lui succède Sixte III.

433 – Saint Faustus devient abbé de Lérins. Ce moine manifeste lui aussi la vigilance de l’Église des Gaules devant les progrès de l’augustinisme, qui a la faveur de Rome et, en Gaule, des défenseurs talentueux, tels Hilaire de Marseille, Prosper d’Aquitaine.

ORIENT – Après le concile d’Ephèse, la querelle s’aggrave entre Alexandrie et Antioche, les deux écoles théologiques depuis longtemps rivales. Le 12 avril,Acte d’union :

1- les Orientaux acceptent la condamnation et la déposition de Nestorius et reconnaissent Maximilien de Constantinople ;

2- saint Cyrille fait silence sur les anathématismes et signe une «formule orientale» rédigée par Théodoret de Cyr. Il y est question de «Jésus Christ qui naît du Père selon la divinité, puis de Marie selon l’humanité». Les termes «une seule nature, union physique» sont remplacés par «une seule personne, union de deux natures». Mais l’Église d’Arménie, qui cherche à se créer une littérature théologique, s’en tient aux oeuvres de Dioscore de Tarse et de Théodose de Mopsueste, qui ont été les maîtres de Nestorius. Deux évêques cyrilliens, Arace de Mélitène et Rabboula d’Edesse, écrivent à l’épiscopat arménien pour l’inviter à ne pas recevoir de tels auteurs.

434 CONSTANTINOPLE – Maximien naît au ciel, Proclus devient patriarche.

435 AFRIQUE – Le 11 février Valentinien III ayant abandonné au roi vandale Genséric les trois Mauritanies avec Guelma, il ne reste plus à l’empire que Carthage et Cirta.

CONSTANTINOPLE – Le 3 août, loi de Théodose II contre les Nestoriens, dont l’agitation se réveille.

436 – Aetius, successeur de Stilicon à la tête de la milice romaine, contraint les Burgondes à quitter le Rhin et la Meuse, et à descendre le Rhône.

On remarque, à ce moment, l’importance croissante de la métropole ecclésiastique de Tours. Ce siège étend son autorité au nord de la Loire et jusqu’en Armorique. La Gaule des pays au nord de la Loire, en effet, se sépare de plus en plus du siège primatial d’Arles, cette ville vivant sous la domination arienne des Wisigoths et des Burgondes.

437 – ORIENT – Quelques évêques ayant porté leurs affaires devant Proclus de Constantinople, Sixte de Rome proteste.

438 CONSTANTINOPLE – Le 27 janvier, Proclus fait déposer à la basilique des Apôtres la relique de saint Jean Chrysostome. En signe de réparation, l’empereur Théodose II s’incline devant le cercueil. Le 31 janvier, Théodose II promulgue la peine de mort contre ceux qui se maintien-draient encore dans l’ancien culte païen de Rome.

439 Convoqué par saint Hilaire d’Arles, le Concile de Riez règle les affaires épiscopales d’Embrun.

AFRIQUE – Le roi vandale Genséric entre dans Carthage, qui se rend sans résistance.

CONSTANTINOPLE – On constate la réapparition de la langue grecque dans les actes officiels de l’empire d’Orient.

REPRISE DE L’ACTIVITÉ CONCILIAIRE DANS LES GAULES – (depuis 439, concile de Riez…)

440 Le prêtre Léon, qui n’est pas encore évêque de Rome, est envoyé en Gaule par la cour de Ravenne pour mettre fin au conflit qui oppose le patrice Aetius et Albinus, préfet du prétoire. Remarquons dès maintenant cette tendance de l’empereur d’Occident, à se servir de saint Léon comme d’un haut fonctionnaire chargé des affaires gauloises.

ROME – Le 19 août, Sixte III naît au ciel. Saint Léon le Grand lui succède.

CONSTANTINOPLE – L’higoumène Eutychès devient le chef moral de tous les moines byzantins partisans de saint Cyrille d’Alexandrie dans la controverse nestorienne. L’empereur témoigne un respect explicite. Mais il est toujours dangereux de combattre… psychiquement… une hérésie (nous l’avons déjà vu avec saint Augustin, avec Nestorius…) ; et c’est maintenant que va se déclencher l’affaire monophysite : négation de la nature humaine du Christ…, seulement sa nature divine ; Il serait Dieu, et non homme.

441 – Saint Hilaire d’Arles préside le Concile dOrange. Notons maintenant la reprise de l’activité conciliaire dans les Gaules : elle montre en plus d’une totale liberté de l’épiscopat orthodoxe (sous domination arienne au sud de la Loire, dans un monde morcelé et bouleversé au nord) une très nette fusion gallo-germanique déjà très avancée. L’époque du «choc» des migrations est révolue ; on vit en bonne intelligence avec les Barbares.

BRETAGNE – Nouvelle vague des Saxons et des Angles. Il n’existe aucune puissance romaine sur le territoire insulaire depuis 407, soit trente-quatre ans.

CONSTANTINOPLE – Favori de l’empereur, l’eunuque Chrysophe renforce l’autorité de son ami l’higoumène Eutychès, hérésiarque monophysite.

442 – Saint Hilaire d’Arles préside le Concile de Vaison.

Conduits par leurs moines, un grand nombre de Bretons orthodoxes quittent leur île envahie par les Angles et les Saxons, et s’installent en Armorique notre Bretagne actuelle.

AFRIQUE – Un traité avec l’empire romain reconnaît au roi vandale Genséric la possession de la Proconsulaire, de la Byzacène et d’une partie de la Numidie.

443 – Toujours en qualité de fédérés, les Burgondes fondent un premier royaume entre Rhône et Saône et jusqu’en Séquanie.

ROME — Saint Léon le Grand lutte contre les progrès du manichéisme en Occident.

444 – Au Concile de Besançon, saint Hilaire d’Arles dépose l’évêque Chélidonius. Mais celui-ci fait aussitôt appel à Rome.

ITALIE – Au Concile de Rome, saint Léon le Grand produit une profession de foi complète contre le Monophysisme qui agite l’Orient.

AFRIOUE – Le 27 juin, saint Cyrille naît au ciel. Dioscore lui succède.

ORIENT – Apprenant la mort de Cyrille d’Alexandrie, les Orientaux fidèles à la mémoire de saint Jean Chrysostome oublient quelque peu la charité de modèle courant… et font circuler cette lettre apocryphe sous la signature (inventée de toutes pièces sans doute) de Théodoret : «Enfin le voilà mort, ce méchant homme. Son départ réjouit; les survivants, mais il aura affligé les morts. Il est à craindre qu’ils n’aient bientôt assez de lui et qu’ils nous le renvoient. Aussi faudra-t-il charger son tombeau d’une pierre bien lourde pour que nous n’ayons plus à le revoir.»

445 Dispute entre Léon de Rome et Hilaire d’Arles au sujet de la déposition de Chélidonius de Besançon (444).

Relativement aux migrations barbares, les esprits ont beaucoup évolué depuis trente ans !… Salvien, prêtre de Marseille et disciple de Lérins, convie énergiquement les Romains établis en Gaule à examiner leur conscience. Aux vices de la civilisation romaine décadente, il oppose les qualités, mêlées de défauts certes, des ethnies victorieuses. «On voit», dit-il, «des pauvres, des veuves, des orphelins préférer aller vivre au milieu des Goths et des Burgondes, et ne point être déçus de ce choix… Ils sont chastes, surtout les Goths et les Saxons. Chez eux la débauche est un crime, alors que les Romains s’en font gloire. Qu’ils soient hérétiques, il n’y faut point contredire, mais cela est encore la faute des Romains, car leur hérésie, c’est d’eux, après tout, qu’ils l’ont reçue..»

ROME – (cf. ci-dessus). Au Concile de Rome, saint Léon le Grand infirme le jugement d’Hilaire d’Arles et rétablit Chélidonius sur le siège de Besançon.

AFRIQUE – Valentinien III livre sa fille en mariage à Hunéric, fils du roi vandale Genséric. Des rudiments de culture latine pénètrent maintenant cette féroce ethnie barbare.

446 ESPAGNE – Concile d’Astorga contre les priscillianistes.

CONSTANTINOPLE – En juillet, le patriarche Proclus naît au ciel,. Flavien lui succède. Le nouveau patriarche est plus favorable aux Orientaux (Antioche et Théodoret de Cyr) qu’aux Alexandrins.

447 ESPAGNE – Concile de Tolède contre les priscillianistes.

AFRIQUE – Hunéric le Vandale fait brûler de nombreux manichéens qui s’étaient introduits dans le clergé arien.

CONSTANTINOPLE – Théodoret de Cyr attaque le monophysisme d’Eutychès.

ORIENT – Domnus d’Antioche écrit à Théodose II pour accuser Eutychès de renouveler l’hérésie d’Apollinaire.

448 ESPAGNE – Concile de Galice contre les priscillianistes.

ITALIE – Au début de l’année saint Léon reçoit une lettre d’Eutychès qui lui dénonce «les entreprises des nestoriens». Léon le Grand répond en louant son zèle, mais ajoute qu’il est trop mal renseigné sur les faits pour intervenir d’une manière utile.

ORIENT – Le 16 février, un édit impérial prend la défense d’Eutychès, et Théodose ordonne à Irénée, nouvel évêque de Cyr, d’abandonner son poste. Le 9 septembre, Irénée est remplacé à Tyr par un certain Photius.

Du 8 au 12 novembre, au Synode de Constantinople, les évêques demandent au patriarche Flavien de déclarer Eutychès hérétique ; Eusèbe de Dorylée, propose la convocation d’un con­cile ; Flavien proclame : «après l’Incarnation, le Christ est de deux natures en une seule hypostase et une seule personne, un seul Christ, un seul Dieu et Seigneur.»

Puis le 22 novembre, à une nouvelle session du synode, comparaît Eutychès, aussitôt déposé du sacerdoce et de la dignité d’archimandrite. Eutychès fait appel aux évêques Léon de Rome et Pierre Chrysologue de Ravenne.

449 – Saint Hilaire d’Arles naît au ciel. Ravennius, ami de l’évêque de Rome, lui succède.

Saint Léon de Rome a écrit son Tome d Flavien : lettre dogmatique destinée au patriarche de Constantinople, sur les deux natures du Christ. Il en présente aussitôt le texte à l’examen de l’épiscopat gaulois, dont il sollicite l’opinion. Il y est écrit : «en Jésus Christ, il n’y a qu’une seule et unique hypostase (ou personne), et dans cette personne il y a deux natures, la divine et l’humaine sans confusion ni mélange.» La réponse de Ravennius d’Arles fait mention de l’approbation unanime des évêques gaulois sur cette question dogmatique qui, cependant, ne pose aucun problème dans les Gaules.

ORIENT – Après avoir interdit à Théodoret de Cyr de quitter son lointain diocèse et fait jeter en prison, parce qu’ils se lèvent contre Eutychès, Théodose II convoque un concile général à Éphèse. Cette pièce montée par l’empereur et par Dioscore d’Alexandrie, ayant dégénéré en odieuse bagarre, porte le nom deBrigandage d’Ephèse. Flavien de Constantinople meurt des suites de ses blessures avant que le Tome de saint Léon de Rome ait eu le temps de lui parvenir.

450 Dix neuf évêques de Viennoise, Narbonnaise seconde et Alpes maritimes demandent à saint Léon de reconnaître dans ses décisions et actes la pleine et entière primatie d’Arles sur les Gaules. On ne sait pas encore que l’empereur occidental Valentinien III traitant l’évêque de Rome en fonctionnaire, lui a ordonné d’administrer les affaires ecclésiastiques de la Gaule méridionale – ce qui explique cette situation équivoque.

L’influence de Lérins aura été profonde dans la première fusion gallo-germanique qui se confirme nettement. Le prêtre marseillais Salvien écrit : «L’Empire romain est déjà mort ou, du moins, à l’agonie, même là où il semble vivre encore». Ayant perdu tout espoir en l’empire, les orthodoxes gaulois, suivis en cela par les deux tiers païens de la population, aspirent à ne former qu’un seul peuple avec les ethnies germaniques qui possèdent le sol et le pouvoir.

Une heureuse tolérance s’est établie entre les clergés ariens et orthodoxes ; ils ne se gênent pas. La religion d’Ulfila, celle des vainqueurs, subit maintes édulcorations du fait de l’influence croissante de la culture romaine dans les ethnies wisigothique et burgonde.

CONSTANTINOPLE – Le 28 juillet, meurt Théodose II. Marcien, général énergique lui succède. Il refuse de payer le tribut à Attila et lui laisse entendre qu’il aurait mieux à faire du côté de l’Occident ; Anatole, apocrisiaire de Dioscore d’Alexandrie, devient le nouveau patriarche. Il fait revenir à Constantinople les restes de son prédécesseur Flavien pour les déposer à la basilique des Apôtres.

Marcien écrit à saint Léon de Rome qu’il est tout disposé à réunir un concile général, «pourvu qu’il se tienne en Orient»

451 – Au printemps, malgré la menace d’une imminente arrivée des Huns que précède une réputation de terreur, se tient le Concile de Milan : il renouvelle l’approbation enthousiaste de l’épiscopat gaulois au Tome à Flavien de saint Léon le Grand.

Puis la catastrophe éclate : Raid foudroyant des Huns conduits par Attila. Aux hordes huniques se sont joints les Francs Ripuaires et des éléments burgondes encore en Germanie. Mérovée, chef des Francs Saliens, participe à la lutte contre l’envahisseur asiatique. Les Huns sont arrêtés devant Paris par la moniale sainte Geneviève, âgée de vingt-huit ans ; devant Orléans par l’évêque saint Aignan ; puis finalement rejetés des Gaules par Astius, au Campus Mauriacus, près de Troyes.

Chez les Wisigoths, Thorismund succède à Théodoric ler.

Childéric, le Franc Salien, aide les forces romaines à sauver Angers des pirates saxons.

ORIENT – Grand Concile de Chalcédoine, quatrième oecuménique.

452 – Le Concile d’Arles fait état de certaines apostasies parmi les Gaulois orthodoxes en contexte arien.

ITALIE – Chassé des territoires gaulois, Attila détruit Aquilée, ravage la Vénétie, prend Milan, Pavie et s’achemine vers Rome. Attitude héroïque de saint Léon devant la menace. Attila subit son ascendant et part sans attaquer Rome.

453 – Eustochius de Tours préside le Concile d’Angers. Talassius devient l’évêque de cette ville. Chez les Wisigoths, Théodoric II succède à Thorismund. Il régnera jusqu’en 466.

CONSTANTINOPLE – Le puissant généralissime alain Aspar dresse contre l’empereur Marcien une sorte d’empereur parallèle, l’obscur tribun Léon le Thrace.

454 ITALIE – Saint Léon ne peut empêcher la réception définitive du canon 28 du concile de Chalcédoine, qui lui a déplu – ce canon précise que c’est en raison de leur seule importance politique que les sièges de Rome et de Constantinople se partagent les deux premiers rangs d’honneur. Il renoue la communion avec le patriarche Anatole.

Le 21 septembre, subissant à son tour l’injuste sort de Stilicon, Aetius est égorgé des propres mains de l’empereur Valentinien III.

ESPAGNE – Ayant obtenu l’évacuation des provinces, de Carthagène et de Tarragone, les Wisigoths ne peuvent empêcher les Suèves de s’établir sur tout l’ouest de la péninsule ibérique (Porto et Lisbonne).

AFRIQUE – Le 4 septembre, meurt le patriarche Dioscore d’Alexandrie.

455 Présidé par Ravennius, le Concile d’Arles règle le litige juridictionnel survenu entre l’abbaye de Lérins et l’évêque Théodose de Fréjus, et précise les prérogatives de l’évêque et de l’abbé. Les Francs Ripuaires, ethnie arienne, progressent jusqu’à Trèves, puis jusqu’à Metz.

ITALIE — Le I6 mars, Valentinien III est assassiné par Maxime. Le 31 mai, Maxime subit le même sort. Avitus lui succède.

Le 22 juin, le roi vandale Genséric, ayant abordé en Italie, après la mort de Valentinien, s’installe dans Rome pour quinze jours et pille méthodiquement la ville. Il refuse de reconnaître l’autorité de Maxime et rompt sa fédération avec l’empire.

ORIENT – Grâce à la mission de saint Séverin en Norique et en Dacie (actuelle Roumanie), des Barbares reviennent à l’orthodoxie. «…Si l’ensemble des Goths est resté arien jusqu’au milieu du VIe siècle, il y eut cependant chez eux, après leur passage en masse à l’arianisme, des conversions assez nombreuses pour que l’on puisse dire que les efforts de Chrysostome, de Téotime de Tomi, de Niceta de Ramasiana et de leurs émules ignorés parmi les envahisseurs des provinces danubiennes n’ont pas été inutiles[51] »

456 Les Francs Ripuaires poursuivent leur avance en Alsace, au Palatinat et dans une partie de la Suisse. Ils poursuivront cette conquête jusqu’en 470. Notons ici que, pendant que la Gaule du sud vit en paix avec les Germains, les régions orientales retournent à la situation cruelle des années 407.

ITALIE – Fin lettré et beau-père de saint Sidoine Apollinaire, l’empereur Avitus est renversé par le patrice Ricimer, un Suève qui a pris le commandement des armées romaines.

Par la suite, Avitus deviendra évêque.

QUELQUES ÉVÊQUES DES GAULES DU Ve SIÈCLE.

Saint Hilaire d’Arles. Évêque-primat à trente ans. Maître spirituel de toute la Gaule méridionale. A travers lui, considérons la resplendissante école de Lérins. Ardente vigie orthodoxe, impitoyable envers les doctrines suspectes. Animateur des conciles immédiatement postérieurs au choc des grandes migrations. C’est lui qui réveille l’oeuvre conciliaire

Saint Eucher de Lyon. Écrivain, ancien sénateur, appelé à l’épiscopat en 434, au moment où les Burgondes s’installent dans les régions du Rhône. Saisis de respect, les Burgondes ariens l’écoutent…

Saint Marcel de Paris. Évêque de 405 à 436, ardent missionnaire du peuple d’Ile de France.

Saint Sidoine Apollinaire. Erudit et poète pénétré de culture latine, installé en Auvergne où il dispose d’une somptueuse résidence secondaire, sa résidence principale étant à Lyon, colossalement riche, homme de très haut rang. Gendre de l’empereur Avitus. Sénateur à partir du règne éphémère de son beau-père. Il deviendra évêque de Clermont-Ferrand en 471 et sera, en même temps, hiérarque écouté sur plus de la moitié de la France et une sorte de «super-préfet» d’envergure quasi nationale.

Saint Germain d’Auxerre. Evêque en 418, il restaure un diocèse qui tournait mal. Ardent missionnaire, il se rend deux fois chez les Bretons insulaires pour y pourfendre le pélagianisme. A soixante-dix ans, il rentre de sa deuxième mission et, par sa seule autorité spirituelle, il barre la route à des hordes de pillards alains et bagaudes qui dévastent les villages. Il naît au ciel à Ravenne en 450.

L’Église – entendons : le clergé monastique et épiscopal – détient, seule, la culture intellectuelle. Elle gère les diocèses, non seulement spirituellement, mais, de plus en plus, administrativement, voire politiquement. Les évêques sont en même temps préfets, et assez souvent sénateurs (le cas de Sidoine Apollinaire, très «en relief», n’est nullement exceptionnel). Les peuples germaniques, bien qu’ils conservent la religion d’Ulfila, voient en eux leurs supérieurs évidents : parce qu’ils détiennent la culture latine qu’ils .admirent, et parce que ce sont des saints d’immense envergure.

FUSION GALLO-FRANQUE EN GAULE NORDIQUE ET AGONIE DE LA ROMANIA D’OCCIDENT

457 – Théodoric II, roi des Wisigoths, cesse de reconnaître l’autorité impériale et rompt le traité de fédération. Il entreprend le siège d’Arles.

Les Burgondes, eux aussi, cessent de reconnaître l’autorité impériale à partir de l’avènement de Majorien. Ils s’emparent de Lyon.

ITALIE – Un nouvel empereur, l’énergique Majorien (il règne jusqu’en 46I) : romain de vieille souche, il stoppe l’invasion des Vandales en Italie et prépare contre eux une expédition en Afrique.

AFRIQUE – L’évêque Deogratias de Carthage naît au ciel. Jusqu’à 48I, ce siège épiscopal n’aura pas d’évêque orthodoxe. Les catholiques africains sont donc, par la force des choses et contre leur séculaire tradition locale, obligés de se tourner vers Rome.

CONSTANTINOPLE – Le 26 janvier, Marcien est assassiné par Léon le Thrace qui lui succède et régnera jusqu’en 474. Léon réorganise l’armée.

458 Arles assiégée par le roi wisigoth Théodoric II. C’est Rusticus de Narbonne qui préside le Concile de Narbonne : il s’agit d’accusations fausses portées par deux prêtres contre d’importants personnages. L’avis de saint Léon de Rome est demandé pour la conclusion de cette affaire.

Notons ici la tendance de la Provence à s’écarter doucement de la condition gallo-germanique et, en conséquence, à se rapprocher du monde latin, y compris du point de vue de l’administration ecclésiastique. Ce sera chose faite au VIe siècle.

L’empereur Majorien reprend Lyon aux Burgondes.

ITALIE – Saint Léon s’inquiète en apprenant que le monophysite Timothée Aeluse est devenu patriarche d’Alexandrie ; il envoie des légats à Constantinople pour demander l’installation d’un orthodoxe sur le siège africain.

CONSTANTINOPLE – Le patriarche Anatole naît au ciel. Lui succède Gennadius qui reçoit la lettre de saint Léon.

AFRIQUE – Timothée Aeluse, exilé en Crimée (jusqu’en 475). Timothée Salofaciol devient patriarche d’Alexandrie : homme doux et modéré, il remet le nom de Dioscore dans les diptyques (ce qui mécontente Léon de Rome) et rétablit la paix en Égypte.

ORIENT – Théodoret de Cyr, «le plus grand des Orientaux», naît au ciel. Le monophysisme en tire profit. Ibas d’Edesse naissant aussi au ciel, la Perse s’enfonce dans le nestorianisme.

459 Fin du siège d’Arles, qui aura duré deux ans : Théodoric II n’est pas parvenu à prendre la ville.

460 AFRIQUE – Intimidé par l’énergie que déploie l’empereur Majorien, Genséric engage, en mai, des pourparlers de paix.

461 Présidé par le métropolitain Perpétuus, le Concile de Tours rassemble les évêques du nord de la Loire et de l’Armorique, et produit 13 canons rappelant les prescriptions anciennes. L’Église y manifeste son réveil en force, et il s’esquisse une situation nouvelle : les régions méridionales tendant de plus en plus nettement à se tourner vers la latinité et vers le siège romain, l’Église des Gaules ramasse ses forces en Gaule septentrionale.

ITALIE – Le 7 août, l’empereur Majorien est tué par le germain Ricimer, qui lui substitue son comparse Sévère, lequel régnera jusqu’en 465.

Le 10 novembre, saint Léon le Grand naît au ciel. Lui succède Hilaire.

462 – Abbé de Lérins depuis 433, Faustus devient évêque de Riez.

Théodoric II prend le port de Narbonne, qui entre ainsi dans l’espace gallo-wisigothique. Le Synode d’Arles étudie les problèmes relatifs au siège épiscopal de Narbonne.

ITALIE – Le Concile de Rome répond à l’appel du synode d’Arles au sujet du siège épiscopal de Narbonne.

Comme on le voit en cette affaire, la Provence, maintenant en dépendance de l’ethnie germanique la plus latinophile des Gaules, se tourne de plus en plus nettement vers le monde latin et vers Rome. Un autre visage de l’Église des Gaules, pendant ce temps, rassemble ses énergies au nord de la Loire.

ET MAINTENANT, IL APPARAÎT QUE L’HOSTILITÉ VA CROISSANT
ENTRE LES FRANCS SALIENS, MINORITÉ TRÈS ACTIVE EN GAULE
DU NORD, ET LE ROYAUME WISIGOTH, MÉRIDIONAL ET LATINISANT.

463 – En effet Childéric, roi des Francs Saliens, prête main forte aux armées romaines contre les Wisigoths.

