Mgr Meletios 1974

Extrait du livre de Maxime Kovalevsky

« Orthodoxie et Occident »

7. Les « relations fraternelles ».

Dans le décret d’investiture de Mgr Germain, le patriarche Justinien disait « attendre (de lui) qu’il entretienne des rapports avec les autres formations et organisations orthodoxes de France dans un esprit fraternel, irénique et œcuménique ». Le protocole transforme cette attente en obligation et en modifie la portée : « L’Evêché catholique orthodoxe de France devra cultiver de bonnes relations, en esprit fraternel et d’égalité, avec tous les orthodoxes de France membres d’éparchies canoniques, de même qu’avec les autres cultes, en évitant le prosélytisme. » Cela mérite qu’on s’y arrête un peu.

La fin de la phrase vise sans doute des réactions venues de l’Eglise de Rome, aux yeux de laquelle l’attirance de catholiques pourtant déjà éloignés de l’Eglise de leur enfance, ou même seulement l’intérêt intellectuel que certains catholiques pratiquants manifestent en faveur de l’Orthodoxie de rite occidental, ne peut s’expliquer que par une « habile propagande » et un « prosélytisme agressif », explication rapide et erronée qui peut dispenser de voir certaines réalités en face et de s’interroger sur leurs causes profondes. Il n’y a pas de prosélytisme mais seulement des témoignages vécus.

Quant aux « autres orthodoxes des autres juridictions en France », il est demandé de façon expresse à l’évêque Germain « qu’il tâche d’établir des liens avec eux », tout comme si c’était lui – ainsi que l’en accusent divers « rapports » adressés à Bucarest – le fautif de cette absence dé relations. Or, sur ce point, le protocole comporte indéniablement une contradiction interne puisqu’on y lit plus loin :

«On constate que jusqu’à maintenant l’Evêque n’a pas réussi à être reçu dans la Conférence Inter-épiscopale Orthodoxe des Evêques de France. On constate aussi que la majorité des membres de la Conférence ont interdit la communion eucharistique aux clercs de l’Evêché orthodoxe catholique de France.»

Mais qui est donc fautif ? Ceux qui demandent ou bien ceux qui refusent ? Ceux qui frappent à la porte ou bien ceux qui la laissent fermée et même la verrouillent ? Car c’est ce qui se produira peu après, avec une décision du patriarche Demetrios de Constantinople transmise le 20 juin 1975 à son métropolite à Paris, Mgr Meletios. Dans cette décision, jamais rendue publique et jamais abrogée, donc toujours en vigueur de nos jours, il est prescrit au métropolite de :

« N° de Référence 429-1974

Votre Excellence Métropolite de France, et Exarque de toute l’Ibérie, et cher frère dans le Saint Esprit et co-célébrateur de notre Ordre Mr Meletios, grâce à votre Sainteté et paix dans le Seigneur.

Ayant en vue tout ce que Votre aimable Excellence a soumis de temps en temps à l’Eglise sur le problème soulevé en France, suite à l’adjonction sous la juridiction du Patriarcat de Roumanie des Français Orthodoxes du rite occidental en France, de la proclamation de leur groupe en “Eglise autonome” et du sacre pour eux de l’Evêque Gilles Hardy sous le titre d’Evêque de Saint-Denis, nous invitons Votre Excellence, par une décision Synodale :

a) De ne plus entrer désormais en communication avec cet Evêque illégalement sacré, et que si Vous êtes interrogés le cas échéant sur les raisons de cette attitude que Vous adoptez, Vous la justifiez en invoquant l’intervention illégale du Patriarcat de Roumanie dans un domaine relevant de la juridiction du Patriarcat Oecuménique sans aucune entente préalable avec ce dernier, et

b) Que Votre Excellence veille à ce que la demande d’acceptation de la requête de 1’Evêque susmentionné de Saint-Denis Gilles Hardy soumis à la Commission Diorthodoxe Episcopale en France placée sous la présidence de Votre Excellence ne soit pas acceptée par la Commission et qu’elle soit rejetée.

Espérant que Votre Excellence informe par la suite l’Eglise sur toute évolution que cette affaire pourrait présenter, nous prions pour que Vous soit accordée la grâce et 1’immense pitié du Seigneur.

1975 – juin – 20
(Sign.)
Demetrios
Patriarche oecuménique

Cette mesure d’exclusion édictée par le patriarche de Constantinople et qui met directement en cause le patriarche de Roumanie, n’y sera connue que douze ans plus tard, suscitant une stupéfaction non exempte d’irritation. C’est ce qui explique qu’en 1976, au cours de nouveaux entretiens à Bucarest, le vicaire patriarcal Mgr Antoine de Ploiesti, constatant que les relations, non seulement ne se sont pas améliorées mais qu’elles se sont détériorées, ait pu poser la question:

«Pourquoi les hiérarques orthodoxes de France refusent-ils la communion aux membres de l’Evêché catholique orthodoxe de France ? Et pourquoi ce refus ne s’est-il produit en série qu’en 1975 et non pas depuis la réception même dudit évêché dans la juridiction du Patriarcat roumain ?

A ces questions, il répond de lui-même en énumérant la série de ce qu’il dit être les « vraies raisons » qui, selon ce qu’il croit savoir ou qu’il imagine, motivent cette inimitié persistante. Elles surprennent par leur irréalité :

« – parce que ledit évêché s’intitule « Eglise » tendant à devenir « Métropole » et à engloutir les autres formations orthodoxes nationales se trouvant dans d’autres juridictions en France ;

« – parce que Mgr Germain se considère le seul évêque élu canoniquement en France, le seul véritable évêque orthodoxe ;

« – parce que le langage utilisé par les dirigeants de l’Evêché orthodoxe catholique de France dans les relations avec les autres formations orthodoxes de ce pays, n’est pas propre à écarter, mais, par contre, à renforcer et à multiplier les susceptibilités et les réserves de ces derniers à l’égard des contacts et des relations avec ledit évêché français.»

Or, de la seule vraie raison… il ne pouvait faire état puisqu’il l’ignorait.

La cause est donc entendue : tous les problèmes sont liés. L’obstacle à l’établissement de rapports fraternels avec les « autres orthodoxes » – du moins avec ceux qui dépendent du patriarcat de Constantinople – tient à leur refus d’admettre l’existence de l’Eglise catholique orthodoxe de France, parce que cette existence gêne la réalisation du vaste plan d’organisation centralisée de la chrétienté orthodoxe occidentale que ce patriarcat poursuit inlassablement depuis des décennies, à cette marche vers le bi-papisme décrite plus haut. Il y a là une contradiction qui touche au fond même de l’ecclésiologie orthodoxe et qu’aucun compromis ni artifice ne peut masquer. Seul un retour aux sources, aux principes d’origine de l’Eglise dans une compréhension réciproque empreinte de bienveillance et de charité, pourrait permettre de franchir ce fossé en ouvrant les intelligences et les cœurs. L’Orthodoxie en a grand besoin, non seulement pour s’épanouir, mais tout simplement pour survivre en Occident.