Christianisme d’Occident, christianisme d’Orient (Iegor Reznikoff)

Christianisme d’Occident, christianisme d’Orient

Université Catholique de l’Ouest

Institut de Perfectionnement en Langues Vivantes
Institut de Lettres et Histoire

Iegor REZNIKOFF
1998

Université Paris X-Nanterre

SUMMARY : The word order in this title is intentional : it contradicts somewhat the title of the convention, which could be taken as a bit provocative since, of course, Rome preceeded Constantinople, and in an effort to fairly evaluate the rapport between as well as the mutual contributions of these two christian traditions, East and West, we will insist on the fundamental importance of the Western tradition in ancient christianity. Finally, we will address the problems of our time : the mutual contributions, which each tradition has been able to preserve from ancient christiani­ty, are absolutely indispensable for a living unity and a true christian revival.

L’ordre des mots dans le titre de cette intervention est évidemment intentionnel : prenant le contre-pied du titre du Colloque que l’ont peut ressentir un rien provoquant, puisque bien sûr Rome précède Constantinople, et dans le souci d’une évaluation juste du rapport et de l’apport mutuel des deux tradition chrétiennes, d’Orient et d’Occident nous insisterons d’abord sur l’importance fondamentale de la tradition occidentale dans le christianisme antique. Enfin, nous aborderons les problèmes de notre temps : l’apport mutuel de ce que chaque tradition a su préserver du christianisme antique étant absolument indispensable pour l’unité vivante et le renouveau du christianisme.

Il y a une mode, depuis une vingtaine d’années, qui vient avec la (re)découverte des traditions orthodoxes et qui laisse accroire que non seulement l’origine du christianisme, c’est-à-dire la Parole du Christ et la toute première tradition avec les textes qui l’accompagnent, mais d’une façon générale toute la culture chrétienne fondatrice vient d’Orient : la théologie bien sûr, la liturgie, les icônes, la poésie et le chant, l’Art donc, et même – si l’on en croit le petit texte se proposant de définir et situer le Colloque – l’Art roman ; enfin, postule-t-on, la mystique ne peut venir que d’Orient (et là pas seulement chrétien : tout le monde parle de la mystique musulmane ou de l’Inde). Finalement, de ce point de vue, la profondeur spirituelle et tout raffinement ne peuvent provenir que de ces pays lointains ; l’Occident matérialiste et essentiellement inculte se bornant à recevoir, copier ou répéter, en moins bien sans doute, ce qui arrive alors de là-bas.

Cette façon de voir les choses vient d’une comparaison basée d’une part sur un Orient, par exemple Byzantin, idéalisé et intemporel et, d’autre part, sur une réalité chrétienne occidentale soit ancienne et alors méconnue, soit actuelle certes pauvre en liturgie et art sacré et ne résistant bien sûr devant aucune comparaison culturelle et artistique. Une telle opposition n’a évidemment, pas grand sens : on ne peut comparer que des époques et des choses comparables[1]. Dans une comparaison il importe de bien connaître les deux termes, ici les deux sociétés et civilisations à comparer. Lorsqu’on recherche une influence il faudra bien connaître ce sur quoi il y a peut-être influence, c’est-à-dire l’état d’une culture, d’une tradition ou d’une pratique, avant la présumée influence. Si l’on retrouve par exemple une caractéristique de B en A on sera porté à parler d’influence de B sur A, mais peut-être A a toujours eu cette caractéristique qui ne lui vient nullement d’une influence de B (et peut-être, à l’origine, est-ce une influence de A sur B). Il importe d’insister sur ce point car il y a là une erreur méthodologique courante, même dans les travaux savants, en particulier sur les icônes et le chant[2].

Nous sommes ainsi amenés à rappeler quelques points fondamentaux d’Histoire et d’Histoire de l’Art de l’Antiquité chrétienne.

Sur la primauté culturelle chrétienne romaine

Quant aux racines du christianisme l’hommage est donné bien entendu, aux traditions juives, syriaques et grecques ; moins souvent à la tradition égyptienne si importante pourtant, que ce soit pour la présence du bœuf et de l’âne à la Crèche et sur l’icône de la Nativité ou pour le concept complexe et le culte de la Vierge mère. Il nous importe ici d’insister sur le caractère des racines occidentales, latines et celtiques, portant le titre glorieux de romaines. Glorieux déjà par le fait que la reconnaissance plénière du christianisme est venue, dans la dynamique des choses impériales, d’Occident. Par sa sagesse et sa conversion, Constantin le Grand, au début du IVe s., a ouvert tout le savoir antique au christianisme naissant : ce savoir technique, scientifique, littéraire, philosophique, administratif et il faut bien le dire politique, se mettra au service du Verbe divin. Celui-ci revivifiant alors ces traditions et ce vieux savoir, leur donnant une dimension et une vitalité essentiellement nouvelles. C’est en quelque sorte la naissance politique mais surtout culturelle du christianisme ; dès lors la plupart des grandes cultures chrétiennes vont se développer dans le domaine de la théologie, de la liturgie et de l’art sacré, architecture, peinture, littérature, poésie, chant, etc. et dans plusieurs de ces domaines l’impulsion romaine laissera une empreinte déterminante.

Constantin a une éducation occidentale par son père, Constance Chlore, préfet des Gaules (puis empereur, mort assez symboliquement à York, en Grande Bretagne). Ce centrage gallo-romain a son importance car la grande culture lettrée latine à la fin du IIIe s. et au IVe s. est beaucoup gallo-romaine justement : « A cette époque la Gaule avec sa nouvelle capitale Trèves prend la tête de l’Occident latin »[3]. S’appuyant sur les universités, en particulier celles de Bordeaux et d’Autun, « ce renouveau de la culture latine dans la Gaule du IVe s. est un fait remarquable »[4]. « On peut dire que l’histoire du monde (occidental) se concentrait sur les rives du Rhin et de la Moselle »[5], et Trèves (Trier, aujourd’hui en Allemagne) capitale de l’Empire, comme une seconde Rome, grâce à Constance et Constantin, puis aux empereurs Valentinien et Gratien, a un rayonnement très important. Au IVe s., S. Jérôme, Lactance y ont séjourné et Athanase, évêque d’Alexandrie, chassé par le mouvement arianiste, séjourne deux ans (335-337) dans la capitale lointaine. Les poètes et rhéteurs des Gaules sont partout, en particulier à Rome, puis Constantinople ; l’empereur Valentinien, chrétien, choisit le poète Ausone comme maître pour son fils Gratien, futur empereur (mort en 383) et, par ailleurs, disciple de S. Ambroise. Les Gaules ont été une terre relativement favorable au christianisme depuis Constance Chlore qui, au tout début du IVe s., notons le bien, n’appliqua pas les édits de Dioclétien contre les chrétiens ; cette atmosphère de tolérance et d’ouverture au christianisme a certainement influencé Constantin, puis par le fait impérial Constantinople et l’Orient.

Il est très remarquable et symbolique aussi que l’emblème chrétien de Constantin, le labarum au chrisme en croix décussée (en X), provenant de sa vision qui eut lieu en 310 dans un temple d’Apollon en Gaule, est aussi un symbole gaulois[6] ; christianisé pour la postérité, un peu plus tard, par Eusèbe et sa formule « Par ce signe tu vaincras », on en retrouve la réminiscence décisive et l’accomplissement dans l’invention et le culte des reliques de la Sainte Croix, en 326, par sainte Hélène, mère de Constantin. Ainsi le monogramme du Christ, le chiisme chrétien a son origine en Gaule et le culte de la représentation imagée de la croix vient d’Occident où, d’ailleurs, celle-ci a toujours été beaucoup plus représentée et populaire. L’origine de ce culte d’un symbole majeur, s’il en est, de la culture chrétienne devait être rappelée ici en premier lieu.

