Onction et exorcismes

ONCTION ET EXORCISMES

Évêque Germain de Saint-Denis

Présence Orthodoxe n° 155 & 156

Ce sujet, l’onction et l’exorcisme, est un sujet très délicat. Essayons de situer le caractère de l’homme devant la face de Dieu et ce que « le monde sous ciel » essaye d’obtenir de lui en démontrant que ces esprits sont des intrus. On parlera après du monde sous ciel c’est-à-dire du monde des esprits, qui sont-ils ? Une approche pragmatique nous donnera quelques indications qui pourront servir à la vie personnelle et à la vie communautaire.

Je vais ainsi essayer d’ouvrir avec vous un chapitre sur une connaissance de l’homme au sein de la création où comme vous le savez vivent aussi les esprits, êtres créés comme nous. Et nous situerons également cet homme dans son destin c’est à dire dans son approche de l’intimité divine. L’homme a un destin selon Dieu, et certains des esprits s’efforcent de l’en détourner.

Avant d’arriver directement au sujet – puisqu’il s’agira de guérison ou d’une voie de guérison – posons la question : guérison de quoi ? Guérison de tout ce qui est maladif, germe de mort et en même temps de souffrance au sein de l’humanité, au sein de notre vie quotidienne. Comme vous le savez, sans doute, la maladie vient du péché comme la mort et la souffrance. On sourit souvent quand on parle du démon. Souriez-vous quand on parle du péché ? Un peu peut-être. Alors parlons de cet événement – le péché – parce que sa caractéristique est d’être contre la vie, hostile, destructeur de vie. La caractéristique de la guérison, bien sûr, est d’être pour la vie – ce qui est essentiel – et de permettre la sortie du péché. S’il apparaît dans l’histoire du christianisme le phénomène del’onction et également celui de l’exorcisme, ils ne sont pas spécifiques au christianisme ; ils sont très universels et naissent afin que le péché arrête son œuvre. Lui, le péché, je le répète, est l’auteur de la maladie. On peut nettement dire qu’il est la source même de toutes les maladies et de toutes les souffrances de l’être humain.

Les quatre catégories essentielles du péché

Dans l’Écriture Sainte, dans la Genèse notamment, nous avons des descriptions du péché. Quatre catégories essentielles du péché qui sont les sources de toute maladie y sont nommées :

La première est le désordre. Ce terme peut paraitre plus psychologique e que spirituel mais il est puissant. Face au désordre, que met-on ? L’ordre, certes, mais quel ordre ? Lorsque les parents disent à leurs enfants : « Mon petit, tu seras sage », cela ne signifie pas grand chose. Alors quel ordre met-on en face du désordre ? La sainteté ! Tel est l’ordre, disons-le, normal. Ceci ne vous parle peut-être pas suffisamment puisque la sainteté est assez indéfinissable.

Le deuxième aspect du péché peut être défini comme ce qui est tordu. Voilà un mot intéressant : tordu. Que mettre en face ? Sinon ce qui est droit, bien sûr. En fait, pour mieux situer : mettons la paix. L’évêque, quand il célèbre, dit: « Que la paix soit toujours avec vous ». Dans tous les rituels, comme dans l’onction et l’exorcisme, on retrouve la paix comme un des éléments les plus puissants pour redresser ce qui est tordu.

Le troisième aspect est le malheur ou ce qui vise mal. Que met-on à la place ? Le bonheur. Le XIXe siècle cherchait le bonheur. Regardez les noms des compagnies d’assurances : l’Espoir, la Prévoyance. Maintenant ce sont des sigles, on ne cherche plus le bonheur. Que cherche-on à notre époque ? Le bien-être ! Mais c’est quelque chose que ne rend aucune assurance.

Le quatrième sens du péché est la maladie elle-même, vue sous le sceau de la division, que l’on remplace par la santé et, autant qu’il est possible, parl’harmonie.

Ces quatre réalités, expérimentées dans la vie quotidienne, sont articulées par le monde des esprits. Il est utile de savoir que ce monde des esprits – des esprits sous ciel – est celui de l’esprit démoniaque comme il est dit dans l’Écriture Sainte. Par exemple, Dieu dit à Caïn : « Le péché est à ta porte. Domine sur lui ». Cela montre que le péché a une personnalité. Il est mis en route par quelqu’un. Ce quelqu’un est « le sous ciel », ce qui ne veut pas dire que l’homme est absent… Il est simplement manipulé. Nous sommes plus ou moins consentants, mais derrière la personnalité qui manipule ces quatre choses se tient le monde des esprits.

Pour bien poser les choses, il est nécessaire de se demander en réalité comment peut apparaître le péché dans la vie d’un homme. Il est certain que le monde des esprits se cache. Il peut se cacher facilement dans les civilisations à caractère matérialiste parce qu’il se cache derrière le rideau de la matière, tandis que dans les civilisations spiritualistes il est obligé d’apparaître. Voici une chose intéressante : le démon se dévoile. Plus intéressant encore est de savoir que le péché n’apparaît vraiment qu’en face de Dieu. Une chose se découvre ici : s’il n’y a pas de Dieu, on n’est pas pécheur. On a des fautes, on a des crimes, mais on n’acquiert pas le sens du péché. Sans Dieu il y a des déformations mais ce n’est pas le péché qui, lui, est mû, je le répète, par des personnalités. Nous devons toujours prendre conscience du monde réel qui nous entoure et ne pas vivre dans un monde artificiel, ni même religieux, où l’on s’emprisonne comme dans une serre, sans tenir compte de ce qui se passe alentours. Le chrétien est par nature universel et doit vivre avec tout l’univers.

Disons-le autrement : nous sommes des êtres historiques. Le monde contemporain a tout à fait estompé le sens du péché. Nous vivons dedans. On cultive par exemple la thérapeutique des maladies psychiques. Il y a beaucoup de thérapeutes, de psychiatres, de psychologues et ainsi de suite… La philosophie, la littérature parlent énormément de ces thérapies, mais la conscience du péché est très loin de ce que transmet la tradition chrétienne. Même dans certaines sectes qui ont une conscience du péché – quelque fois trop, d’ailleurs – il n’est pas tout à fait cerné et centré. A l’occasion d’un voyage à Moscou, mon traducteur m’a montré les vielles babouchkas russes pendant qu’elles faisaient de grandes prosternations devant les icônes, et il me disait : « Les voilà, grâce à elles nous avons conservé une vie religieuse ! » Elles ont transporté, entre autres, la conscience du péché au milieu du temps qui voulait le nier.

Cette disparition de la conscience du péché est simultanée avec la disparition de la conscience des esprits. Si on pose la question ici en Occident : de quoi le monde est-il peuplé ? On répond : voilà, les nations, les peuples, etc. Et après, un peu plus loin, qu’y a-t-il ? Oh, on peut admettre qu’il y a l’univers dans lequel on pénètre par l’astrophysique ou avec des fusées pour aller voir s’il y a la vie et des habitants. Jusqu’à ce jour, on n’en trouve pas. On fait de la prospective, on invente les personnages qu’on va rencontrer en espérant que ce n’est pas trop aléatoire.

Il existe cependant le monde invisible auquel, souvent, on n’est pas habitué, ce monde invisible avec les milliards d’anges et les hiérarchies angéliques. De temps en temps, on situe un Dieu lointain. Et on ne pense presque jamais que le monde visible est peu peuplé.

I.e péché ayant disparu, le monde sous ciel a également disparu de la conscience des hommes. Ces derniers ne se privent pas cependant de continuer à souffler le feu qui consiste à dire : « Au fond, le péché n’est pas une réalité. Il est quelque chosede secondaire. Bien sûr, l’humanité a des défauts mais on va y remédier. La médecine va faire des progrès, les psychiatres vont devenir intelligents et connaisseurs (je trouve qu’ils ont rendu bien des services} et puis, on va s’y retrouver bientôt et on installera la terre pour de bon, soit grâce à la science soit autrement ».

Le mythe de l’homme normal

Tout cet entourage a donné deux thèses, ou plutôt une thèse et une antithèse

La thèse est que l’idée du péché écrase l’homme. Certains psychiatres n’hésitent pas à dire que la plupart des déséquilibres de l’être humain viennent de laconscience du péché. J’ai lu une petite introduction d’un traité de psychologie freudienne à l’usage des infirmières des hôpitaux de l’Assistance publique. Il était dit au début : « Si vous avez la moindre croyance en Dieu, surtout ne lisez pas ce livre et ne devenez pas infirmières psychiatriques ». Telle est la première thèse : le péché écrase l’homme.

L’antithèse réside chez des personnes scrupuleuses, qui ont une fausse vision de l’homme et du péché et qui sont remplies de mouvements intérieurs qui les déséquilibrent et les écrasent. Des hommes ont protesté contre cette attitude et ont voulu donner une santé à l’être humain, loin de tout aspect morbide de la conscience du péché. Ils ont été si loin qu’ils ont ôté presque complètement cette conscience. Alors un mythe est apparu, celui de l’homme normal, le mythe de l’homme naturel.

Qu’est-ce qui est normal ? C’est difficile à dire, sinon que la médecine psychiatrique, ou la médecine de l’âme plus exactement, a remplacé les confesseurs dans notre univers. Il n’y a presque plus de confesseurs, mais on court chez les psychologues, les psychiatres, les psychothérapeutes, c’est-à-dire chez ceux qui ont fait l’homme normal. Cet homme normal, qu’est-il ? Sinon une abstraction et un lieu commun en même temps. La méthode de la construction de l’homme naturel a envahi l’Église, et d’une manière si subtile, d’ailleurs, que l’on dit : « La conscience de l’impureté, ou la conscience du péché, détourne l’homme de la confiance en Dieu ».

On constate avec cette attitude une tendance sociale et une tendance morale. Souvenez-vous en : Hitler parlait du travail dans la joie ! Et dans d’autres cités plus récentes on se trouve de plain-pied dans un temps un peu moral, un peu sportif avec un slogan : la vie est positive ! Voici des réactions contre un monde écrasé par le péché.

Il y a ici un malentendu : on confond, dans la réaction contre le péché qui écrase l’homme, le plan moral et le plan religieux. On introduit un péché moral et janséniste – ici, dans la civilisation française en tous cas. Or, c’est là-dessus que je voudrais insister pour que nous situions bien la nécessité de l’onction et de l’exorcisme : le péché n’est pas une catégorie morale. Ou plutôt il ne naît pas dans le plan moral dans lequel il peut certainement se propager mais dans le plan sacré, dans le plan sacral.

Le prophète Isaïe eut une vision divine. Il dit : « Mes lèvres sont impures ». L’apôtre Pierre voit le Christ faire un miracle extraordinaire et dit : « Retire-Toi, ou c’est moi qui vais me retirer, je suis pécheur ». Ils expérimentent l’irruption d’un sens violent du péché. Ils ne font pas une expérience dans le cadre moral, ils ne sont pas du tout impurs parce qu’ils auraient menti ou volé ou que sais-je, non. Dans la liturgie aussi on dit « Moi évêque indigne, ou prêtre indigne« .Cette indignité n’est pas dans le plan moralement mauvais, elle paraît parce qu’on est indigne devant la sainteté divine ou plutôt devant le caractère sacré du mystère. Même si on est absolument vierge, ou chaste dans la vie, même si on n’a tué personne, nos mains et notre être sont quand même impurs, car il s’agit ici, pour celui qui se voit pécheur, d’un sentiment puissant d’indignité devant la sainteté de Dieu. On entre dans une catégorie sacrée – c’est tout à fait paradoxal – devant l’immensité qui ne s’exprime ni moralement ni de manière passionnelle. Le tremblement s’exprime dans l’indignité devant les choses sacrées. On peut même aller jusqu’à dire que tout ce que nous constatons dans le monde extérieur est impur, même le soleil est impur devant la sainteté divine.

Tel est le sentiment du péché qui nous fait trembler, quelque fois pleurer, devant la face divine. Et ceci ne nous diminue pas. Quand on entre dans cette catégorie de tremblement, on n’est pas diminué. Il est très intéressant de voir que plus l’homme monte vers la sainteté, ou plus il sort du désordre et monte vers la sainteté, plus il a le sentiment d’être un pécheur. J’ai sondé les citations, en particulier des pères du désert : plus ils étaient devant la sainteté de Dieu, plus ils se découvraient pécheurs. Plus l’homme est superficiel, moins il peut connaître son péché. Le sentiment du péché ne vient pas du tout de la violation de la loi mais devant une présence : la présence et même la rencontre de Dieu avec l’homme, avec l’homme qui n’est pas purifié.

Notre introduction nous met obligatoirement devant la présence de Dieu. Et quand on introduit la présence de Dieu, il y a la présence du monde invisible et, dans ce monde invisible, il y a le monde démoniaque, le monde des esprits sous ciel.

On peut comprendre pourquoi on se moque un peu, ou parfois beaucoup, quand on parle des démons : parce qu’on n’a pratiquement pas le sens de la présence divine. A ce moment, la présence du monde invisible disparaît également. On voit par ailleurs paraître une chose très étrange : le sentiment est si puissant quand on parle du péché, par exemple chez David, Isaïe ou chez les apôtres, qu’ils veulent se laver. Le baptême lave. Quand David crie : « Si mes péchés sont cramoisis, ils deviendront plus blancs que la neige », il se lave du pèche, ou plutôt se lave devant le sacré à l’aide d’un Rédempteur ou d’un Sauveur.

