L’Église Orthodoxe fondée par le Christ lui-même

L’Église Orthodoxe fondÉe par le Christ Lui-mÊme

Eugraph Kovalevsky, évêque Jean de Saint-Denis

Texte d’un cours professé en la paroisse de Lyon le 24 juin 1963.
(Nous avons respecté au mieux le style oral)

Présence Orthodoxe n° 4
2001

L’Église orthodoxe et les autres Églises chrétiennes

Dès que nous disons « les autres Églises chrétiennes », nous voyons immédiatement deux types d’Églises : le type des Églises traditionnelles et épiscopales (romaine, anglicane, vieille-catholique, arménienne, copte, abyssinienne… ) et un autre type, celui des Églises nées postérieurement, qui n’ont pas la succession apostolique, qui ont pris un autre aspect et qu’on appelle les Églises réformées ou évangéliques (luthérienne, calviniste) et d’autres encore qui sont issues de la Réforme (pentecôtiste, baptiste, adventiste… ). Mais avant de poser la question sur « l’Église orthodoxe et les autres Églises chrétiennes », je dois vous dire qu’un jour où je me trouvais à Stuttgart, ayant à parler sur l’unité des Eglises et, ayant du temps (le temps est un grand don de Dieu), je commençai par poser la question : « le chrétien et celui qui ne l’est pas », c’est-à-dire la question de toutes les religions non chrétiennes et de toutes les tendances philosophiques à travers les siècles (platonisme, pythagorisme, stoïcisme, hégélianisme, communisme, etc.). Et comme j’avais le temps, je commençai de calculer un peu naïvement sur combien de points nous sommes d’accord nous, chrétiens orthodoxes, romains, luthériens, anglicans, baptistes, réformés, etc. En 6 heures, j’ai compté 1400 points sur lesquels tous les chrétiens sont totalement d’accord ! Mais, dès que nous sortons du cadre du christianisme, nous trouvons une multitude d’opinions sur les choses essentielles. Quand même, malgré toutes les disputes, les guerres religieuses, l’inquisition, les anathèmes à travers les siècles, avoir 1400 points d’accord !… Je ne peux pas tout énumérer, mais commençons par le commencement : tous sont d’accord que Dieu est seul et unique créateur de l’univers et qu’Il a créé le monde du néant ; tous sont d’accord qu’il n’y a pas préexistence de la matière, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de dualité entre Dieu et le monde ; tous sont d’accord que le monde n’est pas une émanation divine mais qu’il est d’une autre nature que Dieu, qu’Il pose en dehors de Lui par sa volonté, etc. Alors, au cours de la réunion œcuménique qui suivit, je déclarai : « nous sommes saturés de notre unité ».

Quand nous aurons compris que le christianisme présente un phénomène absolument unique dans le monde, qu’entre un homme d’ici, du XXe siècle, et un homme de Syrie, du Ier siècle, avec 2000 ans d’écart entre eux, on n’a pas vraiment l’impression d’un changement, quand nous aurons vu que des millions de gens, même en se disputant, ont tant de points communs, c’est cela qu’avant tout nous devons poser devant la conscience universelle. Nos discussions, qui sont violentes (car ce n’est pas assez souligné : on ne doit pas non plus camoufler les différences) prennent leur valeur seulement si nous avons déjà réalisé que nous avons un certain nombre de points d’accord. Et il est curieux que dans le mouvement œcuménique on n’ait pas fait ce genre de calendrier, ou de litanie ; on pense que c’est évident, mais cette évidence-là est souvent oubliée dans la conscience humaine.

Ceci posé, nous pouvons commencer de voir qu’il y a dans les confessions chrétiennes des différences. Il y a les Églises qui ont la succession apostolique et celles qui ne l’ont pas. Tous les chrétiens confessent la Trinité, sauf un groupe de protestants du XIXe siècle et les Unitaristes d’Amérique. Dans le christianisme, il y a toujours une majorité qui croit à une chose et une certaine minorité qui ne l’accepte pas tout en étant d’accord sur d’autres points… C’est un phénomène qu’on doit souligner, qui est objectif, et nous n’y pouvons rien. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de différences, qu’il y a l’union entre les chrétiens, qu’il n’y a pas de polémiques et de difficultés à s’unir totalement, même en ayant posé cette unité initialement. Et si demain un orthodoxe, un catholique romain, un protestant sont ensemble, chacun défendra son patrimoine, ses valeurs, et on dira que, s’ils se mettent ensemble, c’est au nom d’un compromis. Dans la religion on n’aime pas les compromis : ce sera une fausse note car, dans l’histoire, tous les compromis qu’on a faits ont abouti à un affaiblissement des valeurs spirituelles.

Quelle est donc, dans les grandes lignes, l’attitude et la place de l’Église orthodoxe vis-à-vis des autres chrétiens ?

Il y a toujours deux attitudes. Elles étaient soulignées dans la dernière encyclique de Jean XXIII qui a étonné beaucoup de gens, mais ce sont deux attitudes de l’Église chrétienne traditionnelle. On peut se placer en dehors du temps, on peut juger les choses en dehors du temps. Par exemple, le matérialisme est une hérésie parce que nous croyons à l’esprit et à Dieu ; le spiritualisme sera aussi une hérésie parce que nous croyons que le Verbe fut chair et nous croyons à la valeur de la matière. Cette attitude – et on peut juger toutes choses ainsi – est dans le plan vertical.

Mais il y a un autre jugement que nous devons toujours porter sur le plan historique, et qui est très différent. Ainsi, le spiritualisme du XXe siècle est arrivé pour contrebalancer le matérialisme du XIXe ; sans être d’accord avec les spiritualistes du XXe siècle, nous voyons tout de même leur valeur parce qu’ils complètent ce qui était déficient. Le métropolite Eleuthère qui m’a ordonné prêtre disait : « Parce que l’Église de Rome et l’Église orthodoxe au XIIIe siècle n’ont pas propagé l’Ecriture sainte parmi les peuples et n’ont pas introduit la Bible dans toutes les langues, Dieu a permis que cette traduction de la Bible soit faite par la main des protestants ; parce que les chrétiens vivaient dans l’exploitation du pauvre, ne faisaient pas les réformes sociales, Dieu a permis aux athées de faire la révolution sociale ; parce que les chrétiens perdaient la liberté et le respect de la personne, Dieu a permis la révolution française qui était areligieuse. »

Il y a un contexte historique qui ne donne pas du tout des valeurs absolues, mais des valeurs relatives ; mais ce sont des valeurs quand même. Une chose arrive dans un certain contexte historique, une autre dans un autre contexte. Et même quand une Église ne réalise pas quelque chose, Dieu, qui n’est pas seulement le Dieu des curés mais de l’univers entier, car Il est créateur et rédempteur du monde entier, permet aux personnes qui, sur d’autres chapitres ne seront peut-être pas du tout dans la vérité, de réaliser cette chose. Cela est très net dans les paraboles du Christ et dans l’enseignement de l’apôtre Paul aux Romains.

