LE SAINT ARCHEVÊQUE JEAN DE SAN FRANCISCO
ET NOTRE ÉGLISE
TÉMOIGNAGES
(Présence Orthodoxe n° 3 – 3ème trimestre 1968)
Saint archevêque Jean de San Francisco lisant l’Évangile
Le 2 juillet 1966, l’Archevêque Jean (Maximovitch) de bienheureuse mémoire, le père qui me sacra évêque, naissait au ciel.
Il avait célébré la Liturgie le matin, puis s’étant rendu chez des paroissiens pour un service des défunts, de retour dans sa chapelle il recommençait à prier, lorsque l’Ange de Lumière s’approcha. Il baissa la tête et son âme s’envola « comme un oiseau de la cage de l’oiseleur », ainsi que chante le Graduel de la fête de Saint Irénée. Je le soupçonne d’avoir été célestement prévenu de l’instant solennel, car depuis trois jours il essayait de régler toutes les affaires de son Église.
Les chemins de Dieu, chemins de nos destins, renferment un tel mystère ! Combien aurais-je aimé, lorsque nous apprîmes sa mort, que nous devenions tout oreille afin de connaître la pensée divine, non pas tant pour lui que pour nous.
Sa bonté était infinie, sa ferveur de prière – j’en ai les témoignages – guérissait les malades, arrachait les êtres à la misère. Je me souviens de cette anecdote où se révèle sa charité patiente : en raison de circonstances politiques, plusieurs enfants chinois dont il s’occupait – il était à cette époque évêque de Shanghai – ne purent entrer en Amérique, arrêtés dans le port. Il se rendit alors à Washington et le secrétaire ayant refusé de l’introduire à la Maison Blanche, il s’assit sur les marches de l’escalier et pria en silence jusqu’au moment où les membres du Parlement, stupéfiés de voir chaque fois qu’ils passaient cet évêque priant sur les marches de l’escalier, demandèrent la raison de sa présence et votèrent aussitôt une loi permettant aux enfants chinois d’entrer en Amérique. Homme libre admirable, l’Archevêque Jean n’eut jamais honte devant les hommes de ce monde.
En tant que Chrétiens nous devrions nous réjouir de le savoir agissant dans le Royaume. En tant qu’évêque, je devrais confesser la joie dans la mort – l’apôtre Paul désira mourir afin de rejoindre son Seigneur, dégagé de la pesanteur de cette vie – je sais tout cela et ne puis m’empêcher, néanmoins, d’être toujours affligé par son départ. Ce n’est pas seulement une peine personnelle qui remonte dans mon cœur, c’est celle de notre Église de France.
L’Archevêque Jean apparut chez nous en une période spécialement difficile. Il nous tendit la main, nous comprit, nous aima. En partant il nous a laissés orphelins. Dieu qui dirige l’Église a ses desseins, Dieu qui est Maître de nos vies a ses plans ; certes, tout est de Lui, de Toi Père, tout est par Lui, de Toi Fils, tout est en Lui, de Toi Esprit ! Aucun cheveu de notre tête ne tombe sans sa volonté, et nous, Chrétiens nommés « enfants de lumière », nous devons en de pareils moments scruter la pensée divine, être disponibles pour discerner ce qu’Il veut de nous, ce que les événements signifient…Archevêque Jean, prie pour nous !
Lorsqu’il avait célébré dans notre église, après la Divine Liturgie, l’Archevêque Jean s’arrêtait devant chaque icône et l’implorait pour les pécheurs. Je le revois encore marchant parmi nous, puis entrant en contact avec les Saints. Tels sont vos amis, tels vous êtes, dit-on, il était l’ami des Saints et les Saints étaient ses amis. Avec quelle intimité reconnaissante il découvrait les reliques d’un Saint inconnu de lui. Le métropolite Antoine de Kiev qui le sacra évêque disait de lui : « Nous, nous nous mettons en prière, lui ne se met jamais en prière parce qu’il est prière ».
Ce qui me frappe tout d’abord dans le destin de notre Église orthodoxe de France c’est que, malgré notre faiblesse, ce n’est pas la hiérarchie seule qui nous a secourus mais des êtres de prière. Les pierres vivantes, les fondements de notre Église furent, tout d’abord, l’Archevêque Alexandre de Bruxelles qui priait sept heures par jour, nommant tous ceux qu’il avait rencontrés au cours de sa vie et, enfin, notre Archevêque Jean. Le Métropolite Antoine de Kiev en l’envoyant à Shanghai écrivait à son sujet au Métropolite de cette ville : « Je vous envoie un évêque dont l’âme est celle d’un enfant ; il est petit, tout petit (il était de petite taille) comme un bébé, mais sa prière perce les cieux ».
