La tempête apaisée

3ème DIMANCHE APRÈS THÉOPHANIE

LA TEMPÊTE ET LE SOMMEIL DU CHRIST

Mgr Jean, évêque de Saint Denis

Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

L’évangile de la tempête(Matthieu 8, 23‑27)est très clair ; la barque, dans laquelle se trouve le Christ avec les apôtres, c’est l’Église, et ce sont nos âmes. La mer qui se déchaîne avec le vent et les vagues, ce sont le monde avec ses passions. Ici, faisons une remarque : le premier sens de ces vagues qui envahissent, mouillent, remplissent la barque est certainement la persécution. Or il y a deux formes de persécution venant de ce monde de péché :

– celle exercée directement sur les chrétiens ou sur la religion par les athées… ;

– l’autre : lorsque les idées de ce monde, la manière de vivre de ce monde, envahissent l’Église ou notre âme; quand l’Église est trop bien soignée, par l’État par exemple, trop bien soutenue par l’argent, quand l’Église, ou plutôt les représentants de l’Église, deviennent de ce monde, quand notre âme se profane. Cette persécution-là est beaucoup plus dangereuse que la première.

Ainsi, nous sommes souvent – il y a heureusement des moments de paix, de tranquillité sur cette mer – devant deux formes de persécution. Dans la persécution directe de l’âme ou de l’Église, quand le Diable nous attaque, c’est la lutte ; nous pouvons tomber par lâcheté, par faiblesse, par crainte, par peur. Mais dans l’autre persécution, quand les éléments du monde envahissent l’Église sans que nous-mêmes soyons en danger, quand tout devient plus de ce monde que du divin, nous devons avoir une autre forme de lutte, de vigilance, car cette persécution-là n’est pas violente extérieurement, elle l’est imperceptiblement et nous glissons peu à peu vers cet esprit du monde. Voilà pourquoi la vigilance devant cette persécution nécessite un autre courage : celui de ne pas céder au compromis avec le monde.

Mais dans l’Évangile, il y a une autre chose, curieuse, inattendue : le chef de l’Église, le Christ qui a dit : Jeserai toujours avec vous,dort. Il est tranquille, Il dort, Il ne prend pas de «mesures». Pourquoi ce sommeil du Christ au moment du danger ? Et nous avons souvent eu, à ces moments-là, l’impression que Dieu sommeille, qu’Il n’est pas avec nous pour nous défendre, qu’Il ne vient pas à notre aide. Le Christ répond lui-même aux hommes de peu de foi : Il dort.

Il n’agit pas dans notre chemin personnel ou dans le chemin de l’Église : est-ce pour que nous l’appelions ? Certainement. Mais c’est encore plus pour éprouver notre foi. Il veut nous dire : devant les persécutions, qu’elles soient du dedans ou du dehors, lorsque votre âme est attaquée par le Diable – vagues qui vous envahissent – votre conduite doit être sereine, tranquille ; ne soyez pas effrayés par ce monde déchaîné contre vous, par le péché du Diable qui paraît fort. Gens de peu de foi, nous devons être tranquilles et, au fond, c’est à nous qu’il incombe de combattre pour le Christ, et non pas seulement d’être sauvés par le Christ.

Il dort – non parce qu’Il veut dormir, Il est assoupi – Il dort pour que nous soyons vigilants, pour que nous arrivions nous-mêmes à arrêter les flots de la vague. Et cette attitude de Dieu vis-à-vis de ses bien-aimés, de ses disciples, de ses enfants, de ces membres de ce corps mystique – cette attitude, nous la retrouvons souvent dans l’histoire de l’Église, et souvent dans notre vie intérieure. Il nous laisse la possibilité d’arrêter les flots, Il veut que nous fassions l’apprentissage de donner les ordres aux éléments.

Le Christ ordonne à la mer, ordonne aux vents ; le calme revient et les apôtres alors se demandent :Quiest Celui à qui les vents et la mer obéissent ?

A qui obéissent les éléments de ce monde ? A cet homme dans la barque, qui est Jésus, mais qui est aussi le Créateur. Voilà pourquoi les éléments lui obéissent. Ceci est un témoignage : l’homme a été créé roi de la terre pour que tous les éléments lui obéissent, comme il est écrit au livre de la Genèse. Le Christ ici agit en tant qu’Il est Dieu. En réalité, tous les hommes, les chrétiens, devraient parvenir à la même puissance. Par la force humaine, certes non, mais par acquisition de la puissance divine de l’Esprit-Saint.