Ainsi donc, il y a deux attitudes. L’une face à la vérité abstraite et absolue ; et ici c’est très net : il n’y a pas deux vérités. Il y a une Tradition qui nous est confiée, que nous ne pouvons changer, que nous gardons et d’après laquelle nous jugeons les choses ou bien ou mal. Vient ensuite l’économie, la construction du monde, le processus historique, et ici le jugement est différent, nous entrons dans des considérations et des attitudes particulières. Par exemple : nous faisons cette réunion ici avant de célébrer tout à l’heure la liturgie de saint Jean Baptiste avec la bénédiction du feu. Qui devons-nous remercier ? Dieu certainement, mais aussi la Révolution française areligieuse, parce que, allez donc en Espagne faire des réunions comme celle-ci[1] ! S’il n’y avait pas la liberté qu’on a proclamée contre l’Église, nous ne pourrions ni prier ni parler aujourd’hui ! Il y a bien un paradoxe ! Autre exemple : l’Église orthodoxe polonaise était très persécutée par l’Église romaine ; s’il n’y avait pas eu là-bas les calvinistes, on n’aurait pas eu le concile de Bialystok qui a pu se réunir dans le temple parce que l’église orthodoxe était que le Verbe fut chair et nous croyons à la valeur de la matière. Cette attitude – et on peut juger toutes choses ainsi – est dans le plan vertical.

Mais il y a un autre jugement que nous devons toujours porter sur le plan historique, et qui est très différent. Ainsi, le spiritualisme du XXe siècle est arrivé pour contrebalancer le matérialisme du XIXe ; sans être d’accord avec les spiritualistes du XXe siècle, nous voyons tout de même leur valeur parce qu’ils complètent ce qui était déficient. Le métropolite Eleuthère qui m’a ordonné prêtre disait : « Parce que l’Église de Rome et l’Église orthodoxe au XIIIe siècle n’ont pas propagé l’Ecriture sainte parmi les peuples et n’ont pas introduit la Bible dans toutes les langues, Dieu a permis que cette traduction de la Bible soit faite par la main des protestants ; parce que les chrétiens vivaient dans l’exploitation du pauvre, ne faisaient pas les réformes sociales, Dieu a permis aux athées de faire la révolution sociale ; parce que les chrétiens perdaient la liberté et le respect de la personne, Dieu a permis la révolution française qui était areligieuse. »

Il y a un contexte historique qui ne donne pas du tout des valeurs absolues, mais des valeurs relatives ; mais ce sont des valeurs quand même. Une chose arrive dans un certain contexte historique, une autre dans un autre contexte. Et même quand une Église ne réalise pas quelque chose, Dieu, qui n’est pas seulement le Dieu des curés mais de l’univers entier, car Il est créateur et rédempteur du monde entier, permet aux personnes qui, sur d’autres chapitres ne seront peut-être pas du tout dans la vérité, de réaliser cette chose. Cela est très net dans les paraboles du Christ et dans l’enseignement de l’apôtre Paul aux Romains.

Ainsi donc, il y a deux attitudes. L’une face à la vérité abstraite et absolue ; et ici c’est très net : il n’y a pas deux vérités. Il y a une Tradition qui nous est confiée, que nous ne pouvons changer, que nous gardons et d’après laquelle nous jugeons les choses ou bien ou mal. Vient ensuite l’économie, la construction du monde, le processus historique, et ici le jugement est différent, nous entrons dans des considérations et des attitudes particulières. Par exemple : nous faisons cette réunion ici avant de célébrer tout à l’heure la liturgie de saint Jean Baptiste avec la bénédiction du feu. Qui devons-nous remercier ? Dieu certainement, mais aussi la Révolution française areligieuse, parce que, allez donc en Espagne faire des réunions comme celle-ci ! S’il n’y avait pas la liberté qu’on a proclamée contre l’Église, nous ne pourrions ni prier ni parler aujourd’hui ! Il y a bien un paradoxe ! Autre exemple : l’Église orthodoxe polonaise était très persécutée par l’Église romaine ; s’il n’y avait pas eu là-bas les calvinistes, on n’aurait pas eu le concile de Bialystok qui a pu se réunir dans le temple parce que l’église orthodoxe était fermée. Donc nous devons toujours penser à ces deux attitudes.

L’Église orthodoxe a ainsi deux attitudes. Arrive une hérésie qui détruit l’essence même du christianisme, par exemple les ariens qui ne voulaient pas reconnaître la divinité du Christ ; d’où, si Dieu ne s’est pas incarné, l’homme ne peut pas devenir Dieu : c’était le noyau et l’essence mêmes du christianisme qui étaient atteints. L’Église se montre très énergique, mais l’arianisme gagne les foules qui ne comprennent pas bien ce dont il s’agit, alors l’Église se met à condescendre. Et actuellement l’arianisme n’a plus aucune valeur. De leur côté, les « monophysites » arméniens et coptes ne se sentent pas tellement monophysites : on ne peut pas prendre la même mesure contre les monophysites du VIe siècle et ceux du XXe[2]. Voilà les deux attitudes : attitude vis-à-vis de la vérité et attitude qu’on appelle « économie » vis-à-vis du monde dans son contexte historique.

Quelle est l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis des autres confessions chrétiennes ? Tout le monde a lu le passage de l’entrée en orthodoxie : « Vous trouverez dans l’Orthodoxie la tradition ininterrompue apostolique, la plénitude de la vérité ». Qu’est-ce que l’Église orthodoxe ? Le Père Bouyer a très bien dit : « C’est l’Église par excellence, l’Église mère ». Quelle est la vertu de l’Église orthodoxe ? Elle est ce qu’était l’Église des apôtres, sans réforme, sans rupture avec cette Tradition ininterrompue. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend pas la mentalité orthodoxe. Quand on est quelquefois dur avec tel autre, ce n’est pas parce qu’on a une idéologie quelconque, mais parce que c’est une Tradition ininterrompue. Voilà pourquoi, quand il lit les Pères de l’Église, un Orthodoxe se sent chez lui. Les siècles passent, et il y a beaucoup de défauts dans l’Église historique orthodoxe : peu de missions, peut-être pas assez d’hommes intellectuels… par contre, il y a beaucoup de saints – cela, on doit le dire, en sainteté, elle est très riche ; mais elle est en possession de la Tradition ininterrompue qui coule comme une rivière : toute la mentalité de l’Église orthodoxe, c’est cela. Et quand elle va s’approcher des autres confessions, elle dira : revenons ensemble aux sources ; si on se trompe, comme disait le patriarche Anthime au pape Léon XIII, prenons l’Évangile et les Pères de l’Église et, si je me trompe ou si vous vous trompez, nous sommes d’accord pour corriger. C’est une attitude très différente d’une attitude conquérante : c’est une base, une racine.

Dans son attitude vis-à-vis des autres confessions, l’Église orthodoxe considère, c’est tout à fait naturel, qu’elles sont l’Église. Les autres sont pour elle des confessions ou des réformes qui ont pris un autre chemin, ou qui ont cristallisé un sujet plutôt qu’un autre : Rome a voulu cristalliser le pouvoir central, la constitution de l’Église, les autres voulaient voir plus l’Évangile, etc. Toutes sont pour nous des branches, des choses localisées et – on peut employer le mot si on en comprend le sens – des hérésies (haïresis = partiel).

Ici nous arrivons à un autre problème. Dès que l’Église orthodoxe pose un problème, elle le pose, non contre quelque chose, mais, avant tout, pour être la plénitude, comme dit l’apôtre Paul, plénitude remplissant tout en tout. L’un va préférer la divinité du Christ, l’autre l’humanité, nous, nous disons : « les deux ensemble ». L’un va préférer le spiritualisme, l’autre le matérialisme, nous disons : « les deux ensemble ». Parce que le Christ, qui est la plénitude, récapitule tout… Toute la mentalité orthodoxe est dressée vers la plénitude. Alors, vis-à-vis des autres Églises, elle va prendre cette attitude : il y a beaucoup de choses qui nous unissent, mais ici, par exemple, il y a « cela », seulement ; ou bien, là, c’est teinté d’une couleur trop vive au détriment d’un autre aspect de cette plénitude. Voilà les deux attitudes de base.

