Nativité de la Vierge Marie

Sermon de Saint Bernard

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1. Le ciel a la joie de connaître la présence de la Vierge féconde, la terre vénère le souvenir de son passage. Il en va de même de tous les biens : là-haut ils sont manifestes, ici on n’en a que la mémoire ; au ciel, c’est la satiété, sur terre les prémices et le faible avant-goût ; d’une part la réalité, de l’autre le nom seulement…

7. Vénérons Marie de toutes les fibres de notre cœur, de tout notre pouvoir d’aimer et de tous nos vœux. Telle est la volonté de celui qui a voulu que nous ayons tout par Marie. C’est sa volonté, dis-je, mais il le veut dans notre intérêt. En toute occasion et de toute manière, Marie vient en aide à nos misères, apaise nos tremblements, stimule notre foi, conforte notre espérance, écarte nos défiances et remédie à notre lâcheté. Vous craigniez de vous approcher du Père. Il sera exaucé par égard pour lui-même, car le Père aime son Fils. Aurez-vous peur de lui aussi ? Il est votre frère et votre chair, il a tout subi sauf le péché, afin d’apprendre la miséricorde. Ce frère, c’est Marie qui vous l’a donné. Mais peut-être craignez-vous en lui aussi la majesté divine, puisque, tout en se faisant homme, il est resté Dieu. Vous cherchez encore un avocat auprès de lui ? Recourez à Marie. En elle, vous trouverez l’humanité pure, non seulement pure de toute contamination, mais à l’état pur, puisqu’elle n’a que l’une des deux natures. Je n’hésite pas à dire qu’elle aussi sera exaucée par égard pour elle. Le Fils écoutera sa Mère, et le Père écoutera son Fils. Mes petits enfants, voici l’échelle des pécheurs, voici toute mon assurance et la raison de mon espérance. Quoi donc ? Le Fils pourrait éconduire sa mère, ou souffrir qu’on l’éconduise ? Ne pas l’entendre ou n’être pas entendu lui-même ? Certainement pas. « Tu as trouvé grâce auprès de Dieu », dit l’ange. Heureusement ! Marie trouvera toujours grâce, et c’est de la grâce seule que nous avons besoin. La Vierge ne recherchait pas, comme Salomon, la sagesse, ni les richesses, ni les honneurs, ni la puissance, mais la grâce. Et c’était sage, car nous ne pouvons être sauvés que par la grâce.

8. Pourquoi désirer autre chose, mes frères ? Cherchons la grâce, et cherchons-la avec l’aide de Marie, car elle trouve ce qu’elle cherche, et ne revient pas bredouille. Mais cherchons la grâce auprès de Dieu, non pas cette grâce illusoire que dispensent les hommes. Que d’autres veuillent s’acquérir des mérites ; nous nous emploierons à obtenir la grâce. Et n’est-ce point une grâce que nous soyons ici ? Oui, car sans la miséricorde du Seigneur, nous aurions été anéantis. Qui, nous ? Nous les parjures, les adultères, les homicides, les voleurs, nous les excréments de ce monde ! Interrogez vos consciences, mes frères, et avouez que là où abonda le péché, la grâce surabonde (Rm,5,20).

Marie n’allègue point son mérite, elle demande la grâce. Elle compte si bien sur la grâce, et elle est si peu orgueilleuse, qu’en entendant la salutation de l’ange, elle est prise de crainte. « Marie, dit l’Evangile, se demandait ce que signifiait cette salutation ». C’est qu’elle s’estimait très indigne d’être saluée par un ange. Elle se disait sans doute :  » Comment se fait-il qu’un ange du Seigneur vienne me trouver ?  » Ne crains rien, Marie, ne t’étonne pas qu’un ange vienne : un autre viendra, plus grand que l’ange. Ne sois pas surprise de voir l’ange du Seigneur. Et puis, pourquoi ne verrais-tu pas un ange, toi qui mènes déjà une vie angélique ? Pourquoi ne saluerait-il pas la concitoyenne des saints et la servante de Dieu ? La virginité est une vie angélique, car ceux qui ne prennent ni mari ni femme sont comme des anges de Dieu (Mt,22,30)