Un homme moral n’a pas besoin de rédempteur. Que fait-il ? S’il est chrétien. il reçoit l’absolution et cela lui suffit. Il n’a pas besoin d’Esprit Saint et surtout il pas besoin de présence. L’homme moral se dit : « J’ai mauvais caractère, je vais chercher une méthode pour avoir un bon caractère. Je suis violent, je m’adresse à ma volonté. Ou bien on dit : je reconnais mon péché, je vais lutter, je vais demander aux médecins des pilules pour être moins égoïste, non sensuel, etc. Un journaliste spiritualiste, voici une vingtaine d’années, écrivit dans un article: « Si les pilules peuvent changer l’homme, où allons nous ? Où est l’autonomie de l’esprit ? » C’est une bonne question. Et pourquoi pas, si les pilules pouvaient changer l’homme, prenons des pilules ! C’est évident, mais ce n’est pas garanti.

Tout ceci ne touche pas beaucoup au péché et on commence à bien voir que la conception du péché confondu, durant les derniers siècles, avec des catégories morales provoque des psychoses complexes et de profonds déséquilibres dans l’être.

Il est tout à tait absurde de chercher une conscience du péché si on peut lutter uniquement avec l’aide de sa propre volonté. Dans ce contexte on a recherché homme naturel, équilibré, quelconque – le commun – ni bon ni mauvais, mais plutôt bon parce que c’est mieux ! Comme tout le monde, une sorte de – comme le disait Mgr Jean – « fumée dans un pantalon ». Des hommes qui ne tuent pas, s’ils ont la chance qu’il n’y ait pas de guerre pendant leur existence, qui mangent, qui boivent, qui éduquent leurs enfants… et au bout du compte qui vont au cimetière.

Heureusement, l’humanité est une créature divine et il y a deux Adam : un Adam pécheur et un deuxième qui est libérateur. Avec cet homme naturel (il faut bien en finir avec lui) on a voulu au XIXe siècle se débarrasser du complexe religieux. On a dit : « les prêtres vous détraquent » (parfois vrai d’ailleurs mais la société aussi déforme. J.-J. Rousseau a dit là-dessus des choses tout a fait exactes. Alors la nature humaine s’est vengée. Et au XXe siècle on a vu arriver les complexes, le subconscient, les angoisses, les détraqués, le diabolisme qui est de l’anarchie projetée dans toutes les directions. Que l’on regarde d’un côté ou de l’autre, on voit que nous sommes tous des cas cliniques, psychiques et je dirai clinique dans le sens du psychiatre.

A notre époque viennent également les possédés et les angoissés qui sont les martyrs de notre temps. Martyrs parce qu’ils ont reçu cet héritage du XIXe siècle, de ce mécanisme que je viens d’exposer. Ils sont possédés parce qu’on a fait l’homme naturel qui est habité et qui ne le sait pas. Du coup, on a introduit une multitude de difficultés.

On cite par exemple le cas de saint Jean de Cronstadt, ce prêtre russe de la -fin du XIXe siècle, canonisé par tous les Russes, qui refuse de guérir un possédé disant : « C’est un martyre, il est la proie du démon, c’est bien pour lui, comme ça nous sommes soulagés ». Il ya des gens qui peuvent porter ce qu’un autre ne porte pas.

Ainsi – retenons bien – la catégorie du péché n’est pas en face d’une loi naturelle mais en face de Dieu et uniquement en face de Lui. C’est pour cela que l’on dit aux Laudes : « Mon péché est constamment devant moi » et « J’ai péché contre Toi seul ». Cette phrase est incompréhensible si on ne comprend pas que l’essentiel se passe devant la face de Dieu. Plus on s’approche de la Face, plus l’expérience de la présence est violente. L’Écriture est remplie de passages sur l’iniquité, sur les impurs…

Saint Siméon le Nouveau Théologien (Xe-XIe s.) eut la vision de Dieu avec une violence extrême. La vision terminée, il se rendit compte que ses lèvres répétaient : « aie pitié Seigneur, aie pitié Seigneur ». II a découvert son impureté tout en étant dans l’extase.

Plus on est près de la sainteté de Dieu plus on est dans la béatitude, plus on est dans la joie, et plus on ressent simultanément cette catégorie qui est moteur de nos maladies, de nos souffrances.

Je ne dis pas que l’impureté morale n’existe pas, au contraire, mais quand on a confondu le moral et le sacré on a perdu le sentiment violent de l’impureté d’un homme qui, en face du sacré, n’ose pas approcher, toucher et entrer en contact. Comme dans la parabole du centurion: « Je ne suis pas digne que tu viennes chez moi mais guéris mon serviteur ».

Même dans l’amour humain authentique, il y a une analogie très grande, expérimentale, avec le sentiment du péché. Quand on aime quelqu’un très profondément et quand la réciprocité est là, tout devient sacré, on a peur de s’approcher. Quelque chose ici est extrêmement sensible.

Dans l’amour tout devient sacré. Dans la moindre défaillance, la moindre ombre, tout devient impur. Lorsqu’on aime, si le sentiment est très puissant et que l’autre fait un geste ou dit un mot, on peut avoir des chocs. On peut à ce moment devenir ritualiste, avec un rituel qui se met en route avec formalisme, comme chez les serviteurs de la synagogue ou chez les prêtres orthodoxes. Le ritualisme est souvent une catastrophe qui vient de l’approche du sacré et qui s’oppose a tout changement.

Le sentiment du péché ne tue pas la confiance en Dieu, il ne la diminue en rien et ne crée aucun complexe. Par contre, la tragédie de la conscience du péché commence lors qu’on a peur que Dieu punisse. On confond la sainteté divine le Dieu policier qui vous guette derrière la porte. Cette maladie a pu atteindre un nombre incroyable de disciples du Christ, malades du complexe et de l’inquiétude d’un Dieu censeur, punisseur, juge, etc.

Nous pouvons apprécier, j’espère, la différence entre, par exemple « je ne touche pas parce que c’est sacré », et je ne touche pas parce que je serai puni ». Ce sont deux choses distinctes. Surtout ne jamais transporter la crainte sacrée vers la crainte-peur et ne pas transporter la grandeur de Dieu vers une sorte de morale divine ou quelque chose de ce goût. II ne faut pas transporter la vie et la sainteté dans la loi et le complexe humain. A ce moment, cette loi qui n’aide pas va écraser. Toute la thérapeutique sacramentelle reste dans ce contexte. Le sens du péché nous approche de Dieu. Et en même temps le péché nous détourne de la présence divine et la maladie vient, de fait, de ce type de détournement.

Le péché originel

Il ne faut jamais oublier que le premier péché de l’être est la désobéissance. Paul dit : « En Adam nous avons tous désobéi et en Christ nous avons tous obéi ».

En quoi consiste ce péché adamique universel que saint Augustin disait originel ? Comme un arbre auquel les feuilles sont liées, il est lié à la mort, à la souffrance, à la misère, à la maladie. Lorsque nous approchons, dans le contexte du péché, d’une vertu, d’une puissance (l’onction est la présence d’une puissance), si la vertu est mortelle, si elle diminue quelque chose en nous, elle est une fausse vertu. On ne doit jamais séparer les vertus de la vie, de la lumière, de la santé. Le Christ a apporté le salut sans doute, mais aussi de manière tout à fait simultanée la vie, la lumière intérieure et la liberté.

Ceci est important parce que, dans ce temps, on a perdu de vue que ce qui est contre la vie est un péché. Qui ne connaît l’exemple des difficultés qu’on a pu avoir dans l’enfance avec des parents : on les cultive, cela remonte dans l’existence, on les remâche tant et si bien qu’elles prennent des grandes proportions. Au fond, on fait une idole de la difficulté des rapports qu’on a eus avec des parents et, ce faisant, on diminue la vie à l’intérieur de soi. Peut-être est-ce justifié, mais à quoi cela sert-il de se le redire et de le laisser remonter dans les rêves et de passer sa vie dans la difficulté ?

Comment faire pour couper ce genre de choses ? Immédiatement, dès que cela monte, il faut dire intérieurement : « Seigneur, j’ai péché parce que je me suis nourri de ça ». C’est d’une grande efficacité.

Tout ce qui est contre la vie est péché.

Origène s’est fait eunuque. Il s’est fait castrer et l’Église a réagi. Pourquoi a-t-elle réagi ? Si cela fait plaisir d’être eunuque, pourquoi pas ? Eh bien, parce que la vertu d’eunuque est fausse. Elle diminue la vie.

Cela me rappelle une histoire amusante de Jean Moschus. Il a écrit un livre qui s’appelle Le pré spirituel, des histoires de moines et de la vie de l’Église du IVe siècle : il y a un prêtre qui fait les baptêmes. A l’époque, on baptisait les personnages nus. Et lui baptisait des hommes et des femmes et les femmes le troublaient. Alors, il a prié saint Jean-Baptiste pour que, pendant le baptême, il ne soit plus troublé par la présence des femmes. Il a si bien prié que Jean-Baptiste s’est présenté : « Tu as bien prié, tu souhaites vraiment ne plus être troublé ? Je peux te l’accorder, mais c’est dommage ».

Il ne s’agit pas d’un dommage auquel on pense, mais parce qu’à ce moment là il y a quelque chose de la vie qui se trouve diminué chez lui, Dieu est vivant, il n’est pas un Dieu de philosophes, un Dieu d’abstraction, d’intellectuels ni de moralistes. Voici un critère : si vous voyez en vous une vertu, sublime même, qui vous diminue en quelque chose ou qui vous écrase, ce n’est pas une vertu, c’est un péché. La vraie vertu est liée à la vie et à la liberté. Donc attention à tout ce qui diminue ou rétrécit l’être humain, c’est quelque chose qui est lié justement au monde pécheur.

Il ne faut jamais séparer péché, mort, souffrance sinon on fait des abstractions. Un péché, je le rappelle, est quelque chose « contre la vie ». Si on veut cheminer vers la guérison, on doit lutter, entrer dans la lutte spirituelle pour recevoir davantage de vie.

Questions et réponses

Question : La mort est liée au péché. Dans l’Évangile et la tradition chrétienne il y a une notion qui n’est pas souvent explicitée: la notion de seconde mort. L’homme puisqu’il est créé par Dieu du néant, peut-il retourner au néant ? Ce qui est troublant, serait ce choix que l’homme peut faire de disparaître.

Réponse : Il est vrai que l’homme a, à la racine de son être selon le Créateur, la liberté. Cette liberté d’ailleurs peut être constatée simplement : le monde connaît à notre époque les manipulations génétiques Où l’on intervient sur sa propre création. D’une certaine manière, il peut aller jusqu’à se nier lui même et se transformer. Effectivement, le péché a engendré la mort que nous connaissons. Elle s’est installée dans lemonde corporel. Celui qui lutte spirituellement pour s’approcher de la vie et sortir des catégories de mort peut s’approcher de Dieu. Mais il est certain que l’homme disposera toujours de la faculté de se couper définitivement de la source de la vie, qui est Dieu. On peut alors imaginer qu’il s’en aille vers lenéant, mais je crois que c’est une illusion. Si l’homme peut être anéanti. à mon avis, la deuxième mort n’est pas cela.

Que trouve-t-on à la racine de la création ? Non pas le néant mais l’amour de Dieu. L’amour de Dieu sous-tend la création. On peut se poser la question : pourquoi le monde existe-t-il ? Pourquoi y a-t-il une création ? Une réponse essentielle est : pour proposer d’aimer ! Celui qui dégringole l’échelle de la vie, que va-t-il trouver au bas de l’échelle ? L’amour de Dieu. Celui qui cherche à s’anéantir, à disparaître découvre que l’anéantissement en fait n’est pas la mort : c’est autre chose. C’est quelque chose qui provient d’une rupture. Or l’homme va trouver à la racine de l’être l’amour de Dieu. La deuxième mort fait que l’on va se trouver aux racines de son être et rencontrer l’amour de Dieu mais sans pouvoir y participer de par un désir d’anéantissement qui se trouve quelquefois chez l’être humain. C’est cela qui forme la deuxième mort. À ce moment là, je suis persuadé qu’une deuxième révélation va apparaître. Dieu n’est pas à court d’arguments. Il a proposé une création et s’il est vrai qu’il y a l’image de Dieu dans l’humanité, nous commençons mais nous ne finissons pas. Chez nous tout commence et rien ne finit. Dieu va s’ouvrir pour proposer à celui qui entre dans la deuxième mort un autre mode d’accès à son amour.

Ceci n’est peut-être pas très clair comme réponse, mais elle met les deux libelles (celle de Dieu et celle de l’homme) l’une en face de l’autre. On peut très s’en aller, disparaître, mais quoi qu’il arrive on va rencontrer finalement l’amour de Dieu qui, Lui l’auteur de toute la création, est gratuit. Dans cette question, comme sa liberté entraîne son être vers lenéant il va entrer en contact avec cet amour de Dieu mais non participable. Cela va provoquer un autre effet : cela va faire entrer dans un état enférique. Il y a deux choses qui sont plus fortes que la mort : l’amour et l’enfer.