Lorsque Constantin établit la nouvelle Byzance en fondant Constantinople il est accompagné naturellement de ses conseillers, rhéteurs, lettrés, architectes, peintres, etc., de sa tradition occidentale qui est dominante. Que celle-ci ait reçu par ailleurs des influences d’Orient est certain, mais l’impulsion initiale, fondatrice de l’Empire byzantin est latine ; prépondérante jusqu’à la fin du VIe s. elle marque de son empreinte une part importante de la culture chrétienne.

En Architecture

L’exemple sans doute le plus important et significatif de la primauté occidentale et de son influence est celui de l’architecture religieuse. Les maîtres de l’architecture au IVe s, et depuis longtemps, sont romains : et c’est ce génie de la construction qui va couvrir l’Occident et l’Orient chrétien d’églises souvent très remarquables.

Quels sont en effet les modèles principaux des églises ? En particulier d’où viennent les modèles de la coupole, des voûtes et de l’abside ? Ces modèles sont romains : pour la basilique chrétienne, d’une façon générale, celui de la basilique de Maxence et Constantin et des autres grandes basiliques à Rome (Saint-Jean de Latran, Saint-Pierre) au début du IVe s., pour les voûtes celui des thermes qui furent parfois de véritables palais, pour l’abside celui des martyria des cultes funéraires[7] et pour la maîtrise de la coupole celui, unique, du dôme du Panthéon de Rome.

Construite à la fin du 1er s. avant J. C. et reprise au début du IIe s. après J. C. cette grande coupole antique qui a maintenant près de deux mille ans n’a pas bougé d’une pierre ; il y a là une maîtrise architecturale insurpassée et rien d’équivalent au monde. Dédié au Dieu universel ce monument est le premier édifice religieux où le système de la voûte est utilisé de façon majeure, et ici magistrale, dans la réalisation d’une coupole. Reprise par Constantin pour le Saint-Sépulcre de Jérusalem, la basilique Sainte-Sophie[8] à Constantinople et d’autres églises, cette conception avec le modèle basilical (en Occident) donnera le modèle universel non seulement chrétien mais aussi pour la mosquée : l’Islam naissant n’avait évidemment aucune expérience de telles constructions de pierre et ses premiers architectes étaient des chrétiens byzantins formés à l’origine par la tradition occidentale. Enfin, puisque Moscou figure dans le beau titre trinitaire du Colloque, n’oublions pas les fameuses coupoles bleues, vertes ou dorées qui embellissaient les villes et le paysage russe ancien et que l’on restaure partiellement aujourd’hui, du moins celles qui n’ont pas été détruites : elles sont des arrières petites-filles, par Byzance, l’Occident et l’Orient, de la coupole de la Rome antique (le mot coupole en russe est le même mot, d’origine latine).

Là sont aussi les bases de l’Art roman qui excelle dans l’art des voûtes, de leurs croisées, des absides et demi-coupoles. C’est dans ce qu’étaient devenues les Gaules à l’époque carolingienne, puis préromane, et renouant avec les modèles anciens que naîtra l’essor nouveau diffusant vers le sud, le nord et l’est, influençant jusqu’à la Russie, par la Suède d’une part et par Kiev – qui reçoit aussi l’influence byzantine – de l’autre. Avec cette architecture est venu en Russie l’art du chant dans la résonance des édifices. On retrouve en effet dans de nombreuses églises (Novgorod, Vladimir, …) la tradition des pots acoustiques dont la fonction est d’amplifier ou d’équilibrer la résonance et dont l’introduction dans les églises remonte aux temps romains[9]. C’est cependant l’art roman occidental qui saura porter l’art de la résonance à la perfection et en Russie je verrai plutôt une influence romane.

Bien sûr toutes ces influences ne sont pas linéaires, il y a un va-et-vient des influences culturelles, surtout dans les époques de grande création. Ainsi au VIe s., sous l’empereur Justinien, il y a un retour, venant de Byzance, encore très latine mais déjà avec ses particularités, vers le monde romain, par exemple à Ravenne dans les églises Saint-Vital et Saint-Apollinaire : il ne s’agit pas d’une invention byzantine mais d’une évolution du style à travers la pratique et les écoles protobyzantines. Ainsi la coupole, d’origine, comme nous l’avons vu, typiquement romaine, évoluera principalement en Orient avec un retour vers l’Europe romane (voir par exemple la basilique San Marco, à Venise, et ses nombreuses coupoles).

Il ne faut pas perdre de vue que Rome est la mère de Constantinople et de l’Empire byzantin. Byzance se considère et se nomme romaine politiquement jusqu’au début du IXe s. et culturellement, sans doute, jusqu’au XIIe s. C’est pourquoi le saccage de la ville sainte par les croisés (en 1204) apparaît d’autant plus odieux et irréparable pour les Byzantins : c’est un infanticide. À vrai dire qui nous fait toujours mal.

Les Icônes

S’il y a un sujet où l’opinion est très répandue, pour ne pas dire générale, d’une exclusivité « orthodoxe », ici sous-entendue grecque ou russe, c’est bien celui des icônes. Il y a en effet, depuis une vingtaine d’années une mode occidentale, heureuse, de la découverte de cette tradition, surtout par des reproductions, souvent simplement de papier collé sur bois pour faire « icône », mais aussi d’ateliers de véritable peinture, avec pour modèle dominant celui de l’icône russe perçue comme moins austère. Mais les sources antiques de cet art, même dans des livres spécialisés, sont trop souvent méconnues.

En Occident depuis longtemps cette tradition de peinture et de vénération a disparu, se transformant à la fin du Moyen Âge, puis à la Renaissance, en art de plus en plus profane dans ses fondements alors même que les sujets de peinture restent religieux. Cependant la situation est très différente si l’on remonte aux temps de l’Antiquité chrétienne. La réalité est là aussi très nette : s’il a des origines grecques et égyptiennes le grand art de la mosaïque et de la peinture, en particulier pour le portrait funéraire, est au IVe s. surtout occidental quant à la technique et à l’inspiration. Les premières figures chrétiennes sont occidentales et, bien plus : tous les prototypes des icônes classiques majeures (le Christ Sauveur, le Christ sur le trône, la Cène, la Vierge à l’Enfant, la Vierge orante, la Nativité…,) se trouvent en Occident et surtout à Rome, des catacombes du IIe s. aux mosaïques de Sainte-Pudenziana (vers 400) et celles de Sainte-Marie-Majeure (début du Ve s.). Les données essentielles de l’iconographie chrétienne sont donc romaines et antérieures à la deuxième moitié du Ve s. Un siècle plus tard, avant même la fin du VIe s., avec sans doute le retour oriental, on peut dire que la tradition, comme pour l’architecture, a fixé les canons principaux : le reste sera une question de style, d’approfondissement et de maîtrise de ces canons antiques.

En particulier l’auréole chrétienne est aussi d’origine romaine. Suggérée peut-être sur quelque fresque de catacombes, marquée en rayons solaires sur le Christ-Helios de la chambre funéraire des Julii (début IVe s.), elle apparaît en tant que telle dans les représentations impériales, notamment autour de la tête de Constance II (fils de Constantin et, par ailleurs, arien : c’est lui qui condamna Athanase) représenté en cavalier[10] (vers 350) et surtout autour de celle de l’empereur Théodose en gloire, assis sur le trône (préfigurant tout à fait l’image analogue du Christ) et autour de celle de son fils dans la même attitude, en 388[11]. Vers la même époque l’auréole apparaît sur la tête du Christ et, plus tard seulement, de la Vierge et des saints (à Sainte-Marie-Majeure, vers 430, la Vierge n’a pas encore d’auréole tandis que les anges en ont).