9. …Si tout homme qui s’humilie doit être exalté, qu’y a-t-il de plus sublime que l’humilité de Marie ? Elisabeth, toute surprise de sa venue, disait : « Comment se fait-il que la Mère du Seigneur vienne chez moi ? Mais elle devait s’étonner plus encore qu’à la manière de son Fils, Marie vînt pour servir, et non pour être servie (Mt,20,28). Aussi est-ce à juste titre que le Chantre divin l’accueillait de cet hymne de louange : Qui est celle qui monte comme l’aurore à son lever, belle comme la lune, lumineuse comme le soleil, redoutable comme une armée rangée en bataille ? (cant.8,9). Elle monte, en effet, au-dessus de tout le genre humain, elle monte jusqu’aux anges, mais elle les dépasse encore, et elle va occuper sa place plus haut que toute créature céleste. Il faut d’ailleurs qu’elle aille puiser plus haut que les anges cette eau vive qu’elle doit reverser sur les hommes.

10. Comment cela se fera-t-il, dit-elle, puisque je ne connais pas d’homme ? Vraiment sainte de corps et d’esprit, elle a gardé sa chair intacte et elle est résolue à la garder toujours, mais l’ange lui répond : L’Esprit-Saint surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre (Lc,1,34,35). Ne m’interroge pas, semble-t-il lui dire, ceci me dépasse et je n’ai rien à t’en dire. C’est l’Esprit-Saint, non pas l’esprit angélique, qui surviendra en toi ; et c’est la vertu du Très-Haut qui t’enveloppera de son ombre, ce n’est pas moi. Ne t’attarde pas parmi les anges, Vierge sainte ; la terre assoiffée attend de recevoir par ton intervention une eau désaltérante venue de plus haut. Quand tu auras un peu dépassé le ciel des anges, tu trouveras celui qu’aime ton âme. Un peu, te dis-je, non qu’il ne soit incomparablement supérieur aux anges, mais parce qu’entre eux et lui tu ne trouveras plus aucun intermédiaire. Dépasse donc les Vertus et les Dominations, les Chérubins et les Séraphins, pour parvenir à celui qu’ils acclament à l’envi :  » Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu des armées (Isaïe,6,3). Car le Saint qui naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu « . Il est source de sagesse, Verbe du Père au plus haut des cieux. Ce Verbe, par ton intermédiaire, se fera chair, et celui qui dit :  » Je suis dans le Père et le Père est en moi  » (Jn, 14,10) dira aussi : « Je suis sorti de Dieu et je suis venu  » (Jn, 8,42). « Au commencement était le Verbe », dit l’Evangile. Déjà la source jaillissait, mais seulement à l’intérieur d’elle-même. Car le Verbe était en Dieu, habitant la lumière inaccessible. Dès l’origine, le Seigneur disait : « J’ai des pensées de paix, et non d’affliction ». Mais ta pensée, Seigneur, est en toi, et nous ignorons ce que tu penses. Nul n’a connu la volonté de Dieu, nul n’a fait partie de son conseil. La pensée pacifique s’est donc réalisée sur terre dans l’œuvre de paix : le Verbe s’est fait chair et habite désormais parmi nous. Par la foi, il réside dans nos cœurs, dans notre mémoire, dans notre pensée ; il est même descendu jusque dans notre imagination. Jusque-là, en effet, l’homme ne pouvait connaître de Dieu que l’idole qu’il s’en était forgée dans son cœur.

11. Il était incompréhensible et inaccessible, invisible et parfaitement insaisissable à la pensée. Mais il a voulu être compris, être vu, être saisi par la pensée. Comment, direz-vous ? En se couchant dans la crèche, en reposant au giron de la Vierge, en prêchant sur la montagne, en passant les nuits à prier, en se laissant clouer à la croix, dans la lividité de sa mort, dans sa liberté entre les morts, en régnant sur les enfers, puis en ressuscitant le troisième jour, et en montrant aux Apôtres, pour preuve de sa victoire, la marque des clous ; enfin, en montant au ciel sous leurs yeux. Chacune de ses actions appellent les réflexions les plus sincères et les plus pieuses. Dès que j’évoque l’une d’entre elles, je pense à Dieu, et à travers toutes il est mon Dieu. Méditer ainsi, c’est la sagesse même, je l’ai dit, et j’estime que rien n’est plus recommandable que de se remémorer toute la douceur de ces événements…