À ce moment, l’Église de la Gaule du nord a fait un choix : elle soutiendra la promotion de l’ethnie païenne des Francs Saliens contre les peuples wisigoths du sud et burgondes de l’est. Ce choix a l’adhésion des orthodoxes du sud de la Loire : ils vont opposer une résistance de plus en plus cohérente au pouvoir wisigothique.

464 Présidant le Concile d’Arles, le primat Léonce déclare que le droit de l’évêque de Rome sur la délimitation de quelques diocèses et provinces des Gaules méridionales lui est venu d’une décision de l’empereur ; et donc, explique-t-il, il s’agissait d’obéir à l’empereur en respectant cette décision.

De plus en plus antiromain et opposé à la maintenance d’un pouvoir arien sur l’ensemble des Gaules, l’épiscopat du nord de la Loire encourage les ambitions des Francs Saliens.

ESPAGNE – Concile de Tarragone.

Cette même année 464, se produit un événement très important au nord de la Loire : le romain Syagrius se proclame indépendant, pour son propre compte, à Soissons. Sans titre politique précis, et rompant tout lien avec le gouvernement impérial de Ravenne, il devient le souverain des territoires englobant l’Ile de France et quelques régions voisines.

465 Saint Paulin de Pella naît au ciel. Après une existence très agitée, ayant subi l’influence pélagienne mais étant finalement resté orthodoxe, devenu vieux il a écrit ses mémoires : L’Eucharisticos.

Présidé par Perpétuus de Tours, le Concile de Vannes,-tenu à l’occasion de Paterne, nouvel évêque de cette ville, rappelle les anciennes prescriptions disciplinaires et précise la discipline monastique. L’importance de ce concile montre combien, maintenant, le sort de l’Église des Gaules se joue au nord de la Loire.

ITALIE – L’empereur Sévère, homme de paille de Ricimer, meurt le 15 août. Anthémius, gendre de Marcien l’empereur d’Orient, lui succède.

466 Euric succède à Théodoric II à la tête des Wisigoths. Il entreprend la conquête de l’Espagne et rêve de conquérir aussi toute la Gaule. Il régnera jusqu’en 484.

Un problème capital se pose maintenant : les Gaules seront-elles dominées par les Wisigoths ariens et latinises, ou par l’ambitieuse ethnie des Francs Saliens, encore païenne, que soutient, l’épiscopat du nord de la Loire ?

Sur cette question, s’ouvre la troisième et dernière partie du Ve siècle. Les événements les plus lourds de conséquences vont se précipiter.

10 – Ve SIÈCLE

LE DÉNOUEMENT

PREMIER ACTE FINAL : DISPARITION DE LA ROMANIA D’OCCIDENT

Dans dix ans, l’empire romain d’Occident aura disparu.

467 – ORIENT – Pendant un raid vandale en Épire, saint Diadoque, futur évêque de Photicé et maître ascétique éminent, est enlevé par la flotte de Genséric et emmené esclave à Carthage.

468 ITALIE – Simplicius, évêque de Rome (jusqu’en 483). C’est donc ce pontife qui assistera à la disparition de l’empire occidental.

ESPAGNE – La péninsule ibérique presque tout entière est conquise par le roi wisigoth Euric ; cette conquête va durer jusqu’à 477.

Rappelons qu’Euric a refusé toute continuation de la vassalité wisigothique à la cour impériale AFRIQUE – Défaite de l’année navale byzantine lancée par l’empereur Léon Ier le Thrace contre la domination vandale.

CONSTANTINOPLE – Léon Ier le Thrace déclare les adorateurs des dieux incapables d’ester en justice.

469 Vainqueur à Déols, le wisigoth Euric chasse les Romains du nord de la Loire. Il apparaît déjà comme le souverain le plus puissant d’Occident. Le voici déjà maître de tout le Massif central.

Conduits par leur roi Childéric, les Francs Saliens prêtent main forte aux armées romaines contre les Wisigoths.

470 Claude Mamert, prêtre de Vienne (il sera bientôt l’évêque de sa ville), écrit un traité Sur la substance de l’âme. Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont en Auvergne, se plaint, dans ses lettres, d’avoir à subir le rude contact des guerriers wisigoths d’Euric.

Concile de Châlon-sur-Saône, à l’occasion de l’ordination de l’archidiacre Jean, nouvel évêque de cette ville… où vient de naître un garçon appelé Césaire, fils du comte de Châlon, qui deviendra un jour saint Césaire d’Arles.

Nommant «sanctus Cassianus» dans son De viris illustribus, Gennade montre que la sainteté de Jean Cassien de Marseille est déjà reconnue par tous.

ITALIE – Simplicius de Rome change en église la basilique païenne élevée en 3I7 par le consul Julius Bassus, et il en fait la basilique Saint-André.

A Rome, naît Cassiodore (il vivra jusqu’en 562).

ESPAGNE – Le roi Euric fait rédiger le Codex Euricianus, premier recueil de lois en langue germanique.

En Occident, règne l’empereur Anthémius, qui, comme son prédécesseur Majorien, est un homme de grande classe intellectuelle et morale.

471 – CONSTANTINOPLE – Acace devient patriarche. Monophysite quand il était simple prêtre, il s’est opportunément déclaré chalcédonien pour accéder à l’épiscopat.

ORIENT – Pierre le Foulon, patriarche d’Antioche, introduit la récitation du symbole de la foi dans la liturgie.

472 Au Concile de Bourges, saint Sidoine Apollinaire de Clermont, inquiet au sujet de la vacance épiscopale du siège de la ville berrichonne, dont un fort parti arien est sur le point de s’emparer, prend les choses en main et bien qu’il n’ait aucune juridiction ecclésiastique en cette région, fait installer un évêque orthodoxe.

ITALIE – Olybrius, dernier empereur d’Occident élevé au trône par le barbare suève Ricimer. Aussitôt après, meurt le puissant Ricimer qui, depuis 456, a fait les empereurs d’Occident. Il est suivi dans la mort, le 2 novembre, par Olybrius.

Oreste, un ancien espion d’Attila, règne maintenant sur l’Occident.

473 – Lucidus, prédicateur de l’augustinisme, répand une formule effrayante : «le Christ n’est pas mort pour tout le monde, et le baptême n’est valable que pour les prédestinés». Cette prédication hérétique provoque la tenue du Concile d’Arles : le saint évêque Faustus de Riez rappelle que l’image de Dieu reste toujours empreinte dans l’âme humaine.

474 – Le roi burgonde Gondebaud (jusqu’en 516), de religion arienne, règne d’Autun à la Durance et de Nîmes aux Alpes suisses.

En Occident, règne l’empereur Julius Nepos, homme de qualité.

CONSTANTINOPLE – Léon Ier le Thrace meurt en janvier. Des guerres civiles ravagent aussitôt l’empire byzantin. Survient Tarasicodissa, qui se fait appeler Zénon et poursuit un but : se débarrasser des Ostrogoths, commandés par Théodoric, en les dirigeant vers l’Occident. Cet homme d’origine humble, montagnard isaurien de Taurus, devient empereur en novembre. Le règne de Zénon va durer jusqu’en 491.

AFRIQUE – Zénon reconnaît le royaume vandale établi en Tunisie.

475 – En Occident, continue la rapide succession des derniers empereurs de Ravenne. Oreste, de nouveau sur le trône, proclame empereur son fils Romulus Augustule ; puis – ce sera son premier et dernier geste d’énergie -, il refuse d’abandonner l’Italie aux mercenaires germains.

Ceux-ci se révoltent et proclament roi le guerrier hérule Odoacre.

Romulus Augustule, qui sera le dernier empereur d’Occident, qui est-il ? Un romain d’Illyrie, ancien serviteur d’Attila, qui connaît très bien les Barbares et, pourvu d’une vaste et sereine intelli­gence, estime leur force formidable à sa juste mesure.

CONSTANTINOPLE – Brève interruption du règne de Zénon : une révolution de palais le renvoie dans son pays natal ; Basiliscus, beau-frère de Léon le Thrace, s’empare du pouvoir impérial. Influencé par sa femme Zénonide, ardente monophysite, Basiliscus publie une Encyclique glorifiant ce qu’il appelle «la doctrine de saint Cyrille», l’usurpateur condamne le concile de Chalcédoine. Lui tenant tête, le patriarche Acace ordonne des processions, fait voiler de noir l’autel et la chaire de ses églises ; il parvient à faire descendre de sa colonne saint Daniel le stylite, ordonné prêtre par Gennadius ; et suivant l’ascète, la foule grecque implore le retour à la foi de Chalcédoine.

ORIENT – Les Huns Ephtalites, qui viennent d’occuper Kaboul, envahissent une partie de l’Inde.

476 – DÉNOUEMENT QUANT À L’EMPIRE D’OCCIDENT : IL DISPARAÎT.

Depuis le 4 septembre 475, Odoacre s’est débarrassé d’Oreste, père de l’empereur, et s’est fait nommer roi des Hérules par les mercenaires germains. Il se rend à Ravenne avec ses soldats, dans l’intention de demander un tribut élevé pour son peuple. A son approche, les gardiens romains se sont enfuis, et le chef barbare, très étonné, trouve l’empereur Romulus Augustule, seul et parfaitement calme dans la salle du trône de son palais désert. L’empereur fait savoir à Odoacre que l’empire romain vient de mourir en Occident, qu’il laisse le trône impérial à qui voudra le prendre, et demande une pension tranquille jusqu’à la fin de ses jours.

Odoacre, dont les soldats rendent les honneurs à Romulus Augustule, le dernier empereur, ne sait que faire du trône et de l’empire, qui lui inspirent encore une persévérante terreur sacrée. Il réunit aussitôt tous les ornements impériaux dans un paquet, qu’il fait porter à Zénon, l’empereur de Byzance et de tout l’Orient.

CONSTANTINOPLE – En septembre, retour de Zénon, qui reçoit le paquet d’Odoacre et apprend qu’il n’existe plus d’empire romain en Occident. Quant à l’usurpateur Basiliscus, après avoir lâchement rétracté son encyclique monophysite, il meurt de faim avec sa famille déportée avec lui en Capaddoce.

ORIENT – Intense activité des monophysites en Asie…

AFRIQUE – … et à Alexandrie, où, sous la conduite du patriarche Timothée Aelure, on rapporte solennellement les restes de Dioscore.

DEUXIÈME ACTE FINAL : NAISSANCE DE LA FRANCE, BASTION DE L’ORTHODOXIE

Dans vingt ans, la nation française, seule puissance orthodoxe en Occident, naîtra au baptistère de la cathédrale de Reims.

477 – Réduite aux députations méridionales d’Aix, d’Arles et de Marseille, l’Assemblée des Gaules demande à Zénon de rétablir Julius Nepos en Occident. Cette démarche, qui n’a pas de suite, montre combien le divorce psychologique est maintenant profond entre Gaules provençales, qui se veulent latines et regrettent l’empire, et Gaules du nord, décidées à promouvoir la conversion orthodoxe et le pouvoir général de l’ethnie des Francs Saliens.

Le roi wisigoth arien Euric s’empare de tout le midi provençal.

L’épiscopat gaulois, surtout celui du sud, se dresse plus que jamais contre les sombres doctrines de l’augustinisme. En 476, Concile d’Arles ; cette année 477, Concile de

Lyon : tous deux animés, contre l’augustinisme, par saint Patiens de Lyon.

CONSTANTINOPLE – Les évêques qui avaient lâchement souscrit à l’encyclique monophysite de Basiliscus implorent leur pardon. Mais le patriarche Acace retourne à ses convictions monophysites originelles, partagées par l’empereur Zénon. Comme nous le voyons, le peuple orthodoxe grec souffre, autant que les Gaulois sous le joug germanique arien, d’un pouvoir tenu par d’indéracinables hérétiques.

AFRIQUE – À Alexandrie, le 31 juillet meurt le patriarche monophysite Timothée Aelure.

Mort du roi vandale Genséric, qui règne sur l’Afrique depuis 431, et avènement de Hunéric. Il régnera jusqu’en 484. Relativement au règne de Genséric qui vient de prendre fin, nous lisons dans L’histoire de Victor de Vite : «… on voulait faire livrer aux prêtres l’or et l’argent qui leur appartenait ou qui constituait un bien d’Église. Ceux qui cédaient étaient soumis d des tortures plus cruelles encore, sous prétexte qu’ils n’auraient livré qu’une partie… Aux uns, les bourreaux ouvraient de force la bouche avec des pieux et la remplissaient de boue fétide. Ils frappaient d’autres au front ou aux jambes avec des nerfs de boeuf qui sifflaient en s’abattant. À beaucoup d’autres, ils faisaient boire sans pitié de l’eau de mer, du vinaigre, du marc d’huile, en les gavant avec des outres qu’on collait contre leur bouche. Ni la faiblesse de l’âge, ni la considération du rang, ni le respect dû aux prêtres n’adoucissait ces barbares : bien mieux, toute dignité stimulait leur fureur».

478 – BRETAGNE INSULAIRE – Naissance de saint David, qui vivra jusqu’en 554.

ITALIE – Au Synode de Rome, excommunication de Jean Codonat, patriarche monophysite d’Antioche.

479•- Saint Loup de Troyes, moine de Lérins devenu évêque, naît au ciel.

480 En suite de son rôle diplomatique entre l’empereur et les Wisigoths, saint Faustus de Riez est exilé (jusqu’à sa mort) par le roi Euric.

Le roi arien Gondebaud fait rédiger la loi burgonde.

Un très fort courant de pensée et d’action par diplomatie et influence prend corps dans l’épiscopat gaulois du nord de la Loire et du sud-ouest. Son principal animateur est saint Rémi, issu de la famille aristocratique gauloise des Aemilii, évêque de Reims, dans le territoire où règne le Romain autonome Syagrius. Une sorte de parti ecclésiastique fermement décidé à peser sur les grandes décisions politiques à venir, en faveur des Francs Saliens, l’ethnie païenne installée depuis 406 en Belgique et sur la Somme.

ITALIE – Dans une famille patricienne de Nursie naît un garçon, qui sera saint Benoît et jouera un rôle immense dans l’essor du monachisme.

EUROPE CENTRALE – Les Lombards[52] arrivent sur le Danube.

481 – Âgé de quinze ans, fils du roi franc salien Childéric et de la princesse thuringienne Basine, Clovis est élu roi à Tournai. Son premier projet est de s’emparer de la région de Syagrius, d’où Rémi de Reims lui écrit : «Montre-toi déférent envers tes évêques ; recours toujours à leurs avis. Si tu es d’accord avec eux, ton pays s’en trouvera bien».

Notons que, souvent appelés «défenseurs de la cité», les évêques orthodoxes sont à la fois pontifes et préfets, et donc de très puissants personnages politiques. Ayant pris l’initiative de la fusion des deux races gauloise et germanique, ils optent au grand jour contre les royaumes ariens et les dernières traces de la Rome impériale, pour un pouvoir encore païen qu’ils espèrent convertir directement à l’orthodoxie.

AFRIQUE – Après une vacance accidentelle de 24 ans, le siège orthodoxe de Carthage est rétabli par l’élection de l’évêque Eugène. Celui-ci, dont le pontificat ira jusqu’en

505, est le disciple de saint Diadoque de Photicé.

482 – Mort de Childéric. Clovis, qui par lui descend de Mérovée et de Clodion, est le seul maître de l’ethnie des Francs Saliens.

CONSTANTINOPLE – Naît au ciel saint Séverin, qui a fondé vers 450 un monastère aux environs de Vienne, au bord du Danube. Son ascendant fut tel sur les Germains ariens que Giro, reine des Rupères, renonça à imposer le baptême hérétique à ses sujets.

Zénon publie le décret appelé «Hénotique» (= unification) : tentative de conciliation avec les monophysites.

AFRIQUE – Le monophysite Pierre Monge, patriarche d’Alexandrie.

483 – ITALIE – Simplicius de Rome étant mort, lui succède Félix III (jusqu’en 492), veuf pendant qu’il était diacre, père de plusieurs enfants et ami personnel de l’empereur Zénon… à qui il écrit, contre le patriarche Acace de Constantinople : «L’Église a le droit de se mouvoir selon ses propres lois».

CONSTANTINOPLE – Début du schisme entre Acace de Constantinople et Félix de Rome (jusqu’en 518).

AFRIQUE – Le 20 mai, Hunéric convoque les évêques orthodoxes à Carthage où ils devront soutenir, en février 484, une dispute avec les évêques de la religion d’Ulfila.

484 Euric étant mort, lui succède à la tête du puissant royaume wisigoth Alaric (jusqu’en 507) : arien très convaincu, mais de faible caractère. Naît au ciel le prêtre Salvien, qui a vécu cinq ans à Marseille et qu’on appelait «le maître des évêques» ; il a écrit Le gouvernement de Dieu.

ITALIE – Le Concile de Rome prononce la déposition du patriarche Acace de Constantinople. CONSTANTINOPLE – La décision romaine n’a d’autre effet qu’envenimer la haine d’Acace contre Félix III de Rome.

AFRIQUE – Convoqué par le roi vandale Hunéric, le Débat de Carthage, qui réunit 466 évêques ariens et orthodoxes, tourne à l’avantage des orthodoxes et à la confusion de la religion d’Ulfila qui, dépourvue de toute véritable théologie, ne peut avoir des théologiens à la hauteur des circonstances. Dans son dépit, Hunéric décide, le 25 février, que toutes les églises de Carthage passeront aux ariens. L’évêque orthodoxe Eugène de Carthage part en exil.

485 Quand, âgé de quinze ans, Césaire, né à Châlon-sur-Saône, entre dans l’âge adulte, on apprend la naissance au ciel de Faustus de Riez. Abbé de Lérins en 433, évêque de Riez en 462, auteur du livre des Instructions, il a lutté toute sa vie contre la religion d’Ulfila (pays burgonde) et l’augustinisme.

En pays wisigoths, les orthodoxes ont beaucoup souffert de la répression d’Euric qu’avait indigné leur résistance et leurs intrigues en faveur des Francs Saliens. De plus en plus influencés par le courant francophile qu’anime saint Rémi de Reims, le clergé et le peuple orthodoxes, malgré les adoucissements apportés par Alaric II à leur situation, se soulèvent contre la domination arienne dans les villes de Bordeaux, Saintes et Tours.

EMPIRE GREC – Mort de Proclos, maître néoplatonicien de l’école d’Athènes.

486 Ayant vaincu Syagrius à Soissons, Clovis se rend maître de tout le Bassin Parisien. Après s’être enfui en territoire wisigoth, Syagrius est livré par Alaric II à Clovis, qui le met à mort. Les dernières traces de Rome disparaissent ainsi dans les Gaules.

EMPIRE GREC – Naît au ciel Diadoque de Photicé, auteur des Cent Chapitres. PERSE – Le Concile de Séleucie confirme le choix persan de la foi nestorienne.

487 ITALIE – Au Concile de Rome, Félix III rappelle l’interdiction de rebaptiser.

AFRIOUE – Avènement de Gonthamond à Carthage ; plus clément qu’Hunéric, il rappelle l’évêque Eugène de son exil.

EMPIRE GREC – Les Ostrogoths attaquent Constantinople.

488 ITALIE – Théodoric, chef des Ostrogoths, triomphe d’Odoacre et, après sa victoire, est nommé maître de la milice et patrice d’Italie.

ORIENT – À Antioche, meurt Pierre le Foulon. Lui succède le monophysite Palladius. En Palestine, recrudescence de l’activité monophysite, animée par Théodore d’Antinoé.

489 EMPIRE GREC – Mort d’Acace de Constantinople. Fravita, qui lui succède, meurt quatre mois après. Euphème, profondément chalcédonien et ami des moines acémètes, devenu patriarche, refuse la communion de Pierre Monge et souhaite la réconciliation avec Rome.

Fermeture de l’école d’Edesse, sur l’ordre de Zénon.

PERSE – Progrès constants du nestorianisme, «religion persane».

490 – L’épiscopat orthodoxe des Gaules regarde tout autour de lui, l’Occident, et que voit-il ? Une mosaïque de royaumes, ariens pour la plupart et parfois, tel le récent édifice politique wisigoth, d’une formidable puissance.

Cette année-là, Césaire a vingt ans, et il entre au noviciat de Lérins, sous la conduite de l’abbé Porcaire. Césaire prépare un visage puissant de ce qui se veut encore latin, il exprimera la France méridionale attachée à Rome. Quant à saint Avit, il est sacré évêque de Vienne, en pays burgonde, sous le roi Gondebaud et le régime de la religion d’Ulfila. Avec Rémi de Reims et bien d’autres, Avit de Vienne est le visage gallo-franc de notre patrimoine spirituel. Il a un projet en tête : marier Clotilde à Clovis. Qui est Clotilde ? Une princesse burgonde, la fille de Chilpéric assassiné par son frère Gondebaud, régnant, et de Caratène, chrétienne orthodoxe ; sa soeur Soedeleube, sous le nom de Chrona, fondera à Genève l’abbaye Saint-Victor. L’idée de ce mariage, venue de saint Avit de Vienne, c’est saint Rémi de Reims qui la réalisera. Syagrius mort et son royaume disparu, Rémi de Reims est maintenant dans la souveraineté de Clovis.

AFRIQUE – Mort de Pierre Monge, patriarche d’Alexandrie. Le monophysite Athanase lui succède.

EMPIRE GREC – Euphème de Constantinople refuse de satisfaire Félix de Rome qui exige la suppression du nom d’Acace dans les diptyques.

ITALIE – A la fin de l’année, l’empereur Zénon appuie l’expédition du roi ostrogoth Théodoric qui achève d’écraser les années hérules d’Odoacre, qui jetèrent bas l’empire en Occident.

491 – EMPIRE GREC – Mort de Zénon. Anastase Ier lui succède, jusqu’en 518. Le nouvel empereur fera bientôt bâtir la troisième ligne de défense autour de Constantinople.

Bien que monophysite, il s’engage auprès du patriarche Euphème à ne rien tenter contre la foi de Chalcédoine.

ORIENT – A un moment où les Églises grecques elles-mêmes sont presque toutes monophysites, l’Eglise d’Arménie condamne le concile de Chalcédoine.

492 ITALIE – Gélase Ier, évêque de Rome (jusqu’en 496). Il n’envoie aucune lettre de communion à Euphème de Constantinople.

EMPIRE GREC – Le Concile de Constantinople, présidé par le patriarche Euphème, confirme les décrets de Chalcédoine.

493 – À Soissons, le roi Clovis épouse la princesse orthodoxe Clotilde.

L’autoritarisme de Gélase soulève les protestations de l’épiscopat des Gaules. Avit de Vienne écrit : «Les règles posées par cet évêque romain sont trop rigides. Comment comprendre son acharne-ment contre Acace de Constantinople, déjà mort et qui, de son vivant, n’était point hérétique ? Sous l’effet d’un tel ressentiment, va-t-on se séparer de la moitié de l’Eglise ?…» La querelle se fait particulièrement vive entre les deux évêques Rusticus de Lyon et Gélase de Rome.

ITALIE – Pendant ce temps, Odoacre meurt à Ravenne, et commence le règne de Théodoric. Le prestigieux chef ostrogoth s’éprend de l’ancienne civilisation latine. Il épouse Andoflède, soeur de Clovis.

494 Clovis laisse baptiser son premier enfant, mais il meurt… «Mes dieux l’auraient sauvé», dit-il à Clotilde, «le tien ne l’a pas fait».

ITALIE – Présidé par Gélase, un Concile de Rome se tient au sujet des livres apocryphes. Saint Benoît de Nursie, âgé de quatorze ans, se réfugie dans la solitude de Subiaco.

Théodoric entreprend la restauration des institutions romaines, sauf, bien entendu, celle du pouvoir impérial.

495 – Naissance d’un deuxième enfant de Clovis et de Clotilde. Lui aussi tombe malade aussitôt né. Mais, racontera Grégoire de Tours, «Clotilde pria tant pour le salut de l’enfant que Dieu le lui accorda». A la fin de l’année, ayant vaincu l’ethnie arienne des Francs Ripuaires à Tolbiac après avoir prié «le Dieu de Clotilde», Clovis entre en catéchuménat sous la direction de l’ermite saint Vaast (futur évêque d’Arras).

ITALIE – Autre Concile de Rome présidé par Gélase.

Théodoric interdit les mariages mixtes entre Goths et Romains. Il essaie d’organiser une confédération germanique contre l’empire d’Orient.