La Providence l’envoya chez nous. Ce qui le caractérisait, le distinguait des autres évêques, c’est que nous ne sommes pas allés vers lui, c’est lui qui est venu en premier, image et reflet du Christ, car l’homme n’est pas allé vers Dieu, c’est Dieu qui est allé vers l’homme. « Je suis venu vers vous », dit l’évangile. Tout se déroule de manière étrange dans l’histoire de l’Église et dans la vie de chacun, non suivant un plan quinquennal, mais selon une route tracée par Dieu.
Nous n’étions pas encore sous sa houlette lorsqu’un jour son frère lui écrivit qu’il existait une église à Montpellier, la nôtre, et il nous demanda la possibilité d’y célébrer ; nous la lui donnâmes avec joie. Notre église était encore en chantier, il y célébra pourtant la Divine Liturgie. Ainsi la Liturgie précéda toute conversation canonique ou administrative. Monseigneur Jean était entré à l’intérieur de l’Église de France, de plain-pied, par l’Eucharistie.
Ensuite, je le rencontrai en des circonstances inattendues. Un anachorète du Mont Athos nous adressa à lui par l’intermédiaire de l’un de nos fidèles qui s’était rendu à la Sainte Montagne, Émile Moine. Ce dernier, désireux de lui rendre visite et croyant qu’il ne parlait pas le français, me pria de l’accompagner comme interprète.
Au cours de cet entretien intime, à Versailles, nous parlâmes de sujets différents, et comme nous lui disions : Il est bon vraiment de prier dans votre petite chapelle, ses yeux, soudain, devinrent si vivants, son être se découvrit subitement car, vous le savez, ne dormant plus il était parfois non somnolent mais fatigué, courbé, et s’exprimait difficilement. Nous avions touché la prière : alors, son regard se mit à briller d’une bonté et d’une profondeur inépuisables, et, à partir de cet instant, il ne nous quitta plus.
L’Archevêque Jean ne donna pas son assentiment du haut d’une chaire, il se mêla à nous, pria avec nous, célébra la Divine Liturgie selon notre rite des Gaules, veilla à notre développement en nous donnant la grâce insigne des ordinations. Combien de prêtres, de diacres, de clercs de notre Église furent ordonnés par lui ! Deux ans avant son départ, à l’encontre de tous les obstacles, il couronna notre œuvre par le sacre du premier évêque de l’Église orthodoxe de France, assurant ainsi sa continuité.
Nombre d’articles de journaux russes furent consacrés à l’Archevêque Jean. Ils insistèrent surtout – comme je l’ai fait moi-même – sur l’homme de prière, l’ascète qui ne dormait plus et cet aspect est vrai. En jetant un regard en arrière sur notre Église, nous constatons précisément que si nous avons été soutenus dans nos épreuves par des évêques canonistes, administrateurs – c’est un privilège immense – nous le fûmes plus particulièrement par des évêques charismatiques, inspirés par le Souffle du Saint Esprit, car l’Archevêque Jean en dépit de son humilité ne fut jamais soumis aux pressions du monde. Il prenait parfois de brusques résolutions, sans mettre quiconque au courant, ce qui soulevait des critiques. Scrupuleux dans les formes liturgiques et canoniques, beaucoup plus scrupuleux dans la Tradition que ses confrères, il possédait une largeur de vues et la compréhension des situations les plus difficiles. En lui la Vérité se mariait à la Charité.
