La Théophanie

FÊTE DE LA THÉOPHANIE

BÉNÉDICTION DES EAUX

Mgr Jean, évêque de Saint Denis
6 Janvier 1957

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Mes amis, vous prendrez des bouteilles emplies d’eau bénite et vous les emporterez chez vous. La puissance de cette eau sainte est si forte que chez nombre de croyants elle demeure intacte et transparente durant des années. Cette eau qui est « l’eau du Jourdain » sanctifiée par le corps du Christ, par son âme et sa divinité qui se plongèrent en elle, représente les prémices du monde libéré. Je vous exhorte donc d’en prendre largement et de l’emporter chez vous. Si vous avez un malade ou que votre âme soit triste, buvez-la, bénissez avec les maisons et même si vous ne pouvez un jour venir à la Divine Liturgie, communiez en buvant quelques gorgées de cette eau. Que par elle la grâce divine inonde votre vie ! Car, en vérité, lorsque nous avons entendu, hier, Isaïe – vous l’entendrez encore parler de ces eaux qui jaillissent de la terre stérile et séchée, nous avons compris que cette fête nous indiquait que nos difficultés dans l’existence, nos faiblesses, nos épreuves, nos attaques, les démons qui nous accrochent, devaient être inondés par la grâce du Saint-Esprit qui est cette eau bondissant de nous vers la vie éternelle.

La fête de la Théophanie. Comme toutesles fêtes, elle déborde de mystères.

De la terre, les trois Mages – cette trinité humaine symbolisant les trois traditions ou plutôt, la plénitude des efforts de l’humanité pour retrouver Dieu – viennent adorer le Christ. Au bout du long chemin de leur patrie vers Bethléem, au bout du chemin séculaire de toutes les nations, ils parviennent enfin à rencontrer Celui qui est le Sauveur du monde, le Soleil de justice, notre Seigneur Jésus-Christ. Trois : trois directions, trois traditions, trois mentalités, qui peuvent être comparées à ces trois éléments : l’or, l’encens et la myrrhe qu’ils apportent en offrande. Et ces trois trouvent Dieu en regardant le ciel et en se laissant guider par l’astre.

Par contre, le jour de l’Épiphanie, lorsque le Christ sort des ondes du Jourdain, la Divine Trinité, la vie intime de Dieu – car nous entendons les paroles du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé – se découvre à nous non par un astre en regardant au ciel mais dans les eaux du fleuve en regardant vers le bas.

Nous lisons dans la Genèse : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre… et l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux ». L’eau est le fondement du monde de la matière, car la même Genèse ajoute: « La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux ». C’est parce que notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils Unique, inclinant les cieux et Se penchant sur notre misère, est descendu jusqu’en la crèche et plus bas encore jusqu’en la profondeur de la matière que sont les eaux, touchant déjà par son baptême, avant sa descente dans les enfers, la limite de la nature créée, c’est parce que Dieu est descendu jusqu’à l’extrême que le mystère de la Trinité resplendit à nos yeux. Nous entendons la voix du Père et nous contemplons par les yeux de Jean le Baptiste l’Esprit sous forme de colombe témoigner la divinité du Christ. Voyez-vous ces deux mouvements : l’un qui scrute les cieux, celui de l’homme fixant l’étoile l’autre : « Dieu assis sur les Chérubins scrutant les abîmes ».

Les Mages voient Dieu humilié, le pré-Éternel caché dans le corps d’un petit enfant. Ils voient Dieu, en vérité, mais c’est Dieu incarné en l’homme. Tandis que lorsque Dieu Se plonge dans les eaux, la divinité éclate en sa splendeur. Et c’est pourquoi Jean-Baptiste, le quatrième Mage, l’ami de l’Époux qui ne prit point le chemin de scrutation des cieux mais celui d’Isaïe : l’abnégation, voit la Trinité face à face. Celui qui s’élève avec effort et persévérance, guidé par l’étoile, touchera le Christ au terme de sa route; celui qui s’abaisse en Christ sera submergé par la triple lumière de la Trinité.