496 – Très glorieuse année. La nuit de Noël, baptême et chrismation de Clovis par saint Rémi de Reims. Un grand nombre de guerriers francs suivent leur roi dans l’initiation chrétienne. La France naît de ce baptistère orthodoxe. Saint Avit de Vienne : «Grâce à toi (Clovis), cette partie du monde brille d’un éclat propre, et dans notre Occident étincelle la lumière d’un astre nouveau. Ta foi est notre victoire.»

Et cependant, l’évêque Avit: dépend du roi Gondebaud, burgonde arien.

Dans le même royaume burgonde, saint Eugende devient abbé de Condat (jusqu’en 510) ; dans ce monastère du Jura, se pratique la «laus perennis», prière ininterrompue de jour et de nuit.

ITALIE – Préoccupé par l’extermination définitive du pélagianisme mais peu sensible au danger que représente l’augustinisme. Gélase de Rome exige une profession de foi explicite de l’évêque Honorius de Marseille. Il meurt en novembre. Anastase II lui succède (jusqu’en 498).

AFRIQUE – Mort du patriarche Athanase d’Alexandrie. Un autre monophysite, Jean II Hémula, lui succède.

EMPIRE GREC – L’empereur Anastase exile Euphème de Constantinople et le remplace par Macédonius, patriarche plus conciliant avec les monophysites.

497 – Dans la basilique Saint-Martin de Tours, avec un faste retentissant, Clovis se pare des insignes de consul honoraire reçus de l’empereur byzantin Anastase. Grégoire de Tours écrit qu’à partir de ce jour on l’appelle Auguste, ce qui fait de lui un collègue du souverain impérial grec. Cependant, le droit romain ne pénétrera pas en France, Clovis Auguste rédigeant la Loi salique, sur la base des coutumes germaniques.

AFRIQUE – Thrasamont, roi des Vandales (jusqu’en 523).

ORIENT – L’Église nestorienne ne peut parvenir à étouffer le monophysisme qui pénètre en Perse.

498 Une lettre d’Anastase de Rome à Aeonius d’Arles révèle l’intérêt de l’Église des Gaules pour la question de la création des âmes et du péché originel.

ITALIE – En novembre, meurt Anastase II. Quelques clercs romains fanatiques voient dans sa mort un signe de la vengeance divine parce qu’il a voulu le rapprochement avec

Constantinople. Symmaque lui succède (jusqu’en 514).

Théodoric, de plus en plus influent sur la Gaule méridionale et sur l’abbaye de Lérins. Il écrit à l’empereur byzantin Anastase : «notre royaume est une imitation du tien.»

Les orthodoxes des pays méditerranéens se demandent s’il ne convient pas de collaborer avec les pouvoirs ariens (wisigothique et ostrogothique) pour sauver la civilisation, qui, à leurs yeux, ne peut être que latine et dans la ligne de l’ancien empire romain. Le fossé se creuse entre les deux Gaules.

ORIENT – Au patriarche Palladius d’Antioche, monophysite, succède Flavien, chalcédonien.

499 – Colloque de Lyon : discussion théologique devant le roi arien burgonde Gondebaud. Sous la présidence d’Étienne de Lyon, saint Avit de Vienne anime la partie orthodoxe. Les représentants de la religion d’Ulfila ayant, faute de théologie, peu de théologiens, leur défaite est aussi évidente à Lyon qu’elle le fut, en 484 à Carthage chez les Vandales. Gondebaud semble sérieusement ébranlé dans ses convictions hérétiques.

ITALIE – Présidé par Symmaque, un Concile de Rome statue sur le mode d’élection des évêques romains.

Le Ve siècle s’achève

L’ensemble du monde baigne dans l’hérésie. En Orient, le monophysisme (et le nestorianisme en Perse); en Occident, la religion d’Ulfila.

Le royaume gallo-franc est le seul lieu de l’oikouménè où l’Orthodoxie soit vivante, paisible et conquérante.

Un très dangereux fossé psychologique se creuse entre les Églises de Rome et de Constantinople. Du monde grec au monde latin, on ne se comprend plus, et on ne s’aime pas.

Éloquent fut le fanatisme des clercs romains qui, en 498, reprochèrent à Anastase II mort d’avoir voulu rompre le schisme avec les Grecs.

Un autre fossé, moins grave mais notable, se creuse entre la Gaule du nord, ou France, et celle du midi méditerranéen.

D’un côté, naît une nouvelle manière de vivre. Elle se fonde sur la fusion ethnique, en plein progrès, des Gaulois et des Germains, et sur la conversion directe à l’orthodoxie du roi franc salien Clovis, – et cette conversion est, pour une grande part, l’oeuvre du parti épiscopal animé par saint Rémi de Reims. De l’autre, on veut rester latin, et la primatie d’Arles se tourne de plus en plus vers le siège de Rome.

Au VIe siècle, la dernière période de vaste influence de la Gaule latine sera celle couvrant la vie et l’oeuvre de saint Césaire d’Arles. En cette année 499 où nous voici, il est moine à Lérins.

11 – ENTRÉE DANS LE VIe SIÈCLE

Le Ve siècle a été celui des bouleversements. Commençant par un crépuscule brutal, il s’est terminé avec éclat – mais cet éclat se limite tout de même à cette nation qui devient la France. (Ici, le mot «nation» n’est point admis dans son sens moderne, juridico-idéologique, mais dans son sens originel : race ou fusion de races vivant une destinée commune ; mieux encore : rencontre d’ethnies dont l’Église fait un peuple). L’empire romain d’Occident n’existe plus.

Le VIe siècle sera l’âge classique de l’Orthodoxie occidentale.

Il nous conduit à un sommet spirituel de notre histoire.

CONTRE PÉLAGIANISME ET AUGUSTINISME

L’Église des Gaules est restée à l’écart des querelles christologiques qui perturbent ses soeurs d’Orient et provoquent les conciles généraux d’Ephèse et de Chalcédoine.

Nestorianisme et monophysisme procèdent d’une intellectualité dogmatique, disons d’un intellectualisme, qui n’a aucune prise sur elle. Quant aux séquelles du donatisme, on ne les aperçoit plus qu’en Afrique ; de plus en plus faiblement depuis 411. Les chrétiens gaulois confessent sans le moindre problème l’unité hypostatique du Christ, et en

Lui, une seule hypostase et les deux natures. Ce n’est pas sans une nuance d’étonnement que les évêques gaulois prirent connaissance du Tome à Flavien : le contenu de ce texte, qui deviendrait aussitôt le dogme de Chalcédoine, pour eux allait de soi depuis toujours. Et il va de soi que la Vierge Marie est la Mère de Dieu.

Par contre, le secteur éthique de la théologie peut donner matière à discussions et controverses dans l’Eglise des Gaules. La réception du message de foi ne pose aucun problème, on pense et on prie orthodoxement ; mais si la question : comment vivre cette foi vient à être posée, alors les esprits s’agitent, et l’on a des problèmes à résoudre.

Nous l’avons vu avec le pélagianisme qui, partant d’une spiritualité axée sur la rectitude de l’effort humain dans l’itinéraire du salut, va jusqu’à nier la transmission du péché d’Adam à sa descendance et suggère – plus qu’il ne l’affirme en clair – que l’homme peut parvenir au salut par le seul effort de sa volonté. Certes les Gaulois, et déjà les Gallo-Francs, demeurent particulièrement sensibles à la qualité, à l’extrême importance, de la libre volonté humaine, sur quoi se fonde l’éthique. Ils ont le sens et le souci de l’efficacité ; cette efficacité, ils vont jusqu’à l’exiger de Dieu Lui-même : nous l’avons compris dans le comportement de Clovis, scandalisé par la mort de son premier enfant (de Clotilde) et converti par la victoire de Tolbiac bien plus que par les arguments de ceux de son orthodoxe épouse et du parti francophile des évêques. Mais, viscéralement orthodoxes, ils ont devant les yeux, sans prononcer le mot qui n’appartient point encore à leur vocabulaire, la synergie : Dieu agit, l’homme agit ; pour que

Dieu sauve, il faut que l’homme le veuille et agisse en conséquence ; pour que l’action humaine aboutisse au salut, il faut que l’action divine s’exerce puissamment. Sans encore prononcer les mots décisifs qui seront, en d’autres lieux et temps, ceux de Maxime le Confesseur et plus tard encore de Grégoire Palamas, ils savent profondément, j’oserai dire charnellement, que, quand on parle de la grâce il faut entendre : les énergies de Dieu: et que l’action divine n’anéantit pas plus le vouloir humain que celui-ci ne chasse la part de Dieu. En raison de cet équilibre dogmatique plutôt tacite, paisiblement vécu, l’Eglise des Gaules n’a pas beaucoup à souffrir du dogmatisme erroné de l’italien Julien d’Eclane, seul doctrinaire réel du pélagianisme.

Mais la pire ignorance de la synergie désigne les sombres échardes de l’oeuvre du saint homme d’Afrique qui a la plus passionnément combattu Pélage.

L’Augustinisme déclenche un cri d’horreur, une opposition sans merci. Une répugnance sans précédent. Car, selon cette doctrine nocturne et désespérante, tout équilibre est rompu. Le prédestinationisme écrase la liberté humaine et jette bas toute vision de la vie compatible avec le christianisme orthodoxe; En optant avec l’évêque de Rome pour cette hérésie d’autant plus épouvantable qu’on ne l’identifie pas encore pleinement et en tous lieux, un Hilaire de Marseille, un Prosper d’Aquitaine apparaissent chez nous comme des étrangers. Un peu comme des canards dans une couvée de cygnes. L’Église gallo-franque ne peut absolument pas reconnaître en eux son visage ni quelque

repli que ce soit de son âme. Les deux monastères de Lérins (fondé en 410 par Honorat) et de Marseille (en 416 par Jean Cassien), qui constituent l’école théologique de la

Gaule et le séminaire de son épiscopat, confessent la grâce divine sans mettre en doute la liberté de l’homme, et celle-ci sans nier le péché originel et l’absolue nécessité de la grâce. Ainsi seront sauvegardés l’ascèse et la paix de l’âme chrétienne. Nous le constaterons en 529, avec les vingt-cinq capitula et la profession de foi du concile dogmatique d’Orange :

«… Après avoir reçu la grâce par le baptême, tous peuvent accomplir, avec la coopération d Dieu, ce qui est nécessaire au salut de leur âme. Notre foi n’enseigne pas que quelques-uns soient prédestinés au mal par Dieu. Et si quelqu’un a de si mauvaises croyances, nous lui disons avec indignation : anathème ! Dans chaque bonne œuvre, le commencement ne vient pas de nous, mais de Dieu qui, sans aucun mérite antérieur de notre côté, suscite en nous la foi et l’amour pour Lui, de telle sorte que nous désirons le baptême. Et après le baptême nous pouvons, avec son secours, accomplir la volonté de Dieu.»

Tant que l’Eglise des Gaules fera barrage à l’augustinisme, plaie mortelle de l’Afrique et… un jour… de l’Occident…, elle sera le flambeau de l’orthodoxie

MONACHISME

Dans les Gaules des années 500, le monachisme est essentiellement provençal : Marseille et Lérins. Deux pépinières d’évêques. Surtout Lérins. Ils rayonnent, ces deux monastères, sur tous autres, y compris au nord de la Loire et jusqu’en Armorique. Leur influence imprègne la Provence, la vallée du Rhône et les environs de Lyon, et jusqu’à Auxerre, où saint Germain fonde Saints-Cosme-et-Damien. Le rayonnement de Lérins a aussi gagné l’Italie, l’Espagne et l’Afrique.

Chaque monastère gardant l’organisation établie par son fondateur, il existe une riche diversité de règles. Le cénobitisme gagne chaque jour du terrain, mais sans pour autant mettre fin aux ermites, aux reclus. Les règles ne sont point encore des codes détaillés, des constitutions ; il faudra parvenir à ce type conforme au talent latin, attendre la maturité de saint Benoît de Nursie. Ce sont plutôt des synthèses très souples : symbolisme (par exemple, chez Jean Cassien, de la ceinture, de la tunique…), vecteurs d’ascèse, itinéraires de direction spirituelle. Un seul but à atteindre : la pureté du coeur, selon l’expression lumineuse, et je le crois définitive, de saint Jean Cassien. Un moine, répétons-le, peut vivre en communauté ou solitaire, il peut être missionnaire, et beaucoup le sont dans tout l’Occident celtique et gallo-franc.

Le premier souci de précision viendra au VIe siècle, avec saint Césaire d’Arles (470-542), maître spirituel, si influent sur les conciles à venir, qui restera latin par opposition à une Église gallo-franque qui, elle, se tournera de plus en plus du côté de son élément nordique et germanique.

Tout ne sera pas excellent dans l’oeuvre de Césaire d’Arles. Une violente et opiniâtre horreur de la vie sexuelle, la tendance à vouloir que le clergé majeur s’arrache à la condition conjugale et à ce que tous les chrétiens vivent comme les moines…, autant d’éléments de déséquilibre qui vont charger notre tradition conciliaire. Signalons ici avant d’en être étonnés au fur et à mesure du récit chronologique du VIe siècle, ce que nous devons tenir pour une déviation, aussi bien par rapport au talent fondamental de l’Eglise des Gaules (qu’on se souvienne du concile d’Arles de 314) que par rapport à la tradition orthodoxe universelle, maintenue jusqu’à nous grâce à la fidélité des Eglises d’Orient.

BILAN DES MIGRATIONS

Avant d’aller plus loin, il importe de noter une très grande différence entre la Gaule et la Bretagne insulaire. En Gaule, l’installation des Barbares, précédée par les federati au sein des armées impériales, s’est faite selon des modalités juridiques : après 407, les chefs germaniques restent un temps assez long des fédérés de l’empire ; tandis qu’en Bretagne, ce fut une conquête brutale, sans préavis explicite ou tacite et sans aucun accommodement juridique. En Gaule, des vases qui finissent par déborder ; en Bretagne, la foudre qui s’abat. En Gaule, on connaissait depuis longtemps les «voisins», ou Germains, dont on comptait les colonies, ou, lètes, un peu partout ; en Bretagne, les envahisseurs débarquent d’un seul coup, ne trouvant devant eux aucune force romaine, écrasant un peuple sans défense et pris au dépourvu. En Gaule, les ethnies ariennes comprennent assez vite qu’à coté de leurs Églises d’Ulfila, qui resteront celles des Germains et de leur seule germanité, continuent de s’épanouir les anciennes structures orthodoxes et que l’orthodoxie, religion de ceux qui étaient là avant eux, mérite tolérance et respect ; mais en Bretagne, envahie par des ethnies exclusivement païennes et violemment agressives, sans civilisation antique à admirer sur le terrain conquis, et que ne freine donc aucunement le désir de ressembler aux autochtones, le choc efface aussitôt le christianisme lui-même.

«Le christianisme (en Bretagne), sans être peut-être radicalement extirpé, n’a laissé hors des refuges bretons de l’ouest, que des survivances exsangues : quelques toponymes et un souvenir confus de l’usage de quelques églises. Un paganisme vigoureux s’est partout implanté avec son clergé. Les villes ont presque toutes été abandonnées, sauf deux ou trois dans le sud-est, Cantorbéry principalement ; dans de nombreux cas leur nom même a péri et l’on ne comprend plus leur ancienne nature : la poésie anglo-saxonne ne voit dans leurs ruines que « l’ouvre ancienne des géants » L’habitat rural a subi une profonde transformation : les villes ont disparu, leur site est abandonné et les nouveaux villages s’installent avec une indifférence totale envers l’habitat antique. Nulle survivance enfin du droit ni des institutions romains. Aucune province d’Occident, même l’Afrique, n’a subi de tels bouleversement[53]

En Gaule, d’une part les pouvoirs germaniques ariens du sud sont en fin de compte supportables – et les orthodoxes aquitains ne cesseront de les supporter qu’à partir de l’avènement de Clovis l’orthodoxe, dont ils appellent la domination – ; d’autre part, c’est d’une petite ethnie païenne, les Francs Saliens, qu’est venue, en 496, la grande fête de l’Orthodoxie, naissance de la France. Entendons par France : tout ensemble réveil de la Gaule orthodoxe des conciles d’Arles de 314 et de Paris de 360, et apparition d’une nouvelle nation gallo-franque au baptistère de Reims.

Germanie, Italie, Espagne, sans parler de l’Afrique : autant de peuples soumis à l’arianisme d’Ulfila, maintenant agressif du fait que la résistance croissante des orthodoxes le pousse à la défensive. Au loin, en Orient, d’incessantes querelles autour d’hérésies qui apparaissent ou se réveillent sans trêve. Cette nation qui vient de naître en 496, de la fusion des races gauloise et germanique et de l’engagement orthodoxe de Clovis son premier roi, est la seule puissance pleinement et paisiblement orthodoxe de l’oïkouménè. J’ai conscience de me répéter, mais tant pis ! Tel est le merveilleux bilan des grandes migrations, dans la lumière d’une éclatante bénédiction de Dieu.

GÉOPOLITIQUE GALLO-FRANQUE

Diversité de visages et d’âmes, selon les pays.

Commençons par celui qui ne fait guère encore parler de lui : l’Armorique, notre future Bretagne continentale. Lieu d’émigration des Bretons insulaires chassés par les envahisseurs païens. Aucun encadrement politique au début du VIe siècle. Il y avait là quelques îlots gallois, très peu ou pas du tout romanisés maintenant, la population est tout entière celtisée.

En 579, les Bretons vont agrandir l’Armorique en envahissant les régions de Rennes et de Nantes. Tant pis si c’est un mauvais jeu de mots : soyons francs, les Bretons armoricains n’aimaient pas les Francs. Dans toute l’histoire de France, l’honnêteté requiert qu’on tienne «notre Bretagne» bien moins pour une province que pour une nation. Il ne faut pas tourner la tête quand s’imposent à nous les évidences de l’histoire.

La Gaule du nord ? Un morcellement de minuscules royaumes. Et pas toujours des royaumes à proprement dire. Germanisation intense. Près du Rhin, les régions ont été dévastées, très dévastées ; on y remarque l’influence linguistique dominante des Alamans ; mais les églises orthodoxes tiennent debout à Strasbourg et quelques autres villes. A l’intérieur, une notable partie de la population gauloise a fui au Ve siècle en direction du midi, mais, si les guerriers romains détiennent tous les postes de commande dans l’ordre laïque, les originalités linguistiques demeurent et les races cohabitent en paix. Pendant le VIe siècle, les Gaulois, devenus gallo-francs en une cinquantaine d’années alors qu’ils ne sont que si superficiellement devenus gallo-romains en un demi-millénaire, adoptent des noms composés de deux racines germaniques accolées. Exemple : Dagobertus – dago (jour) et bert (clair). ils s’habillent, s’organisent, s’amusent, établissent leur échelle de valeurs sur le mode germanique. Une seule société reste encore romaine, garde le droit romain, parle et écrit en latin, et sert d’intermédiaire entre la culture latine (plus vivante peut-être en Gaule qu’à Rome) et le roi franc : c’est l’épiscopat. Il a pris dans la latinité, dans le contenu de la romania, tous ce qui lui semblait bon. Il ne sera germanisé qu’après 550. Et grâce à l’épiscopat gaulois, qui s’est servi de sa culture romaine pour éliminer Rome, qui a été l’artisan de la promotion franque et l’allègre fossoyeur d’un empire indigne de continuer de vivre, bien des traits de la civilisation antique demeurent.

Tout autre, la Gaule du midi. Là encore, remarquable diversité.

Les pays méditerranéens optent pour la latinité. Nous verrons Arles, primatie théorique maintenant, et encore pour un temps, se séparer psychologiquement et spirituellement du contexte gallo-franc. Wisigothique de 477 à 507, la Provence, de 508 à 534, passera aux Ostrogoths. Ce prestige de Théodoric V sera pour beaucoup. Les Francs se désintéressent de cet État romain, qui ne peut exister que pour le rapport fiscal. Et puis en 536, ils mettront la main dessus… pour être plus sûrs d’en recueillir les impôts.

La Septimanie (bas Languedoc) est maintenant un pays plutôt espagnol. Raison pourquoi, dans mon cours de droit canon notamment, j’insiste davantage, au VIe siècle, sur les conciles d’Espagne, surtout ceux de Tolède…

Et l’Aquitaine ? Elle s’étend des Pyrénées à la Saintonge, en passant par Toulouse ; et l’on peut, avec des nuances énormes, y inclure le Poitou, couloir de transition entre les deux Frances du nord et du midi. Contre les Wisigoths, elle se débarrassera du culte arien en 511 ; mais, des Wisigoths, elle gardera un attachement tenace à la culture latine, à la romanité entrée dans la légende.

La plus forte entité méridionale du monde mérovingien, après 507, date de la défaite des Wisigoths, sera sans nul doute la Burgondie. Les Burgondes conservent leur droit particulier, mais deviennent orthodoxes à partir de 500. On trouve chez eux un soin attentif à conserver l’aristocratie romaine. Ce n’est point notre Bourgogne actuelle, mais Jura, Savoie, régions alpines, Lyon et ses alentours.

POURQUOI LE MIDI SE VEUT-IL LATIN ?

Pour répondre à cette question il faut considérer l’Italie et les Ostrogoths.

La chute de l’empire, en 476 n’a pas affecté l’ordre politique italien. Les Germains, fédérés de l’empire défunt, restent sans empire, des fédérés : après avoir renversé Romulus Augustule, Odoacre ne songe pas un seul instant à se faire empereur. Comprenons bien cet aspect de la psychologie des Germains que, pourtant, aucune force ne contraint ni ne freine : de l’empire et de tout ce qui s’y attache, autrement dit l’imagerie impériale, la pompe, la culture… ils se font une idée extraordinaire ! Comme d’un monde absolument supérieur, ontologiquement supérieur à tout ce qu’ils peuvent eux-mêmes construire ou imaginer sur la terre. Une sorte de terreur sacrée. Si bien que, devant l’empire gisant, effondré, pourri et décomposé, et même constatant qu’il n’existe plus d’empereur et que l’empire c’est fini…, ils restent saisis d’admiration superstitieuse et leur âme demeure dans la contemplation du merveilleux empire tel que devant ses lointaines splendeurs, à son ombre, leurs ancêtres l’avaient contemplé.

Ravenne reste la capitale. De quoi, nul ne saurait le préciser. Disons : du souvenir impérial qui ne s’effacera jamais de la mémoire germanique.

En août 489, irruption des Ostrogoths, «les Goths brillants». Brillante ethnie arienne. À leur tête ils ont Théodoric, un amant de la civilisation latine, et son sauveur.

«Théodoric était la tête politique la mieux faite que l’on connaisse parmi les conquérants. D’où l’attitude qu’il adopta en Italie : installer ses troupes en quelques points où elles lui étaient nécessaires pour contrôler le pays, mais les isoler autant que possible de la population italienne. Même dans le domaine linguistique, l’identification des éléments gothiques, sûrement peu nombreux, reste malaisée. L’une des originalités majeure du régime ostrogothique fut l’effort accompli pour doter le peuple conquérant, – encore tout entier de langue germanique – d’une culture et d’une littérature comparables à celles des Romains. La génération de Théodoric fut la seule à recueillir et à faire fructifier l’oeuvre d’Ulfila, mais les orthodoxes ont ensuite à peu près anéanti son héritage. Parallèlement, le respect témoigné par le roi goth envers la civilisation antique fut exceptionnel.»[54]

Ainsi le prestigieux Théodoric devint le chef moral des Germains d’Occident.

Il sauvera tout ce qui peut rester wisigothique (les «goths sages») après Vouillé (502). La Provence se jettera dans ses bras pour ne point se fondre dans le contexte franc.

Mais après sa mort, en 526, ses successeurs, trop superficiellement frottés de latinité, ne pourront prolonger son oeuvre.

Alors, viendront les Lombards…

12 – VIe SIÈCLE

SOUS CLOVIS L’ORTHODOXE

500 On ne se contente pas de discuter théologie. Clovis use d’un argument supplémentaire pour convaincre le roi burgonde Gondebaud : il lui inflige une sévère défaite militaire à Fleury-sur-Ouche. Après quoi, Gondebaud devient son allié. Les relations entre Théodoric et Clovis se refroidissent après cet événement. Mais un fait d’extrême importance en résulte : La conversion des Burgondes à l’Orthodoxie. Gondebaud ayant accepté les conseils de saint Avit de Vienne, immense personnage et diplomate d’incroyable envergure, son fils Sigismond devient orthodoxe, ainsi que plusieurs membres de la famille royale.

