Restauration du rite (Rapport commission liturgique)

RESTAURATION DE L’ANCIEN RITE DES GAULES

RAPPORT DE LA COMMISSION LITURGIQUE
DE L’EGLISE CATHOLIQUE ORTHODOXE DE FRANCE (1968)

A – APOLOGIE DU PRINCIPE DE LA DIVERSITE DES RITES DANS L’UNITE DE LA FOI

1 – Terminologie

2 – Notre Credo

3 – Liberté dans la tradition

4 – Diversité des rites

5 – La voix apostolique

6 – La voix patristique

7 – La messe de saint Pierre

8 – La voix des conciles

9 – Y a-t-il unité de rite dans l’Eglise d’Orient ?

10 – Orthodoxie occidentale

B – DU RITE OCCIDENTAL ET DE SA CELEBRATION PAR L’EGLISE ORTHODOXE DE FRANCE

1 – Introduction

2 – Année liturgique

3 – Le Sanctoral

4 – Le jeûne

5 – Le Lectionnaire

6 – Les Heures (office divin)

7 – La Liturgie eucharistique et le Missel

C – LE RITE DES GAULES DANS LE RITE OCCIDENTAL

1 – Introduction

2 – Ecclésiologie orthodoxe

3 – Qualité traditionnelle du rite des Gaules

4 – Parenté de la Divine Liturgie des Gaules avec celle de St Jean Chrysostome

5 – Noblesse apostolique et patristique du rite

6 – Témoignages ou « consensum ecclesiae »

D – APPORTS ORIENTAUX DANS LA LITURGIE SELON L’ANCIEN RITE DES GAULES

1 – Légitimité de la compénétration

2 – Mode de compénétration

3 – L’année liturgique

4 – La Divine Liturgie

E – LES SOURCES

1- Définition

2 – Documents

3 – Historique de l’étude du rite des Gaules

4 – Restauration du rite des Gaules dans l’Orthodoxie

5 – Méthode de restauration

CONCLUSION

A – APOLOGIE DU PRINCIPE DE LA DIVERSITE DES RITES DANS L’UNITÉ DE LA FOI

1- TERMINOLOGIE

Par le terme rite nous désignons tout un complexe de la vie liturgique : le calendrier solaire et lunaire, les dates des fêtes et des saints honorés, les péricopes des lectures, les jeûnes hebdomadaires et annuels, la structure des services divins, le partage des psaumes et des chants, les mélodies, la manière de célébrer (gestes, encensements), la liturgie eucharistique, les autres sacrements, l’habillement du clergé dans l’église et en ville, la pratique de la communion : sa fréquence et ses conditions etc., en un mot, tout ce qui concerne la prière publique et la piété ecclésiale.

Par le terme foi, nous embrassons non seulement le minimum des dogmes essentiels du christianisme, mais la plénitude de la foi orthodoxe. Nous ne nous limitons pas aux dogmes proclamés par les sept conciles œcuméniques confessant la Divine Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, seul Dieu en trois Hypostases, égales en gloire, les deux natures en Christ : divine et humaine, les deux volontés en une seule Hypostase, Marie toujours Vierge Mère de Dieu, la vénération des saintes icônes et des reliques, mais aussi tous les autres dogmes de l’Eglise, annoncés et enseignés des temps apostoliques et après les sept conciles jusqu’à nos jours ; que ce soient les sept sacrements, la descente prééternelle du Saint-Esprit du Père, la grâce incréée, la lumière divine du Mont Thabor, le mystère de notre rédemption et du salut du monde, les principes canoniques et moraux de l’Eglise, l’ecclésiologie orthodoxe, ou l’unité de l’Eglise dans la concorde des Églises-sœurs égales en pouvoir, etc.

Lorsque nous disons : foi, nous entendons en plus l’adhésion intellectuelle, la foi vécue, illuminant notre existence. Le culte de l’Eglise est appelé à introduire le peuple pieux dans la plénitude de la foi orthodoxe, au moyen des textes sacrés de la Bible et des paroles inspirées des Pères pneumatophores.

2 – NOTRE CREDO

Par le terme Eglise orthodoxe, nous entendons l’Eglise chrétienne demeurée fidèle à l’Eglise des temps apostoliques et des Pères des sept conciles œcuméniques, sans hérésie ni limitations de la Vérité révélée, ni diminution de la grâce et de la puissance du Saint-Esprit.

C’est l’Esprit-Saint qui la guide et l’inspire continuellement depuis vingt siècles sans déviation ou amoindrissement de la plénitude de la foi. Tel est notre credo, telle est la foi orthodoxe.

Si l’Eglise orthodoxe est la vraie Eglise du Christ, fidèle aux Apôtres et aux conciles œcuméniques, elle est aussi celle des rites divers, de tradition orientale ou occidentale, dans l’unité de la foi. Actuellement, à la suite d’accidents historiques, elle se trouve composée, par excellence, de peuples orientaux et le rite byzantin s’y avère prédominant. Néanmoins, ce fait ne peut servir d’argument pour écarter les autres rites. Accepter la thèse erronée d’une Eglise orthodoxe seulement orientale et byzantine, serait une faute grave et le chemin ouvert à des hérésies ecclésiales. En effet, si la vocation universelle de l’Eglise orthodoxe est limitée, elle cesse d’être l’Eglise telle que le Christ l’a voulue et que les Apôtres la prêchèrent, elle devient, non la vraie Eglise, mais une des Eglises plus ou moins vraie parmi d’autres Eglises, et l’unité de foi est brisée car d’autres Eglises ne confessent pas l’orthodoxie dans sa pureté et diffèrent d’elle par leurs dogmes, que ce soit l’Eglise romaine ou les Eglises préchalcédoniennes. Dans l’optique de cette thèse, il deviendrait alors secondaire de croire qu’en Christ il y a une ou deux natures, ou que l’Esprit procède du Père seul ou du Père et du Fils, ou que le Pape est infaillible : et l’on serait ramené à un relativisme en contradiction avec la fermeté du dogme orthodoxe.

3 – LIBERTE DANS LA TRADITION

L’Eglise orthodoxe bien qu’organiquement traditionnelle, répugne à tout ce qui altère « la liberté glorieuse des enfants de Dieu » achetée par le Sang du Christ. La huitième règle du concile d’Ephèse s’opposa à l’esprit de domination embrumé par la vanité du monde. Elle ne pourra donc jamais accepter l’absolutisme de Rome et défendra toujours la liberté des Eglises locales, à l’image des Trois Personnes de la Trinité, distinctes et égales en gloire. Malheureusement, l’ombre du pouvoir papal guette et se profile parfois. Nous voyons, par exemple, au cours de l’histoire de l’Eglise orthodoxe, cette réaction inspirée par le Saint-Esprit contre une langue liturgique essayant d’étouffer les autres. Ainsi l’Eglise roumaine fut obligée de combattre longuement l’ingérence grecque ou slave ; le patriarcat d’Antioche qui réunit les peuples phéniciens de langue arabe, eut grande difficulté à introduire l’arabe liturgique, sans retrouver pour autant son rite antique. Et le patriarcat d’Alexandrie, sous la pression de la Deuxième Rome perdit sa propre tradition.

Ou bien l’Orthodoxie est l’Eglise authentique du Christ, n’ayant pas le droit de repousser les coutumes et les traditions diverses, entre autres les occidentales de racine apostolique et patristique, ou bien une autre doit prendre sa place. Laquelle ? L’Eglise romaine, l’Eglise protestante, l’Eglise arménienne…? Pour nous la question ne se pose pas. Ou bien l’Eglise du Christ n’existe plus, au sens total de ce mot et, loin de nous un pareil blasphème.

4 – DIVERSITÉ DES RITES

Certains prétendent que l’unité de l’Eglise orthodoxe est non seulement dans le dogme – « en esprit et en vérité (Jo 4, 23) – mais aussi dans un rite unique. Ils commettent une erreur lourde de conséquences, en désobéissance avec les Pères de l’Eglise orthodoxe de tous les temps. Cette erreur, encore ignorée au XIXe siècle, s’est glissée à notre époque dans nombre d’esprits. Nous présumons qu’elle est due à une influence du Vatican qui introduit dans la conscience des orthodoxes que l’Orthodoxie réside dans « l’admirable rite byzantin, dans les émouvants chants slavo-roumains, dans la profondeur de la pensée grecque, et que les différences dogmatiques ne sont point essentielles » ! En réalité, l’Eglise orthodoxe n’est pour Rome qu’une fraction du christianisme oriental, moins universelle que le protestantisme. Fraternellement, elle prépare une nouvelle forme d’uniatisme. Nous qui vivons en Occident, nous ressentons fortement et rencontrons personnellement ce qui échappe aux orthodoxes habitant les pays orthodoxes ou aux orthodoxes émigrés, même les mieux assimilés.

De même qu’il n’y a qu’un seul Esprit et une multitude de dons, un seul Seigneur et une multitude de ministères, un seul Dieu et une multitude d’actions, un seul Corps composé de différents membres, une seule Eglise rassemblant les Églises-sœurs, un seul Évangile écrit par quatre évangélistes, une seule Jérusalem céleste aux douze portes ouvertes, une seule race nouvelle, peuple royal unissant les nations avec leur Archanges et leurs cultures, un seul épiscopat coordonné par un grand nombre d’évêques, de même il n’y a qu’une seule Eucharistie se manifestant dans les temps et les lieux par différents rites et coutumes.

Saint Athanase le Grand, saint Basile le Grand, saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise confessant unanimement le Verbe divin incarné, luttaient ensemble contre l’hérésie arienne, et formant l’Eglise unique du Christ par leur enseignement, célébraient chacun la Divine liturgie selon le rite de leur pays ; Athanase : celui d’Alexandrie ; Basile : celui d’Asie mineure ; Hilaire : celui des Gaules et Ambroise : celui d’Italie. Aucun des quatre ne célébra la liturgie dite de saint Jean Chrysostome, les quatre ignoraient le Typicon byzantin formé tardivement. Étaient-ils moins orthodoxes que nous ? Étaient-ils désunis dans la foi ? Étaient-ils séparés par différentes confessions ? N’étaient-ils point orthodoxes ?

Le rite romain en sa forme traditionnelle – pour ne citer que lui – est aussi orthodoxe que le byzantin, car il fut celui de saint Grégoire le Grand, de saint Léon le Grand, de saint Benoît, de la nuée des martyrs et des saints inscrits dans le calendrier orthodoxe. Sa non-orthodoxie réside en certaines déviations survenues ultérieurement, telles que l’ajout du  » filioque », la négation de l’action du Saint-Esprit dans la transformation du pain et du vin en Corps et en Sang du Seigneur, la privation de la Coupe pour les fidèles, l’introduction d’éléments rituels et de fêtes liturgiques que la Tradition ininterrompue peut contester etc. Un problème analogue se pose pour les rites copte, arménien et autres. Notons que celui des Gaules échappe théologiquement à ces difficultés.

En résumé, l’Église orthodoxe étant la continuatrice de l’Eglise indivise, reconnaît la diversité des rites et des coutumes dans l’unité de la foi.

5 – LA VOIX APOSTOLIQUE

Le divin Paul, ayant enseigné avec vigueur aux fidèles les dogmes de la Révélation, les exhorte au chapitre 14 de son Épître aux Romains : « Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange, car Dieu l’a accueilli … Tel met de la différence entre les jours ; tel autre les estime tous pareils… Celui qui observe tel ou tel jour, l’observe en vue du Seigneur ; et celui qui mange, mange en vue du Seigneur, car il rend grâces à Dieu ; et celui qui ne mange pas, c’est en vue du Seigneur qu’il ne mange pas, et il rend aussi grâces à Dieu ». Saint Paul demande de ne pas « discuter les opinions » sur les questions qui peuvent varier suivant les individus ou les groupes. « Le même cœur, la même bouche pour glorifier Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ », tolérance dans le reste, c’est-à-dire : manière de jeûner, de fêter, tout ce qui concerne la pratique liturgique.

Dans le chapitre 2 de son Épître aux Colossiens, après avoir édifié les chrétiens sur Celui en Qui habite corporellement la plénitude de la divinité, il écrit : « Dès lors, que nul de vous ne juge sur le manger et le boire, ou au sujet d’une fête, d’une nouvelle lune ou d’un sabbat ; ce n’est là que l’ombre… la réalité se trouve dans le Christ ». Il est certain que Paul ne parle pas ici des rites divers – à cette époque, une large place était laissée à l’improvisation du célébrant – mais le principe est le même : distinction du contenu et de l’expression.

Et que dire, dans l’épître aux Galates, des paroles tracées en gros caractères par sa main inspirée, sur les circoncis et les incirconcis : « Car la circoncision n’est rien, l’incirconcision n’est rien ; ce qui est tout, c’est la nouvelle créature. Paix et miséricorde sur tous ceux qui sont greffés sur ce canon ». (6, 15-16)

Nous pensons donc qu’il n’est pas raisonnable de vouloir circoncire l’Occident par des rites orientaux, mais qu’il faut nous greffer sur le canon principiel, « la nouvelle créature » en Christ ressuscité, par la puissance insaisissable et infinie de l’Esprit, à la gloire du Père. En effet, il existe une certaine analogie entre les Occidentaux qui retournent à l’Orthodoxie et les Grecs des temps apostoliques qui se convertissaient ; ne pas réclamer des païens la circoncision était une des exigences de l’Apôtre des nations pour que sa mission universelle puisse procurer une récolte abondante.

Le premier concile, prototype de tous les conciles de l’Eglise du Christ, se réunit précisément pour distinguer ce qui est indispensable à tous, de ce qui ne l’est pas : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d’autres charges que celles qui sont indispensables ». (Act. 15, 28)

6 – LA VOIX PATRISTIQUE

Les Pères, à la suite des Apôtres, proclamèrent l’unité dans la foi et la coexistence de coutumes différentes. Trop de textes connus expriment cette pensée, il serait fastidieux de les citer tous. Que plusieurs témoins prennent la parole :

En premier lieu, notre père en Orthodoxie : saint Irénée, petit-fils spirituel de saint Jean le Théologien. La polémique autour de la date pascale et du jeûne, s’envenime entre Rome et l’Asie Mineure. L’évêque de Rome, dans son zèle immodéré, tenté par la puissance plus que par la charité, excommunie l’Eglise de Smyrne. Saint Irénée qui vécut sa jeunesse dans le rite de l’Asie Mineure et qui, venu prêcher en Gaule accepta probablement le rite de l’Occident, supplie Rome d’éviter le schisme et de tolérer les différentes coutumes locales. Soulignons la phrase irénique qui semble paradoxale mais qui contient une vérité profonde : « la dissonance rassemble la concorde de la foi ». (Lettre à Victor de Rome ; Eusèbe : Hist. ecclé. V; XXIV,13). Dans la même lettre, il raconte la rencontre d’Anicet et de Polycarpe qui communièrent ensemble en dépit de leurs divergences liturgiques. La paix régnait malgré que « les uns observent une coutume, les autres ne l’observent pas ».

Le sage Denys d’Alexandrie qui nous laissa de précieux conseils canoniques, prêche la même tolérance en citant le Deutéronome (19, 14) : ‘Tu ne déplaceras pas la borne de ton prochain, posée par les ancêtres ».

Lorsque saint Augustin parle des communions fréquentes ou rares selon les Eglises – question plus importante que le rituel – il nous lègue une formulation heureuse : « Les coutumes sont librement observées, et pour un chrétien grave et prudent, le mieux est de faire ce qu’il voit faire là où il se trouve. Car il faut regarder comme indifférent ce qui n’est pas contre la foi ou les mœurs, et juger les choses du point de vue du milieu où l’on vit ». Voilà des paroles mesurées ! En effet, la foi et les mœurs (au sens moral) sont identiques dans la catholicité, mais en face des formes liturgiques, « un chrétien grave et prudent » doit tenir compte du milieu.

En posant la question du rite occidental en sa forme gallicane, nous avons tenu compte précisément du milieu. On ne peut arracher le peuple français de sa propre tradition chrétienne, et lui imposer globalement une autre civilisation ; on doit lui apporter la richesse de la foi orthodoxe et sa spiritualité vivante. « In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas« , dit le même Augustin.

Et que dire de saint Photius, défenseur intrépide de la pneumatologie orthodoxe qui déclare en sa troisième épître (par. 6) : « Si les différences, et même les déviations ne touchent pas la foi et les décisions conciliaires universelles, par exemple lorsque les uns se tiennent à telle règle canonique ou tradition liturgique, les autres à telle autre, réfléchissant justement et logiquement, on doit reconnaître que ceux qui gardent une coutume particulière ne font rien d’injuste et que ceux qui ne l’ont pas ne pèchent pas contre l’Eglise ».

Le schisme entre Rome et l’Orthodoxie est consommé, et pourtant les Pères de l’Eglise grecque continuent à reconnaître la validité du rite romain. Nicolas Cabasilas qui nous a laissé un des meilleurs commentaires de la liturgie de saint Jean Chrysostome de son temps (P.G.t.CL col. 368492) – nous disons de son temps, car plusieurs éléments furent introduits postérieurement – et dont l’œuvre demeure classique jusqu’à nos jours, n’a pas hésité à traiter la liturgie romaine de liturgie légitime. Sa critique et ses remarques visent non le rite en soi mais l’absence de l’épiclèse dans la doctrine latine de la transsubstantiation. Mgr Jean de Saint-Denis a ramassé le problème dans son ouvrage « Le Canon eucharistique ». Une semblable attitude patristique se prolonge sans interruption jusqu’aux temps modernes. Lorsqu’au XVIIIe siècle l’Eglise anglicane s’adressa aux Patriarches orientaux, ces derniers, fidèles à la tradition de 18 siècles, répondirent par leur célèbre épître de 1723 qui réclamait comme fondement de l’union, l’unité des dogmes de l’Eglise indivise et ils ajoutèrent : en « ce qui concerne les différentes coutumes et rituels ecclésiastiques ainsi que la manière de célébrer la Sainte Liturgie (Messe), tout cela, l’union étant réalisée, il sera, avec l’aide de Dieu, facile et simple de la modeler, car selon l’histoire de l’Eglise, le fait est connu de tous, certaines coutumes diffèrent selon les lieux et les Eglises, mais l’unité de la Foi, l’unité de l’Esprit dans les dogmes doit rester inébranlable ».

Un siècle plus tard, en 1895, le Patriarche de Constantinople Anthime, envoyait une encyclique aux évêques, clercs et fidèles de son patriarcat à propos de l’encyclique de Léon XIII, Pape de Rome : « Chaque chrétien doit être rempli du désir ardent de l’union des Eglises, et par excellence les fidèles orthodoxes sont brûlés par l’ardeur de retrouver l’unité dans la Foi avec à la base l’enseignement des Apôtres et des Pères, Jésus-Christ Lui-même étant la pierre angulaire « (Eph. 2, 20) et il ajouta :… Nous n’avons nullement en vue les différences concernant le rituel et les rites sacrés, c’est-à-dire les textes liturgiques, hymnes, ornements, etc. Les différences existaient bien dans l’Antiquité et ne peuvent nuire à l’essence et à l’unité de la Foi ». Par cette phrase Anthime résume tout le passé de l’Eglise et sa stabilité dans l’économie ecclésiale.

Les pourparlers de l’Eglise orthodoxe avec l’Eglise vieille-catholique, suivent la même ligne. Les difficultés surgies ne provinrent pas du rite mais d’imprécision dogmatique et de questions canoniquement discutables, par exemple le mariage des prêtres après l’ordination, les évêques mariés. Ces deux faits ne pouvaient économiquement être admis sans la décision d’un nouveau concile œcuménique (pan-orthodoxe) ou, du moins, le consentement unanime de toutes les Eglises autocéphales.

Fin du XIXe siècle, une communauté persane de Nestoriens, ayant demandé d’entrer dans la communion orthodoxe, le Saint-Synode de Saint-Pétersbourg l’acceptait avec son rite propre, ses particularités canoniques, n’imposant que le dogme du Christ : une Personne, deux natures et, dans le rite, ne modifiant que ce qui touchait à ce dogme.