12. Considérez donc comment Marie s’est élevée jusqu’aux anges par la plénitude de la grâce, et plus haut encore par l’intervention en elle du Saint-Esprit. Les anges possèdent la charité, la pureté et l’humilité, toutes vertus qui sont éclatantes en Marie. Mais je l’ai déjà montré tout à l’heure, dans la mesure où nous sommes capables de parler de ces mystères ; il faut faire voir maintenant en quoi elle est supérieure aux anges. Quel est l’ange à qui il ait jamais été dit : « L’Esprit-Saint surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut t’enveloppera de son ombre : c’est pourquoi le Saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu ? Car enfin, la Vérité est née de la terre (Ps,84,12), et non du monde des anges ; elle a fait sienne non pas la nature angélique, mais la race d’Abraham. Pour un ange, c’est déjà un grand honneur que d’être le serviteur du Seigneur ; mais Marie a mérité mieux : d’en être la Mère. La gloire sans pareille de la Vierge, c’est sa fécondité, et ce privilège unique la rend aussi supérieure aux anges que le nom de Mère surpasse la qualité de serviteur. Déjà pleine de grâce, déjà brulante de charité, vierge sans tâche, et pétrie d’humilité, il lui est échu cette grâce de surcroît : de concevoir sans connaître l’homme et de devenir mère sans subir les douleurs de l’enfantement. Mais c’est peu de chose encore : l’enfant qui est né d’elle est appelé le Saint, et il est le Fils de Dieu.

13. Dès lors, mes frères, nous devons tout mettre en œuvre pour que la Parole sortie de la bouche du Père et venue jusqu’à nous par la médiation de la Vierge ne s’en retourne pas à vide ; par cette même médiation, il nous faut rendre grâce pour grâce. Tant que nous ne pouvons que désirer la présence de Dieu, célébrons sans cesse sa mémoire ; et que les flots de la grâce remontent à leur source première pour en revenir plus abondants encore. S’ils ne retournent à leur origine, ils tariront et, infidèles dans les petites choses, nous ne mériterons pas les grandes récompenses…

Mgr Jean, évêque de Saint-Denis

Vous le savez tous et je le répète souvent, si l’on réunissait la totalité de ce que l’Église a annoncé et écrit, ce ne serait qu’une goutte d’eau dans l’océan de son enseignement pris en sa plénitude. Mais en plus de cette tradition orale, non dévoilée, nous possédons quelques documents dont le plus connu est le proto-évangile de saint Jacques. Il était lu en France et à Byzance pendant les fêtes de la Vierge jusqu’au VIIèmesiècle environ. Le texte que nous avons actuellement et dans lequel est racontée la jeunesse de Marie, est du IVèmesiècle ; on présume que c’est une soudure de trois ou quatre manuscrits plus anciens. En dehors de ce proto-évangile de Jacques, existent ce que l’on nomme les Apocryphes, nous fournissant des détails sur la nativité de la Mère de Dieu.

Quel est le sens de ce mystère ? Pourquoi fêtons-nous cette nativité ? Certes, parce que Marie est devenue la Mère de notre Dieu. Mais cette fête a divers aspects et je voudrais insister sur l’un d’eux, celui de la Résurrection.

Nous lisons, en effet, dans la Bible ces choses étranges : que les grandes femmes, les mères des grands êtres, ont souvent été stériles – Sarah, Rébecca, Rachel, la mère de Samson. – Anne est demeurée stérile fort longtemps, jusqu’en sa vieillesse, et c’est lorsque tout espoir était perdu, que la nature, d’une certaine manière se trouvait usée, semblable à une terre aride, c’est à ce moment-là que la Bénédiction divine produisit quelque chose d’analogue à la transfiguration du monde et à la Résurrection.Anne devint féconde comme les mortels deviendront immortels, comme les choses corruptibles deviendront incorruptibles. Par cette série de faits, depuis Sarah jusqu’à la mère de Marie, Dieu prépare l’humanité au 2èmemiracle de son économie, la transfiguration et la résurrection de la nature. Il proclame: ce qui paraît impossible est possible, ce qui paraît stérile peut devenir fertile, ce qui est mort ressuscitera! Vous le voyez déjà, la naissance de la Vierge est le premier geste de la Résurrection du Christ et de la résurrection universelle.