Clovis poursuit ses conquêtes jusqu’à Avignon et fait de Paris la capitale du royaume franc orthodoxe.

ITALIE – Théodoric, qui résidait jusqu’alors à Ravenne, s’installe pour la première fois à Rome et donne des fêtes dans le cirque. Il restaure, par un édit, l’ancienne organisation politique et administrative des Romains.

Il est en guerre contre les Lombards, qui viennent de s’installer en Croatie

BRETAGNE – Une colonie irlandais débarque en Calédonie, pays auquel elle donnera, plus tard, le nom d’Ecosse.

AFRIQUE – En suite de la prédication de saint Augustin d’Hippone, l’Église donatiste s’est partout effondrée.

501 Le roi burgonde Gondebaud, qui vient de tuer son frère Chilpéric, père de Clotilde, fait rédiger la loi burgonde, dite loi Gombette. C’est une codification des pratiques juridiques en usage.

ITALIE – Concile de Rome. À la fin de 499, un certain Laurent de Nocera s’est dressé comme évêque de Rome en face de Symmaque. Les deux partis ont porté leur plainte devant Théodoric. A ce concile, on voit le roi arien prier les évêques orthodoxes de finir par s’entendre. Après quoi, les luttes sanglantes reprennent à Rome.

502 Née en 423, âgée de soixante-dix-neuf ans, sainte Geneviève de Paris naît au ciel le 3 janvier. Sous le vocable de Saint-Pierre, on va construire une basilique sur son tombeau.

Saint Césaire, moine de Lérins, est chargé de rétablir la discipline abbatiale dans un monastère d’Arles.

ITALIE – Symmaque tient un Concile de Rome à propos des biens du siège romain. Contre lui, Laurent de Nocera se proclame toujours évêque de Rome.

503 Césaire est ordonné évêque d’Arles. Deux siècles plus tôt honorée par Constantin le Grand dont elle portera le nom, la ville d’Arles atteint en ce moment l’apogée de son importance politique et de son activité commerciale. Primatie traditionnelle de l’Église des Gaules, elle est partagée entre le pouvoir wisigoth d’Alaric et la proche influence de Théodoric, en contact intime avec la renaissance de la civilisation latine. Arles ne vit pas à l’unisson de la France de Clovis.

Quant à la personnalité de Césaire, moine-évêque de trente-trois ans, elle se dessine avec force. N’ayant aucun goût pour les lettres profanes alors qu’il vit en plein contexte du renouveau littéraire latin, Césaire se distingue de la majorité des évêques gaulois, qui sont gens de grande noblesse. Chef-né, soucieux d’éthique et capable de sévérité, il écrit :

«S’il y a quelqu’un à qui puisse déplaire ma conduite, qu’il considère mon propre péril. Si j’use de sévérité, c’est parce que je connais le compte que j’aurai à rendre au tribunal du Juge éternel. Je ne me sens ni assez de mérites pour prendre sur moi les péchés des autres, ni assez d’éloquence pour contredire un si puissant juge de si grands saints qui ont fixé les règles de la discipline chrétienne».

Sujet des puissances gothiques, Césaire ne prend pas officiellement parti pour Clovis. La plus grande partie de ses fidèles diocésains dépendent du souverain wisigoth arien. «Montrez-vous dociles», leur prescrit-il, «obéissez-leur pour tout ce qui est juste». Mais à Narbonne, Alaric fait abattre le campanile de la cathédrale orthodoxe. Une émeute s’ensuit.

ITALIE – Le Concile de Rome consacre le triomphe de Symmaque, approuvé efficacement par Théodoric.

504 Césaire d’Arles fait vendre l’argenterie des églises et les vases sacrés pour subvenir aux misères des victimes de la guerre. «Peut-on faire quelque chose de trop», écrit-il, «pour des âmes rachetées par le sang de Jésus Christ ? Dieu ne m’en voudra pas de donner le métal de ses autels, car il a donné lui-même le prix de son sang. Je voudrais bien savoir ce que diraient ceux qui me blâment s’ils étaient à la place de ceux que je délivre. Oseraient-ils appeler sacrilèges les auteurs de leur rachat ?…»

Contre son gré, malgré l’espoir qu’il place en Clovis, Césaire devient le symbole de la résistance des orthodoxes méditerranéens contre le pouvoir wisigoth.

ITALIE – Concile de Rome, présidé par Symmaque.

505 Pour les intérêts moraux des peuples qui espèrent en lui, et pour leur salut matériel même, Césaire a dû négocier avec le roi burgonde Gondebaud. Les rois Alaric et Théodoric s’alarment de son action. On l’exile à Bordeaux.

AFRIQUE – Naît au ciel Eugène de Carthage, évêque depuis 481, disciple de saint Diadoque de Photicé.

506 – Concile d’Agde. Agde, ville choisie parce qu’à mi-chemin entre les diocèses de Provence et ceux du sud-ouest. Y viennent 34 évêques, dans le but de régler dans le royaume wisigothique le statut disciplinaire et temporel de l’Église orthodoxe. Césaire d’Arles en a préparé les travaux et suggéré les décisions.

Est publié le Bréviaire d’Alaric : code des Wisigoths, correspondant à la Loi Gombette des Burgondes et à la Loi Salique chez les Francs.

507 – Bataille de Vouillé, près de Poitiers. Le roi Alaric II y trouve la mort. Clovis occupe tout l’ancien royaume wisigothique jusqu’aux Pyrénées, à l’exception du bas-Languedoc et de la Provence. Les pays libérés par cette victoire des Francs recouvrent un pouvoir temporel orthodoxe.

Saint Césaire est accusé de trahison pendant le siège d’Arles par les armées franque et burgonde.

Les relations se tendent entre Clovis et Théodoric.

PRESQUE TOUT LE TERRITOIRE DE LA GAULE

EST MAINTENANT UN ESPACE ORTHODOXE

508 Publication de la Loi Salique, code en usage chez les Francs Saliens. Ayant fondé l’abbaye de Micy, près d’Orléans, Clovis produit un diplôme exposant sa foi orthodoxe «en la Trinité indivisible et consubstantielle».

De retour à Arles assiégée par les Francs et les Burgondes, saint Césaire en relève les ruines matérielles et morales. Il vient de mettre au point sa règle monastique, que Venance Fortunat le Poète, plus tard, trouvera «douce comme un vêtement de lin». D’abord faite pour les moniales de Saint-Jean que dirige sa propre soeur Césarie, cette règle s’appliquera aux monastères masculins de la vallée du Rhône, en Ligurie, dans le Jura… et sera un jour adoptée par sainte Radegonde pour son monastère Sainte-Croix de Poitiers.

510 – Naissance au ciel de saint Eugende, quatrième abbé de Condat (Jura). Il a développé la culture des lettres grecques et latines dans son monastère et y a créé une célèbre école pour les jeunes garçons de Séquanie. Y enseigne Viventiole, ami de saint Avit de Vienne.

ITALIE – Théodoric écrit au comte goth Sunhivad : «Nous ne permettrons point que Goths et Romains vivent sous deux lois différentes, alors que nous les unissons dans une même affection». La renaissance intellectuelle de l’Italie trouve ses expressions les plus belles en Cassiodore, l’évêque Ennodius de Pavie, le savant Boèce.

Les Italiens imitent de plus en plus l’art de Byzance.

511 – Premier Concile national d’Orléans. 32 évêques, présidé par Cyprien de Bordeaux, animé par saint Mélaine de Rennes, produit 31 canons. Canon 27 :«Toutes les églises doivent célébrer les Rogations, c’est-à-dire les litanies avant l’Ascension du Christ, de telle sorte que le jeûne de trois jours se termine à l’Ascension du Seigneur. Durant ces trois jours, tous les esclaves et toutes les servantes doivent être dispensés de tout travail, afin que le peuple puisse se réunir pour le service divin. Durant ces trois jours, on ne doit se servir que des mets autorisés durant le carême.»

Le Franc Saffarac est élu évêque de Paris (il sera déposé par la suite).

Le 27 novembre, à Paris, meurt Clovis, âgé de quarante-cinq ans.

Le royaume franc perd son unité. Le voici divisé en quatre :

Thierry le bâtard ; les trois fils de Clotilde : Clotaire, Clodomir et Childebert.

«… Les institutions franques révèlent à tous les degrés des tendances à un renouvellement, en général par voie de synthèse.

Au sommet, le roi jouit d’une autorité d’un type essentiellement germanique, mais elle s’exerce en grande partie par des procédés empruntés à Rome. Le droit au trône est comme un héritage familial du lignage des Mérovingiens ; durant tout le Vie siècle, il se transmet conformément aux règles du droit privé, d’où des partages répétés, le premier en 511, quand le roi défunt laisse plusieurs fils adultes. Ces partages cherchent surtout à créer entre les rois une égalité de ressources ; ils aboutissent à des découpages extravagants, d’ailleurs fréquemment retouchés, qui n’abolissent pas une certaine idée de l’unité des Francs. Comme Clovis a fixé dans le Bassin Parisien le centre de son pouvoir, chacun des royaumes tient à en détenir une parcelles[55] »

13 – VIe SIÈCLE

L’ŒUVRE DE SAINT CÉSAIRE D’ARLES

512 – ORIENT – Anastase ler a entouré Byzance d’un nouveau mur qui la rend inexpugnable.

BRETAGNE – Concile de Caerlon-on-usk. Le lieu de ce concile désigne le seul pays breton insulaire où l’Église reste organisée. Dubricius, évêque de Llandaff, est nommé évêque de Caerlon, l’ancienne «urbus legionum», Théliteus étant nommé à sa place à Llandaff. Peu après, Dubricius déposera l’épiscopat pour aller finir ses jours dans un monastère.

513 – Accusé de trahison pendant le siège d’Arles de 507, Césaire est cité à Ravenne devant Théodoric. Mais les choses tournent bien, et il reçoit confirmation de sa qualité de primat de l’Eglise des Gaules.

514 – Saint Viventiole, brillant professeur de l’école du monastère de Condat, devient évêque métropolitain de Lyon. Il exerce une bienfaisante influence sur les Burgondes qui rentrent dans l’orthodoxie.

515 – Le roi burgonde orthodoxe Sigismond fonde le monastère d’Agaune avec des moines de Condat et de Lérins. Ce monastère, proche de Genève, prend le nom du martyr saint Maurice. On y pratique la «laus perennis». Le Concile d’Agaune promulgue cette observance.

516 – Gondebaud étant mort, les Burgondes ont pour unique souverain son fils, Sigismond l’orthodoxe.

Hormisdas de Rome a exalté l’observance monastique établie pour les femmes par Césaire d’Arles : sous la direction de l’abbesse assistée d’une prévôte, hors de toute ingérence de l’évêque, les moniales se conduisent en charité mutuelle dans la vie pieuse, sans mortifications inutiles «et sans dévotion renfrognée».

BRETAGNE – Couronnement du roi gallois Arthur par le saint archevêque Dubricius. Autre Concile de Caerlon-on-usk : David, oncle du roi Arthur (qui sera plus tard immortalisé sous les traits de Merlin dans le mythe chevaleresque du Graal), est nommé archevêque de Caerlon-onusk. Avec l’assentiment de Hoel Ier, roi de la Bretagne armoricaine, le prêtre Chelian de Llandaff est nommé évêque de Dol. Sont présents à sa chirotonie de très nombreux évêques et les grands des deux royaumes de Galles et d’Armorique. Notons que l’épiscopat armoricain, qui participe aux conciles des Gaules, reste très attaché à l’Eglise celtique de la Bretagne insulaire.

ESPAGNE – Concile de Gérone.

517 Au Concile d’Épaone, la Bourgogne confesse solennellement l’Orthodoxie. Tous les pays gallo-burgondes et gallo-francs sont plongés dans d’effrayants désordres sexuels : polygamie, femmes légitimes et concubines, unions incestueuses de plus en plus fréquentes. Canon 30 : «On ne doit pas pardonner aux unions incestueuses avant la séparation. Sans compter les unions qu’on ne peut nommer, on doit regarder comme incestueuses les unions suivantes : épouser la veuve de son frère, ou la soeur de sa femme décédée, ou sa belle-mère, ou sa cousine germaine ou bien une cousine issue de germain. Ces mariages sont défendus, mais nous ne cassons pas ceux qui ont été contractés. De plus, si quelqu’un se marie avec la veuve de son oncle paternel ou du côté maternel, ou bien avec sa belle-fille, ou quiconque contractera à l’avenir une union illicite, aura la liberté d’en contracter ensuite une meilleure». Saint Césaire d’Arles, qui anime la vie conciliaire depuis le concile d’Agde de 506, se soucie de ce naufrage des mœurs…

Peu après, Concile de Lyon : Canon I : «Nous tous, réunis pour la seconde fois à cause de l’inceste Étienne, avons décidé que le premier jugement porté à l’unanimité contre lui et contre sa compagne illégitime devait garder force de loi. La même peine atteint les autres personnes qui ont participé à cette affaire». La sainte fermeté de l’épiscopat des Gaules s’exprime dans ce merveilleux canon 3 : «Si le roi se sépare volontairement de l’Eglise et de la communion des évêques, nous lui fournirons l’occasion de rentrer dans le sein de l’Église. Tous les évêques se retireront immédiatement dans des monastères jusqu’à ce que le roi, touché par les prières des saints, rétablisse la paix, et aucun évêque ne devra quitter son monastère avant que le roi se soit réconcilié avec tous les évêques, sans exception».Sigismond le Burgonde finit par accepter la sentence de l’Eglise contre son haut fonctionnaire Etienne, l’incestueux. Canon 6 : «Pour nous conformer à la pensée du roi, nous avons toléré que le susdit Etienne restât, ainsi que la femme Palladia, dans l’église, jusqu’à la prière que fait le peuple après la lecture de d’Évangile».

Auprès de Césaire d’Arles, Avit de Vienne. Une quantité impressionnante de saints parmi les évêques des Gaules. Nous voici au siècle le plus riche en sainteté.

518 EMPIRE GREC ET ORIENT – Mort d’Anastase Ier, qui règne depuis 491.

Lui succède (jusqu’en 527) Justin, vieux soldat illettré mais de ferme caractère.

Sous la pression de Justin, faible théologien, tout l’épiscopat oriental se voit contraint d’accepter la «formule d’Hormisdas» qui affirme les privilèges du siège de Rome.

519 Saint Avit de Vienne, l’apôtre des Burgondes, naît au Ciel.

BRETAGNE INSULAIRE – Au fur et à mesure que se reconstitue l’Église, on se soucie de combattre l’hérésie pélagienne. Au Concile de Brévi, on déplore l’impuissance de la prédication orthodoxe face à l’hérésie en progrès ; les hérétiques présents au concile restent sur leurs positions. Sacré à Jérusalem par le patriarche, saint David est reconnu métropolitain d’Irlande.

ITALIE – Hormisdas, évêque de Rome, exige la condamnation d’Acace par l’Eglise de Constantinople. Nous constatons que si le «schisme d’Acace» a enfin cessé, ce fut au prix d’une soumission des Grecs, soumission forcée, due à la romanophilie du nouvel empereur Justin.

520 BRETAGNE INSULAIRE – Concile de Victoria. Contre les pélagiens.

La province ecclésiastique de Reims, sous le pontificat de saint Éleuthère, se préoccupe aussi d’un sursaut du pélagianisme dans les Gaules, et se réjouit de la substance orthodoxe des deux conciles bretons de Brévi et de Victoria. Au Synode de Tournai, saint Éleuthère prononce son discours sur la divine Trinité.

ITALIE — Saint Benoît de Nursie quitte sa solitude de Subiaco et se fixe au Mont Cassin.

521 – AFRIQUE Le Concile de Sardaigne rassemble les évêques africains.

IRLANDE – Le 7 décembre, naît saint Colomba (il vivra jusqu’en 590), qui sera l’apôtre de la Calédonie.

522 – Concile d’Agaune : fou de repenti, après avoir tué son fils Sigéric dans un accès de colère, le roi burgonde Sigismond institue la psalmodie perpétuelle.

BRETAGNE – Ayant combattu les Saxons, le roi Arthur meurt des suites de ses blessures. Naissance, en Cambrie, de celui qui deviendra saint Cadoc.

523 – Soutenu par les fils de Clovis, Théodoric arrache le Dauphiné à la domination burgonde. Fait prisonnier, le roi Sigismond est tué peu après, avec sa femme et ses enfants, sur l’ordre du roi franc Clodomir. Les Burgondes rassemblent leurs dernières forces autour de Godomar, frère du roi vaincu

ITALIE – Jean Ier, évêque de Rome.

529 – Concile d’Arles tenu à l’occasion de la dédicace de la basilique Sainte Marie. Saint Césaire y insiste fortement sur la nécessité de la prédication. Ses homélies ne durent qu’une vingtaine de minutes, et il insiste pour qu’on suive partout son exemple. Flichte écrit : «Dans un langage très simple, appuyé de faits concrets, Césaire rappelle les notions élémentaires et intransgressibles de la loi divine et de la conscience… Il a été l’initiateur de la morale chrétienne dans les masses rurales… Ses homélies ont été le livre de fond dont se sont servis les missionnaires des siècles suivants, saint Éloi et saint Boniface.»

Les Burgondes réagissent à l’assassinat de Sigismond : vaincu, Clodomir est tué à Vézeronce, entre Lyon et Chambéry.

ESPAGNE – Concile de Lérida et Concile de Valencia.

525 – Fondation du monastère arverne, qui devient le centre rayonnant de la foi orthodoxe en Auvergne. Des Wisigoths convertis de l’arianisme y viennent en grand nombre.

ITALIE – Boèce, savant écrivain laïc, est assassiné dans sa prison sur l’ordre d’un ministre de Théodoric.

Ce dernier contraint le saint évêque Jean Ier de Rome à se rendre à Constantinople pour réclamer des ménagements en faveur des Goths ariens.

IRLANDE – Naît au ciel sainte Brigitte (467-524), fille d’un barde et d’une captive.

Du fait des invasions saxonnes, l’Église celtique de Bretagne commence d’être coupée du continent. Les Saxons interceptent les courriers entre elle et Rome.

526 ITALIE – À Ravenne, meurt Théodoric, qui règne depuis 493 et a donné une période de prospérité et de grandeur à l’Italie. Sa fille Amalasonthe prend la régence pendant la minorité de son fils Athalaric. Un parti germanique se dresse contre elle qui est favorable à la civilisation romaine. Ce parti antilatin se forme autour de Théodat, neveu de Théodoric.

Martyre de saint Jean Ier de Rome, mort dans le cachot où Théodoric l’a fait enfermer. Félix IV (jusqu’en 530) lui succède.

IRLANDE – Saint David préside le Concile de Victoria.

527 – Saint Césaire d’Arles préside le Concile de Carpentras. Abbé d’un monastère, saint Nizier devient évêque de Trèves à la demande du roi Thierry qui règne à Metz.

EMPIRE GREC – Mort de Justin et début du règne de Justinien, qui durera jusqu’en 565. Un édit de tolérance sauvegarde l’accès des Goths fédérés aux fonctions politiques.

528 – En septembre, le Concile de Valence réunit «les évêques du Christ situés au-delà de l’Isère», c’est-à-dire ressortissants du siège de Vienne. Césaire d’Arles, souffrant, s’y fait représenter par son disciple Cyprien, évêque de Toulon.

ITALIE – Jusqu’alors ermite, saint Benoît de Nursie opte pour la forme cénobitique du monachisme et fonde le monastère du Mont-Cassin.

529 – Conduits par Godomar, les Burgondes imposent la paix aux Ostrogoths. Commence une guerre d’extermination des rois Thierry Ier et Clotaire Ier, en Thuringe. L’enfant Radegonde, fille du roi de Thuringe, tombe en proie au roi Clotaire Ier, le plus débauché des fils de Clovis, qui lui fait donner une éducation la destinant à devenir un jour son épouse.

Le Concile de Vaison ordonne la création des écoles presbytérales ; insistant encore sur la prédication des prêtres, Césaire d’Arles fait aussi introduire dans les diptyques de l’office gallican le nom de l’évêque de Rome. Canon 5 : «À Rome, en Orient, dans toute l’Afrique et en Italie, on ajoute, après le « Gloire au Père… » ces mots : « comme il était au commencement », à cause des hérétiques ariens qui nient l’éternité du Fils de Dieu. On fera de même dans toutes nos Églises».

Toujours animé par Césaire d’Arles, le Concile d’Orange, assemblée dogmatique, publie les vingt-cinq Capitula de saint Césaire contre le pélagianisme et l’augustinisme, une profession de foi… Libère, préfet du prétoire et sept autres «hommes illustres» signent sous les signatures des évêques.

EMPIRE GREC – À Constantinople, commencent les travaux pour la construction de Sainte-Sophie.

Justinien ordonne la fermeture de l’académie d’Athènes, moribonde depuis un certain temps.

530 Childebert, roi de Paris, bat les Wisigoths près de Narbonne et fait tuer Amalaric ; la race d’Alaric vient ainsi de s’éteindre.

EMPIRE GREC – À Byzance, la littérature est devenue exclusivement religieuse et, selon Halphen, «la théologie a détrôné la philosophie». Une œuvre juridique cependant : publication du Code Justinien.

ITALIE – Boniface II, évêque de Rome (jusqu’en 532).

Près de Trévise, naît Venance Fortunat, le poète qui sera évêque de Poitiers.

Motif de l’expédition de Childebert en Espagne (cf. ci-dessus) : Amalaric avait insulté son épouse, l’orthodoxe Clotilde, soeur de Childéric. Cet événement fait apparaître la tenace volonté des fils de Clovis : Faire disparaître les races encore ariennes, y compris hors du territoire des Gaules.

Concile de Valence.

531 – Vainqueurs sur les bords de l’Unstrut avec l’aide des Saxons, les Francs reconquièrent la Thuringe. Thierry, roi d’Austrasie, règne maintenant sur ce pays germanique.

ITALIE – Un parti opposé à Boniface II a fait élire un autre évêque de Rome, Dioscore. Ce schisme provoque un Concile de Rome.

EMPIRE GREC – Justinien fait condamner «les trois chapitres» par le Synode de Constantinople.

532 – Dernière attaque du royaume burgonde, et sa conquête par les Francs. L’esclave Porcianus, devenu saint Pourçain, moine puis abbé, réprimande le roi Thierry, fils de

Clovis, qui a dévasté la région d’Auvergne.

Profitant de la guerre des Ostrogoths contre Byzance, les Francs annexent la Provence. Ainsi saint Césaire, âgé de soixante-deux ans, cesse de vivre en pays latin.

EMPIRE GREC – Sédition Nika (id est : Victoire) : ce sont des paysans chassés de leurs terres par l’invasion perse, qui refluent vers Constantinople dont ils accroissent la plèbe malheureuse. Cette révolte provoque l’incendie de Sainte-Sophie en construction. L’énergie de Théodora, épouse de Justinien, y met fin.

ORIENT – Naît au ciel saint Sabas, âgé de cent ans, qui a fondé la grande laure de Cédron, près de Jérusalem.

ITALIE – A partir de Jean II qui devient évêque de Rome, s’institue cette coutume : le titulaire du siège romain changera de nom, adoptant toujours celui d’un apôtre ou d’un de ses devanciers les plus glorieux.

533 – Saint Thierry, disciple de saint Rémi de Reims et abbé du monastère de cette ville, naît au ciel.

Concile de Marseille et Concile dOrléans. Canon 18 de ce dernier (inspiré, comme presque tous les autres, par saint Césaire) : «Désormais, à cause de la faiblesse du sexe, on ne confiera plus le diaconat à aucune femme.»

EMPIRE GREC et AFRIQUE – Les armées de Bélisaire, général byzantin, reconquièrent l’Afrique à l’empire. La régente Amalasonthe (ostrogoths d’Italie) soutient Justinien contre les Vandales.

Naissance au ciel de saint Fulgence, abbé d’un monastère africain, puis évêque, qui avait été exilé pour sa foi par les Vandales ariens.

534 – Victorieux à Autun, les Francs annexent la totalité du royaume burgonde. Disparition du royaume burgonde : il est effacé de l’histoire.