En 1872, le même Saint-Synode permettait à des communautés d’Amérique de célébrer le rite occidental et proposait un texte du rite romain avec les rectifications suivantes : l’introduction du Trisagion au début de la messe, emprunté au rite gallicano-oriental, l’effacement du terme « mérite des saints » dans les collectes (écartant ainsi toute possibilité de la théorie des « indulgences »), la disparition du « Filioque » dans le Credo, la suppression de l’agenouillement et de l’adoration des saints Dons après les paroles de l’Institution, introduits dans le rite romain aux XIIe/XIIIe siècles, l’intercalation de l’Epiclèse dans la prière : « Supplices Te », l’élévation des Dons et la prosternation le canon eucharistique terminé, la communion sous les Deux Espèces et le pain levé à la place de l’hostie. Parallèlement, le Saint-Synode bénissait le rite des Gaules restauré à la même époque par l’archiprêtre Vladimir Guettée.

La décision de 1872 de l’Eglise russe vis à vis de l’Amérique fut récemment appliquée par le Patriarcat d’Antioche à des communautés américaines d’origine anglicane.

Entre les deux guerres, l’Église autocéphale de Pologne accueillait les Polonais dans l’Orthodoxie en leur laissant leurs rites et coutumes, ceci avec le consentement du Patriarcat de Constantinople qui lui avait accordé l’autocéphalie. Malheureusement, après la guerre et à la suite de la démission du métropolite Dionissios, sous la pression d’éléments russes et la russification intense de l’Eglise orthodoxe de Pologne, les Orthodoxes polonais se joignirent à l’Eglise vieille-catholique. L’Eglise autocéphale polonaise est devenue une Eglise russe en territoire polonais.

Après cet exposé des témoignages des Pères à travers les siècles, rappelons le Décret du 16 juin 1936 du Patriarche Serge de Moscou, décret qui ouvrait la porte à l’Orthodoxie Occidentale.

Nous pouvons conclure, en conséquence, que « la nuée des témoins » pendant les vingt siècles d’Orthodoxie a confessé sans interruption ni variation, la légitimité des différentes traditions et coutumes locales, dans l’unité de la foi.

7 – LA MESSE DE SAINT PIERRE

Il est intéressant de produire ici un document témoin de la pratique de la liturgie romaine en Orient : la « Liturgie de saint Pierre » que l’on trouve dans des manuscrits orientaux : grecs, slavons et géorgiens. Ces manuscrits s’étendent du IXe au XIXe siècles.

La Liturgie de saint Pierre occupe la troisième place dans les manuscrits orthodoxes ; elles est transcrite après celle de saint Jean Chrysostome et de saint Basile. Quelquefois, elle porte le nom de « Liturgie de saint Grégoire du Dialogue » (Grégoire le Grand, pape de Rome) ou simplement « Liturgie latine ». Remarquons qu’il eût été plus naturel pour l’Orient – et ceci est précieux pour l’Occident – d’avoir à sa place la Liturgie de saint Jacques. Sa présence au sein des textes orientaux expliquerait la raison du nom de saint Grégoire, tardivement attaché à la Messe des Présanctifiés qui est étrangère à l’Eglise de Rome.

Deux manuscrits grecs renfermant ces trois liturgies sont à la Bibliothèque Nationale (n°322 et sup.g.476), quatre à la Vaticane, (Vat.1970, Vat. Borg. série 1-506, Vat. 337 Ottob.189 et 387), un à Grotto Ferrare (FB7), un à Athènes (col. A. Kolybos), et enfin, un au Mont-Athos au monastère saint Pantaléimon (5.924) ; ceci ne concerne que les manuscrits grecs, sans compter les slaves et les géorgiens.

Que présente la Liturgie de saint Pierre, troisième liturgie orthodoxe ? Elle n’est rien d’autre que la messe romaine traduite en grec (ou en slavon et géorgien), avec une épiclèse qu’on appelle ordinairement dans la littérature liturgique : « épiclèse de la Messe de saint Pierre », et enrichie d’éléments orientaux. Notons que les manuscrits de la Bibliothèque Nationale et de la Vaticane ne sont pas d’origine occidentale ; ils sont dus à la main pieuse de copistes orthodoxes et nous parvinrent en Occident avec tant d’autres trésors. Ils ne sont pas non plus œuvre d’uniates ou de missionnaires romains, car la griffe orthodoxe est visible. Tout porte à croire que les orthodoxes la célébrèrent, à l’instar des deux autres grandes liturgies. Dans quelles circonstances ? Nous l’ignorons. Bien que respectueuse de la liturgie romaine, la messe de saint Pierre ne la suit pas aveuglément, elle la rectifie dogmatiquement et la complète par le génie spirituel de l’Orient.

8 – LA VOIX DES CONCILES

Les témoignages que nous avons donnés seraient suffisants, mais peut-être existe-t-il des décisions conciliaires universelles qui empêcheraient de reconnaître les différents rites ? Saint Photius, déjà cité, n’écrivait-il point : … « Si les différences et même les déviations ne touchent pas la foi et les décisions conciliaires… on doit reconnaître que ceux qui gardent une coutume particulière ne font rien d’injuste ».

Ni les règles Apostoliques, ni les conciles œcuméniques et locaux ne procédèrent jamais à une codification du rituel (typicon), ni à l’unification universelle de la liturgie. Ainsi, les Règles Apostoliques qui président à la législation canonique orthodoxe, ordonnent trois immersions au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit pour le baptême (49, 50), sans préciser les détails et les formes liturgiques entourant ce sacrement. Elles ne soufflent mot des exorcismes, de l’imposition des mains, de la confession de la foi, du renoncement à Satan, de l’onction avec l’huile des catéchumènes. De plus, elles laissent la porte ouverte aux diverses coutumes : les uns emploient le sel incorruptible de la sagesse et le souffle d' »Epheta », les autres la procession autour du baptistère etc.

Examinons deux conciles orientaux entrés dans le « Pédalion » (gouvernail), qui s’occupèrent plus que les autres de problèmes liturgiques : le concile de Laodicée et le concile « in Trullo ».

Le concile de Laodicée promulgua 60 règles dont la majorité traite – comme les autres conciles – de questions disciplinaires, tels que les rapports avec les hérétiques, le culte des faux martyrs, le mariage, l’élection des évêques etc. Cependant, plusieurs de ses canons envisagent la liturgie. Enumérons-les :

Le canon 14 parle d' »eulogie », coutume disparue.

Le canon 15 insiste pour que les chantres soient ordonnés ; actuellement dans la plupart des Eglises orthodoxes ou romaines, les chantres ne le sont plus.

Le canon 16 prescrit de lire l’Evangile le samedi, en plus du dimanche ; cette prescription prouve qu’à Laodicée (IVe s.) il n’existait pas encore de lectionnaire quotidien dont se sert depuis l’Eglise orthodoxe. Cette règle nous indique le progrès de la liturgie.

Le canon 17 est intéressant pour l’histoire de la liturgie. Il commande de ne plus chanter les psaumes de manière ininterrompue pendant l’Office divin, mais désire qu’une leçon soit intercalée après chaque psaume, luttant ainsi contre la monotonie de la prière en équilibrant le rythme. L’Occident a gardé presque formellement ce précepte ancien. Aux Matines, il coupe le psautier de leçons de l’Ancien Testament et des Pères de l’Eglise (rite romain : 3 psaumes, 3 leçons ; rite bénédictin : 4 psaumes, 4 leçons). Par contre, l’Orient a perdu sur la route historique les leçons quotidiennes de l’Ancien Testament et des Pères de l’Eglise. Il ne garde l’Ancien Testament qu’aux vêpres de Carême et aux vigiles de fête. La leçon patristique n’a lieu que la nuit de Pâques. Si les leçons sont tombées dans l’oubli, la riche poésie ecclésiale est née pour donner la réplique au psautier. Le principe du 17ème canon a donc abouti à une nouvelle solution.

Le canon 18 prescrit de dire la même prière à none et à vêpres, sans préciser pour autant quelle est cette prière. Plusieurs hypothèses ont eu cours. Celle qui nous semble la plus naturelle est que le jour liturgique débutant, on le sait, à vêpres, none pouvait être englobé soit dans le jour précédent, soit dans le jour suivant la règle 18 attache none au jour suivant, coupant la journée à l’heure de la mort du Christ. Cette coutume est demeurée.

Le canon 19 est le plus célèbre liturgiquement, car il nous indique en grandes lignes la structuration de la messe : la prière des catéchumènes après l’homélie, suivie de la prière des pénitents et des trois prières des fidèles ou d’offrande, une à voix basse, deux à haute voix. Certes, il ne fournit pas le texte (les prières, à cette époque, variaient et s’improvisaient ou étaient transmises par tradition orale), mais donne grosso modo l’ordonnance. L’homélie après l’évangile, de tradition indiscutablement universelle, est rapportée dans maintes Eglises orientales à la fin de la Divine Liturgie ; c’est une anomalie, car la prédication fait partie intégrante de la liturgie des catéchumènes. La prière pour les pénitents n’existe plus, celles des catéchumènes sont restées dans les textes liturgiques d’Orient, les uns les omettent, vu l’absence de catéchumènes, d’autres les gardent en souvenir du passé. L’intérêt principal de ce canon réside dans les trois prières d’offrande et le balancement entre les prières à voix basse et à voix haute. De quelles prières s’agit-il ? Il est difficile de le préciser. Sont-ce les trois prières précédant l’anaphore ? Nous les trouvons, en effet, dans les liturgies de saint Jean Chrysostome et de saint Basile, soit deux avant la Grande Entrée, une après (nous ne parlons pas de la belle prière : « Personne n’est digne de s’approcher de Ton saint autel… » introduite postérieurement et qui rencontra de l’opposition ; elle est un enrichissement). Dans la liturgie des Gaules, les trois prières sont présentes : collecte de l’offertoire, post-nomine et collecte de paix. Le rite romain n’a conservé qu’une prière : la secrète ; l »‘oremus » isolé avant l’offertoire, pris par les liturgistes de Vatican II pour un vestige de litanie, indique les prières disparues. Peut-être le concile voulait-il englober l’anaphore (le canon eucharistique) dans ces trois prières, à la manière de saint Isidore qui partage la Messe des Fidèles en sept prières, allant de l’offertoire jusqu’à la communion ? Le concile instaure la règle d’or de prier à voix haute et à voix basse. L’Eglise romaine pratique les deux extrêmes : la messe basse et la messe réformée par Vatican II, toute à haute voix. En Orient, à part les doxologies, la prière devant l’ambon et les litanies, tout se dit à voix basse, même la préface de l’anaphore (à l’exception des réformes liturgiques réalisées par « Zoi »). Sur ce point, le rite oriental s’éloigne du concile.

Le canon 22 prive les sous-diacres de l’orarion (étole). L’Occident est fidèle à cette règle tandis que l’Orient laisse aux sous-diacres et même aux enfants un orarion croisé.

Le canon 24 énumère les ordres mineurs à la manière occidentale et non orientale.

Le canon 49, par contre, ordonne de ne célébrer l’eucharistie que le samedi et le dimanche pendant le Carême, pratique orientale suivie par les Gaules et inconnue du rite romain qui, depuis la plus haute antiquité célébrait les messes stationnaires tous les jours de la Quadragésime.

Les canons 50 et 51 traitent du jeûne et de la suppression des fêtes pendant le Carême. Sauf exception, ces règles sont observées partout. Le concile « in Trullo » reviendra sur ce sujet.

Le canon 59, enfin, s’oppose aux psaumes composés. Pourtant saint Ambroise en Occident, saint Ephrem en Orient furent initiateurs de psaumes composés. Et longtemps avant eux, l’Eglise primitive fleurissait d’hymnes ses heures de prières ; saint Paul, lui-même, en cite plusieurs : « Ô profondeur insondable… » (Rom 11, 33). « Éveille-toi, toi qui dors… » (Eph 5, 14)). Théodoret connaissait cet hymne en entier. Le « Phos Hilaron » (« Lumière joyeuse ») et tant d’autres sont parvenues jusqu’à nous. Le sermon pascal de saint Jean Chrysostome n’est rien d’autre qu’une paraphrase d’un hymne chrétien du IIIe siècle. En avançant dans la liturgie, l’Eglise s’éloigne de plus en plus de cette règle, et la psalmodie ecclésiastique de génies tels que Roman le Mélode et Jean Damascène, enguirlande abondamment les psaumes. En Orient, pratiquement, le psautier recule devant l’abondance des strophes, des tropaires et des odes.

Cette rapide analyse du concile de Laodicée qui prêta attention à la liturgie, nous amène à la conclusion suivante : nous sommes loin de codification, fixation ou unification liturgiques. Quelques décisions touchant tels ou tels détails (même le 19e canon est loin d’exposer une structure générale de la liturgie eucharistique) sont énoncées. Certains canons sont plus ou moins observés par l’Occident, d’autres par l’Orient. L’évolution organique de la liturgie transforme, omet, complète de çi, de là.

Considérons, à présent, le concile « In Trullo », concile plus désireux que les autres de codification. Il promulgua 102 canons, dont 13 ont trait à la liturgie. (Si le concile de Laodicée prit place dans le recueil latin, ce n’est pas le casde « in Trullo » qui ne fut jamais accepté entièrement par l’Occident, malgré son aspect œcuménique).

Ce concile se pencha sur le rite arménien – en vue d’une possible réunion à l’Orthodoxie de cette Eglise monophysite – et sur les coutumes romaines.

N’oublions pas que les Arméniens étaient déjà en schisme avec l’Orthodoxie tandis que Rome demeurait dans l’unité.

Trois canons se rapportent à la liturgie arménienne.

Le 33ème réclame pour la célébration eucharistique le vin mélangé d’eau – les Arméniens négligeaient l’eau. Nous sommes devant un cas théologico-rituel ; ainsi que l’exprimaient saint Cyprien et la prière du rite antique romain, le mélange du vin et de l’eau symbolisent les deux natures en Christ. L’absence rituelle de l’eau, si puissante est la réalité du symbole, conduit au monophysitisme.

Le 81ème s’oppose à l’ajout au Trisagion : « crucifié pour nous », car ces paroles crucifient le Père avec le Fils, introduisant la confusion anti-chalcédonienne de l’humanité et de la divinité. Le concile accepte implicitement le rite arménien, il corrige simplement ce qui s’oppose à la foi orthodoxe ou qui peut faire naître une déviation dans la mystagogie liturgique.

Le 99ème critique la coutume locale arménienne d’apporter de la viande dans l’église. Cette règle rappelle celle des apôtres (3,4) ainsi que les règles 28 et 57 du concile que nous étudions, qui défendent de déposer sur l’autel du miel, du lait, des raisins… afin de sauvegarder la sainteté des lieux et de ne point mêler le profane au sacré.

En face de Rome, la situation est autre. Les Pères n’avaient pas de problèmes rituélo-dogmatiques.

Le 52ème ordonne les Présanctifiés pour chaque jour de Carême, à l’exception de l’Annonciation, du samedi et du dimanche. Ce canon ne pouvait être accepté de Rome. Les Présanctifiés célébrés dans le rite ambrosien (les vendredis de Carême) et dans le rite gallo-mozarabe, étaient ignorés de Rome ; ainsi que nous l’avons dit plus haut : l’évêque de Rome depuis l’antiquité chantait les messes stationnaires, allant d’une église à l’autre, tous les jours de Carême. En Orient, cette règle dans la majorité des Eglises, ne fut pas suivie à la lettre. Les uns célébraient les Présanctifiés du lundi au vendredi, les autres le mercredi et le vendredi.

Le 55ème blâme Rome pour son jeûne du samedi, s’appuyant sur la 66ème règle apostolique. Le concile, composé d’évêques grecs, oublie que le recueil latin ne possède que 50 règles, et que celles dépassant le nombre 50 étaient entièrement inconnues des Eglises latines. Déjà saint Cassien de Marseille, qui avait longtemps vécu en Orient, ordonné diacre par saint Jean Chrysostome, connaissait les deux disciplines. E expliqua alors dans ses « Conférences » que les Orientaux ne jeûnent pas le samedi par respect du jour du Seigneur et que les Occidentaux jeûnent le samedi pour se préparer (Vigiles) au dimanche de la Résurrection. Venu d’Orient, il s’incline, néanmoins, dans ses règles monastiques, devant la coutume occidentale. Ajoutons que le jeûne du samedi est tombé en désuétude en Occident.

Ces deux canons montrent que l’Eglise indivise ignorait le papisme et qu’un concile pouvait donner des instructions au pape de Rome comme à l’un de ses membres, égal aux autres ; ils nous dévoilent aussi que les pratiques rituelles occidentales étaient peu connues de l’Eglise de Byzance. Disons quelques mots des autres canons.

Le 29ème est précieux, car tout en ordonnant le jeûne eucharistique, il respecte les coutumes locales d’Afrique (voir le canon 28 d’Hippone).

Le 56ème ordonne le même carême dans toutes les Eglises. Ici encore, il n’est pas strictement suivi.

Le 66ème rescrit de fêter la semaine de Pâques.

Le 75ème nous instruit de chanter les psaumes « recto-tono« , sans vociférations, veillant au style sobre de la liturgie.

Le 78ème invite les catéchumènes à réciter le Symbole le Jeudi Saint. En Occident, il était toujours récité le mercredi de l’Illumination (4ème semaine de Carême). Les pratiques du catéchuménat variaient selon les Eglises.

Le 89ème parle du jeûne de la Semaine sainte.

Le 90ème renouvelle l’ordre du premier concile œcuménique de ne passe prosterner le dimanche, ni aux fêtes du Seigneur. En général, cette règle est oubliée. L’Eglise catholique orthodoxe de France s’y conforme.

Enfin, le canon 101 prescrit de recevoir le Corps sur les deux mains jointes, posées l’une sur l’autre en forme de croix. Ce mode de communion n’est resté que pour les clercs.

Le contexte historique du concile de Laodicée (IVe siècle) diffère de celui du concile « in Trullo » (691). On ne peut parler de rites établis au IVe siècle, tandis qu’au VIIe s. les formes sont déjà précisées. L’arménien diffère sensiblement du byzantin, et le rite latin encore plus du rite grec. Les Arméniens et les Romains ne sont pas présents au concile « in Trullo », et pourtant aucune allusion à une unification des rites, ni le désir d’imposer un « typicon » quelconque ne sont exprimés. Les Pères conciliaires, en fait, disent aux Arméniens : Gardez vos traditions, vos coutumes, votre liturgie, vous en avez le droit, sauf trois points, et l’union sera parfaite.

En conclusion, le concile « in Trullo » garde la même disposition d’esprit que celui de Laodicée. Par ces deux conciles-tests, nous constatons que les conciles ne s’occupent nullement d’unification et de codifications liturgiques, et ils respectent la diversité des rituels. L’évolution de la prière publique de l’Eglise suit son chemin, en dépit parfois de certaines rectifications conciliaires. Que l’on étudie les autres conciles qui ne sont pas, par excellence, liturgiques et nous atteindrons le même résultat !

9 – Y A-T-IL UNITÉ DE RITE DANS L’EGLISE D’ORIENT ?

Les Eglises autocéphales contemporaines, bien que plus unies fraternellement qu’au XIXème siècle, où elles ne possédaient qu’un calendrier, suivent de nos jours trois calendriers : Jérusalem et les Eglises slaves suivent l’ancien calendrier solaire et lunaire ; les Eglises grecque, romaine, syrienne etc., suivent le nouveau calendrier solaire et l’ancien calendrier lunaire ; les Eglises de Finlande, de France et plusieurs communautés du Patriarcat de Moscou en Europe (hollandaise, suisse alémanique, parisienne) ouvrent le nouveau calendrier solaire et le nouveau calendrier lunaire. Ces trois formes de calendrier font que les grandes fêtes sont célébrées par les uns et les autres à des dates différentes. Sa Béatitude Timothée, Patriarche de Sion, grand voyageur entre la Palestine et l’Hellade, déclarait il y a quelques années, qu’il célébrait les fêtes selon la date fixée par les Eglises où il se trouvait, rejoignant ainsi l’attitude d’un saint Augustin.

