3ème de Carême

3ème DIMANCHE DE CARÊME

La chambre balayÉe

Mgr Jean, évêque de Saint Denis
1954

Ayant été fortifiés, dimanche dernier, par la Transfiguration au Mont Thabor, le Christ nous introduit aujourd’hui dans le mystère d’iniquité et, afin que nous ne soyons pas troublés, Il nous dit aussitôt que le doigt de Dieu a vaincu le mal, qu’un homme plus fort que Satan est venu. C’est la bataille du Christ et de l’Esprit-Saint contre l’Esprit du mal ou plutôt la bataille de l’Homme-Christ contre le mal, car c’est dans son Humanité que Jésus livre bataille. Il ne veut pas donner la possibilité aux hommes de dire que c’est Dieu qui est vainqueur du mal. Non ! c’est Dieu-Homme qui triomphe de l’Esprit malin.

L’apôtre Pierre aime le Christ et Le suit sans connaître le mal, tandis que l’apôtre Jean le Bien-Aimé a la connaissance du mal, il le regarde en face, et c’est pour cette raison que durant la Sainte Cène, Pierre est obligé de demander à Jean qui trahira Jésus. Jean seul connaît le traître et reçoit la mission d’écrire l’Apocalypse afin de découvrir le mystère d’iniquité et de nous prévenir. Il insiste sur le fait que le Malin effraie quand il nous est donné de le voir en face, mais que, plus terriblement encore, il nous trompe car il est malin.

Voir le visage de la haine, du mensonge, de la méchanceté est affreux ! Un saint demanda à Dieu la grâce de voir le mal en lui et autour de lui. Au bout de deux jours, il s’écria : «Délivre-moi, Dieu, de cette vision, je ne puis la supporter !». Dans sa sagesse l’Église orthodoxe défend de parler du Malin, elle demande en tous cas de n’en parler qu’avec grande réserve et prudence. Les iconographes ne le représentent dans l’Église que sous un aspect anodin, enchaîné. Au Moyen-Âge, l’Église catholique commence à donner trop de place au Malin et l’humanité alors succombe.

Qui peut arrêter le Malin ? Nulle vertu ! La pureté, l’humilité naturelle, sont des chambres parées, ornées, où entre le diable – après en avoir été chassé – avec sept autres diables pires que lui.

Les âmes pures, virginales, célestes, les doctrines spirituelles admirables, les esprits charitables, sont des chambres vides et ornées si elles sont dépourvues de l’unique obstacle pouvant stopper le Malin. L’unique obstacle capable de nous préserver des atteintes démoniaques est, certes la présence en nous de Quelqu’un de plus fort que lui. Et c’est la deuxième face de la vraie humiliation, non l’humilité naturelle qui soupire : je suis faible, petit, mais celle qui confesse avec persévérance : je ne suis rien sans le Christ, le Fils de Dieu venu sur terre. L’humilité naturelle est trop fragile pour résister, il nous faut nous ancrer sur le Christ, compter sans faiblir sur Sa puissance. Saint Jean Chrysostome disait : «Je ne crains rien, je n’ai pas peur de la vague déchaînée, parce que je suis sur une pierre, et cette pierre c’est le Christ». Mes amis, dites cela autour de vous, dites-le à vous-même sans cesse. Si vous n’êtes pas solidement enracinés sur le Christ, vous resterez des chambres vides où, à la dernière minute, le Malin peut revenir.

Il existe nombre de doctrines sublimes, d’expériences personnelles magnifiques, des êtres pénétrés de charité et pourtant le Malin s’en empare…

Cet évangile ne s’adresse pas aux âmes faibles, pécheresses, il s’adresse aux âmes parfaites, mais imprudentes ou inconscientes, qui n’ont pas pris la précaution de se greffer au Christ, notre Seigneur, de se confier à Lui.

Ah, si vous saviez ! Quand nous communions, même si nous ne ressentons rien, si nous sommes distraits, si nous goûtons en nous qu’un morceau de pain et une goutte de vin, si vous saviez comme à ce moment précis notre chambre cesse d’être vide, si vous découvriez la défaite des esprits mauvais, je ne parle pas des tentations ordinaires, des péchés quotidiens, de la tristesse ou du goût pour les choses terrestres, non ! je parle de l’échec des esprits malins, à la minute de la communion, ils ne peuvent plus rien contre nous, incapables qu’ils sont de nous anéantir, de nous détruire !