EMPIRE GREC – Le Code Justinien est achevé. L’empereur fait publier le Digeste et les Institutes.

ITALIE – Amalasonthe est renversée et emprisonnée, son frère Athalaric étant mort en octobre à l’âge de dix-huit ans. En novembre, règne son cousin germain Théodabad. Elle appelle Justinien à son secours.

Saint Benoît rédige sa Règle des moines. Son disciple saint Placide fonde à Messine, en Sicile, le premier monastère bénédictin créé hors d’Italie.

AFRIQUE – Le royaume vandale ayant disparu sous les coups de Bélisaire, Justinien rétablit l’organisation administrative de l’empire. En novembre, lui parvient l’appel d’Amalasonthe.

535 Clotaire Ier fait tuer le jeune frère de sa captive sainte Radegonde. Elle s’enfuit et se fait admettre dans l’ordre monastique à Noyon, par le saint évêque Médard.

Concile de Clermont.

EMPIRE GREC et ITALIE — Prenant le parti d’Amalasonthe, Justinien lance un ultimatum à Théodabad. Bélisaire prend la Sicile et avance vers Naples. Le 30 avril, c’est en tuant Amalasonthe que Théodabad répond à l’ultimatum byzantin.

ITALIE – Agapit Ier, évêque de Rome.

En Sicile, naît au ciel saint Placide, égorgé par des pirates maures ainsi que deux de ses frères et sa sœur Flavia.

536 Profitant de l’effondrement de la monarchie ostrogothique, les Francs consolident leur installation en Provence, qui passe au pouvoir de Théodebert, petit-fils de Clovis. De fait, Justinien abandonne aux Francs cette Provence qu’avaient possédée les Ostrogoths comme annexe de l’Italie.

ITALIE – En effet, suite à l’avance de Bélisaire, Théodabad est abandonné par les siens. Vitigès prend sa place. Le 10 décembre, Bélisaire entre à Rome. Mais la résistance des Ostrogoths continue.

Silvère, évêque de Rome.

IRLANDE – Cinquante moines missionnaires gaulois débarquent à Cork et y fondent une grande abbaye.

537 – EMPIRE GREC – On célèbre la dédicace de Sainte-Sophie, et Justinien s’écrie : «Je t’ai vaincu, Salomon!». Mais le prestigieux empereur est de plus en plus favorable aux monophysites. N’oublions pas l’élément proprement politique de son comportement : sous le nom de monophysites (qui n’est pas toujours exact car, pour beaucoup de non-grecs, tout repose sur un malentendu dans la traduction des formules d’une langue à l’autre), des peuples qui ont été réunis à l’empire prennent une attitude anti-hellénique et nettement séparatiste ; Justinien sait que ce sont souvent des orthodoxes trompés par les carences de traduction et qui prétextent d’un désaccord théologique pour rompre avec sa souveraineté.

S’étant refusé à reconnaître un homme favorable à la politique conciliante de Justinien pour patriarche de Constantinople, Silvère de Rome est déporté dans le Pont.

538 – Concile d’Orléans. S’y affirme encore un aspect négatif de l’influence de saint Césaire d’Arles : obliger tout le clergé majeur à renoncer à la vie conjugale. Le canon 2 : un sous-diacre marié doit cesser de vivre en état de mariage avec sa femme ; le canon 4 : «défense aux clercs de communiquer avec des femmes qui ne sont pas leurs parentes…». A la décharge de Césaire et de Lérins, rappelons que les mœurs sont effrayantes : un garçon de quinze ans a déjà plusieurs enfants, de plusieurs concubines ; on enlève des moniales et on les épouse de force ; la polygamie, assortie d’un assez grand nombre de concubines, persiste… Ce concile révèle aussi l’importance et l’influence de la communauté juive en Gaule.

Canon 13 : «Si des chrétiens, esclaves chez des juifs, reçoivent l’ordre de faire quelque chose contre la religion chrétienne, ou, bien si leurs maîtres veulent les battre pour un délit dont l’Église leur a fait grâce, et que ces chrétiens, se réfugient dans l’église, l’évêque ne doit pas les livrer, à moins qu’on ait d’abord déposé la valeur de ces esclaves comme caution qu’il ne leur sera fait aucun mal. Les chrétiens ne doivent pas se marier avec des juifs, ni même manger avec eux.»

Canon 28 : «C’est une superstition judaïque que de ne pas vouloir voyager à cheval ou d pied le dimanche, de ne vouloir rien faire ce jour-là pour orner la maison ou ceux qui l’habitent. Mais les travaux des champs sont défendus le dimanche, afin que l’on puisse venir à l’église et vaquer à la prière. Quiconque agit contre cette ordonnance doit être puni, non pas par les laïques, mais par l’évêque.»

A Clermont d’Auvergne naît Grégoire qui sera évêque de Tours et historien.

ITALIE – Vigile, évêque de Rome (jusqu’en 555). Il condamne les «trois chapitres», puis revient sur sa décision.

Cassiodore abandonne la cour de Ravenne et le haut rang qu’il y tenait ; il se fait moine au sud de la péninsule.

539 – Vainqueur des Ostrogoths et de Byzantins, le roi franc Théodebert ne parvient cependant pas à conquérir la haute-Italie.

Naît au ciel, âgé de cent ans, saint Jean le Bourguignon, qui inaugura la vie monastique en pays burgonde après avoir reçu l’enseignement de Lérins.

ITALIE ET EMPIRE GREC – Étant venu complètement à bout de la résistance du roi goth Vitigès, Bélisaire s’installe à Rome. Voici l’empire byzantin restauré en Afrique et en Italie. Une disette cruelle s’abat sur la Campanie ; saint Benoît fait distribuer aux pauvres les provisions de l’abbaye de Mont-Cassin.

On constate le développement du monachisme en Orient et en Occident. La Gaule évoque saint Martin, et saint Jean Cassien a fait école. On constate quele monachisme occidental, achevant de se différencier de l’érémitisme d’Égypte et de Syrie, revêt sa physionomie propre. Il est souvent missionnaire.

540 IRLANDE – Naissance de celui qui deviendra saint Colomban.

ESPAGNE – Concile de Barcelone.

ITALIE – Devenu moine, le savant Cassiodore fonde en Calabre le monastère du Vivarium, haut lieu de culture.

Totila ranime la révolte des Goths contre l’empire grec.

EMPIRE GREC – Attaquant Justinien dont les forces sont occupées en Italie, les armées perses de Chosrès Ier le Grand s’emparent d’Antioche. Aussitôt donc après la restauration de l’ancien ordre impérial, l’empire de Justinien se voit menacé du côté des Perses, dans les Balkans et en Italie avec Totila… Et de même en :

AFRIQUE – … où les Berbères se soulèvent.

541 – Conduits par le diacre saint Maur, les premiers bénédictins arrivent en Gaule : d’abord à Agaune, puis à Condat, dans le Jura ; enfin un groupe, toujours sous la conduite du disciple de saint Benoît, ira sur les bords de la Loire fonder le monastère de Glanfeuil, aujourd’hui appelé Saint-Benoît-sur-Loire. Cependant, la règle observée au Mont-Cassin ne s’imposera qu’un siècle plus tard en France, où le monachisme repose sur les enseignements de Cassien de Marseille, Césaire d’Arles, et dans quelques années, à la fin du siècle, de l’Irlandais Colomban de Luxeuil.

Concile d’Orléans : un grand nombre d’oratoires privés, desservis par un prêtre, deviennent églises paroissiales. Canon 17 : «Défense aux prêtres et aux diacres mariés d’avoir le lit et la chambre communs avec leurs femmes». Mais, nonobstant l’insistance passionnée de saint Césaire, le clergé majeur continue de vivre dans la condition conjugale, comme on l’a toujours fait aussi bien en Gaule que partout ailleurs. Canon 31 : «Défense aux juifs de circoncire les étrangers et les chrétiens, ou d’épouser des esclaves chrétiennes. Un juif qui pervertira un esclave chrétien perdra tous ses esclaves. Et si quelque esclave chrétien a été mis en liberté à condition de se faire juif, la condition est nulle et il restera esclave». Le monde juif représente en effet une puissance considérable, sûre d’elle-même et influente, adonnée à un prosélytisme en milieu chrétien qui inquiète de plus en plus l’épiscopat.

ITALIE – Hildebad, chef des Ostrogoths dressés contre la restauration impériale, étant assassiné, son neveu Totila prend le commandement général de la révolte.

ORIENT – Jacques Baradaï, ardent monophysite, est sacré évêque d’Édesse par le patriarche d’Antioche. Il développe avec rapidité son organisation missionnaire et fonde l’Église jacobite d’Antioche[56] .

542 – Le 27 août, naît au ciel saint Césaire d’Arles, âgé de soixante-douze ans, épuisé par une longue vie de luttes sans trêve.

ITALIE – Règne Totila (jusqu’en 552), sauf à Ravenne. Essayant de restaurer la monarchie des Ostrogoths abattue par les Byzantins, il bat Bélisaire à Florence.

Pour éprouver la sainteté déjà légendaire de l’abbé saint Benoît, Totila se présente à lui en simple soldat, un de ses capitaines ayant revêtu ses habits royaux. L’abbé l’ayant reconnu, il se jette à ses pieds. Saint Benoît lui prédit qu’il mourra dans dix ans.

LA SOCIÉTÉ GALLO-FRANQUE ET LES LOIS

Au début du siècle, les populations germaniques étaient régies par trois codes : loi burgonde, loi wisigothique, loi salique.

Maintenant, la loi salique, code des Francs Saliens, s’impose à tous les pays qui forment la France.

Depuis 507 les Wisigoths, toujours ariens, ne règnent plus qu’en Espagne. De 500 à 520 les Burgondes se sont convertis à l’orthodoxie, mais en 534, leur royaume a été effacé de l’histoire.

La loi salique tient la famille pour un être collectif dont les intérêts font bloc. Si quelqu’un veut sortir de cette responsabilité collective, il doit se conformer à la procédure dite du «désaveu» : comparaissant devant le tribunal, il brise sur sa tête trois baguettes d’aulne, en jette les morceaux aux quatre coins de la salle d’audience, et prononce une déclaration solennelle d’abandon d’héritage.

La femme est exclue de la succession aux biens fonciers. «Aucune terre», est-il écrit dans le code, «ne pourra être dévolue par héritage à une femme. Toute la terre appartient au sexe viril.»

Il s’agit de sauver le patrimoine, qu’on ne saurait diviser en plusieurs lots. En se mariant, les filles n’emporteront ainsi aucun lot.

L’émigrant est comme un homme maudit. On l’appelle, entre autres qualificatifs méprisants, «oeuf de pou». S’il se présente dans un village, les familles, aussitôt, forment bloc et étudient ensemble son cas sans aucun préjugé bienveillant. De deux choses l’une : ou bien, par exception rarissime, le groupe tout entier l’admettra ; ou bien, hypothèse plus sûre, il ira se faire pendre ailleurs – le plus souvent au sens propre – ou recevoir un mauvais coup de hache.

Remarque importante. À la différence des Wisigoths et des Burgondes, qui cherchaient à se latiniser, les Francs Saliens se défendent toujours contre la contagion des idées et des institutions romaines. L’Église gallo-franque les suit, dès cette époque, dans cette voie.

Une phase s’achève donc avec saint Césaire d’Arles. Il représentait une pensée orthodoxe à mi-chemin entre la sensibilité latine et la fusion gallo-franque.

Après Césaire d’Arles, plus rien de latin ne demeure. Nous le constaterons dans la chronologie de 543 à 600.

14 – VIe SIÈCLE

RÉFLEXIONS SUR LA VIE RELIGIEUSE DE L’OCCIDENT

À tout étudiant catholique romain, une évidence s’impose : les Églises d’Occident, pas plus que l’Église grecque de Constantinople et celles d’Orient et d’Afrique, ne relèvent, d’une manière quelconque, de l’autorité du siège romain. Il n’est nulle part aucunement question d’une «primauté de Pierre» sur les autres apôtres, ni de l’évêque de Rome comme «successeur de Pierre», ni même de «pape de Rome». Chose remarquable, à cette époque, on donne le nom de «pape» à n’importe quel évêque, et tout siège est qualifié d’«apostolique», même si aucun apôtre n’y a jamais mis le pied.

Il arrive, nous l’avons noté, que l’évêque de Rome revendique une audience plus large, une autorité plus accentuée, qu’en général ses collègues d’Orient, d’Afrique et d’Occident, notamment ceux des Gaules, lui refusent le plus naturellement du monde. Ici, comprenons bien. Le «papisme» n’existe pas encore ; il ne prendra naissance que du IXe siècle, par des faux notoires, au XIe, par la réforme de Grégoire VII. Mais, peu à peu, le pontife romain (tout évêque est aussi appelé pontife) constate que l’empire d’Occident n’en a plus pour longtemps, et, plus ou moins consciemment, il aspire à prendre la place du pouvoir impérial condamné à mort. Celui-ci mort, après 476, s’accentue cette tendance – contre laquelle un très grand saint évêque de Rome réagira avec force : saint Grégoire.

Pourquoi saint Léon Ier le Grand (440-46I) protesta-t-il si véhémentement contre le canon 28 de Chalcédoine, qui réaffirmait un principe qu’aucune Eglise ne pouvait mettre en doute : le rang d’honneur des sièges patriarcaux s’attache à l’importance politique de la ville du siège en cause ? Nous l’avons vu, l’empereur d’Occident avait chargé cet évêque de très hautes taches administratives habituellement dévolues aux fonctionnaires. Un diocèse en ce temps-là, était l’équivalent d’une préfecture civile. Cela ne nous a point échappé, avec l’exemple de saint Sidoine Apollinaire. Et donc saint Léon, sans tomber dans une erreur ecclésiologique, répondait à ce que l’empereur attendait de lui en essayant de prendre en main la direction des affaires ecclésiastiques, si étroitement mêlées aux affaires civiles tant en Italie qu’en Afrique, en Gaule et en Espagne.

Cette tendance des évêques romains, pontife de la première ville impériale qui jalousait le prestige croissant de Constantinople, ce sont les grandes migrations qui la remettent en question, dans un premier temps.

Le VIe siècle a «digéré» les grandes migrations. Mais il en résulte, surtout après la mort de Clovis (511), un extrême morcellement politique. Il devient plus évident que jamais que l’Église locale, autour de son évêque, assume partout l’unité – et non point une centralisation inconcevable, autour de Rome ou de tout autre siège. Un patriarcat d’Occident est chose impossible au VIe siècle ; on n’y pense même pas !… «Adeptes du christianisme selon Arius ou ralliés à la foi « catholique », les rois barbares ne pouvaient en aucun cas admettre que leur clergé leur échappât, et, pas plus que les empereurs, n’auraient compris qu’on voulût limiter leur autorité en élevant à l’intérieur de leurs États une barrière entre le temporel et le spirituel. Aussi avait-on vu se constituer au Vie siècle en Gaule, en Espagne, en Afrique, des Eglises nationales formant bloc derrière les souverains, tandis qu’achevait de s’organiser en Irlande une Eglise d’une forte originalité et entièrement indépendante, elle aussi, du pontife romain[57] ».

Nous avons vu l’humilité forcée de quelques évêques de Rome. S’étant refusé à reconnaître un monophysite pour patriarche de Constantinople, Sivère (536-537) est déporté dans le Pont. Son successeur Vigile (537-555) est arrêté, conduit sous escorte devant Justinien, et mis en demeure d’accepter la doctrine officielle (conciliation de l’empire grec avec les peuples orientaux monophysites ou soupçonnés de cette hérésie) ou de se démettre. Comment expliquer cela ? L’empereur d’Orient, comme l’avaient fait les empereurs d’Occident jusqu’à 476, considérait l’évêque de Rome comme un fonctionnaire, important certes, mais soumis à l’autorité impériale.

Quant au progrès considérable du christianisme en Occident, voyons-y essentiellement l’oeuvre des moines, en particulier ceux des deux grandes écoles de Lérins et de Marseille. Chez nous, qui parle de tradition monastique dit : saint Martin de Tours, saint Jean Cassien de Marseille, saint Honorat et saint Césaire d’Arles. Le «fait bénédictin» se localise encore en Italie ; chez nous, la fondation de Glanfeuil ne représente qu’une exception : l’influence dominante, dans le milieu monastique occidental de la seconde moitié du VIe siècle, ne sera pas latine, mais celtique.

Il faut en effet faire une place à part… :

«aux Irlandais, alors appelés « Scots », dont la vie religieuse, depuis leur conversion par le légendaire saint Patrice (ou Patrick), vers le début du Ve siècle, semblait tout entière commandée par la vie même de leurs couvents, seuls chargés dans l’île du service divin et du ministère paroissial. Aussi, en aucune contrée, même en Orient, le monachisme ne connut-il pareille extension. Des couvents comme ceux de Clonard (près de Dublin) ou de Bangor (près de Belfast) comptaient jusqu’à 2000 à 3000 moines, et partout les hôtes de ces monastères, célèbres ou obscurs, où le goût de la culture littéraire était souvent aussi intense que la foi, apparaissaient animés d’un esprit de prosélytisme ardent et d’un besoin d’apostolat dont leur instruction même leur fournissait les moyens. On les vit essaimer sur les côtes occidentales du pays auquel ils allaient laisser leur nom, la Calédonie, qui devint l’«Ecosse» ou Scotland (pays des Scots),et où ils fondèrent le grand monastère d’Ion ; on les vit aussi se répandre et fonder des succursales dans le reste de la Grande-Bretagne et jusque dans les Orcades, les îles Shetland, bientôt même jusqu’en Islande et finalement en Gaule, où leur missionnaire, Colomban, partit vers 590 réveiller la foi somnolente des Francs et acclimater, parmi les solitudes boisées des Vosges, l’ascétisme de la verte Erin57».

La vie religieuse, donc, d’une part favorise l’élément germanique de préférence à l’élément latin

(c’est très net à la mort de saint Césaire d’Arles), d’autre part favorisera, nonobstant quelques résistances, l’élément celtique avec le monastère de Luxeuil, qui prendra la succession de l’abbaye de Lérins désormais perdue dans un pays qui s’est trop longtemps voulu latin quand la Gaule, pour devenir la France, tournait les yeux vers d’autres talents ethniques.

Mais cette vie religieuse, est-elle unanime ? Non certes. Il existe encore bien des contrées païennes, un peu partout. Témoin ce canon 20 du concile d’Orléans, de 533 : «Les catholiques qui reviennent aux idoles, ou qui mangent des mets offerts aux idoles, doivent être exclus de tout rapport avec l’Église…». Il en ira ainsi jusqu’à la fin du premier millénaire. Les chrétiens forment encore une minorité, un peu plus du tiers de la population seulement.

15 – VIe SIÈCLE

LA DEUXIÈME MOITIÉ

543 ITALIE – Naît au ciel Benoît de Nursie.

544 – Sainte Radegonde s’établit en Poitou, dans le domaine de Saix que son royal mari lui a concédé, et, après avoir reçu les conseils spirituels de saint Jean, l’ermite de Chinon, elle décide d’y vivre en recluse.

BRETAGNE INSULAIRE – Saint David fait restaurer l’abbaye de Gladstonbury afin qu’elle serve de sépulture à son cousin le roi Arthur, mort en 522.

ITALIE – Guerre du roi goth Totila contre les années byzantines de Bélisaire (jusqu’en 549).

AFRIQUE – Révoltés contre la puissance byzantine (jusqu’en 548), les Berbères pillent Carthage.

545 IRLANDE ET BRETAGNE INSULAIRE – Saint Columba (à ne pas confondre avec Colomban qui n’a encore que cinq ans) entreprend de nombreuses fondations monastiques : Durow, Dervy…

546 ITALIE — Contre Bélisaire, Totila reprend Rome.

547 – Saint Léobin devient évêque de Chartres (jusqu’en 558).

IRLANDE – Les reliques du roi Arthur sont ensevelies dans l’abbaye de Gladstonbury restaurée par saint David.

548 IRLANDE – Naît au ciel le saint abbé Daniel de Bangor.

EMPIRE GREC – Mort de l’impératrice Théodora.

549 IRLANDE – Naît au ciel le saint abbé Finnian de Clonard, qui fut l’éducateur de Columba.

En Gaule, Concile d’Orléans.

550 EMPIRE GREC – Attaqués par les Avars, les Lombards, jusqu’alors installés dans le haut-Danube, cherchent une sortie vers le sud.

QUI SONT LES LOMBARDS ?

Lombard veut dire «lang ban» (longue barbe). Autre dénomination : les Winniles.

«… La tradition nous apprend que les vandales s’adressèrent au dieu Godan, c’est-à-dire à Wotan, le Jupiter de la mythologie nordique, pour obtenir la victoire. Le dieu leur répondit qu’il l’accorderait à ceux qu’il apercevrait les premiers à l’aube le jour du combat. Gambara, la mère des chefs winniles, s’adressa plus astucieusement à Fréja, la femme de Godan, car, elle con-naissait bien l’influence de la déesse sur son mari. Fréja conseilla aux femmes winniles de défaire leurs cheveux, de les nouer autour de leur visage à la manière d’une barbe et de s’installer en face de «cette fenêtre du ciel d’où Godan avait l’habitude de regarder vers l’Orient».

«Ainsi fut fait. Lorsque, au lever du soleil, le dieu ouvrit la fenêtre toute grande, il s’exclama : « qui sont ces longues barbes ? » Et Fréja lui répondit que c’étaient justement ceux à qui il avait promis de donner la victoire. Le combat tourna à l’avantage des Winnilles, lesquels, en souvenir de cet événement, changèrent leur nom en « Langobardi[58] »

551 ESPAGNE – Appelés en arbitres dans le conflit entre le roi wisigoth et ses nobles, les Byzantins conquièrent le sud de la péninsule.

552 – Concile de Paris et Concile d’Arles.

EMPIRE GREC – Ayant fait voler en Chine des cocons de vers à soie, Justinien fait partout planter des mûriers, introduisant ainsi l’industrie de la soie en Europe.

ITALIE – Prise de Naples par Narsès, successeur de Bélisaire tombé en disgrâce.

Le roi goth Totila périt après dix ans de règne, selon que saint Benoît le lui avait prédit.

553 ITALIE – Victoire des Byzantins sur les Ostrogoths au Vésuve… EMPIRE GREC – …Mais de nouvelles émeutes éclatent à Byzance.Concile de Constantinople, cinquième œcuménique.

554 – Concile d’Arles, le 29 juin. On y insiste encore sur la discipline monastique. Canon 2 : «Les monastères seront soumis à la correction de l’évêque diocésain» ;canon 3 : «Il est défendu aux abbés de faire de longs voyages et de s’absenter longtemps de leurs monastères, sous peine d’être punis par l’évêque, selon les canons.»

BRETAGNE INSULAIRE – Naît au ciel saint David. On l’enterre au monastère de Menevia, à l’extrémité méridionale du pays de Galles.

ITALIE – L’empereur Justinien accorde à l’évêque de Rome la «pragmatique sanction», qui lui confère des pouvoirs temporels sur les gouverneurs de province.

ESPAGNE – Les armées byzantines de Justinien s’installent au sud-est de la péninsule. Leur présence ranime la résistance des orthodoxes depuis longtemps soumis au pouvoir wisigothique arien.

555 ITALIE – Pélage Ier, évêque de Rome.

Soumise par Narsès qui a écrasé la résistance ostrogothique, l’Italie est incorporée à l’empire d’Orient.

ÉTAT DES ROYAUMES FRANCS

À la mort de Clovis, en 511, nous avons vu ses quatre fils partager le territoire gallo-franc en quatre royaumes. Ayant Reims pour capitale, Thierry Ier (511-534) ; puis ses fils Théodebert (534-548) et Théodebald (548-555). Ayant Orléans pour capitale, Clodomir (511-524). Ayant Paris pour capitale, Childebert (511-558), l’ami du saint évêque liturge Germain de Paris. Ayant Soissons pour capitale, Clotaire Ier (? 561), l’époux de sainte Radegonde qui cependant resta vierge et fonda le monastère Sainte-Croix de Poitiers.

A la période où nous voici, s’est produit un considérable réveil des échanges.