L’entrée dans l’état enférique sera une occasion, me possibilité de transformation de l’être. Cela va offrir la résurrection. Regardez le Christ, par exemple : il est descendu au tombeau – c’est la première étape. Du tombeau il est allé aux enfers. L’enfer n’est pas un lieu qu’il a atteint en prenant un ascenseur pour descendre à 10 000 m ; non, il est entré dans le cadre de la deuxième mort. Il a voulu mourir – volontairement – et pour cela il a franchi le cadre de la première et de la deuxième mort, c’est-à-dire de l’état enférique où les possibilités de vie sont presque inexistantes. Le désir désire d’anéantissement est là. Là, il a montré que le feu enférique est plus fort que la destruction de la mort. Il a tiré les prisonniers, en fait il leur a donné une autre révélation qui leur permet de résoudre le dilemme de la prison ultime de l’être qui veut supprimer la vie et disparaître.

On donne parfois l’enfer comme résidence des esprits sous ciel, mais ce n’est pas exact. La résidence du monde démoniaque est là, parmi nous, et aussi à l’intérieur de notre être. Savoir ceci est une manière pour l’homme d’apprendre qu’il est ouvert à toutes les possibilités. Par contre le lieu enférique est une autre chose, il s’expérimente vraiment comme un amour non participable. Vous rencontrez ces problèmes : de franchir la porte de la première mort et de s’en aller ensuite vers une autre, bénissez Dieu de faire alors l’expérience de l’enfer. Cela délivre justement de la mort définitive. Il faudrait discerner un peu ce qu’on entend par royaume des enfers. Par « démoniaque » on entend les esprits sous ciel qui sont des parasites de l’univers. Ils tirent leur énergie de la création extérieure, des hommes, du monde cosmique. Quand ils seront chassés définitivement du monde cosmique – cela arrivera – et du cœur de l’être humain, à ce moment là que se passera-t-il pour eux ? Ils n’auront plus de point d’appui, rien à quoi se raccrocher. Le Créateur continue de créer, il n’y a pas d’arrêt de création. Le démoniaque sera maintenu comme créature. Il faudra alors également que ce monde là passe par l’expérience enférique et se transforme. C’est une perspective…

Question : Les esprits sous ciel, qui sont-ils ?

Réponse : Ils forment le monde démoniaque. Ce nom leur est donné par la Tradition. Les hiérarchies angéliques sont désignées bibliquement sous le nom de ciel : « Dieu créa les cieux et la terre ». Elles comportent les anges de lumière et les anges des ténèbres. Le Christ a posé à ces derniers une question quand il les a chassés d’un homme possédé et qu’ils sont partis dans le troupeau de porc : « Qui êtes vous ? » – « Légion », ont-ils répondu. On regardera le monde démoniaque sous la rubrique « esprit ». Ces anges se sont déterminés, comme le souligne une tradition qui vient de Pères de l’Église, contre leprojet divin – et non contre Dieu, ce qui ne voudrait rien dire, sauf à introduire une complication psychologique – contre le projet se Dieu.

En fait le projet divin propose que l’homme devienne intime du Créateur, intime de Dieu. Le psaume du roi David dit : « J’ai dit, vous êtes des dieux ». Dieu pose une création qui n’est pas Lui – l’homme – et il propose à l’homme : « Deviens ce que Je suis », autrement dit : « entre dans la vie divine ». C’est pour cela que le Christ à la fin de sa vie publique dit aux apôtres : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais des amis ». Pour que ceci se produise, pour que l’homme devienne ami et entre dans la vie divine, il y a une condition : que Dieu d’abord devienne homme, qu’il vienne expérimenter cette humanité ! Dieu ne considère pas l’humanité comme une abstraction, ni comme un décor, ni comme un sujet qu’il peut regarder, mais comme le disent certains pères – saint Irénée en particulier – Dieu est venu expérimenter l’humanité, sa propre œuvre. Et ce faisant il s’est abaissé jusqu’à considérer l’homme comme son égal et à déposer la vie en son sein.

Ainsi l’homme est devenu une source. Et les anges des ténèbres sont ceux qui n’ont pas accepté l’abaissement divin. On peut percevoir ici tout le processus de ce que l’on appelle les ténèbres et de l’entrée de ce monde angélique lumineux, excessivement vivant et spirituel, dans ces ténèbres, par défaut d’acceptation de l’abaissement et du dépouillement divin. Il lui vient alors le désir de s’élever sur la création humaine afin d’être élevé par la vitalité divine jusqu’à cette présence divine. L’ange démoniaque est jaloux de l’humanité. Ce faisant, il est entré dans un monde ténébreux, tandis que les autres – les anges de lumière – ont accepté le plan divin même sans le comprendre.

Le nom de Michel Archange est une interrogation : Qui peut comprendre Dieu ? Qui peut se comparer à Lui ? Littéralement : « Qui comme Dieu ? » Qui ose ?Voici donc une chose très intéressante : on voit la divine Triade s’abaisser vers la poussière de la terre, vers sa propre création, et finalement s’engendrer à ce monde là. Les anges (les cieux) regardent avec étonnement comme il est dit dans les psaumes : « Les anges s’étonnent ! » Certains anges ne s’étonnent pas, ils refusent. La différence entre l’ange de lumière et l’ange des ténèbres est que l’un s’étonne et l’autre refuse. L’homme qui s’émerveille devant l’abaissement divin est dans la société angélique du monde spirituel parce que, à cemoment, comme l’ange de lumière il est devant la beauté qui s’élève et qui sort du désert. Celui qui refuse de s’émerveiller entre dans une sorte de grisaille générale.

Question : Peut-on considérer que les religions qui n’acceptent pas l’Incarnation sont sous l’effet de ces esprits démoniaques, ou bien simplement n ‘ont-elles pas compris ?

Réponse : Les deux. Qu’est-ce qui fait apparaître originellement une couche religieuse chez l’homme ? Le fait d’avoir quitté l’intimité divine. Dans le monde paradisiaque, l’homme s’éloigne de Dieu, ce qui ne veut pas dire qu’il a pris le train pour partir mais qu’il a détourné son regard de la présence divine, et qu’il a commencé à poser son regard sur la création. La création a pris alors plus d’importance pour son regard et dans son cœur que l’Auteur même de la création. En se détournant, l’homme a mis une distance entre lui et Dieu. La distance ? Il a fallu la combler et là réside l’invention des religions. La religion engendre un mode de rapport avec ce qui est plus ou moins éloigné. Toutes les religions ont nées de l’éloignement. Il est certain que les esprits sous ciel, les démons ont provoqué l’éloignement. Ils se sont débrouillés pour prendre la place de Dieu dans le cœur de l’homme. Ce faisant, on peut dire qu’ils sont les auteurs des religions, du fait religieux. Après l’origine, les religions ont pris essor et ont commencé à rechercher la logique profonde du monde. Elles l’ont vu et se sont lentement avancées, elles ont produit des fruits extraordinaires parce que l’homme est une créature construite d’une manière admirable. Et à travers des religions qui sont des éléments de distance d’avec Dieu on a cherché et retrouvé lecontact avec des éléments dits « paradisiaques ». Toutes les religions sont plus ou moins à 2/3, ou 3/4 du chemin, vers l’issue de l’éloignement d’avec Dieu même le cœur des chrétiens, si on veut considérer le christianisme comme une religion.

Il n’y a pas en cela paradoxe. Pourquoi le Christ est-il venu dans le monde ? Pour débarrasser les hommes de la religion et non « des religions ». Un grand défaut du chrétien, a mon gré, est qu’il veut absolument mettre le christianisme dans les catégories religieuses du monde antique, alors qu’en Christ il n’y a pas de religion puisqu’étant Dieu et homme il n’y a plus de distance entre Créateur et créature. S’il est vrai que le Christ est le Fils de Dieu, il n’y a plus de distance. Avec Lui le monde religieux n’a plus aucune nécessité. De ce point de vue, le Christ a apporté à l’univers la mentalité divine. Il a déposé au sein de l’univers la mentalité divine sans intermédiaire. En raison de l’éloignement, l’homme a commencé à s’idolâtrer lui-même et le cosmos et la nature. Il a perdu la capacité de recevoir directement l’illumination divine.

Qu’est-ce que l’Évangile ? La pensée divine à la disposition des hommes. On peut en prendre un exemple. Jésus dit : « Aimez vos ennemis ! ». Ceci Dieu le fait. Il ne demande pas aux hommes quelque chose que Lui-même ne fait pas. Aimer les ennemis est un comportement divin qui supprime toute distance. Aimer ses ennemis ? Ce n’est pas dans le monde religieux qu’on peut le réaliser. Mais c’est une réalité. Nous pouvons et devons entrer dans la mentalité divine autant que possible si nous sommes véritablement disciples du Christ. Et cela demande un effort considérable : « Le Royaume des cieux appartient à la violence de l’effort. »

Regardons le passage où le Christ dit : « Mes frères, ma mère, mes sœurs sont ceux qui écoutent les commandements divins et qui les gardent ! » Il ne faut pas se méprendre parce qu’on dit souvent « et qui les mettent en pratique ». Moi, je les écoute, mais je ne les mets pas en pratique. Par contre, ce que je peux faire est de les garder dans mon cœur comme Marie le fit. Vous les installez et un jour, peut-être, vous pourrez les mettre en pratique. Le commencement est de les installer et puis de commencer à s’en nourrir plutôt que des slogans qui ne mènent à rien. A ce moment les commandements deviennent nourriture.

On entre par là dans toute une culture. Il y a, dans l’humanité, nécessité d’entrer non pas dans la culture grecque, latine, française, chinoise… que sais-je ? Il faut entrer dans la culture divine. Dieu a sa propre civilisation. Il s’y connaît ! (sic)

Considérons l’histoire de Caïn, un archétype de l’humanité : Caïn tue son frère et du fait qu’il a tué son frère il invente la civilisation. Laquelle ? Celle du meurtre, meurtre qui ne se trouvait pas au sein de l’humanité : par là une multitude de choses est entrée dans le cœur de l’homme. Caïn dit à Dieu : « Celui qui va me rencontrer va me supprimer’, parce qu’il se sent dans l’état d’extrême faiblesse au sens où tuer est contre la vie ; et comme Dieu est la source de la vie, il sait qu’il s’en est coupé et qu’il va disparaître. Dieu lui dit : « Non, Je mets un signe sur toi et tu va vivre ». « Et non seulement je mets un signe et tu vas vivre, mais les générations qui vont venir après toi vont devenir de plus en plus fragiles. Elles seront d’autant plus protégées qu’elles seront plus fragiles ! ». Il est étrange que Dieu protège les civilisations et les modes de vie de l’être humain. Comment fait-Il ? Il dépose à l’intérieur de ces modes de vie sa propre civilisation, sa propre culture avant de venir Lui-même.

Nous, les chrétiens avons une chance insigne : dans ce temple que nous sommes et dans lequel nous vivons avec nos cultures, nos pensées, nos abstractions, nos réalités, nous recevons le Corps et le Sang du Christ. Que recevons-nous ? La civilisation divine à l’intérieure de nous. Extraordinaire réflexion : on peut simultanément mener la voie qui est la nôtre et mener la voie divine ! C’est pour cela qu’il faut communier.

Nul n’est jamais entièrement mauvais ni entièrement bon. Il est prétentieux d’être bon et parfois bien ennuyeux ! Anatole France disait « Quand je mourrai, j’irai en enfer car là sont tous les rigolos ».

En quelque lieu ou situation qu’il se trouve, Dieu dépose chez l’être humain ses pensées et toutes capacités. La technique de l’onction consiste en ce que Dieu dépose sa Grâce chez l’être humain. La technique de l’exorcisme, par contre, est une autre activité divine simultanée consistant à chasser lentement celui qui inspire la mort face à la vie, la maladie face à la santé, le désordre en face de l’ordre et ainsi de suite. Cela se fait là où l’homme se trouve et non pas là où il n’est pas, dans ses états extérieurs et intérieurs.

Ce ne sont pas des abstractions, et il n’y a pas d’état qu’on ne puisse pas manier. Cela permet de ne pas désespérer de quoi que ce soit dans l’être humain et en même temps de savoir que nous pouvons déployer notre propre destinée nous mêmes. La seule condition est de profiter de cette panoplie d’onction et d’exorcisme pour recevoir la grâce divine dans nos conditionnements et remplacer la présence démoniaque par la présence divine. Cela peut se faire consciemment ou inconsciemment – mieux : consciemment.

Les éléments de guérison spirituelle

Nous sommes dans la quête de guérison et s’il est vrai que le péché est l’auteur de la maladie, il nous oblige à la lutte spirituelle. II y a la nécessité absolue d’entrer dans la lutte spirituelle. De quels éléments disposons-nous au sein de la tradition chrétienne pour cette lutte spirituelle ?

Le sujet que nous abordons devrait permettre de se disposer sur un de ces éléments.