La peinture d’icône proprement dite, c’est-à-dire sur bois, était en Occident fort répandue. Les églises, occidentales comme orientales, étaient très décorées, en particulier en Gaules dès le Ve s. les vastes Eglises de Lyon, Vienne, Trèves, Tours, Poitiers, Paris, etc. Architecture, sculpture, mosaïques, fresques et icônes, lumière, encens, chant et, spécificité semble-t-il occidentale, inscriptions ou poèmes écrits sur les murs de l’église en lettres dorées, tout contribue à la louange. Sidoine Apollinaire, en Gaule, conscient de cette beauté et fier en cela de son temps (Ve s.) écrit « aujourd’hui l’Académie de Platon loue le Christ »[12]. À Rome au VIIe s. les icônes sont si nombreuses que S. Benoît Biscop en emmène des charrettes entières dans son monastère de Jarrow en Grande Bretagne, comme le raconte Bède le Vénérable. En fait, au VIIIe et IXe s. la situation est inverse de celle que nous connaissons : c’est Rome qui, contre Byzance et l’iconoclasme, prit la défense des icônes et de leur vénération, invoquant pour cela la tradition ancienne et constante. La vénération des images et des statues est évidemment générale et préchrétienne ; il y eut en Occident comme en Orient une christianisation d’un usage antique universel.

Les icônes ont néanmoins disparu d’Occident. À cela il y a deux raisons majeures. La première est une conséquence paradoxale indirecte de la querelle iconoclaste. Tandis qu’au VIIIe s., d’un côté, Byzance interdisait et détruisait les images et, de l’autre, Rome les défendait, Charlemagne, à la fin du siècle, décida (Libri Carolini) de prendre une position d’arbitre, une position qui se voulait indépendante et mesurée : oui, mais. Les réserves portant, bien sûr, sur le danger d’idolâtrie que peut représenter la vénération des images. Dans l’Orient byzantin la pratique des icônes reprit un peu plus tard (après 843) et fut finalement très encouragée, comme symbole de l’Orthodoxie « triomphante », tandis qu’en Occident c’est le mais et les réserves carolingiennes qui sont restées et, par la puissance impériale européenne nouvelle, se sont imposées. Ainsi la pratique occidentale a été freinée ; en particulier ce qui pouvait donner lieu à un semblant d’idolâtrie (par exemple embrasser les images). C’est pourquoi les fresques sont à hauteur en général inaccessible, sauf éventuellement dans l’abside où le peuple n’a pas accès. Enfin, la deuxième raison de la disparition est naturelle et toute simple : la peinture des icônes dans le sens strict d’art sacré et non seulement religieux[13] s’est, dans l’évolution occidentale, progressivement relâchée : des icônes on passe à la peinture dite « primitive », puis à la Renaissance. Cependant une grande partie de cette peinture du XIIIe – XIVe s., en particulier de Cavallini, Cimabue, Giotto, Martini, se rattache tout à fait aux icônes, et de nombreuses peintures de Fra Angelico au XIVe s. sont des icônes, comme le sont par exemple la plupart des peintures romanes de Catalogne. Ceci pour ne considérer que les peintures sur bois ; par ailleurs l’art des fresques, de façon continue et se répandant dans toute l’Europe occidentale à l’époque romane et après, donne une haute idée de la maîtrise occidentale de l’art sacré.

A part quelques icônes du VIe s. des écoles égyptiennes (en particulier celles du monastère Sainte-Catherine au Sinaï, dont la fameuse icône de S. Pierre qui est de style romain), l’icône sur bois la plus ancienne qui ait été conservée est – ô symbole extraordinaire – romaine, de la fin du VIIe ou du début du VIIIe s., la Vierge à l’Enfant, entourée de deux anges, de S. Maria in Transtevere à Rome[14]. Partout le temps a fait son œuvre sur le bois périssable, la malveillance humaine aussi et à Byzance l’iconoclasme : il y a très peu d’icônes antérieures au XIe s.

Mais il faut mentionner dans la tradition occidentale antique d’art sacré la spécificité extraordinaire irlandaise dès le VIIe s. Les grandes croix de pierre ornées ; la maîtrise absolue de l’entrelacs non seulement ornemental mais, en pleine page ou sur pierre, représentant le souffle divin ; les manuscrits enluminés du VIIIe s. parmi les plus beaux qui soient, aux Christ et aux saints dans un style marqué toujours par le mouvement de l’entrelacs et de la spirale. Cet art, qui donne une des composantes romanes, va influencer, par l’intermédiaire des Vikings et de la Suède, jusqu’à la Russie du Nord. Enfin l’Irlande nous a donné, à la fin du Vile ou au début du Ville s., une des œuvres d’art sacré les plus fortes de tous les temps, le Christ en croix et en gloire, plaque de bronze ajouré de Rinnagan (Irlande), où le lieu du cœur et l’auréole sont marqués, comme révélant l’anatomie spirituelle invisible du Christ, par les triples spirales celtiques[15].

Enfin l’Occident a préservé depuis l’Antiquité chrétienne l’art sacré statuaire – disparu d’Orient pour les raisons iconoclastes et que l’Orthodoxie triomphante au IXe s. ne prendra pas sur elle de restaurer. Certaines statues ont été vénérées de façon continue jusqu’à nos jours. Mentionnons les Vierges noires à l’Enfant, dont celle de la Cathédrale de Chartres, dont on change les vêtements suivant le temps liturgique, et qui à cause de la vénération, notons-le, est placée en hauteur sur un pilier : les dévots en sont donc réduits à embrasser le pilier. Une telle pratique n’aurait pas été tolérée par l’Orthodoxie conventionnelle : idolâtrie – l’argument même des iconoclastes et plus tard des protestants. Signalons toutefois que la Vierge de Lourdes a été reconnue récemment par une autorité orthodoxe.

Le chant

Quoique infondé c’est presque un lieu commun que de parler de l’origine orientale du chant « grégorien »[16]. Appellation d’ailleurs relativement récente et trompeuse car de même que pour les autres arts, mais combien plus en ce qui concerne l’oralité, il y a suivant les régions et les provinces une diversité et une richesse remarquables qui n’ont rien à voir avec l’idée d’un centre unique de création et de diffusion. Il faut, en fait, parler de chant chrétien occidental antique, avec les traditions d’Italie du Sud, de Rome, de Milan, d’Aquilée, d’Espagne, des diverses provinces des Gaules, de Grande Bretagne et, à partir du VIe s., d’Irlande. Les traditions d’Aquitaine, des Gaules du Nord-Est, de Milan et de Rome nous sont assez bien connues et surtout les deux premières dont est issu en grande partie, justement, le chant dit « grégorien »[17].

Le chant des Gaules a fait l’admiration de l’Antiquité et, pour l’époque chrétienne, dès le IVe s. les témoignages sont très nombreux sur la richesse de cette tradition. Au Ve s. bien avant Grégoire le Grand (mort en 604), Claudien Mamert organise à Marseille des classes de chant d’église où il enseigne. Ce chant est, pour le répertoire très important des chantres solistes et des célébrants, aussi orné que le sont les églises. Imaginer que Rome ou les Gaules chrétiennes du IVe ou du Ve s. ont dû attendre des maîtres venus d’Orient pour apprendre le chant est une absurdité, comme ce le serait pour l’architecture, les lettres ou la mosaïque. La tradition du chant des Gaules a subi moins d’influences que celle d’Italie, en particulier celle de Rome. À Rome, comme on sait, beaucoup de papes ont été grecs, mais inversement il y avait des latins à Constantinople : on chante donc parfois en grec au Latran mais aussi en latin à Constantinople, où les premières liturgies ont été latines et sans doute l’art oratoire et le chant occidental ont donné une impulsion à l’origine du chant byzantin. Le grand traité de musique de l’époque est latin, celui de Boèce (mort en 525) qui reprend, bien sûr, la théorie grecque antique (voir plus loin).

Deux spécificités occidentales sont à retenir. La première, majeure, est l’élaboration dans les Gaules carolingiennes au IXe s. d’un système de notation à la fois analytique et précis qui n’a pas, à l’époque, d’équivalent en Orient. Notation qui, complétée à la fin du Xe s., en Aquitaine, nous permet de bien connaître ce chant, fixé à la fin du VIIIe s., noté du IXe au XIe, mais formé essentiellement du IVe au début du VIIe s., dans les Gaules du Nord-Est et d’Aquitaine et à Rome, pour le répertoire majeur qui nous reste. Cette notation permet de connaître ce chant et de l’interpréter y compris dans son ornementation très riche ; il y a bien sûr un grand travail d’archéologie musicale, de paléographie, et d’interprétation comparées, en particulier justement avec les traditions chrétiennes d’Orient, nécessaire pour progresser dans la compréhension et l’interprétation de ce chant d’une époque de grande tradition orale si éloignée de la nôtre. Mais la notation du IXe s. donne une base très solide.