«Au VIe siècle, en effet, la Gaule importait des régions méditerraéennes non seulement des produits de luxe de faible volume, tels que les tissus byzantins, les grenats originaires des Indes, les épices, mais également des produits de consommation courante, parmi lesquels il convient de citer l’huile utilisée pour la nourriture et surtout l’éclairage, le papyrus égyptien qui constituait le support normal des écrits du VIe siècle, le natron, également égyptien, employé pour l’industrie du verre dans les régions rhénanes.

«Les hommes participaient aussi à ces échanges : les pèlerinages en Terre sainte n’étaient pas rares ; la Gaule exportait des esclaves vers les régions méditerranéennes ; surtout des marchands parcouraient la Méditerranée dans les deux sens : si les marchands gaulois se rendant en Orient semblent avoir été peu nombreux, au VIe siècle des colonies de marchands orientaux, connus sous le nom de «syriens», étaient installés en Gaule, principalement dans les régions en relation avec la Méditerranée…

«… Si les échanges qui, à travers l’Atlantique et la Manche, reliaient les îles britanniques à la Gaule et, par conséquent, au monde méditerranéen avaient connu un ralentissement entre le milieu du Ve siècle et le milieu du siècle suivant (piraterie saxonne, conquête de la Gaule par les Francs), cette dernière date marque le début d’un renouveau qui atteignit son apogée au Vile siècle : plusieurs textes font alors état de relations commerciales entre les côtes atlantiques de Gaule et d’Espagne d’une part, l’Irlande et l’Angleterre d’autre part. L’existence de ces relations n’est sans doute pas étrangère à l’expansion contemporaine des moines irlandais dans la chrétienté occidentale…»[59] .

LA SOCIÉTÉ GALLO-FRANQUE

LES ESCLAVES – Il est souvent question des esclaves dans les conciles gaulois. Ils sont certainement nombreux, servant aux champs, aux travaux domestiques et à l’artisanat. D’où viennent-ils ? Beaucoup sont nés dans la servitude ; d’autres y sont tombés par suite de sanctions pénales ; mais certains, aussi, deviennent esclaves par consentement volontaire. N’oublions certes pas, dans le recrutement des masses serviles, la guerre et la traite ; tout prisonnier de guerre devient esclave, depuis la plus haute antiquité.

La condition servile reste héréditaire. Mais on remarque cette tendance de la coutume germanique : accorder une certaine personnalité juridique à ceux que le monde latin traitait comme un pur et simple bétail. L’Église améliore encore cette situation pénible en limitant l’arbitraire du maître et en favorisant les affranchissements.

Canon 3 du concile d’Orléans de 511 et canon 39 du concile d’Epaone de 517 : «Lorsqu’un esclave qui a commis une faute grave s’est réfugié dans une église, il ne doit être garanti que contre les peines corporelles. On ne doit pas exiger de son maître le serment de ne pas lui couper les cheveux, ou de ne pas le condamner à tel ou tel travail». Comme on le voit dans cette règle, l’Église, d’une part tient l’esclavage pour une institution dont on ne discute pas le principe, d’autre part tient un compte scrupuleux des droits du maître sur son esclave. Canon 24 du concile d’Orléans de 541 : «On ne souffrira pas que les esclaves se réfugient dans les églises pour se marier ensemble. Ils seront séparés et rendus à leurs parents et à leurs maîtres». Mais (canons 30 et 31 du même concile), les esclaves chrétiens ne peuvent être convertis de force au judaïsme par leurs maîtres juifs.

LA POPULATION DE CONDITION LIBRE – Elle ne forme point une classe uniforme du point de vue juridique. Les Germains ont laissé leur pleine liberté aux petits propriétaires paysans aussi bien qu’aux grands propriétaires fonciers.

Mais, entre l’esclavage et la condition libre, existent des semi-libres, dont le plus grand nombre se compose des colons. Ceux-ci, juridiquement libres, sont cependant attachés héréditairement à une tenure. Ce sont les ancêtres de ceux que le moyen âge appellera les serfs.

L’ARISTOCRATIE – Quand ils s’installent sur le territoire gaulois, les Germains trouvent devant eux une aristocratie autochtone qui a pris le type romain : la classe sénatoriale.

Les privilèges s’y transmettent héréditairement. De grands évêques, tels saint Avit, saint Sidoine Apollinaire…, descendent de ce milieu cultivé, très latinisé, le seul qu’on ait pu justement qualifier de gallo-romain.

Cette classe maintient son prestige après la chute de l’empire. Les rois mérovingiens y recrutent les hauts dignitaires de l’administration et de l’Église. C’est-à-dire les comtes et les évêques.

Au moment où nous voici, la classe sénatoriale s’est fondue dans une nouvelle aristocratie : celle des fonctions.

«… La royauté fut l’institution fondamentale du nouveau régime mis en place au VIe siècle. La conquête de la Gaule avait transformé l’institution royale germanique. Le roi mérovingien n’était plus essentiellement un chef de guerre dont le pouvoir ne s’étendait qu’aux membres de sa tribu d’origine et était limité en temps de paix par l’assemblée des hommes libres. Désormais, tous les habitants de la Gaule, quelle que fût leur origine, étaient ses sujets au même titre que les Francs saliens et les assemblées des hommes libres disparurent après le règne de Clovis en tant qu’organe de gouvernement. Cette nouvelle royauté n’avait cependant rien de commun avec les magistratures de type romain.

«Le roi exerçait une autorité absolue, sans aucune limitation légale sur tous ses sujets : le seul frein à l’arbitraire de ses ordres (bans) était la crainte de déclencher des troubles et parfois celle d’être puni par Dieu et ses saints. La couronne appartenait de droit héréditaire aux seuls représentants de la dynastie, qui considéraient le pouvoir et le royaume comme un patrimoine privé et non comme une magistrature suprême : à chaque succession, le territoire était divisé en autant de parties qu’il y avait d’héritiers ; les royaumes partiels issus de ces partages n’étaient pas nécessairement d’un seul tenant et étaient constitués d’après les convenances politiques et économiques des souverains ; chacun d’eux formait un tout autonome et indépendant, souvent en rivalité avec ses voisins.

«Les rois gouvernaient, entourés d’un palais, qui était une adaptation à leurs besoins de l’institution impériale du même nom… Ce palais ne constituait pas une véritable administration centrale, car il n’y avait pas de distinction entre les fonctions de domesticité et les fonctions administratives. Il n’avait pas d’ailleurs de centre fixe et il suivait le souverain qui, quoique ayant le plus souvent un lieu de séjour de prédilection (dans le Bassin parisien sous les premiers mérovingiens, en Austrasie par la suite), se déplaçait sans cesse de domaine en domaine.

«Le roi était représenté sur le plan local par le comte, qui exerçait ses fonctions soit dans les limites des anciennes cités qui avaient survécu à l’effondrement de l’Empire dans la plus grande partie de la Gaule, soit à la tête de circonscriptions plus réduites, les pagi, qui avaient remplacé les cités dans les régions les plus fortement germanisées. Le comte était un agent universel, qui réunissait entre ses mains l’ensemble des fonctions publiques et régaliennes. Son pouvoir s’exerçait par l’intermédiaire du mallus, assemblée des hommes libres du comté, à qui il communiquait les ordres royaux (convocations à l’armée, édits) et qu’il réunissait pour l’aider à rendre justice. Normalement, le comte relevait directement de la royauté. Le duc, qui, dans certaines régions, réunissait sous son autorité plusieurs comtés, exerçait un pouvoir essentiellement militaire…

«Dans la pratique et pour contrebalancer la toute-puissance du comte, le roi disposait, sur le plan local, d’un autre agent en la personne de l’évêque. Dès le VIesiècle, les rois prirent l’habitude d’intervenir dans les élections épiscopales et d’imposer leurs candidats, choisis le plus souvent parmi les grands de la cour et qui étaient d’ailleurs pour la plupart, lors de leur désignation, des laïques. Ainsi recruté, l’évêque, extrêmement puissant par ses fonctions spirituelles, par son prestige auprès des populations, et aussi par sa fortune considérable qui en faisait un des premiers personnages de la cité, devint un véritable agent du roi[60] ».

LES CITÉS ET LES VILLES – Qu’était-ce que la cité ? La cellule de l’organisation provinciale romaine en Gaule. Et les villes ? Des centres administratifs et religieux, plus que des foyers de vie économique.

Or, au moment de la chute de l’empire, les villes connaissent un déclin. Mais survivent les cités, qui deviennent les chefs-lieux d’une nouvelle administration. La plupart des cités sont des capitales diocésaines, des sièges épiscopaux.

L’initiative des évêques en matière d’urbanisme a été considérable. Par exemple, saint Germain à Auxerre, les évêques de Bordeaux, saint Didier à Cahors…

La ville mérovingienne est peuplée d’un nombre énorme de clercs. Ils voisinent avec les orfèvres, les monétaires, les autres artisans et les marchands, dont beaucoup sont d’origine orientale ou juifs.

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557 Concile de Paris. Canon 8 :

«On n’ordonnera point un évêque malgré les citoyens, mais ceux-là seulement que le clergé et le peuple auront choisis avec une entière liberté. Le nouvel évêque ne sera pas intrus par l’ordre du prince, ni par quelque faction que ce soit, ni contre la volonté du métropolitain et des évêques comprovinciaux. Et si quelqu’un a usurpé l’épiscopat par ordre du roi, aucun des évêques ne le recevra, sous peine d’être retranché de la communion des autres, ne pouvant ignorer qu’il a été ordonné illégitimement. Quant aux sacres déjà faits, le métropolitain en jugera avec ses comprovinciaux et avec les évêques voisins qu’il choisira, et avec qui il s’assemblera en un lieu convenable pour juger de toutes choses selon les anciens canons.»

Le roi Childebert ordonne la construction de l’église Sainte-Croix-et-Saint-Vincent de Paris, pour abriter ses reliques et s’y faire ensevelir.

558 Clotaire Ier rétablit l’unité du royaume franc.

Le 23 décembre, saint Germain de Paris a célébré la dédicace du monastère qu’il a fondé (futur Saint-Germain des Prés), et ce même jour son ami le roi Childebert est mort dans ses bras. Concile d’Arles.

EMPIRE GREC – Les Bulgares attaquent la Grèce, entrent dans Corinthe et arrivent jusqu’aux faubourgs de Constantinople.

Vingt ans après son achèvement, Sainte-Sophie s’écroule en raison de la faiblesse de son architecture. On échafaude un nouveau plan architectural.

559 IRLANDE – Saint Comgall fonde l’abbaye de Bangor, près du golfe de Belfast.

561 Fin du règne de Clotaire Ier. Et nouvelle division conséquente du royaume franc. Il y aura maintenant trois parts :

AUSTRASIE (capitale Reims) ;

NEUSTRIE (capitale Paris) ;

BOURGOGNE (capitale Orléans).

Dagobert Ier, roi d’Austrasie, déplace sa résidence de Reims à Metz.

562 GERMANIE – La Thuringe repousse les Avars venus d’Orient.

IRLANDE – Le Synode de Teilte prononce l’excommunication de saint Columba, en son absence, l’accusant d’avoir fait verser le sang chrétien pendant la récente guerre civile.

ITALIE – Naît au ciel Cassiodore, grand seigneur érudit devenu moine en 538. Il a écrit le traité «sur l’enseignement des saintes Lettres»

563 Débute le règne de Clotaire II (jusqu’en 628).

Concile de Saintes.

PORTUGAL – Le Concile de Braga rappelle l’interdiction des sépultures à l’intérieur des agglomérations et s’élève contre les inhumations à l’intérieur des églises. Il porte 17 anathématismes contre les séquelles du priscillianisme, hérésie tenace chez les Ibères. «Si quelqu’un ne confesse pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois personnes en une seule substance, une seule vertu et une seule puissance, ainsi que l’enseigne l’Église catholique et apostolique ; mais qu’il dise qu’il n’y a qu’une seule et unique personne, en sorte que le Père soit tout à la fois le Fils et l’Esprit paraclet, ainsi que l’ont enseigné Sabellius et Priscillien, – qu’il soit anathème…»

IRLANDE – Saint Columba, ancien moine de Clonard, s’embarque avec douze compagnons pour aller convertir les Pictes en Calédonie. Il débarque à Iona.

564 Saint Fortunat, le poète d’origine italienne, fait un premier voyage en Gaule.

565 Saint Germain devient évêque de Paris.

EMPIRE GREC – Meurt le prestigieux empereur Justinien.

ITALIE – L’évêque de Ravenne, ville redevenue capitale impériale, se fait élever à l’archiépiscopat, puis, peu de temps après, prend le titre de patriarche.

ÉCOSSE – Après avoir converti les Pictes, saint Columba fonde le monastère d’lona, qui va devenir le plus important de la Bretagne insulaire.

566 – Concile de Lyon. Canon 1 : «Les différends des évêques d’une même province seront terminés par le métropolitain de cette province, ou par les deux métropolitains si les contondants sont de deux diverses provinces». Canon 6 (établissant les secondes Rogations, celles de novembre) : «Les jours qui précèdent le premier dimanche de novembre, on fera dans toutes les Églises et dans toutes les paroisses des prières et des processions comme avant l’Ascension».

GERMANIE – La Thuringe repousse une deuxième fois les Avars.

567 Le Concile de Tours nous fait connaître l’âme profonde de l’Église gallo-franque. Jusqu’alors, les hommes et les femmes, en Gaule, reçoivent la communion dans le sanctuaire ; cet usage est strictement gallican ; le canon 4 : «Il est défendu aux laïques de se tenir avec les clercs près de l’autel, pendant la messe et les vigiles. Séparée par une balustrade, la partie supérieure de l’église ne doit être ouverte qu’aux chœurs des clercs qui psalmodient. Cependant, le sanctuaire sera ouvert aux laïques, y compris les femmes, pour prier en particulier et pour recevoir la communion» – L’Église se charge de la charité publique ; canon 5 : «Chaque ville nourrira ses pauvres, les prêtres de la campagne et les habitants nourriront aussi les leurs, afin d’empêcher les mendiants vagabonds de courir les villes et ses provinces». – Déjà autonomistes, les Bretons d’Armorique essaient de se soustraire à la juridiction de leur métropolitain, l’archevêque de Tours ; canon 9 : «Il estdéfendu d’ordonner en Armorique un évêque breton, ou romain, c’est-à-dire gaulois, sans le consentement du métropolitain ou des comprovinciaux». – Le concile fixe aussi le temps des jeûnes, règle différente de celle établie par saint Benoît (canon 17), et l’ordre de la psalmodie (canon 18). Il s’élève contre la coutume païenne des feralia, ou fêtes en l’honneur des morts, décrite par le canon 22 : «Les pasteurs et les prêtres chasseront de l’église les chrétiens qui, par un reste de superstitions païennes, célèbrent le premier janvier en l’honneur de Janus ; qui, à la fête de la chaire de saint Pierre, offrent des viandes aux mânes des morts, et qui, revenant chez eux après la messe, mangent de ces viandes consacrées aux démons ; qui honorent des pierres, des arbres ou des fontaines».

ESPAGNE – Un homme de grande classe, Léogevild, arrive au trône de Tolède. Il régnera jusqu’en 581.

AU CŒUR DE L’EUROPE – Nicétas de Trèves écrit à Clodovinde, franque orthodoxe et première femme d’Alboïn, roi des Lombards. L’évêque exprime son amertume en apprenant qu’Alboïn, lui-même élevé dans l’orthodoxie, favorise les missionnaires goths ariens. Peu après, les Lombards détruisent le royaume des Gépides

568 ESPAGNE – Le roi Léogevild fait de Tolède sa capitale. Il n’a qu’un but : repousser les Byzantins établis depuis 17 ans au sud de la péninsule ibérique.

ITALIE – Les Lombards envahissent l’Italie du nord. Leur ébranlement a été provoqué par l’arrivée des Avars, cavaliers orientaux semblables aux Huns, sur la Tisza.

EMPIRE GREC – L’empereur byzantin sollicite l’aide du royaume franc contre les Lombards.

En 568, le roi Lomard Alboïn est passé à l’arianisme, pensant ainsi mieux recueillir l’héritage du roi ostrogoth Théodoric qui était, nous le savons, de la religion d’Ulfila.

«Si l’on voulait conquérir l’Italie, il fallait se révolter contre Byzance et chercher une aide auprès de ces Goths étaient restés en Italie comme mercenaires au service de l’empire d’Orient, mais n’avaient pas pour autant renoncé à la religion arienne, qui les unissaient tous en les séparant des Romains. Alboïn pouvait donc se flatter de vouloir l’héritage de Thédoric, roi des Goths et arien. Ce n’était pas pour rien que son père Audoin avait épousé une princesse thuringienne, héritière des droits des Amali, la dynastie légitime des Goths en Italie. Ainsi le grand Théodoric, qui était un des personnages des sagas germaniques, pouvait justifier ces projets de conquête de l’Italie qui mûrissaient alors chez les Lombards. Devenu veuf de Clodovinde, il réussit à battre les Gépides et à épouser Rosemonde, fille du roi Cunimund tué au combat, laquelle devait être arienne. Après s’être mis d’accord avec les Francs d’Austrasie, irrités contre Byzance qui leur avait interdit la conquête de l’Italie, il était prêt avec son peuple à s’engager dans la grande aventure qui devait déboucher sur les terres italiennes. Mais, avant de quitter les terres de la Pannonie, Alboïn fut amené par prudence à passer un accord avec les Avars, qui avaient aussi poussé à l’expédition. Il était convenu qu’au cas où l’expédition tournerait mal en Italie, les Lombards pourraient retourner dans les terres qu’ils allaient quitter.

«Comme pour bien marquer la nouvelle adhésion à l’arianisme, le rassemblement de l’armée pour le départ eut lieu la semaine sainte, sans doute parce que le samedi de Pâques était le jour choisi par la liturgie arienne pour le baptême, et qu’ainsi il était plus facile de rassembler tous les guerriers[61] ».

569 – ITALIE – Les Lombards s’emparent de Brescia, Bergame, Trente et Milan.

570 – À Poitiers, sainte Radegonde fait construire l’église Notre-Dame.

ESPAGNE – Début de la conversion des Suèves à l’orthodoxie.

ARABIE – Naissance de Mahomet.

16 – LA FIN DU VIe SIÈCLE

DE 572 A 585

572 – L’évêque du Mans concède un important domaine à l’abbaye Saint-Vincent.

ITALIE – Les Lombards s’emparent de Spolète et de Bénévent. Alboïn s’installe solennellement à Pavie, dont il fait sa capitale, au palais qui fut celui de Théodoric.

Naissance de lÉtat lombard.

PORTUGAL – Le Ier juin, Concile de Braga. Nitigius de Lugo préside ; le roi Ariamir y confirme la division des diocèses de la Galice, et Lugo devient métropole. Le canon I fait apparaître que l’instruction des clercs et des fidèles demeure la préoccupation de tout l’Occident au VIe siècle : la culture théologique reste trop souvent le fait des évêques et des abbés ; l’Occident orthodoxe souffre de l’absence d’un laïcat théologien.

573 – Saint Grégoire, né à Clermont d’Auvergne en 538, devient évêque de Tours. Il écrit son Histoire des Francs.

Commence la première guerre fratricide entre les rois francs Chilpéric et Sigebert. Cet événement prend son origine dans la haine que se vouent leurs deux épouses : Frédégonde, celle de Chilpéric, Brunehaut, celle de Sigebert. Les hostilités se terminent par l’horrible supplice de Brunehaut.

On constate de plus en plus que la violence des moeurs a contaminé le monde ecclésiastique lui-même. La force, qui seule tient lieu de loi, appartient aux grands propriétaires.

Au Concile d’Auxerre, on interdit de faire enterrer successivement plusieurs personnes dans une même tombe. Le Concile de Paris mérite plus encore notre attention. Le roi Gontran veut régler un différend avec son frère Sigebert. Le 15 février, arrivent 32 évêques, et le concile se tient dans la basilique Sainte Geneviève. Quel est le différend ? L’archevêque Gilles de Reims a érigé un évêché à Châteaudun, ville du domaine de Sigebert, et y envoie comme évêque Promotus, prêtre du diocèse de Chartres.

Or, Chartres appartient à Gontran. L’évêque Papolus de Chartres porte ses plaintes au roi Gontran contre l’entreprise- de son collègue de Reims qui a violé les canons en érigeant un évêque sur le diocèse d’autrui. Gontran prend la défense de Chartres, Sigebert celle de Reims. Ces deux évêques s’abstiennent d’assister au concile. Il est décidé : que l’ordination de Promotus est contraire aux canons et à la raison, puisque Chateaudun n’appartient ni à la province ecclésiastique de Reims ni au territoire de la Gaule Belgique ; la déposition de Promotus. Mais nous voyons combien est vive et tenace la résistance opposée à des canons mille fois répétés !… En effet, Promotus ne sera chassé de Chateaudun qu’après la mort de Sigebert, qui l’y a maintenu malgré la décision du concile de Paris.

EMPIRE GREC – Alliés aux Turcs, les Byzantins attaquent la Perse. Ils s’emparent de l’Arménie ; les Turcs, de la Bactriane.

574 – ESPAGNE – Naît au ciel le prestigieux abbé saint Émilien.

BRETAGNE INSULAIRE – Régnant sur une colonie irlandaise (ou scotique) établie depuis 500 en Calédonie, le roi Aïdan réside près de l’abbaye d’Iona fondée par saint Columba. Il est sacré par celui-ci.

575 – En Armorique, entre Saint-Malo et le Mont Saint-Michel, saint Colomban (à ne pas confondre avec Columba d’Iona) débarque avec douze compagnons. L’influence de ce missionnaire irlandais sur les Gaules sera immense.

ITALIE – Saint Grégoire, futur évêque de Rome, ayant fondé sept monastères régis par la règle de saint Benoît, s’enferme dans le septième, établi sur le mont Coelius.

ESPAGNE – Léogevild conquiert le royaume des Suèves, installés en péninsule ibérique depuis 409.

576 – Naît au ciel le saint évêque Germain de Paris, le liturge des Gaules.

577 – Le roi Chilpéric lance des accusations contre saint Prétextat de Rouen : cet évêque aurait marié, contre la volonté du roi, le prince Mérovée, son fils rebelle, avec la veuve de son oncle, qui n’est autre que Brunehaut reine d’Austrasie ; il aurait conspiré avec ce jeune prince contre la vie du roi.

45 évêques se rassemblent donc en l’église Sainte Geneviève, pour tenir un important Concile de Paris. En voici le récit :

Prétextat convient du premier grief, mais il nie le second. Ainsi se termine la première session. Accusant maintenant l’évêque de Rouen de lui avoir dérobé de l’or et divers meubles, le roi Chilpéric ouvre une seconde séance. Prétextat n’a aucune peine à avouer que c’est faux. A quelques confidents, Chilpéric avoue qu’il a menti : «il me fallait», dit-il, «un expédient pour contenter la reine Frédégonde qui me tourmente sans cesse pour faire déposer Prétextat» ; puis il ajoute :«conseillez à Prétextat de s’humilier devant moi et de dire qu’il a fait ce dont je l’accuse, alors nous nous jetterons tous à ses pieds pour lui demander sa grâce».Prétextat tombe dans ce piège. Il se prosterne aux pieds du roi en disant : «j’ai péché contre le ciel et contre toi, ô prince très miséricordieux ! J’ai voulu attenter à ta vie et, infâme homicide, mettre ton fils sur le trône». Manquant sans hésitation à sa promesse, Chilpéric prend le concile à témoin des aveux de l’évêque et le livre à ses gardes. Puis il demande sa déposition et son excommunication accompagnée des malédictions du psaume 108.

Le concile refuse de prononcer ces imprécations ; mais le courage manque aux évêques, et ils déposent Prétextat si naïvement tombé dans le piège. On met saint Prétextat en prison, on le bat de verges, puis on le relègue dans l’île de Jersey. Satisfaite, l’infâme reine Frédégonde installe Mélantius, sa créature, sur le siège de Rouen.

Cette même année, le roi Gontran d’Orléans, fils de Clotaire Ier, fonde l’abbaye de Saint-Marcel à la porte de Châlon-sur-Saône, sa nouvelle capitale.

ITALIE – Benoît Ier de Rome retire saint Grégoire de son monastère de mont Coelius et le fait cardinal président une région de Rome.

578 Se tient un Concile d’Auxerre.

ITALIE – Rome envoie saint Grégoire, en qualité d’apocrisiaire, à Byzance, auprès de l’empereur Tibère.