1. Le premier élément nous l’appellerons « la base dogmatique ». Il n’est pas le sujet de notre discussion.

2. Le deuxième élément pour la lutte spirituelle est la vie sacramentelle et liturgique. Le Christ a déposé des instruments divino-humains – on les appelle sacrements – à l’intérieur même de l’Église, là où se noue 1’intimité entre Dieu et l’homme. L’onction et l’exorcisme en font partie, deux sacrements où se noue cette double activité.

3. Ce troisième élément important : le perfectionnement de soi-même.

Voyons donc maintenant quelques indications indispensables. Il est un immense travail de purification que tout être humain devrait normalement entreprendre sur soi-même : l’entrée dans le combat spirituel. Ce combat spirituel tient compte des présences : présence des autres êtres humains, présence du monde invisible (à l’intérieur de nous surtout) et présence divine. Dans ce domaine aucune rapidité possible ni souhaitable. Un conseil : il faut cheminer et savoir que nous sommes plutôt lents et plutôt raides.

Dans ce domaine on connaît toute une série de comportements qui tiennent compte de la diversité des individus et de leurs situations physiques, psychiques et spirituelles. Mais attention : on y trouve des méthodes qui ne sont pas universelles. Que l’on se réfère à la littérature ou aux rencontres avec les moines contemporains dans le désert pour voir comment ces moines luttaient et luttent contre les esprits démoniaques pour se débarrasser de leur perversité et surtout de leur parasitage. On verra qu’au fond ils possèdent quelques méthodes, pas beaucoup, mais elles sont éminemment individuelles.

Voici par exemple : saint Macaire l’Ancien, le plus grand Macaire de toute l’Égypte, dont la méthode était le jeûne. Il jeûnait de nourriture, parce qu’il pensait qu’à travers le jeûne on prépare sa biologie pour la présence divine. Toute ascèse, consiste à ouvrir la porte à la présence divine, à ouvrir la biologie à la théologie. Tout le monde peut le concevoir. Lui, Macaire faisait l’ascèse du jeûne comme un système pour ne pas tenir compte de ses propres états d’âme ; par exemple, quand il entendait parler d’un moine qui était capable de jeûner plus longtemps que lui, il allait lui faire concurrence. Un jour, il s’est déguisé en colporteur, parce qu’il avait entendu parler d’un moine qui à 100 km jeûnait mieux que lui. II choisit son temps, la préparation de la Pâque, les quarante jours de carême. Il s’installa dans le monastère proche de l’autre moine et jeûna totalement quarante jours. Il avait fait mieux que l’autre ! Tous ces acètes se connaissaient. L’abbé du monastère se dit : « Il n’y a qu’un homme qui puisse jeûner quarante jours comme ça ! Il ne petit s’agir que de Macaire », il fut découvert.

Il n’est pas facile de jeûner quarante jours, mais tout doit être discerné selon l’individu, et c’est ce qui réussit qui est bon. On doit se dire que toute condition et toute situation humaine sont bonnes pour l’évolution spirituelle. Qu’est-ce donc qui est bon ? Si on est intelligent, ça va, sinon, ça va aussi. Si on est sentimental ça va, sinon, ça va également. Si on est riche, c’est bien, si on est pauvre, c’est bien aussi.

Le Christ n’est venu ni pour les riches ni pour les pauvres, mais il est venu pour les hommes. Que l’on soit Français, Anglais, on a les mêmes chances. Que l’on soit ingénieur, cordonnier ou clochard… il n’y a aucune situation qui soit mauvaise pour le perfectionnement de soi.

Deuxième chose : il y a la nécessité de se sauver en écartant les esprits qui nous habitent. On se sauve de quoi ? Des habitudes, des passions, des pensées surtout, de l’imagination quelquefois. Pour se sauver il y a besoin de pratiquer un certain exclusivisme, de quelque chose qui nous soit personnel, de quelque chose qui soit hors de toute comparaison avec les voisins. Si on se demande : quel est mon exclusivisme ? Quelle est ma méthode ? Ma manière de faire ? Il faudra trouver. Comment faire ? On peut, par exemple, aller demander, comme ceux qui vont trouver leur père spirituel pour lui dire : « Dis moi un mot pour ma vie ». Nous sommes habités par des pensées, par le monde des esprits qui empêche cette quête salvatrice de l’exclusivisme. Alors on recherche, on quête, on demande « ce quelque chose » qui va surgir et qui va nous servir. Et si on le trouve, quel soulagement ! Voyez comment procèdent les montagnards, ils sont silencieux, tendus, exacts. Pour parcourir la montagne, on doit trouver son type de comportement.

Indépendamment de ceci, il existe un chemin général de la lutte spirituelle qui a été suivi par Abraham, même par Adam et par Moïse. On commence par le corps, on continue par l’âme et on va vers l’esprit. Moïse est monté au Sinaï, mais il avait commencé par le corps en Égypte, poursuivi par l’âme au départ d’Égypte et puis il gravit la montagne.

Que veut dire tout ceci ? On dira, par exemple, quand on chasse les esprits, de quoi les chasse-t-on ? Du corps de l’être humain. On les chasse de ce temple corporel. Mais si l’être humain n’est pas disposé à cheminer, à gravir la montagne, à passer du corporel au psychique, puis au spirituel, peut-être vaut-il mieux ne pas chasser les esprits du tout. En effet comme il ne va pas continuer le chemin, si on chasse les esprits, que fait-on ? Le vide ! Et quand on aura fait le vide et que lui n’ira pas le remplir, que se passera-t-il ? Les esprits chassés vont revenir et plus virulents qu’avant. La maison sera propre et ils diront: « Ah, l’installation est prête. Je reviens chez moi et je ramène les copains..

Le chemin général consiste è se chercher une ascèse, une ascèse que nous appellerons psychophysique. Que produit l’ascèse en question ? Supposez que nous recherchions la paix. L’apôtre Paul présente trois paliers, trois fruits de l’Esprit la paix, la joie et l’amour. Saint Séraphin de Sarov ajoute « Celui qui trouve la paix peut aider une ou dix personnes (c’est déjà beaucoup). Celui qui trouve la joie peut en aider cent et celui qui trouve l’amour – des foules ». Alors, commençons par l’ascèse qui procure la paix, L’ascèse, est quelque chose qui est à trouver.

Cela ne veut pas dire que tout le monde doit jeûner. Le jeûne est une des ascèses qui existent dans l’univers. Une autre ascèse, par exemple sera de supporter son voisin, ou même de se supporter soi-même. Saint Augustin disait « Je ne me supporte pas ». Certaines personnes ne se supportent pas parce qu’elles ne supportent pas que leur père ne les ait pas aimées. L’ascèse consiste à dire cela n’a aucune importance. Certes ce n’est pas une chose facile. Accepter ses limites est une excellente ascèse.

Qu’est-ce que l’art ou qui est un bon artiste ? Comment peut-on dire que quelqu’un est un bon artiste ? Quant il pose des limites dans sa vie. On peut être artiste de soi-même, trouver ses limites, parce qu’on ne peut pas tout faire. Sinon on est comme un verre d’eau répandu sur la table et qui dit : « Allez, buvez-moi ». Cela ne se peut. La première chose est donc de trouver l’ascèse.

On doit ensuite rechercher ce que nous appellerons une contemplation. On peul l‘appeler une métaphysique. Il s’agit d’entrer dans une certaine contemplation des fondements de notre vie, des buts, des destins, et ceci va procurer la joie.

La contemplation est toujours celle d’un mystère, pas forcément celui du Christ, mais un mystère qui nous saisit dans la vie quotidienne. Bien sûr le mystère du Christ est aussi présent, mais celui qui convient n’est pas forcément du domaine religieux. Il devrait nous permettre de nous apercevoir que notre existence est porteuse d’un destin et que ce destin nous concerne. Cela peut être tout simplement de sourire à quelqu’un pour qui, de ce fait, la vie aura changé. Les exemples sont fréquents.

Les mystères du Christ qui sont plus profonds sont là certainement pour nous alimenter aussi. On les trouve soit dans la tradition orale, soit dans la pratique sacramentelle, soit dans la lecture de l’Évangile, ou encore ils nous saisissent directement. On a tout le temps besoin d’une certaine contemplation.

Prenons encore le cas de Moïse : il était initié à la sagesse pharaonique, à son immense contemplation dont un des aspects était l’identification des temples (l’Égypte est la civilisation antique qui a le mieux situé les temples). Moïse fut initié aux trois temples : le temple de l’homme, le temple cosmique et le temple construit de la main d’homme pour y vénérer la présence divine. Il recevait ainsi une contemplation métaphysique avant de gravir la montagne et d’y recevoir la sublime théologie. Tout homme peut suivre un peu ce chemin.

Reprenons le sujet de l’ascèse pour apporter quelques arguments.

Qu’est-ce que l’ascèse du corps et de l’âme, car on ne dissocie pas le corps et l’âme, ils vont ensemble. Elle consiste à rechercher la paix intérieure, ou même simplement un certain équilibre intérieur. Dans la divine liturgie le diacre dit : « Soyons en silence » dans la liturgie selon saint Germain de Paris, ou : « En paix prions le Seigneur » dans la liturgie de saint Jean Chrysostome. Une disponibilité vient en coupant les soucis, les préoccupations, ce qui nous fait entrer dans un certain état. Ici toutes les méthodes sont bonnes pour trouver la paix, il n’y a aucune spécialisation, méthodes bouddhistes, hindoues chrétiennes… L’important est de réussir.

La lutte est celle-ci : on est jaloux – supprimez la jalousie ! On est inquiet supprimez l’inquiétude, car les inquiétudes et les soucis font la guerre à l’âme. En exemple suivons Mgr Jean. Il connaissait un homme chargé de soucis d’argent épouvantables une dette énorme à payer très vite. Il est allé trouver son père spirituel : « Tu es inquiet, non ? Arrête le remboursement de ton argent pendant six mois et n’y pense pas ». Cet homme a supprimé tout souci et au bout de six mois revigoré, rasséréné il a pu rembourser sa dette. Lorsqu’on fait cela avec soi-même, on constate l’efficacité de la méthode.

Une des méthodes pour chasser l’inquiétude consiste à se traiter à la troisième personne : « Mon âme est triste, mon corps est fatigué ». Mais ne dites pas : « Je suis triste, je suis fatigué ». Faites comme les enfants qui parlent ainsi : « Nicolas a faim, maman », l’enfant ne dit pas : « J’ai faim ». Il commence à dire j’ai faim quand il prend de l’âge, c’est-à-dire quand il commence à reconnaître les marques des automobiles ! Les hommes sont remarquables de zéro à six ans, après ils s’épaississent, se gâtent et deviennent tragiques entre dix et vingt-cinq ans. Après, ils peuvent se retrouver plus tranquilles.

A ce propos la Tradition parle de quatre étapes ou quatre âges que tout homme comme l’humanité entière devrait parcourir. Le premier âge est l’enfance – l’enfant « touche à tout ». Le deuxième, l’âge adulte, est celui des réalisations. Suit l’âge du discernement des esprits : on fait un tri au milieu de l’expérience. Le discernement des esprits est ce qu’on appelle l’âge mûr. Normalement devrait venir une quatrième période, rare : l’âge de « l’écartement des esprits ». On écarte tout sauf à garder ou à prendre ce qui nous convient. À ce moment l’homme trouve non seulement la paix mais il se trouve lui-même. On raconte l’histoire de saint Jean Évangéliste qui, à la fin de sa vie, ne cesse de répéter : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres, mis petits enfants aimez-vous les uns les autres… « , il ne s’arrête pas. Alors « Le vieux radote » disaient ses disciples. Il neradotait pas, il avait trouvé l’esprit qui lui convenait. Ceci est infiniment précieux. Il n’y a pas d’âge chronologique pour cela. On peut le trouver dès le sein de sa mère, comme on peut n’y parvenir jamais. Saint Jean-Baptiste s’émouvait déjà dans le sein de sa mère : « dès le sein de sa mère il reconnut le Christ ». Il avait trouvé l’esprit.

Nous recevons évidemment certains conditionnements par l’hérédité, par le temps, par la religion… mais on peut quand même parcourir ces étapes. L’essentiel est de s’avancer autant qu’on le peut et de savoir que ces âges existent. Tout ceci procure quelqu’élément du travail ascétique sur le corps et l’âme.

Lorsqu’une certaine paix est venue, commence nécessairement « la lutte avec les pensées ». Attention, je n’ai pas dit avec les passions mais avec les pensées ! On peut s’exercer, par exemple, à l’arrêt instantané des pensées sachant que la vraie pensée est créatrice. Si la pensée est chez nous (comment dirais-je comme un vêtement, si elle colle à la peau, cela montre qu’elle n’est pas une pensée et que l’on n’a pas du tout commencé à penser. Ce ne sont pas des pensées, ce sont des réactions. Des pensées qui viennent de l’extérieur ne sont pas notre propriété. Il faut les arrêter, empêcher qu’elles se collent à nous sans que nous en soyons maîtres et cesser d’en être des victimes. Autrement dit, on doit pouvoir choisir mais ne pas être choisis, ne pas subir. La lutte contre les pensées ressemble à ce que l’on fait en se mettant à l’abri de la pluie dans une maison. Restant au sec, on laisse les pensées comme la pluie s’écraser sur le toit pour s’en aller dans le ruisseau, on reste tranquille à l’intérieur.

