Liturgie gallicane

LA DIVINE LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
OU ANCIEN RITE DES GAULES

Depuis plus de soixante-dix ans une communauté de chrétiens orthodoxes d’origine française célèbre, au sein même de l’Église orthodoxe universelle et en vertu du principe de la diversité dans l’unité, une liturgie eucharistique de type occidental connue sous le nom de “Liturgie selon saint Germain de Paris”. Cette liturgie fait revivre les usages vénérables de l’Église gallo-franque du Vème au VIIIème siècle, en accord avec les nombreux témoins écrits de cette époque dont le principal, l’Exposition de la Liturgie Gallicane ou Lettres de Saint Germain de Paris, a fourni le patronage éponyme. Ce texte, rédigé probablement avant 576, décrit la liturgie eucharistique telle qu’elle était célébrée en Gaule et dans la plus grande partie de l’Europe occidentale au VIème siècle et sans aucun doute déjà au siècle précédent. Ce rite représente, selon le mot de Maxime Kovalevsky, le fond initial de la piété européenne.

Bien que sa structure soit celle de toutes les liturgies chrétiennes anciennes cette messe se distingue à la fois de la messe romaine et des liturgies orientales (avec lesquelles elle a de nombreux traits communs) par certains caractères spécifiques : la référence répétée au Livre de l’Apocalypse ‘en particulier aux hymnes qu’il contient), l’insistance sur la théologie eschatologique, la place des diptyques (liste des vivants et des défunts pour qui l’on offre le sacrifice), la persistance de la lecture prophétique (très tôt disparue dans les autres rites) et la variabilité des textes du propre.

Maxime Kovalevsky (1902-1988)

Pour élaborer en français les chants de la liturgie orthodoxe selon l’ancien rite des Gaules restauré, Maxime Kovalevsky (1903-1988) a utilisé la technique formulaire traditionnelle des anciens hymnographes. De ses recherches il avait déduit que, dans les grandes traditions chrétiennes, les compositions liturgiques sont toutes fondées sur les mêmes principes, et que leurs différences d’expression musicale sont dues en grande partie aux différences linguistiques. C’est donc à partir des tons ecclésiastiques grégoriens ou vieux russes qu’il a articulé les lignes mélodiques de ses compositions du cycle liturgique, construites en polyphonie a capella comme le veut la tradition orthodoxe.

Introduction

L’Église orthodoxe transmet son enseignement à travers la splendeur de la liturgie, qui est le mémorial de l’œuvre du Christ et de l’Esprit Saint dans le monde, et récapitule toute l’économie du salut.

L’assemblée eucharistique est le centre de la vie ecclésiale. La Divine Liturgie, célébration des Mystères, rassemble le Peuple de Dieu. “A cette action commune qu’est la liturgie, le fidèle n’est pas appelé à assister en spectateur passif, mais il est invité au contraire à y œuvrer activement, dans la plénitude de tout son être” (Maxime Kovalevsky – cf. : Publications ).

Liturgie selon Saint-Germain de Paris

Au début de leur œuvre de restauration, les théologiens et les liturgistes de l’Église Catholique Orthodoxe de France furent confrontés au problème du rite. En effet, pour les orthodoxes d’Orient, le rite byzantin est le seul utilisé, bien qu’ils reconnaissent la légitimité d’autres rites. Pour les théologiens liturgistes de l’Église de France, le rite se devait d’être occidental. de même que son calendrier liturgique (grégorien) qui mentionne les saints occidentaux ayant vécu avant le grand schisme, ainsi que les saints de l’Église orthodoxe universelle. Ils recherchèrent les traces du passé occidental de l’Église indivise, et y trouvèrent les éléments nécessaires. Maxime Kovalevsky, liturgiste et musicologue, entreprit une étude des principes d’élaboration des chants liturgiques chrétiens traditionnels – byzantin, slaves, grégorien – et mit en évidence leurs principes communs de composition qui ont pour base les mêmes considérations d’ordre spirituel. Le chant grégorien étant né du verbe latin, ses recherches l’amenèrent tout naturellement à reprendre les formules qu’il adapta, pour la liturgie et les offices, à la ligne mélodique et au rythme de la langue française elle-même issue du latin. La découverte au XVIIème siècle des Lettres de saint Germain de Paris (VIème siècle) et les travaux qui suivirent aux XVIIIème et XIXème siècles, furent une base de travail pour la restauration et la mise en valeur de l’ancien rite en usage dans l’Église des Gaules avant les réformes carolingiennes. Cette liturgie restaurée, dite “selon saint Germain de Paris“, est célébrée depuis 1944 dans l’Église Catholique Orthodoxe de France. Elle appartient à la fois au patrimoine de l’Église indivise et de l’Occident, et répond au principe de la catholicité orthodoxe : “Unité du dogme dans la diversité des Églises locales” (cf. Justifications – Textes relatifs à la liturgie ; Publications).