En vérité, cet évangile est une prière et un enseignement du Christ : attention ! nous prévient-Il, ne cherchez aucune perfection sans Moi. À la femme qui lui dit: «Heureuse les mamelles qui t’ont allaité»,Il répond :«Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent»(Luc 11, 27-28). Il pense à l’Annonciation. Ève écouta distraitement et fut entraînée dans la chute, Marie, humble et prudente, entend les paroles de Gabriel, les pèse, demande confirmation et, lorsqu’elle est sûre, elle garde la Parole et la porte, devenant le Trône de Dieu : le démon est chassé d’elle pour toujours. Je vous le dis, si vous ne parvenez pas à discerner les esprits malins, tournez-vous vers Marie dans votre hésitation, car la Mère de Dieu a écrasé le serpent, étant en son humilité emplie de l’Esprit-Saint.

Oui, le discernement est terriblement difficile, car l’Esprit malin peut parler de bonté, de charité pendant des mois et des années, il peut prendre la forme d’un ange du ciel. Je vous conterai cette histoire qui s’est passée aux États-Unis, il y a peu de temps. Une femme entendait une voix qui lui parlait toujours de charité et la conduisait dans le bon chemin. Un jour cette voix lui commande le plus grand des sacrifices à offrir à Dieu : tuer ses enfants afin qu’ils aillent au Paradis. La femme continue d’obéir à cette voix qui avait dicté charité et bonté si longtemps ; elle tue ses enfants, puis troublée à l’extrême elle se donne elle-même la mort.

Attention, mes enfants ! Le diable peut parler cent ans, des âges et des âges, avec une voix de lumière, et le dernier ou le cent-et-unième jour, il vous précipitera en enfer. Ne jouez pas avec le feu et la mystique ! L’humanité joue un terrible jeu ; n’oubliez pas que lorsque l’Antéchrist viendra, il accomplira des prodiges, ressuscitera des morts et son évangile préféré sera la charité. Il possède une certaine intelligence… Soyez plus intelligent que lui, confiez-vous au Christ et à l’Église, communiez, greffez-vous par tous les moyens au Verbe de Dieu.

À lui la gloire dans les siècles. Amen !

3èmeDIMANCHE DE CARÊME
L’APPEL DE L’ÉGLISE- Mgr Jean – 1960

A l’approche de la mi-Carême, l’Église appelle à la vraie guerre :la guerre spirituelle. Certes, il existe des guerre entre les peuples, des difficultés familiales, des disputes entre proches, si ces formes de guerres extérieures sévissent, chassant la paix du monde, la cause en est très simple : c’est parce qu’on n’entreprend pas la guerre essentielle. Celui qui lutte contre le démon, apporte la paix ; celui qui chôme ce combat et le déserte qui est nonchalant, non engagé dans la lutte spirituelle à l’intérieur de lui-même, qui oublie cette bataille entre le Christ et Satan, provoque inévitablement, – même s’il est pacifique, très mou, vivant enje-m’enfichiste dans son petit coin – le bouleversement extérieur qui se lève parmi les peuples, les familles, les milieux. Celui-là suscite les jalousies. Pourquoi ? Il excite même la lutte entre deux âmes, deux opinions qui s’affrontent sans parvenir à la victoire. Pourquoi ? Parce que nous ne réalisons pas l’essentiel, et cela se reflète implacablement à l’extérieur. Tandis que l’homme se battant, avec le Christ, contre le diable, ne peut être jaloux ou haïr un autre. Il n’en a pas le temps ! Si, nous avons réellement commencé, avec le Christ, la guerre spirituelle en nous, les images, les grimaces, les caricatures que sont les guerres extérieures, n’auront plus de forces.

N’imaginez surtout pas que les guerres sont engagées par les peuples, les familles, par nos consciences, ou par des personnalités qui désirent uniquement accaparer et tuer. Elles le sont souvent par des êtres pacifiques, désireux de se reposer le dimanche ou par ceux qui cherchent l’argent en vue de leur plaisir, et même par ceux qui aiment sincèrement la paix … mais à leur manière !

La paix véritable est le fruit d’une bataille perpétuelle en Christ, contre le mal qui habiteen nous-mêmes.

L’évangile d’aujourd’hui est, si l’on peut dire, celui d’un maréchal, d’un général, c’est celui du Chef, notre Seigneur ; il nous montre le plan d’attaque et le plan de la victoire.

Voici, il guérit un muet. Les adversaires, les incrédules, les gens qui l’entourent affirment : «C’est par Béelzébul qu’Il chasse les démons», cependant que d’autres acclament le miracle.

Le Verbe pré-éternel, le Créateur qui a fait toutes choses, le Sauveur du monde, le Fils de Dieu réalise un miracle par la puissance de l’Esprit-Saint, tout est admirable, tout est pur, tout est divin… et on l’accuse d’être serviteur du diable ! Qu’est-ce à dire ? On ne fait que renverser les valeurs, mais comment l’exprimer ? on accuse le Christ, le Verbe incarné de quelque chose d’ignoble, d’impensable…

Sous le fouet d’une méchanceté, d’une action injuste, on s’agite, on s’indigne. Dites par exemple à quelqu’un qu’il est criminel il souffrira, il éprouvera une réaction vive. Ici, qu’arrive-t-il ? L’homme atteint l’extrême de l’ignominie, il soupçonne le Christ d’être serviteur du diable : impossible d’aller plus loin dans la calomnie, dans la folie, dans le non-sens ! Que fait le Christ ? Il répond tranquillement : «Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté… si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume subsiste-t-il, puisque vous dites que je chasse les démons par Béelzébul !»