Comment agit l’Église orthodoxe vis-à-vis des autres confessions ? Cela va dépendre, en pratique, des époques ou des attitudes. Si l’Église d’une autre confession chrétienne durcit les positions, considère l’Église orthodoxe avec mépris ou la persécute, certainement elle est plus réticente. S’il y a une période d’œcuménisme, d’union des Églises, elle va aller plus en avant, ouvrir plus largement les portes. Le patriarche Serge de Moscou disait : « Nous considérons tous les chrétiens comme les membres de la même famille, nous sommes unis par le baptême ». Mais aussi on peut rompre la communion avec telle ou telle Église, parce que, dans la communion – on doit bien l’expliquer – quand vous communiez à l’Église, vous communiez au Christ, mais vous communiez aussi à la communauté, c’est-à-dire à ce qu’elle pense. Si, dans vos pensées sur le dogme, vos convictions vont à l’encontre de l’Église orthodoxe, ce sera une tricherie de communier ! Dans la communion, il y a bien un double aspect : la communion avec le Christ et la communion entre nous. Si quelqu’un dit que la doctrine orthodoxe est fausse ou a d’autres idées, certainement, il ne peut pas communier. C’est normal parce qu’il tricherait avec sa conscience et il tromperait les autres… Cela dit, les attitudes vont être différentes suivant les époques. Il est certain que tout ce qui est acquis dans les autres confessions, nous le reconnaissons, et tout ce qui leur manque, nous implorons qu’elles le rajoutent, et tout ce qu’elles ont ou dévié ou accentué faussement, nous voulons qu’elles le rectifient.

Voilà pourquoi le concile Vatican II fut accueilli avec beaucoup de sympathie dans le monde orthodoxe : parce que, dans l’esprit de Jean XXIII, il a été prévu de compléter le centralisme papal par l’esprit conciliaire, qui est profondément orthodoxe[3]. La méthode de l’Église orthodoxe vis-à-vis des autres Églises, et avant que le terme « dialogue » ne soit formulé, était toujours :  » Nous parlerons ensemble, vis-à-vis d’un troisième témoin qui est le Christ, le Saint-Esprit, la Tradition ». L’Église orthodoxe a toujours évité, tout en reconnaissant qu’elle est la plénitude de la vérité[4] – non selon nos vertus -, qu’elle est l’Église telle qu’était celle des apôtres, a toujours évité d’être une Église dominante et de regarder les autres du haut du « siège ». D’ailleurs, les mots mêmes « anathème » ou « excommunication » étaient compris comme : « Prends ton chemin, tu es libre, tu n’es pas avec nous ». Ce n’est pas une condamnation, c’est laisser l’homme libre de marcher comme il veut. « Mais, si tu veux parler avec nous, nous allons parler devant quelque chose d’objectif, car la base essentielle de l’Église orthodoxe est : deux ou trois réunis en mon Nom ». Elle est basée sur l’unité, mais pas sur autre chose que l’unité. Alors, il y a des colloques avec les catholiques romains, les protestants… ce sera toujours des colloques : deux êtres en face d’une vérité. Comme l’a dit l’apôtre Paul à Timothée « Je te confie un dépôt »[5]. Nous gardons ce dépôt, nous n’avons pas le droit d’en faire un compromis, nous devons le garder. Voilà quelle est l’ambiance entre l’Église orthodoxe et les autres Églises chrétiennes.

L’Église orthodoxe et le problème des Églises

Comment se place l’Église orthodoxe face au problème des Églises de Jean, Jacques, Paul, Pierre, face à tous les problèmes qui se posent à propos de la Tradition des apôtres ? Il est certain que, dans le Christ, il n’y a ni Pierre, ni Paul, ni Apollos, ni Céphas, il y a le Christ seul et unique. Il n’y a pas « des Églises », il y a « l’Église ». Là est le centre, parce que l’Église, c’est la catholicité, c’est la plénitude.

L’apôtre Paul dit : « Il n’y a ni Paul, ni Pierre, ni Apollos, ni Céphas, ce n’est pas Paul qui a été crucifié pour vous »[6] et, dans ce sens-là, il n’y a pas « des Églises » de tel ou tel apôtre. Pourtant, dans l’histoire de l’Église, dès les temps apostoliques, on ne disait pas seulement « l’Église », « l’Église une, sainte, catholique et apostolique, » « une Église », « le Christ a fondé une Église », mais on disait au pluriel « les Églises » : d’Antioche, de Constantinople, de Rome… Ces Églises selon les lieux et parfois selon les nations, étaient bien « des Églises ». Et saint Augustin disait que l’Église catholique est composée par l’unité dans la vérité et par la communion des Églises sœurs. Cette idée d’une Église et des Églises reflète dans l’ecclésiologie le dogme trinitaire : l’unité dans la multiplicité. Comme dit la prière de Pentecôte : « l’unique vérité dans la multitude des formes ». Ces Églises locales, et même nationales, ne sont pas du tout des Églises séparées, ce sont des Églises qui apportent, chacune selon le lieu, le climat, la psychologie, un élément sur le plan humain. Il est certain qu’elles doivent, pour être l’Église, confesser exactement la même vérité, elles ont le même Saint-Esprit, un seul et unique baptême, un seul et unique Christ sauveur, et il n’y a pas une doctrine d’une Église opposée à une autre doctrine d’une autre Église. Dans l’Église, l’unité de la pensée est absolue. Mais, du point de vue de la psychologie, de la culture, des tendances, il y a, dès le commencement de l’Église, l’école d’Alexandrie qui est plus symbolique, l’école d’Antioche qui est plus moraliste… Il y a des types plus moralistes, d’autres plus spiritualistes, d’autres plus symboliques. Il y a donc une certaine pluralité qui est nécessaire parce que l’Église, étant « une » dans sa vérité, est en même temps la plénitude de toutes les cultures, d’où l’image des 153 poissons, qui sont 153 cultures.