Cette notation qui s’élabore du IXe au XIe s. nous permet donc d’approcher de façon approfondie le chant de l’antiquité chrétienne et ainsi d’une certaine façon le grand chant de l’Antiquité. L’équivalent byzantin de cette notation est beaucoup plus tardif et bien plus compliqué, il ne peut être vraiment rattaché à l’Antiquité chrétienne[18]. En fait il n’y a rien d’équivalent au monde, et c’est de la notation aquitaine du XIe s. qu’est née la notation moderne, à vocation mondiale.

Une autre spécificité occidentale est le chant de l’Alléluia. Les alléluias dont le mélisme sans fin sur le a se déroule dans les campagnes, les vignobles, les rivières (chants des rameurs) sont attestés dès le IVe s. Le plus long alleluia qui nous soit resté dans certains manuscrits du IXe, le grand Cantate Domino canticum novum (il y a aussi une version courte), avec ses deux versets dure dix minutes[19]. Rien de semblable nulle part ailleurs. Ni dans la tradition juive (le mot, bien sûr, vient du Halleluia hébraïque qui n’est pas particulièrement chanté), ni dans la tradition chrétienne orientale. Dans les manuscrits byzantins le chant de l’alleluia, qui est de dimension modeste, n’apparaît pas avant le XIVe s. Dans le chant russe qui reprend des usages byzantins du IXe au XIe s., le chant de l’alléluia est rare et modeste.

Cette particularité occidentale du chant de l’alléluia est confirmée par le fait que le mot aleluia dans la langue roumaine ancienne a une origine latine et non grecque. Dans la richissime tradition orale de Roumanie on chantait à Noël les lerui, c’est-à-dire (A)lerui(a), qui provient d’Alleluia dans l’évolution du 1 (prononcé en retrait) au r, des mots d’origine latine, en roumain (ex. mola –> mora, la meule). Les mots d’origine grecque ont une évolution différente. Dans la liturgie roumaine actuelle le mot est évidement alléluia provenant de la tradition orthodoxe slavonne et grecque[20].

Sur l’influence byzantine

S’il y a par contre une spécificité grecque, c’est depuis l’Antiquité et de façon générale, la théorie. Pythagoricienne, platonicienne et aristotélicienne, philosophique, artistique en particulier musicale, ou scientifique, elle a influencé le monde juif, chrétien, islamique et jusqu’à l’Inde ancienne (par exemple dans l’art bouddhique de Gandhara jusqu’au Ve s.)[21]. Par la vocation mondiale de la culture occidentale cette influence d’une certaine façon est encore vivante aujourd’hui.

Avec un moment essentiellement byzantin : la préservation d’une partie de cette culture grecque antique jusqu’au Moyen Âge et sa (re)transmission à l’Islam et surtout, renouvelée, à l’Occident, qui en est de son côté imprégné à travers la culture romaine, et qui saura justement lui donner, à partir du XIIe s., une vocation universelle et finalement moderne. Il faut rappeler que s’il y a parfois au XIe et XIIe s. une transmission directe de la culture grecque vers l’Occident par l’Islam, celui-ci a évidemment puisé dans le trésor préservé par Byzance que l’expansion même de l’Islam en Méditerranée a coupée en grande partie, de l’Occident à partir de la fin du VIIIe s. L’influence de la culture byzantine sur la culture islamique et orientale en général est évidemment très importante, comme on l’a vu pour l’architecture, mais ce point ne sera pas abordé ici.

Le vocabulaire théologique à partir du IVe s. est spécifiquement grec, héritier de la philosophie antique ; vocabulaire revivifié dans la perspective chrétienne et que la tradition latine parfois a du mal à reformuler (on reste perplexe devant certaines traductions, par exemple le panem quotidianum du Notre-Père pour pain substantiel, en grec arton hyperousion). La théorie grecque est d’autre part reprise et connue par les traités d’auteurs latins ; le seul traité d’architecture antique est celui, latin, de Vitruve et le traité majeur de l’Antiquité finissante sur la musique est celui du romain Boèce qui sera repris sans cesse ultérieurement, malheureusement mutilé de quelques pages. La terminologie musicale théorique carolingienne au IXe s. est grecque en partie, ce qui n’implique pas d’ailleurs qu’elle soit byzantine.

Dans l’architecture et en peinture l’influence byzantine a été longtemps surfaite par méconnais-sance de l’art chrétien occidental antique, que ce soit du Bas-Empire, des temps mérovingiens ou carolingiens, en Italie, en Gaules ou en Espagne. En fait d’influence, en Occident, il s’agira généralement d’un retour ponctuel, mais parfois notoire, de techniques romaines et occidentales initiales du IVe au VIe s., préservées et développées par la culture byzantine et, éventuellement, délaissées en Occident. Mentionnons encore la basilique à coupoles, San Marco de Venise (XIe – XIIe s.), l’influence byzantine en Italie du Sud et, ponctuelle, sur la cathédrale Saint-Front à Périgueux (en croix grecque, à cinq coupoles, du XIIe s.). Les modèles des peintres du XIIIe et XIVe italiens, par exemple, n’ont pas besoin, d’être byzantins : comme on l’a vu les fresques, les mosaïques et, sans doute, les icônes que l’on pouvait voir en France et en Italie étaient alors très riches et très nombreuses. Ceci ne minimise pas, bien sûr, l’extraordinaire apport byzantin, par exemple du XIIe s., dans l’art de l’icône en général.

Malheureusement les échanges, si naturels dans l’Antiquité chrétienne entre l’Occident et l’Orient chrétien ont été, comme on sait, rendus difficiles dès la fin du VIIIe s. par l’émergence de l’Islam, pour disparaître finalement après la chute de Constantinople[22].

Il nous faut évoquer ce problème majeur. L’Orient chrétien a eu la lourde tâche de contenir pendant des siècles l’invasion de l’Islam au péril de son existence même. Il y a évidemment beaucoup à méditer sur cela. Mais Byzance a souvent eu un mitre ennemi : lui-même. Les querelles théologiques ont été incessantes. On disait au VIIe s. que « là où il y a dix Byzantins il y a onze opinions différentes ». Querelles sur la nature de la Trinité, du Fils ou sur la Mère de Dieu. Sur les images, au VIIIe et IXe s., quand l’Islam est aux portes de Byzance. Ces querelles étaient destructrices et sanglantes. Les querelles sur la personne du Christ remontent à Jésus lui‑même, mais sur Marie qui est le don total de soi dans l’effacement et le silence, c’était trop : on ne tue et ne condamne pas au nom de Marie. Avec la condamnation du christianisme nestorien, qui a diffusé jusqu’en Chine, l’Orient chrétien à la fin du Ve s. s’est cassé en deux. C’est une tragédie aux conséquences immenses. L’émergence de l’Islam, outre son génie et sa révélation propre, est venue de là, dans l’opposition à ces querelles byzantines que l’Islam conteste. Son credo fondateur est « Il n’y a de Dieu que Dieu », en réponse, et c’est certainement la meilleure réponse, aux dissensions chrétiennes sur Dieu le Père, sur le Fils, sur la Mère et le Saint-Esprit. Devant ces querelles et la haine suscitée on se demande mais où est l’Amour du Christ dans tout cela ? L’Égypte a d’abord accueilli l’Islam en libérateur de l’oppression théologique, et par là même, politique, byzantine.

