Eugraph Kovalevsky, évêque Jean de Saint-Denis, reconnu saint Jean de Saint-Denis en 2020

Eugraph Kovalevsky, 1905-1970, évêque Jean de Saint-Denis, a été reconnu saint en 2020 par l’Église Catholique Orthodoxe de France à laquelle il a consacré sa vie, œuvrant à la résurgence de l’Église primitive de l’Occident chrétien. Théologien, liturge, iconographe et pasteur exceptionnel, il a professé durant vingt-six ans au sein de l’Institut de Théologie Orthodoxe Français Saint-Denys l’Aréopagite, à Paris, qu’il a fondé en 1944 et dont il était le recteur.

Après avoir pris connaissance de ses travaux théologiques, le Patriarche Alexis de Moscou et de toutes les Russies, et le Synode de l’Église Orthodoxe Russe lui attribuent, le 14 juillet 1952, le titre de docteur en théologie, en même temps qu’à trois autres professeurs de l’Institut Saint-Denys : Néophyte Minezac, Vladimir Lossky et Vladimir Illine.

Sa vie et son destin

Il vécut et eut le destin d’un Père de l’Église, et ce récit est presque une autobiographie. Un jour de l’année 1953, l’archiprêtre Eugraph Kovalevsky, futur évêque de l’Église Catholique Orthodoxe de France sous le nom de Jean, se rendit en pèlerinage, auprès de Notre Dame à Chartres. Il faisait régulièrement cette visite mystique et intime depuis son retour de captivité en Allemagne en 1943. Pourquoi la Vierge de Chartres ? Parce qu’il savait que la Très Sainte Mère de Dieu considère, inspire et favorise le destin de la France depuis ce haut-lieu, dans ce sanctuaire.

Ce jour-là, ce devait être le mois de novembre, il entendit clairement durant sa prière : « Aujourd’hui la vie des nations dans le monde va commencer à changer ! » En homme de discernement, le Père Eugraph demanda aussitôt : « Quelle preuve en aurai-je ? », et vint la réponse : « Tu le sauras en sortant de la Cathédrale. » La prière finie et avec elle le pèlerinage, il sortit par le portail sud. Là, assis sur une marche, un homme tenait un journal où s’étalait le titre énorme de première page : Staline est mort !

Maison ou naquit monseigneur jean

Maison où naquit Eugraph Evgrafovitch Kovalevsky à Saint-Pétersbourg.

Eugraph Evgrafovitch Kovalevsky naquit à Saint-Pétersbourg le dimanche 8 avril 1905 à midi précises, l’apogée du soleil, jour de fête dans l’Église orthodoxe russe, de l’archange Gabriel, le porteur de la Bonne Nouvelle. La famille des Kovalevsky est ukrainienne. Elle est européenne, par goût humaniste et, en même temps, très profondément liée à la vie culturelle, religieuse et politique de la Russie à laquelle elle a donné des gens de lettres, des sociologues, historiens, mathématiciens, militaires, diplomates tel ce Maxime Kovalevsky (1851-1916), historien et sociologue, qui devint membre de l’Académie des sciences morales et politiques françaises. Ce dernier homme de vaste culture et de caractère vigoureux était ami de Karl Marx et de toute une classe politique et savante de France. Inaugurant un jour à Paris avec Paul Painlevé une institution de charité, inauguration qui rassemblait tous les fondateurs, il eut ce mot qui le dépeint :
« Je remercie tout le monde pour l’aide fournie, en particulier les pauvres pour leurs dons et les riches pour leurs bons conseils ! »

Le Christ

Saint Jean l’Evangéliste

Le jeune Eugraph arrive dans un pays qui couve sa révolution et dans une Église, l’Église orthodoxe, qui réforme son enseignement catéchétique et ses constitutions pour écarter le joug exagéré de l’état sur la vie ecclésiale. La nounou de l’enfant, fille d’un diacre, pressent qu’il n’est pas comme les autres enfants. Elle l’emmène dans une église paroissiale le « Sauveur sur le Sang », tandis que ses parents et ses frères fréquentent une communauté mondaine non paroissiale[1]. Il contera ainsi son expérience[2] :

«Je devais avoir entre quatre et cinq ans. C’était une fête ou mon anniversaire, je ne me souviens plus. Mes frères étaient malades, j’étais dans le lit de mes parents. Exceptionnellement, papa avait déposé près du lit des joujoux, mais je vois la chambre s’emplir d’une lumière ineffable qui se condense surtout au-dessus de moi, plus claire et en même temps plus douce que la lumière du soleil. Elle est or, pure, bleuâtre. Cette lumière, je le sais, est sa Présence. Je suis envahi, submergé par un bonheur inexprimable, et je me demande pourquoi le reste existe, pourquoi existent le temps, la vie, les joujoux, car tout est dans cette lumière qui me couvre comme une couverture sans pesanteur, et je me décide à regarder tout ce qui n’est pas Dieu avec bienveillance, sans rien demander, ayant senti la crainte de mépriser le monde. »

L’amour unique de la Sainte Trinité, la bienveillance pour le monde et le service constant de ce monde par l’Église afin d’accomplir son destin selon Dieu seront maintenant les trois vertus dynamiques d’une vie de feu.

L’intériorisation pour retrouver l’intimité divine et pour discerner les voies du Christ devinrent une habitude précoce chez l’enfant.

Il en conçut pour la vie entière la honte de profiter en quoi que ce soit de la création et de la créature et le désir exclusif d’imiter le Créateur vis-à-vis du monde en le servant. Voici son propos[3]:

« Mes deux premières hontes que je n’oubliais jamais furent les suivantes : vers six ou sept ans, je suis à la campagne. Ma nounou (niania) me lave dans une petite baignoire de fer. Les gosses du village sont autour de moi et me regardent. Je leur jette de l’eau à la figure. Ma niania me le reproche et tout à coup j’ai honte, non d’avoir jeté de l’eau mais d’avoir profité de ma situation privilégiée.

Ma deuxième honte: j’ai profité. J’entre dans la salle à manger avec ma bonne. Mes deux frères mangent une crêpe à la confiture. Niania, indignée que je n’aie rien, réclame à mes frères la moitié de leur crêpe. Ainsi ai-je une crêpe entière. J’ai honte ! Je les ai trompés. »

Beaucoup plus tard, devenu évêque, en 1965 un soir d’été au Portugal, au sud de Lisbonne, en vacances, Monseigneur Jean regarde le soleil se coucher sur les eaux de l’océan. Du haut de la falaise le spectacle est sublime. Après dix minutes de silence il dit à ceux qui l’accompagnaient :

«Je suis indigne d’être un homme. Ce coucher de soleil est si beau que j’ai commencé à profiter. Il m’est alors revenu que l’homme n’est pas créé pour profiter de la nature mais pour la cultiver et la libérer. Alors, j’ai dit à l’océan : – Christ est ressuscité ! – Merci m’a-t-il répondu ; voici douze siècles que personne ne m’avait plus dit cela.»

L’Esprit Saint de Dieu se fit le pédagogue de l’enfant comme pour le prophète Elie[4] :

« J’avais onze ans. J’étais assis dans ma chambre. Un étrange et léger sommeil me prit. Dans ce rêve je vis s’élancer du ciel, comme une flèche, un oiseau de feu, les ailes pliées, le bec en avant. Il me blessa le cœur avec son bec. Cette blessure brûlante, contenant une souffrance béatifique et un amour inexprimable est demeurée toute ma vie dans mon cœur. Certes, je l’oublie, mais le moindre rappel la fait revivre. C’est une sensation presque physique. Il y avait des instants où je me demandais pourquoi ma chemise me brûlait. Parfois elle se manifeste comme gémissement ineffable dans le cœur. Sans comprendre ce qu’est le Saint-Esprit, j’ai éprouvé l’évidence qu’il est là, Donateur de l’amour divin à l’homme. Dans mon songe, je fus envahi d’un bonheur tel que je voulus m’emparer de l’oiseau de feu afin de le retenir pour toujours. Dès que je l’eus pris, il devint un oiseau de bois sculpté, à la manière de ceux que fabriquent les artisans russes, et je me réveillais aussitôt. Dieu m’a blessé par sa grâce mais il ne se laisse point posséder. La blessure est restée mais je ne Le possède pas. Je demandais alors au prêtre qui m’enseignait le catéchisme : – Qui est le Pantocrator ? – Le Christ. Je répliquais : – Et le Saint Esprit ? Il s’écria, étonné : – Ah ! Oui. Je repris : – On l’oublie ! Et une bouffée d’angoisse froide entra dans mon âme.»

Eugraph avait aussi honte d’être quelque chose, il voulait toujours être pour quelque chose et jamais il ne se demanda ce qu’il deviendrait[5] :

« J’aimais tous les êtres, je ne me voyais point d’ennemis mais je n’avais confiance en personne. Je n’avais besoin de personne, tout en désirant faire du bien à tous. L’unique refuge où je me sentais à l’abri était la Trinité. Tout me semblait instable, ma vie si courte, le monde si fragile, les êtres si peu existants. Dans la Trinité, je trouvais soudain le sol ferme, quelque chose de réel, d’immédiat qui ne trompe pas, d’inébranlable et je répétais pour ne pas disparaître : Trinité-Unité, mon unique Ami. Je devais avoir dans les dix ans. »

Vierge à l’Enfant

Son éducation fut sévère. Sa mère lui faisait donner, outre la pédagogie à l’école réformée de Saint-Pétersbourg, des leçons de danse, de peinture, de musique et d’harmonie par les meilleurs professeurs et artistes. L’école pour lui était un cauchemar car il ne désirait que créer et sitôt qu’il ne créait pas, la pensée s’arrêtait. Au lieu de faire des études il écrivait des livres concevant que la philosophie étant trop simple, il éprouvait la nostalgie de Dieu, unique refuge en un monde trop vite conquis.