Si l’Église est « une » parce que le Christ l’a fondée, il y a aussi les douze apôtres. Dans ce contexte de pluralité de l’Église, là où il y a les douze, là est l’Église. Mais là où il y a seulement un des douze, ce n’est plus l’Église, c’est une secte : une secte johannique, pétrique, paulinienne, jacobite, etc. Ce n’est plus l’Église, parce que le caractère essentiel de l’Église est l’unité dans la multiplicité. Le Christ ne s’est pas transfiguré devant Pierre ou Jacques ou Jean, mais devant les trois réunis, avec Élie et Moise des deux côtés : c’est l’Église. Si ce sont les apôtres sans Élie et Moïse, ce n’est pas l’Église. Si c’est Pierre sans Jean, ce n’est pas l’Église ; si c’est Jacques sans Pierre, ce n’est pas l’Église ; c’est une secte, qui n’a rien à voir avec l’Église. C’est pourquoi, dans l’Apocalypse, il est dit (en substance) : J’ai basé l’Église sur le Christ et les douze apôtres[7]. L’Église, dans ce sens-là, ne peut pas être orientale ou occidentale, elle est et orientale et occidentale, du nord et du sud. Si elle est seulement orientale ou seulement occidentale, elle perd sa valeur d’Église. Si elle est seulement pétrique ou johannique, elle perd sa valeur d’Église. Si elle est seulement du IIe siècle ou du XXe siècle, elle perd sa valeur d’Église. Elle doit être de tous les pays, de tous les apôtres, de tous les siècles, car c’est la rencontre, la symphonie. C’est cela qui est ecclésial : l’assemblée. D’où les mots catholicon, rassemblement, ecclesia, corps du Christ. Où l’œil dira à l’oreille « je n’ai pas besoin de toi », où l’oreille à dira la main « je n’ai pas besoin de toi », l’apôtre Paul va protester[8] car l’oreille et la main sont nécessaires pour former le corps parfait du Christ. Dans ce sens-là, l’Église, potentiellement et réellement, est cette plénitude. Historiquement, si elle ne l’est pas – car l’Orient a perdu l’Occident et l’Occident a perdu l’Orient – elle doit tendre vers cette plénitude, et tant que cette plénitude n’est pas réalisée, elle n’a pas la manifestation plénière de l’Eglise. Pour l’Église, même l’idée la plus noble sera toujours sectaire (sectari = couper, partiel) et hérétique (haïresis = couper) et détruit ce que l’humanité attend de tous : l’unité dans la multiplicité. Tous les mots : catholique, église, liturgie (œuvre en commun), symphonie (employé par saint Ignace d’Antioche) ont le même sens. Voilà pourquoi il y a toujours l’unité et la plénitude. Quelqu’un qui veut se considérer comme supérieur, c’est une secte diabolique ; comme à côté, c’est une secte humaine. Alors, dans cette multiplicité, comme dans la Trinité où le Père n’est pas plus grand que le Fils, la culture noire ou européenne, l’inspiration de Jean ou de Pierre, l’inspiration d’Antioche ou d’Alexandrie, celle de l’Orient ou de l’Occident, n’est jamais supérieure à l’autre. S’il y a supériorité, si l’Orient dit à l’Occident : « nous sommes supérieurs à vous », ils ne sont déjà plus dans l’Église, spirituellement ils sont exclus du christianisme. Si l’Occident dit (comme je l’ai lu dans un article) que l’Occident est la vraie culture chrétienne et que l’Orient est une foutaise, il n’est plus chrétien, car le christianisme consiste exactement en la coopération, à l’image de la Trinité, des différents éléments humains, coopération des différentes personnes psychiques et historiques, mais dans l’unité de la foi. C’est un élément absolument essentiel ! Donc, attention : pour le chrétien, même la hiérarchie qui existe : évêque, prêtre, diacre, toutes les formes de supériorité ou d’un groupe ou d’une doctrine ou d’un être sur un autre, tout cela est anti-ecclésial, car l’Église est l’unité dans la multiplicité. Chaque groupe peut être unique, mais non supérieur, parce que, dans la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit sont égaux. À l’intérieur, nous connaissons la distinction, nous ne connaissons pas la supériorité. Cela, c’est la base ecclésiale.

Les termes « Église de Pierre, ou de Paul, ou de Jean », se trouvent pour la première fois chez Innocent III, pape de Rome au XIIIe siècle : il a écrit une épître à l’Église d’Orient disant : « Nous, l’Église de Pierre, nous faisons appel à vous, l’Église de Jean ». Ces termes n’ont pas eu de succès et ont disparu. L’Orient ne se sentait pas l’Église de Jean, et je ne pense pas que l’Église de Rome dira qu’elle est l’Église de Pierre à 100 %. Elle dira plutôt qu’elle est l’Église du Christ. Ici, on doit relever un point tout à fait indispensable de la mentalité spécifiquement orthodoxe. Quand on a manifesté une préférence, dans un certain milieu protestant (je ne dis pas « le protestantisme », mais un certain milieu), pour l’apôtre Paul et pour ses épîtres, ou bien, à une certaine époque, une préférence pour saint Augustin au détriment des autres Pères de l’Église, ou pour Thomas d’Aquin au détriment des autres scolastiques, au Moyen-Âge, ou pour la place de Pierre vis-à-vis des autres apôtres… ces préférences ont toujours appauvri et diminué l’Église.

Pour vous montrer jusqu’à quel point l’Orthodoxie n’est pas du tout liée à une personne, même avec le Christ, puisqu’elle confesse la Trinité, voici un exemple. Il y avait une discussion en Grèce entre ceux qui préféraient Basile, Grégoire le Théologien ou Jean Chrysostome – trois Pères très populaires mais de mentalité très différente. Ils sont apparus en songe au Patriarche et lui dirent : « surtout ne fêtez pas l’un plus que l’autre, mais mettez la fête des trois hiérarques le même jour ». Ce fut le 30 janvier, et l’Église orthodoxe d’Orient, tous les 30 janvier, prie pour l’union des Églises dans l’esprit orthodoxe, parce que l’on considère ensemble des personnes différentes sans donner la préférence à l’une ou à l’autre[9].

Un des problèmes difficiles de la pensée occidentale est qu’on a donné trop de place à Augustin au détriment d’Hilaire de Poitiers et d’Ambroise de Milan. Cela a produit une cristallisation dans une seule direction, et causé un affaiblissement, comme la scolastique de Thomas n’a pas été suffisamment complétée par d’autres auteurs du Moyen-Âge.

Ensuite, les termes « Église de Pierre, Paul, Jacques » sont réapparus beaucoup plus tard, au XIXe siècle. Par exemple, le philosophe russe Soloviev parlait de l’Église de Rome comme de l’Église de Pierre, de l’Église protestante comme de celle de Paul, et de l’Église orthodoxe comme de celle de Jean. Il a écrit leurs trois dialogues : ensuite elles se réunissent toutes ensemble à la fin du monde. Mais sont des images plus ou moins vagues… J’ai écrit moi-même un article : Pierre, Paul et les Douze, mais on ne peut prendre cela au sérieux, parce que ni Pierre, ni Paul, ni Jacques ne peuvent vivre seuls. N’oublions pas les paroles très dures du Christ (en Matthieu, chapitre 16). Pierre parle au nom de tous, il est en union avec les Onze : le Christ demande : « Qu’est-ce que vous pensez de moi ? », et Pierre, poussé par l’Esprit-Saint et uni aux autres, dit : « Tu es le Fils du Dieu vivant », et le Christ dit : « Ce n’est pas la chair et le sang, c’est le Père céleste qui t’a dévoilé cela, bienheureux Simon, tu es Pierre et sur cette pierre, etc. » Comment est-ce le même, quand, quelques versets plus loin, le Christ annonce la passion ? Alors Pierre se sépare des Onze, prend le Christ à part et lui dit : « ne fais pas ça », le Christ lui dit : « va-t-en Satan ! » Tout isolement dans une spécification, pour la mentalité de l’Église qui est basée sur la charité, est un genre de satanisme. De ce côté-là, le problème est extrêmement simple. Quand on dit que l’Église orthodoxe est johannique ou platonicienne, c’est totalement absurde. Elle n’est ni johannique, ni pétrique, ni paulinienne, ni jacobite, elle est du Christ, et surtout elle est par toutes ses fibres une Église de l’union. Dès que l’on met l’accent sur l’un plutôt que sur l’autre, elle ne se sent plus à l’aise. C’est cela, le génie de l’Église orthodoxe : elle n’est ni individualiste, ni administrative, elle est « la rencontre », d’où le mot « conciliarité ». Voyez, il n’y a même pas une école plus accentuée qu’une autre, c’est toujours une école qui compénètre avec une autre, une personnalité avec une autre, à tel point que l’Eglise orthodoxe, jusqu’à maintenant, a même écarté l’idée des ordres : franciscains, dominicains, etc. qui sont, dans l’Église, des parties, mais qui ne sont pourtant pas anti-Église. C’est même tout à fait « catholique » : on peut avoir différents groupes à l’intérieur de l’unité. Mais même cette accentuation-là, l’Église orthodoxe l’a écartée. Alors nous devons violemment écarter toutes les tentatives de donner une spécification dans ce sens-là. Par exemple, nous sommes l’Église de France, nous avons un rite des Gaules, mais dans l’Église orthodoxe : ni anti, ni en dehors, ni supérieur. Voilà tout le contexte de ce sujet.