Le jeûne, semblable dans les lignes générales, est diversement pratiqué dans les Eglises autocéphales. Et que dire des langues liturgiques nationales qui se multiplient ! A ces distinctions s’ajoute une série de coutumes locales que les Eglises ignorent entre elles, telles que la « slava serbe », les prosphoras individuelles des Russes, inconnues des Grecs, les mégalynaires (« nous magnifions »), exaltation de la fête avec versets choisis de psaumes chez les Slaves, instants culminants pour eux pendant les Matines. Les titres des clercs, l’habillement des prêtres en ville, les détails dans les ornements sacerdotaux varient. Le Typicon, base en principe des Eglises autocéphales d’Orient, est appliqué de façon particulière, au point qu’un pèlerin se rendant d’une contrée à l’autre, s’y retrouve difficilement. Les uns abrègent une partie des services, les autres une autre ; les uns sautent des litanies, les autres omettent des strophes ; les uns célèbrent les Matines la veille au soir, les autres le matin. Le psautier est presque absent des paroisses grecques, moins abandonné dans les paroisses russes. Et le sacrement de pénitence ! La belle prière : « Mon enfant, le Christ invisiblement présent, je ne suis qu’un témoin… » est absente chez les Grecs ; même les absolutions varient : les unes sont personnelles : « Moi, prêtre indigne, par le pouvoir… je te délie », les autres sont a-personnelles et s’adressent à Dieu afin que, Lui, pardonne et délie.

Dans la Divine Liturgie, apparaissent aussi des changements. Citons-en trois : l’Eglise grecque laisse tomber les litanies après l’Evangile et passe tout de suite à la Grande Entrée, tandis que les autres Eglises gardent toutes ou une grande partie des litanies ; dans l’anaphore, les uns répondent : « Il est digne et juste d’adorer le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible », les autres : « Il est digne et juste » ; les uns amplifient l’épiclèse par les tropaires de Tierce, les autres ne le font pas, etc.

Si certaines Eglises autocéphales préservent une unité de calendrier et de rite, les Eglises de Constantinople, Antioche, Moscou englobent, par contre, plusieurs calendriers et plusieurs rites.

10 – ORTHODOXIE OCCIDENTALE

Mgr Irénée Winnaert, qui après une rupture millénaire, ouvrit la porte de l’Orthodoxie aux Occidentaux, écrivait avant sa mort :

«En dépit de la malheureuse séparation de l’Orient et de l’Occident chrétiens, l’Orthodoxie n’est pas en droit orientale ; de même l’Orthodoxie ne consiste pas essentiellement en tels rites déterminés, ou telle tradition liturgique particulière. Les Orthodoxes d’Orient disent parfois que leur liturgie exprime toute l’Orthodoxie, et cela est vrai si on considère l’esprit de la liturgie plutôt que les cérémonies proprement dites. Cela n’est pas lié nécessairement à telle ou telle ordonnance du service, mais bien à l’esprit qui l’anime. Une liturgie inspirée de cet esprit, tout en ayant une forme extérieure occidentale, serait une liturgie orthodoxe, tandis qu’une liturgie, même à forme et à rites orientaux, qui serait centrée sur les conceptions romaines, n’aurait rien d’orthodoxe ». (Message de l’Orthodoxie à des Occidentaux – 1936).»

Les paroles de Mgr Jean de Saint-Denis, prononcées lors de l’Assemblée Générale de l’Eglise de 1960, nous semblent conclure justement ce chapitre :

« Les Saintes Ecritures nous apprennent qu’un seul témoin est insuffisant à rendre le témoignage véridique ; il est indispensable de disposer, au moins, de deux ou trois témoins. Le Christ Lui-même n’a pas témoigné seul pour Lui-même. Il fit approuver son enseignement par le témoignage du Père et par celui de l’Esprit Saint : « Pendant Ton baptême dans le Jourdain, ô Christ, fut manifestée l’adoration due à la Trinité. Car la voix du Père Te rendit témoignage en Te nommant le Fils bien-aimé. Et l’Esprit Saint sous forme de colombe, confirmait la vérité de cette parole, Christ-Dieu, Qui es apparu et Qui as illuminé le monde, Gloire à Toi! » (Tropaire-Grande Antienne de l’Épiphanie).

« Le témoignage d’un seul est nul.

« Les ennemis de la Trinité, éloignés dans leurs âmes des divins oracles, ces nouveaux sectaires prônent l’unique témoignage. Brisant la Trinité, ils se joignent à ceux qui détruisent la vraie catholicité et conciliarité, professant que le seul témoignage « ex cathédra » du Pape suffit à l’infaillibilité dogmatique, ou que le seul témoignage des Ecritures suffit à l’infaillibilité de la doctrine, au lieu de proclamer à voix haute, sans équivoque, qu’un seul témoignage ne peut suffire, mais qu’il est indispensable d’ajouter à celui du successeur de Pierre ceux des autres évêques, et au témoignage des Ecritures le témoignage de la Tradition.

« Au moins deux témoins : là où est un seul témoin, il n’y a point d’Eglise ni de Vérité. Là où sont réunis deux ou trois au Nom du Christ, le Christ est présent ; où est le Christ, là réside la Trinité inséparable de Lui, là aussi se dresse l’Eglise à l’image de la Trinité.

Est-ce mépriser Pierre que de dire : il est un des témoins, et sa prédication n’est infaillible que lorsqu’il parle en concordance avec les autres Apôtres ?

« Est-ce mépriser le Pape que de dire : il est un des témoins, infaillible seulement lorsqu’il parle solennellement, en accord avec les autres Patriarches-Évêques ?

« Est-ce mépriser la Bible que de dire : elle n’est qu’un des témoins et le témoignage de la Tradition est aussi nécessaire pour la connaissance de la Révélation ?

« Est-ce mépriser l’épiscopat que de dire : l’Évêque est un des témoins et le peuple royal témoigne avec lui ?

« Est-ce mépriser la Liturgie de saint Jean Chrysostome que de dire : elle n’est qu’un des témoignages de la plénitude de la tradition orthodoxe, et les autres liturgies en sont aussi les témoins ?

« Est-ce mépriser la tradition orientale que de dire : elle n’est pas unique et les traditions extrême-orientales ou occidentales sont aussi présentes dans l’Eglise ?

« Nullement ! On ne diminue pas le Père en confessant qu’Il est égal au Fils et au Saint-Esprit, en divinité, majesté et gloire !

« Le tendance de ceux qui enseignent que les Eglises locales doivent être unies parla Liturgie de saint Jean Chrysostome qui seule exprime pleinement l’Orthodoxie, au lieu d’enseigner que la diversité des rites est propre à l’Eglise du Christ, mutile sous couvert de piété, la tradition intègre et universelle de l’Orthodoxie.

« Certains prétendent, avec assurance, que l’Eglise orthodoxe n’est qu’orientale et qu’une Eglise orthodoxe occidentale ne saurait exister, que les peuples occidentaux sont condamnés à être des chrétiens de confession romaine ou réformée, au lieu de confesser que vers l’Eglise fondée par le Christ, « accourent de tous côtés, de l’Occident, de l’Aquilon, de la mer et de l’Orient, ses fils, tels des astres allumés par Dieu » (saint Jean Damascène) et que « toute nation, toute race, toute tribu » (Apocalypse) ont leur place dans son unité.

« Cette tendance nouvelle se propage dans les milieux orthodoxes, séduisant les simples, offensant les paroles du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations jusqu’aux extrémités de la terre ». Elle déchire le filet apostolique et laisse retourner à l’abîme des eaux une multitude de poissons parmi les 153 peuples de la pêche miraculeuse. L’erreur de ces milieux oublieux de la nécessité du témoignage de deux ou trois au moins, va si loin qu’ils préfèrent la Liturgie de saint Jean Chrysostome célébrée par des Uniates au rite occidental célébré par des Orthodoxes. Ils imposent l’unité où devrait être la distinction et mutilent en morceaux ce qui doit être un. Quelques uns, plus subtils, inventent la théorie suivante : « Nous sommes d’accord en principe. L’Eglise primitive embrassait diverses liturgies, l’Eglise Orthodoxe n’y est pas opposée, nous le reconnaissons, mais pratiquement nous n’en voyons pas l’opportunité. Il est préférable dans la situation actuelle de n’avoir qu’un seul rite ». Étrange opportunité qui contredit la Vérité ! Peut-on servir la Vérité à l’aide d’un mensonge ? Quelle est la valeur d’une affirmation théorique si elle n’est pas mise en pratique ! Peut-on dire : »Je t’aime en principe, mais je te rejette en pratique » ? Ils veulent que le Logos ne S’incarne pas et nous rappellent ceux qui crient : « Seigneur ! Seigneur! » sans accomplir Sa Volonté. Ils se vantent d’être dans la Vérité orthodoxe en agissant comme des hérétiques.

« La liturgie est orthodoxe, non dans l’unité d’un rite mais dans l’orthodoxie de son contenu. Elle est orthodoxe quand ses textes, ses chants et ses gestes communiquent la foi inaltérée. Elle est orthodoxe lorsqu’elle est enracinée dans le sol apostolique, nous disons : enracinée, car elle se transforme, varie, évolue au cours des temps et des pays, tout en demeurant inchangée en son essence « comme un arbre planté près des cours des eaux, qui donne son fruit en sa saison et dont le feuillage jamais ne se flétrit » (Ps. 1, 3). »

CONCLUSION

Le principe invulnérable se dégageant de notre exposé, est : « l’Orthodoxie, Gardienne de l’Eglise indivise, Mère de toutes les Eglises, contient la multiplicité des rites dans l’unité de la foi ».

Nous proclamons avec saint Irénée :

« La dissonance rassemble la concorde et la foi » et, faisant appel au concile apostolique, nous réclamons : « de ne pas imposer d’autres charges que celles qui sont indispensables », car selon saint Augustin « on doit tenir compte du milieu » où l’on prêche l’Orthodoxie.

B – DU RITE OCCIDENTAL ET DE SA CELEBRATION PAR L’EGLISE ORTHODOXE DE FRANCE

1- INTRODUCTION

La nécessité, la légitimité du rite occidental étant établies dans la première partie de notre exposé, il s’agit de montrer par quelques traits généraux forcément schématiques, en quoi ce rite, tout en restant très proche du rite byzantin, s’en distingue, les deux rites appartenant à la même tradition authentique.

Nous parlerons des distinctions fondamentales et non des déformations historiques subies aussi bien par le rite occidental que par le rite byzantin au cours des siècles, déformations qui ont conduit à l’état actuel où les deux rites apparaissent comme très différents.

L’expérience prouve qu’il n’est pas prudent, dans ce domaine, de se référer au jugement des orthodoxes issus des « émigrations ». En effet, ceux-ci montrent une connaissance insuffisante du « milieu » religieux non orthodoxe qui les entoure, et des richesses « orthodoxes » de l’Occident chrétien et de leurs survivances dans le christianisme occidental. Leur connaissance se borne à la lecture de quelques rares spécialistes-liturgistes occidentaux, à la fréquentation sporadique de quelques messes romaines, vieilles catholiques ou anglicanes (en hommage aux exigences œcuméniques) ; elle ne peut être qu’extérieure, superficielle. Le jugement des meilleurs d’entre eux dans ce domaine, ne dépasse pas celui d’un amateur éclairé. Un exemple d’un tel jugement figurera à la fin de cette partie de notre étude.

C’est donc à nous-mêmes, occidentaux, qu’il incombe de montrer les raisons pour lesquelles nous tenons de toutes nos fibres à la tradition occidentale, tout en admirant la tradition byzantine et en adhérant sans réserve à l’Eglise orthodoxe universelle.

Nous articulerons notre exposé comme suit :

– Année liturgique

– Sanctoral

– Le jeûne

– Le lectionnaire

– Les Heures (office divin)

– La divine Liturgie et le Missel

2- L’ANNÉE LITURGIQUE

Comme dans la tradition byzantine et comme dans toute tradition chrétienne authentique, l’année liturgique en Occident est formée de deux cycles superposés :

Le cycle de Pâques qui se déplace dans le temps. Il est presque identique en Orient et en Occident, sauf l’organisation des offices du temps après la Pentecôte qui, dans le rite byzantin, représente plusieurs suites de 8 semaines correspondant chacune à un « ton ecclésiastique » (système de l’ochtoikon). Cette organisation du temps liturgique n’a pas été adoptée en Occident.

Le cycle des Fêtes faces qui commence par la période de l’Avent et se termine par la Fête de tous les Saints (Toussaint, 1er novembre). Les 12 grandes fêtes de ce cycle commémorant les événements de la vie de Notre Seigneur et de la Vierge Marie, sont identiques et se fêtent aux mêmes dates dans les deux rites.

Pour abréger notre exposé, nous traiterons simultanément des particularités des deux cycles en suivant l’ordre chronologique de l’année liturgique.

a – Avent

b – Noël et temps de la Nativité

c – Théophanie

d – Sainte Rencontre

e – Carême

f – Dimanche des Rameaux

g – Semaine sainte

h – Pâques

i – Rogations

j – Ascension – Pentecôte

k – Transfiguration de Notre Seigneur

l – Dormition de la Mère de Dieu (Assomption) m – Tous le Saints

a) Avent

En Occident, l’année liturgique commence par la période de l’Avent : « adventus » = avènement. L’Avent est déjà mentionné dans l’Histoire des Francs de saint Grégoire de Tours (VIe s.), au 2ème concile de Tours (567) et au concile de Mâcon (582).

Dans le rite romain, suivi par les anglicans, les vieux-catholiques et les luthériens, cette période ne s’étend que sur 4 semaines. Dans le rite des Gaules – et ceci lui est particulier- la période de l’Avent couvre une période de 6 semaines avant Noël, ce qui la rapproche des 6 semaines du Carême de Noël en usage en Orient.

Pour tout l’Occident, le sens liturgique et spirituel de la période de l’Avent est le même, quelle que soit sa durée. L’Avent déborde d’ailleurs les murs du Temple et colore la vie familiale et populaire. Sans lui, l’année liturgique occidentale est impensable. Pourtant le typicon byzantin ne connais pas le terme « adventus » mais connaît un temps de 40 jours appelé « Carême de Saint Philippe » (correspondant au « Carême de saint Martin » en Gaule). Certes, ce typicon prévoit le jeûne préparatoire de 40 jours, le chant – à partir du 21 novembre, fête de l’entrée de la Vierge au Temple – des « catavasias » de Noël (« le Christ naît, glorifiez-le… »), les dimanches des Pères et des Patriarches, et enfin les jours préfestiaux ; mais ces éléments liturgiques n’ont rien de comparable avec l’ampleur de l’Avent occidental. « Avent », « avènement », c’est l’attente de la venue du Christ : la première venue où Il s’incarne, la deuxième où « Il reviendra en gloire, juger les vivants et les morts ». Double attente…

Afin de saisir la beauté puissante de l’Avent, citons la progression dans l’espérance que l’on trouve dans quelques antiennes chantées dans la montée de ces 6 semaines.

Elles sont tirées de la Loi, des Psaumes, des Prophètes et du Nouveau Testament :

« Voici que le Nom du Seigneur vient de loin,

et toute la terre est pleine de Sa gloire, alléluia ! »

« Le Seigneur viendra. Il ne Se repentira pas.

S’Il tarde, attendez-Le, car Il S’accomplira, alléluia !

« Réjouissez-vous dans le Seigneur, je répète :

Réjouissez-vous, le Seigneur est proche, alléluia

« Le Seigneur viendra, il ne tardera pas

pour illuminer la profondeur des ténèbres, alléluia ! »

« Tu es proche, Seigneur. Toutes Tes voies sont vérité.

Fais-nous connaître Tes desseins, car Tu es éternel ».

« Viens Seigneur, ne tarde pas, délivre de ses péchés Ton peuple d’Israël »

« Voici qu’Il vient, le Désiré des nations,

et la gloire du Seigneur remplira le temple ».

Et aux vigiles de Noël, les paroles de l’Exode :

« Aujourd’hui, vous saurez que le Seigneur va venir pour nous sauver, et demain paraîtra Sa gloire ».

Aux Vêpres des 7 jours qui précèdent Noël (17-24 Décembre), sont chantées les célèbres Grandes Antiennes des doms Divins » du Verbe qui s’apprête à manifester son incarnation. Elles sont surnommées : « les Ô », parce qu’elles débutent par l’exclamation  » Ô ! ». La première est « le commencement des voies » :  » Ô Sagesse ! » La dernière est « Emmanuel ! Dieu est avec nous ». (Les Grandes Antiennes correspondent aux Tropaires orientaux – « Apolytikion »). A chaque nouvel  » Ô « , est allumée une lampe du sanctuaire, de sorte que la veille de Noël les sept lampes brillent dans l’attente du Soleil de Justice.

Cette attente grandit : « Il vient de loin… » « S’Il tarde, attendez-le ! »… « Il est proche… « Dieu est avec nous ».

Les prophéties d’Isaïe qui prédit que la Vierge enfanterait un Fils sont lues quotidiennement au long des six semaines, sur un ton spécial.

Ces joyaux du trésor liturgique de l’Avent ne montrent-ils pas aux Orientaux la beauté originale de ce temps ?

b) Noël et Temps de Noël

Noël, particulièrement fêté en Occident, est marqué par la Messe de Minuit » célébrant la naissance prééternelle du Verbe, et par la « Messe du jour » célébrant Sa naissance dans le temps de Marie la Vierge.

Dans l’Octave de Noël, comme en Orient, on fête saint Etienne, les Saints Innocents etc., mais la fête de saint Jean le Théologien n’est fêtée le 27 décembre qu’en Occident. Les « Deux Jean », c’est-à-dire le Baptiste (24 juin, le même jour dans l’Eglise universelle) et le Disciple bien-aimé (27 décembre) sont liés par la coutume populaire occidentale aux solstices d’étéet d’hiver.

c) Théophanie

Cette grande fête, primitivement réunie avec celle de Noël, est actuellement tombée dans l’oubli en Occident. Le rite romain actuel la mentionne à peine sous le nom de « Baptême du Christ ». Ici, nous nous trouvons devant un cas où un enrichissement du rite occidental par un apport légitime d’éléments byzantins, se trouve être indispen­sable. Cet apport est réalisé dans l’Eglise catholique orthodoxe de France par l’introduction de la solennité de la Théophanie. Celle-ci comporte la « Bénédiction des eaux du Jourdain » suivant le rite byzantin, et un office de Vigiles et une Liturgie qui gardent leurs structure occidentale, mais dont les textes variables sont empruntés aux Ménées grecques. (Notons que le terme « épiphanie » désigne en Orient le Baptême du Christ, et dans l’Eglise latine l’Adoration des Mages).

d) Sainte Rencontre

La solennité rehaussée, d’origine jérusalémite, est celle de la « Chandeleur » – la Sainte Rencontre. Les paroles de St Siméon : « Lumière Qui doit Se révéler à toutes les nations… » inspirent ce rite de la lumière, avec sa bénédiction des cierges et sa procession autour de l’Eglise. Fête liturgique, elle est particulièrement populaire en Occident. Les cierges bénis sont emportés dans les foyers, conservés et allumés pour apporter consolation et santé.

e) Carême

Le Carême, ainsi qu’en Orient, est précédé de semaines préparatoires. En Occident, elles portent les nom de Septuagésime, Sexagésime et Quinquagésime.

Le Retrait de l’Alélluia est le premier trait caractéristique du Carême occidental : cette exclamation n’est plus chantée entre le Dimanche de Quinquagésime et Pâques. Le diacre annoncera son « retour » le Samedi Saint sur une mélodie triomphale, reprise par la foule. Saint Augustin, déjà, nous parle de cette coutume. L’Orient, par contre, multiplie l’alléluia durant le Carême. En Occident, l’alléluia est une acclamation festive ; il résonne sans cesse à travers la période pascale, éclatant même au milieu des versets des psaumes et des antiennes. C’est la raison pour laquelle nous avons ajouté dans notre rite : « alléluia ! » à l’antienne pascale orientale : « Christ est ressuscité des morts. Par la mort Il a vaincu la mort… », afin d’être en harmonie avec la tradition locale. En Occident, l’omission de l’alléluia signifie, en général, jeûne et pénitence.

Le Mercredi des Cendres, avec son rite émouvant de l’imposition des cendres – cérémonie chère aux Occidentaux-, ouvre le Grand Carême dont il est le deuxième aspect caractéristique.

L’Orient célèbre le Dimanche du Pardon, mais ignore les cendres bibliques. Les Français qui fréquentent les églises orientales, sont toujours déroutés d’entrer dans le Carême sans avoir reçu les cendres sur le front.