L’an 1917 arrive. Le Tsar Nicolas abdique. L’Église russe réunit un concile à Moscou et le métropolite Tikhon [6], tête de l’Église russe en Amérique du nord, est élu patriarche. La guerre civile est là. La foule crie au nouveau patriarche : «Nous sommes prêts à mourir pour Dieu. » Le patriarche répond : « Il est plus facile de mourir pour Dieu au son des trompettes que de vivre pour Lui ! » Pendant ce temps, Eugraph qui a onze ans fréquente les saints. Avec son frère Maxime [7], il peint chaque jour l’icône du saint du jour et il réalise les 365 icônes. La famine se présente. Eugraph a treize ans et songe : «Est-il possible qu’il existe des pays où l’on mange ?» Une faiblesse permanente s’empare alors de lui et se transformera en fatigue croissante. La famille Kovalevsky quitte Saint-Pétersbourg pour Kharkov en Ukraine où la ville subit le va-et-vient des régimes autonomiste, bolchevique et blanc. La persécution religieuse est effroyable. Avec des moines, Eugraph qui est petit, s’en va tirer les cadavres par la lucarne hors des sous-sol de la Tcheka pour les passer aux moines qui les enterrent.

Épris de prière et de quête de Dieu, l’adolescent (14 ans) quitte sa maison et va habiter au monastère de Pokrov, monastère du Manteau de la Vierge, protégé par son parent le métropolite Antoine de Kiev, grand théologien et restaurateur de la vie monastique en Russie au début du vingtième siècle.

L’archimandrite Raphaël, fils de rabbin, abbé du monastère, l’appelle au bout de quelques jours et lui dit : «Retourne chez toi, viens à l’église, sois un garçon normal, apprends les langues, les cultures, tu n’as pas besoin de nos coutumes. Il y a un pays où les toitures sont plates parce qu’il n’y a pas de neige, c’est là que tu iras. » La première vision de la France en effet où l’émigration devait conduire toute la famille Kovalevsky fut celle de Beaulieu-sur-Mer, près de Nice où les toits sont plats.

L’abbé Raphaël lui communiqua le sens des lettres hébraïques. Comme Eugraph lui disait qu’il ne voulait aimer que Dieu, l’abbé expliqua : « Non, on ne peut pas aimer que Dieu car la Bible commence par la lettre Beth, c’est-à-dire Dieu et ton prochain. Si tu sers ton prochain, Dieu te servira; si tu sers Dieu, ton prochain te servira ; que préfères-tu ? Je préfère servir mon prochain pour que Dieu me serve. » Balloté de la ville à la campagne et vice versa par la guerre civile, Eugraph arrive avec les siens en Crimée, à Simféropol. Il rencontre l’Archevêque Théophane de Poltava (1874-1940)[8]. Celui-ci, véritable père spirituel, « Abba » à l’instar des Pères du Désert, s’entretient toute une nuit avec Eugraph et lui annonce les grandes lignes de sa vie dont voici l’essentiel[9] :

« Chaque fois que tu voudras aller dans le monde, Dieu t’en empêchera. Dieu te donnera des dons immenses, mais tu auras autant de difficultés à t’en servir qu’ils seront grands. Tu rechercheras le port tranquille, mais Dieu te jettera dans la mêlée politique ecclésiastique. Tu te sentiras seul et tu ne trouveras pas de père spirituel pour te guider. Tu seras malmené par la grâce (textuel). Ton martyr sera de souffrir toute ta vie pour la Vérité, non par les gens du dehors mais par les gens de l’Église. Dans les honneurs, sois comme si tu étais dans le déshonneur. »

Émigrée depuis Sébastopol, la famille Kovalevsky atteint en bateau Constantinople où la simplicité des évêques orthodoxes grecs le frappent. On embarque là sur un bateau réquisitionné par la France. A l’escale de Salonique tous rendent visite au métropolite qui bénit le voyage et dit aux enfants :

« Vous allez dans un pays qui n’est pas orthodoxe, mais n’oubliez pas que les Français ont deux qualités : leur âme est orthodoxe et leur esprit aime la liberté du Christ. Ils nous ont donné à nous les Grecs la liberté nationale, et nous n’avons pas su leur donner en retour le goût de la liberté de notre Église. »

En février 1920, la famille arrive en France et s’installe pour commencer à Nice où Eugraph est ordonné, le 18 octobre 1921, lecteur pour l’église russe de la ville. S’il se remet aux études il part aussitôt à la découverte des hauts lieux de France et surtout à la recherche des saints locaux[10].

« Il est nécessaire pour bien comprendre ma mentalité de connaître la psychologie de la culture russe et de sa dualité. Deux tendances se font jour dans la civilisation russe : les « occidentalistes » et les « slavophiles » ».

Les premiers étaient dans l’admiration de l’Occident, les seconds voyaient en l’Occident le danger romain, le danger laïc, le danger athée et recherchaient les valeurs spirituelles dans leur propre culture russe. En général, paradoxalement, les « occidentalistes » étaient très russes et les « slavophiles » de véritables Européens, parlant toutes les langues.

Je détestais le complexe occidental et la Russie des « slavophiles » m’étouffait, bien que reconnaissant la profondeur de leur vision. » Dieu m’ayant placé en France, je voulais, avec la découverte de la sainteté orthodoxe de France donner un coup mortel à ces deux tendances, dire aux « occidentalistes », chercheurs surtout de l’idée du progrès en Occident: non, l’Occident est un pays de sainteté, et aux « slavophiles » prouver qu’il n’y a pas que la Sainte Russie, mais aussi la « Sainte France ». Il faut ajouter que les « occidentalistes » méprisaient l’orthodoxie et que les « slavophiles » la confondaient avec l’expérience russe. Enfin, sans les saints locaux, sans les lieux saints, je ne pouvais respirer. Ils m’étaient aussi nécessaires que l’air et le soleil. » Et il ajoute: «Je peux dire que ma jeunesse s’est passée en pèlerinages et découvertes de la sainteté. Le pèlerinage est chose merveilleuse, le moindre signe sur la route est un langage du ciel. »

Le ciel atteint Eugraph Kovalevsky à Poitiers, quelques années plus tard, pour lui confier sa mission en France. L’événement aura lieu dans l’église de sainte Radegonde, reine de France au VIe siècle. A la recherche de l’iconographie occidentale, le jeune homme s’en vient en l’année 1927 ou 1928 visiter les fresques de l’église Sainte-Radegonde à Poitiers. Dans la crypte de ce sanctuaire, où il était venu en esthète religieux seulement et oublieux de la sainteté, en passant sous le tombeau de la sainte, dans un mélange de joie et de crainte qui ne sont pas de ce monde, il entend : «Je veux que la France devienne orthodoxe», et il reçoit la force pour commencer cette oeuvre. La renaissance de l’orthodoxie en France, la restauration de l’Eglise de France dans l’esprit où elle vécut durant les premiers siècles de sa fondation devient ce jour, à Poitiers, la mission d’Eugraph Kovalevsky, l’œuvre pour le reste de sa vie.

A cette époque va cesser pour lui une cruelle épreuve personnelle et intérieure, probablement placée là pour l’humilier et le rendre ainsi authentique devant la face de Dieu pour ce qu’il lui plaisait de lui faire accomplir. Cette épreuve, l’expérimentation de l’état d’enfer, durait depuis l’âge de quatorze ans et le persécutait sous des formes variées (angoisses, possessions, souffrance de l’âme, pseudo-visions, terreurs et autres choses tout à fait indescriptibles). Une part de l’épreuve venait du refus d’accepter la souffrance dans le chemin du salut des hommes, avec la volonté que ces hommes entrent directement dans la résurrection[11].

«Ma longue expérience se termina ainsi: ayant consenti intérieurement à entrer dans la résurrection par la Croix, je me prosternais devant les icônes en signe d’acceptation. Un jour en me relevant, une croix m’apparut au milieu des icônes (j’étais à Meudon dans ma maison) ; c’était le premier pas vers la libération. Le deuxième plus décisif, se produisit dans l’église de Menton. Je priais saint Séraphin de Sarov[12], voulant me libérer de cet état, une voix intérieure me dit : « Si tu obéis aveuglément, jusqu’au moindre détail, tu seras libéré.» Certes j’acceptais de tout mon cœur. A titre d’épreuve on m’ordonna de me placer au centre de l’église pour prier. Ce simple geste m’apparut d’une extrême difficulté; j’obéis quand même. Je reçus ensuite l’ordre plus « absurde » de commander à une dame que je ne connaissais que de vue, une manche en soie blanche que je porterais un certain temps au bras droit, sous la chemise. Je me rendis chez cette dame, elle accepta de faire cette manche comme si cela était tout naturel. Après cet ordre étrange, je vécus plusieurs semaines dans l’euphorie, chacun de mes gestes soumis à la volonté de saint Séraphin. C’était le début de la libération et l’état d’enfer disparut imperceptiblement et progressivement. En réalité, si j’analyse, cet « absurde » avait tué la racine de mon mot.»

Avec quelques jeunes autres russes émigrés dont Wladimir Lossky[13] Eugraph Kovalevsky a fondé en 1925 une confrérie qu’ils placent sous le patronage de saint Photius, le grand patriarche de l’Église de Constantinople qui fut le savant le plus illustre de son siècle, le neuvième, et qui pensait que l’autorité dans l’Église universelle et les décisions sur les dogmes divins relèvent de la conciliarité («là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, dit le Christ, Je suis présent»). Le but de cette confrérie est de travailler à l’indépendance et à l’universalisme de l’orthodoxie, pensant que «l’unité chrétienne ne peut être atteinte qu’en confessant l’orthodoxie» (citation de W. Lossky).