On a beaucoup parlé de sa bonté, de sa compassion pour les malades, de sa prière nocturne, mais il avait une qualité de plus et nul article, ni personne ne l’a mentionnée. Je crois et je veux la proclamer. La vision de notre Archevêque était universelle, catholique. Cette vision de l’Église catholique universelle faisait dire aux Serbes quand je leur parlais de lui : « Il est des nôtres ! ». J’ai entendu des Chinois s’écrier : « Comme nous l’aimons, il nous comprend si bien ! ». Les Français, les Allemands, n’importe quelle race, n’importe quelle nation réagissait de même. Il n’était pas qu’attentif, aimant, Monseigneur Jean chérissait chaque peuple, chaque tradition. Avec quelle joie il se plaisait à célébrer la Liturgie de Saint Jacques et la nôtre ! Il me dit à moi-même : « Oui, l’Église est Une mais chaque peuple a sa vocation dans cette unité » et il ajoutait, par exemple : « J’ai vécu en Serbie, et les Serbes, tout en célébrant la même liturgie que les Russes, ont un autre esprit ». Auprès de sa compréhension intellectuelle, son cœur et son esprit étaient présents. Âme catholique. Dieu permette que nous trouvions encore sur notre route d’autres évêques, pasteurs et pères semblables à lui. Le passé nous a montré que l’Esprit Saint nous soutient à travers des hommes de Dieu. Que le Seigneur nous envoie d’autres évêques amis ! Qui seront-ils ? Sommes-nous parvenus à une étape où il nous faudra avancer seuls, sans compter sur le secours d’êtres inspirés d’En Haut ?
Au long de notre cheminement jusqu’à l’Archevêque Jean, nous avons connu, expérimenté, cette coordination du Corps du Christ et de la puissance charismatique de l’Esprit. Je ne sais ce qui surviendra maintenant. Dieu nous l’indiquera. Rien ne sert d’imaginer l’avenir. Je sais que le serviteur de Dieu, Jean, est parmi nous, je sais que lui, le vigilant qui oubliait sur terre de se reposer, est avec nous, invisiblement.
Avant de mourir, au mois de mai, il m’avait écrit une lettre, brève comme toujours, mais condensée. La voici : « Dis pour moi à tous les prêtres et fidèles ma grande prière, qu’ils t’obéissent avec confiance car je t’ai sacré évêque pour eux. En t’obéissant, ils m’obéissent même si je ne peux plus revenir en France ». Et deux jours avant sa mort, il envoyait le télégramme : « Je bénis le clergé et le saint troupeau de l’Église de France ».
Le monde a soif de sainteté, l’Archevêque Jean était un Saint. On lui a reproché de trop prier et d’être mauvais administrateur. Quel mensonge ! Si l’Église russe de Paris existe, c’est parce qu’il sut trouver la somme nécessaire pour son achat, si la nouvelle cathédrale de San Francisco fut achevée avant sa mort, c’est parce qu’il était présent ; si l’Église de France a été fortifiée, reconnue, assise sur ses propres statuts, c’est grâce à lui. Non, il est bon d’être administrateur, il est mieux d’être Saint. Les Saints, tout en contemplant et priant, agissent et laissent des traces réelles et plus efficaces que ceux qui s’agitent. L’Archevêque Jean nous dirigera, nous guidera.
En priant pour le repos de son âme, car tout être humain a besoin de prière, demandons-lui de prier la Divine Trinité pour nous, pour chacun de nous, pour l’Église de France et l’Orthodoxie en général, tant éprouvée.
Jean, père bien-aimé, prie pour nous !
Monseigneur Jean, évêque de Saint-Denis
LE SAINT ARCHEVÊQUE JEAN : EN HOMMAGE
(Présence Orthodoxe n° 3 – 3ème trimestre 1968)
Un après-midi, en août 1957, un Parisien anticlérical et pourtant chercheur de vérité, eut la bonne fortune de converser devant un « skiti » sur la montagne aride et escarpée du sud de l’Athos, face à la mer, avec le moine Nikon, anachorète de 82 ans et sommité spirituelle d’alors sur la Sainte Montagne.
Apprenant que naissait à Paris une Église orthodoxe nouvelle en plus de celles, trop nombreuses à son gré, qui existaient déjà, le vénérable vieillard s’était récrié ! Mais après un court échange de vues, réalisant que celle-là était de souche spécifiquement française, il se mit à méditer et donner des conseils en vue de sa plénitude apostolique : ne point s’adresser à un Siège ecclésiastique toujours influencé par la politique et la contingence sociale, dit-il, mais à des hommes voués entièrement à Dieu, libres du monde et porteurs de sainteté. Et l’anachorète indiqua l’Archevêque Alexandre de Bruxelles et l’Archevêque de Shanghai celui-ci récemment arrivé à Paris. Il précisa l’adresse de ce dernier à Versailles après l’avoir recherchée dans un carnet. Si chaude était la charité de son insistance que l’anticléricalisme de son interlocuteur se dissipa en même temps que son parti pris de ne pas se mêler d’affaires ecclésiastiques ; notant l’adresse, il accepta de porter le message lourd de conséquences qu’il ne soupçonnait pas…
La suite ne fut donnée que plusieurs mois plus tard, car le modeste Archevêque Jean n’était guère connu à l’église Saint-Irénée.