Ces dissensions théologiques et ecclésiastiques sont un travers de l’Orthodoxie. Bien sûr l’Occident a eu aussi ses querelles et ses guerres religieuses : la crise majeure qu’ont représenté la Réforme et le Protestantisme. Mais les raisons étaient profondes, spirituelles, morales et sociales. À Byzance ce qui surprend c’est la multiplicité des querelles et la disproportion entre les motifs et les conséquences[23].

Ces considérations ne peuvent être esquivées dans une réflexion sur le rapport Orient-Occident chrétien ; l’invasion islamique a évidemment rompu l’harmonie entre les deux grandes composantes chrétiennes sur fond de dissensions intérieures byzantines et puis de cette rupture même et des dissensions réciproques qui en ont résulté. Dans la mesure où les dissensions ecclésiastiques orthodoxes sont d’actualité encore aujourd’hui et où le problème de l’unité des chrétiens est toujours en souffrance, il y a pour l’avenir beaucoup à méditer sur cela. Paradoxalement c’est le christianisme, religion par excellence de l’Amour, qui s’est, dans l’Histoire, le plus déchiré. Sans doute à cause de sa très grande richesse, peut-être même sa complexité théologique, dogmatique, liturgique, etc., héritée de toutes les cultures et traditions antiques qui sont venues « revêtir le Christ » et que son Amour a accueillies. Il reste que c’est pour les chrétiens que les querelles et la haine sont le péché le plus grand, vis-à-vis de Celui qui nous a dit « aimez vos ennemis » et qui est toujours le persécuté.

La séparation et l’isolement de l’Orthodoxie qui ont suivi la chute de Constantinople ont, par contre, peut-être des retombées bénéfiques aujourd’hui pour l’Occident : l’apport des traditions orthodoxes et chrétiennes d’Orient, syriaques, chaldéennes, nestoriennes, coptes, etc., en ce qu’elles ont préservé de la tradition antique jusqu’aujourd’hui et que l’Occident a perdu.

L’Orthodoxie occidentale

Avant d’aborder la situation actuelle et pour conclure sur l’importance de l’influence occidentale chrétienne antique, dans une perspective actuelle justement, il faut insister sur le fait qu’il n’y avait pas, jusqu’à la fin du Xe s. en tout cas, de différence dogmatique et théologique entre Rome et Constantinople. L’une et l’autre sont évidemment catholiques et orthodoxes, sauf divergences épisodiques, comme pour l’iconoclasme. Une chose est claire : Rome est alors capitale de l’Orthodoxie. Il faut insister sur ce point.

On a trop tendance, en effet, à réduire l’Orthodoxie et les usages orthodoxes aux seules Églises grecque et russe, oubliant la notion d’Orthodoxie occidentale qui est évidemment essentielle. En particulier la liturgie et la messe romaine ancienne, avant l’introduction du Filioque carolingien qui n’apparaît pas à Rome avant le XIe s., sont tout à fait orthodoxes ; il ne serait venu à personne l’idée d’imaginer la question car Rome et l’Occident sont en grande partie à l’origine même de l’Orthodoxie.

Prenons encore l’exemple du signe de croix : souvent les orthodoxes russes et grecs, avec une certaine présomption, considèrent que le signe de croix à la façon catholique occidentale (marquant la gauche avant la droite) n’est pas « orthodoxe » (les grecs comme les russes commencent à droite). Mais le signe à l’occidental est parfaitement orthodoxe aussi, car ce fut l’usage orthodoxe en Occident, usage qui remonte aux origines. Signalons à ce propos que la façon copte de faire le signe de croix est la même que l’occidentale. En fait la droite précède la gauche, mais tout dépend si l’on fait le signe sur soi (façon grecque et russe : introvertie), ou devant soi, éventuellement sur l’autre dont la droite est à gauche de celui qui fait le signe (origine de la manière occidentale, à la façon de celui qui bénit, du prêtre : extravertie).

De même, l’Eglise occidentale sans l’iconostase est tout à fait orthodoxe. En fait, Rome a préservé l’usage et l’esprit évangélique du sacrifice et du repas eucharistique devant toute l’assemblée. L’iconostase est au contraire et paradoxalement une survivance du culte impérial et du temple romain : les icônes ont remplacé les statues des niches, la disposition est tout à fait analogue aux édicules ou à l’entrée de l’adyton introduisant à la maison du dieu dont l’accès et la vision ne sont permis qu’aux prêtres (par exemple dans le Temple de Bacchus à Baalbek au Liban, du IIe s.). Là aussi la solution orthodoxe occidentale est ouverte par rapport à celle plus fermée de l’iconostase.

Mentionnons aussi la pratique chrétienne antique qui veut que l’assemblée des fidèles chante et réponde aux célébrants : amen, kyrie eleison… L’orthodoxie grecque et russe, dans un souci de perfection sans doute, a confié tout au chœur qui répond seul. Ce qui est parfaitement ridicule lorsque le prêtre dit « Paix à tous » et le peuple se tait tandis que le chœur répond « Et à ton esprit ». Le peuple ne doit pas voir l’autel ni le saint des saints et doit rester tout le temps silencieux. Nous avons là aussi un exemple de l’introversion impériale et cléricale, dans la liturgie orthodoxe héritée de Byzance. La pratique orthodoxe occidentale avait, sur ce point aussi, mieux préservé les usages évangéliques des origines.

On pourrait multiplier les exemples sur les usages différents dans l’Orthodoxie orientale et l’occidentale ; d’un autre côté l’Orthodoxie d’Orient a évidemment préservé, comme on le verra plus loin, tant de choses que le catholicisme d’aujourd’hui a perdu, mais il importe de comprendre que la tradition orthodoxe – au sens véritable du mot – a été (et donc est) très riche, permettant des usages multiples. Lorsqu’on parle actuellement d’Orthodoxie il faut donc préciser s’il s’agit d’un usage russe, grec, ou autre[24]. En particulier il est très important, pour l’avenir, de réintroduire la notion d’Orthodoxie occidentale et d’en réhabiliter les usages dans le cadre orthodoxe. Ce n’est pas parce que Rome n’est pas aujourd’hui orthodoxe que certains de ses usages, et surtout tous les anciens, ne le sont pas. En vérité il n’y pas d’Orthodoxie sans Orthodoxie occidentale[25].

Christianisme d’Orient et d’Occident aujourd’hui

Dans notre monde qui se déspiritualise, d’une façon générale en Occident ou en Orient (le fanatisme n’étant certes pas le signe d’un bon état spirituel), que ce soit dans l’Hindouisme, le Bouddhisme, la religion juive ou islamique, c’est le Christianisme surtout qui est en avance – si l’on peut dire – dans cette récession ou, en ce qui le concerne, cette dégringolade.

En France, par exemple, un minuscule pourcentage seulement de la jeunesse a une petite connaissance de ce qu’est le christianisme et encore moins une connaissance des Évangiles[26].

1) Ce que l’Orthodoxie et le christianisme d’Orient peuvent apporter

Une des raisons majeures de cette désaffection, souvent exprimée par les fidèles qui désertent les églises, est que le christianisme occidental a perdu depuis longtemps le sens, la pratique, mais surtout les fondements mêmes de ce que sont la liturgie, l’art sacré et la contemplation qui s’y rapportent, dans une incompréhension de ces notions fondées sur un rapport actif et fort avec le monde invisible. Il en résulte aussi, évidemment, une quasi disparition de l’approche mystique qui, par la loi du vide est occupée par les modes, mais peut-être même un peu plus que cela, des pratiques orientales (non chrétiennes) dans lesquelles cette dimension est, sans doute, encore vivante.