Actuellement les éléments n’obéissent pas à notre parole, nous obéissons aux éléments, parce que nous n’avons pas acquis la divinité par la Grâce. Le Christ nous montre ce que peut être l’homme déifié. Dans le Paradis, nous ne voyons pas explicitement cette puissance d’Adam et Eve : ni hostilité, ni vagues qui les submergent, ni peur de manquer du fruit nécessaire à leur nourriture; les bêtes ne les effrayent pas et viennent pacifiquement autour d’eux. Adam avait cette puissance. Nous l’avons perdue.

Tel est le but de la création de l’homme : qu’il aille vers Dieu et, rempli de souffle divin, devienne semblable au Créateur. Ainsi, notre Seigneur, en disant aux vents et à la mer : «Taisez-vous ! Arrêtez ! Pacifiez-vous ! Obéissez à ma parole !», trace pour nous ce que l’homme doit devenir par l’acquisition de l’Esprit-Saint.

Regardez, lisez attentivement la vie des saints. Saint Nicolas calme la tempête, saint Honorat marche sur les eaux, les autres apaisent les vents, pacifient les bêtes féroces. A notre époque, j’en ai des témoignages directs et indirects, les éléments, la nature, obéissent à l’homme. Les saints ont réalisé, et réalisent, ce que le Christ a réalisé – non parce qu’ils sont des créateurs, mais parce qu’ils sont devenus très ressemblants au Créateur.

Pourquoi n’avons-nous pas aussi peu cette puissance ? Parce que nous n’avons pas suffisamment soif de Dieu, soif d’être nourris par Dieu, de vivre en lui, d’être de lui, par lui, et en lui seulement. Nous avons soif de perfection et de tant et tant de choses de seconde zone. Mais le manque de cette soif ardente, de ce désir absolu d’être rempli par la Grâce, la Puissance, l’Énergie divines, afin de devenir pour lui, de vivre en lui, avec lui, ce manque de soif fait que nous n’avons pas de pouvoir sur les éléments.

Voilà pourquoi l’Évangile nous appelle à une seule chose : oubliant tout, cultivons en nous le désir permanent de Dieu. Je dis le désir, je ne dis pas les commandements, car pour accomplir les commandements, on peut, si le désir est grand, lutter efficacement malgré notre imperfection. Cultivons avant tout cette soif d’être immédiatement, le plus vite possible, en lui, par lui et de lui, d’être ses enfants, afin de dire, non des lèvres mais de tout notre être : Père nôtre, qui es aux cieux, que ta volonté, ton nom, ta puissance, ton royaume soient aussi sur la terre – c’est-à-dire en nous.

Que Dieu pénètre non seulement notre esprit, mais aussi notre âme, notre corps – jusqu’au bout des doigts – que sa lumière nous pénètre afin que nous ne vivions plus que par lui ; alors les éléments, nous obéiront, et toute crainte partira avec le démon confus.

Amen.

De Palestine, Grégoire* alla rejoindre à Alexandrie son frère Césaire, et passa quelque temps avec lui; après quoi il s’embarqua pour Athènes, qui était toujours regardée comme la métropole des sciences et des lettres. La saison n’était pas favorable. Il y eut une furieuse tempête de vingt jours. Un moment, le navire se trouva plein d’eau : alors tout le monde, marins et pilote, ceux-là mêmes qui peu avant ne reconnaissaient aucun dieu, invoquèrent à haute voix Jésus-Christ, et le navire fut sauvé. Mais on manqua d’eau douce; les vases qui en contenaient avaient été précipités à la mer par une secousse plus violente que la tempête. Un navire marchand de Phénicie, qu’ils rencontrèrent, eut l’humanité et le courage de leur en passer. Cependant la tempête ne diminuait point ; l’équipage perdait toute espérance. Ce qui désolait surtout Grégoire, c’est qu’il n’avait pas encore reçu le baptême. Sa douleur était si grande que les matelots mêmes en avaient pitié. Il priait Dieu avec larmes, et lui consacrait de nouveau sa vie entière s’il daignait le sauver de ce péril. Sa prière fut exaucée : la tempête se calma. Il y eut plus : tous ceux qui étaient avec lui dans le même navire embrassèrent avec beaucoup de piété la foi du Christ, et arrivèrent heureusement à Athènes**

*Il s’agit de saint Grégoire de Nazianze, dont nous publions une homélie p. 17.

**Les petits Bollandistes,Vie des saints, T. V, 9mai.