Le messager de l’Athos, présent au premier entretien accordé le 22 décembre à Monseigneur Jean de Saint-Denis, encore Archiprêtre Eugraph Kovalevsky, fut tout d’abord déçu et pensa : « Si c’est lui cet homme hautement spirituel, recommandé par le Sage de l’Athos ! ». On en vint à parler de prière. Aussitôt le buste de l’Archevêque et surtout sa tête lui apparurent largement entourés de bleu, couleur de la Vierge. Le ton changea totalement, devin affable, prévenant, plein d’amour, comme descendant du ciel. L’Athos se manifestait, et plus encore. L’Archevêque pria de se rendre à la salle à manger pour partager le goûter des enfants qui recevaient une éducation dans la demeure archiépiscopale, et la collation, si sommaire qu’elle fût, sembla exquise. À la sortie de l’entretien, il fallut que l’Archiprêtre évoquât lui aussi l’auréole bleue pour que le messager anticlérical qui n’en pouvait croire ses yeux, se sentit autorisé à s’incliner devant cette réalité hors de toute illusion.
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Sollicité d’adhérer à l’Orthodoxie, le messager encore anticlérical avait décliné cet honneur, mais au retour de l’entrevue avec l’Archevêque Jean il changea d’avis et désira recevoir la chrismation orthodoxe des mains de l’évêque, à condition évidemment d’avoir pris d’avance connaissance du rituel. Et ce rituel russe bien qu’inspiré de Rome, ne fut pas accepté de lui en raison des reniements qu’il comportait à l’égard de sa première Église, à laquelle, malgré son éloignement et son indifférence, il gardait sa reconnaissance. Le passage d’une Église à l’autre devait, selon lui, s’effectuer non dans une rupture et le reniement mais comme une progression, une continuité évolutive.
L’Archiprêtre parrain, dont le rituel établi pour les Français ne contenait pas une telle difficulté, en fit part à l’Archevêque Jean qui répondit : « Eh bien ! qu’il élague tout ce qu’il voudra, selon sa conscience ». Ainsi accueillit-il cet Orthodoxe de souche française dans la plus large compréhension et charité qu’appelaient notre histoire et le tempérament particulier de notre sol. Miracle de sainteté, grâce qui allait s’étendre à toute notre Église
Le dimanche 1er juin 1958, deux paroissiens de la paroisse Saint-Irénée se rendant pour une cérémonie au couvent russe de Fourqueux furent victimes d’un très grave accident d’automobile, aux abords de Saint-Germain-en-Laye, et transportés en l’hôpital de cette ville. Au bout d’une dizaine de jours leur état était au plus grave ; les fonctions intestinales bloquées chez l’un, une faiblesse du cœur empêchant l’opération chirurgicale chez l’autre. Aussitôt après une visite de l’Archevêque Jean, la faiblesse du cœur avait disparu et l’opération immédiatement entreprise réussit ; quant au blocage intestinal que n’avait pu libérer aucune médication, il cessa lorsque le blessé – pratiquement abandonné – eut par hommage absorbé la moitié d’un petit pain béni (selon le rite russe) par l’Archevêque Jean.
Plus tard, l’intéressé lui fit remarquer que l’accident pouvait bien signifier, ou du moins inclure, que les Français avaient à se rendre non à la Divine Liturgie selon Saint Jean Chrysostome (pratiquée dans le couvent russe de Fourqueux) mais s’arrêter à celle de Saint Germain de Paris. Dans sa large tolérance et humilité, il répondit : « Ah ! je n’y avais pas pensé ».
S’il ne mangeait pour ainsi dire pas, de même ne prenait-il aucun sommeil. Des amis de province qui l’avaient hébergé, lui réservant dans leur intérieur cossu la plus belle chambre avec le maximum de confort, furent consternés de l’y entendre marcher toute la nuit. Il était en prière perpétuelle.