Pour dire les choses crûment : la plupart des liturgies catholiques[27], même cathédrales, sont nulles. Vides de beauté, de contemplation, de mystère, qu’apportent les vraies célébrations et l’art sacré liturgique au sens fort de cette notion[28]. Architecture, icônes, lumières, encens, saveur du pain et du vin et surtout chant sacré – au sens précis du terme – doivent contribuer, par tous les sens, à aider à rentrer dans un état de conscience plus profond où un peu du mystère divin peut se révéler à l’âme au-delà des mots. Dans les liturgies occidentales actuelles, à de rares exceptions près, il n’y a plus rien qui s’adresse à l’âme ; le niveau est exclusivement intellectuel et l’ennui se voit sur les visages, des prêtres aussi bien. Les chants, en particulier, sont désastreux et ne touchent pas, loin de là, la conscience profonde ni par la facture ni par l’interprétation ; d’un niveau plus que médiocre musicalement et, trop souvent, textuellement aussi, ils restent profanes, religieux seulement par les mots, insignifiants quant à l’âme et au rapport avec l’invisible. Enfin il n’y a aucune célébration véritable, mais trop souvent un esprit d’animation, d’où il résulte que tout le monde s’ennuie car, bien sûr, ce n’est pas cela que l’on est venu chercher. Le mot âme est généralement incompris et évité : on a choisi avant la communion de faire dire par le ou la fidèle s’adressant au Seigneur, « mais dis seulement une parole afin que je sois guéri(e) » au lieu de « que mon âme soit guérie » de toutes les traditions y compris, bien sûr, la catholique ancienne[29]. C’est peu de choses peut-être, mais c’est très révélateur.

Le drame c’est que les prêtres n’ont aucune formation et l’Église catholique dans son ensemble n’a aucune conscience sur ce qui se passe réellement tant l’incompréhension et l’ignorance du monde liturgique contemplatif se sont installés. Et ceux qui sont conscients de cette nullité n’ont aucune idée sur ce qu’il faut faire ; on met quelques reproductions d’icônes, on se réfugie dans des lieux communs « il faut revenir au latin » ou « il faudrait avoir une chorale » ; mais pour chanter quoi et comment ? Quant à l’architecture des églises récentes, elle est consternante ; il n’y a aucune réflexion sur l’architecture sacrée, sur ce que cela veut dire, sur ce que cela a impliqué dans les mille six cent ans d’architecture chrétienne traditionnelle, alors que l’on a aujourd’hui accès à tant de connaissances et d’information ; mais le rapport au monde invisible, au monde divin intérieur ne signifie plus rien et l’on est fier des salles polyvalentes que l’on nomme églises ou même, récemment, cathédrales.

Or l’Orthodoxie a préservé la liturgie, l’art sacré, la célébration, du moins en grande partie. Avec toutefois une décadence sensible en Russie et en Grèce aussi. La tradition orale s’est, en Russie, en partie perdue dans le chant et la célébration ; le microphone s’est introduit dans les églises grecques sans discernement aucun ; le niveau culturel, dans le sens même de l’art sacré, des prêtres et des évêques est en général très bas. Cependant les Églises d’Occident ont tout à réapprendre des Églises orthodoxes, afin non pas de copier mais de renouer avec leurs propres racines et traditions perdues, orthodoxes occidentales, tradition richissimes et multiples et qui s’étant, par ailleurs, adaptées à tant de langues anciennes peuvent, – mais c’est un travail à la fois inspiré et savant, – s’adapter parfaitement aux langues modernes. On ne réinvente pas l’art sacré, la célébration ; il y a une tradition spirituelle savante, une tradition de sainteté, auprès de laquelle il faut écouter et apprendre. Et d’abord les fondements.

On trouve actuellement des ateliers de peinture d’icônes, suivant les écoles russes ou grecques, mais aussi de fresques à l’occidentale.

Pour le chant la question est plus délicate car, par exemple, le chant « à la russe » aujourd’hui est celui du XIXe s. ; il y a un problème de gammes et d’échelles antiques et d’intervalles naturels que de rares traditions orales ont préservés (la russe n’est actuellement plus un modèle) et de plus il y a un problème de langue. Pour la célébration et le chant, si l’on veut aborder les choses de façon fondamentale, il faut une approche spécifique[30].

Pour la liturgie, une réflexion approfondie sur ses fondements comme Art sacré par excellence et sur ce que signifie, dans la pratique, le rapport avec le monde invisible est nécessaire. C’est un problème décisif pour un renouveau de la pratique chrétienne occidentale. Les leçons orthodoxes orientales et orthodoxes occidentales sont indispensables.

Il y a aussi la question urgente du mariage des prêtres dans le monde. Là aussi les Églises d’Orient ont conservé l’usage antique qui fut longtemps, bien sûr, l’usage occidental catholique. Rappelons que dans cet usage les prêtres doivent être mariés, à moins de vœux particuliers qui les apparentent à des moines. Pendant les premiers siècles les évêques pouvaient être des prêtres mariés, il y a donc eu des papes mariés. À une époque relativement tardive, cependant, les évêques furent choisis, sauf exception, dans la catégorie des prêtres ayant fait les vœux monastiques. C’est toujours l’usage orthodoxe. Le catholicisme a connu plus d’un millénaire de prêtres mariés et les arguments contre cet usage apostolique sont intenables aujourd’hui. La situation catholique actuelle fausse beaucoup de choses et de vocations, y compris des vocations monastiques : beaucoup de moines aujourd’hui auraient choisi la prêtrise dans le monde s’ils avaient pu être mariés.

Les modèles, les modes de vie, l’esprit des monastères orthodoxes et d’Orient sont évidemment d’un intérêt majeur pour toutes les communautés occidentales. Et sur ce point, sans doute, inversement. Nous n’entrerons pas ici dans plus de détails.

L’apport majeur possible de l’Orthodoxie et du christianisme oriental au christianisme occidental c’est bien aujourd’hui qu’il doit se réaliser.

2) Ce que le christianisme occidental peut donner

Mais si les traditions orthodoxes ont su préserver des usages chrétiens antiques, la pratique et le sens profond de la liturgie, une certaine compréhension de l’art sacré et, sans doute, une certaine rigueur et clarté théologiques, toutes choses que l’Occident a perdues, il y a, inversement, une donnée essentielle que les Églises orthodoxes ont oublié depuis longtemps et que le christianisme occidental a su préserver. Il s’agit de la charité.

C’est une vérité que les orthodoxes ont du mal à reconnaître et l’Église orthodoxe, se considérant d’une certaine façon hors de l’histoire, accepte en général difficilement les critiques. Il leur faut cependant avoir la lucidité et le courage de reconnaître certaines réalités.

Comme on le lit souvent dans les textes, les évêques de l’Antiquité chrétienne étaient souvent amenés à vendre les vases sacrés ou trésors de leur église pour racheter les esclaves et les captifs, suivant l’enseignement « amassez plutôt un trésor dans le ciel » et l’exemple de S. Laurent, « le seul trésor de mon église ce sont les pauvres ». La charité passe avant la vénération des objets des églises. Par contre, pour prendre un exemple étonnant, l’Église russe s’est accommodée du servage de son propre peuple jusqu’en 1861, date de l’abolition par Alexandre II, et il ne semble pas qu’elle se soit sentie concernée par cette décision. On peut bien sûr essayer des explications historiques à cela : quand le servage était en grande partie aboli en Occident (XIIIe s. et XIVe s.) la Russie était sous la lourde domination mongole et, à peine libérée, l’Église s’est déchirée dans le raskol et la condamnation des vieux-croyants. Mais, rappelons-le, pour des raisons d’autorité purement ecclésiastique, à la manière « byzantine », et certainement sans aucune considération de charité, puisque, passions passées, la condamnation a duré de fait jusqu’au début du XXe s. Aucune voix, semble-t-il, ne s’est élevée contre cela, ni contre le servage. A Byzance, l’esclavage, y compris des chrétiens, n’a jamais été aboli.

Ce qui touche au domaine de la charité est volontiers qualifié de politique ou de social, mais le social ne semble pas concerner l’Église.