Le Grand Carême, en Occident comme en Orient, comporte une série de lectures de l’Ancien Testament, presque identiques. Ce qui caractérise le Carême, c’est le choix particulier des Evangiles quotidiens, et notamment ceux des dimanches qui sont significatifs. Le dimanche de Quadragésime (en Occident, le 1er dimanche de Carême), fête du Triomphe de l’Orthodoxie, on lit le récit de la Tentation de Notre Seigneur après ses quarante jours de jeûne : les parties variables des offices s’en inspirent. Le 2ème Dimanche de Carême (qui en Orient est celui de la fête de saint Grégoire Palamas, défenseur de la lumière incréée du Mont Thabor) est axé sur la Transfiguration : il prépare ainsi les catéchumènes à la Passion volontaire du Christ, guidant les pénitents vers la contemplation de la Lumière divine.

Brûlons les étapes… et passons à la 6ème semaine qui précède immédiatement la Semaine Sainte et qui, en Occident, est appelée Semaine de la Passion. L’Eglise y insiste sur la divinité du Christ qui exaspère ses détracteurs, et accélère sa condamnation pour l’accomplissement du son abnégation salutaire. Deux détails intéressants : à partir de cette dernière semaine, la doxologie des psaumes est omise, et des voiles violets recouvrent la croix de l’autel et les icônes, et ce, jusqu’à Pâques.

A partir du « Dimanche de la Passion » (début de la 6ème semaine), on chante l’hymne « Vexilla Regis prodeunt« , composé par le grand poète St Fortunat à la demande de sainte Radegonde (VIe s.) lorsque l’Empereur de Constantinople lui offrit une parcelle de la Sainte Croix. A chacune des fêtes de la Sainte Croix (3 mai, 14 septembre) et surtout durant ce temps de la Passion, cet hymne est chanté par tous. Ses paroles et sa mélodie bouleversent l’âme priante des fidèles :

« Les étendards du Roi s’avancent, la Croix dans son mystère brille. La vie y meurt dans les souffrances et par sa mort produit la vie. Le fer d’une lance cruelle le perce, et voilà qu’à longs traits, l’eau, le sang en source nouvelle, jaillit pour laver nos forfaits. Ô Croix, Salut, seule espérance en ce temps de la Passion, donne aux bons grâce en abondance, donne aux mauvais rémission ! Trinité, Source de bonheur, que tout esprit Te glorifie ! A nous que la Croix rend vainqueurs, accorde en plus le prix de vie. Amen ! Alléluia ! »

f) Dimanche des Rameaux

Comme beaucoup de cérémonies occidentales, la solennité du Dimanche des Rameaux est venue de Jérusalem directement en Gaule. Elle se propage ensuite dans toutes les Eglises latines.

Le matin, entre les Laudes et la Messe, se déroule la Bénédiction des Rameaux, formée d’une série de prières et de chants et cantiques chrétiens très anciens tels que « Hosanna au fils de David ! Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur, Roi d’Israël ! Hosanna in excelsis ! Les enfants des Hébreux, portant des palmes à la main, allaient au devant du Seigneur en disant et en chantant : Hosanna in excelsis ! »

Puis le clergé et les fidèles, palmes et cierges allumés en main, vont en procession autour de l’église et chantent des strophes en grande partie identiques aux stichères des Vigiles du rite byzantin. Parvenus devant la porte close de l’église, tous entonnent les ovations de saint Théodulphe d’Orléans (760-821) : « Gloria, laus, honor » – « Gloire, louange, honneur… » et le célébrant engage le dialogue avec un « puer », jeune garçon demeuré seul dans l’église fermée.

Le célébrant proclame : « Portes, élevez vos linteaux ! Ouvrez-vous, portes éternelles ! « Le « puer » demande : « Qui est ce Roi de Gloire ? » et ainsi de suite… (Le même dialogue se rencontre dans la Dédicace d’une église, aussi bien en Orient qu’en Occident). La croix processionnelle, symbole de la Croix qui ouvre l’entrée du Paradis, heurte alors trois fois la porte ; le « puer » l’ouvre toute grande et le clergé suivi de la foule pénètre dans le temple au chant de victoire : « A l’entrée du Seigneur dans la ville sainte… »

g) Semaine Sainte

Indiquons pendant la Semaine Sainte, à la veille des Grands Jeudi, Vendredi et Samedi, le poignant Service des Ténèbres (correspondant aux Matines orientales), avec les « Lamentations de Jérémie », cantilées sur un ton de plainte, chaque verset étant précédé de l’annonce dans l’ordre alphabétique, des lettres hébraïques : « Aleph, Beth, etc. » modulées par un deuxième lecteur. L’Eglise participe ainsi à la douleur du Christ. Au centre de l’Eglise est placé un triangle de 15 cierges que l’on éteint progressivement. Le service s’achève dans les ténèbres, les fidèles sont prosternés nous mourons en Christ pour ressusciter avec Lui.

Le Lavement des pieds se pratique aussi bien en Orient qu’en Occident. Dans le rite occidental, il est accompagné de strophes d’une beauté verbale et musicale incomparable. Elles sont poétiquement issues du dernier discours de Notre Seigneur : « Je vous donne un commandement nouveau de vous aimer les uns les autres comme Je vous ai aimés ».

Après la Sainte Cène et la Procession au « Reposoir » (autel provisoire sur lequel sont déposés les Saints Dons qui seront consommés le Vendredi Saint), a lieu le Dépouillement de l’Autel, effectué rapidement au rythme du psaume 21 (22) coupé de l’antienne : « Ils ont percé Mes mains et Mes pieds. On pourrait compter tous Mes os ». L’autel reste nu, sans éclat jusqu’à la Résurrection. (Dans la grande église de Constantinople, il existe le rite du « Lavement de l’Autel » le Jeudi Saint, mais en général l’Orient reste étranger à la participation rituelle de l’Eglise à la « Kenosis » du Logos, « l’abaissement » du Christ). Les nuits de Jeudi à Vendredi et de Vendredi à Samedi, les fidèles veillent le Christ dans l’Eglise, en silence et en prière.

Le Vendredi Saint, à l’heure de la Mort de Notre Seigneur, sont célébrés les services de la Crucifixion et de la Vénération de la Croix Les cérémonies commençant par la lecture de 3 prophéties. Puis vient le chant de l’Evangile de la Passion par plusieurs exécutants : le diacre chante le texte de l’évangéliste, le célébrant chante les paroles du Christ, et les chantres représentent divers personnages et le peuple. Ensuite ont lieu l’élévation et le dévoilement progressifs de la croix de l’autel, au chant trois fois répété : « Voici le bois de la Croix sur lequel le Salut du monde est suspendu » auquel le peuple répond : « Venez, adorons-le ! » Enfin tous vénèrent l’Instrument de notre salut au chant du Trisagion (« Agios ô Theos ») et des « Impropères » (les « reproches ») de St Roman le Mélode : « Ô Mon peuple, que T’ai je fait ?..  »

h) Pâques. Fête des Fêtes

Le chef-d’œuvre, venu encore une fois de Jérusalem en Occident par le chemin de la Gaule (IVe s.), est la première messe pascale, précédée par la « messe des eaux ». Elle correspond à la Liturgie vespérale de Samedi Saint du rite byzantin. Le trait caractéristique de l’office occidental est la Bénédiction du Feu Nouveau et du Cierge pascal au chant de l’Exultet. Le peuple occidental tient particulièrement à ces symboles du « Feu Nouveau », de « l’Exultet » et du « Cierge pascal » : sans cet ensemble qui déclenche la Solennité des Solennités, Pâques pour lui ne serait plus Pâques… Décrivons brièvement cette cérémonie :

L’église est dans les ténèbres totales. Les fidèles sont dans l’attente de la Lumière nouvelle. A l’entrée de l’église, le clergé allume et bénit le « Feu Nouveau » et cinq grains d’encens (évoquant les cinq plaies du Christ) qui seront plantés dans le Cierge pascal. Le diacre, tenant le cierge à 3 branches (ou « trident pascal »), allume une des branches au « Feu Nouveau » que tient un enfant, et proclame : « Lumière du Christ! » Tous répondent : »Rendons grâces à Dieu! » Le diacre avance dans l’église, et arrivé d’abord au centre, et ensuite près de l’ambon où il se rend, il répète le même geste en haussant à chaque fois le ton. Le peuple répond de même à chaque fois : « Rendons grâces à Dieu ! » Puis de l’ambon, il élève le Trident (Symbole des trois jours du Christ dans le tombeau) et, d’une voix forte, lance « l’Exultet », chant qui nous arrive du IVe siècle, une des élans les plus puissants de l’Eglise primitive. Le Cierge pascal, icône lumineuse du Ressuscité, Colonne de feu qui guide vers le monde transfiguré, est dressé près de l’ambon. Au cours du chant de l’Exultet, le diacre enfonce les cinq grains d’encens à la base du Cierge, puis l’allume. Sa lumière est aussitôt communiquée de proche en proche parmi tous les fidèles qui, comme en Orient, tiennent chacun un cierge. Les veilleuses, les lampes sont allumées et rapidement tout ruisselle de lumière.

Citons un passage de l’article « La bataille de Pâques » (Cf. Présence orthodoxe n°2, p.31 dans lequel figure le texte entier de l’Exultet) : « Les Vigiles Pascales occidentales présentent la plus grandiose, la plus pathétique symphonie du génie liturgique universel, par leur composition, leurs textes, leurs mélodies, leur ampleur dramatique. Elles sont la mort et la résurrection des baptisés. Le Cosmos, en elles, prend part au Mystère : le feu, l’eau, le souffle, le ciel et la terre. Elles sont le rouleau vivant de l’histoire, depuis le chaos jusqu’à l’espérance de la résurrection. Elles enchâssent le paradoxe de l’Exultet où même le péché devient bienheureux car « il nous a valu un tel Rédempteur ».

« Les Vigiles Pascales du rite occidental ne le cèdent en rien aux Vigiles orientales. Elles les dépassent, portant le sceau indélébile des traditions de Jérusalem, elles surgissent comme un chef-d’œuvre de l’Eglise… »

Nous n’évoquerons pas ici l’ensemble de la période pascale, ne désirant offrir en cet exposé que les splendeurs du patrimoine d’Occident qui, non seulement émerveillent les liturgistes attitrés, mais sont réellement vécues par la masse des fidèles. (Nous y reviendrons à propos de la Liturgie eucharistique).

i) Rogations

Les 3 jours : lundi, mardi et mercredi qui suivent le dernier « Dimanche après Pâques » et précèdent l’Ascension, sont appelés les « Rogations » (du latin « rogare » – demander). La cérémonie des Rogations est ancienne : elle fut introduite en Gaule au Ve siècle par St Mamert pour conjurer les fléaux.

Elle comprend une Procession au chant des Litanies des Saints, la Bénédiction de la terre (et si possible la visite aux cimetières avec prières pour les défunts). ‘Trois jours consacrés à la prière qui s’appuie avec confiance sur les paroles de Notre Seigneur : Demandez et l’on vous donnera » (Bréviaire bénédictin).

La « Litanie des Saints » souvent unie à des processions et récitée en diverses circonstances, voilà l’exemple d’un type d’appels pressants inconnu de l’Orient et qui fait organiquement partie de la piété occidentale. Si la « Litanie de la Vierge » rappelle d’une certaine manière « l’Acathistos » de « l’Epousée », la « Litanie des Saints » est analogue aux « lities » qui se disent la veille des grandes fêtes dans le narthex de l’église.

La litanie occidentale adopte la forme dialoguée entre le célébrant et l’assemblée des fidèles :

Célébrant : Père Céleste Qui es Dieu

Tous : Aie pitié de nous !

Célébrant : Fils, Rédempteur du monde Qui es Dieu

Tous : Aie pitié de nous !

Célébrant : Esprit Saint Qui es Dieu

Tous : Aie pitié de nous !

Puis viennent les invocations nominales : Marie, les Anges, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Saints et les Saintes et à chaque invocation, les fidèles répondent alors : « Prie pour nous ». Par exemple :

Célébrant : Sainte Mère de Dieu

Tous : Prie pour nous !

La Litanie contient environ une soixantaine de noms. Les clausules des saints sont suivies de demandes de délivrer de tous maux : colère, haine, foudre, guerre civile etc. Par exemple :

Célébrant : Des embûches du démon

Tous : Délivre-nous, Seigneur !

Ces demandes sont soutenues par les mystères du salut ; par exemple :

Célébrant : Par le mystère de Ta Sainte Incarnation

Tous : Délivre-nous Seigneur !

A ces suppliques s’ajoutent celles pour l’Eglise, pour les évêques, pour la paix, pour les défunts, etc. et la Litanie s’achève enfin par le chant répété trois fois :

Célébrant : Agneau de Dieu Qui ôtes le péché du monde

Tous : Aie pitié de nous !

Et enfin plusieurs « collectes », ou prières récapitulatives.

Les Rogations furent imposées en France par le concile d’Orléans (511). Le concile de Rome les étendit à tout l’Occident en 816.

j) Ascension et Pentecôte

Le jour de l’Ascension, on éteint le Cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, visiblement présent parmi nous : dorénavant c’est invisiblement, qu’Il demeurera en nous.

A la Fête de Pentecôte est chantée la célèbre séquence: « Veni, Sancte Spiritus » reprise en diverses circonstances (ordinations, dédicaces, etc.). Cet hymne parallèle à : « Roi du Ciel, consolateur… » est profondément soudé à nombre d’événements historiques et actes sacrés de l’Occident.

k) Transfiguration de Notre Seigneur

Cette fête, bien que possédant dans les livres liturgiques occidentaux un office complet, n’est de fait, pas célébrée actuellement en Occident. Il faut remonter au XIIe siècle pour retrouver en France la célébration solennelle de cette fête lumineuse. Un office beaucoup plus beau et développé que celui du rite romain actuel et parfaitement « orthodoxe », composé par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, était célébré à cette époque dans tous les monastères appartenant à l’obédience de cet homme remarquable, ami des Pères athonites dont il connaissait parfaitement les œuvres.

L’Eglise catholique orthodoxe de France à restauré la solennité de la Transfiguration, en retrouvant en particulier l’usage de la Bénédiction des fruits. L’office occidental est enrichi par le tropaire byzantin de la fête, que toute l’assistance chante avec joie.

1) Dormition de la Mère de Dieu

Pour cette fête (l’Assomption), commune aux deux rites, l’Eglise catholique orthodoxe de France a restauré, à la Cathédrale Saint Irénée, le rite jérusalémite de l’Ensevelissement de la Vierge.

m) Tous les Saints

En Orient, tous les saints sont fêtés le premier dimanche après la Pentecôte. Ce choix liturgique glorifie les saints comme fruits du Saint Esprit et comme témoins de sa constante présence dans l’histoire de l’Eglise.

L’Occident voue le premier dimanche après la Pentecôte à la Divine Trinité. Le mystère trinitaire présidera, illuminera les dimanches après la Pentecôte.

La fête de tous les Saints (la ‘Toussaint ») est fixée dès le VIIe siècle au 1er novembre. Cette fête est suivie, le 2 novembre, par la commémoration des défunts « depuis Adam jusqu’à nos jours ». Partout en Europe occidentale, les gens se rendent au cimetière pour prier et fleurir les tombeaux. L’intention est complémentaire de celle de l’Orient. Située à la fin de l’année liturgique dans la perspective eschatologique, celle de l’accomplissement des temps, de l’installation du Royaume de Dieu qui rassemblera en une foule immense tous les saints et tous les défunts, la « Toussaint » est une vision apocalyptique. L’épître de la fête est d’ailleurs : Apocalypse 7, 2-12.

3 – LE SANCTORAL

Le Calendrier oriental comme on le sait, a traversé quatre étapes : primitive-romaine, studite (Constantinople), jérusalémite (sinaïtique), nationale (ajouts festiaux et sanctoraux de chaque Eglise). Cette évolution a fait apparaître des cas curieux : des martyrs et papes romains du 1er au Ve siècle, y occupent une place importante tandis que ceux des siècles suivants sont à peine mentionnés au calendrier. C’est ainsi qu’un saint Léon le Grand est fêté, tandis qu’un saint Grégoire le Grand n’a pas de service dans les ménées (le sanctoral byzantin), bien qu’il soit honoré par des fresques et choisi comme patron d’une messe qui porte son nom. Saint Athanase d’Alexandrie n’apparais que dans une fête secondaire, et saint Sabbas du Sinaï a droit à une fête « de première classe ».

Le Calendrier occidental, de même origine que son frère oriental, en diffère par son évolution. Après la période primitive-romaine, il s’épanouit en fêtes sanctorales locales (le même saint est souvent fêté à des dates diverses selon les métropoles), tout en laissant une grande place aux saints orientaux.

De nombreux saints sont commémorés en Orient et en Occident le même jour, par exemple : saint André le 30 novembre, sainte Catherine le 25 novembre, saint Nicolas le 6 décembre, saint Georges le 23 avril, sans parler de saint Jean Baptiste le 24 juin, les saints Pierre et Paul le 29 juin etc.

D’autres saints sont commémorés à des dates distinctes, tels ces deux saints populaires : saint Michel et les Incorporels (en Occident le 29 septembre, et en Orient le 8 novembre), et saint Jean le Théologien – précité – (en Occident le 27 décembre et en Orient le 26 septembre et le 8 mai) et enfin saint Martin, honoré en Europe occidentale autant que saint Nicolas qui, fêté le 11 novembre (date qui marqua à plusieurs reprises l’histoire de France), n’avait pas de fête dans le calendrier oriental jusqu’à tout récemment.

L’Eglise catholique orthodoxe de France vénère les saints antérieurs au Schisme en conférant une place privilégiée aux saints locaux. Elle a introduit dans son calendrier les saints d’Orient canonisés après la rupture d’avec Rome, ceci pour manifester l’unité de l’Eglise Orthodoxe universelle et témoigner de la présence inaltérable du Saint Esprit dans l’Eglise. Les saints récemment canonisés, comme saint Séraphin de Sarov dans l’Eglise russe, ainsi que saint Nicodème l’Hagiorite et saint Nectaire d’Égine en Hellade, y sont profondément vénérés. L’Eglise de France vient de demander au Patriarcat de Roumanie le « Propre » de l’office et la vie des saints glorifiés il y a peu de temps par l’Eglise roumaine.

4 – LE JEÛNE

Les quatre jeûnes, surnommés les « Quatre-Temps », partagent l’année en quatre saisons : l’hiver, le printemps, l’été, l’automne. Ils existaient autrefois à Byzance.

Actuellement en Occident, le premier jeûne s’intercale dans le Carême de l’Avent, le second dans le Grand Carême, le troisième après la Pentecôte (il correspond au jeûne dit « de saint Pierre » en Orient) et le quatrième à la fin de septembre (en Orient, celui de l’automne est placé en août et précède la fête de la Dormition de la Vierge).

5 – LE LECTIONNAIRE

Le trait caractéristique des lectionnaires occidentaux (romain, ambrosien et gallican) est l’emploi des livres de l’Apocalypse et du Cantique des Cantiques absents des lectionnaires grecs. En particulier la Liturgie des Gaules est pénétrée du souffle apocalyptique. La révélation de Patmos, lue à la place de l’Ancien Testament durant la période pascale, est mainte fois reprise au cours de l’année (aux messes de la Toussaint, des Défunts, de la Dédicace d’une église etc.). Le Cantique des Cantiques est surtout exploité sous forme d’antienne ou de brèves leçons (capitules) aux fêtes de la Toute Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu.

Le deuxième trait caractéristique du lectionnaire occidental est la lecture quotidienne de l’Ancien Testament et, pour les fêtes, la lecture de passages des Pères de l’Eglise commentant l’Evangile du jour.

Le choix des péricopes, des Évangiles et des Épitres – à l’exception des fêtes universelles – diffère de celui du lectionnaire grec. Il provient de la plus haute antiquité.

L’Eglise Catholique Orthodoxe de France à adopté les péricopes romaines et non celles des Gaules, ceci pour garder l’unité avec les chrétiens d’Occident (Romains, Anglicans, Vieux-Catholiques, etc.). Cette attitude est dictée par le respect de la tradition occidentale et le désir de prêcher l’Orthodoxie aux chrétiens occidentaux en s’appuyant sur les textes évangéliques qu’ils entendent depuis toujours.