Mais cette nativité est précédée d’une longue et douloureuse attente. La stérilité était un opprobre dans les milieux juifs, et Joachim et Anne n’avaient pas d’enfants. Pour ce peuple d’Israël, toujours en attente du Messie, la naissance d’un enfant était la plus belle des bénédictions. Et voici, les justes, les intègres, les sages, les illuminés, Joachim et Anne, atteignaient la vieillesse sans descendants. Dieu voulait-il les punir? Dieu voulait-il les abandonner? Ils gravissaient avant la résurrection leur chemin de croix. Mais Marie apparaît, la stérilité verdit, et à l’image du tombeau du Christ, devient source de vie.

Les grands événements, les résurrections, les transformations des âmes, des peuples et du monde entier se préparent par une longue patience. En apparence rien n’arrive et tout se déroule comme si l’incrédule avait raison. Nous annonçons la Deuxième venue du Christ, la résurrection, la transfiguration de l’univers, et les siècles s’écoulent. Faudra-t-il un million d’années? Peut-être. Deux jours? Je ne sais. Et nous avons l’impression que la promesse divine s’éloigne, disparaît. Jusqu’à tel point que des rationalistes pensaient en lisant l’Écriture Sainte et l’Évangile, que notre Seigneur et ses apôtres étaient persuadés que tout s’accomplirait avant leur mort. Jamais ils ne le dirent. Mais celui qui croit et attend, sait que la transfiguration et la résurrection peuvent se produire demain, dans une seconde, dans mille ans…

Pourquoi Dieu désire-t-Il cette attente? Pourquoi Joachim et Anne devaient-ils parvenir à un age avancé, 70, 80 ans, comme Sarah? Pourquoi, nous chrétiens, sommes-nous la risée du monde lorsque nous parlons de résurrection universelle ou de transfiguration, et pourquoi ceux du dehors peuvent-ils d’écrier: «Annoncez, affirmez, répétez, quelle preuve avez-vous? Demain? Et les millénaires s’achèvent! Pourquoi cette terrible épreuve? Pourquoi faut-il frapper pour que Dieu ouvre, combattre, Le chercher pour Le trouver? Mais surtout, pour quelle raison une peine aussi lourde est-elle imposée aux justes plutôt qu’aux pécheurs? Le Tout-Puissant ne peut-Il Se manifester rapidement et laisser tomber une certaine consolation?

La réponse est dans le dogme de la communion des saints. Joachim et Anne, Isaac et Rébecca, Abraham et Sarah, tous les justes de la terre, sont éprouvés rudement par Dieu, non seulement pour donner un exemple de courage aux autres, mais parce qu’ils représentent l’humanité et la récapitulent. En nous approchant de Dieu, nous nous approchons de nos frères et, nous approchant d’eux, nous prenons leur lourdeur. L’humanité antique a aspiré si longtemps après le Christ, Joachim et Anne ont espéré si longtemps la naissance de Marie, nous attendons depuis si longtemps la transfiguration de toutes choses, parce que ceux qui persévèrent pleins d’espérance et vont vers Dieu, portent sur leurs épaules tous ceux qui ont perdu la foi. Ce ne sont pas que Joachim et Anne qui engendrèrent la Vierge mais nous par eux, les défunts et les vivants, les hommes éloignés et les hommes proches de Dieu. En eux l’humanité est exaucée; elle a frappé, le Seigneur a ouvert, elle a demandé et elle a reçu.

Amen!

Père Lev GILLET

L’année liturgique comporte, outre le cycle des dimanches et le cycle des fêtes commémorant directement Notre Seigneur, un cycle des fêtes des saints. La première grande fête de ce cycle des saints que nous rencontrons après le début de l’année liturgique est la fête de la nativité de la bienheureuse Vierge Marie, célébrée le 8 septembre [42]. Il convenait que, dès les premiers jours de la nouvelle année religieuse, nous fussions mis en présence de la plus haute sainteté humaine reconnue et vénérée par l’Église, celle de la mère de Jésus-Christ. Les textes lus et les prières chantées à l’occasion de cette fête nous éclaireront beaucoup sur le sens du culte que l’Église rend à Marie.