En Occident aussi, et jusqu’à une période assez récente, l’Église a souvent été du côté du pouvoir conservateur et des « riches ». Mais il y a eu toujours des voix et des mouvements allant vers les pauvres et ce que nous appelons le progrès social : l’Hôtel-Dieu, les hospices et tout le système hospitalier du Moyen Âge, renouvelé, en particulier pour les pauvres, par S. Jean de Dieu, en Espagne au XVIe s. et que l’on considère comme un des initiateurs de l’hôpital moderne, S. Vincent de Paul qui institue au XVIIe s., à Paris, l’Assistance publique pour les enfants et défend l’idée fondamentale et toujours actuelle que la lutte contre la pauvreté est un devoir de l’Etat et pas seulement une question d’aumône. S. Vincent est, on peut dire, à l’origine des fondations et organisations caritatives modernes. Il n’y a pas d’équivalent dans l’Orthodoxie, le chapitre de la charité y est depuis longtemps globalement absent[31]. Dans notre siècle mentionnons le mouvement des prêtres-ouvriers, dénoncé d’abord par Pie XII, mais si évident aujourd’hui et caractéristique du christianisme occidental, et l’action de l’abbé Pierre pour la défense des sans-abris ; notons qu’en plein milieu du XXe s. ce doit être le fait d’un prêtre catholique.

Le christianisme occidental qui a perdu la liturgie, l’art sacré, une certaine conscience de l’approche du mystère et du monde intérieur par le silence et la beauté, aussi sans doute une conscience claire de la théologie, a, par contre, gardé la charité. Aujourd’hui ce sont surtout les organisations caritatives chrétiennes occidentales, catholiques et protestantes, par exemple Caritas International, Terre des Hommes, qui vont secourir toutes les famines et catastrophes de par le monde. Ce n’est d’ailleurs que très récemment que des organisations médicales de caractère laïque sont apparues sur la scène internationale. Mais de mouvements ou même de présence orthodoxes il n’y en a pas.

On remarquera, à juste titre, que l’Orthodoxie a eu ses difficultés propres, puisque son existence même était en jeu. Mais on peut se poser la question : n’y a-t-il pas quelque rapport entre l’absence de la dimension charitable dans l’Église orthodoxe russe et les malheurs qui lui sont arrivés ? L’Église n’a-t-elle pas quelque responsabilité, quelque part, dans la catastrophe qui s’est abattue ? Très symboliquement – et sans précédent dans l’histoire – la charité organisée, l’aurait-on voulu, était impossible en Russie soviétique, car interdite (puisqu’une action en ce sens aurait été, par son existence même, une critique du régime).

Nous avons évoqué le caractère d’introversion de l’Orthodoxie jusque dans l’organisation de l’église et de la liturgie : l’attitude debout, au silence imposé, du peuple tenu éloigné, par l’iconostase, du chœur, de l’autel et de la célébration eucharistique, et même du sens de la lecture par une langue (le slavon d’église) incompréhensible pour les fidèles. Alors que l’évêque reste souvent assis : la liturgie alors semble être surtout pour lui. Ce manque de regard vers l’autre, vers les pauvres, commence déjà là.

Le type de la sainteté occidentale diffère également de l’orthodoxe. Nous avons évoqué les figures de S. Jean de Dieu, S. Vincent de Paul, qui n’ont pas d’équivalent en Russie, par exemple. Mais une figure de femme active, à l’action réformatrice comme sainte Thérèse d’Avila (XVIe s.) est évidemment impensable en Russie. Prenons aussi l’exemple, à la fin du XIVe s., de sainte Catherine de Sienne, une de plus grandes saintes de tous les temps. La béatitude et les états d’extase remarquables qu’elle connaît ne lui suffisent pas ; le Christ lui apparaît et lui dit : « Je suis aussi les pauvres, les malades, les prisonniers ». Et la toute jeune fille ira s’occuper des malades de la peste – de ceux en phase terminale que l’hôpital surchargé ne peut plus garder -, des prisonniers, des mourants et d’un condamné à mort qu’elle va assister, ce qui nous vaut des pages d’une hauteur théologique et spirituelle extraordinaire. En même temps sainte Catherine est un grand maître spirituel de prêtres, moines et même du Pape que d’Avignon elle ramène à Rome. Une telle action dans l’Église russe, de plus par une femme, est inimaginable.

Pour notre temps prenons l’exemple de Mère Teresa. Disciple en cela de sainte Catherine, elle quitte son monastère de Yougoslavie pour s’occuper des mourants dans les rues de Calcutta. Ce qui est très symbolique : dans l’Inde d’aujourd’hui il a fallu que ce soit une femme catholique qui entreprenne une telle action. Si elle avait été orthodoxe, ses supérieurs lui auraient dit : « tu restes dans ton monastère et tu pries ». Aller s’occuper des pauvres, une femme, en Inde !

La tradition orthodoxe a beaucoup à apprendre, à réfléchir, sur cette dimension essentielle du christianisme. Dans les mentalités même, l’action sociale, faute de tradition, n’est pas bien comprise par l’Orthodoxie. Ma famille et moi-même avons bien connu un prêtre remarquable d’une église russe à Paris[32] ; ancien de la Cavalerie du Tsar, remarquable par sa culture, son humanité et son expérience de la vie, sa modestie, la durée de son ministère (près d’une cinquantaine d’années). Il avait lors d’une conversation, dans les années soixante-dix, sur Mère Teresa, beaucoup de réticence à reconnaître l’importance de l’action de celle-ci dans le cadre de l’Église. Tout en reconnaissant son courage et sa grande valeur humaine, il me disait : « mais c’est du social, ce n’est pas le rôle de l’Église ». Un commandement du Christ avait du mal à passer : non pas pour l’homme de cœur, mais pour l’homme d’Église.

Dans le Moscou d’aujourd’hui, au milieu de tant de pauvreté, la première et, semble-t-il, la seule soupe populaire organisée est celle de la mission de Mère Teresa.

Il faut signaler cependant quelques initiatives remarquables, actuellement, dans le monde orthodoxe. En Occident l’Église russe du Patriarcat de Constantinople a organisé une action en faveur des enfants pauvres en Russie. À Moscou, l’action du père Men assassiné (en 1990) continue à l’église Côme et Damien, en particulier pour les enfants malades. Mais il s’agit d’une action très minoritaire. En Grèce actuellement un mouvement caritatif important se dessine. L’Église orthodoxe doit retrouver cette dimension qu’elle a perdue et que l’Occident, pour l’honneur du christianisme occidental, a toujours préservée.

Perspectives

Pour le renouveau de la vitalité et de l’universalité du Christianisme, l’unité, dans la diversité de ses composantes d’Orient et d’Occident est évidemment indispensable. Mais aussi un retour aux racines les plus fondamentales ; les Églises d’Occident et d’Orient peuvent s’aider mutuellement en ce sens. L’Occident qui s’est, sans doute, trop donné dans l’ouverture et le social doit absolument retrouver la signification du mystère et de la liturgie profonde. L’Orthodoxie russe, refermée sur ses mystères et loin du peuple, doit retrouver la dimension de charité. Alors la force du christianisme dans sa beauté et sa charité universelle pourra renaître.

Si l’on peut dire que, pour les Églises d’Occident et d’Orient, le premier millénaire a été celui de l’unité et le deuxième celui de la séparation, le troisième millénaire doit être celui de la réunion et de l’harmonie initiale retrouvée.

[1]. On oppose ainsi souvent un Islam idéalisé, raffiné et mystique (par exemple du XIIIe s.), à un Occident médiéval supposé grossier ou à l’Occident moderne, certes pas très mystique. Ou inversement, on oppose un Christianisme idéal au fanatisme islamique actuel. C’est facile mais, sans doute, tout à fait stérile.

[2]. Pour les icônes et le chant chrétien occidental antique, voir plus loin. Mentionnons ici l’argument classique et rabâché de l’origine « arabe » du chant Flamenco (ou Cante Jondo) ; mais il faut d’abord se demander quelle était la culture et la tradition du chant ibérique ou hispanique avant l’occupation arabo-berbère. De même de cette influence sur le chant des troubadours : on ignore en général la tradition, richissime de chant et de poésie de cette époque et des précédentes, par ailleurs, dans les provinces du Sud-Ouest. Ici encore les traditions occidentales anciennes sont méconnues.