Le Christ a chassé du temple les voleurs et les imposteurs. Nous sommes ici dans un processus identique. Les pensées sont chez nous les plus grands voleurs et des imposteurs, même si elles parlent de Dieu ! Elles ressemblent à la monnaie des changeurs dans le temple à Jérusalem. Pourquoi ? Parce qu’elles se pensent en nous. Il y a un certain nombre de pensées qui se pensent en nous et qui sont suggérées par le monde des esprits. La première libération que nous devons essayer d’entreprendre est celle de nos propres pensées. Si on n’y parvient pas, on n’arrivera pas, comme Moïse, vers le sommet de la montagne, et on ne deviendra pas théologien. Jeme méfie d’ailleurs de ce mot, car le théologien n’est pas un monsieur qui parle du haut d’une chaire et qui écrit les bouquins plus ennuyeux les uns que les autres. Le théologien est celui qui sait écouter Dieu et entrer en conversation avec Lui : la théologie n’est pas un monologue.

Une forme concrète d’envahissement des pensées est l’imagination, l’arrivée de ces pensées injustifiées. Quand on a des désirs, l’imagination se met en route avec une vitesse prodigieuse.

La lutte contre les pensées est un long travail. On peut le présenter de la manière suivante : si c’est moi qui pense, tout va bien. Si les pensées se pensent en moi, je veux arrêter leur domination. Il y a des techniques pour y parvenir, telles que la prière dite du cœur par exemple, ou les mantras. Vous répétez quelque chose, cela vous empêche au moins de subir des pensées. Dans les églises éthiopiennes on trouve parfois des œufs d’autruche suspendus au plafond et dans les monastères éthiopiens on suspend des vessies de porcs : « contemple cela pour que ton imagination ne s’impose pas à toi ». Comme le disaient les anciens Égyptiens : « Tu cherches Dieu ? Contemple une pierre mais pas tes sentiments ».

Il ne s’agit pas ici des pensées qui viennent quand on s’applique à un travail ou à une recherche objective, mais de ce qui vient sans raison et qui a tendance à envahir.

Pour terminer, je vous donnerai un petit conseil. Comment trouver, de manière assez simple, la paix du corps, un certain équilibre corporel ? En assujettissant le corps à un petit effort, ou à une petite fatigue, mais surtout pas trop. Si la fatigue est trop forte, elle prendra toute la place. Un exemple : la prière des Juifs à Jérusalem devant le mur des lamentations. Il y a là l’association du corps à la prière. On peut balancer le corps en apprenant l’Écriture Sainte. L’attitude du léger effort n’empêchera pas, au contraire, mais favorisera cette quête de la paix qui passe par la prière dans une position physique légèrement fatigante. Il existe aussi la technique des prosternations qui empêche les pensées, et les esprits de vous envahir. Dans ce domaine un certain rythme peut servir en correspondance avec les battements du cœur. Je ne vous conseille pourtant pas de suivre les vrais battements du cœur, ce qui serait dangereux. Tout ceci prépare à sentir une certaine lenteur et cette lenteur de l’être prépare l’esprit à ne pas bousculer.

On ne doit jamais oublier que les pensées ne sont pas seulement intellectuelles ou spirituelles, ou même psychiques, elles sont aussi physiques.

Avez-vous remarqué sur les bonnes icônes, les personnages dont les corps sont drapés ? Que voit-on à travers le drapé ? On voit apparaître les jambes, les genoux. Cela montre que l’icône est authentique parce qu’il y a le toucher physique, le corps est présent. Le corps est un associé à part entière et non une abstraction.

Les moines d’Égypte ont une vieille tradition où les éléments physiques sont une réalité non abstraite. Il y a en Égypte des rites superbes, et pas seulement chez les moines : à la fin de la liturgie on prend les bassines d’eau et on les lance sur tout le monde. On prend aussi des encensoirs, pleins de charbon et d’encens, qui fument de partout, et qui lancent la fumée en pleine figure des assistants.

L’image et le temple

Je vais essayer de vous situer le cadre de cette créature qu’est l’homme. Le livre de la Genèse le révéla : Dieu crée l’humanité avec deux caractères qui sont vrais pour toute la créature. Mais laissons le reste de la création et citons l’homme. Tout d’abord il est créé à l’image de Dieu et, deuxièmement, il est un temple de la présence divine. S’il y a temple, ce temple est fait pour être habité, et s’il y a image, elle est faite pour être vivante. Situons-nous sur ce double registre d’image et de temple : on perçoit bien que l’image peut se ternir et que le temple peut être investi par des intrus !

Retenez déjà que la voie de guérison chez l’être humain passe par la destruction du péché et que ceci peut être réclamé de l’onction pour l’image et de l’exorcisme pour le temple.

Comment procéder pour guérir ? Qu’est-ce que l’Église a reçu au cours son histoire et de sa vie quotidienne, qui puisse donner aux hommes la possibilité de sortir du péché ?

On ne peut pas répondre directement à ces questions sans ajouter au cadre général de la création et de la création de l’homme d’autres considérations. Il s’agit de savoir non seulement qui est cet homme – « Qu’est-ce que l’homme pour que Tu te souviennes de lui ? » Mais aussi quel est le projet divin pour l’humanité ? Car Dieu a un projet pour l’homme. On peut en parler, mais il est difficile de le cerner.

Nous, hommes, sommes encore maintenant beaucoup plus potentiels que réels. Dieu a posé un type originel de modelage de la création appelé « le Paradis », une réalisation avant la lettre, et il propose à l’homme de cultiver le reste de la création pour l’amener à la perfection du Paradis. Et ce paradis synthétise aussi la nature humaine.

En termes psychologiques, nous sommes probablement actuellement à 2 % de nos capacités et de nos possibilités. L’homme se réalise à la mesure où il s’approche de la présence divine. Quel est alors le projet divin pour l’homme ?

Dans les Centuries de l’évêque Jean on trouve 100 petits chapitres qui examinent les propos destinés à fournir les arguments aux iconographes. Les deux premières centuries présentent et résument ainsi le projet de Dieu :

1. Toute créature dans son ensemble aussi bien que ses moindres détails, sortie du néant à l’existence par la volonté libre du Créateur, est conçue à son image.Premier aspect: l’homme est conçu à l’image de Dieu (premier chapitre de la Genèse qui prononce la création de l’image) ;

2. Toute créature dans son ensemble aussi bien que ses moindres détails, sortie du néant à l’existence par la volonté libre du Créateur, est conçue comme son temple et le lieu de sa présence. Deuxième aspect : l’homme est conçu comme temple et lieu de la présence de Dieu. Le deuxième chapitre de la Genèse prononce ainsi la création de ce temple.

Le projet divin pour l’homme comporte ainsi deux aspects :

1. L’homme est à l’image de Dieu, Dieu est son modèle, et ce modèle n’est ni abstrait, ni obligatoire. L’image est déposée et Dieu dit à l’homme : si tu le veux tu peux procéder vers la ressemblance.

2. Dieu se fait l’habitant de sa propre création, il entre dans le temple.

Ces deux choses modèlent l’être humain. Elles vont nous conditionner. L’homme est inscrit sur deux registres : celui de l’être, ou de l’image, et celui du temple qui est le registre de la vie, vie qui désigne la liberté de la personne…

Voici l’image exemplaire : nous, hommes, disposons de la nature humaine une et en même temps d’une multitude de personnes tout à fait distinctes et uniques. La nature humaine est une comme la nature divine est une, et les personnes humaines sont uniques comme le sont les personnes divines. L’image parfaite divine donne un fondement à l’image potentielle humaine.

Cela donne à percevoir que nous sommes des individus historiques, et ces individus historiques ont pour caractère de n’être pas humains en plénitude. Il leur manque beaucoup d’éléments pour être l’Humanité. Chacun a une petite part du monde physique, du psychique et du spirituel… mais aucun n’est représentatif de la plénitude.

En Dieu la question se pose de la manière suivante – comme le disait saint Grégoire de Nazianze – : « Que manque-t-il au Père pour qu’il soit le Fils ? Rien, mais le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père ». Chaque Personne divine est Dieu en plénitude. L’humanité s’avance pareillement sur le chemin qui mène chacun d’entre nous à devenir porteur de la nature humaine tout entière. Un seul homme a autant de valeur que tous les autres réunis.

Pour l’instant ce n’est certes pas vrai, mais cette perspective sous-tend notre destinée : nous allons vers la plénitude de l’humanité. On peut dire aussi que chaque homme est l’humanité tout entière. Le passage de la simple image, du sceau divin inscrit dans l’être humain, à la ressemblance permet à chaque homme d’acquérir la totalité de la nature humaine.

Un exemple du temple : Dieu s’est implanté dans l’homme, comme l’arbre de vie est planté dans le Paradis. Cet arbre planté nous présente notre destinée. L’homme porte la présence divine, Dieu l’habite : ils vont pouvoir s’aimer.

Allons un peu plus profondément, approchons nous un peu davantage du sujet. Ce que nous venons d’examiner se retrouve dans l’activité divine au sein de l’univers. Comme le dit saint Irénée de Lyon, Dieu travaille cet univers de ses deux mains : le Verbe et l’Esprit. Dieu travaille l’homme et par son Verbe et par son Souffle. Il lui donne un verbe et l’homme dispose d’une puissance, d’un souffle à la fois physique, psychique et spirituel. De la même manière lorsqu’on parle, on donne un sens aux choses, on leur confère une puissance. Ces deux choses sont chez l’être humain le sens et la puissance.

L’Esprit de Dieu montre à l’homme le Verbe divin, il lui montre Dieu, il le prépare pour Dieu. Autrement dit, il fait progresser l’image. L’Esprit-Saint fait progresser l’image de l’homme pour le rendre ce qu’il peut devenir.

Ensuite le Verbe articule l’Esprit (St Irénée), il l’amène dans le temple de l’homme. Le Christ dit : « Je suis venu allumer le feu et il me tarde qu’il soit allumé ».

Ces deux mouvements ont un rythme où l’Esprit-Saint prépare l’humanité aussi à recevoir le Fils, et où le Fils élève l’humanité vers sa Source. Ceci signifie concrètement que l’homme (et l’humanité) ne doit pas être seulement un temple de l’habitation de Dieu, mais qu’il doit être déifié, qu’il doit accéder à la ressemblance. Dieu s’habitue à l’homme pour que l’homme s’habitue à Dieu. Si l’homme ouvre ses entrailles à la présence divine, alors Dieu ouvre à l’humanité ses propres entrailles.

L’homme n’est pas le théâtre des exploits divins. Dieu ne vient pas seulement se promener chez Lui, il s’habitue à l’humanité et ne lui montre pas sa Gloire par autosatisfaction mais pour attirer tous les hommes vers Lui. Cela permet de comprendre notre inscription sur les deux registres.

a. Il se constitue chez nous une image de plus en plus parfaite dans laquelle on se modèle sur Dieu. Cette image consiste à faire avancer la communion plénière des hommes les uns avec les autres, en même temps que la détermination et la distinction des personnes. L’image doit progresser et nous devons absolument unir ces deux sujets : communion et distinction.

b. L’homme doit aussi s’ouvrir en attente de la présence de Dieu, qui vient s’habituer à vivre parmi les hommes. Dieu vient comme dans le Paradis originel se promener chez nous, Il y dispose sa Grâce, sa propre présence.

Ceci n’est pas dit pour prouver quoi que ce soit, mais pour amener le sujet suivant.

Le péché a introduit dans l’image et dans le temple des difficultés, des distorsions et des maladies. Comment l’exprimer ? Le péché a détourné l’homme de Dieu et l’homme a commencé à se projeter dans les éléments de la création, il s’est extériorisé. La personne même, qui est une part de l’image, est devenue individuelle. L’humanité s’est dispersée en de fausses personnes, des personnes partielles. La personne y s’est anarchisée, elle s’est pulvérisée et les hommes ont commencé à s’assimiler à la religion, à la civilisation, à la culture, aux lieux, aux nations, aux tribus… Ces éléments (religions, races, nations, tribus…) sont extrêmement individualisés dans l’univers, ils sont des images d’une certaine décadence. Et l’image a commencé à s’obscurcir.

Le deuxième événement produit par le péché concerne le temple humain. Il s’y est introduit des habitants étrangers : les esprits, en particulier l’esprit démoniaque. Dieu s’est alors retiré progressivement et le temple humain s’est empli de démons. Le temple a été souillé.

Nous voici devant deux grandes difficultés : si l’homme veut correspondre au modèle divin – au projet de Dieu pour lui – il doit retrouver le chemin de l’image et purifier son temple afin de recevoir la présence divine.

Les deux activités qui consistent à purifier l’image et à purifier le temple, à retrouver les deux directions du projet divin, sont opérées par l’onction -« rendre à l’image sa réalité » – et, par l’exorcisme – « chasser l’habitant intrus ».