Au cours des vêpres célébrées le soir de la veille du 8 septembre, nous lisons plusieurs leçons tirées de l’Ancien Testament. C’est tout d’abord le récit de la nuit passée par Jacob à Luz (Gn 28, 10-17). Tandis que Jacob dormait, la tête appuyée sur une pierre, il eut un songe : il vit une échelle dressée entre le ciel et la terre, et les anges montant et descendant le long de cette échelle ; et Dieu lui-même apparut et promit à la descendance de Jacob sa bénédiction et son soutien. Jacob, à son réveil, consacra avec de l’huile la pierre sur laquelle il avait dormi et appela ce lieu Beth-el, c’est-à-dire  » maison de Dieu « . Marie, dont la maternité a été la condition humaine de l’Incarnation, est, elle aussi, une échelle entre le ciel et la terre. Mère adoptive des frères adoptifs de son Fils, elle nous dit ce que Dieu dit à Jacob (pour autant qu’une créature peut faire siennes les paroles du Créateur) :  » Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras… « . Elle, qui a porté son Dieu dans son sein, elle est vraiment ce lieu de Beth-el dont Jacob peut dire :  » Ce n’est rien de moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel « . La deuxième leçon (Ez 43, 27-44, 4) se rapporte au temple futur qui est montré au prophète Ézéchiel ; une phrase de ce passage peut s’appliquer très justement à la virginité et à la maternité de Marie :  » Ce porche sera fermé. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahvé le Dieu d’Israël y est passé. Aussi sera-t-il fermé  » [43]. La troisième leçon (Pr 9, 1-11) met en scène la Sagesse divine personnifiée :  » La Sagesse a bâti sa maison, elle a dressé ses sept colonnes… Elle a dépêché ses servantes et proclamé sur les hauteurs de la cité… « . L’Église byzantine et l’Église latine ont toutes deux établi un rapprochement entre la divine Sagesse et Marie [44]. Celle-ci est la maison bâtie par la Sagesse ; elle est, au suprême degré, l’une des vierges messagères que la Sagesse envoie aux hommes ; elle est, après le Christ lui-même, la plus haute manifestation de la Sagesse en ce monde.

L’Évangile lu aux matines du 8 septembre (Lc 1 : 39-49, 56) décrit la visite faite par Marie à Élisabeth. Deux phrases de cet évangile expriment bien l’attitude de l’Église envers Marie et indiquent pourquoi celle-ci a été en quelque sorte mise à part et au-dessus de tous les autres saints. Il y a d’abord cette phrase de Marie elle-même :  » Oui, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses  » [45]. Et il y a cette phrase dite par Élisabeth à Marie :  » Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni « . Quiconque nous reprocherait de reconnaître et d’honorer le fait que Marie soit  » bénie entre les femmes  » se mettrait en contradiction avec l’Écriture elle-même. Nous continuerons donc, comme  » toutes les générations « , à appeler Marie  » bienheureuse « . Nous ne la séparerons d’ailleurs jamais de son Fils, et nous ne lui dirons jamais  » tu es bénie  » sans ajouter ou du moins sans penser :  » Le fruit de tes entrailles est béni « . Et s’il nous est donné de sentir parfois l’approche gracieuse de Marie, ce sera Marie portant Jésus dans son sein, Marie en tant que mère de Jésus, et nous lui dirons avec Élisabeth :  » Comment m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? « 