L’Église orthodoxe et la conception de l’épiscopat

Quelle est la conception orthodoxe de l’épiscopat et de la succession apostolique ? On m’a posé surtout le problème de la succession apostolique. Le problème est canonique mais il doit être éclairé. Écartons ici les confessions chrétiennes qui n’ont pas la succession apostolique, et prenons la succession apostolique dans les Églises romaine, anglicane, arménienne, etc. Quelle est l’attitude de l’Église orthodoxe ? On connaît mieux celle de l’Église romaine qui, après le Moyen Âge, a décidé que, si la forme et la matière du sacrement sont justes, la succession apostolique est valable. Admettons un évêque qui sort de l’Église et ordonne un autre évêque : eh bien, si cette ordination épiscopale est exacte selon la forme et la matière du sacrement, le second a la succession apostolique et il est évêque légitime. Du point de vue orthodoxe : NON !

Depuis saint Cyprien, au IIIe siècle, il y a une autre attitude. La thèse est que c’est la communauté et l’Église qui prédominent. Les sacrements n’ont pas de valeur en soi, ils ont une valeur à l’intérieur de la communauté. De ce point de vue, le sacrement épiscopal appartient seulement à l’Église.

Comment donc l’Église orthodoxe regarde-t-elle l’Église romaine ? Elle regarde et constate que l’Église romaine, tout en n’étant pas une Église orthodoxe, depuis des siècles a des évêques, une vie communautaire ; elle a gardé les grands mystères .du christianisme. C’est une Église peut-être séparée d’elle, mais à l’intérieur sa vie est pleine de ces choses-là. Alors l’Église orthodoxe va reconnaître le sacrement, parce que l’Église romaine a prouvé par sa vie que les sacrements sont valides, et parce qu’il y a l’épiscopat à l’intérieur.

Par contre prenons l’Église anglicane. L’Église romaine conteste la succession apostolique anglicane parce que la forme et la matière ne sont pas conformes. L’Église orthodoxe, elle, conteste aussi cette succession mais parce que, lorsqu’on a ordonné le premier évêque anglican, on n’avait pas l’intention de faire un évêque successeur apostolique mais un prédicateur de l’Évangile. L’Église orthodoxe a dit aux anglicans : « nous reconnaîtrons votre succession si, officiellement, vous confessez la doctrine de la succession apostolique orthodoxe ». Or, comme vous le savez, l’Église anglicane n’a pas un organe officiel pour se prononcer, c’estl’unique confession dans le christianisme qui n’a pas l’unité de la foi intérieure : vous pouvez être anglican et avoir les idées catholiques romaines, orthodoxes, protestantes, de gauche ou de droite… Les anglicans ont seulement une organisation. Et leur Prayer Book est un livre qui n’exprime pas leur doctrine mais une « opinion ». L’Église anglicane comprend plusieurs églises autocéphales ; l’archevêque de Canterbury n’est pas du tout le chef de l’Église, il est premier parmi les égaux ; il y a les Églises d’Angleterre, de Galles, d’Irlande…: on compte quatre Églises en Grande-Bretagne et, dans le monde entier, quinze ou seize Églises anglicanes tout à fait indépendantes, et ces Églises anglicanes n’ont ni organe, ni autorité pour s’exprimer, parce que leurs conciles sont des conciles consultatifs : quand les évêques se réunissent, ils expriment des desiderata, et ensuite, rentrant chez eux, ils peuvent ne pas les suivre ; ils n’expriment pas une doctrine ensemble. Cela, c’est une difficulté pour l’Église orthodoxe vis-à-vis de l’Église anglicane. Mais l’Église orthodoxe reconnaît que son épiscopat est intérieur à une communauté vivante traditionnelle.

En revanche, la succession apostolique des Vieux-catholiques est très discutée par l’Église orthodoxe, alors que pour l’Église romaine elle est indiscutable. Voici comment cela s’est passé dans l’histoire pour les Vieux-catholiques d’Utrecht et les autres. Les jansénistes se sont séparés de Rome et n’avaient pas d’évêques. Or, il se trouvait un évêque ordonné par Bossuet ou son successeur, qui était en désaccord, pas du tout sur le plan de la doctrine mais sur le plan moral, avec l’administration de l’Église romaine. Venu à Utrecht, on lui demanda de consacrer un autre évêque pour l’Église d’Utrecht et il le fit sans participer à la même pensée et doctrine. Il n’était pas membre de la communauté d’Utrecht, il n’est pas devenu janséniste et il est resté romain mais, par complaisance, il a ordonné. Il n’y avait donc aucune communion entre cet évêque consécrateur et l’évêque consacré, il n’y avait pas communauté. Or, pour les Orthodoxes, on ne joue pas avec l’Esprit-Saint, car le sacrement est à l’intérieur d’une communauté réelle : c’est pourquoi ils contestent la succession apostolique des Vieux-catholiques.

De ce point de vue, tous les évêques qui sont ordonnés en dehors d’une Église, en dehors d’une communauté réelle ayant une tradition témoin de la vérité, pour l’Église orthodoxe sont absolument nuls. Tels sont les évêques de l’Église catholique libérale, de l’Église apostolique, etc. – un jour, à Paris, on a réuni onze de ces évêques-là, qui formellement avaient la succession apostolique parce qu’un Syrien venu d’Amérique avait ordonné Mgr Vilatte, lequel en avait ordonné d’autres, etc. Par respect on peut les appeler « Monseigneur », mais pour notre conscience ecclésiale, ils ne sont ni prêtres, ni évêques, ni rien du tout.

Même, prenons un cas particulier : un évêque, un Ukrainien, a fait un coup de tête et ordonné un évêque qui maintenant se promène en disant qu’il est Sa Blancheur Tugdual de Bretagne et d’Irlande. Sa Blancheur était un petit étudiant qui ne voulait pas étudier, et qui, après avoir trouvé cet évêque ukrainien et un comte devenu évêque par un Syrien, s’est fait ordonner, avec je ne sais pas combien de filiations magnifiques ! Maintenant Sa Blancheur se promène en Bretagne et dit qu’il n’a pas besoin de fidèles, mais il a déjà consacré trois ou quatre évêques parce que c’est plus intéressant que d’avoir des fidèles. Pour nous, Sa Blancheur est une anecdote, mais aussi un scandale. Ce n’est pas parce qu’un évêque orthodoxe s’est engagé dans cette aventure par naïveté, que lui est maintenant devenu évêque. L’évêque orthodoxe ukrainien n’avait aucun droit de le consacrer ; et un évêque qui sort de la communauté n’est plus ni évêque, ni prêtre.