Dans cette confrérie, née à Paris le 11 février 1925, on étudie le travail ecclésial et paroissial, la défense de l’orthodoxie et la mission de l’orthodoxie. Nommé président d’une province de la confrérie, la province Saint-Irénée de Lyon, Eugraph, qui est en même temps, comme presque tous les confrères, étudiant à l’Institut Saint-Serge (Institut russe de théologie, avec un corps professoral éminent à cette époque) y exprime son souci de l’Église universelle et le but de son action: redonner à l’Occident sa conscience propre au sein de l’universalité de l’orthodoxie. La confrérie de Saint-Photius vivra vingt-cinq années, fermant ses portes un 8 novembre fête de saint Michel archange au calendrier oriental. Le fruit principal de ses travaux, grâce à l’ardeur et à l’application d’Eugraph Kovalevsky, sera de donner des principes à la naissance d’une Église orthodoxe d’Occident et de lui fournir des matériaux théologiques, liturgiques et canoniques. Avec cela l’exode des Russes en Europe prend tout son sens. Comme le dira plus tard, en 1964, l’archevêque Jean de San Francisco qui sacrera évêque Eugraph Kovalevsky, Dieu a permis l’émigration des Russes orthodoxes et de beaucoup des plus affermis d’entre eux dans la foi et dans la tradition de l’Église afin de communiquer à l’Occident les fondements et les goûts de l’orthodoxie. Agissant alors avec zèle pour la maison de Dieu dans cette «Sainte France» où l’Esprit l’a conduit, Eugraph ne songe qu’au bien-être spirituel des autres. Il devient le serviteur des prêtres qu’il accompagne en mission. Il prépare les bagages, dispose ce qu’il faut pour la messe, chante, lit, visite les malades, boit, mange avec eux, parfois ne boit ni ne mange et se retrouve solitaire dans une ville de province, accepte tous les déplacements, ne passe plus aucune fête en famille ni avec ses amis, mais refuse à plusieurs reprises le diaconat et la prêtrise. Il ne veut pas être prêtre dans une paroisse russe, ni dans une paroisse française de rite oriental. Son but, bien qu’il n’ait pas encore adopté une forme définitive, est de faire surgir du sol et du milieu français une Eglise de foi orthodoxe et d’expérience occidentale surtout dans les formes rituelles et canoniques. Comme laïc, il accepte alors de s’occuper d’une paroisse française naissante, de rite oriental et, selon son expression, de lui donner un coup de main. Cette paroisse est fondée le 3 novembre 1927. Le futur évêque Jean de Saint-Denis écrira[14] : « Et le 11 novembre 1927, fête de ce grand saint Martin que l’histoire de l’orthodoxie en France retrouve à tous les carrefours, le premier service divin est célébré en langue française et la paroisse est reconnue par le métropolite. » Il dira plus tard en contant sa vie[15] :

« Il ne s’agissait point (dans les travaux de recherche sur l’orthodoxie en Occident) d’une quelconque tolérance de telle ou telle coutume, mais de la restauration dans l’orthodoxie universelle du visage légitime, immortel et orthodoxe de l’Occident. C’était mon Credo.

Il ne suffisait pas non plus de rester amateur de la tradition occidentale en la regardant avec des yeux d’oriental, il fallait se plonger dans son courant. Ce plongeon est beaucoup plus difficile qu’il ne semble superficiellement. Soudé depuis son enfance au rythme sacré de la Sainte Russie, attaché presque biologiquement au Typicon, c’est-à-dire au rituel monastique, ce fut pour moi un effort ascétique, un genre d’exode. Du pays de mes pères je partais pour m’installer dans un autre climat. Un Occidental, même un moine, n’imagine pas à quel point la liturgie saisit entièrement un Oriental. La moindre mélodie, la moindre parole, le moindre geste, les moindres rites ou coutumes, jusqu’au changement du menu de la nourriture, évoquent en lui tout un monde.

Mon cas était accentué du fait que je vivais dans l’Église, dans la liturgie qui n’est pas une piété intellectuelle mais populaire et monastique. La chaleur que dégage le rite oriental, sa richesse, empêche d’apprécier la valeur inestimable du rite occidental, surtout sous la forme romaine actuelle. Ce fut un long travail. J’apprenais la messe romaine par cœur. J’assistais aux cérémonies, je lisais le bréviaire, je laissais le latin pénétrer en mon âme. Souvent l’appel de l’Orient était si fort que j’étais contraint de lutter psychologiquement avec moi-même, car pour aimer quelque chose il faut renoncer à autre chose. Les premières paroles de l’homme furent : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme ». Je devais abandonner mon père et ma mère pour aller vers le rite Occidental.

D’où me vint cette conviction? Comme je l’ai dit, je crois, en 1919, avant de prendre le bateau pour la France, deux idées s’étaient imposées à mon esprit. Dieu a voulu l’émigration orthodoxe en Europe afin qu’elle apporte la lumière de l’orthodoxie qui durant mille ans s’est désintéressée de l’Occident. Deux sentiments aigus m’animent: la splendeur de l’orthodoxie et le péché des orthodoxes avec leur indifférence vis-à-vis des autres peuples, ou plutôt leur satisfaction statique. Ce péché est lavé par le martyre de la Russie et la mission des orthodoxes en Occident. Je n’avais point changé. »

Le Père Lev Gillet

En ce même temps, Eugraph Kovalevsky fréquente le milieu intellectuel français où Jacques Maritain, proche du domicile de ses parents, rassemble des hommes tels que Gabriel Marcel, Emmanuel Mounier, Jean Cocteau et Daniel Rops[16].

«Le cercle Maritain m’ouvre les portes des milieux intellectuels catholiques romains, ainsi que les milieux artistiques, surréalistes, symbolistes… La culture russe prérévolutionnaire avait préparé ma sensibilité et je pus goûter et apprécier ces tendances diverses… Jean Cocteau se convertit… Nombre d’entre eux, Cocteau en tête, me témoignent de l’amitié et de la sympathie. Je les frôle, je les comprends, j’échappe à leur influence car la seule réalité ecclésiale m’attire». Et surtout[17], «en plus du cercle Mounier, je fréquente d’autres groupes, par exemple celui de Nicolas Berdiaeff où pour la première fois se réalise une rencontre œcuménique de catholiques, protestants et orthodoxes.

Dès la première réunion, le dominicain est en accord avec le calviniste Lecerf et le soi-disant moderniste, le Père Laberthonnière, avec le luthérien Jundt.

Ces rencontres de caractère œcuménique m’apportent la compréhension de la pensée des chrétiens d’Occident en même temps qu’elles font ressortir que le problème romano-protestant est un problème intérieur, celui de deux fils de la scolastique du Moyen Age. L’orthodoxie apparaît bien différente, en son essence, des deux grandes confessions!

La tragédie de ma situation est dans le fait que mes confrères orthodoxes confondent la scolastique moyenâgeuse avec ces deux grandes confessions et que les Occidentaux, tout en appréciant l’orthodoxie, me traitent en représentant de la psychologie orientale.

Ce sera la lutte de toute ma vie: prouver que l’orthodoxie occidentale existe et que l’Occident en son instinct est orthodoxe. Lorsque ensuite j’amènerai Wladimir Lossky de la philosophie à la théologie, je transposerai pour lui la pensée de Tertullien : l’âme d’un homme est naturellement chrétienne, l’âme d’un Occidental est naturellement orthodoxe. Auprès du monde intellectuel[18], Dieu me conduit vers la vie des ouvriers en France, car j’accompagne les prêtres dans les usines pour servir et chanter : Colombelles, Tourcoing, Le Creusot, Montargis, etc. Nombre d’ouvriers russes y travaillent par contrats. Mais Dieu me rapprochera encore plus du peuple de France lors de ma captivité de trois ans dans un camp de prisonniers français en Allemagne.»

Eugraph s’éloigne progressivement de l’émigration russe et de ses troubles calqués sur les querelles politiques, partagée entre progressistes et réactionnaires. Il s’attache à faire renaître une Eglise française mais, dans la tourmente des options russes orthodoxes en France, ses positions et ses rapports sont reçus sans grand intérêt. Et là[19] :

« Je voulais confesser que les frontières politiques ne peuvent briser l’Église et que nul régime ne peut lier la conscience libre d’un évêque.

Je disais à cette époque: le Christ devant Pilate, le juge, gardait la plénitude de la double liberté : celle de la volonté divine et celle de la volonté de l’homme.

Je n’agissais pas par amour de la Sainte Russie mais par amour violent de l’Église du Christ, indépendante de toute circonstance historique».