Année liturgique

L’année liturgique est une période de douze mois qui évoque les événements principaux de la vie du Christ et de la Théotokos, l’économie de notre salut, la vie des saints, etc. Elle comporte :

. un cycle de fêtes célébrées à dates fixes, selon le calendrier solaire (Annonciation, Noël,

Baptême du Christ, Dormition et Assomption de la Théotokos. fête des saints, etc.) ;

. un cycle de fêtes aux dates variables, selon le calendrier lunaire (Pâques, Ascension,

Pentecôte, etc.), déterminées par la date de Pâques qui est fixée au premier dimanche après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps.

QUELQUES NOTES SUR LA LITURGIE GALLICANE
VERS LE
VIe SIÈCLE

Professeur I.D. STEFANESCO.

Présence Orthodoxe n° 18 – 1972

Ces quelques pages en annoncent d’autres. Tout d’abord, nous devons signaler qu’elles sont extraites d’un ouvrage du Professeur Stefanesco, édité à Athènes en français, ouvrage dans lequel l’auteur étudie des monuments religieux de Roumanie, du XIIIe et XIVe siècles, dont la décoration s’inspire des textes et des rites de la Liturgie Gallicane : cet ouvrage est paru en 1967, sous le titre « Byzance, Orient, Art d’Occident. L’illustration des Liturgies : la Liturgie Gallicane ».

Par ailleurs, l’équipe de Présence Orthodoxe entreprend en ce moment de présenter et de traduire des textes de Saint Germain de Paris et de Saint Fortunat qui ont joué un rôle important dans la célébration moderne de l’antique rite des Gaules.

La parution de ces textes est actuellement prévue à partir du n° 20.

Nous remercions le Professeur Stefanesco, qui nous a déjà donné à l’Institut Saint Denys, une série de conférences très suivies, d’avoir bien voulu mettre gracieusement ses travaux à notre disposition.

La Liturgie Gallicane est le rite occidental le plus ancien et, dans un sens, le plus intéressant, des considérations scientifiques fort importantes assignant à la liturgie romaine une place à part.

Apparenté de près au rite mozarabe d’Espagne et au rite ambroisien de Milan, il a été celui de l’église de Paris au VIe siècle et, très probablement avant cette date. On le retrouve dans le rite romain qui le supplanta. D’origine et d’inspiration orientales, il fut introduit en Occident au IVe siècle, à Milan en premier lieu[1]. Il s’étendit ensuite au Nord de l’Italie, en Gaule et en Espagne, en Bretagne et en Irlande. Des monuments illustrés révèlent l’usage du rite gallican dans la région du Danube, au Sud-ouest de la Transylvanie. Ils forment une découverte de date récente et vont nous occuper ici.

Les sources de nos connaissances sur la liturgie gallicane sont formées par ce qu’on a appelé les Lettres de saint Germain de Paris[2], conservées la Bibliothèque Municipale d’Autun sous le titre d’Expositio brevis antiquae liturgiae Gallicanae. Mgr Duchesne s’en est servi, en premier lieu, et les a confrontées avec les livres mozarabiques, les livres liturgiques de la Gaule mérovingienne, de la Bretagne et de l’Italie du Nord. Il est arrivé à donner l’idée d’une liturgie pontificale au VIe siècle à Milan, Arles, Tolède et Paris[3].

La Liturgie des Catéchumènes débute par la préparation spirituelle du prêtre et la préparation des oblats, qui se passent avant l’entrée du pontife, avec des rites et des prières conservées en partie dans les livres irlandais et, dans le détail, au missel mozarabique. Nous y découvrons une pièce de chant nommée « Ingressa » exécutée par le chœur, une oraison secrète du prêtre, le baiser de l’autel et l’encensement de celui-ci.

L’entrée de l’évêque officiant et son salut aux fidèles précèdent les cantiques d’ouverture et les lectures ; ces dernières sont suivies de l’homélie, de la litanie diaconale et de l’oraison de l’évêque. Le renvoi des catéchumènes marque la fin de cette première partie.