Tout est conditionné par la communauté, et par ces mots : « Qu’est-ce que vous confessez ? Quelle est votre foi ? » La succession apostolique n’est pas un fil auquel on s’accroche, c’est, comme disait saint Irénée, un courant de la Tradition ininterrompue. Je peux mettre toute une succession jusqu’aux apôtres sur le papier, cela ne suffit pas : il est nécessaire que ce soit un courant venu du temps des apôtres jusqu’à maintenant, dans la doctrine, dans la vie, comme dans la succession. Ce point de vue est tout à fait indispensable pour comprendre l’attitude de l’Église orthodoxe. Cette Église ininterrompue qu’est l’Orthodoxie ne peut « servir » à personne. Celui qui, chez elle, veut attraper les pouvoirs, même si, par naïveté, il trouve quelqu’un, ce sera nul, parce qu’on est dans l’Église ou on ne l’est pas. Un pasteur protestant a dit : « On peut créer beaucoup de choses, mais on ne peut pas inventer et créer une Eglise, on est dedans ou on ne l’est pas ». C’est un fait expérimental, historique et indiscutable.

L’Église orthodoxe et les autres religions

Quelle est l’attitude de l’Église Orthodoxe vis-à-vis des autres religions : brahmanisme, bouddhisme, Islam – lequel représente un problème à part, parce que, même s’il est né après le Christ, on peut dire qu’historiquement il est avant.

Toutes les religions qui existent sur la terre, dans leur noyau positif (et pas seulement la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme, qui sont des lieux communs, mais aussi d’autres aspects), en réalité, si on lit attentivement saint Paul et saint Irénée, entrent comme des éléments dans la doctrine du Christ. Un exemple est cité par Clément d’Alexandrie : l’Inde, avec son idée d’atman et brahman, a vu l’unité de l’esprit humain – l’élément divin de l’homme – avec la Divinité ; L’apôtre Paul dira aussi que l’Esprit est uni à notre esprit qui crie « Abba Père ». L’Inde a vu le divin dans l’être humain, l’unité de la divinité avec nous ; mais cela ne signifie pas qu’elle a vu et la Trinité et l’Incarnation : il y a une grande différence ! C’était un exemple. Prenons maintenant la religion égyptienne : elle a vu le destin de l’âme après la mort, sous forme peut-être mystique, mais elle l’a vu. Et dans tous les services reli­gieux d’enterrement des Églises romaine ou orthodoxe, on retrouve des éléments qui rappellent le Livre des Morts des Égyptiens.

Le judaïsme, nous n’en parlerons pas parce qu’il a précédé le christianisme. Quant à l’Islam, c’est un problème un peu à part. C’est une énigme du point de vue chronologique, parce qu’il est né après le christianisme mais que, si on scrute le Coran et les œuvres qui ont été écrites jusqu’à ces derniers temps, on voit nettement que l’Islam, indépendamment de son agressivité envers le christianisme – ce qui est une autre question : jusqu’à maintenant, dans les mosquées, on prie pour la destruction des juifs et des chrétiens, mais je ne parle pas de cela, je parle de l’Islam – se situe quand même dans toute la tradition d’Agar : l’apôtre Paul parle de ce peuple arabe issu d’Agar, qui est abrahamique[10]. Vous savez que, dans l’Islam, il y a un culte de la Vierge Marie, et si vous posez la question jusqu’au bout à un Mahométan qui connaît sa religion, il vous dira que c’est la deuxième venue du Christ qui doit rectifier le Coran. Il ne croit pas à l’Incarnation, il croit à la deuxième venue.

Du point de vue historique, l’Islam est dans l’état d’agressivité. Ici il y a un double aspect. L’Islam représente certainement tout de même, pour une certaine catégorie de peuples, une sorte d’étape vers le christianisme. Parce que, même si les peuples sont égaux devant Dieu, historiquement ils ne le sont pas, quelquefois l’un avance plus rapidement, et les derniers seront les premiers – alors, peut-être les Arabes seront-ils plus grands que nous ! Et, dans un certain complexe d’évolution et de culture des différents peuples, ceux-là devaient sans doute passer par l’Islam pour arriver ensuite à une autre période… Mais il y a dans l’Islam un autre élément : l’agressivité, qui a teinté tout le Moyen-Âge, qui a provoqué des guerres, qui a inspiré les croisades (saint Bernard a été inspiré par l’Islam). On peut trouver, dans la ligne islamique, l’agressivité jusqu’à l’athéisme moderne, sans Dieu. Ainsi, il y a un élément religieux nettement positif et un élément nettement agressif.

On est là face à de ces phénomènes historiques qui peuvent avoir un double sens. Dans d’autres religions aussi, si vous regardez bien, il y a les éléments positifs entrant dans la plénitude de la doctrine du Christ, mais aussi l’élément négatif, comme par exemple dans les religions antiques, il y a l’élément diabolique, et cela, on ne doit pas non plus le cacher. Voilà pourquoi l’Église primitive était tellement violente contre l’idolâtrie : ce n’était pas par fanatisme mais parce que, selon les paroles absolument remarquables de Grégoire Palamas au XIIIe siècle: « A notre époque nous pouvons accepter l’idolâtrie parce que les idoles sont devenues images de Dieu, mais avant, elles étaient aussi l’image du Diable » : il y avait les deux, l’image de Dieu et l’image du Diable. On peut dépister dans les religions antiques ce double aspect. Quand on se penche sur ces religions, il y a souvent le prince de ce monde qui occupe une place aussi prépondérante que Dieu. C’est tout un monde assez complexe, on ne doit pas l’oublier, à tel point que Maxime le Confesseur disait : « La religion est une invention du diable ». Il disait cela parce que la base de la religion, c’est le sacrifice : sacrifier quelque chose pour Dieu. La première chose qu’on a fait dans la religion, dans le culte, c’est sacrifier une vierge, des enfants, un agneau, offrir du riz si on est plus pacifique… Mais on ne sacrifie pas au Créateur : on offre. Par contre, on sacrifie au Diable pour apaiser sa colère. Pour les Pères de l’Église, Dieu se plaça à la place du Diable en demandant le sacrifice des hommes : « au moins sacrifiez pour moi ». L’humanité avait pris l’habitude d’arrêter le courroux divin : mais il n’y a pas de courroux en Dieu, le courroux est dans le Diable. Et Dieu a pris l’attitude du courroux diabolique pour détourner l’humanité, progressivement, d’un culte du prince de ce monde vers le culte de Dieu : il y a toute une évolution progressive que le Christ accomplit à la fin avec le dernier sacrifice. Déjà, avec Abraham, Dieu supprime le sacrifice humain, et après le sacrifice du Christ, il n’y a plus de sacrifice sanglant : c’est ce qu’on appelle dans la liturgie le « sacrifice non sanglant », le Christ étant le dernier.

Tout cela est un problème parce que, le culte de Dieu, c’est la communion, ce n’est pas le sacrifice. Dieu accepte de faire le sacrifice de son Fils parce qu’autrefois les hommes ont sacrifié à celui qui devait être satisfait, nourri. Ce sont les esprits créés qui doivent être soutenus et nourris, Dieu n’a pas besoin d’être nourri. Pourquoi donc Dieu accepte-t-il, comme dit Noé, la bonne odeur du gras d’une victime ? Parce qu’il a pris la place de quelqu’un qui aime la bonne odeur, qui en a besoin, parce que le Diable, comme disait un poète surréaliste, est avide d’une femme grasse, d’un repas gras : parce que, étant immatériel, il est jaloux de tout ce qui est matière, de tout ce qui est appétissant. Vous le voyez, cette mentalité n’est pas du tout la mentalité divine qui est la plénitude extatique qui se donne. Dieu qui se donne pleinement ne peut réclamer à sa créature un sacrifice. C’est pourquoi I1 dit : « Je ne veux pas le sacrifice, je veux la miséricorde »[11]. .Il y a bien le sacrifice du Christ, mais Il a accepté ce sacrifice parce qu’avant on offrait au Diable. D’où un double aspect des sacrifices : dans les religions antiques, il y avait un aspect divin – beaucoup plus chez les mystiques que dans le culte – mais il y avait aussi beaucoup de culte au Diable pour écarter sa puissance : on peut étudier dans les Prophètes la question de Moloch, de Baal, du maître, du despote, etc. Et Dieu va opposer « je suis ton époux »[12] à des divinités qui sont des maîtres exerçant leur dictature et réclamant des honneurs.