À la liturgie du même jour, nous lisons, ajoutés l’un à l’autre (Lc 10, 38-42 – 11, 27-28), deux passages de l’évangile que l’Église répétera à toutes les fêtes de Marie et auxquels cette répétition même donne la valeur d’une déclaration particulièrement importante. Jésus loue Marie de Béthanie, assise à ses pieds et écoutant ses paroles, d’avoir choisi  » la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée « , car  » une seule chose est utile « . Ce n’est pas que le Seigneur ait blâmé Marthe, si préoccupée de le servir, mais  » s’inquiète et s’agite pour beaucoup de choses « . L’Église applique à la vie contemplative, en tant que distincte de (nous ne disons pas : opposée à) la vie active, cette approbation donnée à Marie de Béthanie par Jésus. L’Église applique aussi cette approbation à Marie, mère du Seigneur, considérée comme le modèle de toute vie contemplative, car nous lisons dans d’autres endroits de l’évangile selon Luc :  » Marie … conservait avec soin, tous ces souvenirs et les méditait en son cœur… Et sa mère gardait fidèlement tous ces souvenirs en son cœur  » (Lc 2, 19, 51). N’oublions pas d’ailleurs que la Vierge Marie s’était auparavant consacrée, comme Marthe, et plus que Marthe, au service pratique de Jésus, puisqu’elle avait nourri et élevé le Sauveur. Dans la deuxième partie de l’évangile de ce jour, nous lisons qu’une femme  » éleva la voix  » et dit à Jésus :  » Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les mamelles que tu as allaitées « . Jésus répondit :  » Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent « . Cette phrase ne doit pas être interprétée comme une répudiation de la louange de Marie par la femme ou comme une sous-estimation de la sainteté de Marie. Mais elle met exactement les choses au point ; elle montre en quoi consiste le mérite de Marie. Que Marie ait été la mère du Christ, c’est là un don gratuit, c’est un privilège qu’elle a accepté, mais à l’origine duquel sa volonté personnelle n’a pas eu de part. Au contraire, c’est par son propre effort qu’elle a entendu et gardé la parole de Dieu. En cela consiste la vraie grandeur de Marie. Oui, bienheureuse est Marie, mais non principalement parce qu’elle a porté et allaité Jésus ; elle est surtout bienheureuse parce qu’elle a été, à un degré unique, obéissante et fidèle. Marie est la mère du Seigneur ; elle est la protectrice des hommes : mais, d’abord et avant tout cela, elle est celle qui a écouté et gardé la Parole. Ici est le fondement  » évangélique  » de notre piété envers Marie. Un court verset, chanté après l’épître, exprime bien ces choses :  » Alléluia ! Écoute, ô ma fille et vois, et incline ton oreille  » (Ps 45, 10).

L’épître de ce jour (Ph 2, 4-11) ne mentionne pas Marie. Paul y parle de l’Incarnation : Jésus qui,  » de condition divine… s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… « . Mais il est évident que ce texte a les rapports les plus étroits avec Marie et a été aujourd’hui choisi à cause d’elle. Car c’est par Marie qu’est devenue possible cette descente du Christ en notre chair. Nous revenons donc en quelque sorte à l’exclamation de la femme :  » Heureuses les entrailles qui t’ont porté… « . Et par suite l’évangile que nous avons lu est comme une réponse et un complément à l’épître :  » Heureux… ceux qui écoutent la parole… « .

Un des tropaires de ce jour établit un lien entre la conception du Christ-lumière, si chère à la piété byzantine, et la bienheureuse Vierge Marie :  » Ta naissance, ô vierge mère de Dieu, a annoncé la joie au monde entier, car de toi est sorti, rayonnant, le soleil de justice, Christ, notre Dieu « .

La fête de la nativité de Marie est en quelque sorte prolongée le lendemain (9 septembre) par la fête de Saint Joachim et Sainte Anne dont une tradition incertaine a fait les parents de la Vierge [46].

NOTES

[42] Nous ignorons absolument la date historique de la naissance de Marie. La fête du 8 septembre semble avoir pris naissance au VIe siècle en Syrie ou en Palestine. Rome l’adopta au VIIe siècle. Elle s’était déjà introduite à Constantinople ; nous avons au sujet de la Nativité une hymne de Romanos le mélode et plusieurs sermons de Saint André de Crète. Les Coptes d’Égypte et d’Abyssinie célèbrent la Nativité de Marie le 1er mai.

[43] On sait que l’Église orthodoxes, comme l’Église romaine, rejette l’hypothèse selon laquelle Marie, après la naissance de Jésus, aurait eu de Joseph plusieurs enfants. Cette théorie, soutenue au IVe siècle par Helvidius, fut combattue par Saint Ambroise, Saint Jérôme et Saint Augustin.

[44] Ce rapprochement est tout à fait indépendant des doctrines  » sophiologiques  » qu’ont soutenues certains philosophes et théologiens russes (Soloviev, Boulgakov, etc,).

[45] Nous n’ignorons pas que certains critiques modernes attribuent le Magnificat à Élisabeth, non à Marie. Cette attribution ne nous semble aucunement prouvée. Que les paroles du Magnificat aient été littéralement prononcées par Marie est une autre question : il suffit que ce cantique exprime d’une manière fidèle les sentiments de Marie.