[3]. J. J. HATT, Histoire de la Gaule Romaine, Paris, 1970, p. 237.

[4]. Ibid., p. 253.

[5]. C. JULIAN, Histoire de la Gaule, t.VII, Paris, 1926, p. 248.

[6]. J. J. HATT, « La vision de Constantin et l’origine celtique du labarum », Latomus, t.IX, pp. 427-436.

[7]. Voir A. GRABAR, Martyrium : Recherches sur le culte des reliques et l’art chrétien antique, 2 vol., Paris, 1943-1946.

[8]. La première, incendiée en 532. Reconstruite et agrandie par Justinien au VIe s. : c’est cette basilique à la coupole immense, édifice en tout point remarquable que nous voyons encore aujourd’hui.

[9]. L’invention par contre remonte au théâtre antique grec (par exemple à Epidaure). La référence est dans le traité latin d’architecture de Vitruve (1er s.). Sur la continuité de l’architecture des temps romains du IVe s. jusqu’à l’art roman, consulter A. CORBOZ, Haut Moyen Age, dans la collection Architecture universelle, Fribourg, 1970 ; sur l’architecture romaine : Empire romain de G. PICARD, dans la même collection, 1964.

[10]. Reproduit dans A. GRABAR Les voies de la création en iconographie chrétienne, Paris, 1979, p. 231.

[11]. Gravure sur métal, voir F. VAN DER MEER et CH. MOHRMANN, Atlas de l’Antiquité chrétienne, Paris – Bruxelles, 1960, p. 74. Pour tout ce qui concerne l’Antiquité chrétienne, voir aussi F. CABROL, H. LECLERCQ, H.I. MARROU, Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1908-1953.

[12]. Sidoine Apollinaire, Lettres, IV, 18,4 sur S. Martin de Tours et Lettres, II, 10,3 sur S. Etienne de Lyon„ au Ve s. Pour la citation, Lettres, IX, 9,13, traduction A. Loyen, Paris (Belles Lettres), 1970.

[13]. Voir sur ce point I. REZNIKOFF, « La transcendance, le corps et l’icône dans les fondements de l’art sacré et de la liturgie », Nicée II (787 – 1987), Actes du Colloque Nicée II, Paris, 1986, F. Boespflug et N. Lossky éd., Paris, 1987, pp.375-391. Rappelons que Nicée II a été le Concile qui en 787 rétablit (du moins théoriquement) la vénération des icônes.

[14]. Reproduite dans J. HUBERT, J. PORCHER, W. F. VOLBACH, L’Europe des Invasions, collect. L’Univers des Formes (Gallimard), Paris, 1967, p. 114.

[15]. Musée National d’Irlande (Dublin), R4015. Voir Trésors d’Irlande, catalogue de l’exposition, Grand Palais, Paris, 1982, p. 150.

[16]. C’est l’idée de E. WERNER, The Sacred Bridge, Londres, 1959, pour qui le chant grégorien dérive, en partie par le byzantin, du chant juif synagogal. Mais Werner, très érudit par ailleurs, ne connaît visiblement pas grand chose de la tradition du chant occidental antique, en particulier des Gaules ou d’Italie. Que la liturgie chrétienne soit imprégnée de la tradition synagogale (psaumes, Sanctus, etc.) est évidence ; autre chose est la pratique orale et la manière de chanter, la tradition du chant des Gaules, par exemple, est richissime. Parler d’influences sans la connaître est une erreur méthodologique fondamentale (voir le début de l’article) ; pour Werner l’Occident n’a jamais chanté avant le contact avec l’Orient juif ou chrétien.

[17]. Pour un résumé : I. REZNIKOFF, « Le chant chrétien occidental antique », in Le Grand Atlas des Religions, Paris, 1988. Plus approfondis : I. REZNIKOFF, « Le chant Grégorien et le chant des Gaules », in Actes du Colloque Musique, Littéra­ture et Société au Moyen Âge, Université d’Amiens, mars 1980, Paris (Honoré Champion), 1981, pp. 75-84, et I. REZNIKOFF, « Le chant des Gaules sous les carolingiens », in Haut Moyen Age, Culture, Éducation et Société, Études offertes à P. Riché, M. Sot éd., Paris -(Erasme et Publidix), 1990, pp. 323-342. Voir aussi I. REZNIKOFF, « Le chant occidental antique à la leçon des traditions orales », in Pour une Anthropologie des Voix, N. Revel éd., Paris (Publications Langues O. et L’Harmattan), 1993.

[18]. D’autres traditions, par exemple celle de la musique classique de l’Inde, ont préservé oralement un chant certainement très ancien, mais il n’y a aucune don­née matérielle d’époque ancienne. Pour le chant grec antique on n’a que des fragments de chant essentiellement syllabique. Pour ne pas parler des fragments de traditions plus anciennes dont le déchiffrement est très problématique.

[19]. Écouter Le chant de Fontenay, éd. SM, Paris, 1989 (disque CD).

[20]. Je dois ces renseignements au professeur Cicerone Poghirc, éminent philologue.

[21]. Pour le sinologue anglais Needham la théorie musicale pythagoricienne a même influencé la Chine ancienne ; ceci est évidemment nié par les sinologues chinois. Sans doute la notion élémentaire de consonance et d’harmonie est universelle.

[22]. Le XVIe s. en Italie connaît encore une influence byzantine par les réfugiés grecs, influence qui a certainement marqué la Renaissance.

[23]. De même qu’en Russie les raisons sont surprenantes de la condamnation des vieux-croyants au XVIIe s. : on coupait les mains, déportait et brûlait de bons chrétiens simplement parce qu’ils persistaient à faire le signe de croix à la russe ancienne (la main à la façon du Christ roman bénissant : l’index et le médian vers le haut) et non à la grecque, façon introduite alors. La condamnation qui s’appuyait encore sur deux motifs mineurs, après deux siècles de mépris officiel et de déportations jusqu’en Sibérie, n’a été levée que récemment par le Patriarcat de Moscou.

[24]. Éventuellement de quelle époque. Il y a tant de choses introduites au XVIIe s. et plus tard dans la liturgie russe, par exemple.

[25]. Un travail remarquable de tentative de restauration de la liturgie et de certains rites des Gaules a été accompli par l’évêque Eugraph Kovalevsky (1905-1970). Si l’appellation liturgie de saint Germain de Paris utilisée est certainement abusive, car il y a beaucoup d’autres éléments, ce travail paraît très important pour une réflexion approfondie sur la pratique et la liturgie orthodoxe aujourd’hui, et pas seulement en Occident.

[26]. Moins de cinq pour cent, suivant mes observations personnelles à l’Université de Paris. Alors que près de 30% sont baptisés, très peu, semble-t-il, feront baptiser leurs enfants.

[27]. Et bien sûr protestantes, mais là les choses remontent plus loin. Toutefois certaines Églises luthériennes ont aujourd’hui une remarquable démarche d’approfondissement et de retour à leurs origines liturgiques.

[28]. Voir note 14.

[29]. Il s’agit de la liturgie catholique en français : l’espagnol, l’allemand, ont conservé le mot âme.

[30]. A laquelle l’École de Louange, à Paris, se consacre (11 rue du Parc, 94230 Cachan). Voir I. REZNIKOFF, « Faire revivre la louange », in Terre du ciel, 22, (Lyon) 1994.

[31]. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de personnes à l’action caritative individuelle. Mentionnons la bienheureuse Iouliania (Julienne) au XVIIIe s. en Russie et, en France, avant et pendant la guerre, Mère Marie Skobtsova (1891-1945), que ma famille a, d’ailleurs, connue et considérait, de son vivant, comme une sainte. Voir Mère M. SKOBTSOVA, le Sacrement du Frère, Paris, 1995.

[32]. Le père Alexandre Tourinsev, d’heureuse mémoire, de l’église des Trois Saints Docteurs, à Paris, rattachée au Patriarcat de Moscou.