Les religions, c’est un monde excessivement intéressant. Pour nous chrétiens, que devons nous retenir ? Sous prétexte que nous sommes chrétiens – je ne parle pas de ceux qui nagent dans toutes les eaux – nous avons un certain mépris des autres religions, la nôtre nous suffit. Mais nous oublions une chose : nous, chrétiens, nous ne sommes pas totalement du Christ qui est la plénitude, et notre christianisme est limité par notre culture gréco-latine qui est très grande. Dans notre christianisme, il y a beaucoup d’éléments qui ne sont pas seulement du Christ mais qui sont relatifs à la mentalité latine, grecque, stoïcienne, juridique romaine, à la philosophie platonicienne et aristotélicienne. Par rapport à cet aspect, qui est limitatif, l’aspect celtique, hindou, persan, nègre, entreront avec les mêmes valeurs dans cette gamme relative. Mais si vous visez le Christ lui-même et l’Évangile, alors il n’y a ni Grec, ni Juif, ni nègre, ni hindou, ni autre. Or souvent nous opposons au génie hindou, au génie noir ou babylonien, à un génie quelconque, non pas le pur mystère du Christ, mais notre civilisation occidentale qui comporte des éléments germaniques – le celtisme étant souvent très étouffé -, une très grande influences de la Grèce antique et une grande influence de Rome : tout cela est très limitatif. Notre expansion ? Les missionnaires qui partent ne le font pas seulement parce que le Christ a dit : « Allez enseigner toutes les nations », mais parce qu’étant japhétiques[13], nous sommes un peuple d’expansion. Si ce ne sont pas les missionnaires, ce seront les marchands et les colonisateurs qui partiront. Par contre l’élément hébraïque : le prophétisme, est très affaibli chez nous.

Quant à elle, l’Église chrétienne orthodoxe, vis-à-vis de ces religions non chrétiennes, les regarde comme une multitude qui préparent le christianisme : qui y entrent avec leurs aspects positifs, et dans lesquels on doit nier ce qui est négatif, en discernant à l’intérieur avec ce qu’on appelle l’épée à deux tranchants ; et, en même temps, nous devons ne jamais oublier que, pour les bien juger, nous devons les placer au même niveau que les religions et cultures grecque, latine, celtique, hindoue, etc. : nous ne pouvons les opposer au christianisme avec un élément qui est intéressant mais qui n’est pas absolu.

L’Église orthodoxe et les autres tendances

Quelle est l’attitude de l’Église orthodoxe vis-à-vis de la théosophie, de l’anthroposophie, et de tous les mouvements spirituels actuels ?

Nous avons énormément de ces mouvements dits spiritualistes. Il y a des tendances, ici hindouisantes, là théosophiques, un peu anthroposophiques, du moins d’inspiration… D’autres, de caractère spirite, tout à fait occidentales, sont nées à la fin du XIXe siècle. À ces tendances, ajoutons qu’il y a des groupes initiatiques, ésotériques, il y a les livres de René Guénon et tant d’autres… Pour ces phénomènes-là, il y a deux problèmes.

Ce ne sont ni des Eglises, ni des religions, ce sont des tendances, des écoles, des mouvements… Ces mouvements, si on les considère, comme les religions, du point de vue de la vérité abstraite, on pourra dire : celui-ci croit à la réincarnation, c’est une hérésie ; là, il y a telle autre chose, aussi absolument hérétique.

Mais si on les regarde dans le contexte historique, ces mouvements apparaissent tout différemment. En effet si, dans l’Église il y a une continuité de la Tradition ininterrompue, en dehors de l’Église, il y a une loi et cette loi est : thèse, antithèse, réaction, contre-réaction… Par exemple, on cherche la liberté, et ensuite on recherche l’unité et l’autorité. Nous sommes en face d’une multitude de tâtonnements de l’humanité, de différents désirs ou opinions. Après une période positiviste et matérialiste, inévitablement l’humanité cherchera à opposer à cette attitude des tendances spiritualistes, et nous aurons probablement ces mouvements. Nous allons actuellement beaucoup plus vers le spiritualisme que vers le matérialisme[14], et il prendra des formes athées camouflées ou bien d’autres plus croyantes : ces spiritualismes vont augmenter, avec même des phénomènes spirituels très curieux en parallèle à des phénomènes techniques. L’Église est attaquée maintenant violemment par les communistes, on la persécute en Russie, ils vont continuer sans Dieu ; cela changera peut-être dans l’histoire mais, pour le moment, ceux qui persécutent la religion, ce sont les matérialistes-marxistes. Mais c’est un fait passager ; et je ne donne pas 100 à 150 ans pour que l’Église soit persécutée par les spiritualistes, qui vont faire des martyrs au nom de leurs valeurs spirituelles, au nom de leurs dieux, de leurs divinités, de leurs conceptions métapsychiques ! Cette persécution prendra d’autres formes, pas policières, mais magiques, ou autres. C’est inévitable, parce que, après ce grand courant positiviste, doit venir un courant spiritualiste.

Pour bien comprendre, nous chrétiens, nous ne devons jamais oublier que l’on ne peut pas poser le problème théosophique, spirite ou autre en dehors du contexte historique. Si vous posez le spiritualisme, qui a telle forme, immédiatement souvenez-vous qu’il y a, à côté, le matérialisme qui a telle autre forme pratique, actuelle, philosophique. Quand nous avons posé les deux, ce que nous ne devons jamais oublier, c’est que l’Antéchrist, c’est-à-dire la « pointe antichrétienne », sera spiritualiste. Tant qu’il y a le matérialisme athée dans le monde, nous sommes tranquilles, nous avons encore quelques quarts d’heure à vivre sur la terre ! Car il y a une chose positive qui sera toujours supérieure, dans le matérialisme, dans le communisme, dans la science par rapport à toutes les grandes expériences spirituelles : c’est que la matière trompe moins que l’esprit.

Une des plus grandes tragédies de tout spiritualisme, c’est qu’au nom de l’Esprit, l’esprit qu’ils poursuivent et cultivent est un mélange imprécis de Dieu, du Diable et de notre esprit.[15] Avant le Christ, Isaïe décrivait ces spiritualistes qui veulent avoir des pouvoirs, des visions, des connaissances. Ils n’ont aucun critère pour distinguer les esprits et plus ils sont avancés dans l’échelle, quand ils ont dépassé le 33e degré, quand ils arrivent au 66e, au 3350e degré d’initiation, absolument aveuglés, ils ne savent pas où commence le Diable ni où finit Dieu. C’est archiconnu, et c’est inévitable.