6 – LES HEURES (L’OFFICE DIVIN)

Le Livre des Heures (Orologion) occidental, de même qu’en Orient, contient 8 services quotidiens (4 services nocturnes, 4 services diurnes). Sa composition très ancienne (vraisemblablement fin IVe – début du Ve siècle) se forma sous l’influence des Pères de l’Egypte. Nous disons « composition », car déjà l’Ecriture Sainte fait allusion aux sept prières journalières (voir Ps 118, Actes des Apôtres etc.). La huitième heure, « Prime », s’ajouta ultérieurement. Indiquons les concordances et les divergences entre les deux Orologion :

Prime, Tierce, Serte, None, Vêpres et Complies sont presque identiques et portent les mêmes noms. Mais les deux Heures qui restent, portent les noms suivants : en Orient, office dit de « Minuit » et office des « Matines » ; en Occident, office des « Nocturnes » (appelé aussi Matines ou Ténèbres) et office des « Laudes ». La structure de ces derniers offices occidentaux, considérés dans leur ensemble, rappelle les Matines orientales : les Nocturnes occidentales (Matines, Ténèbres) sont parallèles à la première partie des Matines orientales du début jusqu’au « Canon » ; les Laudes occidentales sont parallèles à la deuxième partie des Matines orientales (le Canon, les Psaumes laudiques, la Grande Doxologie ou Benedictus, etc.). Il est indispensable de connaître cette particularité, car en Occident les Matines (appelées Nocturnes) et les Laudes sont nettement séparées. Ainsi, les Messes de Minuit de Noël et de Pâques sont précédées des Nocturnes, et celles du matin sont précédées des Laudes.

Prières initiales et finales :l’Orient ouvre chaque service des Heures par la triple adoration du Seigneur : « Venez, adorons et prosternons-nous devant le Christ-Roi… ». L’Occident se sert de la formule des Pères du désert : « O Dieu, viens à mon aide ! Hâte-Toi, Seigneur, de me secourir ! Gloire au Père etc. » Il fait exception pour les Matines dont le début rejoint les six Psaumes Matinaux d’Orient : « Ô Dieu, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera Ta louange! ».

La clôture orientale du service est : « Gloire à Toi, notre Dieu, gloire à Toi… Gloire au Père et au Fils… Le Christ notre Vrai Dieu… Amen ». La clôture occidentale est : « Bénissons le Seigneur. Rendons grâces à Dieu. Que les âmes des fidèles défunts… Que le Seigneur nous donne sa Paix et la vie éternelle. Amen ! »

L’Orient achève la doxologie : « … maintenant et toujours et aux siècles des siècles ». L’Occident ajoute: »… comme il était au commencement, maintenant et toujours et aux siècles des siècles.

Psalmodie : le Psaume, en Occident, est en général encadré d’une antienne, petite composition tirée soit du psaume lui-même, soit d’un passage de l’Ecriture, soit d’un passage patristique. L’antienne plus ornée musicalement que le psaume, exprime le sens de la fête ou de l’heure, et sa mélodie détermine le « ton » sur lequel doit être chanté le psaume. Ainsi le psaume 2 – chanté à Noël et au Jeudi Saint, se colore de deux façons différentes : à Noël, on le chante encadré de l’antienne : « Le Seigneur M’a dit Tu est Mon Fils, Je T’ai engendré aujourd’hui » dont la mélodie a un caractère joyeux (v. 7) ; le Jeudi Saint, on le chante avec l’antienne : « Les rois de la terre se soulèvent et les princes se liguent avec eux contre le Seigneur et contre Son Christ » (v. 2) dont la mélodie a un caractère tragique.

En Orient, le psaume n’est pas généralement encadré d’antienne ; lorsque cela se produit, l’antienne revient à la manière d’un refrain sans relation particulière avec la fête : par exemple, le chant solennel du Psaume Cosmique (103, 104) est rythmé par les refrains : « Tu as tout créé par Ta Sagesse, et Tes œuvres sont admirables, Seigneur ». Il en est de même pour le premier cathisme festial, entrecoupé « d’Alléluia ! » et du Psaume Lucernaire où après chaque verset s’intercale : « Ecoute-moi, Seigneur ».

L’Orient, par contre, connais le psaume entre les derniers versets duquel sont intercalés des stichères. Cette forme très riche de possibilité « enseignante » dans le cas où les stichères sont exécutés avec canonarque, n’existe pas dans le rite occidental romain actuel. Toutefois, il est fort possible qu’elle ait été pratiquée dans l’ancien rite des Gaules. L’Eglise Catholique Orthodoxe de France l’utilise comme enrichissement légitime du rite occidental, en permettant à ses fidèles – tout en restant dans les structures occidentales, de profiter des compositions de grands poètes syriens et byzantins de la période d’or de la liturgie chrétienne (comme saint Jean Damascène et saint Cosme de Mayoun, saint Ephrem le Syrien, saint Roman le Mélode et d’autres).

Les Trois Cantiques Evangéliques. L’Occident les chante ainsi : aux Vêpres : le Magnificat ; aux Complies : le Nunc Dimittis ; aux Laudes : le Benedictus.

Le Nunc Dimittis que l’on trouve aux Complies en Occident est placé aux Vêpres en Orient ; le Benedictus et le Magnificat sont placés aux Matines (pratiquement le Benedictus est omis, bien qu’imprimé dans les livres). Certains théologiens orthodoxes émigrés nous ont accusés de « fantaisie » pour avoir introduit le Magnificat aux Vêpres… Cette « fantaisie » remonte au temps de saint Benoît et se retrouve dans tous les livres liturgiques d’Occident !

Les huit services occidentaux possèdent des leçons longues ou brèves ; les brèves sont appelées « Capitules » (du latin : chef, chapitre) ; les longues sont des passages de l’Ancien Testament ou d’écrits patristiques.

Les prières ou « collectes » de prime, tierce, sexte, none, sont invariables en Orient. En Occident, elles changent suivant les périodes de l’année et les fêtes. L’Orient manifeste la fête par des tropaires, des kondakion et des stichères ; l’Occident la confesse – en plus des collectes variables – par les hymnes, les antiennes, les capitules et les répons.

Enfin, si la structure de l’Office divin -c’est-à-dire des huit services quotidiens – est semblable dans sa forme générale en Orient et en Occident, l’architecture intérieure se modèle différemment. Ne citons qu’un seul exemple, celui des Vêpres : l’Orient, après la psalmodie (ou cathisme), inscrit le psaume lucernaire avec les stichères, l’hymne (phos hilarion), la leçon (paremie), et finit par le Nunc dimittis ; l’Occident, après la psalmodie, inscrit la leçon, l’hymne, le psaume lucernaire avec strophes (stichères), et finit par le Magnificat.

Nous espérons que ces quelques indications permettront d’éclairer la distinction dans l’unité des traditions. Nous ne pouvons, en ce rapport, examiner tous les détails. Qu’il nous suffise d’avoir montré la vénérable antiquité de la tradition d’Occident, qui bien que moins riche comme contenu verbal que celle d’Orient (lacune facilement réparable par des emprunts aux textes byzantins), lui est souvent supérieure par sa forme plus claire et plus concise.

7 – LA LITURGIE EUCHARISTIQUE ET LE MISSEL

On pourrait nous objecter : Nous sommes d’accord avec vous pour ce qui concerne « l’année liturgique » ; conservez l’Avent, le Mercredi des Cendres, les processions de la Chandeleur et des Rameaux, la bénédiction du Cierge Pascal, les litanies des Rogations ; nous sommes d’accord pour l’Office divin… Mais tout ceci ne concerne pas la Divine Liturgie – la Sainte Messe. Acceptez les trois liturgies byzantines, et conservez le reste ».

Nous voici au cœur de la question …

L’Orient ne connaît pas la richesse spirituelle des livres nommés « missels » ou « sacramentaires » qui rassemblent les trésors liturgiques de l’Occident. L’Orient déploie les mystères de l’année principalement dans l’Office divin (vêpres, matines), tandis que l’Occident les développe au cours de la Liturgie Eucharistique.

Dans son étude du « Canon Eucharistique », l’Archiprêtre E.`Kovalevsky cite un fait frappant : deux préfaces de la Pentecôte occidentale sont théologiquement et bibliquement parallèles au kondakion oriental de la même fête :

« La première préface occidentale tirée du « Sacramentaire léonien » : Mous célébrons le don merveilleux des origines de l’Eglise : proclamation de l’Evangile en langues diverses par les voix de tous les croyants. Ainsi fut retirée la malédiction, méritée jadis par l’orgueilleuse construction de la Tour, et la diversité des langues ne saurait arrêter désormais l’édification de l’Eglise: elle en affirme plutôt l’unité dans la plénitude…

« La deuxième préface ambrosienne et gallicane : « Nous sommes dans la joie : la Pâque se consomme en ce mystère de cinquante jours, le nombre mystique est accompli. La diversité des langues avait autrefois, par l’orgueil, tourné à la confusion ; maintenant par l’Esprit Saint, la diversité coordonne l’unité…

« Et voici le Kondakion de la Pentecôte (p. 27) ; « Lorsque Tu descendis en confondant les nations, ô Très-Haut, Tu séparas les langues. Lorsque Tu distribuas les langues de feu, Tu appelas tous et toutes à l’union. D’une voix unanime, chantons l’Esprit Très Saint ! »

En Orient, il n’existe que deux préfaces : celle de saint Jean Chrysostome et celle de saint Basile et elles n’ont aucun rapport avec le jour de l’année. En Occident, par contre, les préfaces sont multiples : il en existe 267 dans le Sacramentaire léonien, 54 dans le Sacramentaire gélasien, 186 dans celui de saint Gall, 342 dans celui de Moissac…

Mais il ne s’agit que des préfaces : presque toutes les prières cantilées par le célébrant à voix haute ou basse, sont variables. Parcourons rapidement les deux liturgies, la byzantine et l’occidentale. Dans la liturgie byzantine actuelle, hormis les textes variables chantés par le chœur au cours de la liturgie des catéchumènes (tropaires, kondakions, prokimenons, versets de l’alléluia), hormis les deux textes également chantés par le chœur au cours de la liturgie des fidèles (hymne à la Vierge remplacé au cours des grandes fêtes par les 9 odes du canon, et verset de communion), et hormis les lectures de l’Epitre et de l’Evangile, toutes les prières dites à voix haute ou à voix basse par les célébrants sont stables. Elles ne reflètent en aucune manière le temps liturgique.

En Occident par contre, aussi bien dans le rite romain que dans l’ancien rite des Gaules, l’ensemble des prières et des chants de la Messe se plie aux exigences de la période liturgique. Avant le concile Vatican II le rite romain changeait à chaque fête :

1°- l’Introït (chant d’entrée)

2°- la Collecte

3°- le Graduel

4°- l’Epître

5°- le verset de l’Alléluia

6°- l’Evangile

7°- la Secrète (prière avant l’Offertoire)

80- le chant de l’Offertoire

9°- la Préface

10°- le verset de Communion

11°- la prière de Postcommunion

Par exemple, pour les 24 dimanches après la Pentecôte, le rite romain prévoit bien 24 introïts, 24 collectes, 24 graduels, 24 versets d’alléluia, 24 offertoires, 24 post-communions…

Le rite des Gaules est encore plus abondant et contient dans la messe jusqu’à 27 à 28 éléments variables. C’est ainsi que la Semaine Pascale de ce rite possède une messe distincte pour chaque jour, c’est à dire pour la semaine : 7 introïts, 7 collectes, 7 graduels, 7 épîtres, 7 versets d’alléluia, 7 évangiles, 7 prières d’offertoire, 7 prières « post-nomine », 7 prières de baiser de paix, 7 préfaces, 7 prières de postcommunion, en tout : 11 parties variables pour chaque jour.

Ajoutons à cette richesse les prières particulières n’appartenant qu’à la Semaine Pascale, et ne variant pas de jour en jour : les litanies pascales, la collecte « post-precem », la préface aux fidèles, le chant de l’offertoire, les formes particulières des « diptyques », du post-sanctus, du mémorial, de l’épiclèse, de la post-épiclèse, de la fraction du pain, du « libera nos », de l’élévation des Dons, de la bénédiction des fidèles, du chant pendant la communion, du « tricanon », de la post-communion diaconale, de la clôture : 11 plus 16 parties variables, soit au total 27.

Grâce à l’existence de cette richesse de textes variables dans le corps même de la Liturgie Eucharistique, les fidèles qui ne peuvent pas assister aux vêpres, laudes et matines et ne fréquentent donc que la Divine Liturgie, participent néanmoins largement aux étapes de la vie liturgique.

Il est nécessaire de remarquer que, dans des périodes plus reculées, l’Orient aussi utilisait pour la messe des textes de prières beaucoup plus variés. Citons l’exemple caractéristique du manuscrit « Euchologion », surnommé le « saphir du Sinaï » : il donne 28 versions de la « prière devant l’ambon » (correspondant à la postcommunion du rite occidental).

En 1953, la Commission Liturgique de l’Exarchat russe – de Constantinople – composée de professeurs de l’Institut Saint-Serge, nous ayant posé des questions assez déconcertantes par leur méconnaissance de la tradition occidentale, l’Archiprêtre E. Kovalevsky, dans l’ouvrage intitulé « La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules », fournissait une réponse que nous croyons utile de reproduire ici :

« La Commission Liturgique de l’Exarchat russe a émis une idée qui nous semble difficilement soutenable : la différence première des rites résiderait selon elle, dans les prières et surtout les prières eucharistiques. Ce critère peut-il réellement servir à cataloguer les rites ? Nous ne le croyons pas : en effet, les pontifes et les célébrants de l’Eglise primitive – jusqu’au IVe siècle inclus – improvisaient les prières dans une création toujours renouvelée. Seul étaient « stables » ou « fixes », la structure, l’ordre de succession des rites et quelques formules de base. On ne pouvait créer librement une structure liturgique mais, à l’intérieur des cadres donnés, le célébrant s’exprimait spontanément selon sa propre pensée. Telle était la forme de la liturgie primitive (« improvisation liée »).

« Une certaine fixation des prières se fait jour dans la deuxième moitié du IVe siècle. Un des motifs de cette stabilisation fut, selon nous, le désir de préserver l’Eglise des formules hérétiques et de ce qui pouvait prêter à des interprétations erronées (cit. : « On ne récitera dans l’Eglise – prières, oraisons, messes, préfaces, recommandations, impositions – que celles qui auront étécomposées par des personnes habiles, ou approuvées par un concile, dans la crainte qu’il ne se rencontre quelque chose qui soit contre la foi ou qui ait été récité avec ignorance ou sans goût » – Conciles d’Afrique, Mansi t. IV, col. 326). Puis, peu à peu, l’improvisation cède la place aux prières écrites, bien que ces prières écrites ou prescrites ne soient pas encore obligatoires, mais offertes au choix du célébrant. Les prières les plus expressives, celles qui correspondent le mieux à l’esprit de telle Eglise, détrônent alors, tout naturellement, les autres.

« Plus loin : « Si, à Byzance, les deux noms de saint Basile et de saint Jean dominèrent exclusivement, ce ne fut pas le cas en Occident ni en Extrême-Orient. Aucun docteur de l’Eglise, aucun saint, aucun poète ne fut choisi à l’exclusion des autres. Bien que saint Augustin pesât sur la théologie, il n’eut pour autant – ni lui ni personne d’autre – la primauté dans la liturgie. Nombre d’auteurs composèrent des prières de la messe ; chaque solennité, chaque fête a ses prières et ses auteurs, et quatre ou cinq textes de messes sont proposés au choix pour une même fête. (C’est ainsi par exemple, qu’on trouve dans les anciens missels jusqu’à 28 textes de messes pour la fête de Noël). Après les nombreuses et nécessaires réformes que subit l’Eglise de Rome, l’Occident se servit – et se sert encore – d’un livre ignoré de l’Orient : le Missel. »

Si l’on voulait définir un rite seulement par les prières qu’il contient, et non par sa structure et son esprit, il ne serait plus possible de parler ni de rite romain, ni de rite des Gaules… mais de rite de saint Gélase, de saint Augustin, de saint Jean Chrysostome ou de saint Basile, ce qui est manifestement inexact. Une préface de saint Jean Chrysostome ou de saint Basile pourrait parfaitement être introduite dans le rite occidental sans que, pour autant, ce rite devienne un rite byzantin. Et inversement, une prière de saint Ambroise introduite dans le rite byzantin à la place d’une prière de saint Jean Chrysostome, n’en ferait pas une liturgie de rite milanais…

Résumons en quelques mots le contenu de ce chapitre.

L’année liturgique occidentale, et en particulier celle du rite des Gaules, comporte certaines richesses (par ex. : Avent, Chandeleur, Dimanche des Rameaux, Toussaint) qu’il est impossible de ne pas garder.

Les offices diurnes et nocturnes occidentaux répondent parfaitement aux exigences de la piété liturgique. Ils se distinguent peu des offices diurnes et nocturnes du rite byzantin, et sont plus courts et mieux structurés que ces derniers.

Enfin la Liturgie Eucharistique occidentale, de structure analogue à celle du rite byzantin, comporte une grande richesse de prières traditionnelles, patristiques, que l’on n’a pas le droit de supprimer en les réduisant aux seules prières attribuées à saint Jean Chrysostome et à saint Basile.

RECAPITULONS :

La tradition liturgique latine est aussi antique et authentiquement orthodoxe que la tradition grecque. A plusieurs reprises, nous avons déjà noté les époques de telle ou telle particularité du rite. C’est autour du VIe siècle que se forme le complexe liturgique latin, l’époque où non seulement l’Orient et l’Occident sont unis dans la foi (l’œuvre de saint Vincent de Lérins en est l’éloquent témoin), mais où les contacts entre eux sont intimes et fréquents. Rappelons que saint Grégoire le Grand fut diacre à Constantinople, saint Cassien ordonné diacre par saint Jean Chrysostome, et que sainte

Radegonde recevait une parcelle de la Précieuse Croix envoyée par le Basileus et apportée en France par les évêques et clercs grecs. La liturgie monastique latine plonge ses racines dans le désert fertile d’Egypte et de Palestine et nombre d’évêques occidentaux étaient d’origine orientale. Quelques monastères étaient mixtes : gréco-latins, avec les deux rites parallèles sous la même obédience abbatiale.

En un mot, la tradition occidentale possède tous les titres permettant de la reconnaître comme pure tradition orthodoxe.

Pourquoi latine et non grecque ? Parce que ce serait un péché contre l’Esprit de mépriser ceux que l’Esprit a inspirés, ce que les Apôtres et leurs successeurs ont semé, ce que le peuple de France a conservé et transmis pendant vingt siècles malgré les déficiences.

Nous rejetons tout ce qui contredit la foi orthodoxe, nous honorons et vénérons les dons particuliers répandus par le Saint-Esprit en Occident.

C – LE RITE DES GAULES DANS LE RITE OCCIDENTAL

1- INTRODUCTION –

Nous examinerons, à présent, les raisons pour lesquelles l’Eglise Catholique Orthodoxe de France à repris, dans le cadre de la tradition occidentale, l’ancien rite des Gaules, et nous insisterons surtout sur sa Divine Liturgie car son Office Divin diurne, hebdomadaire et annuel ne présente pas de différences marquantes avec les autres rites occidentaux (bénédictin, romain, dominicain, etc.)

2 – ECCLESIOLOGIE ORTHODOXE

L’ecclésiologie orthodoxe est étrangère à toute forme de centralisation.

L’Eglise universelle se compose d’Eglises-Sœurs locales, et chaque Eglise-Sœur, dès les temps apostoliques, possède son existence autonome, ses traditions et le langage de son action eucharistique. Chaque peuple est mû par sa vocation personnelle au sein de l’accord parfait de la Catholicité. Ainsi, c’est l’ecclésiologie orthodoxe elle-même qui nous a inspirés et conduits à nous pencher avec le plus grand amour sur le caractère unique et historique de la France, et par excellence, sur son trésor liturgique : « Offrande de nos pères », selon l’expression de notre Epiclèse. Pouvions-nous, éclairés et réchauffés par l’ecclésiologie orthodoxe, agir autrement ? Cette attitude s’imposait « de facto ». Toute autre aurait trahi soit un manque de sensibilité, soit une indifférence, soit une incompréhension ou le désir inavoué d’apporter du dehors une sorte de colonialisme liturgique.

Le peuple chrétien dans son Eglise locale a le droit sacré de disposer librement de lui-même, en gardant, certes, l’unité de la foi orthodoxe (loin de nous les hérésies !), entouré par la concorde fraternelle des Eglises-Sœurs.

Si l’on désire que l’Église s’enracine au cœur du sol, sa foi universelle doit épouser sans confusion ni séparation la prière liturgique du lieu.

Pourquoi le rite des Gaules ? Parce que nous sommes « orthodoxes », au sens authentique de ce terme. Nous ne serions point des orthodoxes convaincus si nous avions négligé le Rite des Gaules.