579 – Les Bretons d’Armorique, qui forment une puissance pratiquement indépendante, s’emparent de Rennes et de Nantes.

Se tient un Concile de Saintes. Le Concile de Châlon-sur-Saône dépose pour la seconde fois Salone d’Embrun et Sagittaire de Gap ; il met Émérit à Embrun et Aridius à Gap.

ESPAGNE – Le saint moine Léandre devient archevêque de Séville.

EMPIRE GREC – Les Avars se jettent sur le territoire byzantin.

580 Décidant d’envahir l’Italie, les Francs se ruent contre les Lombards.

ESPAGNE – Léogevild, roi arien de Tolède, propose aux orthodoxes d’entrer dans la religion d’Ulfila. Saint Léandre, archevêque orthodoxe de Séville, anime aussitôt et organise la résistance. Sous la conduite de saint Héménégild, fils de Léogevild, qu’on appellera «le Clovis de l’Espagne», la guerre de religion éclate. Saint Léandre se voit contraint de quitter la péninsule ibérique.

EMPIRE GREC – Saint Léandre de Séville, chassé d’Espagne, rencontre saint Grégoire à Constantinople.

Les Avars, ethnie cruelle, poursuivent leur avance dans l’empire byzantin.

Encore en ESPAGNE – …saint Martin de Dumes, moine d’origine hongroise, introduit la règle de saint Benoît dans la Galice et le nord du Portugal.

581 Se tient un Concile de Lyon.

582 En cette vingt-et-unième année du règne de Gontran, se tient l’important Concile de Mâcon, 21 évêques y participent ; parmi eux : saint Prisque de Lyon, saint Évance de Vienne, saint Antème de Sens, saint Rémi de Bourges, saint Siagrius d’Autun, saint Aunaire d’Auxerre, saint Arigle de Nevers, saint Flavius de Châlon-sur-Saône… Ils ouvrent le concile en disant qu’ils se sont assemblés pour des affaires publiques et pour la nécessité des pauvres, et qu’ils ont l’intention, non pas de faire de nouveaux canons, mais de renouveler les anciens. Le canon 5 montre que la vie seigneuriale, et aussi parfois l’exercice de la guerre, tentent maintenant les clercs. Les canons 13 et 14, rappels du canon 30 du concile d’Orléans de 538, reçurent la confirmation du roi Childebert qui les fit entrer dans la loi temporelle : «Défense aux juifs d’exercer aucune charge de juges parmi les chrétiens ; d’être receveurs d’impôts ou de sortir de leurs maisons depuis le jour de la Cène jusqu’à Pâques, suivant l’ordonnance du roi Childebert d’heureuse mémoire. On ordonne aussi aux juifs de porter respect au clergé, avec défense de s’asseoir en présence des évêques sans en avoir reçu l’ordre». Un changement se produit à propos du droit des juifs d’avoir des esclaves chrétiens. Canons 15 et 16 : «On défend aux chrétiens de manger avec les juifs, et aux juifs d’avoir des esclaves chrétiens. On permet de racheter d’un juif l’esclave chrétien pour douze sols.»

Ce concile règle également le port du costume ecclésiastique. Celui-ci était la toge, conservée par l’Eglise après que les Barbares eurent introduit la saie qui, bien vite, remplaça la toge. Cette dernière : un large manteau qui s’agrafait sur l’épaule droite. Les habits barbares étaient courts et étriqués. Les laïques les adoptèrent aussitôt. A Mâcon, on décida de défendre aux clercs, sous peine de prison et d’un jeûne de trente jours au pain et à l’eau, de porter des vêtements laïques.

ITALIE – Agilulf, nouveau roi des Lombards, épouse l’orthodoxe Théodelinde.

EMPIRE GREC – Début du règne de Maurice (jusqu’en 602). Les Avars se sont installés en plusieurs régions de l’empire.

583 Pendant que les armées franques se heurtent aux Lombards en Italie, en mai se tient le Concile de Lyon. Canon 6 : «Les lépreux de chaque cité et de son territoire seront nourris et entretenus aux dépens de l’Eglise, par les soins de l’évêque, afin de leur ôter la liberté d’être vagabonds dans les autres villes». Le 23 octobre, 46 évêques et 20 députés d’évêques absents se rassemblent au Concile de Macon, qui marque un tournant de l’histoire canonique de l’Eglise des Gaules. Le président saint Prisque de Lyon, qui y porte le titre de patriarche (or, la même année, l’évêque de Bourges est également appelé patriarche). Que veut le roi Gontran ? Instruire le procès des évêques qui ont suivi le parti de Gondebaud. On dépose aussi Faustien d’Acqs ; quant aux évêques qui l’avaient ordonné sur l’ordre de Gondebaud (Bertram de Bordeaux, Oreste de Bazas et Pallade de Saintes), on les condamne à le nourrir tout le reste de sa vie.

Canon 1 : on recommande l’observance du dimanche. Canon 2 : sur la solennité de Pâques. Canon 3 : on ne baptise les enfants qu’à Pâques. Ce qui abolit la coutume française de baptiser aussi bien à la Pentecôte, à Noël, à la saint Jean et aux fêtes des martyrs ; celui qui aura été baptisé «irrégulièrement», c’est-à-dire en dehors de Pâques, sera par la suite difficilement admis à la prêtrise. Le canon 4 fait, de la dîme qui existait déjà dans la coutume, une règle explicite. Remarquable canon 13 : «La maison de l’évêque étant particulièrement destinée à l’exercice de l’hospitalité, sans distinction de personnes, on n’y nourrira pas de chiens, de peur que ceux qui y viennent chercher le secours de leurs misères n’en soient mordus. On défend aussi, pour la même raison, d’y nourrir des oiseaux de proie. La maison épiscopale doit être gardée, non par des animaux qui aboient et qui mordent, mais par les bonnes œuvres et le chant des hymnes sacrées». Le canon 20 montre que c’est l’évêque de Lyon qui exerce maintenant la primatie dans l’Eglise des Gaules : «Le concile national se tiendra tous les trois ans à l’indication de l’évêque de Lyon, avec l’agrément du roi, en un lieu commode auquel les évêques seront tenus d’assister».

ITALIE — Les Lombards détruisent le monastère de Mont Cassin. (Il sera reconstruit en 731, sous l’abbé Pétronax, et consacré par Zacharie de Rome en 748 ; puis de nouveau détruit par les Sarrazins en 857 et encore reconstruit, en 930 par l’abbé Aligern, et consacré par Alexandre II de Rome en 1071).

584 – Concile de Valence.

ITALIE – La partie de la péninsule restée byzantine est unifiée sous le gouvernement d’un exarque institué par l’empereur Maurice et résidant à Ravenne.

«En 584, la nouvelle guerre contre les Lombards menée par les Francs d’Austrasie, subven­tionnée par Byzance et soutenue par l’Église de Rome, eut pour conséquence pratique la prise de conscience par les Lombards de la nécessité d’avoir un chef et de former un bloc uni. À l’automne de cette même année « en accord commun » (il est difficile de croire à une assemblée du peuple entier étant donné sa dispersion sur l’immense territoire italien et le danger de laisser sans surveillance certains points névralgiques importants), les Lombards élirent un nouveau roi, Autharis, fils de Clefa. Ce choix venait réaffirmer la position nationale-arienne du pouvoir, en réaction aux concessions philo-byzantines et philocatholiques qu’on avait constatées dans certains duchés[62] …»

Vassal du duc de Bavière, père de Théodelinde, Autharis lui paie tribut.

Saint Grégoire, élu abbé de son monastère Saint-André.

585 Le 10 novembre, une loi du roi Gontran confirme les vingt canons du concile de Mâcon ; le roi écrit aux évêques : «Je vous exhorte à distribuer vous-mêmes à vos peuples le pain de la parole de Dieu, qui ne saurait leur être distribué par d’autres que vous». Avant cette ordonnance, s’est tenu le Synode d’Auxerre. De retour de Mâcon, l’évêque Aunaire d’Auxerre convoque prêtres, diacres et abbés de son diocèse ; en tout, 45 participants. Le canon I révèle d’étranges pratiques populaires, en particulier les étrennes diaboliques : des tables chargées de viandes, que chacun mettait devant sa porte, le ler janvier, pour les passants ; par contre, on n’osait rien prêter à son voisin ce jour-là, pas même lui donner du feu ; et le canon dit : «Il est défendu d’observer le premier jour de janvier à la manière des païens, en se déguisant en vaches ou en cerfs et en se donnant des étrennes diaboliques. Mais on peut ce jour-là, comme dans tout autre jour de l’année, se rendre les uns les autres».

ESPAGNE – Martyre de saint Herménégilde, décapité dans sa geôle sur l’ordre de son père Léogevild, la veille de Pâques. Fils du roi wisigoth arien et de sa première épouse Ingonde, fille de Sigebert et de Brunehaut ; il est un fervent disciple de saint Léandre de Séville. Ayant abjuré l’arianisme et formé un parti orthodoxe après le départ de saint Léandre dans son exil d’Orient, il est vénéré en Espagne comme le «Clovis» malheureux de cette nation.

586 ESPAGNE – Mort du roi Léogevild. Lui succède son fils Récarède.

IRLANDE – Naît au ciel saint Dega, moine et évêque qui termina son séjour sur terre dans l’amertume de l’exil.

587 – Naissent au ciel le même jour, 13 août, sainte Radegonde et saint Junien, son ami, seigneur poitevin devenu ermite.

Descendant des Pyrénées, les Gascons, ethnie ibérique, s’installent en Aquitaine.

Se tient un Concile de Clermont.

588 Près de Limoges, un garçon naît sous le toit d’un artisan modeste. Il deviendra saint Éloi, sera orfèvre avant d’être élu évêque de Noyon, et naîtra au ciel en 660 après avoir été le conseiller du roi et des grands de la nation.

589 Un événement capital en Espagne : grâce à l’amitié qui s’est nouée entre le roi Récarède et saint Léandre de Séville, Récarède se convertit à l’orthodoxie et entraîne avec lui un grand nombre d’évêques et un peuple immense.

Mais voici la formule du «filioque», commencement de bien des malheurs en Occident…

En ces dernières années du VIe siècle, existent des païenneries rurales, fortes d’une solide organisation coutumière.

L’Armorique est païenne à plus de 90 %. Le professeur Robert Folz, de Dijon, écrit : «un paganisme intact, indemne de tout contact antérieur avec le christianisme»[63] .

Restons en Bretagne armoricaine. La langue latine a complètement disparu. A l’extrême-ouest, revient le celtique si longtemps refoulé. La langue celtique, au même moment, revient un peu partout en Bretagne insulaire.

Or, et y compris en Armorique, l’Église des Gaules est resplendissante. Les grands siècles ortho­doxes, en Occident, ne tiennent leur grandeur que de la sainteté du clergé et du peuple, donc de la qualité, et non point de la quantité des fidèles. Peu importe, sur ce point, que l’Église reste minoritaire.

En Gaule du nord, se confirme la parfaite fusion ethnique gallo-franque. Bien avant les invasions de 400-410, les populations locales connaissaient les Germains. Les îlots romains eux-mêmes se sont germanisés. Ici, la ville influente est Metz, capitale mérovingienne.

Et la Gaule intérieure ?… Dès 500, tous les postes de commande dans l’ordre laïque sont aux guerriers francs. Les noms changent. Aussi bien ceux des paysans et des habitants des villes que ceux de ces dernières. La population a adopté la coutume germanique des noms composés de deux racines accolées (exemple déjà donné ci-dessus : Dago-Bert…).

La germanisation n’est qu’un des trois éléments qui forment la civilisation française, les deux autres étant le maintien d’une certaine culture latine ; les résurgences gauloises.

Les canons insistent : le clergé majeur ne doit plus vivre dans la condition conjugale. Aspect négatif de l’influence de saint Césaire d’Arles et de l’école de Lérins, cette pépinière d’évêques. Faiblesse de l’Église des Gaules en ce siècle où resplendit sa sainteté !… Mais les conciles insistent parce que, justement, le clergé continue de vivre en Gaule comme on vit dans tout l’Orient. Les règles contre nature, on les répète en vain.

Voici un exemple. Fils d’un sénateur de lignée gallo-romaine, saint Léonce choisit le métier des armes et devient un chef au sein de l’armée du roi Childebert. Au moment où l’on célèbre son courage et sa loyauté au combat, il s’éprend de la fille d’Arcadius, autre membre de la noblesse sénatoriale. Ainsi devient-il l’époux de sainte Placidine. Si célèbre est devenu l’amour de Léonce et de Placidine que saint Venance Fortunat, le Poète, l’a chanté. Et voici que Léonce est ordonné prêtre, par son oncle, qui est l’archevêque de Bordeaux. Peu après, semble-t-il, saint Léonce devient à son tour l’évêque de cette même ville. C’est lui qui préside, en 563, le concile de Saintes. Sachant cela, revenons à l’œuvre du saint poète, et lisons : «… Fidèle imitatrice de son mari, Placidine se chargeait de l’ameublement des églises : la laine, la soie, le lin prenaient entre ses doigts des formes sacrées… Personne ne vous ravira votre joie, a dit Jésus, et Léonce ne fera point de son épiscopat une chose triste… Ce fameux archevêque de Bordeaux, Léonce le Jeune, fut la gloire de cette ville. Il dépassait autant par l’honneur et la dignité les évêques de son temps que cette ville dépassait les autres villes.» Et saint Fortunat, lui-même évêque de Poitiers, écrivit cette épitaphe : «Pour consoler son amour sans borne, Placidine n’a rien épargné pour tes funérailles, et tes cendres seront douces à sa mémoire».

À partir de 560, les évêques ne sont plus des Gaulois latinisés, mais des Germains enracinés dans le sol de la Gaule.

L’ordre social repose sur la paix entre les lignages. Ce qui le cimente, c’est la communauté de foi. Mais bien sûr, il y a les païens, dans les campagnes, et les juifs, dans les villes. Plusieurs ethnies cohabitent sans qu’apparaisse la moindre animosité ayant un quelconque motif racial.

Il y a, aussi, les colonies de commerçants : des Orientaux, qu’on appelle, d’une manière générale, les «Syriens»…

Nous l’avons dit, la Gaule du midi présente des différences.

Là, l’empreinte germanique se fait moins sentir. La Provence fut wisigothique de 477 à 507, puis ostrogothique de 508 à 536. Après 536, les Francs n’y portent qu’un intérêt politique et fiscal. De fait, ce pays reste une sorte d’État romain. Ceux qui le dirigent, des patrices de rang sénatorial, n’ont qu’une unionpersonnelle, et non pas administrative, avec les royaumes mérovingiens. La France, ce sera la Gaule du nord.

La Septimanie (bas-Languedoc) a gardé ses wisigoths et se sent espagnole. Ses conciles sont ceux de Tolède.

Quant au Bordelais et la Saintonge, qui ont interdit le culte ulfilien sur leurs territoires depuis 511, ils se tiennent, ainsi que l’immense et fluctuant Poitou, pour des pays francs.

Maintenant, une double aristocratie se groupe autour du roi.

1° – Les leudes. Ce sont les descendants des conquérants germaniques de la Gaule. Propriétaires fonciers, devenus très riches. Sur leur domaine, les colons,d’origine gauloise, composent une hiérarchie intermédiaire qui va du régisseur à ce que nous appellerions aujourd’hui fermier ou métayer. Sous eux, une assez consistante minorité d’esclaves.

2° – La deuxième aristocratie est sénatoriale. Elle habite le midi. Riche propriétaire et détentrice de la culture littéraire, elle représente une survivance de l’ancienne classe sénatoriale romaine.

Au niveau local, deux institutions fondamentales.

1° – Le mallus. Assemblée des hommes libres du canton. Il siège en plein air, souvent sur une colline (le mallobergus) et exerce des fonctions judiciaires.

2° – La centena. Un groupe de 100 à 120 soldats francs, sous le commandement d’un agent du roi appelé centenier. C’est le pouvoir militaire.

Mais l’Église dicte le droit. La loi, c’est de plus en plus : les canons.

Le souverain local, depuis maintenant deux siècles, c’est l’évêque.

Le VIe siècle : l’âge épiscopal par excellence.

Le roi Childebert a dit : «Pour maintenir la paix dans les pays, obéisse aux lois de l’Église».

Or, en 581, un fonctionnaire dont on parle cette année-là pour la première fois, prend une assez soudaine importance. C’est le maire du palais. «Major domus», il n’est encore qu’un simple majordome. Mais son rôle grandira démesurément au VIe siècle, et surtout au VIIIe. Car de cet office originellement humble, sortira la dynastie des carolingiens.

L’art est pauvre.

Point n’existe les icônes peintes.

Et la vie intellectuelle ?

Toute la culture s’exprime en latin. Les laïcs lettrés se comptent sur les doigts de la main. Les théâtres sont en ruines depuis longtemps.

La seule exception est l’Irlande. Là, les moines ont formé autour de leurs énormes abbayes un laïcat intellectuel.

Le VIe siècle français compte deux grands auteurs :

– saint Venance Fortunat de Poitiers, d’origine italienne, venu en Gaule vers 565, fixé auprès de sainte Radegonde, né au ciel vers 600 ;

– saint Grégoire de Tours, issu d’une famille sénatoriale auvergnate. Il écrit son Histoire des Francs de 580 à 591 environ. C’est par lui que nous connaissons le mieux cette époque.

Vie intellectuelle plus riche en Espagne. Clercs et laïcs se sont groupés autour de saint Léandre de Séville, évêque de 578 à 599. Dans ce groupe, le frère de saint Léandre : Isidore de Séville.

LE CONCILE DE TOLÈDE DE 589

La fin du VIe siècle attire notre attention sur la péninsule ibérique, devenue en 507 le seul et dernier pays wisigothique d’Europe. Considérons l’Espagne de cette époque.

Nous l’avions vue en 300, au concile d’Elvire : rigoriste, méfiante à l’endroit de la chair… De ce concile espagnol vint l’idée que les clercs majeurs ne devaient plus vivre conjugalement, même étant mariés avant leur ordination. Tendance néfaste contre laquelle saint Paphnuce s’éleva au concile œcuménique de Nicée de 325. Mais cette tendance finit par prévaloir, théoriquement mais non pas dans le vécu, en Occident dès la seconde moitié de notre millénaire orthodoxe.

Vers 450, l’ethnie germanique des Suèves habite le nord-ouest de l’Ibérie. Ils furent rejetés dans cette région par Euric et, pendant quelques années, tinrent tête aux Wisigoths. Flottant entre l’orthodoxie et l’arianisme, les Suèves sont enfin de compte plutôt des ariens – la religion d’Ulfila.

Vers 450, le roi suève Richiar reçoit pourtant le baptême orthodoxe. Mais subissant l’influence d’un apostat, son successeur se fait arien. Notons que, même ariens, les rois suèves se font parcimonieusement persécuteurs, et qu’ils entretiennent des relations souvent excellentes avec le clergé orthodoxe local. Vers 560, apparaît dans ce nord-ouest ibérique, de population suève, un saint éminent d’origine hongroise, prêtre lettré devenu archevêque : Martin de Braga. Il exerce la plus heureuse influence sur le roi suève Théodemir et sur son successeur Miro.

Mais à ce moment-là, les Wisigoths, chassés des Gaules par la victoire de Clovis à Vouillé (507), se sont installés en Espagne. Malheureusement pour cette dernière, Clovis s’est arrêté aux Pyrénées.

En 530, le wisigoth Amalaric ayant insulté sa femme, la catholique Clotilde, Childebert, roi de Paris et frère de Clotilde, s’est jeté contre Barcelone et a remporté la victoire de Narbonne. Puis il a fait tuer son beau-frère ennemi par un officier franc. Ainsi s’éteignait la race d’Alaric.

De 530 à 567, l’Espagne subit des troubles sanglants. La monarchie wisigothique est sans arrêt attaquée par les Francs, puis par les Byzantins qui s’installent en 554 dans le sud-est de la péninsule. Mais en 567, arrive au trône de Tolède un prince de haute classe : Léogevild. Il bat les Basques, il chasse les Francs de la Narbonnaise, il annexe le royaume des Suèves. Pour mettre un comble à sa bonne fortune, Justinien vient de mourir et Byzance va lâcher l’Espagne.

Léogevild est un arien fanatique. Plus fanatique encore, Goswinthe sa seconde femme, une reine cruelle. En 580, Léogevild dit aux orthodoxes espagnols :«devenez tous des ariens». L’évêque Vincent de Saragosse se laisse allécher et succombe à la tentation d’apostasie.

À ce moment dramatique, un grand orthodoxe se dresse : saint Léandre, qui va devenir archevêque de Séville. Alors, la guerre de religion éclate.

Le héros de cette guerre fut saint Hermégilde, que le peuple orthodoxe a surnommé «le Clovis de l’Espagne». Qui est-il ? Le fils du roi Léogevild et de sa première épouse, une grecque orthodoxe. Il a abjuré la religion d’Ulfila et épousé Ingonde la Franque, fille de Sigebert et Brunehaut.

Autour du prince Herménégild et de sa femme Ingonde, se forme un fort parti orthodoxe animé par saint Léandre. Mais la ruelle reine arienne Goswinthe ne désarme pas. La guerre éclate quand Léogevild somme son fils de revenir à l’arianisme. Réfugié en Andalousie, Herménégild a besoin de secours. Léandre s’embarque alors pour l’Orient, espérant l’aide de l’empereur byzantin. Pendant l’absence de saint Léandre, Herménégild croit qu’il pourra se réconcilier avec son père, celui-ci lui ayant donné l’assurance qu’une telle issue serait possible.

Et voici comment les choses se passent. Herménégild est devant son père. Celui-ci l’embrasse et déclare qu’il lui pardonne. Ces mots prononcés, il fait signe à ses gardes, qui se jettent sur le jeune prince orthodoxe, le dépouillent de ses vêtements et le jettent dans un cachot. Emprisonné pendant de longs mois, sans cesse tourmenté pour redevenir arien, privé de l’Eucharistie, Herménégild résiste saintement. Alors, fou de rage, Léogevild ordonne au duc Sisbert d’aller le décapiter dans sa cellule. Saint

Herménegild, le Clovis crucifié d’Espagne, subit le martyre la veille de Pâques de l’an 585.

Un an plus tard, en mai 586, meurt Léogevild.

Son fils Récarède lui succède.

Brusquement, tout change.

Récarède fait venir saint Léandre à sa cour et l’accueille avec les plus grands égards. En même temps, il fait décapiter Sisbert qui a tué le prince martyr. Il rappelle d’exil tous les évêques orthodoxes. Après quoi, il annonce une controverse religieuse.

Que veut-il ? Un immense rassemblement espagnol, pendant lequel orthodoxes et ariens exposeront leurs thèses théologiques.

Ce fut le Concile de Tolède de 589.

Et voici, la controverse bat son plein. Saint Léandre vient de terminer son exposé de la foi orthodoxe. Un événement bouleversant se produit : le roi arien Récarède se déclare orthodoxe !… Huit évêques ariens et une foule nombreuse suivent immédiatement son exemple.

Sur ce, la controverse s’achève et le Concile de Tolède ouvre ses travaux.

Le 6 mai 589, 64 évêques et 8 députés des évêques absents décident qu’on préparera les séances conciliaires par jeûne, veilles et prières. Récarède prie avec eux pendant trois jours. Puis il fait lire sa profession de foi : il confesse la divine Trinité ; il anathématise Arius, sa doctrine et ses complices ; il reçoit pleinement le concile de Nicée ; contre Macédonius, qu’il anathématise ; il reçoit le concile de Constantinople ; contre Nestorius, qu’il anathématise, il reçoit le concile d’Ephèse ; contre Eutychès et Dioscore, qu’il anathématise, il reçoit le concile de Chalcédoine.

Quelle fête pour l’Espagne orthodoxe !…

Dans un indescriptible enthousiasme, les Pères de Tolède prononcent aussitôt 23 articles : D’abord, anathèmes contre les principales erreurs des ariens.Et puis :

– «anathème contre ceux qui ne croient pas que le Fils soit engendré de la substance du Père sans commencement ;

– «anathème contre ceux qui ne croient pas que le fils soit égal et consubstantiel au Père ;

– «anathème contre ceux qui nient que le Saint-Esprit soit coéternel et égal au Père et au Fils».