L’entrée de l’évêque officiant se fait au chant d’une antiphone qui correspondrait au « monogénis » des liturgies byzantines, et comporte quelques versets de psaumes. Le monogénis est un hymne de gloire qui s’adresse à Jésus-Christ. Son contenu dogmatique prononcé affirme l’incarnation du Verbe, la virginité de Marie et l’égalité des trois hypostases de la Sainte Trinité. L’antiphone gallicane est, par contre, un chant processionnel. En efïet, les exécutants sont des concélébrants ; ils accompagnent l’évêque et marchent devant lui, à l’image des patriarches ayant annoncé la venue du Christ. Le salut de l’évêque consiste dans les mots : « Dominus sit semper vobiscum »[4].

Les cantiques d’ouverture sont au nombre de trois : le Trisagion, le Kyrie Eleison et le Benedictus. Le premier nous reporte à Byzance : les rites mozarabique et ambrosien le remplacent par le Gloria in Excelsis du rite romain. Il est chanté par l’évêque successivement en grec et en latin. Le Kyrie Eleison précède la « Prophétie ». C’est le cantique de Zacharie qui, rempli de l’Esprit Saint, prophétisa et chanta :

« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’Il a visité et racheté son peuple… »

Pendant le Carême, à Paris et ailleurs, le Trisagion et la Prophétie étaient remplacés par le cantique « Sanctus Deus archangelorum ». La Prophétie était suivie d’une « Collectio ».

Les lectures étaient au nombre de trois : « Lectio prophetica », tirée de l’Ancien Testament, l’Epître (les Epîtres apostoliques et les Actes des Apôtres) et l’Evangile. « Lectio prophetica » comportait des passages des prophètes ou des livres historiques. Au temps pascal, on choisissait un passage de l’Apocalypse. Les jours de commémoration des martyrs et des saints, on lisait le récit de leur vie. Les deux premières lectures étaient suivies du cantique des Trois Jeunes Gens dans la fournaise, appelé Benedictio :

« Tu es béni Seigneur, Dieu de nos pères, Digne d’être loué, glorifié et exalté à jamais »[5].

Benedictio prenait place dans la liturgie mérovingienne, après l’épître ; dans la liturgie mozarabique, elle sépare la première de la seconde lecture. La lecture de l’Evangile, précédée et suivie du Trisagion, comporte l’usage de sept cierges allumés qui sont : « les sept dons de l’Esprit Saint » : « vel veteris legis lumina mysterio crucis confixa ascendens in tribunal analogii ». L’homélie se place à ce moment et précède la litanie diaconale qui comporte des invocations suivies de la réponse Kyrie Eleison entonnée parles assistants. On prie pour l’Eglise et son chef, l’Empereur et sa famille, la paix des Eglises, la fécondité de la terre, les vierges, les veuves, les orphelins, pour ceux qui naviguent sur mer, les détenus, etc. Il est intéressant de remarquer que toute cette première partie de la liturgie gallicane rappelle l’ordre des prières et les rites des liturgies byzantines. La litanie diaconale occupe la même place dans toutes ces liturgies et a le même contenu et le même accent. Le pontifie prononce la «Collectio post precem» : c’est la prière secrète de la supplication continue des liturgies byzantines. Elle précède le renvoi des catéchumènes, qui semble unesimple formalité, dès le IVesiècle.

La Liturgie des Fidèles comporte des rites et des prières. Les premiers sont : la procession des oblats, la lecture des diptyques, le baiser de paix, la fraction du pain et la communion. Les secondes comprennent : la prière du voile, « collectio post nomina, collectio ad pacem », la prière eucharistique, l’épiclèse, la bénédiction et l’action de grâces.