Tel est le premier motif qui, dicté par la conscience orthodoxe a trouvé et trouve l’approbation de la voix du peuple, un genre de « consensum ecclesiae« . En effet, le peuple orthodoxe français a reconnu spontanément que le rite des Gaules était « son » expression.

3 – QUALITE TRADITIONNELLE DU RITE DES GAULES

Nous avons maintes fois indiqué dans le chapitre précédent que les parties les plus expressives des rites occidentaux venaient de Jérusalem (Chandeleur, Procession des Rameaux, Bénédiction du Feu Pascal, Exultet…), qu’elles s’informaient en Gaule et enrichissaient ensuite le rite romain.

Certaines particularités, par contre, sont d’origine purement gauloises : la période de l’Avent, les Rogations, la présence de l’Apocalypse dans la liturgie, les hymnes poétiques des Pères de France (« Les étendards du Roi s’avancent », « les Enfants des Hébreux », « Esprit-Saint, Dieu Créateur »). Ajoutons comme exemple la célèbre Préface de la Trinité, œuvre probable de St Césaire d’Arles (VIe s.), devenue au XIe siècle la Préface du premier dimanche après la Pentecôte dans le Missel romain. La voici :

« Il est digne et juste… Père Qui es Ton Fils Unique-Engendré et Ton Esprit Saint, un seul Dieu, un seul Seigneur, non dans l’unité d’une seule personne mais dans la Trinité d’une seule substance. Car ce que nous croyons au sujet de Ta gloire, sur la foi de Ta révélation, nous le croyons aussi, sans aucune différence de Ton Fils et de l’Esprit-Saint, en sorte que, confessant la vraie et prééternelle Divinité, nous adorons et la propriété dans les Personnes et l’unité dans l’Essence, et l’égalité dans la Majesté… »

Ces exemples de la liturgie des Gaules intégrés à la liturgie romaine, témoignent que la Gaule des premiers siècles, la Gaule de l’Eglise indivise, la Gaule orthodoxe fut propice au rite latin.

La question qui fut posée par les professeurs de l’Institut russe Saint Serge de Paris : « Pourquoi le rite des Gaules et non le rite romain ? » est mal posée, car elle confond le rite occidental dont celui des Gaules fait partie, avec celui de Rome qui prédomine actuellement. Il est nécessaire de les distinguer nettement.

La messe romaine, suivant la juste remarque de Mgr Duchesne (Origines du culte chrétien), était la moins universelle, limitée à la ville de Rome. M.W.C. Bishop constate le même fait dans son ouvrage The primitive form of consecration of the Holy Eucharist et parles du « cercle géographique réduit de cette liturgie ». Mgr Alexis van der Mensbrugghe en son Missel orthodoxe, rit occidental (1962) résume ainsi les travaux des liturgistes : « La tradition rituelle occidentale comporte depuis le IVe siècle deux variantes fondamentales, à savoir le rite gallican et le rite italique ». Et, en accord avec des autorités liturgiques telles que Mgr Duchesne, Dom Cabrol, l’Archiprêtre Kovalevsky, il ajoute : « Le rite gallican constitue un prolongement de l’axe Palestine-Antioche-Constantinople, l’italique constituant l’axe Alexandrie-Rome-Aquilée ».

Le rite des Gaules avec ses variantes mozarabe, celte, milanaise…, couvrait presque la totalité de l’Europe convertie au Christianisme : Angleterre, France, Germanie rhénane, Belgique, Suisse, Espagne, Portugal et Italie du Nord.

Nous né prétendons pas que la liturgie de la chaire apostolique des coryphées Pierre et Paul n’a pas influencé le rite occidental et la liturgie universelle. La fête de tous les Saints, la Commémoration des Morts des 1er et 2 novembre, le jeûne des Quatre-Temps et les Cendres reviennent aux Papes de Rome. De même la Solennité de Noël du 25 décembre – séparée de l’Épiphanie, le 6 janvier – est un apport de l’Eglise romaine. A Constantinople, saint Grégoire le Théologien et saint Jean Chrysostome furent obligés de défendre en leurs sermons cette innovation, tandis que les Arméniens continuent à fêter la naissance du Christ et son Baptême le 6 janvier.

Si nous analysons les manuscrits de l’ancien rite des Gaules, par exemple le Missale Gothicanum Gallicanum », appelé aussi le « Sacramentaire d’Autun » (VIe au VIIIe siècles), nous verrons que de çi, de là, les collectes, les préfaces sont tirées des sacramentaires léonien, grégorien. Le post-nomine de la « Missa Clausum Paschae » pour ne citer que lui, est une périphrase d’une collecte grégorienne, et la Messe de saint Jean l’Apôtre de la Porte Latine, fêté en mai, possède deux collectes et une immolatio de saint Léon le Grand.

Mais orthodoxes occidentaux et non catholiques romains, nous ne sommes point contraints d’adopter sans réserve des initiatives et des décisions de Rome.

4 – PARENTE DE LA DIVINE LITURGIE DES GAULES AVEC CELLE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME

Nous serions incomplets si nous n’insistions pas sur un trait spécifique du rite des Gaules, spécialement dans la Sainte Messe ou Divine Liturgie.

Une de ses particularités non négligeables – et elles sont plusieurs – est que sa Sainte Messe appartient à la « famille eurasienne », suivant la formule de Mgr Duchesne et d’E. Kovalevsky : autrement dit, elle s’apparente à la liturgie de l’Asie Mineure et à celle de saint Jean Chrysostome. Cela permet aux orthodoxes français de participer sans entrave au culte sacré des orthodoxes orientaux, sans quitter pour autant leur passé patristique. Les prêtres en concélébrant et les fidèles en priant, ne se sentent pas dépaysés dans les Eglises orthodoxes d’Orient, au même titre qu’un Russe venant dans une Eglise grecque ou un Roumain fréquentant une Eglise bulgare ou serbe. Et les Orientaux qui, pour tel ou tel motif, s’agrègent à l’Eglise de France, retrouvent eux aussi leur climat religieux.

La Divine Liturgie du rite des Gaules a l’insigne privilège de résoudre l’antinomie aiguë dressée devant la conscience d’un orthodoxe occidental : d’une part, il veut être en communion avec ses frères orthodoxes de l’univers – actuellement et depuis des siècles, l’Orthodoxie visible et historique se confond avec les peuples et le rite d’Orient – et, d’autre part, s’il renonce, au nom de ce souhait légitime, au rite de France, il s’arrache à son passé, se mutile et devient un étranger dans sa propre maison. La liturgie des Gaules lui offre l’équilibre : communion avec l’Orthodoxie universelle et le Christianisme de France.

La parenté de la Divine Liturgie de l’Ancien rite des Gaules, restaurée dans l’Eglise Catholique Orthodoxe de France, avec celles selon saint Jean Chrysostome et saint Basile, est frappante[1].

Le CANON EUCHARISTIQUE ou anaphore – d’une architecture impeccable, est structuré identiquement. Son plan, aussi bien dans les Liturgies selon saint Basile et saint Jean Chrysostome que dans celle des Gaules, est le suivant :

a – Dialogue, qui débute par la bénédiction trinitaire : « Que la grâce…

b – Préface

c – Sanctus

d – Post-Sanctus

e – Institution

f – Anamnèse

g – Offrande des Saints Dons

h – Epiclèse

i – Post-Epiclèse

Notons que les autres rites, qu’ils soient romain, copte, syrien, arménien ou l’anaphore actuelle de la Liturgie de saint Jacques, tout en gardant le même noyau, sont amplifiés par des ajouts, s’éloignant ainsi de la courbe simple et sobre de nos trois liturgies.

Cette similitude avec les deux rites byzantins, permet au prêtre la concélébration sans risque de trouble à l’instant redoutable de la consécration eucharistique.

Bien entendu les paroles sont différentes, mais il existe aussi une différence radicale entre les paroles de saint Basile et de saint Jean Chrysostome. Il en est de même du style. La pratique des deux anaphores byzantines, si dissemblables de contenu et identiques par structure, laisse toute possibilité aux prêtres et évêques accoutumés au rite oriental, de célébrer le rite des Gaules sans être désorientés.

On peut donc affirmer que le canon eucharistique du rite des Gaules est totalement semblable à celui des deux rites byzantins, sauf que ces deux derniers n’en emploient que deux tandis que le premier en possède un grand nombre quant aux textes.

MESSE DES CATECHUMENES : l’Agios du rite des Gaules et sa Litanie universelle – ou ecténie – constituent un autre rapprochement avec le rite oriental (le rite romain ne chante l’Agios que le Vendredi Saint, et après Vatican II seulement une Litanie composite y fut introduite).

MESSE DES FIDELES : la Grande Entrée, ignorée du rite romain, y tient une place de valeur. Ce symbole de l’entrée du Christ-Roi à Jérusalem avant Son Sacrifice, puissamment vécue par la piété orthodoxe, unit les deux traditions.

Le baiser de paix avant le Canon eucharistique (à Rome, il précède immédiatement la communion ; il est au début de la Messe des Fidèles dans le rite antique), est encore une fraternelle similitude.

La proclamation : « Les Choses Saintes aux saints » et le développement de la fin de la messe nouent d’autre liens.

De la même famille que les deux grandes liturgies orthodoxes, notre Messe, répétons-le, est néanmoins soudée à l’histoire de l’Église de France.

5 – NOBLESSE APOSTOLIQUE ET PATRISTIQUE DU RITE DES GAULES –

L’Eglise de France a la gloire de plonger ses racines dans les temps apostoliques. La tradition rapporte que sainte Marie-Madeleine, sainte Marthe, saint Lazare, saint Trophime fertilisèrent notre pays par leur prière et que les martyrs l’arrosèrent de leur sang.

Les Pères tels que saint Irénée de Lyon, petit-fils spirituel de Jean de Patmos, saint Denis de Paris, saint Hilaire de Poiriers, saint Martin de Tours, etc. préparèrent le climat propice à la liturgie des Gaules. Sans doute, nous n’avons pas le texte de la liturgie, en majeure partie orale, des premiers siècles, mais l’influence profonde de l’Apocalypse sur l’année liturgique et la sainte messe, indique la source johannique.

Plusieurs expressions de la théologie de saint Irénée ont pris place dans nos prières. Et que dire de notre litanie dite de saint Martin !

L’aspect victorieux de l’ancien rite des Gaules rappelle la vision, près de Lutèce (Paris), de Constantin le Grand : l’apparition de la croix « Nika ».

Enfin, saint Germain de Paris et la nuée des saints pontifes de la même époque (VIe s.), n’ont fait que prolonger et épanouir la liturgie de leurs prédécesseurs.

6 – TEMOIGNAGE OU « CONSENSUS ECCLESIÆ

Nous croyons opportun, comme nous l’avons annoncé, de clore de chapitre par quelques témoignages.

Enquête : en 1955, le Métropolite Gennadios, Président de la Commission Canonique du Patriarcat Œcuménique, nous ayant demandé de procéder à une enquête pour connaître le rite désiré par les orthodoxes français, (romain, byzantin ou gallican), nous parvînmes au résultat suivant : 92 % des personnes consultées demandèrent le rite des Gaules.

Assemblée Générale : chaque année les fidèles se prononcent à l’unanimité pour la sauvegarde de leur rite. Voici quelques passages du procès-verbal de l’Assemblée Générale de 1956 :

« … Les richesses inépuisables du rite oriental ne nous sont pas inconnues et nous n’y sommes nullement opposés. Loin de là ! Tous nos prêtres sortis de l’Institut orthodoxe français de Paris connaissent la Liturgie de St Jean Chrysostome et sont même de temps à autre appelés à la célébrer pour des groupes d’orthodoxes orientaux isolés…

« L’unité extérieure administrative ou centraliste, de langue ou de rite – peu importe – s’établit toujours au détriment de l’épanouissement catholique de l’Eglise. Le dynamisme de l’Eglise primitive prenait son élan au cœur de l’unité absolue des dogmes dans la multiplicité des formes extérieures…  »

« L’unité de rite de l’Orthodoxie actuelle n’est pas un privilège mais une limitation temporelle. Sa mission universelle et sa catholicité plénière appellent la multiplicité des rites dans leur épanouissement. »

« Quant à nous, Occidentaux, nous, les Français : bretons, parisiens, lyonnais, nous sommes orthodoxes parce que l’Orthodoxie est en vérité l’Eglise du Christ, sans altération, et parce que nous retrouvons en elle notre authentique tradition liturgique et culturelle. »

En conclusion, inspirée par l’ecclésiologie orthodoxe dont elle suit l’esprit et l’enseignement, l’Eglise Catholique Orthodoxe de France célèbre la liturgie selon l’ancien rite des Gaules par souci pastoral, par désir de communion étroite avec les Eglises d’Orient et par amour de la tradition apostolique et patristique de la France.

D – APPORTS ORIENTAUX DANS LA LITURGIE SELON L’ANCIEN RITE DES GAULES

1 – LEGITIMITE DE LA COMPENETRATION DES RITES

On aurait pu supposer que les Orientaux se réjouiraient des apports de leur liturgie à la liturgie occidentale… Pourtant, l’Eglise Catholique Orthodoxe de France fut accusée, ce faisant, par quelques-uns de « fantaisie » et d’éclectisme. Les Orientaux considéraient que « tout emprunt est presque comparable à un péché, voire à un crime de lèse-majesté, une fantaisie, un manque de sérieux ».

Certes, la liturgie des Gaules contient sa propre richesse dogmatique et patristique ; il n’existe, néanmoins, aucun motif valable pour priver les Français de l’enseignement des saint Jean Damascène, saint Roman le Mélode, saint Ephrem le Syrien, saint André de Crète, etc. à condition, bien entendu, que ces emprunts ne supplantent en rien le patrimoine occidental, ni ne brisent la structure antique.

Nous ne faisons que suivre en cela l’autorité de saint Grégoire le Grand. Accusé du même « crime », il écrivait à Jean de Syracuse :

« Si l’Eglise de Constantinople ou toute autre a quelque chose de bon, je suis prêt à les imiter dans ce qu’elles ont de bon. Ce serait folie de mettre la primauté à dédaigner d’apprendre ce qui est le meilleur,

Et à saint Augustin de Cantorbéry, apôtre de l’Angleterre :

« Si vous trouvez dans toute autre Eglise quelque chose qui puisse être agréable à Dieu, choisissez avec soin… » Epist. LXIV ad August. IX, P.L.t. LXVII).

2 – MODE DE COMPENETRATION

L’étude des « Matines Pascales », éditée en 1948, montre comment le rite oriental a épanoui les Pâques occidentales :

« Les Vigiles du Samedi Saint (occidental) sont parfaites certes, mais, à tort, on voulut voir en elles la consommation de Pâques. Elles restent la préparation, la dernière bataille du Ressuscité, l’aurore ! Le diacre, tel un Chantecler, annonce la vie immortelle… Mais les dernières « ombres de la grâce », les « figures » de l’accomplissement sont encore présentes (les leçons de l’Ancienne Alliance). Le ciel est descendu jusqu’aux abîmes de la terre, les abîmes de la terre n’ont pas encore bondi vers le ciel. On attend l’accord final. L’orchestre se tait, la lumière pascale s’affaiblit.

« Les Matines occidentales qui suivent les Vigiles, selon le rituel romain, replongent les fidèles dans la méditation des psaumes, jetant un voile sur la vision face à face du Ressuscité… Pour toutes les fêtes de l’année, les psaumes sont des lumières royales ; la Nuit de Pâques, ils semblent des veilleuses en plein soleil de midi. Mais les Orthodoxes français ont le privilège d’écouter le battement des ailes de la poésie sacrée de St Jean Damascène, écho de l’allégresse céleste… Semblables aux trois pétales d’une fleur pensivement repliée sur elle-même, sous l’action de la joie du Printemps éternel de la Résurrection et comme frappés des rayons du soleil, les trois Nocturnes latins éclatent, s’épanouissent et donnent l’hospitalité aux abeilles divinement inspirées, aux hymnes de Byzance.»

3 – L’ANNEE LITURGIQUE

Nous avons employé la même méthode de compréhension pour l’année liturgique ; en voici quelques exemples :

L’OCTOIKON byzantin contient les « huit Tons », les huit ensembles de textes de la Résurrection chantés aux Vêpres et aux Matines dominicales. Cet aspect résurrectionnel étant affaibli dans la liturgie occidentale, nous avons introduit les strophes (stichères) aux Vêpres et aux Laudes de notre rite en sauvegardant précieusement les antiennes occidentales qui correspondent aux évangiles du dimanche. Dans les temps anciens, l’Occident nommait le dimanche : Pâques hebdomadaire !

NOËL : la poésie de saint Cosme et de saint Jean Damascène a trouvé sa place dans les chants.

LE BAPTÊME DU CHRIST : Théophanie et manifestation divine, dont la fête, presque disparue en Occident, a resurgi au moyen des textes orientaux ; la Bénédiction des Eaux (Agiasma) est celle de saint Basile.

LE GRAND CARÊME a reçu en don la prière de saint Ephrem[2], dite avec flexions des genoux, et le Canon de saint André de Crète, fertile pour l’âme pénitente.

LA SEMAINE SAINTE : les strophes de saint Cosme, l’hymnographe ; le tropaire (grande antienne) de saint Roman le Mélode : « Il est minuit, le Fiancé arrive » ; l’exapostilarion (misse) : « Ô mon sauveur, je contemple Ton palais orné » ; le canon des Matines de saint Jean Damascène exaltant le mystère eucharistique, au cours des Ténèbres du Jeudi Saint ; plusieurs strophes alternant avec les « Douze Evangiles » ; l’ensevelissement de Notre Seigneur Jésus-Christ au chant : « Le noble Joseph », suivi des « Plaintes » etc., complètent le style «kénétique »[3]d’Occident.

LES DOUZE FÊTES : le rite occidental exprime les fêtes par des collectes et des préfaces ; par contre, les antiennes – parallèles aux tropaires et kondakions orientaux – n’ont pas l’ampleur théologique de Byzance. Le Pape Innocent IV n’hésita pas à remplacer l’antienne de la Naissance de la Vierge (8 septembre) par le tropaire byzantin : « Ta naissance, ô Vierge, Mère de Dieu… » Cet exemple caractéristique détruit la critique des puristes et nous a encouragés à souligner les douze fêtes occidentales par les strophes et tropaires de l’Orient.

4 – LA DIVINE LITURGIE

La Commission liturgique de 1961, présidée par l’Archevêque Jean de San-Francisco, « a constaté que, sans jamais briser l’unité du rite, la liturgie de l’Eglise Orthodoxe de France a fait cependant quelques emprunts à l’Orient ».

1- A l’entrée, la prière à voix basse du prêtre. (La tradition occidentale nous laissant la liberté du choix, nous avons préféré la prière orientale qui souligne la concélébration angélique : « Seigneur, notre Dieu, Qui as établi les armées angéliques »…)

2 – La prière ‘à voix basse du prêtre devant l’autel : « Roi du Ciel, Consolateur… » en accord avec l’Eglise orthodoxe universelle qui commence toutes les actions liturgiques par l’appel au Saint-Esprit.

3 – Dans la Litanie, adjonction de :

a -« de notre Souveraine, la Mère de Dieu ». L’antique Litanie de St Martin qui est la nôtre, n’avait pas d’invocation à la Mère de Dieu.

b – du mot « orthodoxe », complétant la « foi catholique ».

4 – « Que toute chair humaine fasse silence… » qui, cependant, était probablement chanté jadis en Gaule (voir : La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules, et dans le Messager de l’Exarchat du Patriarcat Russe en Europe Occidentale n°32,1959, l’article de l’Archimandrite Alexis van der Mensbrugghe : L’expositio Missae Gallicanae est-elle de saint Germain de Paris ? » p. 247).

5 – Prière à voix basse du prêtre avant la Grande Entrée : « Aucun de ceux qui… » Cette prière, entrée tardivement, même dans la liturgie selon saint Jean Chrysostome, entraîne le célébrant dans la profondeur du Sacrifice du Fils ; néanmoins, elle est facultative et peut, si on le juge utile, être supprimée.

6 – A l’encensement des dons : « Le noble Joseph… ». Cette strophe est facultative.

7 – Dans les diptyques, remplacement de « … et toute fraternité universelle » par « … et pour tous et pour tout ». Cette deuxième expression a un sens identique à la première qui a pour l’oreille française actuelle une résonance profane.