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À douze ans, il demanda à sa mère de le laisser prier toute la nuit et, depuis lors, il en arriva à ne plus user de lit, se contentant d’un repos éveillé dans son fauteuil de travail. Aussi conseillait-il, à quiconque proposait de lui téléphoner, de l’appeler non le jour où il était accaparé, mais vers minuit, une heure du matin.
Quand on lui parlait, il semblait parfois, à la déception de l’interlocuteur, enlevé par le sommeil ou ravi en d’autres sphères : il suivait néanmoins parfaitement tout ce qu’on lui disait, ne laissant échapper aucun détail et toujours perspicace. État probable d’union où il recevait force et lumière.
Éveil supérieur embrassant la profondeur et l’étendue.
La profondeur, la hauteur et la constance de sa prière perpétuelle se manifestaient en l’amour de l’humanité si intense, en une compréhension si claire et si spirituelle de l’âme humaine que même ce qui dans le préjugé de notre société semble contraire ou ennemi de l’Église, trouvait mesure auprès de lui : « Il ne faut pas rejeter les Francs-Maçons, disait-il, ce sont des hommes comme les autres ; et ils ont, comme les autres, besoin du secours divin ». La pénétration de son regard généralement humble et discret, mais alors d’une braise insoutenable, effrayait sur le coup ceux qui, l’abordant, se sentaient brusquement sondés jusqu’au-delà de leur carapace intérieure.
En lui, amour et compassion dépassaient le plan individuel et s’étendaient à la dimension des peuples et des nations. Il eut à exercer son sacerdoce sur toute la périphérie de la terre : après la Serbie, la Chine, l’Europe et l’Afrique pour finir à San Francisco. Partout, même participation à l’âme collective.
Lorsqu’il prit en mains la question de l’Orthodoxie française, aucun problème ne demeura dans l’ombre, particulièrement le pourquoi du passage d’une fraction de la population française, d’obédience romaine ou protestante à l’obédience orthodoxe et l’opportunité de cette restitution à la tradition originelle pour l’éclosion spirituelle plus profonde des terres de Gaule et d’Occident. Au-dessus des particularités locales, tout en les vivant, les transcendant en amour, il aperçut immédiatement la nécessité d’une autonomie pour un mouvement orthodoxe de souche française ; il vit l’authenticité, la beauté, la tonalité occidentale de la liturgie selon Saint Germain de Paris qu’il admira, adopta et fit, en conséquence, adopter pour notre Église. Il y sacrifia, au moins momentanément, l’attachement de quelques enfants chéris de son troupeau russe, de ceux qui, confondant les exigences d’un tempérament régional avec celles de la spiritualité, refusaient d’admettre que l’Orthodoxie puisse être célébrée autrement que selon leur traditionnel et très beau rite selon Saint Jean Chrysostome.
Par son service de la Vérité, au-delà de l’immédiate contingence ecclésiale, l’Archevêque Jean faisait éclater les barrières orientales de la pratique orthodoxe et lui ouvrait l’Occident.
Le renoncement était grand, certes, mais aussi l’horizon de conquête. Il y fallait une telle personnalité toute de lumière, de douceur et d’humilité.
On aurait pu croire qu’une difficulté d’élocution, provoquée par un coup de crosse sur la bouche, le maintenait dans un jeûne du monde, ce n’était qu’harmonie d’une ascèse poussée à l’extrême de l’amour divin. Il fut évêque très jeune, puis, malgré cette gêne apparemment rédhibitoire, il devint Exarque pour l’Europe et l’Afrique, guide et protecteur de notre Orthodoxie française.
Quand il officiait à Saint-Irénée, dès lors même qu’il était attendu par l’assemblée des fidèles, la cathédrale était pleine de lumière indicible.
Le Concile qui élisait, en 1964, un Chef pour l’Église russe hors frontières, lui donna la moitié de ses voix. Ultime hommage selon le plan divin, car si l’un devait rester sur terre, le ciel attendait déjà l’autre. Le chemin était sans doute plus court, plus libre, de l’adoration près de l’autel où il fut accueilli, à l’Ineffable parmi les enfants de la Sainte Vierge, près du Seigneur.
De là, maintenant, comme si rien n’était changé, discrètement et lumineusement comme auparavant, l’Archevêque Jean répand sur nous la grâce qui émanait de sa présence dans la fidélité totale aux commandements de notre Seigneur Jésus-Christ.
Émile Moine
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