Partant de la gauche : Mgr Germain et Mgr Jean

L’année 1936 est un tournant définitif de l’existence d’Eugraph Kovalevsky. Il va rencontrer celui qu’il cherchait sans le connaître : monseigneur Winnaert. Ce dernier, venu de l’Eglise romaine où il était prêtre, avait fondé une
« Église Catholique Évangélique de France». L’homme et son Église évoluaient, depuis 1919, sans le savoir vers l’orthodoxie. Enracinés dans la tradition et le sol chrétien de la France, ils étaient pris d’une crise de conscience aiguë sur la nature de l’Église et sur le contenu de la foi. Le contexte du début du XXe siècle ne donnait aucune réponse à leur quête. Aussi évoluaient-ils auprès des Églises de ce temps, aptes à écouter tous ceux qui, comme eux-mêmes, cherchaient aussi où pouvait bien résider le prophétisme chrétien. Sur son chemin, monseigneur Louis-Charles Winnaert rencontra Emmanuel Mounier, l’admirable pasteur Wilfried Monod… jusqu’au jour où un prêtre orthodoxe venu lui de l’Eglise de Rome, le Père Gillet, lui révèle le contenu de la foi et de l’ecclésiologie orthodoxes. Ce jour-là, il s’écrie: «je suis orthodoxe» et l’Esprit Saint de Dieu le met en relation avec Eugraph Kovalevsky qui écrira de lui[20]:

«Monseigneur Winnaert ne fut jamais un historien, ni un liturge archéologue tel que les bénédictins; il n’éditait point de volumes comme Wladimir Guettée[21]. Tout cela était loin de son tempérament et hors de sa mission. Il lisait dans le regard, plus porté vers l’avenir que vers le passé. Il était poussé vers les hommes, vers la vie et non vers les textes et les documents savants. Pasteur avant tout, désireux de sauver les âmes en péril, il cherchait à faire renaître l’orthodoxie en Occident. Il aimait de tout son être la liturgie, la situant au centre de la vie chrétienne et son esprit s’élevait fréquemment vers la théologie. Lorsqu’il voulut extirper des âmes de leur prison théosophique afin de les restituer à l’Église, il s’éleva dogmatiquement et avec brusquerie contre leur doctrine, mais… introduisit en son office des éléments de leur prière conformes au christianisme, remplaçant par exemple le terme « péché » par le mot « égarement ». Sa liturgie adoptait un caractère d’enseignement. Cela rappelle plutôt les œuvres des Pères de l’Église. »

En ce temps (1936) réside à Moscou un saint et prophète: le métropolite Serge qui préside au destin et au martyre de l’Eglise orthodoxe russe. Serge «le Grand» est «locum-tenens» du patriarche. Staline acceptera plus tard qu’il soit élevé au patriarcat.

Eugraph Kovalevsky, mu par son universalisme chrétien et par le commandement ecclésial reçu de sainte Radegonde, reconnaît en Monseigneur Winnaert et en ses communautés «le peuple» d’Occident qui s’avance vers l’orthodoxie de la foi et vers la restauration des Églises de ce même Occident dans l’esprit de l’Église primitive. Les deux hommes sollicitent l’aide du métropolite Serge à Moscou, c’est-à-dire de l’Église patriarcale russe. L’esprit prophétique du futur patriarche adopte la question et, après trois mois d’étude seulement, arrive à Paris la décision historique (décret du 16 juin 1936, n° 75) :

« … Les paroisses réunies à l’Église orthodoxe, se servant du rite occidental, seront désignées comme ÉGLISE ORTHODOXE OCCIDENTALE … »

Remplaçant du locus-tenens du patriarche.

Signé : Serge, métropolite de Moscou.

L’un des plus grands événements de ce siècle vient de se produire et, comme toujours dans un christianisme naissant ou renaissant, presque à l’insu du monde obsédé de politique et presque à l’insu, également, des responsables religieux de l’époque.

L’Église orthodoxe d’Occident rejaillit du sol après un millénaire souterrain, aidée en cela par les Russes, par ceux qui se firent baptiser au temps même où cette Église commençait sa carrière souterraine (fin du Xe siècle) laissant la place à l’Église de Rome.

Alors tout va très vite, tout se précipite comme il en fut de la vie du Christ après des millénaires d’attente. Eugraph Kovalevsky est ordonné prêtre par le métropolite Eleuthère qui représente en France le patriarcat de Moscou et sa première célébration liturgique, le dimanche 7 mars 1937, est celle de l’enterrement de monseigneur Winnaert. Le nouveau père Eugraph avait accepté quelques jours auparavant de devenir responsable de l’Église d’Occident. De cette transmission extrême on retiendra l’analogie avec Moïse qui meurt aux abords de la Terre promise laissant à Josué de conduire le peuple à travers le Jourdain, ou encore l’analogie de Jean-Baptiste qui disparaît soudainement dès que le Christ eût dit aux disciples du Précurseur : « les aveugles voient, les boiteux marchent ».

Un prêtre russe écrit au père Eugraph[22] :

« Vous comprendrez mieux que moi tout le poids de la responsabilité qui vous incombe. Des briques que vous poserez, lors de la construction du bâtiment, résidera toute la solidité. Soyez attentif sur les détails. Mon rôle est petit et temporaire, alors que vous portez la responsabilité depuis de longues années et peut-être sera-ce toute votre vie. Je vous écris cela parce que je viens de ressentir de façon particulièrement aiguë l’effroi de la responsabilité devant le Saint-Esprit, dirigeant de l’Église … »[23]

Le père Eugraph définit alors sa conception de l’effort de construction qui commence[24] :

« La grâce est belle et facile, mais elle est belle partout, facile dans l’Eglise orthodoxe. Ayez confiance en Dieu et la grâce sera belle, facile et durable, et, peu à peu, la grâce remplacera nos passions qui ne sont que grimaces. Les passions ont toujours soif et elles sont affamées, mais elles ne seront jamais rassasiées; la grâce rassasie plus que nous ne l’attendons. Vous écrivez : « Dieu nous demande un grand acte de confiance ». Non, Dieu qui nous a tiré du néant ne peut nous demander rien de grand. Il ne peut demander le « grand » à une poussière. Dieu nous aime comme Il aime chacun de nous. N’oubliez pas qu’Il est le Bon Samaritain. »

Il fonde un journal de théologie, de liturgie et de spiritualité, les « Cahiers Saint-Irénée» où il résume tout son enseignement à venir: «Les trois grands messages de l’orthodoxie sont :

1) la religion avant tout force vitale : le Saint-Esprit dans le monde ;

2) la lutte, non contre les mœurs mais contre la mort spirituelle. L’homme est jugé surtout selon son cœur plus que selon ses actes ;

3) l’Église, enfin, est l’unité de tous, la Vérité révélée est donnée en possession à tous, aux simples comme aux intelligents, aux petits comme aux grands.

Le Saint-Esprit, l’homme, l’Eglise. »[25]

Une anecdote de 1938 fonde bien les capacités du prêtre. Réuni avec quelques intellectuels, dont Drieu-la-Rochelle, dans un café proche de la place de la Concorde, le père Eugraph se fait reprocher d’être «planqué» en tant qu’il est ecclésiastique. Puis on passe aux prévisions sur la guerre qui approche. Il dit soudainement : « Vous vous trompez entièrement car c’est justement parce que je suis prêtre, donc chargé de libérer des hommes de tout joug, que je me trouve parmi vous. Sans cela, selon mon tempérament, vous ne me verriez pas. Et puis, quant à la guerre, elle n’aura pas lieu !» Ayant prononcé ces quelques mots il se tut, entra en lui-même et vit clairement et contradictoirement que la guerre était imminente et certaine. Il en conclut que son âme ne voulait pas la guerre et que son esprit la discernait sans ombre. Cette distinction entre l’âme et l’esprit fut l’un des centres de son enseignement qui dépistait et détruisait les confusions si préjudiciables à l’existence quotidienne. Le Christ ne dit-il pas : «Mon âme est triste à mourir» et ailleurs «Père, je remets mon esprit entre tes mains» ?

Le caractère homéopathique de l’Eglise orthodoxe occidentale à cette époque, il ne devait pas y avoir plus de cinquante fidèles orthodoxes, oblige le père Eugraph à travailler pour le futur, en bâtissant sur la force de Dieu pour ce qui est «l’œuvre la plus grande de notre époque» et qui se nomme l’incarnation de l’orthodoxie en Occident. L’instrument privilégié de la vie ecclésiale, dans l’Eglise de tous les temps et dans le cœur du père Eugraph, est le rite, la liturgie.

Aussi va-t-il donner son attention et son génie à l’élaboration de cet instrument qu’est la prière liturgique pour la louange divine dans la bouche des Français et des autres Occidentaux. Le 25 août 1939, le métropolite Serge de Moscou intervient dans cette oeuvre et écrit[26] : «…Le rite occidental qui est admis chez nous doit être considéré comme une première expérience… si un groupe quelconque s’adressait à nous pour nous soumettre une version plus parfaite de la liturgie occidentale, il n’y aurait aucune raison pour nous empêcher de l’accepter… Il faut seulement que cette nouvelle rédaction… s’en tienne clairement à une authentique tradition de l’Eglise, tradition gallicane pour la France, une autre pour d’autres peuples, sans exclure la tradition romaine avec des modifications… » Cette directive suit exactement le travail du père Eugraph.