8 – Les noms apophatiques de la préface : « Ineffable, Indicible… » que l’on trouve cependant dans plusieurs préfaces gallicanes.

9 – Adjonction de « sur nous » dans l’épiclèse : « … que descende sur nous et sur ce pain et sur cette coupe… »

10 -Triple « Amen » après l’épiclèse (voir Le Canon Eucharistique pour l’explication des emprunts).

11 – Réponse des fidèles à l’exclamation du prêtre : « Les Choses Saintes aux Saints » : « Un Seul est Saint, un Seul est Seigneur… » Si cette réponse manque dans les manuscrits, elle s’impose d’elle-même, ayant existé dans les liturgies apostoliques.

12 – La prière avant la communion : « Je crois et je confesse… Accepte-moi.. », destinée à donner la même prière à tous les orthodoxes, orientaux et occidentaux ; à noter que cette prière se trouve aussi dans le rite Ambrosien.

13 – La proclamation du diacre : « Approchez avec crainte de Dieu, foi et amour…  »

14 – Nous avons vu la Vraie Lumière.. « , comme tricanon. Les tricanons étant variables dans le rite gallican, nous avons préféré adopter celui-ci qui fait resplendir la présence du Saint-Esprit dont la théologie est affaiblie en Occident.

Ces emprunts furent dictés d’une part, par le désir d’un développement théologique et, d’autre part, par celui d’avoir des points communs avec la liturgie orientale, par exemple la prière avant la communion et la proclamation du diacre : « Approchez avec crainte de Dieu, foi… ».

Nous avons, par conséquent, agi de manière légitime, en concordance avec la tradition vivante de l’Eglise et en esprit d’équilibre entre l’universel et le local. L’expérience nous a démontré et continue à nous démontrer que cette conduite permet aux Occidentaux de communier à l’Orient, et aux Orientaux de ne pas être dépaysés parmi nous.

E – LES SOURCES

1- DEFINITION

Le mot « source » a plusieurs significations. Il est évident que la Source Primordiale de la liturgie est le Saint-Esprit et la Tradition vivante de l’Église. Nous nous limiterons dans ce chapitre aux sources-documents qui servirent à la restauration du rite des Gaules.

Il ne suffit pas de rassembler les documents, il importe de les analyser et de les situer dans leur contexte historique. Les manuscrits sont des êtres vivants avec lesquels l’historien doit prendre contact si cela est possible et sans se fier seulement aux éditions postérieures. Prenons un exemple :

Le manuscrit majeur pour la restauration de l’ancien rite des Gaules est celui des « Lettres de saint Germain » (« Expositio missae gallicanae »). Ces Lettres sont conservées dans la Bibliothèque Municipale à Autun (Mss.G.III (184-f.135r.v. ; le texte qui nous intéresse se trouve ff.114v-122v). Nos liturgistes ne se sont pas contentés de l’étudier à travers leurs diverses éditions, ils se sont rendus surplace afin de compulser le manuscrit lui-même, ce qui leur a permis de discerner divers détails inaperçus des autres spécialistes n’ayant pas la même préoccupation : par exemple, le soin pris par le copiste pour dessiner la majuscule du S du « Sonus », indiquant de cette sorte la valeur de la Grande Entrée à une époque où le rite romain commençait déjà à s’imposer.

Quant aux auteurs anciens et modernes, tout en leur portant une profonde reconnaissance et en admirant leur science et leur labeur, il est bon de ne pas les prendre à la lettre mais avec réserve, car, derrière l’homme de science objectif, se profile inévitablement l’homme d’un milieu, d’une confession, d’une personnalité propre. L’objectivité historique, malgré le nombre des citations, est souvent plus apparente que réelle. L’Ecriture Sainte n’y échappe pas…

Reprenons les « Lettres de saint Germain ». Nous possédons sur elles une riche littérature contradictoire. Tout le monde s’accorde pour affirmer que ce manuscrit est l’exposé de la liturgie de France du VIe siècle, mais si saint Germain de Paris est reconnu par les uns comme auteur des Lettres, il est nié par les autres.

A. Hauck (art. « Germanus, Bf von Paris » dans Real. Enziklopäd. 1899); H. Koch (« Die Büsserentlassung in der abendländischen Kirche » dans Theol. Quartalschr. 1900), enfin, E. Bishop, suivi de Dom R.H. Connoly et de Dom Wilmart, sont les négateurs.

Les motifs du rejet de St Germain de Paris comme auteur de ces lettres sont divers et bien discutables. Mais il est important de souligner que le dernier en date est Dom Wilmart qui collabora au Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie de Dom Cabrol, étant chargé par ce dernier de l’article : »Germain de Paris » (t.VI,1903). La réputation de son nom ajoute, de ce fait, du poids à son hypothèse tendancieuse.

Quelle est la raison psychologique de l’attitude hostile envers le rite des Gaules, en général ?

Connoly et Wilmart, disciples de Bishop, étaient épris de la liturgie romaine, méprisant la richesse de la liturgie d’Orient et des Gaules dont le style était taxé par eux « d’ampoulé, précieux, prolixe, compliqué, trop sensible, extérieur, dramatique, symbolique, loin de la sobriété, austérité et simplicité des formules romaines ».

A l’opposé, ceux qui les précédèrent : Dom Martène et Dom Durand qui découvrirent en 1709, le manuscrit, Dom Rivet (Histoire littéraire de la France t.111,312,313), le célèbre Père Pierre Lebrun (Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe t.II,240-241 ; 1726), Dom Ceillier (Ecrivains Ecclésiastiques XI,308), A. Franz(Die Messe in deutschen Mittelalter, 1902), F. Probst (Abendländische Messe im V. bis VII Jahrhundert, Münster, 1896), P. Lejay (Revue d’Histoire et de Littérature religieuse,188,1897) , Mgr Duschesne (Origines du culte chrétien éd. 1898, p.147 et éd. 1920, p.163) et Mgr Battifol (« L’Expositio liturgae gallicanae attribuée à St Germain de Paris » dans Etudes de Liturgie et d’Archéologie chrétiennes, Paris, 1919) s’inclinent devant l’authenticité des « Lettres de saint Germain ».

Le dernier mot de la recherche revient à deux liturgistes orthodoxes : l’Archiprêtre E. Kovalevsky dans « La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules » (1956), et l’Archimandrite A. van der Mensbrugghe dans son article précité : « L’Exposito Missae Gallicanae est-elle de St Germain de Paris » (1959)[4]. Ces deux œuvres, et par excellence la deuxième, examinent en particulier la thèse Koch-Bishop-Wilmart.

Concluons par les paroles de l’Apôtre Paul : « N’éteignez pas l’Esprit : mais examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon » (I Thessaloniciens 5, 19-20).

2 – DOCUMENTS

Il est certain qu’avant d’étudier la Liturgie des Gaules, il est indispensable de connaître les sources primitives : la Didachè, la Didascalée, la Tradition Apostolique (Saint Hippolyte), les Constitutions Apostoliques etc., les œuvres patristiques de saint Ignace, saint Irénée, saint Cyprien… de se familiariser avec les rites antiques aussi bien d’Orient que d’Occident. (Nous avons signalé plus haut que la compénétration des rites dans l’Eglise indivise était un fait incontestable).

De ce point de vue tous les documents sont indispensables à la restauration d’une liturgie, et celle des Gaules est privilégiée; un groupe de manuscrits et de documents la ressuscitent.

a – Les lettres de saint Germain : Elles furent, répétons-le, découvertes en 1709 dans le Monastère de Saint-Martin à Autun par Dom Martène et Dom Durand, publiées par eux dans leur « Thesaurus novus anecedotum » en 1717, et reproduites dans Migne P.L.T ; LXXII col. 89-98.

En tête des Lettres est inscrit : « Germanus eps parisius scripsit ». Mgr Duchesne qualifie ainsi ce manuscrit : « Le plus précieux document pour le rite des Gaules ». Le Père Pierre Lebrun, contemporain de Dom Martène et Dom Durand, restaure la Liturgie des Gaules sur la base de ces Lettres.

La Commission liturgique de 1961, précitée, a publié avec remarques, sur deux colonnes, les Lettres de saint Germain et la liturgie célébrée actuellement par l’Eglise Orthodoxe de France.

Les « Lettres de saint Germain » contiennent une explication symbolique, à la manière de Nicolas Cabasilas, du déroulement de la liturgie. Sans être l’Ordo, au sens strict de ce mot, elles nous fournissent pourtant des fondements solides.

b -Les Pères des Gaules: le témoignage précieux de saint Germain doit être complété par ceux des Pères des Gaules de la même époque. Leurs écrits, en effet, traitent fréquemment de questions liturgiques.

St Sulpice Sévère (Ve s.) : « Vita S. Martini »

St Jean Cassien de Marseille (Ve s.)

St Gennade (Ve s.) : « De eccles. dogmat  »

St Grégoire de Tours (VIe s.) dont les ouvrages historiques et hagiographiques décrivent les cérémonies : « Vie des Pères », « Histoire de France », et son « Cursus ecclésiastique » qui témoigne d’un grand intérêt pour la liturgie.

St Fortunat (VIe s.), ami de St Germain. Son éloge de ce dernier et ses autres ouvrages nous fournissent d’intéressants éléments de la vie de son temps (« Venanti Fortunat Opera », éd. Luchi).

St Avit de Vienne (VIe s.)

St Sidoine Apollinaire de Clermont (VIe s.)

St Faust de Riez (VIe s)

St Césaire d’Arles (VIe s) et son successeur St Aurélien (VIe s.) dont les œuvres amplifient la connaissance liturgique de cette période (P.L.t. XLII, LVIII, LXVIII, LXXII).

St Gery de Cambrai (VIIe s.) (Annal. Bolland. 7ème vol.)

St Isidore deTolède (VIIe s.) La Liturgie d’Espagne est si proche de celle des Gaules que les liturgistes, du XVIIIe siècle à nos jours, considèrent qu’ils peuvent s’en servir pour combler ce qui manque dans les manuscrits mérovingiens.

c – Les Conciles des Gaules : les Conciles des Gaules des VIe et VIIe siècles nous offrent d’autres témoignages. Nommons-les :

Concile d’Agde (509), de Lyon (517), de Vaison (529) – ce dernier impose, par exemple, les Trisagions indiqués par les « Lettres de St Germain » – de Mâcon (585), de Rouen (650), de Nantes (658) etc. (sur les Conciles, voir Hefele, t.II).

d – Les Missels-Sacramentaires : nous avons déjà signalé la variabilité des prières durant la messe. Aucune messe occidentale ne peut être célébrée sans recourir au missel. Les missels ou sacramentaires contiennent les prières selon les Temps, les Fêtes et indiquent aussi, indirectement, le Commun de la Messe. Citons des exemples

Les missels gallo-mozarabes donnent :

Des « collectes post-nomine » et des « collectes du baiser de paix » entre les « sonus » (grande entrée) et « canon eucharistique », ce qui prouve que dans ce rite les diptyques, suivis du « baiser de paix », étaient placés en cet endroit.

Des « prières post-pridie » (prières « après la veille ») qui nous montrent que les paroles de l’Institution commencent par : « Qui, la veille de Sa Passion », et non : « la nuit ou Il fut livré… »

Parmi les missels typiquement gallicans nous avons, tout d’abord, le « Missale gothicum gallicanum » (nommé par certains : « Missel d’Autun ») et le « Missale gothicum velus ». Ces manuscrits du VIIe siècle renferment aussi des textes du IVe, dont le célèbre Exultet. Ils furent trouvés et publiés par Tommasi et réimprimés par Migne (P.L.t. LXXII)

En 1850, Mone publie un Missel de la fin du VI siècle. Il est probablement d’origine auxerroise et s’achève par la Messe de St Germain d’Auxerre (P.L.t. CXXXVIII).

Le Missel de Stowe découvert en Allemagne au XVIIIe siècle, fut publié par Warren en 1881. Tout en contenant des particularités celtes et en mélangeant le canon romain et le canon gallican, il nous fournit, entre autres, les Litanies (Ecténie) dites de saint Martin (« Supplicatio S. Martini ») auxquelles les « Lettres de saint Germain » font allusion sans en donner toutefois le contenu. Ce missel n’est pas le seul à nous les transmettre.

Nous les lisons dans le manuscrit de Fulda, copié par Witzel, dans la Collection Vallicellana (transcrite par Tommasi), le Sacramentaire de Bergame (Xe s.), le Sacramentaire de Biasca (Xe s.). Cette série de documents appuie les Litanies de la Messe selon Saint Germain.

Le Missale Francorum, œuvre provenant probablement des environs de Poitiers, contient des éléments gallicans.

Le Sacramentaire de Bobbio (XIe s.), découvert à Bobbio et publié par l’infatigable Mabillon, est un document utile possédant des prières antiques (P.L.t. LXXII).

Le Missale Mixtum (P.L.t. LXXXV). Cette nomination vient de ce qu’il est un mélange de l’ancien rite de Tolède avec celui de Rome. Il fut publié par le Cardinal Ximénes, au XVe siècle.

La grande reconnaissance des liturgistes va vers Marius Férotin qui publia en 1904, le « Liber ordinum » et, en 1912, le « Liber mozarabicus sacramentorum ». Cette publication, ainsi que celle des œuvres de Bianchini (1746) sur la liturgie espagnole, amplifie largement notre connaissance du rite gallican, agrandit le champ des recherches. Soulignons, à nouveau, que les rites gallican, mozarabe et celte, malgré quelques variantes, forment un même rite. La concordance de leurs témoignages nous permet de revivre la liturgie des VIe et VIIe siècles de la France et de l’Occident.

Les Sacramentaires romains : les gélasiens (l’un d’eux est classé par plusieurs liturgistes parmi les manuscrits gallicans), le léonien, le grégorien ne sont pas à négliger ; dans le chapitre sur le rite des Gaules, nous avons cité des exemples de pénétration des sacramentaires romains dans le Missale gothicum gallicanum.

Les missels-sacramentaires qui nous sont parvenus en grand nombre, s’échelonnant du Xe au XIIe siècle, nous procurent des éléments intéressants.

e – Le Lectionnaire : le précieux manuscrit du VIe siècle, spécifiquement gallican, est :

Le Lectionnaire de Luxeuil, découvert par Mabillon en 1683. Remarquons en passant qu’il fortifie le témoignage de saint Germain sur le chant dans la liturgie : «Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos pères… »

Semblable à lui est le Lectionnaire d’Autun ou de Würzburg, découvert par l’inégalable ouvrier liturgiste, Dom Morin (XXe s.) – on peut consulter ses articles dans la « Revue bénédictine »-.

f – Les Antiphonaires : les « antiphonaires », les  » séquentiaires », les « tropaires », les « prosaires » se multiplient à partir du IXe siècle jusqu’au XIIIe. Le cadeau est précieux pour celui qui regarde le rite des Gaules comme un courant vivant de la prière liturgique et non comme une noble antiquité de musée.

Parmi les antiphonaires gallicans, indiquons l’Antiphonaire de Bangor (P.L.t. LXXII).

g – Le Rite ambrosien : Mgr Duchesne a vu juste, lorsqu’il écrivait que le rite ambrosien, bien que se distinguant du rite des Gaules, fait partie de son étude.

Voici les principaux manuscrits :

Les Sacramentaires de Bergame et de Biasca, (cités précédemment au sujet des litanies dites de saint Martin), l’Ordo de Berold, le Missel Ambrosien, édité par Dom Martin, ainsi que les œuvres de saint Ambroise, principalement le « De Sacramentis » (voir « Le Canon Eucharistique » de E. Kovalevsky p.50).

On a retrouvé dernièrement des fragments d’anciens livres gallicans : « lectionnaires », « antiphonaires », « sacramentaires »; la bibliographie la plus complète est donnée par Dom Leclercq dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie sous la rubrique : « Liturgie Gallicane ».

3 – HISTORIQUE DE L’ETUDE DU RITE DES GAULES

La politique de Pépin le Bref et de Charlemagne, comme on le sait, fut de remplacer le rite des Gaules par le rite romain. Ils y réussirent mais, clandestinement, imperceptiblement, nombre de particularités et de textes survécurent et se faufilèrent non seulement en France mais aussi dans la liturgie de la Ville Eternelle.

Cette influence du vaincu sur le vainqueur, à l’image des Grecs face aux Romains, préserva le courant gallican dans le rite occidental. Une des figures que nous devons évoquer ici est celle du diacre Alcuin, chargé par l’empereur Charlemagne d’imposer partout le rite romain : il accomplit cet ordre avec obéissance. Toutefois, amoureux des textes anciens de France, il les sauva de l’oubli en les employant comme prières de rechange, messes votives… La messe votive de la Trinité, composée par lui, garde curieusement les éléments de l’ordinaire gallican : la bénédiction trinitaire du début de la messe gallicane devient l’introït, le chant « ‘Tu est béni, Seigneur, Dieu de nos pères », placé normalement après l’épître, devient le graduel, etc. E. Kovalevsky dans son « Canon Eucharistique » (p. 8) cite l’exemple de l’anamnèse-épiclèse transformée par Alcuin en oraison, sans autre but que de transmettre aux générations futures le texte vénérable (P.L.t. LXXXV).

Le « De actione Missae » (P.L.t. CLXIR) du diacre Florius de Lyon (post-réforme de Charlemagne) nous guide dans le cérémoniaire de la messe sous sa forme gallicane.

L’élan créateur de l’ancien rite de France, en dépit de sa suppression, anime le Moyen-Age. Les admirables antiennes : « Ô… » qui annoncent Noël continuent la même tonalité ; elles datent vraisemblablement du XIIe siècle.

Pendant la Renaissance le Cardinal Ximenes de Cisneros (? 1517), Archevêque de Tolède, fondateur de l’Université d’Alcala, imprime le Missel et le Bréviaire mozarabes, et l’œcuménique liturgiste Georges Cassandre (1566) publie des œuvres inédites de l’époque mérovingienne.

La fin du XVIIe siècle et surtout le XVIIIe sont une période heureuse pour la liturgie des Gaules. Jean Mabillon (? 1707) et Dom Germain éditent le Missel de Bobbio, Le Lectionnaire de Luxeuil et dans le « de Liturgia Gallican », ils établissent l’ensemble des monuments connus de cette époque. JJ. Tommasi (1713) publie le Missale Gothicum Gallicanum, le Missale Francorum, le Missale Gallicanum Vetus et le Libellus orationum (mozarabe). Dom Martène (+1739), élève de Mabillon et Dom Durand trouvent les Lettres de saint Germain et laissent une vaste littérature liturgique. Pierre Lebrun (+1729) défenseur de l’épiclèse et liturgiste « non dépassé » selon l’expression de Dom Cabrol, reconstitue dans son œuvre : « Explication littérale, historique, dogmatique des prières et des cérémonies de la Messe », le rite gallo-mozarabe.

Au XIXe siècle, FJ. Mone (? 1871) découvre à Karlsruhe le plus ancien des missels gallicans, et fait paraître des hymnes inédits du Moyen-Age.

Ce siècle et le nôtre sont trop complexes pour être analysés même rapidement. Les ouvrages sur le rite des Gaules sont nombreux. Les hypothèses les plus diverses se succèdent, se chevauchent dans tous les domaines : liturgique, théologique, biblique. Une méthode historique libérant des routines se forge, mais auprès d’elle se dresse l’individualisme ; chacun émet avec une passion apparemment objective une opinion qui détruit celle du voisin. On ne peut passer sous silence une figure aussi puissante que celle de Dom Guéranger. Violemment attiré, fasciné tout d’abord par l’ancien rite des Gaules et le rite oriental, il deviendra ultramontain sans pouvoir cependant expulser de son cœur ces deux traditions, et il enrichira abondamment sa célèbre « Année liturgique » aux textes pur romain, par les prières, les séquences, les hymnes, les immolatio, les préfaces, les strophes du rite des Gaules et de l’Orient. En dehors de cette personnalité discutable, emballée, géniale, nous devons énoncer, sans avoir la possibilité de les examiner ici, les œuvres qu’il faut lire avec discernement.

XIXème siècle :

Neale et Forbes : Ancient Litugy of the Church 1855

L. Marchese : Liturgie Gallicane des huit premiers siècles de l’Eglise 1869

R. Buchwald : De Liturgia Gallicana 1890

H. Lucas : The Early Gallican Liturgy 1893

F. Probst : Abendländische Messe im V. bis VII Jahrhundert, Münster 1896

P. Lejay : Revue d’Histoire et de Littérature religieuse 1897

XXème siècle :

Il commence par les célèbres Origines du culte chrétien de Mgr Duchesne et les ouvrages de Marius Férotin, précité.