La contemplation que nous devons avoir de nous même est celle du modèle que nous avons dans la Divine Trinité, et en même temps cette même Divine Trinité vient habiter chez l’homme. Elle a été remplacée dans l’histoire par l’événement du péché, par celui qui s’appelle Satan et qui grimace la présence divine.

Ces précisions nous permettent de préciser un peu le sujet, et d’inciter l’être humain à considérer ces deux instruments – l’image et le temple – pour pouvoir trouver ou retrouver sa propre réalité d’homme.

D’abord l’image : Pour trouver des arguments dans la vie quotidienne allons, comme d’habitude, chez l’apôtre Paul, cet homme éminemment pratique :« Certains hommes retiennent la Vérité captive » (Ro 1, 18). Dieu n’impose pas la ressemblance ni le temple, l’homme agit comme il veut, mais Dieu tâche de l’amener librement à la réalisation de l’image et à l’inhabitation du temple. La vérité initiale est donnée à toute l’humanité et l’humanité la retient souvent et injustement captive.

Que veut dire ceci ? L’humanité connaît Dieu. Quelquefois elle reconnaît la puissance divine dans ses propres œuvres – il suffit de regarder la beauté de lanature, ou l’art, ou la théologie naturelle. Ceci n’amène pourtant pas l’homme vers l’image de Dieu, mais vers l’extase devant sa propre intelligence, devant sascience et ses propres puissances. Alors, au lieu de ramener l’image vers son modèle, l’humanité commence à s’idolâtrer elle-même. Elle se projette sur elle-même et vit dans ses propres pensées. Et pourtant, c’est bien la puissance divine qui a mis ce génie à l’intérieur de l’être humain.

Quelle est la manière d’en finir avec l’idolâtrie ? Rendre grâce à Dieu, d’une part, et surtout se libérer dans le remerciement divin. Sans cela, l’homme se projette dans ses propres ténèbres, dans ses pensées et il devient ainsi idolâtre de sa propre nature et de ses « animaux » qui en lui-même commencent à le diriger. L’onction va consister, dans la pratique quotidienne de la vie, à rendre à l’homme sa royauté, sa dignité, à faire réapparaître l’image, à lui rendre son modèle et la direction du modèle.

L’huile n’est pas le seul moyen, mais elle est un moyen sacramentel. Cette simple onction de l’huile est le support, le porteur de la puissance du Saint-Esprit de Dieu. Elle redonne à l’homme la direction de sa propre nature, elle le remet en route vers la ressemblance divine. Elle le fait sortir lentement des anecdotes de l’histoire, de la culture exagérée de son individualité, des circonstances de sa naissance, pour qu’il chemine vers la communion avec ses propres frères, et qu’en même temps, au delà de l’individu historique, il puisse lentement s’acheminer vers sa propre personnalité.

Qu’est-ce que la maladie en ce domaine? Elle consiste à ne pas rendre grâce à Dieu, à se perdre dans ses propres pensées.

Ce sujet est vaste. L’onction est justement destinée à rendre à l’homme la capacité de sortir de lui-même et de faire de ses pensées une porte d’entrée pour une puissance divine qui nous projette vers la louange de Dieu. L’onction porte en elle cette puissance.

Le nom de Christ signifie oint par le Saint-Esprit. Il n’est pas oint en tant qu’Il est Dieu mais en tant qu’Il est homme. Il a l’onction royale et toutes ses énergies sont dirigées vers la conquête de ce modèle qui se trouve en Dieu. Le Christ n’est jamais victime, ou s’il est victime c’est qu’il a voulu l’être.

La vie telle qu’elle est vécue par le Christ Lui-même, devrait servir de repère pour les hommes comme nous. Regardons le vivre à travers l’Évangile. Il priait des nuits entières, ou encore il dit aux apôtres : « Cela suffit, nous pas -sons de l’autre côté » de la rivière du Jourdain ; ou bien il passe la mer de Tibériade, puis il va retrouver la foule… et ainsi de suite. On observe ici le comportement d’un homme qui a reçu l’onction, d’un homme royal, non victime, qui voit clair et qui comprend et exerce la réalité de toutes les puissances qui vivent en Lui.

On peut prendre un exemple dans une simple lecture de l’Évangile comme nous venons de le faire. Considérant l’humanité du Christ, on peut dans une certaine mesure l’imiter et constater ceci : en menant une vie normale au sein de la cité, on n’arrive plus à sortir de l’habitude, à se retirer et à prendre le temps d’une solitude totale. Il serait pourtant favorable de se réserver un temps pour être avec les autres et un temps pour se retirer. En général, on s’investit totalement dans la solitude ou bien tout le temps avec les autres. Le Christ enseigne à trouver ici une sorte de rythme. Heureusement par l’onction on peut laver l’image de Dieu chez nous et en retrouver la réalité immédiate et concrète par cette simple onction de l’huile. Souvenez-vous que ceci se fait avec l’aide de l’Esprit-Saint qui nous adapte à Dieu, et qui fait de nous des dieux (cf. saint Irénée). Dans la tradition orthodoxe nous nommons cette adaptation à Dieu la déification. Cette adaptation tient compte de chaque être humain et des circonstances de sa vie. Chacun doit développer son image.

Considérons maintenant le temple. Le péché a introduit dans le temple l’indésirable qu’il convient de discerner. Le monde sous ciel en effet, le monde démoniaque a remplacé – partiellement bien sûr – dans le temple de l’homme la présence divine. Souvent à travers les maladies on voit arriver ce parasitage du monde spirituel invisible et démoniaque.

La question à poser est : qui est celui-là, qui est cet esprit sous ciel que nous nommons Satan, démon, ou prince de ce monde ? Il est esprit comme est esprit l’esprit de l’homme. L’esprit de l’homme est connu et nommé par les grecs par trois termes : le noûs, le logos et le pneuma. Le logos est semblable au verbe (l’esprit-verbe), le pneuma est le souffle et le troisième, l’esprit-nous ou esprit-silence, ne peut être défini.

Notre esprit, à nous les hommes, est notre sanctuaire. L’homme est un temple et le premier sanctuaire de la présence divine chez l’homme est son esprit. S’il est dit dans l’Évangile: « Cherchez le royaume des cieux et tout le reste vous sera donné par surcroît », eh bien il faut savoir que Le royaume des cieux est notre esprit dans lequel Dieu réside, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Dans l’esprit de l’homme Dieu a son temple ; il y réside.

Vous direz peut-être, qu’il est bon de discerner notre esprit, le noûs, notre sanctuaire, et qu’il est nécessaire de le trouver, mais en quoi cet esprit est-il différent de l’esprit démoniaque ? Il faut préciser : le monde démoniaque est effectivement noûs ou esprit, mais il n’est pas spirituel, sa vie n’est pas spirituelle. Son être est spirituel, mais ni son mouvement ni sa vie ne le sont.

Revenons à l’anthropologie : l’homme est formé du corporel, du psychique et du spirituel et en même temps l’être humain est personnel, il a une hypostase.Quelle est la caractéristique de la personne humaine ? De n’être jamais pour elle-même mais toujours pour un autre. Celui qui découvre sa personne s’aperçoit qu’elle est « pour »… Nous lisons dans le prologue de 1 ‘Évangile de Jean que le Verbe est « vers » le Père. Le Fils est vers le Père, l’Esprit-Saint est vers le Fils … La Personne du Fils de Dieu est vers la Personne paternelle. De même pour nous si nous approchons de notre personne nous nous apercevons qu’elle est toujours en face d’une autre, vers une autre. Tout est pour un autre, tout est en un autre, tout est dans un autre. Saint Paul l’écrit : « Tout est de Lui, par Lui, en Lui  » (Ro 11,36).

Dans la chute – car le monde démoniaque a chuté en refusant l’abnégation divine – le monde démoniaque refuse d’être vers Dieu, pour Dieu, en Dieu. Il refuse d’entrer dans le rythme qui est celui de la Divine Trinité. Dès ce moment-là, il sera pour un autre. De toute manière, il sera pour quelqu’un ou pour quelque chose (il en va de même pour nous). En refusant l’obéissance à Dieu, il cesse d’être le trône de la présence de Dieu – même le monde céleste est un temple de la présence divine, et même le monde démoniaque est en attente de la présence divine – et il devient à ce moment trône de lui-même, sagesse de lui-même et vie de lui-même. Comme cela est impossible, le monde démoniaque se rabat sur le cosmos, sur la création. Il vient la parasiter, s’alimentant à la création physique et à la création psychique. Il parasite l’autre (la création), mais pour lui-même, et non pour l’autre. D’où la nécessité pour lui, et c’est cela qu’il faut comprendre, de tenter l’homme. Il se dirige vers l’homme, non pas pour se donner à lui, mais pour le perdre, pour s’en nourrir, pour le parasiter. Comme il ne peut exister par lui-même, il parasite la création. Il est pour lui-même chez l’homme au lieu d’être pour l’homme chez l’homme, et à ce moment il devient destructeur parce qu’il se nourrit des énergies humaines. C’est pour cela qu’il est redoutable.

Notre nature spirituelle peut devenir charité si elle se laisse brûler par l’amour divin. Nous devenons alors le trône de la présence divine. Mais nous avons laissé entrer celui qui est devenu le trône de lui-même, celui qui parasite l’homme. Il s’est projeté dans notre nature, nous sommes devenus le temple des esprits et leur feu nous brûle.

Ce monde spirituel et démoniaque est un monde subtil comme est subtil le monde angélique ; il est certainement de nature spirituelle mais son comportement ne l’est pas. Tout ce qui est vraiment spirituel en effet, c’est-à-dire essentiel et personnel, s’en va vers le voisin et offre l’hospitalité.

La nature spirituelle de l’homme a pour caractère d’offrir l’hospitalité à la présence divine, tandis que monde spirituel démoniaque s’y est introduit par effraction pour se nourrir. Il est redoutable. Pour cette raison il convient de le chasser afin de rendre le temple attractif à Dieu.

Nous trouvons des exemples de ce parasitage auprès de certaines civilisations anciennes, comme celle les Aztèques avant l’arrivée des Espagnols. Le dernier prince aztèque à fait inaugurer un temple à la divinité de l’époque, avec des sacrifices humains. On penser qu’il a sacrifié entre 30 000 et 40.000 personnes. Le sacrifice était opéré par les prêtres – évidemment ils prenaient des esclaves – et les flots de sang dégringolaient le long du temple. Il n’y avait pas besoin des Espagnols, comme le dit Soustelle avec finesse, pour faire écrouler la civilisation aztèque : elle était saignée. Si elle était saignée pour qui l’était-elle, pourquoi? Pour le monde démoniaque. Le démon, celui qui réclame le sang, est chez l’homme pour s’en nourrir.

Tout cela amène à dire une chose intéressante : quoi qu’il arrive dans notre existence – ceci est vrai également pour le monde des esprits – si on n’est pas pour Dieu, pour sa présence, si on ne Lui obéit pas, on va nécessairement obéir à un autre, et ce par une sorte de nécessité profonde. On sera obéissant non pour soi-même, mais pour ce qui est inférieur à soi. Cette réalité est concrète.

Dans le monde actuel, nous sommes souvent des coucous et nous nous projetons. Regardez ce que nous avons fait avec le monde animal. Nous agissons un peu comme les coucous, non ? On se nourrit de l’animal, on le parasite, mais pas pour lui – pour nous. On fait de grands élevages de milliers d’animaux, non pour eux mais pour nous. N’est-ce pas extraordinaire ? Quand l’humanité sera accomplie, parce que tout n’est pas aussi catastrophique qu’on peut le croire, et que le monde aboutira à son destin qui est la liberté, on peut imaginer que les animaux feront comparaître l’homme. Ils réuniront une grande assemblée et ils diront à l’homme : « Voilà, nous t’avons nourri, vêtu, enrichi – ce qui n’est pas mal – et maintenant que fais-tu pour nous ?

Quelqu’un répond : « des zoos », c’est juste. Peut-être les animaux mettront-ils l’homme dans un zoo, mais la réponse sera nulle, l’homme ne pourra rien dire.

Que peut-on tirer de tout cela ? Pourquoi le monde des esprits est-il si dangereux ? Il est dangereux par ce que spirituel. Il est spirituel et ce qui est spirituel est une qualité quasi divine et il désire posséder le monde. L’avez-vous remarqué ? Quand on regarde un saint, on voit qu’il est dans le monde, mais il l’est selon l’esprit, son regard est vers Dieu. Il est dans le monde, avec le monde, mais sa connaissance est vers Dieu – il est branché vers Dieu. Le monde spirituel démoniaque est autre : sa connaissance n’est pas vers Dieu et il désire posséder. Alors il entre dans ce temple de l’esprit de l’homme, dans le corps de l’homme, et que fait-il ? Il le possède. Dès lors, les maladies du temple – ce sont les maladies les plus graves qui puissent se trouver dans l’humanité – sont les maladies de la liberté, des persécutions de la personne.

Double registre : l’image et la présence divine

Résumons : Il nous faut ainsi comprendre et retenir que nous sommes créés sur le double registre de l’image de Dieu, et de la présence de Dieu.