Le 3 septembre 1939, la guerre est là, le père Eugraph est mobilisé et[27] « l’orthodoxie occidentale endosse un uniforme de pionnier de deuxième classe ». La construction de l’Église orthodoxe de France s’arrête et une période nouvelle commence, celle du «petit père» aux armées. Car tel est le nom que lui donneront ses camarades soldats, et prisonniers plus tard, au sein d’une extraordinaire popularité. Il écrit[28] :

« Je ne dirai pas que je vois l’Église comme une « caserne universelle » mais il y a pas mal de choses à apprendre dans la vie militaire, moralement: fraternité simple, authentique et non « mes chers frères et sœurs » avant la quête, collectivité, solidarité et non la bousculade vers son propre salut, absence d’hypocrisie. Ce sont quelques éléments… Prions pour la paix, mais aussi afin que ces précieux éléments de l’esprit de l’armée s’infiltrent dans les paroisses et chez les hommes d’Église. »

Mais il continue de porter l’Église-à-venir en son sein comme une femme enceinte et à la préparer[29:

« Vous avez une conception romantique de l’Église-société, socialo-idéaliste. Combattez en vous cette erreur car nous devons la combattre chez les autres. Il existe deux erreurs en France: le pessimisme de la Reforme et du romanisme du Concile de Trente : nature corrompue, ténèbres, et la réaction de la Renaissance jusqu’au XXe siècle, caractérisée, selon la définition d’Ernest Seillière « par sa psychologie, très exagérément optimiste de la nature humaine » : Rousseau, puis le XIXe siècle, le libéralisme. L’orthodoxie nie et la première et la seconde. La première, séparant Dieu et l’homme, le fait trop transcendant ; la seconde déifie à thèse l’homme, le blanchit. Le vrai est que l’homme, de nature souvent noir, bien noir, cache pourtant dans ses ténèbres la lumière divine quand même. A travers la poussière, on arrive à percevoir le chef-d’œuvre éternel. Tel est l’équilibre de l’orthodoxie, sa force. »

Fait prisonnier le père Eugraph est mis au stalag IV B. Il écrit[30] : « Les années de captivité sont parmi les plus belles de ma vie. Vie de monastère et possibilité de contemplation. Aucun souci, nourri, logé, entouré de camaraderie, des heures de paix, car il est facile pour moi de m’abstraire dans une baraque. Quand on est deux cents, on est seul. » Et là, au camp, il compose la messe dans son cœur dont voici un court extrait[31] :

« …J’ai demandé pardon et Dieu m’a pardonné mais sous condition que j’exprime le désir de réveiller mon âme.

… Oh! la Vérité, Tu es une flèche qui sort directement de mon cœur, une flèche bien visée, qui frappe le centre, s’enfonce quelques secondes et s’arrête net, et reste là.

… Oh ! Le Feu de la Charité, Tu es comme un cheval plein d’audace qui m’emporte. Cheval rouge avec des ailes rouges, il est rapide comme la lumière, où il passe le feu prend, l’incendie grandit, les bêtes sauvages s’enfuient, les singes d’hérésies par milliers sautent d’une branche à l’autre pour faillir en poussant des cris ridicules.

… L’orthodoxie c’est l’incendie universel de la charité. »

Le père Eugraph passera volontairement du camp des prisonniers français au camp de prisonniers russes soviétiques plus durement traités par les Allemands. Il sera libéré le 13 octobre 1943 et rentre à Paris sans avoir prévenu, retour ainsi conté par son frère Maxime »[32] : «Un soir on sonne. Nous étions déjà couchés. J’ouvre et me trouve en face de mon frère. La rencontre était tellement inattendue que nous ne la réalisâmes pas. Ma mère demanda même : « C’est Eugraph ? Il rentre aujourd’hui plus tôt qu’à l’ordinaire. » Mon frère, en effet, rentrait toujours si tard qu’on l’avait surnommé à Meudon où nous habitions : « celui qui rentre le lendemain », c’est-à-dire par le dernier train. Ce n’est que quelques minutes après que nous comprîmes que c’était le retour du prisonnier, après la si longue absence. »

Retrouvant les quelques orthodoxes français emplis d’espérance dans la reconstruction de leur Eglise antique, le père Eugraph se remet à l’œuvre. Il veut acquérir et construire une liturgie occidentale et ouvrir une école universitaire de théologie[33] : «La liturgie n’est pas seulement le fruit de recherches historiques, elle est surtout la vie même du peuple orthodoxe. Où était-il ce peuple orthodoxe occidental dont la foule compacte et la prière ardente soutiendraient les travailleurs ?… Seules trois femmes étaient restées à leur poste… Les premiers pas du centre liturgique furent donc pétris d’humilité.» Ce travail aboutira dès l’année 1945, le dimanche 7 octobre, à la première célébration de la «Sainte Liturgie» selon l’ancien rite des Gaules. Avec l’aide des recherches faites par la confrérie de Saint-Photius et des liturges et érudits contemporains de l’Eglise de Rome au rang desquels on compte le père Lambert Bauduin, fondateur du monastère de l’Unité à Amay-sur-Meuse en Belgique[34], avec l’aide de toutes les générations de liturges qui depuis le IXe siècle avaient voulu conserver la mémoire et les documents de la liturgie ancienne née et célébrée sur ce sol de France, avec l’aide enfin de l’expérience de la louange dans l’Eglise orthodoxe russe et de son génie liturgique, le père Eugraph, après d’immenses travaux, redonne à l’Eglise orthodoxe de France sa liturgie antique, sa colonne vertébrale et son souffle personnel, la liturgie selon saint Germain de Paris[35]. Cette liturgie touche l’esprit français car elle rétablit le pont mystérieux et divin entre l’Occident et l’Orient. Depuis cette date de l’an 1945 l’ancien rite des Gaules est célébré dans les paroisses de l’Eglise orthodoxe occidentale en France, en Belgique, en Suisse, en Espagne, en Allemagne et dans les deux Amériques, du Nord et du Sud, au fur et à mesure de la création de ces communautés. Cette œuvre exceptionnelle est unanimement saluée maintenant par les orthodoxes orientaux comme authentique et salutaire et par ceux auxquels elle s’adresse, les orthodoxes occidentaux, comme nourriture essentielle issue du rite «paneuropéen» célébré jusqu’au temps de Charlemagne sous les noms de rites milanais, gallicans, wisigothiques, celtiques, à l’exclusion du rite romain célébré seulement à Rome et dans ses environs.

L’école de théologie ouvrira ses portes le 15 novembre 1944 sous le nom d’Institut Saint-Denis car les premiers cours y sont donnés par le père Eugraph sur l’œuvre du «divin Denis», saint Denis l’Aréopagite, et par Wladimir Lossky bientôt connu comme théologien qui expose «la théologie de la Lumière». Cette école, selon le désir formel de son saint fondateur, le père Eugraph, est un lieu de rayonnement orthodoxe et simultanément d’accueil des traditions catholique et protestante. Elle complète et enrichit l’enseignement patristique et orthodoxe dispensé depuis 1925 par l’Institut russe Saint-Serge, montrant que l’orthodoxie présente un intérêt pour tous les milieux. Le philosophe chrétien, Gabriel Marcel, devient administrateur de cette école et le restera jusqu’à sa mort déclarant publiquement en 1964, lors du vingtième anniversaire de l’Institut Saint-Denis, qu’il eut sérieusement envisagé d’adhérer à la foi orthodoxe s’il en avait été averti plus jeune. L’Institut vit depuis quarante-cinq ans, on y enseigne la théologie selon la vraie tradition à la base des cinq orientations initiales :

Orthodoxie et non orientalisme,

Occident sans compromis,

Reconnaissance envers les Eglises protectrices, russe et roumaine,

Reconnaissance envers Monseigneur Winnaert et ses travailleurs

Organisation à caractère dynamique-apostolique.

En s’attelant à la tâche gigantesque et indubitablement divine pour son coeur de réimplanter l’esprit et l’Eglise antique d’Occident dans les conditionnements contemporains, le père Eugraph doit pénétrer les couches vivantes et les couches mortes de la civilisation européenne. Il écrira à François Mauriac en avril 1945 à travers le journal Carrefour une réponse à son «Bilan de Pâques» de très grand intérêt[36] :

«Au nom de cette justice qui vous est chère, je me sens obligé de vous dire que vous ne l’avez point saisie cette fois dans votre « Bilan de Pâques ». Vous ne l’avez point saisie parce que vous n’avez pas vu juste et, ce qui est lourd de conséquences, vous n’avez pas vu juste l’œuvre totale du Christ dans le monde moderne. Je m’explique.

Vous basez votre « Bilan de Pâques » sur l’opposition chrétienne « miséricordieuse » et « la justice minutieuse », « enfant pour enfant », selon votre propre expression, avec des mots remplis de force vous tracez devant nous le tableau tragique de l’Allemagne qui, par sa propre volonté, par sa propre doctrine, appelle sur elle « du tombeau et des décombres », non plus « le Ressuscité doux et calme » mais un dieu de vengeance. Qui pourrait vous contredire! Mais ensuite vous distribuez les rôles aux nations et aux cultures du monde moderne, confiant aux unes le rôle de vengeance, aux autres le rôle du pardon. Ce partage vous le faites, géographiquement, entre le monde occidental et l’Europe orientale et, historiquement, entre la paix de 1918 et celle de 1945. Dans ce partage du monde, consciemment ou inconsciemment, je ne sais, vous ignorez un tiers duchristianisme: l’Eglise orthodoxe, et vous parlez de l’humanité comme si l’Eglise orthodoxe n’existait pas, comme si elle n’était pas là, présente aux événements, comme si elle n’était pas vigilante, forte, rayonnante au milieu de la fournaise des bouleversements universels. Si encore vous opposiez l’Eglise romaine, en tant que fils de cette Eglise, à tout ce qui est hors d’elle, votre position serait compréhensible, mais vous parlez du christianisme total. Et dans ce christianisme total, la partie peut-être la plus significative et la plus influente de notre époque, la plus ancienne et authentiquement apostolique, la partie qui ne cesse de donner des pléiades de saints et de martyrs, obligeant les athées à respecter l’Eglise du Christ, vous ne l’avez même pas envisagée. Et ce qui est plus paradoxal encore, c’est que vous commettez cet oubli dans le «Bilan de Pâques». Parmi les peuples du monde, ceux de l’Union Soviétique sont les plus imprégnés de l’esprit pascal, les plus soulevés par l’élan du pardon.