Le Christ vient vers Jean et lui dit «Je veux être baptisé par toi». Jean s’écrie : «Comment pourrais-je Te baptiser ! je ne suis pas digne de délier la courroie de Tes chaussures. Pourquoi Te baptiserais-je Toi qui es pur ?» Le baptême est pour les pécheurs, le baptême est la purification et Tu n’as pas besoin d’être purifié. Comment un serviteur indigne pourrait-il poser sa main sur Ta tête. Ma main tremble en pensant que je doive la poser sur Toi et T’enfoncer Toi, mon Maître et mon Dieu, dans les flots du Jourdain ! Et le Christ répond : nous devons accomplir toute la justice en descendant dans le Jourdain. II n’avait, certes, nul besoin d’être purifié Lui, le Purificateur, qui en purifiant les ondes du fleuve, libérait toute la nature !

Sur la croix, Il sauve l’humanité, le jour de son baptême Il sauve la nature. Le même rapport unit le baptême à la manifestation de la Trinité, et le Vendredi Saint à la Résurrection et à la manifestation de la Pentecôte. Ici, c’est l’homme qui est sauvé par la mort du Rédempteur, là, c’est la nature entière anciennement enchaînée par les démons qui est libérée par le baptême du Christ. Relisez les antiques récits ; relisez les Grecs, les autres peuples et vous verrez que l’homme ainsi que chaque lieu était rempli de puissances sous-ciel, de divinités. En dehors de la magie, il ne pouvait avancer, guetté à chaque pas par ces forces qui liaient la nature, les eaux, les maisons, les pierres, les arbres. Tout était habité et l’homme devait s’incliner, prononcer des paroles magiques pour se préserver afin que le destin et la nature ne l’écrasassent point. Cette nature « gémissait », comme dit l’apôtre Paul, «en attendant la liberté glorieuse des enfants de Dieu».

Aujourd’hui, les quatre éléments, les plantes, la terre, les montagnes et les bêtes sont libérés. Notre nature corporelle est libérée aujourd’hui, car elle a été sanctifiée, purifiée et vivifiée et rachetée par le baptême divin. Le prophète Isaïe crie dans ses prophéties : Les montagnes bondiront comme des béliers et les arbres applaudiront C’est la fête de la création. Nous pouvons à présent regarder sans crainte la créature. Nous n’apercevrons plus les divinités ou les démons derrière ses apparences, mais si nous la pénétrons nous verrons jaillir, vivre, resplendir l’Esprit-Saint de cette créature dont le Christ, est l’habit de lumière. Le monde nouveau a commencé au baptême du Christ ; il n’est pas encore visible mais dès maintenant le Saint-Esprit le travaille pour le transfigurer. Cette libération née dans le Jourdain continue ; prenons garde néanmoins, la nature arrachée aux dominations inférieures, l’homme en sa folie l’exploite sans le Christ. Cette libération mal comprise le pousse à s’en servir pour sa propre gloire et, la travaillant sans Dieu, à devenir son destructeur. L’univers exploserait et serait anéanti par 1a volonté humaine affranchie de l’esclavage des démons, si Dieu n’avait prédestiné un terme à cette folie.

Quelle est la mission d’un chrétien, d’un enfant de lumière ? Quelle doit être notre attitude vis à vis de cette passion destructrice, tournée vers le mal ? Notre mission est de sanctifier nous aussi la nature ! Lorsque vous regarderez les champs, les forêts, lorsque vous entendrez couler les eaux, lorsque vos yeux s’arrêteront sur les pierres des maisons, pensez toujours : l’Esprit-Saint habite en eux, l’Esprit-Saint est en eux, et remettez-les entre les mains du Christ. Augmentez, augmentez et augmentez encore, à tout instant, l’appel de la grâce divine afin qu’elle ne cesse d’inonder la création.

Amen.