Jusque là, c’est vraiment la fête orthodoxe. Mais emportés par l’enthousiasme, les Pères de Tolède ajoutent cette formule inouïe : «anathème à ceux qui nient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils» Ainsi donc apparut la formule FILIOQUE.

La suite des 23 articles de foi est pleinement orthodoxe. Y souscrivent les évêques wisigoths convertis, après eux les prêtres, puis les diacres, puis les grands seigneurs du royaume wisigothique. Cela fait, le roi Récarède propose aux évêques de dresser des statuts pour le règlement de la discipline ecclésiastique et pour réparer les brèches qu’y a faites l’hérésie. Il demande en particulier que, dans toutes les Églises d’Espagne et de Galice, on récite, à voix claire et intelligible, le symbole dans la célébration de la messe, avant la communion au Corps et au Sang de Jésus Christ, suivant la coutume des Orientaux.

Et le concile produit 23 canons.

CANON 2 – «Pour affermir la foi des peuples, on leur fera chanter à la messe le symbole du concile de Constantinople, avant l’oraison dominicale, afin qu’après avoir rendu témoignage à la vraie foi, ils soient plus purs pour participer au Corps et au Sang de Jésus Christ». Cet usage de chanter le symbole avait étéinstitué en 510, pour l’Orient, par le patriarche Timothée de Constantinople. Avant cette institution on ne le chantait que le Vendredi saint, lorsque l’évêque instruisait les catéchumènes qui devaient être baptisés la veille de Pâques. L’Église d’Espagne fut donc la première, en Occident, à recevoir cette coutume. Le rite mozarabique (dont le nom plus exact serait : rite wisigothique) montre qu’on chantait le Credo avant le Notre Père. Mais hélas !… ce n’était plus tout à fait le symbole de Constantinople, puisque le Concile de Tolède y avait ajouté FILIOQUE.

Après le concile, dont il était absent, saint Léandre de Séville prononce un discours. Il se réjouit de l’heureux changement de l’Église d’Espagne. «Elle se retrouve», dit-il, «en liberté et en joie, après avoir été retenue captive dans les gémissements sous les persécutions des rois ariens. Espagne, répète avec moi ces paroles du quatrième psaume : lorsque j’étais oppressé dans l’affliction, Tu m’as, mon Dieu, dilaté le coeur. Remarquez que les hérésies ne dominent ordinairement que sur une nation, ou qu’elles n’occupent que quelque coin de l’univers. Tandis que l’Eglise catholique est répandue, elle, sur tout l’univers, et qu’elle est composée de toutes les nations. Remarquez que les hérésies se cachent dans les cavernes, tandis que l’Eglise catholique se montre à tout le monde, car les membres de l’Eglise véritable surpassent toutes sectes des hérétiques…»

Et saint Léandre termine ainsi son discours : «S’il reste encore quelque nation barbare qui n’ait point été éclairée de la lumière de la foi, il est hors de doute qu’elle le sera un jour. La promesse de Jésus Christ à cet égard ne peut manquer d’avoir son effet. L’ordre naturel demande ailleurs que ceux qui tirent leur origine d’un même homme, s’aiment mutuellement et professent une même vérité.»

L’année suivante, 590, est la quatrième du règne de Récarède. Le roi wisigoth orthodoxe donne une ordonnance confirmant tout ce qui a été fait et arrêté au concile de Tolède.

LA FIN DU GRAND SIÈCLE ORTHODOXE

589 Naissance de saint Amand, le grand missionnaire d’Aquitaine et de Belgique, qui naîtra au ciel en 676.

Deuxième invasion des Francs en Italie contre les Lombards.

ITALIE – Le duc lombard Ariulf de Spolète s’empare du Mont-Cassin, dont les moines se réfugient à Rome. A partir de novembre, de terribles catastrophes dévastent l’Italie : inondation du Tibre, famines, épidémies de peste.

Le Concile de Narbonne nous ramène en Gaule : Canon 11 : «Il est défendu d’ordonner un prêtre ou un diacre qui ne sache pas lire, son ministère ne pouvant, sans cela, être d’aucune utilité à l’Église». Canon 14 : «Il est défendu à qui que ce soit de consulter les devins ou les sorciers. Nous ordonnons qu’on fustige et qu’on vende ceux qui se disent tels, et qu’on en donne le prix aux pauvres».

590 Saint Venance Fortunat le Poète, hôte du monastère Sainte-Croix fondé par sainte Radegonde née au ciel depuis trois ans, devient évêque de Poitiers. Troisième invasion des Francs en Italie contre les Lombards.

ITALIE – Pélage II de Rome meurt de la peste, saint Grégoire lui succède.

BRETAGNE INSULAIRE – Naissent au ciel saint Cadoc et saint Columba d’Iona.

Un événement nous ramène dans les Gaules : l’Irlandais saint Colomban fonde le monastère de Luxeuil, sur l’emplacement d’une petite ville brûlée par Attila.

591 EMPIRE GREC – Maurice associe son fils Théodose à l’empire.

592 ITALIE – Le duc Ariulf de Spolète massacre la population de Rome.

ESPAGNE – Concile de Saragosse. Canon 1 : «Les prêtres ariens qui sont retournés à l’Église catholique pourront, s’ils sont purs dans la foi et dans les mœurs, faire les fonctions de leur ordre après avoir reçu de nouveau la bénédiction des prêtres. Il en va de même pour les diacres. Mais ceux dont la vie ne sera pas régulière demeurent déposés, en restant néanmoins dans le clergé.»

593 ITALIE – Continue la sombre série des catastrophes et épidémies…

594 AFRIQUE – Sous l’impulsion de saint Grégoire le Grand, évêque de Rome, se tient le Concile de Carthage contre les donatistes, et dès cette date le donatisme disparaît de l’histoire.

595 ITALIE – Très important Concile de Rome. Grégoire le Grand consume solennellement la sainteté de la règle de saint Benoît. Il double la durée du noviciat. Désormais, les officiers séculiers attachés au service intérieur et secret des évêques de Rome seront remplacés par des moines. Canon 1 :«A l’avenir, les ministres de l’autel ne chanteront point ; ils liront seulement l’Évangile à la messe ; et les sous-diacres, ou s’il en est besoin les moindres clercs chanteront les psaumes et feront les autres lectures.»

En juin, saint Grégoire le Grand reconnaît à Virgile de Lérins le titre et les prérogatives de primat de l’Eglise des Gaules. Mais cette primatie méridionale n’est plus que théorique. Dans les faits, c’est le siège de Lyon qui préside à l’Eglise gallo-franque. Et bientôt, ce sera plus au nord, en terre plus germanique…

596 Mort prématurée de Childebert II. Devenue régente de deux royaumes gallo-francs (est et sud-est), Brunehaut cultive les relations d’amitié avec saint Grégoire le Grand de Rome. Théodebert II règne en Austrasie (jusqu’en 602).

GERMANIE – Pour la troisième fois (cf. 562 et 566), la Thuringe repousse les Avars.

ITALIE… BRETAGNE INSULAIRE – Envoyé par Grégoire le Grand, le moine missionnaire saint Augustin, prieur du couvent romain de Coelius, débarque en Angleterre.

597 Très rude hiver dans tous les pays d’Occident. On meurt de froid par milliers. Ayant quitté leurs monastères en ruines, 3000 moniales italiennes se réfugient à Rome, où Grégoire le Grand pourvoit à leurs besoins.

ANGLETERRE – Le jour de la Pentecôte, baptême d’Éthelbert, roi de Kent, et fondation du siège épiscopal de Cantorbéry. L’épouse d’Éthelbert est Berthe, née à Paris, petite-fille de Clotilde et fille de Caribert.

ESPAGNE – Concile de Tolède.

598 ESPAGNE – Synode de Huesca.

599 ITALIE — Grand soulagement dans les pays italiens ravagés par toutes les formes possibles de la misère : Byzantins et Lombards concluent un traité de paix.

ESPAGNE – En cette quatorzième année du règne de Récarède, se tient le Concile de Barcelone.

600 Mort de la reine Frédégonde.

Naît au ciel saint Venance Fortunat le Poète, évêque de Poitiers qui écrivit le «Vexilla Regis». Agé de soixante-deux ans, saint Grégoire de Tours achève les dix volumes de son Histoire des Francs, qui nous conduit jusqu’à l’année 581.

A Bourges, un homme nommé Adelbert se fait passer pour le Christ. Accompagné de sa soeur, qu’il fait appeler Marie, il prêche par toute la France et séduit des fidèles et quelques prêtres. Il enseigne qu’il faut danser tout nu sur les places publiques pour retrouver l’innocence d’Adam et d’Eve au paradis.

ITALIE – Au Concile de Rome, saint Grégoire le Grand refuse à Probus, abbé de Saint-André, le droit de tester en faveur de son fils. C’est en 604 que le grand évêque de Rome naîtra au ciel. EMPIRE GREC – L’empereur Maurice repousse les Avars jusqu’à la Tisza. En 602, il sera assassiné par Phocas, qui lui succédera.

EUROPE DU NORD – Les Norvégiens s’établissent aux Shetland et aux Orcades. Les rois d’Upsal dominent la Suède.

RÉFLEXIONS FINALES SUR LE VIe SIÈCLE

Le VIe siècle s’achève dans un troublant mélange de sainteté florissante et de germes extrêmement dangereux : le rigorisme antisexuel prépare une dramatique séparation du clergé et du peuple ; le Filioque, lapsus espagnol, contient la logique doctrinale de cette séparation hétérodoxe, et maintes autres calamités spirituelles qui conduiront les Églises d’Occident au naufrage.

Au début de ce siècle, au Concile d’Agde de 506, dominait la personnalité de saint Césaire d’Arles. Autour de lui : saint Cyprien de Bordeaux, saint Quintien de Rodez, saint Galactoire de Béarn… Les canons 1, 10, 11, 16, 17 s’attachent à installer la continence sexuelle des clercs mariés. Cette préoccupation pollue l’oeuvre conciliaire.

En 511, au Concile d’Orléans, premier concile national, encore une profusion de saints évêques : saint Rémi de Reims a inspiré la convocation de cette assemblée ; on y rencontre saint Cyprien de Bordeaux, saint Gildard de Rouen, saint Mélaine de Rennes qui préside. Mais le canon 29 rappelle la préoccupation de ce temps, contre la vie conjugale des clercs.

Au Concile d’Agaune de 515 est associé le nom de saint Avit de Vienne. Il préside le Concile d’Epaone de 517. Saint Césaire préside encore le Concile d’Arles de 524, le Concile d’Orange de 529, le Concile de Vaison de la même année. A cette époque, saint Cyprien est évêque de Toulon.

Saint Honorat de Bourges préside le Concile d’Orléans de 533, puis le Concile de Clermont de 535. Le canon 16 de Clermont «renouvelle les anciens règlements sur la continence des prêtres et des diacres».- En 538, au Concile dOrléans : saint Loup de Lyon, qui préside, saint Pantagathe de Vienne son voisin, saint Léon de Sens, saint Arcade de Bourges, saint Flavius de Rouen ; mais les canons 2, 4, 6, 7, 9, c’est-à-dire 4 sur 33, rappellent l’obligation, qui ne semble guère être prise au sérieux dans les faits ! de la continence des clercs mariés.

Au Concile d’Orléans de 541, cette hantise marque une heureuse éclipse… Mais voici le Concile dOrléans de 549. Y participent saint Sacerdoce de Lyon, qui préside, saint Aurélien d’Arles, saint Hésychius de Vienne (deuxième du nom), saint Nicet de Trèves, saint Désiré de Bourges. Le canon 4 ordonne aux évêques«sous peine de déposition, de vivre dans la continence avec leurs femmes légitimes». Cela ne montre-t-il pas qu’une notable partie de l’épiscopat s’en tenait à l’éthique conjugale que l’Orient avait si raisonnablement maintenue ?… Or, nous avons vu le merveilleux poème d’amour de l’archevêque saint Léonce de Bordeaux et de son épouse Placidine, chanté par saint Venance Fortunat, lui-même évêque de Poitiers.

Une sorte de maladie de l’Eglise transparaît dans ces règles conciliaires. D’un côté, le monde des faits, qui ne change pas ; de l’autre, un monde «idéal», venu de la pensée monastique méridionale, sur lequel on insiste d’autant plus rageusement qu’il ne parvient pas à s’inscrire dans les faits. Cette maladie, c’estl’ignorance volontaire de l’état de fait. Un certain refus du réel : refus de l’homme réel, de sa vie réelle… Un effet du rêve monastique, lequel rêve se pare d’énergies autoritaires.

Poussant jusqu’à l’outrance son sentiment éthique, l’Eglise gallo-franque tend, déjà, à sur-ajouter une espèce d’univers impossiblement angélique au contexte de l’humanité réelle. Mais nonobstant la rageuse répétition des mêmes règles, cette dernière ne change pas.

Un danger se dessine alors : la culpabilisation lancinante des consciences : puisque, en vivant selon la réalité, c’est-à-dire humainement, on ne coïncide plus dans les faits avec le monde idéal des règles. Terrible danger pour l’Occident !… La suite nous le montrera.

En 557, au Concile de Paris : saint Prétextat de Rouen, saint Léonce de Bordeaux (l’époux amoureux de Placidine), saint Paterne d’Avranches, saint Chalétric de Chartres, saint Samson de Bretagne, et bien sûr, saint Germain de Paris. La hantise anti-conjugale marque, ici encore, une heureuse éclipse.

Au Concile de Lyon de 566, siègent saint Philippe de Vienne, qui préside, saint Nizier de Lyon, saint Agricole de Châlon-sur-Saône, saint Syagrius d’Autun. Au Concile de Tours de 567, autour de saint Germain de Paris et de quelques autres bienheureux déjà nommés, saint Félix de Nantes ; on y confirme la règle monastique établie par sainte Radegonde à Poitiers ; mais canon 12 de Tours : «L’évêque qui est marié doit vivre avec sa femme comme avec sa sœur». Voilà maintenant cent ans qu’on rappelle aux évêques cette obligation inobservée…

En 581, au Concile de Mâcon, voici d’autres évêques glorifiés : saint Prisque de Lyon, saint Évance de Vienne, saint Artème de Sens, saint Rémi de Bourges, saint Syagrius d’Autun, saint Aunaire d’Auxerre, saint Arigle de Nevers, saint Flavius de Châlon-sur-Saône ; mais canon 3 : «Défense aux évêques de laisser entrer dans leurs chambres aucune femme, si ce n’est en présence de deux prêtres ou de deux diacres». Au Concile de Mâcon de 585, s’ajoute à notre extraordinaire ménologe épiscopal saint Géri de Cahors.

Au Vle siècle, 36 évêques ont été glorifiés peu de temps après leur naissance au ciel. Trente-six évêques, rien que dans les Gaules en un siècle ; et ce n’est certainement pas un compte exhaustif !…

Plusieurs villes eurent deux saints évêques dans ce même siècle : Bordeaux (Cyprien et Léonce), Arles (Césaire et Aurélien), Sens (Léon et Artème), Châlon-sur-Saône (Agricole et Flavius).

Deux autres en eurent trois : Rouen (Gildard, Flavius et Prétextat), Lyon (Loup, Nizier et Prisque).

Deux villes en eurent quatre : Vienne (Avit, Pantagathe, Hésychius et Evance), Bourges (Honorat, Arcade, Désiré et Rémi). Cela fait déjà huit sièges épiscopaux sur lesquels brilla la sainteté de plusieurs évêques successifs.

S’ajoutent treize autres dont l’évêque fut un saint : Autun, Auxerre, Avranches, le siège du Béarn, Cahors, Chartres, Dol en Armorique, Nantes, Nevers, Paris, Rennes, Rodez, Trèves. A-t-il jamais existé un siècle de l’histoire de l’Église des Gaules (pour ne parler que de celle-ci) comptant 36 évêques glorifiés et 21 sièges épiscopaux tenus par des saints ?

Mais voici 589. L’Espagne. Et le Filioque.

Des nuages se forment dans notre ciel occidental…

Le Filioque espagnol fut un lapsus. Mais un lapsus, ça tombe sous les microscopes de la psychanalyse. Le Filioque n’a pu être inventé que parce qu’il y avait un ver dans le fruit…, ou du bois dans le pain…

Contre les ariens ulfiliques qui niaient la divinité du Christ, les Pères de Tolède ont crié de toutes leurs forces : oui le Christ est Dieu ! Ils criaient de joie, parce que, après de si longues et terribles années de persécution par les rois wisigoths champions de l’hérésie…, l’échec et le martyre de saint Herménégilde…, le roi wisigoth Récarède venait de se faire orthodoxe. Surenchère compréhensible chez ces ibériques excessifs, déjà connus pour leur tendance à tous possibles rigorismes… : le Christ est

tellement Dieu que le Saint-Esprit procède aussi du Fils.

Et… ce lapsus… Fléchissement de l’intelligence ; germe d’une terrible hérésie. Car d’elle viendront :

– l’édification du papisme au IXe siècle, sur construction de faux et usage de faux, falsification des Écritures : la théorie filioquiste, entraînant un amoindrissement de la nature et donc du rôle du Saint-Esprit, le prétendu «vicaire du Christ», inventé après Charlemagne, remplacera pure-ment et simplement le Saint-Esprit !… ;

– l’écrasement des personnes et des diversités locales sous le poids d’un centralisme fondé sur cet homme qui serait «vicaire du Christ» ;

– les psychologismes envahissant la démarche de l’âme et diluant la vie spirituelle sous le fatras des nuées psychiques entassées ;

– la claudication de la foi et de la piété, tantôt autoritarisme sec, tantôt sentimentalité floue et trouble…

589 – ANNÉE NÉFASTE

Aux cris de joie des orthodoxes espagnols, répondirent sans doute des sanglots dans le ciel.

Bien sûr, les Grecs hausseront les épaules. Leur mépris des Occidentaux est tel qu’à peine les croient-ils capables d’inventer une hérésie.

L’évêque de Rome fera remarquer que cette formule du Filioque n’est point heureuse. Un siècle plus tard, sous Charlemagne, il s’y opposera vigoureusement.

Aucune réaction du côté de l’épiscopat gaulois.

Mais aux volumes suivants, en étudiant les VIIe et VIIIe siècles, nous entreront dans un crépuscule. En entrant dans le IXe, nous verrons qu’il fait déjà nuit : Charlemagne aura déterré le Filioque espagnol qui, sans lui, fût resté l’infirmité verbale d’une Église locale. Aux Xe et XIe siècles, ce sera le naufrage.

Et donc, nous savons que les flambées de sainteté en un lieu, à telle époque de l’histoire, ne durent qu’un temps. Et que bien vite, descendent les nuages, les vents mauvais, la nuit glacée.

Tirons de cette historiosophie une grande force. Une prudence vigilante et armée serait sans doute, pour nous, la meilleure conclusion de cette leçon terrible de notre histoire sainte.

[1] A. Dupont-Sommer, The Dead Sea Scrolla, Oxford, 1952

[2] Max-I. Dimont, Les Juifs, Dieu et l’Histoire, Laffont édit., 1964

[3] Hassidim = pieux (avec nuance d’intransigeance doctrinale et cultuelle).

[4] L’historien juif Flavius Josèphe (38-100 ap. JC), Histoire de la guerre des Juifs contre les Romains.

[5] Josué 20/7

[6] Josué 32, 27-32

[7] I Rois 9

[8] II Rois 15, 29

[9] Tobie 1, 2-5

[10] I Macchabées 5, 14-23

[11] Matthieu 2, 22

[12] Matthieu 3, 13

[13] Matthieu 4, 12

[14] Matthieu 15, 29, Marc 1, 16, Luc 5, 1

[15] Matthieu 17, 22, Marc 9, 30

[16] Matthieu 21, 11, Luc 2, 39, Jean 1, 45, Actes 10, 30

[17] Matthieu 26, 32

[18] Matthieu 27, 55

[19] Matthieu 28, 7

[20] Matthieu 28, 16

[21] Josué 19, 32

[22] Genèse 49, 21

[23] Luc 10, 38-39.

[24] Jean 11, 1 et 4.

[25] Jean 11, 39-41.

[26] Jean 12, 9-11.

[27] Matthieu 27, 56.

[28] Marc 15, 40.

[29] Marc 16, 1.

[30] Matthieu 27, 57-60.

[31] Marc 15, 43.

[32] Matthieu 27, 57-60.

[33] Jules César, La guerre des Gaules.

[34] Jules César La guerre des Gaules,.

[35] Tertullien, Apologétique.

[36] Tertullien, Apologétique.

[37] La lettre à Diognète.

[38] Les écrits de saint Hippolyte.

[39] Le mot païen, apparu vers cette époque, désigna d’abord le paysan adonné à de vagues superstitions et à une assez primaire sorcellerie. Il n’a été que par la suite, par une sorte de fatigue du langage,improprement appliqué à l’antique polythéisme gréco-romain. Cette confusion terminologique s’explique aussi par l’ardeur parfois injuste d’une polémique chrétienne dont les outrances conduisent à la cécité historiosophique. Mais, tout en signalant cette impropriété du terme, et en la regrettant, nous ne pouvons, aujourd’hui, que la tenir pour à tel point habituelle qu’elle est inévitable – cette utile précision ayant été donnée – dans notre propos lui-même

[40] Extension de l’emploi impropre du terme païen. Ces Germains, et plus tard d’autres nordiques, ont une religion vaguement polythéiste, plutôt panthéiste, qui n’a rien de commun avec les cultes et mythologies hellènes et latines, a fortiori impériaux ! Répétons-le avec regret, habituons-nous…

[41] Édit du 6 février 398.

[42] Louis Halphen, Les Barbares, P.U.F., 1948.

[43] Ganshof, Histoire des relations internationales.

[44] Daniel Rops, L’Église des apôtres et des martyrs.

[45] Bien que plus géographiquement éloigné des frontières de l’empire, le peuple lombard passe également à la religion d’Ulfila.

[46] Louis Alphen, ibid.

[47] Comme nous le verrons dans notre étude du Ve siècle, les Ostrogoths sont tombés amoureux de la culture latine. Leur chef Théodoric en sera le sauveur en Italie et en Gaule méridionale. De même, les Wisigoths et les Burgondes seront plus tôt que les Francs sous l’influence et dans le climat de la culture latine.

[48] «Languedoc», «Gascogne» attention ! Nous usons ici, pour que chacun puisse aisément fixer les événements sur la carte, d’anachronismes pour raison de commodité. En effet, ces régions ne portaient point encore ces noms-là ! On ne parlera de Languedoc qu’au moyen-âge, pour désigner les pays où «oui» se disait «oc» par opposition à ceux du nord de la Loire où l’on disait «oïl». Et pour qu’il y ait quelque part une Gascogne, il faut bien sûr attendre les Gascons… Ayons en mémoire ces précisions, afin de ne point passer d’un anachronisme pour commodité à un anachronisme par ignorance

[49] L’accusation de «semi-pélagianisme», portée contre les Pères gaulois des Ve et VIe siècles, n’a aucun contenu réel. Elle provient du dépit des augustinistes, qui finirent, hélas, dès avant le moyen-âge et surtout au moyen-âge, par imposer leur point de vue à l’Église de France.

[50] Futur évêque de Rome, il sera saint Léon le Grand.

[51] J. Seiller, Les origines chrétiennes dans les provinces danubiennes.

[52] Extrême sera l’importance des Lombards en Italie. Nous parlerons de cette ethnie en étudiant le VIe siècle.

[53] R. Folz, A. Guillou, L. Musset, D. Sourdel, De l’antiquité au monde médiéval, P.U.F. édit., 1972.

[54] Ibid.

[55] R. Folz, A. Guillou, etc., déjà cité.

[56]. C’est de cette succession apostolique des jacobites d’Antioche que se recommendent aujourd’hui les nombreux évêques (plus nombreux que leurs fidèles) des petites Églises «gallicanes» apparues en France dès la fin du XIXe siècle.

[57] Louis Halphen, Les Barbares, P.U.F. édit., 1948.

[58] Gianluigi Barni, La conquête de l’Italie par les Lombards, Albin Michel, 1975.

[59] Gabriel Fournier, Les Mérovingiens, P.U.F.,1966.

[60] Gabriel Fournier, ibid.

[61] Gianluigi Barni, déjà cité.

[62] Gianluigi Barni, déjà cité.

[63] Robert Folz, déjà cité.