[46] Les évangélistes canoniques ne disent rien du père et de la mère de Marie. Les légendes relatives à Joachim et Anne ont leur origine dans les évangiles apocryphes, notamment l’évangile dit de Jacques, que l’Église a rejetés et qui sont à bon droit suspects. Il n’est pas cependant exclu que certains détails authentiques, non mentionnés par les évangiles canoniques, aient trouvé place dans les apocryphes. La légende selon laquelle Anne aurait enfanté Marie à un âge avancé semble avoir été influencée par le récit biblique sur Anne, mère de Samuel. Rien n’indique qu’il faille identifier la mère de Marie avec Anne qui prophétisa dans le Temple au sujet de Jésus (Lc 2, 36-38), Mais il est certain que la mémoire des parents de Marie, sous le nom de Joachim et d’Anne, était honorée à Jérusalem dès le IVe siècle. Quoiqu’il en soit historiquement de ces noms et des détails biographiques, l’honneur rendu au père et à la mère de la très sainte Vierge est assurément légitime.

Extrait du livre L’An de grâce du Seigneur,
signé « Un moine de l’Église d’Orient »,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.

Première homélie pour la Nativité de la Vierge Marie
Saint Jean Damascène

http://missel.free.fr/Sanctoral/09/08.php

Neuf mois étant accomplis, Anne mit au monde une fille et l’appela du nom de Marie. Quand elle l’eut sevrée, la troisième année, Joachim et elle se rendirent au temple du Seigneur et, ayant offert au Seigneur des victimes, ils présentèrent leur petite fille Marie pour qu’elle habitât avec les vierges qui, nuit et jour, sans cesse, louaient Dieu.

Quand elle eut été amenée devant le temple du Seigneur, Marie gravit en courant les quinze marches sans se retourner pour regarder en arrière et sans regarder ses parents comme le font les petits enfants. Et cela frappa d’étonnement toute l’assistance, au point que les prêtres du Temple eux-mêmes étaient dans l’admiration.

Puisque la Vierge Marie devait naître d’Anne, la nature n’a pas osé devancer le germe béni de la grâce. Elle est restée sans fruit jusqu’à ce que la grâce eût porté le sien. En effet il s’agissait de la naissance, non d’un enfant ordinaire, mais de cette première-née d’où allait naître le premier-né de toute créature, en qui subsistent toutes chose. O bienheureux couple, Joachim et Anne ! Toute la création vous doit de la reconnaissance, car c’est en vous et par vous qu’elle offre au créateur le don qui surpasse tous les dons, je veux dire la chaste Mère qui était seule digne du Créateur.

Aujourd’hui sort de la souche de Jessé le rejeton sur lequel va s’épanouir pour le monde une fleur divine. Aujourd’hui Celui qui avait fait autrefois sortir le firmament des eaux crée sur la terre un ciel nouveau, formé d’une substance terrestre ; et ce ciel est beaucoup plus beau, beaucoup plus divin que l’autre, car c’est de lui que va naître le soleil de justice, celui qui a créé l’autre soleil….

Que de miracles se réunissent en cette enfant, que d’alliances se font en elle ! Fille de la stérilité, elle sera la virginité qui enfante. En elle se fera l’union de la divinité et de l’humanité, de l’impassibilité et de la souffrance, de la vie et de la mort, pour qu’en tout ce qui était mauvais soit vaincu par le meilleur. O fille d’Adam et Mère de Dieu ! Et tout cela a été fait pour moi, Seigneur ! Si grand était votre amour pour moi que vous avez voulu, non pas assurer mon salut par les anges ou quelque autre créature, mais restaurer par vous-même celui que vous aviez d’abord créé vous-même. C’est pourquoi je tressaille d’allégresse et je suis plein de fierté, et dans ma joie, je me tourne vers la source de ces merveilles, et emporté par les flots de mon bonheur, je prendrai la cithare de l’Esprit pour chanter les hymnes divins de cette naissance…

Aujourd’hui le créateur de toutes choses, Dieu le Verbe compose un livre nouveau jailli du cœur de son Père, et qu’il écrit par le Saint-Esprit, qui est langue de Dieu…