La procession des oblats correspond à la grande Entrée des liturgies byzantines. L’oblation a été préparée avant l’entrée du pontife[6]. Elle comprend « en figure » le corps et le sang du Sauveur et on lui rend par prolepse, c’est-à-dire à la fois par anticipation et par généralisation, les mêmes honneurs qu’après l’Epiclèse. Le saint pain est contenu dans un vase en forme de tour[7], le saint vin mêlé d’eau dans un calice. Pendant les prières de consécration, le saint pain est posé sur la patène. L’autel est tendu d’un voile en toile de lin, « palla corporalis ». Un second voile, tissé de soie et d’or et enrichi de pierres précieuses, couvre les oblats. Un troisième voile, tissu de lin et de laine, semble avoir recouvert le voile de soie qui touchait seul aux oblats : il était de forme arrondie et rappelait la tunique du Christ. La procession se déroulait de la sacristie à l’autel, en passant par l’église, au chant d’un « sonus » appelé « Laudes » ou « Antiphona post evangelium ». Au moment où les oblats sont déposés sur l’autel et recouverts, le chœur entonne le triple alléluia qui rappelle la Nativité du Christ et la rédemption. Le « sonus » nous reporte au chant du cheroubicon des liturgies byzantines, qui comporte aussi le triple alléluia.

La prière du voile comprenait une préface adressée aux fidèles et une oraison. A Noël, la « préface » invite les fidèles à considérer le jour sacro-saint de la nativité et à s’en réjouir, et demande le règne de Dieu dans les siècles des siècles. L’oraison (Collectio) s’adresse à Dieu : « Deus, qui dives es in misericordia, qua mortuos nos peccatis convivificasti Christo filio tuo, ut forman servi acciperet qui omnia formavit, ut qui erat in deitate generaretur in carne, ut involveretur in pannis qui adorabatur in stellis, ut jaceret in praesepio qui regnabat in coelo… »[8].

Lecture des diptyques. Les diptyques comprenaient les noms des défunts et les noms des vivants qui offraient des oblats et étaient en communion avec l’Eglise. La récitation des noms des morts était accompagnée par le soulèvement du saint voile qui couvrait les dons. On agitait ce dernier au-dessus des saints vases pour rappeler la foi en la résurrection des morts[9]. Les formules des diptyques débutaient par les noms du pape, des prêtres, des diacres, du clergé et des fidèles présents au sacrifice. On commémorait ensuite la Vierge, Zacharie et Jean-Baptiste, les saints apôtres et les martyrs. Les noms des morts venaient à la fin. D’autres formules mettaient en première ligne, à la suite des prêtres officiant, Abel, Seth, Enoch, Noé, Melchisédech, Abraham, les Rois, les prophètes, les Macchabées Jean-Baptiste et la Vierge ; les apôtres, les évêques défunts de la région, les prêtres défunts et « omnes pausantes, qui nos in dominica pace praecesserunt ab Adam usque in hodiernum diem, quorum Deus nomina novit»[10].

Une oraison (Collectio post nomina) suivait la lecture des diptyques. On priait le Seigneur de recevoir le sacrifice de louange qui lui était offert et d’accorder le repos éternel aux défunts dont on venait de réciter les noms. On retrouve la première demande dans la prière de l’offrande des liturgies byzantines : « Seigneur Dieu tout-puissant, vous qui êtes seul saint, et qui recevez le sacrifice de louange de ceux qui vous invoquent de tout leur cœur… »

Baiser de paix. Une oraison (Collectio ad pacem) précède le baiser de paix. On y demande l’union des fidèles et leur réconciliation par la charité pour être dignes d’être associés au sacrifice du corps et du sang de Jésus. Une formule de salut, que nous retrouvons dans les liturgies byzantines, annonce l’anaphore : « Gratia Dei Patris omnipotentis, pax ac dilectio Domini nostri Jesu Christi et communicatio Spiritus sancti sit semper cum omnibus vobis ». Le chœur chante « Pacem meam do vibis ; pacem meam commendo vobis ; non sicut mundus dat, pacem do vibis… Gloria et honor Patri et Filio et Spiritui sancto… ».

Anaphore. Nous rencontrons deux oraisons séparées par l’hymne du sanctus[11]. La première, appelée constestatio ou immolatio en Gaule et illatio en Espagne, rappelle de près la première prière secrète de l’anaphore byzantine : « Vere dignum et justum est, aequum et salutare est, nos tibi gratias agere, Domine sancte. Pater omnipotens, aeterne Deus… »