Le premier registre est celui de l’image de Dieu. L’image, elle, s’obscurcit avec le péché, elle devient malade, et projette l’humanité sur elle-même. Le péché a désagrégé l’image, il en a fait des petits bouts, et nous sommes devenus des petits morceaux d’image appelés « individus historiques ». Pour retrouver la bonne direction, il faut l’onction. Pas seulement l’onction sacramentelle, l’onction divine qui vient par exemple lorsque l’homme fait taire ses pensées, ses sentiments, et qu’il se tourne vers Dieu en disant : « Tu es mon inspirateur, celui vers qui je me tourne pour que tu me dises qui je suis ».

Le deuxième registre est celui de l’inhabitation du temple, de l’habitant. L’homme est fait pour être habité comme toute la création, et la grande maladie est ici que cette habitation est parasitée non par n’importe qui mais par le spirituel qui ne vit pas spirituellement : celui qui, au lieu de se donner, possède. Le temple est normalement habité par la présence divine, il est une inhabitation pour quelqu’un qui en même temps se donne, tandis qu’un monde de possédés apparaît sans le joug de l’habitant qui est un possesseur. Avez-vous remarqué, les grandes civilisations qui se sont créées dans l’univers sous forme d’empires, des civilisations entières mises en route par l’esprit de domination ? Cet esprit de domination pompe pratiquement la totalité des énergies de ceux auxquels il a réussi à mettre le joug.

Questions et réponses

Question : La relation entre la maladie actuelle de l’immunité et la personne ?

Réponse : La question de l’immunité, des maladies comme le Sida ?

Question : Ce n’est peut-être pas la conséquence directe ?

Réponse : Si, justement. Le Sida est un des événements de l’époque et les maladies des époques concernent aussi l’humanité tout entière. On perçoit dans le fléau du cancer une maladie d’éternité des cellules de notre corps ! Cette dot ?

La question de l’immunité : Le Sida pose le problème de l’immunité. Il fait perdre à l’homme ses capacités de défense ! C’est une maladie de la personne. Elle ressemble à la maladie introduite dans l’univers par le monde démoniaque qui pompe les énergies, qui suce le sang des êtres pour se nourrir lui même. Au lieu de se dépouiller, de se donner – ce qui est le mouvement normal de l’univers mû par l’amour de Dieu dans l’univers – il se donne tout à lui-même : le monde démoniaque transporte avec lui une maladie d’égoïsme total, un anti-amour qui fait des ravages considérables dans l’époque actuelle.

Mais il faut aller plus profondément. Dieu veut que l’homme parvienne à sa ressemblance et souhaite en même temps être reçu dans le temple de l’humanité. Sur le plan pratique, on fait des exorcismes, on chasse les esprits, on tache de les chasser, mais quelquefois on se trompe de porte. On fait des exorcismes au lieu de faire des onctions. On devrait faire des onctions avant de faire l’exorcisme.

Question : Quel est le rapport à la réalité ? Les maladies, en particulier le Sida, rongent de plus en plus d’êtres humains. Quand quelqu’un a le Sida, on expérimente chez lui une perte de la personnalité, une incapacité d’avoir une cohérence, il ne se retrouve pas lui-même, il est dépersonnalisé. Au Sida correspond la perte des défenses – le reflux de l’immunité – une maladie de la personne.

Autre aspect de la question : qui aime quand un homme aime ? Est-ce l’amour qui aime ou la personne ? La personne évidemment. Quand il n’y a pas de personne pour aimer – et il se peut qu’il n’y ait pas beaucoup de personne chez les êtres humains parce qu’un individu n’est pas une vraie personne. celle-ci est seulement latente – cela tient à ce qu’il n’y a pas de tension, de quête de la vraie personne qui se révèle lorsque l’homme se tourne vers l’autre. L’humanité entraînée vers l’individualisme à outrance forme des êtres dont la vie spirituelle est non seulement décadente mais inexistante. Un individu peut vivre corporellement, psychiquement, sans avoir besoin de la vie spirituelle, tandis que la personne humaine a besoin du monde spirituel pour se dégager. Le monde spirituel pousse spontanément l’homme vers la source de la vie qui est la vie divine.

Question : Qu’est-ce qui qualifie les individus ? Ils voudraient aimer parce que cela est inscrit à l’intérieur de l’être humain, mais ils n’ont pas de personnalité pour y parvenir et l’on assiste alors à leur dissolution anarchique dans la nature humaine. Par le truchement du Sida, dans cette anarchie formidable, on ne peut plus découvrir de personnalité. En même temps l’homme ne doit pas oublier qu’il est parasité par le spirituel démoniaque. Le Sida – surtout à la fin – vide l’homme de sa substance, non seulement physiquement, mais psychiquement comme si le spirituel parasitaire, le monde démoniaque, avait tout pris de lui, même sa propre âme qui n’est plus que de la poussière. Cela ne veut certes pas dire que l’esprit malin a mangé l’être spirituel qui certainement existe encore.

Pour briser l’emprise du Sida, il faut redonner aux contemporains le sens de la conquête de leur véritable personne, et cela passe par une vie spirituelle, même pas forcement une vie spirituelle en Dieu — quoiqu’il soit dangereux de mener une vie spirituelle sans Dieu. Lorsqu’on restaurera la conquête de la personne, je crois que le Sida disparaîtra car, à ce moment, la vraie personne se défera du parasitage du monde spirituel.

Une personne qui a eu le Sida et qui a fait ce retournement dont nous venons de parler a pu dire : « maintenant, pour moi, le Sida veut dire : Syndrome d’Individuation et de Développement Accéléré ». Il serait intéressant d’introduire cette formulation

On devrait restaurer chez les malades du Sida le sens de la personne, c’est-à-dire proposer que l’homme s’adresse à Dieu en Lui disant « Toi » en s’adressant à la personne divine. Ceci ne guérira pas, il mourra quand même parce qu’actuellement on meurt mais, lentement, et à travers cette attitude, le Sida sera vaincu, et il ne le sera pas seulement par la médecine mais par l’usage juste des vrais caractères de l’être humain.

Question : « Hors Dieu » est le démoniaque ! Dans ce cas peut-il y avoir une personne – une hypostase du démon et une personne chrétienne ?

Réponse : Faisons une réflexion en passant. Vous connaissez la parabole du Bon Pasteur où le Christ dit que le mercenaire s’enfuit en voyant venir le loup ! Savez-vous ce qu’est que le loup ? La mort. Et qui est le mercenaire ? Le monde sous ciel. Quand il voit venir la mort, il s’en va. Les êtres humains qui meurent sont délivrés du monde démoniaque. Très intéressant ! On trouve cette disposition chez les Pères du désert, plusieurs fois, et même chez saint Jean de Cronstadt qui faisait des exorcismes – 30 ou 40 à la fois – disant que l’homme est libéré de ce type de l’assujettissement (à la puissance démoniaque) au moment de la mort. A la mort, il s’en va. D’où, si nous pratiquons la mort avant la mort, il s’en va. La pratique de l’exorcisme est la mort avant la mort. Qu’est-ce que la mort avant la mort (question intéressante) sinon le dépouillement, l’abnégation qui consiste à se désolidariser de ce qui nous entoure, des pensées, et de tourner le regard et de le diriger vers la source même de la vie ? Tous les rites initiatiques, dont le baptême, sont une mort pour diriger la nature et la personnalité humaines vers la source. Le rituel d’exorcisme comporte toujours une sorte de mort qui débarrasse du monde démoniaque.

A propos de la personne, voici une bonne question à vous poser : connaissez-vous votre personne ? Non ? Savez-vous comment faire pour essayer de la trouver sans passer par l’onction, qui elle est aussi faite pour cela ? Réfléchissons à cette chose, assez étonnante d’ailleurs, qui rejoint tout à fait notre propos : le Christ envoie les disciples en mission, quand il les a « recrutés », entre autre pour chasser les démons en leur donnant un certain nombre de conseils. Ils reviennent et il leur dit : « Que faisiez-vous ? » Ils disent : « On chassait les démons » – parce que c’était efficace ! Alors il dit en substance : « Effectivement je voyais Satan tomber du haut du ciel comme une colonne de feu…, ceci n’est pas très intéressant, mais réjouissez vous bien davantage, vos « noms » sont inscrits dans les cieux ». Ce nom est la personne, celle-ci est prononcée par le Créateur à l’origine pour tel être pour paraître un jour (la présence de l’homme) devant la Face de Dieu. Il me semble qu’il y a ici la meilleure définition du nom qu’on puisse donner : « S’il y a une présence de Dieu chez l’homme, il y a aussi une présence de l’homme chez Dieu. Et cette présence est le Nom ».

Une très belle légende talmudique montre Adam qui s’éveille modelé à partir de la terre. Il sort des mains divines, il s’éveille et que voit-il ? Les milliards de personnes humaines dans son sein. Non, il ne voit pas un individu abonné au téléphone, mais l’Humanité avec le plein des hypostases à l’intérieur. Autrement dit, nous sommes déjà « prononcés » et la prononciation divine de notre nom est ce que nous avons à rejoindre : la connaissance de la personne. Nous pouvons y arriver, elle est à la portée de tout le monde. Sinon cela devient une abstraction et un vilain propos.

Y a-t-il des hommes de l’histoire qui ont connu leur personne ? Oui, et en voici un que peut-être vous ne connaissez pas : il s’appelle Siméon le Nouveau Théologien. Et un autre, plus près de nous – Je ne dis pas qu’il avait reçu son nom, sa personne, mais il savait quelque chose comme la trace de sa personne : l’évêque Jean. Comment se comportait-il ? Pour l’extérieur : librement – pas libéralement. Avec ce type de liberté, il n’était prisonnier d’aucune forme ni pour la vie intérieure ni pour la vie extérieure, mais par contre il se faisait le serviteur de tous. Il était vraiment au service de tous les hommes, pas plus qu’il ne le faut ; il n’en était pas l’esclave. L’évêque Jean avait cette sorte de caractéristique qui est celle de la personne : on sentait très bien comme on peut encore l’expérimenter qu’il était dans notre intimité sans nous violer. On pouvait très bien passer à côté, mais de façon inimaginable, il voyait clair, on était à découvert sans pourtant être jamais violé.

Pour acquérir cette personne, il n’y a pas trente-six formules : la bonne formule a été donnée par saint Séraphin de Sarov. Il disait : « Voilà le but de la vie chrétienne : l’acquisition du Saint-Esprit ». Il vous pousse, Lui, l’Esprit vers la découverte de la personne. Alors, comme ce polytechnicien vous direz : ceci ramène vers le problème précédent !

L’acquisition de l’Esprit-Saint ! Comment cela se passe-t-il ? Quasiment expérimentalement lorsque l’être humain qui vit dans la nécessité – et nous sommes tous des êtres soumis à la nécessité – lutte pour se débarrasser du meurtre et du goût de la mort. Nous avons tous plus ou moins l’âme meurtrière. Quand on commence à mépriser, par exemple, ou bien quand on passe avec indifférence, sans les voir, à côté des choses de la vie. Telle est l’âme meurtrière. Le meurtre consiste aussi à profiter de sa fonction, de sa place pour satisfaire un intérêt quelconque. Le goût de la mort consiste d’une certaine manière à pousser à s’unir avec soi-même. L’apôtre Paul a une phrase intéressante dans l’épître aux Romains dont on peut synthétiser ainsi le contenu : « Des hommes injustes sont devenus homosexuels. Pourquoi en est-il ainsi parmi vous ? Parce que vous êtes des idolâtres »,

Qu’est-ce que l’idolâtrie ? Elle consiste à s’unir avec soi-même. Le semblable s’unit avec le semblable. L’homme prend par exemple toutes ses forces au sein de la nature, il s’enrichit de biens, il a des propriétés. Il met sa confiance dans les propriétés, dans ce qu’il a. Il développe l’avoir, mais qu’est-ce que cet avoir ? Communier avec soi-même ! Le monde cosmique en effet n’est pas différent de nous. Et tout d’un coup paraît l’homosexualité. L’apôtre Paul dit que l’idolâtrie et l’homosexualité viennent de ce que la civilisation, la culture humaine, ont servi la créature au lieu du Créateur. On s’est idolâtré et cela a le goût de la mort. Et pourtant d’où vient la vie ? L’apothéose de la vie consiste à s’unir avec un autre que soi-même. Et quel est le tout autre ? Dieu ! Plus on va couper l’union avec Dieu, plus on va mettre les niveaux au même degré et plus on va ainsi s’unir avec soi-même. A la limite, la seule union légitime de l’humain (homme ou femme !) serait avec Dieu2. Plus il y a dissociation d’avec Lui plus se lève le goût de la mort. Celui qui lutte contre cette emprise et qui s’empare de la vie, celui-là va finir par connaître la personne.