Vous ne connaissez pas, je le constate hélas, l’historique de l’Eglise orthodoxe; vous paraissez ignorer aussi celle des civilisations par excellence orthodoxes: mais vous ne pouvez, vous, écrivain moderne, ignorer la littérature russe et nier son empreinte profonde de la morale chrétienne, de l’esprit de pardon. C’est sa raison d’être. Vous me répondrez que vous parlez de la Russie révolutionnaire, athée. Pouvez-vous penser un instant que l’ouvre de dix-neuf siècles de l’Eglise puisse s’effacer en quelques années? Vous-même reconnaissiez dans les laïcs acharnés de la Troisième République l’empreinte de la morale humanitaire, chrétienne. Alors, pourquoi refuseriez-vous cette empreinte à la Russie de la révolution bolchevique? Uniquement, je le crains, par un étrange aveuglement qui vous fait oublier l’existence même de l’Eglise orthodoxe. Laissez-moi, Monsieur Mauriac, vous conter un fait historique, chargé de symbole, que vous ne connaissez certainement pas. Au commencement de la révolution, un concile local, afin de souligner parallèlement à l’évolution sociale et économique l’évolution spirituelle en Russie, décidait de fêter tous les saints russes le deuxième dimanche après la Pentecôte. L’Allemagne nazie attaqua l’Union Soviétique le 21 juin 1941. Elle ne savait pas que c’était précisément la fête de tous les saints; en attaquant la matière, elle rencontrait l’esprit.

C’est pourquoi votre grave oubli déforme votre jugement du monde actuel. Je ne me permettrai pas dans cette réponse à votre article, que ma conscience et mon respect pour vous m’ont obligés d’écrire, d’analyser les conséquences de cet oubli. Je vous dirai simplement : ne regrettez pas l’esprit « commercial et pacifique » et les illusions de 1918. Le monde après 1945, peut devenir plus chrétien qu’il ne l’était auparavant, mais à une seule condition : celle de ne plus ignorer l’existence de l’Eglise orthodoxe universelle et, au contraire, de puiser en elle les forces du Saint-Esprit, de boire à ses sources inépuisables de miséricorde. »

Comment ne pas voir à travers cette lettre et en un temps où l’état de l’Union Soviétique fait appel à l’aide de l’Eglise orthodoxe russe, l’esprit prophétique du père Eugraph. Il voit déjà l’accumulation du trésor d’énergie spirituelle, gagnée par les martyrs russes, qui va, à l’instar des martyrs de l’Eglise primitive avec l’Empire romain, obliger l’Empire soviétique à demander de l’aide pour résoudre la fin de la tyrannie et transformer la vie publique. Tel est l’impact civilisateur de l’Eglise lorsqu’elle accomplit, ne serait-ce qu’un peu, le programme évangélique : «Aimez vos ennemis. »

Dans l’effort de reconquête de l’esprit de l’Eglise pour l’Occident et de sa liturgie, le père Eugraph Kovalevsky met au cœur ce qu’il appellera la«Bataille de Pâques». Doté d’un christianisme un peu trop doloriste, plus moral pour le peuple que vital pour le cœur de l’homme, l’Occident chrétien a oublié que l’Eglise et le monde débouchent, après l’épreuve de la croix et de la mort, sur la résurrection. L’apport de la joie pascale parfaite à l’Occident devait être effectué afin de rendre à son christianisme la plénitude de son dynamisme apostolique. Alors le père Eugraph, avec ses collaborateurs les plus proches, rénove la liturgie pascale et propose à nouveau aux couches vivantes de l’Eglise, aux fidèles, l’allégresse profonde et la joie de la résurrection. Après quelques hésitations, le nouveau peuple orthodoxe français adopte le rythme pascal, imite le peuple orthodoxe russe, et s’émerveille du Ressuscité en disant et chantant durant quarante jours, de Pâques à l’Ascension: «Christ est ressuscité, en vérité, il est ressuscité ! » Extraordinaire embrasement et embrassement de la Pâque.

Sous la protection de l’Eglise russe patriarcale et avec l’activité «de feu» de l’archiprêtre Eugraph Kovalevsky, l’Eglise orthodoxe de France et d’Occident apprend l’orthodoxie et forge son expérience spirituelle. Comme il n’y a pas d’Eglise sans l’évêque, l’épiscopat se profile pour celui qui est l’âme de ce mouvement. Dans la ligne de l’évêque Théophane de Poltava qui prédit au jeune Eugraph encore en Russie sa destinée, un autre évêque russe, en exil à Bruxelles, Alexandre, qui est devenu son père spirituel, lui prédit encore que telle est sa place. Cette prédiction est faite aux alentours de l’an 1950 et renouvelée ensuite en des temps où l’archiprêtre Eugraph commence à douter de lui-même. Ce doute vient en conséquence d’une violente persécution provoquée par des clercs et des fidèles de l’Eglise russe patriarcale de Paris. Criblé par ces critiques à base noble, puisqu’elles veulent résorber le milieu orthodoxe occidental naissant dans le grand corps traditionnel russe, le père Eugraph pense qu’il doit se retirer, n’étant pas à la place voulue par Dieu, et céder la tête de la mission à plus digne que lui. L’archevêque Alexandre qui a vu clairement la volonté divine le persuade de n’en rien faire. Curieusement pour la date, le 14 juillet 1952, le saint synode de l’Eglise russe décerne au père Eugraph le titre de docteur en théologie.

Voici venu le temps de la rupture, la première, dure épreuve pour un archiprêtre légitimiste et attaché à l’obéissance. Pour préserver l’identité et la vérité de la petite Eglise occidentale orthodoxe, il faut se détacher de l’Eglise patriarcale russe. Le patriarche Serge est mort et le père Eugraph, condamné par le nouveau patriarche Alexis, explique, le 25 janvier 1953, à son clergé et à son conseil[37] :

« Depuis 1925, je me suis consacré à la renaissance de l’Eglise orthodoxe d’Occident. Son but est de renouveler le monde et le christianisme. Je crois en son avenir et lui serai fidèle jusqu’à la mort… J’ai lutté souvent pour vous afin de donner des bases saines à l’orthodoxie occidentale et permettre son développement. Je n’ai jamais flanché. Toutes mes tentatives ont échoué. Je garde une immense reconnaissance au patriarcat de Moscou où je suis né et qui, en la personne du patriarche Serge a prophétiquement vu l’orthodoxie occidentale, mais je constate que le patriarcat de Moscou a perdu la grâce d’aider. Son œuvre en Russie est splendide, en Occident, il n’a pas compris. Pendant plusieurs années, j’ai vécu dans une équivoque qui m’a lourdement pesé. J’avais compris que l’orthodoxie occidentale avait besoin d’un chef et j’ai accepté pleinement d’être moralement son chef et son père avec toutes les responsabilités que cela comportait. J’ai lutté pour cela mais on ne peut lutter pour soi-même. J’ai souffert terriblement de cette fausse note. Il est impossible, même par devoir, de travailler à être chef Et cette fausse note éclatait aussi dans l’œuvre. Je semblais tout faire pour être chef !…»

Le père Eugraph se retire comme il lui est demandé. Mais, avec lui, le clergé et les fidèles de la mission occidentale quittent aussi le patriarcat de Moscou. Au cours d’un voyage destiné en 1954 à trouver une nouvelle Eglise protectrice, le père Eugraph visite Assise et prie dans la basilique qui enferme la Portioncule où saint François commença sa lutte spirituelle. Il écrivit alors[38] :

« L’essentiel de la vie chrétienne est de dégager l’obéissance comme un pur point géométrique. Et voici, la Portioncule est ce pur point géométrique, point orthodoxe d’intimité avec Dieu, d’abandon total à celui qui nous possède et nous traverse. Il suffit qu’un esprit, qu’une âme lui obéisse pour que des milliers d’êtres et de peuples accourent et, éblouis, construisent une médiocre basilique pour sauvegarder cette obéissance. Le saint est le soleil où se rassemblent tous les obscurs rayons humains. Il brille d’une manière personnelle, unique, mais leur offre la possibilité de briller eux aussi. »

Cet amour des saints, qui lui est nécessaire autant que le soleil et la lumière, n’empêche pas le père Eugraph d’apprécier toute l’humanité et d’en discerner les contours à la manière d’un Père de l’Eglise[39] :

« Il y a trois étapes dans la vie spirituelle: celle des serfs qui sont mus par la crainte, préoccupés sans cesse du « faste » et du « néfaste »; celle des serviteurs qui cherchent la récompense, les dons, la perfection, les puissances, qui sont avides de richesses métaphysiques, et celle des fils qui se tiennent dans la louange désintéressée de Dieu. Ces derniers aiment l’élan eucharistique de la liturgie; en s’oubliant, ils agissent liturgiquement, c’est-à-dire en commun. Dans l’Eglise tous ont leur place, aussi bien les serfs que les serviteurs; elle soutient les premiers et enrichit les seconds, mais elle est heureuse avec ceux qui savent être en liesse devant la face du Très-Haut. »

Quatre années vont passer et, en 1957, l’archiprêtre Eugraph va rencontrer un archevêque russe, émigré et membre du synode des évêques russes en émigration, synode connu sous le nom d’Eglise russe hors-frontières. Cet archevêque est Jean de Chang-hai, maintenant connu sous le nom de Jean de San Francisco et qui sera prochainement glorifié, canonisé.

Monseigneur Jean célébrant à la cathédrale
Saint-Irénée

Ce Jean[40] :

« est petit, laid, négligé et il bafouille, les chinois communistes l’ayant blessé à la bouche d’un coup de crosse. Son patron est saint Jean de Tobolsk. Il arrive de Shanghai. Les chinois du peuple disent de lui :  » Maintenant que le petit homme est parti, nous aurons des ennuis « , et son supérieur, le métropolite Anastase de l’Eglise Russe Hors-Frontières (résidant à New York) l’a nommé archevêque de France et de Bruxelles.