Vis-à-vis de ces choses là, comment comprendre ? Dans tous les mouvements historiques, on doit dépister le désir, l’instinct : le spiritualisme est né du désir, de l’instinct de dépasser le matérialisme et le positivisme. Le livre de Leadbeater en est un exemple. Leadbeater était devenu évêque de l’Église libérale, c’était un homme très curieux, très fort, qui a écrit sur la liturgie un livre symbolique, magique et autre : La science des sacrements. Ce Leadbeater, qui avait beaucoup de pouvoirs, est mort fou. Comme beaucoup de ces grands êtres, il a été par les chemins tortueux des recherches spirituelles. C’est un aspect. Mais j’ai connu des centaines de gens qui, venant du monde positiviste et étant habitués à une certaine méthode de pensée, parce qu’ils ont eu le contact avec le livre de Leadbeater, tout à coup ont dit : »tiens, il y a quelque chose d’intéressant ; et puis, après avoir connu Leadbeater, ils ont évolué dans un sens réellement chrétien. Donc ici, historiquement, il faut porter un non jugement, il ne faut pas juger in abstracto. C’est pourquoi saint Antoine le Grand disait que le meilleur maître de la vie spirituelle, c’est le Diable, parce qu’il nous oblige à réfléchir… Certainement, il faut le dépister car, si vous êtes en son pouvoir, vous n’avancez pas ; mais quand vous avez constaté cela, alors vous faites un pas. Huysmans est venu vers le Christ et a déclenché tout un mouvement littéraire, peut-être superficiel, mais qui est toute une page de la culture française, par le Diable !

Voilà historiquement ce que nous devons comprendre. Ce n’est pas qu’on doive approuver, mais nous devons clairement voir les défauts, distinguer le désir d’un groupe de gens qui cherchent, ce qu’ils cherchent, pourquoi ils cherchent, ce qu’ils ont trouvé, et, ensuite, voir ce qu’il y a d’authentique, et ce qu’il y a de dangereux et de faux. Et le danger dans le mouvement spiritualiste est certainement plus grand que le danger dans le mouvement matérialiste, pour la personne et pour le destin de l’homme et de l’humanité.

Peut-on appartenir à deux Églises ?

On ne peut certainement pas appartenir à deux religions. Comme on dit, on ne peut manger à deux râteliers, on ne peut pas être marié à deux femmes : c’est une question d’unité de l’être humain. On ne peut pas, sinon on est distrait. C’est absolument normal, on ne peut pas, ce serait une tricherie. Mais il y a des cas d’espèce. Exemple : je connais un homme d’une très grande valeur, qui vit dans un milieu très catholique romain ; sincèrement, il appartient à l’Église romaine, mais son évolution spirituelle est telle dans sa pensée – en ce qui concerne la théologie, la science (c’est un mathématicien) – qu’il n’y trouve plus du tout ce qu’il veut chercher, il a besoin de l’Orthodoxie. La première étape de cet homme a été d’écouter les conférences, lire les livres, prier à notre église, mais il communiait dans l’Église romaine tout en demandant qu’on prie pour lui. Cela a duré cinq à six ans. À un moment, il a ressenti une très grande nécessité spirituelle : il voulait avoir un enfant, or sa femme était stérile, elle ne pouvait plus avoir d’enfants. On a prié et on a demandé à un homme de très grande sainteté orthodoxe, qui a dit : « je vais prier », et après, il a envoyé une lettre à cet homme disant : « votre enfant sera conçu tel jour ». Et ce jour-là il a conçu, et l’enfant est né. Le miracle de ce saint homme grec a beaucoup impressionné mon ami. Quand l’enfant est né, il est venu vers moi et m’a dit : « Je l’ai baptisée catholique romaine, mais je voudrais tellement que mon enfant, qui est née par les prières d’un saint orthodoxe grec, ait au moins ce que tous les enfants dans l’Église primitive avaient, c’est-à-dire la communion ». J’ai dit oui. Il a apporté l’enfant qui a communié au sang du Christ. Dès que l’enfant a eu communié, cet homme a dit : Je ne peux pas faire que mon enfant cesse de communier ». Et il apportait l’enfant pour qu’elle communie chez nous. Lui, comme catholique romain, ne communiait pas, ne voulant pas tricher. Un jour, il alla chez un capucin assez connu et lui raconta l’histoire. Le capucin dit : « Comme vous avez bien fait ! C’est tellement dommage qu’il n’y ait plus de communion pour les enfants, ‘était une règle absolue dans l’Église primitive » – l' »initiation », c’était le baptême, la confirmation et la communion le même jour, même pour les enfantsI6, et cela a duré jusqu’au XIIIe siècle. Mais l’homme dit : « C’est terrible, car ma fille est déjà grande, je l’emmène communier à l’Église orthodoxe, mais je ne communie pas, je communie à l’Église romaine. Comment faire ? Je suis troublé ». Alors le capucin dit : « Si le père orthodoxe ne refuse pas, moi je vous donne la permission de communier avec votre femme et votre fille dans l’Église orthodoxe ». Il arrive chez moi, je lui dis : « Si tu considères que notre foi orthodoxe est vraie, tu peux communier ». Il a communié, il communie et en réalité, dans son âme, il est devenu orthodoxe ; mais toute son action, toute sa vie, toute sa famille sont catholiques romaines. Voilà un homme qui est resté entre deux Églises et pour lui ce n’est pas facile ; mais il supporte cette chose-là parce qu’il considère qu’il apporte plus en restant dans son Église, sans rompre, tout en communiant chez nous.

Voilà un exemple, et je pourrais en citer d’autres. Ainsi, normalement, même si c’est douloureux, la réponse est « non ». C’est normal. Mais il y a des exemples, des cas d’espèce, qu’on doit bien étudier : absence de prêtre orthodoxe, éloignement d’une église… Certainement, dans la vie, on doit être net, clair, sans équivoque, il faut choisir. Mais il y a des périodes d’hésitation.

Donc, voilà ma réponse : formellement, c’est non. Normalement, on doit choisir, on ne peut pas appartenir à tout le monde, ou bien on n’appartient à personne. Si l’on communie, on entre, on est dans la communauté. Mais, dans certains cas, il est possible qu’il y ait des exceptions. Pendant la guerre, par exemple, il n’y avait pas officiellement d’intercommunion entre les Églises orthodoxes et romaine… Même quelquefois, entre Orthodoxes, la communion peut être rompue : une fois j’ai rompu ma communion avec un prêtre parce que je considérais que son action était telle que je ne pouvais pas communier avec lui. Pourtant, pendant la guerre, on a considéré que, si un prêtre romain était en danger de mort et qu’il n’y avait pas d’autres prêtres romains, un Orthodoxe pouvait lui donner la communion sans lui demander, dans ce cas-là, de devenir orthodoxe, et réciproquement.

Mais normalement, non, on ne peut pas appartenir à deux Églises.

[1]. Rappelons que nous sommes en 1963.

[2]. Les anathèmes ont été levés, mais la communion n’est toujours pas rétablie.

[3]. Nous sommes toujours en 1963 !

[4]. « Fondée par le Christ lui-même » : cf. Jean 20, 21-23.

[5]. Cf. 1 Tm 6, 20 et 2 Tm 1, 14.

[6]. 1 Co 1, 12-13.

[7]. Ap 20, 14.

[8]. 1 Co 12, 21.

[9]. L’Église catholique orthodoxe de France fait de même. Et est-il besoin de rappeler que l’Évêque Jean est né au ciel en la fête des trois saints docteurs, le 30 janvier 1970 ?

[10]. Ga 4, 22 et suiv.

[11]. Os 6, 6

[12]. Os 2, 18-22

[13]. De Japhet, troisième fils de Noé.

[14]. Remarque prophétique en 1963 !

[15]. Phrase lacunaire dans le texte : « Tous les spiritualistes du monde, au commencement avec… »

Lire à ce sujet saint Hippolyte de Rome : La Tradition apostolique, aux Sources Chrétiennes n° 11 bis.