L’Esprit-Saint de Dieu est un personnage très curieux, si j’ose dire. En fait, l’Esprit-Saint est orthodoxe, Pourquoi ? Formulons-le ainsi : Dieu est le

Père, ensuite se découvrent le Christ, Lui est catholique et l’Esprit-Saint qui Lui, est orthodoxe. Qu’est-ce en effet que l’orthodoxie ? L’anti-platitude – quelque chose qui empêche que tout soit ramené au même niveau. Et qu’est-ce que le catholicisme ? L’anti-sectaire – ce n’est pas la même chose. Le Christ Jésus est venu pour éviter la sectarisation de l’univers, tandis que l’Esprit-Saint est venu pour ouvrir les entrailles divines. L’orthodoxie du Saint-Esprit est de déclarer à l’homme : voici ta personne ! Comme le disait Vladimir Lossky, ce théologien ami de l’évêque Jean, le rôle du Saint-Esprit est de pousser l’homme vers Dieu. Et plus on est poussé vers Lui, plus Dieu va être obligé, afin qu’on ne disparaisse pas en Lui, de nous nommer. Saint Siméon le Nouveau Théologien le disait aussi : « J’ai prié, j’ai voulu disparaître en Dieu. Rien que Toi ! Le jour où j’ai disparu en Lui Il m’a nommé et au même moment m’a séparé de Lui ». L’Esprit-Saint ressemble à ces pousseurs du métro de Tokyo : le wagon est bondé et des types venus de derrière vous poussent à l’intérieur avec force… dans l’intimité divine.

Un évêque serbe à la fin du XIXe siècle disait : « Voilà comment on devrait procéder : on devrait prendre dans le milieu religieux le langage du monde extérieur et dans le monde extérieur prendre le langage du monde religieux ». Cela a commencé, regardez, il n’y a plus maintenant dans les entreprises que des séminaires ! Les théologiens orthodoxes ont forgé le langage pour y réussir.

Le rôle du Saint-Esprit est de pousser ! Une chose intéressante à retenir : quand nous serons tous arrivés et qu’il n’y aura plus besoin de pousser, ce jour là, l’Esprit ne sera plus dans le dos, il fera le tour, il viendra en face et dira : « Me voici ». Intéressant ! Parce qu’actuellement nous ne savons pas qui il est. On a vu le Christ, on a mangé avec Lui, il est mort et ressuscité… La paternité divine ? Certes nul n’a jamais vu Dieu, mais en même temps le Christ l’a révélé disant : « Il y a un Père « . Mais l’Esprit-Saint ? On ne sait qui il est : parce que le Père est Esprit et le Fils est Esprit, le Père est Saint et le Fils est Saint. Mais qui est Celui-là, l’Esprit-Saint ? Pour l’instant il nous fait expérimenter Dieu et ses pensées…

Résumons. Nous avons vu la nécessité de l’onction et la nécessité de chasser le parasite de notre temple : « chasser les esprits ». L’onction peut s’y appliquer également – elle a caractère d’exorcisme – mais elle est faite pour l’image, et l’exorcisme lui est fait pour le temple. L’onction a une destination : restaurer l’image de Dieu chez l’homme et en même temps aussi la présence de Dieu auprès de l’être humain. Tandis que l’exorcisme prépare le temple et la venue de Dieu. Mais un conseil pratique est donné par la Tradition, par toute la Tradition depuis le début du christianisme, après la tradition biblique, donnée au peuple d’Israël.

Par où commencer ? Doit-on travailler sur l’image ou balayer le temple ? Eh bien ! On devra d’abord commencer par l’image et ensuite

L’Église insiste à former d’abord le corps du Christ c’est-à-dire une véritable image, et ensuite Dieu vient habiter ce corps qui se découvre en temple. Ainsi ces deux exercices, l’onction et l’exorcisme, se suivent et ils vont être suivis par quelque chose d’encore plus intéressant. L’époque viendra en effet où l’Église ne rénovera plus l’image de Dieu, non plus qu’elle se constituera en temple, mais où elle se verra en fiancée, en épouse.

Les trois visages de l’Église

Je voudrais entrer profondément dans la tradition ecclésiale et vous parler de ces trois visages de l’Église. L’Église est le sacrement de l’univers, et l’on y trouve la condensation possible et véridique des relations entre Dieu et l’homme.

Dans ce sacrement il y a trois visages. Les trois visages de l’Église, non comme abstraction mais comme quelque chose appelé à renouveler l’être humain forme une sorte de gradation vécue sous trois aspects. Aucun aspect de l’Église n’a d’ailleurs plus de valeur qu’un autre. Ce sont des échelons que l’on peut aborder de la manière suivante :

• Le premier aspect de la vie de l’Église : est celui d’un chantier, d’une construction, d’un édifice en train de se construire, cet aspect pouvant être appelé du nom de dogme ! Les hommes contemporains n’aiment pas le dogme. Le dogme est une construction où l’homme s’édifie sur la Personne du Christ. La pierre d’angle de l’édifice est le dogme, celui du Verbe Incarné. Quelque chose qui transmet sa vie à tout l’édifice. L’Église est un milieu parmi les autres, une société, un édifice, au sein de toutes les sociétés des nations, des peuples, des états, des familles… Elle n’est qu’une société parmi les autres. Un personnage en a situé un peu les contours à l’origine : l’apôtre Pierre qui s’appelle Simon. A l’origine Simon Pierre a énoncé le dogme de l’Église en disant : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».Que dit-il avec cela ? Tu es Dieu et tu es venu vivre parmi nous. Il a reconnu l’habitant de l’univers. L’Église est fondée sur la reconnaissance de l’inhabitation divine parmi les hommes. L’un des plus grands caractères de la vie d’une Église au sein de l’humanité est d’être basée sur la quête incessante de la présence divine. Et cette présence ne se trouve pas seulement au sein de l’Église comme une société mixte mais à l’intérieur de tout être humain. Rien n’est vide de Dieu.

· Le deuxième aspect de la vie d’une Église n’est pas celui d’un temple de pierre, ni un chantier, mais un corps s’édifiant. L’apôtre qui représente cet aspect est l’apôtre Jacques. Je pense qu’on a proposé le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Occident, parce qu’on a senti, au Haut Moyen Age, que l’aspect corps de l’Église était en train de disparaître. L’aspect chantier, l’aspect dogme, prenait trop d’importance. Alors, par une sorte de prophétisme, toute l’Europe est partie à Compostelle pour maintenir que l’Église est un corps dont tous les membres s’articulent les uns avec les autres et que ce corps constitue progressivement la ressemblance divine parmi les hommes. Regardez comment se constitue ce corps par la liturgie, c’est-à-dire par l’articulation de l’homme avec lui-même, avec le monde invisible, avec tous les éléments de la nature, regardez ce que l’on appelle « la liturgie ». Le rituel liturgique est une sorte d’immense articulation universelle qui découvre à l’homme qu’il est à l’image de Dieu et la lui restitue progressivement. L’apôtre Jacques préside à ce genre d’événements. Qu’est-ce que la liturgie ? Une grande onction, une restauration de la royauté de l’humanité qui par le baptême se présente devant la face de Dieu.

· Le troisième aspect de la vie d’une église, est celui d’une fiancée. L’apôtre Jean, l’Évangéliste, celui que Jésus aimait, en est une figure. L’Église devient capable de voir Dieu et d’agir vis-à-vis de la présence divine comme l’homme vis-à-vis de la femme, et la femme vis-à-vis de l’homme, dans une relation d’époux et d’épouse. Il faut bien sûr tenir compte de ce troisième aspect, mais à son origine l’édification du corps du Christ doit être plus forte au sein de la vie d’une Église. Il convient de profiter de tous les éléments de l’onction pour que l’homme retrouve sa royauté. L’onction n’est pas seulement une onction mouillée – on appelait cela l’onction royale ou l’onction myrrhale, l’onction des malades aussi – mais il y faut tout ce qui rend à l’homme son caractère spécifique d’homme, par exemple les rapports entre son corps et son âme, entre son âme et son esprit, la recherche du centre de son être, et ainsi de suite. Tout cela est l’activité principale.

Faudrait-il développer que sans ce travail d’édification du corps du Christ l’onction et l’exorcisme risquent d’être sans effet ? Lorsque ce corps et cette image ont été reconstitués, vient alors une attente de la présence divine. Et, à mon avis, quelque chose d’extraordinaire doit arriver. Revêtu de son humanité l’homme dit à Dieu : « Tu viendras habiter chez moi ». Cela pourrait se discuter. La tradition patristique insiste surtout pour dire à l’homme : « Voilà, demande… demande l’onction divine », ou comme le disait saint Séraphin de Sarov : « Cherchez l’Esprit Saint et après vous direz : Dieu viens habiter chez moi ».

Question : On m’a parlé de quelqu’un récitant le Notre Père à l’envers ?

Réponse : ‘Délivrer du Malin » : chasser l’intrus, supprimer les esprits ! Seulement si tu n’es pas revêtu de la capacité de le faire, tu vas te mesurer au monde des esprits, et tu ne le dompteras jamais, au contraire il va se fortifier. Mais admettons qu’on ait la chance de se débarrasser du Malin, on arrive alors à la deuxième phrase : « Ne nous soumets pas à l’épreuve ! »Mais on est tellement épuisé ! Dire le Notre Père à l’envers est une méthode de magicien assez répandue.

Revenons à notre sujet. Nous sommes devant le sujet suivant : l’onction a pour caractère fondamental d’appeler Dieu – elle est une forme d’appel. Elle est trinitaire. Saint Irénée dit: « Le Fils de Dieu, le Verbe, en tant qu’Il était un homme, l’Esprit-Saint reposait sur Lui et Il était oint pour évangéliser les petits ». Cela veut dire que la paternité divine a oint le Fils de l’Esprit-Saint. Il est oint en tant qu’homme. L’onction est liée avec la puissance. Il y a nécessité de voir la Divine Trinité dans l’onction, sinon on pourrait avoir l’impression qu’elle est la spécialité de l’Esprit-Saint. Non, « le Père donne l’onction, le Fils est oint et l’Esprit-Saint est lui-même l’onction » – Activité triadique ! L’Esprit-Saint est l’onction et en même temps il la contient. Qu’est cette onction ? L’énergie divine. Elle a pour caractère non seulement de faire sortir l’homme de la maladie, mais aussi de le déifier. La volonté divine est que l’homme devienne ce qu’il est : « l’image », et en le déifiant la puissance divine confère la vie divine. Si nous faisons des onctions ce n’est pas seulement pour guérir des maladies, mais afin que l’image, ternie peut-être mais conservée en nous, nous amène à entrer dans la société de ceux appelés à devenir des dieux par participation. Quand on dit le symbole de Nicée, le Credo, en substance que dit-on ? Le Verbe s’est fait chair (il s’est fait homme) et « il est venu pour nous hommes et pour notre salut ». Le salut consiste à délivrer les hommes, à les sauver, à les retourner, à les délivrer des maladies, du péché, de la mort, de tout ce genre de choses, mais en même temps « il est venu pour nous hommes », ce qui veut dire qu’il est venu nous conférer la possibilité de nous perfectionner éternellement et d’entrer dans la vie divine. L’onction n’est pas quelque chose de statique, ce n’est pas uniquement la restauration de la nature humaine, l’onction est une recréation. Et il ne s’agit pas de créer un être humain comme il était à l’origine ni de le débarrasser de la maladie, mais d’une recréation dont la caractéristique tout à fait remarquable est de faire de la situation de l’homme par l’onction puissante, une meilleure situation après le péché qu’elle ne l’était avant.

Qui s’emploie à cela ? Non seulement l’Esprit-Saint seul, mais le Père, le Verbe, le Saint-Esprit, chacun pour son propre compte. Si on veut voir l’opération de cette action, il faut regarder la figure du Christ qui était oint dans l’Esprit de Dieu. Quand on le regarde de près, on peut envisager des questions sur cette onction du Christ. Il a dit de Lui-même : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ». Il est le Chemin en tant qu’il est homme, la Vérité en tant qu’il est Dieu et la Vie en tant qu’homme déifié. C’est Lui à qui Dieu a conféré la ressemblance, c’est-à-dire sa propre vie. Dans le Christ il n’est pas tellement intéressant de voir l’homme, ni tellement intéressant de voir Dieu. Mais de voir l’homme déifié, le porteur de la vie. On doit le considérer comme tel, et qu’il nous serve ici, non de modèle, mais de vivificateur par sa société.

Nous devons utiliser les sacrements. Le Christ dit aux apôtres: « Voilà du pain et du vin. Ceci est mon Corps et ceci est mon Sang. Mangez et buvez !  » Et puis il a crié dans le temple que celui qui a soif vienne et se nourrisse. Il veut mettre ses disciples et l’humanité, non pas tellement à refaire l’image, à la réformer, mais à lui communiquer la vie. Il veut que nous soyons des êtres vivants, que l’homme ait la vie en lui-même, qu’il ne soit plus dépendant de Dieu pour la recevoir. Cette chose est très étonnante. On a parlé tout à l’heure de la personne. Un être humain qui a trouvé la personne se voit simultanément devenir source de vie, et un être vivant. Tel est le fruit de l’onction, même la plus extérieure, qui fait passer progressivement la source de la vie qui est en Dieu, dans l’intérieur de l’être humain. Car telle est l’une des destinées de l’être humain, qui s’appelle la ressemblance : que l’homme devienne « source » et pas seulement un être qui reçoit.

1. Jacques Soustelle.

2. Cela ne met pas en cause l’union de l’homme et de la femme mais peut éveiller au destin ultime de l’humanité.

Note

1) Genèse 1/1, « Les cieux » : ce sont les esprits.