Trois choses frappent lorsqu’on le voit la première fois: son klobouk, c’est-à-dire sa coiffe noire de moine, enfoncé sur sa tête, avec un voile long qui semble tomber jusqu’aux pieds, ses grands yeux songeurs qui regardent attentivement et ses pieds nus, hiver comme été. Il se tient légèrement penché en avant… nous apprenons plus tard qu’il se penche légèrement parce qu’il porte sous sa soutane un sac de terre sainte.

Prière perpétuelle, il ne dort plus depuis des années, vivant dans une cellule sans lit… Pour lui la journée de 24 heures, c’est 24 heures de prière et il donne tout naturellement des rendez-vous à minuit ou à trois heures du matin. Rien ne lui fait abandonner une action lorsqu’il juge qu’elle est voulue par Dieu.

Né sur terre en 1896, « né au ciel » en 1966, il est issu de la noblesse du gouvernement de Kharkov. A l’âge de 38 ans il est sacré évêque par le métropolite Antoine (Khrapovitsky) à Belgrade et envoyé en Chine. Le métropolite Antoine lui dit : « Il faut que je te sacre car si je ne le fais pas, tu es si humble que personne ne le fera » et sa lettre de recommandation aux Russes de Chang-hai est ainsi conçue : `Je vous envoie l’évêque Jean comme si je vous envoyais mon cœur et mon âme. Il est un miracle de stabilité ascétique. « Après la deuxième guerre mondiale, chassé de Chine par les communistes chinois et ne voulant pas laisser aux mains de ces derniers les jeunes gens de l’école qu’il a fondée à Chang-hai, il les emmène avec lui aux Etats-Unis. Le bateau est bloqué dans le port et les autorités veulent le refouler avec son chargement humain. L’archevêque Jean obtient un délai de trois jours. Il se rend à Washington où, ne pouvant rencontrer les personnalités susceptibles de l’aider, il s’assied sur les marches du Congrès et attend des heures en silence, égrenant son chapelet. Les Américains, ahuris par cette étrange vision, finissent par le convoquer, l’écouter, et accordent aux enfants l’entrée du pays. »

Tel est l’homme qui, projeté en Orient puis en Occident comme le père Eugraph, va comprendre ce dernier et faire reprendre et bénir par l’Eglise russe hors-frontières ce qui avait été commencé et béni par l’Eglise de Moscou. L’Eglise orthodoxe de France est reçue dans l’obédience russe hors-frontières avec un statut d’autonomie; l’archevêque Jean sera son protecteur et le 11 novembre 1964, jour de la fête de saint Martin l’apôtre des Gaules, il sacre évêque le père Eugraph à San Francisco, où l’archevêque Jean a été nommé. Le nouvel évêque reçoit le nom de Jean, du patronyme de saint Jean de Cronstadt, prêtre de l’Eglise patriarcale russe né au ciel le 20 décembre 1908 et qui fut un thaumaturge prodigieux, tout en desservant la cathédrale Saint-André de Cronstadt (faubourg de Saint Petersbourg). Et comme l’évêque est l’évêque d’un lieu ce sera la ville de Saint-Denis, près de Paris, qui n’a pas à cette date d’évêché romain qu’on attribuera à Monseigneur Jean. De San Francisco, à la veille de son sacre, le père Eugraph écrit à son troupeau de Paris[41] :

«Je suis comme un poisson jeté sur la rive, loin de vous. Cette paroisse de Saint-Irénée à Paris est « moi », si loin de moi; j’ai suspendu ma harpeet mon âme pleure d’être séparée de ma Jérusalem! Je me sens veuf, mutilé. L’unique consolation est que je suis venu ici pour le bien de notre aimée Eglise de France. L’Amérique est un pays plein d’intérêt, New York aussi. Tous les peuples sont des enfants de Dieu, toutes les villes ont leurs anges. Le milieu synodal est aimable, sympathique, mais je suis venu dans le monde non pour eux mais pour vous. Chaque jour, je suis l’invité personnel du métropolite Anastase qui mange à part. Comme un ivrogne qui attend l’eau de vie, j’attends le jour de mon retour… »

Ce même métropolite Anastase lui portera ce toast prophétique[42] : «… par votre sacre, Monsieur l’Archiprêtre, l’Eglise russe hors frontières ne crée pas un nouveau diocèse, ni même une nouvelle province ecclésiastique, elle a l’insigne honneur de devenir la source d’une nouvelle Eglise et de participer à la renaissance de l’ancienne Eglise orthodoxe de France. »

Sacre de Mgr Jean par le saint archevêque Jean de San-Francisco

L’archevêque Jean, consécrateur avec l’évêque roumain Théophile, lui remet la crosse et lui dit brièvement[43] :

« Tu as fait la mission selon les paroles : « Allez, enseignez toutes les nations ». Le peuple français sera dans la joie, mais tu rencontreras des difficultés, car la haine est grande. Tu dois être prudent, tu ne tiens pas assez compte des faibles auxquels on ne donne que du lait. Aujourd’hui, saint Martin est fête de toute la France. Saint Irénée est ton protecteur par la sûreté de la doctrine. Tu es entouré de saint Jean de Cronstadt, de saint Nectaire d’Egine[44], mais souviens-toi aussi du métropolite Antoine de Kiev, ton parent, à l’âme universelle, et fais ce qu’il ferait à ta place. »

Une prophétie s’est accomplie : l’Eglise orthodoxe de France a jailli d’une source canonique pure au sein de l’opposition et des troubles. Après trois années d’épiscopat, un jour de 1967, l’évêque Jean de Saint-Denis parlera ainsi de l’évêque à la réunion de son clergé[45] :

«Je suis le seul évêque parmi vous et je ne vous ai pas encore parlé du ministère de l’épiscopat… Le sacre épiscopal lui-même m’a moins ébranlé que la prêtrise. Lorsque je fus ordonné prêtre, il y a plus de trente ans, je ressentis une puissante lumière incréée pénétrer mon âme. Mon sacre épiscopal se passa plus insensiblement. Cela peut être expliqué par le fait que depuis longtemps déjà j’étais appelé à agir comme évêque élu, prenant toute la responsabilité de l’évêque, sans être encore sacré. Le sacre fut comme une reconnaissance du fait charismatique. Si le sacre lui-même ne me procura pas dans l’immédiat une sensation forte et palpable, je dois reconnaître que plus j’avance en mon ministère épiscopal et plus je constate en moi un changement radical, ne provenant nullement de mes qualités ou de mon effort personnel et subjectif mais d’une réalité qui me dépasse, qui s’est introduite en moi objectivement, agit et me transforme.

Je constate tout d’abord qu’en dépit de mes efforts pour demeurer tel que je suis, une puissance, un pouvoir incontestable, quasi absolus, me sont donnés. Mais ce pouvoir ne m’est pas communiqué en tant que personnalité morale, Jean-Evgraph Kovalevsky, mais en tant que j’agis comme évêque. Elle s’impose, on ne peut que s’incliner. Pourtant, je me sens spontanément plus limité dans mes démarches personnelles et inspirées, m’inscrivant dans l’épiscopat universel, devenant membre organique, fraternel du collège apostolique. Je suis plus le porte-parole de l’Eglise entière de tous les temps et de tout lieu et, dans l’Eglise, de l’épiscopat, que le « prophète » d’inspiration individuelle, ceci non en vertu de la position sociale de l’évêque ou par prudence politique, mais par une nécessité toute intérieure qui me transforme et « m’épiscopalise ». Ainsi je discerne son double caractère complémentaire: d’une part, un pouvoir presque absolu et, d’autre part, sa soudure et sa limitation dans le contexte de l’Eglise et de la succession apostolique universelle. Le caractère de ce pouvoir épiscopal ou apostolique, est inséparable du service des autres. C’est un diaconat plénier. On se tromperait si l’on supposait que l’évêque n’est que le serviteur des âmes qui lui sont confiées. Il est le serviteur de toute l’humanité. Son cœur saigne pour les fidèles et les infidèles de son pays et des pays éloignés. S’il n’agit pas universellement ce n’est que respect fraternel des autres frères évêques. Il se limite volontairement ayant conscience de n’être qu’une partie du tout. Il n’est pas « Évêque », il est un des évêques, il n’est qu’un représentant de l’Eglise.

Mgr Jean, dans ce café près de l’église Sainte Radegonde à Poitiers a noté sur un carnet sa rencontre avec sainte Radegonde

Lorsque je devins évêque, un mystère se révéla à moi pendant la divine liturgie: il consiste en ce que l’unité de l’Eglise est exprimée d’une manière réelle par la triade: le pain, la coupe, l’évêque. Le pain et la coupe qui doivent être transformés, par la volonté du Père, les paroles du Christ et la puissance de l’Esprit, en corps et en sang de Notre Seigneur, et l’épiscopat qui, par l’obéissance à l’Eglise le reconnaissant comme source des sacrements et bénédiction (image du Père), par l’évangile du Christ correctement prêché par l’évêque, et par l’appel du Saint-Esprit sur l’évêque, par les fidèles, unifie, sanctifie le corps de l’Eglise. Cette triade, le pain, la coupe, l’évêque, forme sacramentellement l’authenticité de l’Eglise elle-même, construisant le corps du Christ qui remplit tout en tous.

Avant mon sacre, j’ignorais vitalement cette valeur de l’épiscopat. Tel est mon témoignage sincère, celui d’un évêque, pouvant servir à la méditation, témoignage vécu et icône intellectuelle apprise par l’expérience. »

L’évêque Jean disait volontiers que le Christ a apporté deux choses nouvelles dans le monde: une manière nouvelle de penser et l’épiscopat. Il fut l’icône vivante de cette double nouveauté et il put, par là même, susciter cet événement unique de la renaissance de l’Eglise orthodoxe d’Occident. Cette œuvre fut chèrement acquise et l’amena physiquement épuisé au seuil de la mort.