O fille du roi David et Mère de Dieu, Roi universel. O divin et vivant objet, dont la beauté a charmé le Dieu créateur, vous dont l’âme est toute sous l’action divine et attentive à Dieu seul ; tous vos désirs sont tendus vers cela seul qui mérite qu’on le cherche, et qui est digne d’amour ; vous n’avez de colère que pour le péché et son auteur. Vous aurez une vie supérieure à la nature, mais vous ne l’aurez pas pour vous, vous qui n’avez pas été créée pour vous. Vous l’aurez consacrée tout entière à Dieu, qui vous a introduite dans le monde, afin de servir au salut du genre humain, afin d’accomplir le dessein de Dieu, l’Incarnation de son Fils et la déification du genre humain. Votre cœur se nourrira des paroles de Dieu : elles vous féconderont, comme l’olivier fertile dans la maison de Dieu, comme l’arbre planté au bord des eaux vives de l’Esprit, comme l’arbre de vie, qui a donné son fruit au temps fixé : le Dieu incarné, la vie de toutes choses. Vos pensées n’auront d’autre objet que ce qui profite à l’âme, et toute idée non seulement pernicieuse, mais inutile, vous la rejetterez avant même d’en avoir senti le goût.

Vos yeux seront toujours tournés vers le Seigneur, vers la lumière éternelle et inaccessible ; vos oreilles attentives aux paroles divines et aux sons de la harpe de l’Esprit, par qui le Verbe est venu assumer noire chair… vos narines respireront le parfum de l’époux, parfum divin dont il peut embaumer son humanité. Vos lèvres loueront le Seigneur, toujours attaché aux lèvres de Dieu. Votre bouche savourera les paroles de Dieu et jouira de leur divine suavité. Votre cœur très pur, exempt de toute tache, toujours verra le Dieu de toute pureté et brûlera de désir pour lui. Votre sein sera la demeure de celui qu’aucun lieu ne peut contenir. Votre lait nourrira Dieu, dans le petit enfant Jésus. Vous êtes la porte de Dieu, éclatante d’une perpétuelle virginité. Vos mains porteront Dieu, et vos genoux seront pour lui un trône plus sublime que celui des chérubins… Vos pieds, conduits par la lumière de la loi divine, le suivant dans une course sans détours, vous entraîneront jusqu’à la possession du Bien-Aimé. Vous êtes le temple de l’Esprit-Saint, la cité du Dieu vivant, que réjouissent les fleuves abondants, les fleuves saints de la grâce divine. Vous êtes toute belle, toute proche de Dieu ; dominant les Chérubins, plus haute que les Séraphins, très proche de Dieu lui-même.

Salut, Marie, douce enfant d’Anne ; l’amour à nouveau me conduit jusqu’à vous. Comment décrire votre démarche pleine de gravité ? votre vêtement ? le charme de votre visage ? cette sagesse que donne l’âge unie à la jeunesse du corps ? Votre vêtement fut plein de modestie, sans luxe et sans mollesse. Votre démarche grave, sans précipitation, sans heurt et sans relâchement. Votre conduite austère, tempérée par la joie, n’attirant jamais l’attention des hommes. Témoin cette crainte que vous éprouvâtes à la visite inaccoutumée de l’ange ; vous étiez soumise et docile à vos parents ; votre âme demeurait humble au milieu des plus sublimes contemplations. Une parole agréable, traduisant la douceur de l’âme. Quelle demeure eût été plus digne de Dieu ? Il est juste que toutes les générations vous proclament bienheureuse, insigne honneur du genre humain. Vous êtes la gloire du sacerdoce, l’espoir des chrétiens, la plante féconde de la virginité. Par vous s’est répandu partout l’honneur de la virginité Que ceux qui vous reconnaissent pour la Mère de Dieu soient bénis, maudits ceux qui refusent…

Ô vous qui êtes la fille et la souveraine de Joachim et d’Anne, accueillez la prière de votre pauvre serviteur qui n’est qu’un pécheur, et qui pourtant vous aime ardemment et vous honore, qui veut trouver en vous la seule espérance de son bonheur, le guide de sa vie, la réconciliation auprès de votre Fils et le gage certain de son salut. Délivrez-moi du fardeau de mes péchés, dissipez les ténèbres amoncelées autour de mon esprit, débarrassez-moi de mon épaisse fange, réprimez les tentations, gouvernez heureusement ma vie, afin que je sois conduit par vous à la béatitude céleste, et accordez la paix au monde. A tous les fidèles de cette ville, donnez la joie parfaite et le salut éternel, par les prières de vos parents et de toute l’Eglise.

Saint Jean Damascène