Deux auteurs sont à retenir particulièrement : Mgr Battifol précité (1919) et J.B. Thibaut, restaurateur du rite des Gaules dans « L’Ancienne Liturgie de Gaule, son origine et sa formation » (1925).

Dom G. Morin avec ses publications dans la « Revue bénédictine » et son « Ephemaridae Liturgicae », 1935, procure une abondante documentation.

Dom Cabrol : son Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, surtout les premiers volumes, est une aide de première valeur.

Dom Leclercq, continuateur du Dictionnaire.

Dom Cagin (Paléographie Musicale. Liturgie Ambrosienne…)

Henry Jenner écrit l’article « Gallican Rite » dans Cath. Encyclopedia.

H. Lietzmann édite, entre autres, «Liturgische Texte » dans lesquels il reconstitue hâtivement le rite des Gaules.

B.A. Lowe nous donne une étude paléographique du Missel de Bobbio.

Après la guerre : sans prétendre énumérer tous les noms, citons :

Louis Brou : « Études sur la Liturgie Mozarabe » 1947

Dom Capelle : « Messe Gallicane de l’Assomption » 1949

E. Griffe : « Origines de la Liturgie gallicane » 1951

Salmon : « Lectionnaire de Luxeuil » 1951

J.A. Baumstark : « Liturgie comparée » 1953

N.K. Chadwick : « Poetry and Letters in Early Christian Gaul » 1955

W.S. Poster : ‘The Gallican Rite » 1959

A. King : « Liturgies anciennes » (rite gallican) 1959

Dom B. Botte et Dom O. Casel, enfin, complètent la biographie actuelle.

4 – RESTAURATION DU RITE DES GAULES DANS L’ORTHODOXIE

Les « Lettres de saint Germain » sont traduites en russe. A. Katansky, en 1869, fait paraître L’Histoire de l’ancienne liturgie •occidentale. Récemment, un professeur d’Athènes, Trembelas, écrit une étude sur la liturgie gallicane-mozarabe, article sérieux mais incomplet. Ouspensky, de l’Académie de Léningrad, se pose la question du rite des Gaules dans leJournal du Patriarcat de Moscou.

Mais la restauration du rite des Gaules est réalisée par V. Guettée, premier en date. En 1874, dans sa revue Unité chrétienne, il publie la Messe des Gaules et, la même année, célèbre avec la bénédiction du Saint Synode, dans l’église de l’Académie théologique de Saint-Pétersbourg.

En 1925 est créée la Commission Française, sous la présidence de l’Archiprêtre Sakharoff, avec la bénédiction du Métropolite Euloge. Un de ses membres deviendra Mgr Jean de Saint-Denis. Cette Commission élabore le texte de la Liturgie selon l’ancien rite des Gaules, se basant sur ceux de V. Guettée et divers documents. En 1929, cette liturgie est célébrée par le R.P. Lev Gillet dans la chapelle de la Confrérie Saint-Photius, à Saint-Cloud. En 1936, Mgr Irénée Winnaert, en sa supplique à Sa Béatitude Serge de Moscou, exprime son désir de restauration du rite des Gaules et, en 1939, Serge de Moscou, dans une lettre à la Confrérie Saint-Photius, conseille « d’entreprendre le travail approfondi de la liturgie occidentale selon la tradition gallicane ». Le « Centre St Irénée », dirigé par le Père E. Kovalevsky, l’entreprend immédiatement et ne cesse de le continuer, aidé par l’Institut Saint-Denys, fondé après la guerre. Il fait appel à des spécialistes tels que Dom Lambert Bauduin, patriarche du renouveau liturgique en Occident, et l’Archimandrite Alexis van der Mensbrugghe et, enfin, dès 1944, cette liturgie est célébrée régulièrement dans l’Eglise Catholique Orthodoxe de France.

En 1956, parait La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules, ou Liturgie selon St Germain de Paris. L’Archiprêtre E. Kovalevsky yrépond aux questions suivantes :

1- Saint Germain, patron de notre liturgie :

Les lettres de saint Germain

De l’authenticité de ces lettres

Du patronage des saints

Du patronage de notre Liturgie par saint Germain de Paris

Conclusion

2 – La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules

De l’unité universelle de la Liturgie

De la multitude des rites dans l’unité

Du principe formel ou structural

Critère de l’unité spirituelle

Remarque sur l’hymne de l' »Offertoire »

3 – La compénétration des divers rites

En 1957, parait du même auteur : Le Canon Eucharistique de l’ancien rite des Gaules. Cet ouvrage traite d’abord : 1- du terme : Canon eucharistique ; 2 – de l’abondance de la matière pour la restauration du canon de l’ancien rite des Gaules ; 3 – du discernement dans le choix des textes du rite des Gaules ; 4 – de la structure du canon universel et de la structure de l’ancien rite des Gaules ; puis de l’analyse dogmatique, historique et liturgique de chaque mot du Canon Eucharistique.

Ces deux ouvrages de l’Archiprêtre E. Kovalevsky furent écrits à la demande du clergé et des fidèles de l’Eglise Orthodoxe de France, qui, attachés à leur rite, désiraient en posséder une explication historique, pastorale et dogmatique. Ce sont le commentaire et l’analyse d’une liturgie célébrée et vécue dans l’Eglise orthodoxe et non ceux d’un texte archaïque.

Deux ans après la parution du « Canon Eucharistique », l’Archimandrite A. van der Mensbrugghe défend dans son article précité l’authenticité des « Lettres de St Germain » et propose plusieurs variantes de la liturgie occidentale, la dernière étant le « Missel orthodoxe gallican et italique ». Notons que le Père van der Mensbrugghe jusqu’en 1952, année où il quitta l’Eglise orthodoxe de France pour se joindre au métropolite Vissarion, collabora activement à la restauration du rite des Gaules.

La Commission Liturgique, présidée par l’Archevêque Jean Maximovitch, examine ses travaux et donne l’appréciation suivante :

« La Commission salue l’apparition de l’œuvre de Monseigneur Alexis comme un témoignage affirmant que la restauration de l’ancien rite des Gaules est possible, désirable et approuvée par la hiérarchie. Il parait à l’examen que cette œuvre, identique dans sa structure et ses principaux éléments à la Liturgie célébrée dans l’Eglise Catholique Orthodoxe de France, comporte des déficiences provenant d’un travail trop personnel et du caractère abstrait et rationnel de son auteur : elle est nettement inférieure à celle que célèbre l’Eglise Catholique Orthodoxe de France. En outre, elle est écrite en une langue difficile à chanter et inadaptée au langage français contemporain.

Après la bénédiction, par le Patriarcat de Moscou, du rite des Gaules restauré, le concile de l’Eglise russe hors-frontières le reconnaît aussi, le 11 novembre 1959, fête de saint Martin qui préside invisiblement à toutes les dates importantes de l’histoire de notre Eglise de France.

Malgré cette reconnaissance en 1959 du rite des Gaules restauré, des rumeurs malveillantes circulent dans les milieux russes, suggérant que cette liturgie est une « fantaisie personnelle » de E. Kovalevsky. C’est alors que l’Archevêque Jean forme une Commission liturgique spéciale pour étudier ce terne mot à mot et, afin de n’être pas accusé d’influencer la dite Commission, l’Archiprêtre E. Kovalevsky n’y prend point part.

La Commission commence par se baser sur les sources dont nous avons donné une liste complète au début de ce chapitre ; le résultat s’inscrit dans les lignes suivantes :

« La vérification du texte de la Divine Liturgie célébrée actuellement permet de constater que les sources susdites ont étéexploitées avec la plus grande fidélité, tant dans les prières que dans les moindres détails. Notre comparaison de la Divine Liturgie avec les « Lettres de saint Germain » et l’analyse que nous avons faite du « Canon Eucharistique » fournissent les références essentielles.

La vérification des sources achevée, la Commission examinait les travaux des quatre restaurateurs : Lebrun, Guettée, Duchesne, Cabrol (Leclercq) et concluait :

« La comparaison de la liturgie célébrée actuellement avec les textes de ces quatre restaurations fait apparaître la similitude de construction chez les cinq auteurs (quatre, plus l’apport des recherches de l’Archiprêtre E. Kovalevsky) dont les versions ne diffèrent que dans les détails et mettent en évidence que le texte étudié ici a mis en œuvre plus de matériaux que ne l’ont fait les quatre autres auteurs. »

Puis, ayant constaté les emprunts orientaux, la Commission termine son étude par la conclusion :

« De tout ce qui précède, des études et des comparaisons auxquelles il a été procédé, il appert avec évidence que la Divine Liturgie telle qu’elle est célébrée actuellement dans l’Eglise Orthodoxe de France, est entièrement basée sur les sources antiques. Les restaurateurs ont fait preuve, non seulement d’une vaste érudition historique et liturgique, mais aussi de leur fidélité à la tradition, évitant scrupuleusement tout élément d’improvisation personnelle et s’effaçant humblement devant l’héritage des Pères. »

Et la Commission liturgique donne sa décision :

« La Commission, réunie sous la présidence de l’Archevêque Jean, décide d’apporter au Canon Eucharistique les quatre rectifications suivantes :

1- Malgré la légitimité théologique des mots « dans l’Esprit-Saint » et « en Lui » introduits dans la Préface pour souligner le dogme trinitaire, la Commission les omet car ils ne figurent dans aucun manuscrit.

2 – Elle conserve dans l’Institution l’épithète « Vénérable » qui ne figure pas dans le texte ambrosien mais dans les Liturgies Romaine et Arménienne. Elle diffère sa décision sur la troisième épithète : « Magnanime ».

3 – Elle retient dans le Mémorial, les mots « avec gloire », appliqués au retour du Christ, bien qu’ils ne se trouvent pas dans la totalité des textes.

4 – Dans l’Offrande, la Commission décide de supprimer les termes de « Pain de Vie et Calice du Salut », bien qu’ils soient présents dans le texte ambrosien ; cette suppression a pour but d’éviter toute équivoque sur le rôle de l’Épiclèse dans la consécration des Dons.

« La commission confirme que le texte de la Liturgie célébrée actuellement dans l’Eglise orthodoxe de France est fidèle aux sources antiques conservées jusqu’à nos jours. La restauration est guidée par les travaux des autres liturges et répond aux critères de tradition et d’orthodoxie.

« Célébrée régulièrement dans toutes les paroisses de l’Eglise orthodoxe de France, la liturgie selon l’ancien rite des Gaules suscite chez les fidèles une participation profonde correspondant à leur désir de prier selon la tradition de leurs pères ».

5 – MÉTHODE DE RESTAURATION

Comment nos liturgistes ont-ils appliqué la méthode de restauration ? Disons-le brièvement.

Le Canon Eucharistique de E. Kovalevsky en est un exemple rigoureux : chaque terme du Canon, ainsi que nous l’avons déjà dit, est analysé à la lumière des textes qui nous sont parvenus, face à la Liturgie orthodoxe universelle.

A propos du Missel de Stowe, nous avons cité les litanies dites de saint Martin, montrant que les différentes sources se joignent et forment un groupe de témoignages.

Prenons un troisième cas, celui de l’Agios. Selon saint Germain, après le Prælegendum et la Bénédiction, on chante l’Agios en grec et en latin. Nous le chantons par esprit de communion universelle et respect des lettres de saint Germain, en grec et en latin, mais en ajoutant par respect de l’esprit orthodoxe un troisième Trisagion dans la langue du pays, en français. D’autres témoignages soutiennent cette indication de saint Germain ; le Missel de Bobbio le confirme en parlant de « Post-Agios ». St Géry, évêque de Cambrai (VIIe s.), indique aussi l’Agios. (Voir les Ann. boll. VII, 1888 p. 393).

Saint Avit, évêque de Vienne, dans sa lettre à Gaudebaud, roi de Bourgogne, condamne l’ajout monophysite au Trisagion : « Crucifié pour nous ». Enfin le troisième canon du concile de Vaison (précité), ordonne de toujours le chanter. De cette sorte, les renseignements épars se rassemblent autour des « Lettres de saint Germain ».

Ces trois exemples suffisent, nous semblent-il, à éclairer la méthode de travail de nos liturgistes.

Ajoutons au labeur de documentation celui de la traduction rigoureuse du latin et de grec et, pour ce faire, la création d’un français liturgique. Le chant, lui aussi, fut élaboré et harmonisé par Maxime Kovalevsky généralement selon les huit tons grégoriens et toujours selon le rythme de la prosodie, pour ne faire qu’un avec le verbe français. Nous avons la joie de constater que plusieurs paroisses orientales et occidentales se servent de nos chants.

En conclusion, nous avons compulsé les manuscrits, exploré les documents gallicans et la littérature liturgique. Ce travail, malgré le sérieux et la bonne volonté serait resté scolaire, archéologique, si la tradition ininterrompue du rite oriental et du rite occidental n’avait été à notre portée et si nous n’avions prié et célébré quotidiennement.

Plusieurs évêques orthodoxes de différentes juridictions russes et grecques présidèrent notre Liturgie dans notre cathédrale. L’Archevêque Jean, de bienheureuse mémoire, la célébra souvent. Dix-neuf évêques de la cathédrale russe hors-frontières de New York y assistèrent et le Primat, Sa Béatitude Mgr Anastase, proclama : « Elle est, en vérité, orthodoxe ». Cette communion épiscopale à l’ancien rite des Gaules est une source non manuscrite, mais spirituelle et une assurance d’authenticité.

Il est évident, comme nous l’avons écrit en première phrase de ce chapitre, que la Source Primordiale de la liturgie est le Saint-Esprit et la Tradition Vivante de l’Eglise.

CONCLUSION

La diversité des rites dans l’unité de la foi orthodoxe, la place des rites occidentaux, en particulier celle du rite des Gaules, au sein de la tradition universelle de l’Orthodoxie, les apports orientaux et l’étude des sources du rite des Gaules constituent les cinq sujets dans notre exposé.

Des témoignages de sympathie pour l’œuvre liturgique accomplie par notre Eglise orthodoxe locale de France nous parviennent de tous les milieux, surtout des milieux chrétiens occidentaux préoccupés de renaissance liturgique. Quelques-uns de nos frères orientaux montrent parfois de l’incompréhension ; mais cette attitude, pensons-nous, est due principalement à leur ignorance de l’immense et antique trésor liturgique de l’Occident.

Nous espérons que notre bref exposé leur permettra d’ouvrir leur cœur et, dans une charité fraternelle, leur fera comprendre notre effort. Nous formons le vœu de voir les Occidentaux mieux connaître le rite oriental et les Orientaux celui de l’Occident, dans l’unité totale de la foi orthodoxe, dans la communion à l’unique Coupe du Sang du Christ par lequel Il a racheté l’Eglise, lui procurant dans l’Esprit Saint la liberté des chrétiens, à la gloire du Père, Un Seul Dieu en Trois Personnes.

3. SCHEMAS COMPARES DES STRUCTURES DE LA LITURGIE EUCHARISTIQUE

SELON SAINT JEAN CHRYSOSTOME SELON SAINT GERMAIN DE PARIS

LITURGIE DES CATECHUMENES

LE SACREMENT DE LA PAROLE

SAINT JEAN CHRYSOSTOME SAINT GERMAIN
PRELUDE
Le clergé dans le sanctuaire Le clergé d l’entrée de l’église
Appel du diacre & bénédiction Appel du diacre
LITANIE
Grande litanie
1ère antienne[5] (chant)
Petite litanie
2ème antienne (chant)
Petite litanie
3ème antienne[6] (chant)
ENTRÉE
PETITE ENTREE ENTREE DU CLERGE
Procession du clergé avec Procession du clergé avec l’Évangéliaire
l’Évangéliaire depuis le diakonikon depuis la porte de l’église jusqu’à l’autel
(absidiole sud) jusqu’à l’autel
« Venez, adorons… » (chant fixe) Prælegendum (chant variable)
Le clergé prie à voix basse Le clergé prie à voix basse
Hymnes (chants variables) : Trisaghion[7] (chant fixe)
1. Tropaire[8]
<href= »#_ftn9″>2. Kondakion[9] </href= »#_ftn9″> Kyrie (chant)
Trisaghion (chant) Hymne (chant variable
Le clergé prie à voix basse Tropaire – ou Benedictus –
ou Gloria – ou Béatitudes
Collecte [10] : Le célébrant prie à voix haute
LECTURES
Prokimenon (chant d’introduction variable) Graduel (chant d’introduction variable)
EPITRE EPITRE
Cantique : « Tu es béni… »
(chant « des trois adolescents »)
Le clergé prie à voit basse
Alléluia (chant) Alléluia (chant) – en Carême :
« Trait » (sans alléluia)
Introduction à la lecture de l’Evangile Introduction à la lecture de l’Evangile (chants et prières) (chants et prières)
EVANGILE EVANGILE
Sanctus (chant) de l’Apocalypse
Homélie Homélie
Grande litanie Grande litanie (diacre)
Collecte Collecte
Le clergé prie à voix basse Le clergé prie à voix basse
LITURGIE DES FIDELES
LE SACREMENT DE COMMUNION
Petite Litanie pour les fidèles Credo (chant)
Préface
Le clergé prie à voix haute
Grande entrée des saints Dons Grande entrée des saints Dons
(chant de l’hymne des chérubins) (chant : prière de St Basile
Le clergé prie à voix basse
Le clergé prie à voix basse
Litanie de supplication Diptyques[11] (diacre)
Baiser de paix (clergé seulement) Baiser de paix (transmis à tous)
(chant : « Je vous laisse la paix »)
Credo
CANON EUCHARISTIQUE
Dialogue prêtre – fidèles Dialogue prêtre – fidèles
Préface (à voix basse préface variable (à voix haute)
Sanctus d’Isaïe (chant) Sanctus d’Isaïe (chant)
Post-Sanctus (à voix basse) Post-Sanctus (à voix haute)
Institution (à voix haute) Institution (à voix haute)
Anamnèse (chant : « Nous te chantons ») Anamnèse (chant : « Nous te prions »)
EPICLESE (à voix basse) EPICLESE (à voix haute)
Diptyques (à voix basse) Fraction de l’Agneau
Hymne à la vierge (chant)
Litanie
Notre Père Notre Père
Élévation des Dons Élévation des Dons
Fraction de l’Agneau & Zéon[12]
COMMUNION
Communion du clergé Communion du clergé
Communion des fidèles Communion des fidèles
ACTION DE GRACES
Chants : Chants :
« Nous avons vu la vraie Lumière » « Nous avons vu la vraie Lumière »
« Que nos lèvres s’emplissent » « Nourris par le Pain céleste »
Petite litanie Petite litanie
Bénédiction Bénédiction
Renvoi Renvoi
Hymne à la Vierge

[1]. Cf. en fin de ce chapitre les schémas comparés de la liturgie selon saint Jean Chrysostome et de la liturgie selon saint Germain de Paris.

[2]. « Seigneur et Maître de ma vie, l’esprit d’oisiveté, de découragement, de domination et de parole facile, éloigne de moi L’esprit de pureté, d humilité, de patience et de charité, donne à Ton serviteur. Seigneur et Roi donne-moi de voir mes fautes et de ne point juger mon frère, car Tues béni dans les siècles des siècles » (Prière de St Ephrem).

[3]. « Kénose » : état d’abaissement du Christ dam sa condition de créature jusqu’à la mort humiliante de la Croix.

[4]. Ajoutons le Pr. Gamber qui a parallèlement reconstitué la « Liturgie selon l’ancien rite gallican » (die Messfeier nach altgallicanischem Ritus) Pustet 1984. Regensburg – Cf. 2ème partie, ch. II/1: ‘Le choix du rite’.

[5]. Psaume antiphoné variable.

[6]. Psaume antiphoné variable ou les Béatitudes.

[7]. Triple invocation chantée.

[8]. Antienne exposant le sens de la fête ou de l’office du jour.

[9]. Strophe avec acclamation

[10]. Prière récapitulative

[11]. Prière d’intercession pour les vivants, les défunts et les saints.

[12]. Zéon : eau bouillante versée dans le précieux Sang avant la communion (rite orthodoxe), qui signifie la chaleur de l’Esprit-Saint et la ferveur de la foi.