L’archevêque Jean de San Francisco étant mort en 1966, ses successeurs n’héritèrent pas de sa sainteté et se liguèrent contre l’Eglise orthodoxe occidentale, comme l’avait fait, en 1952, la représentation en France de l’Eglise russe patriarcale. Il fallut une deuxième fois rompre avec l’Eglise protectrice afin de préserver l’identité de la nouvelle née. Cette deuxième rupture provoqua un tel désordre dans le troupeau même de l’évêque Jean de Saint-Denis qu’elle fut la pire épreuve de sa vie et hâta sa fin.

En 1967, un nouveau frère à l’esprit prophétique se présenta en la personne du patriarche Justinien, patriarche de l’Eglise orthodoxe de Roumanie. Il était trop tard pour mener à terme la discussion sur l’Eglise d’Occident, mais il était temps encore pour être reçu et s’entendre dire :«Je reçois en votre Eminence non pas un évêque seulement mais le chef d’une Eglise» (Propos du Patriarche Justinien, tenu à Bucarest en avril 1967, et rapporté par les prêtres qui accompagnaient l’évêque Jean lors de sa visite).

Liturge jusqu’à son dernier souffle, comme son maître le Christ, l’évêque Jean de Saint-Denis naquit au ciel un vendredi à 15 heures. C’était le 30 janvier 1970, jour de la fête des trois saints Docteurs de l’Orient, ses compagnons de toujours, saint Jean Chrysostome, saint Basile le Grand et saint Grégoire de Nazianze.

Une œuvre immense est inaugurée par celui qui fut prédestiné depuis la Russie à vivifier le christianisme trop vespéral de l’Occident au XXesiècle. Liturge, théologien, canoniste, iconographe, l’évêque Jean fut aussi peintre, musicien, mathématicien. Tous ces dons extraordinaires eurent effectivement le plus grand mal à s’exprimer mais ils furent efficaces en ce lieu géométrique : la France, et en son cœur, Paris.

L’écrivain poète et philosophe allemand, Heinrich Heine, dit excellemment qu’un génie est souvent un homme individuellement quelconque dont les œuvres sont grandes, tandis qu’un saint est un homme très supérieur à ses œuvres, même grandes. Il en va ainsi de l’évêque Jean.

L’Église du Christ est destinée à « faire des saints ». Lorsqu’elle y parvient elle est justifiée et elle donne de nouveaux soleils au monde ; lorsqu’elle faillit, elle ouvre les abîmes à ceux qui n’en ont déjà que trop. Monseigneur Jean de Saint-Denis a, par sa vie et son œuvre inscrite au cœur de la tradition et en conformité avec les Pères de l’Église, ouvert à l’Occident un lieu et un champ d’activité pour la sainteté, même celle des évêques.

La longue cohorte des vivants et des défunts de l’Église chante au Seigneur l’hymne trois fois sainte et vivifie la terre d’Occident où un fils de l’Église d’Orient a créé pour beaucoup la possibilité de briller aussi parmi les saints.

Monseigneur Germain, archevêque de Saint-Denis.

[1] Vincent Bourne, La Divine Contradiction, tome 1, Paris, Librairie des Cinq Continents, 1975, p. 20.

[2] Op. cit., p. 21.

[3] Op. cit., p. 22.

[4] Op. cit., p. 26.

[5] Op. cit., p. 28.

[6] Canonisé par l’Eglise russe durant l’été de 1989.

[7] Mathématicien, liturge et musicien-musicologue, né au ciel le 13 juin 1987 à Rambouillet.

[8] Emigré en Bulgarie puis en France, il est enterré à Limeray (Indre-et-Loire).

[9] Op. cit., p. 50.

[10] Op. cit., p. 60.

[11] Op. cit., p. 75.

[12] Moine russe du XVIIIe siècle. Il avait acquis l’Esprit Saint.

[13] Théologien éminent (1903-1958), auteur d’un livre intitulé «Théologie mystique de l’Eglise d’Orient» qui exprime avec clarté la foi des Eglises orthodoxes.

[14] Op. cit., p. 96.

[15] Op. cit., p. 100.

[16] Op. cit., p. 106.

[17] Op. cit., p. 107.

[18] Op. cit., p. 108.

[19] Op. cit., p. 124.

[20] Op. cit., p. 139.

[21] Aimé-Wladimir Guettée (1816-1892). Théologien et historien français qui devint prêtre orthodoxe en 1861.

[22] Michel Belsky, le 25 janvier 1937.

[23] Op. cit., p. 158.

[24] Op. cit., p. 160.

[25] Op. cit., p. 173.

[26] Op. cit., p. 189.

[27] Op. cit., p. 192.

[28] Op. cit., p. 198.

[29] Op. cit., p. 199.

[30] Op. cit., p. 208.

[31] Op. cit., p. 216.

[32] Op. cit., p. 238.

[33] Vincent Bourne, La Divine Contradiction, tome 2, Présence Orthodoxe, Paris, 1978, p. 8.

[34] Cette fondation est maintenant établie à Chèvetogne en Belgique.

[35] Saint Germain, évêque de Paris (+ 576) et liturge qui décrit la liturgie de son temps dans deux lettres copiées en manuscrit et conservées à la bibliothèque d’Autun.

[36] Op. cit., p. 32.

[37] Op. cit., p. 137.

[38] Op. cit., p. 224.

[39] Op. cit., p. 232.

[40] Op. cit., p. 260.

[41] Op. cit., p. 339.

[42] Op. cit., p. 340.

[43] Op. cit., p. 356.

[44] Saint de l’Eglise grecque né au ciel en 1920, canonisé en 1961.

[45] Op. cit., p. 414.

Quelques oeuvres de Monseigneur Jean

  • La Sainte Messe selon l’ancien rite des Gaules ou Liturgie selon S. Germain de Paris. Paris, Editions orthodoxes Saint Irénée, 1956, 32-xxiv pp.
  • Le canon eucharistique de l’ancien rite des Gaules. Paris, Editions orthodoxes Saint Irénée, 1957, 144 pp.
  • Homélies. Quelques enseignements spirituels donnés en l’Eglise Saint Irénée par l’archiprêtre E. Kovalevsky. Paris, Editions des Cahiers Saint Irénée, 2 vol.

    – fascicule 1 : 1er tirage, 1956, 54 pp.
    – fascicule 2 : s. d., [c. 1958], 48 pp.

  • Message de Noël. Conférence donnée le 23 décembre 1956 par l’archiprêtre E. Kovalevsky à l’Hôtel des Sociétés savantes. Paris, Ed. des Cahiers Saint Irénée, s.d., [1957], 12 pp.

  • Orthodoxie et tradition française. Dogmes. Spiritualité. Histoire. (en collaboration avec I. WINNAERT, G. BORNAND ; P. KOVALEVSKY, L. OUSPENSKY ; P. SOPHRONY, E. BEHR-SIGEL ; L. GILLET, J. BALZON, et al.). Paris, Editions Enotikon, 1957, i + 36 + 32 + 40 + 32 pp. [extraits de divers ouvrages et revues, dontContacts (1955-59), Dieu vivant (1948), Bulletin de la paroisse française Sainte-Geneviève (1928), etc.]
  • Pierre et Paul. Leur signification. Leur place dans la tradition chrétienne catholique orthodoxe. Paris, Ed. des Cahiers Saint Irénée, s.d. [après 1957], 10 pp.
  • Quarante Degrés ou quarante Immolatio de Carême. Paris, Ed. des Cahiers Saint Irénée, s.d., [1957], 34 pp. ; réédition, Paris, Centre Orthodoxe d’Edition et de Diffusion, 1992, 28 pp.
  • La Sainte Messe selon St Germain de Paris et le chant des fidèles. Paris, Eglise Catholique Orthodoxe de France, 1970, 91 pp.
  • Initiation à la Genèse. Paris, Présence Orthodoxe, 1971, 192 pp.
  • Technique de la prière. Paris, Présence Orthodoxe, 1971, 218 pp. 5ème édition, Paris, Editions Eugraph, 1992, ix-214 pp, 1f n. ch., [Œuvres complètes, t. 4].
  • Le chemin de la vie et la destinée de l’âme après la mort. Paris, Présence Orthodoxe, 1974, 22 pp.
  • Ezéchiel. Paris, Présence orthodoxe, 1974, 118 pp.
  • Le mystère des origines. Paris, Editions Friant, 1981, 226 pp.
  • Initiation trinitaire. Paris, Editions Friant, 1982, 250 pp.
  • La liturgie céleste. Paris, Editions Friant, 1982, 234 pp.
  • Marie, Vierge et Mère. Paris, Editions Friant, 1982, 216 pp.
  • Les chemins de l’homme. Paris, Editions Friant, 1982, 181 pp.
  • Le Verbe incarné. Paris, Patrimoine Orthodoxe, 1985, 224 pp.
  • La quête de l’Esprit. Préface d’Annick de Souzenelle. Paris, Albin Michel, 1993, 248 pp.
  • Le sens de l’exode. Textes choisis et présentés par Alphonse et Rachel Goettmann. Gorze, Editions Béthanie, 1990, 150 pp., ill.
  • Le carême. Paris, Association Eugraph Kovalevsky, 1990, viii-197 pp. [Œuvres complètes, t. 1].
  • Le pouvoir souverain dans l’Eglise. Pouvoir d’économie divine (Essai exégétique sur Jean 20, 19 à 23). Composition actuelle de l’Eglise orthodoxe. Paris, Centre Orthodoxe d’Edition et de Diffusion, s. d., 32 pp.