Un soldat désireux d’entrer, avec le Christ, pour le Christ, dans la guerre intérieure contre le mal, se doit d’être bien armé avant tout et bien défendu, d’avoir un casque sur la tête, d’endosser un habillement tel qu’il ne pourra être percé par le feu des mitraillettes ou autres instruments meurtrier… Comment être défendu ?

Par une prompte acquisition de l’indifférence et de la tranquillité sous l’offense, car si une simple offense vous trouble, si une fausseté ou une injustice du dehors vous blesse, votre capacité de combattre est perdue, la blessure est déjà dans votre chair, vous êtes la proie de l’adversaire. Même si l’attaque n’est nullement personnelle mais touche à ce qui est sacré pour vous; mettons un blasphème de la Vierge ou du Christ, de votre religion ou de votre idéal, ou de votre mère, et que vous êtes indigné, vous n’êtes plus un soldat.

Première attitude : gardez cette impassibilité, puis, par des paroles exactes, tranquilles, lancez votre flèche contre l’adversaire, comme le Christ aurait pu le faire. Imaginons un instant disant : «Moi le Verbe, Moi, Dieu, Moi, Votre Sauveur, Je ne Suis qu’un petit serviteur de Satan !… Considérez cela dans le contexte humain: acceptez d’être un criminel, acceptez que votre religion ne vaille rien, etc. Mais que dit ensuite le Christ ? «Si Je Suis le serviteur de Satan et que j’expulse Satan, alors ce royaume est divisé». Quel est le processus spirituel ? «J’écoute, j’écoute toute votre calomnie contre Moi, mais prenez garde, attention, vous vous trompez !

Me comprenez-vous ? Qu’est-ce qui advient ?

Ces personnes qui, face au Christ, ont forgé sous l’inspiration diabolique la plus grande calomnie, la plus grande offense, car offenser dans l’essentiel le Sauveur Jésus est pire que de le crucifier, face à ce Jésus qui accepte, Lui, la blessure, ou plutôt ce « plus qu’une blessure » : que leur arrive-t-il ? Ils voient l’Adversaire confondu, blessé, l’Adversaire est à terre, et non pas leur frère, celui qu’ils ont calomnié. Si, à l’opposé, nous sommes, nous, blessés et témoignons par une réaction profonde, c’est nous qui serons à terre, nous qui serons meurtris. Tel est la première démarche, disons : la préparation militaire, avec le Christ.

Jésus continue : «Mais si c’est par le doigt de Dieu que Je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc jusqu’à vous !» Après la tranquillité devant les offenses et calomnies, la première chose indiquée par le Christ est la confession de la puissance divine. Puis, Il continue pour fortifier les pensées : Si celui qui lutte est plus fort que l’adversaire, bien entendu il sera victorieux; mais qui est ce « plus fort » ? C’est Lui, le Christ. Et qui est le plus faible ? C’est Satan ! Deuxième partie de l’attaque contre Satan : sans le Christ, nous sommes faibles, avec Lui, nous sommes les plus forts. Le Christ a déjà gagné ! Il nous faut continuer cette lutte, considérant toujours que Sa force est supérieure à celle de l’adversaire.

Je veux que chaque âme se pénètre de cette sainte pensée et la retienne.

Voulez-vous la propagation de la paix dans le monde ? Voulez-vous être bienheureux avec votre prochain? Voulez-vous être bienheureux dans votre âme ? N’abandonnez jamais le combat perpétuel en Christ, contre le démon. Que ce combat vous accompagne jusqu’au dernier souffle. Il vous communiquera non seulement cette attitude de paix, mais aussi la puissance joyeuse.

Ainsi est le temps de Carême. J’irai jusqu’à dire : aimez la lutte plutôt que la victoire. Laissez la victoire au Christ, laissez-le être honoré, comme le Chef de notre armée. Aimez surtout être soldat.

Très étrange, mes amis : l’homme qui prend à chaque moment goût au combat intérieur contre le mal, possède la paix ; l’homme qui cherche la paix, son âme se déchire et s’emplit d’angoisse.

Comme dit Jérémie : «Paix, paix, disent-ils, et il n’y a point de paix !» (Jérémie 6, 14). Les guerres extérieures arrivent avec la paix extérieure. Car il existe une loi : ce que nous ne faisons pas consciemment et librement en nous-mêmes, se passe au dehors, contre notre volonté. Amen !