Le Sanctus est le même que dans les liturgies byzantines. La seconde oraison correspond à la deuxième prière secrète de ces dernières : « Vere sanctus vere benedictus dominus noster Jesus Christus filius tuus. Qui cum Deus esset majestatis, descendit de caelo formam servi qui primus perierat suscepit, et sponte pati dignatus est ut eum quem ipse fecerat liberaret. Unde et hoc paschale sacrificium tibi offerimus pro his quos ex aqua et Spiritu sancto regenerare dignatus es… remissionem omnium peccatorum, ut invenires eos in Christo Jesu domino nostro ; pro quibus tibi, Domine, supplices fundimus preces ut nomina eorum pariterque famuli tui imperatoris scripta habeas in libro viventium. Per Christum dominum nostrum, qui pridie quam pro nostra et omnuim salute pateretur… etc. ». Le texte ambrosien donne l’institution de l’Eucharistie. Le missel mozarabique place une formule d’épiclèse avant l’institution : « Adesto, adesto, Jesu bone pontifex, in medio nostri, sicut fuisti in medio discipulorum tuorum et sanctifica hanc oblationem ut sanctificata sumamus per manus sancti angeli tui sancte Domine ac Redemptor aeterne »[12].

Epiclèse. Les formules comprennent l’anamnèse ou rappellent la transformation du corps et du sang de Jésus par l’intervention du Saint-Esprit. La première idée est plus développée. On retrouve la seconde dans l’épiclèse mozarabique : « Petimus ergo majestatem tuam, Domine… descendat super hune panem et super hune calicen plenitudo tuae divinitatis. Descendit etiam, Domine, illa sanctis spiritus tui…». La formule de l’épiclèse se trouve rarement écrite parce qu’elle est l’essentiel de la liturgie. C’était un secret. Les célébrants connaissaient la prière de mémoire[13], mais on en devine partout la présence, tel l’exemple suivant : « Haec nos, Domine, instituta et praecepta retinentes, suppliciter oramus uti hoc sacrificium suscipere et benedicere et sanctificare digneris, ut fiat nobis eucharistia legetima in tuo Vinique tui nomine et Spiritus sancti, in transformatione corporis ac sanguinis domini Dei nostri Jesu Christi unigeniti tui… »[14].

Fraction. En Gaule, au VIe siècle, « on arrangeait sur la patène les parcelles de l’hostie de manière à dessiner une forme humaine »[15]. Le Concile de Tours en 567 « ordonna de disposer les parcelles en forme de croix » ; chacune rappelle un mystère de la vie du Seigneur.

Corporatio

morsnativitasresurrectio

circumcisio

apparitio – gloria

passio – regnum

En Irlande, l’hostie était divisée de huit façons différentes, suivant les fêtes : « en cinq parties aux messes communes, en sept aux fêtes des saints (confesserrus) et des Vierges, en huit aux fêtes des martyrs, en neuf le dimanche, en onze aux fêtes des apôtres, en douze aux Kalendes de Janvier et au Jeudi-Saint, en treize le dimanche après Pâques et le jour de l’Ascension en soixante-cinq aux fêtes de Noël, de Pâques et de la Pentecôte. On les disposait en forme de croix… A la communion, chacune des parties de la croix ou de ses appendices était distribuée à un groupe spécial de personnes, prêtres, moines, etc. »[16]. Pendant l’accomplissement du rite, le chœur exécutait la Confractorium, dont voici un exemple :

« Fiat, Domine misericordia tua super nos quemadmodum speravimus in te ».

« Cognoverunt Dominum, alleluia, in fractione panis, alléluia ».

« Panis quem frangimus corpus est domini nostri Jesu Christi, alléluia ».

« Calix quem benedicimus, alléluia, sanguis est domini nostri Jesu Christi, alléluia, in remissionem « peccatorum nostrorum, alléluia ».

« Fiat, Domine, misericordia tua super nos, alléluia, quemadmodum speravimus in te, alléluia ».

« Cognoverunt Dominum, alleluia ».

Oraison Dominicale. L’oraison dominicale était récitée par l’officiant accompagné des fidèles. Suivait le rite de lacommixion (commixtio ou immixtio). Le célébrant laissait tomber dans le calice une ou plusieurs parcelles consacrées. « Dans le rite mozarabique actuel, c’est la particule regnum quisert à cet usage. Le célébrant la tient au-dessus du calice et dit par trois fois : « Vicit leo de tribu Juda, radix David, alléluia ». On lui répond : « Qui sedes Cherubim, radix David, alléluia ». Puis il laisse tomber la particule dans le calice en disant : « Sancta sanctis ! Et conjunctio corporis domini nostri Jesu Christi sit sumentibus et potantibus nobis ad veniam, et defunctis fidelibus et praestetur ad requiem ».

Bénédiction. La bénédiction comportait, à l’exemple des liturgies grecques, une imitation diaconale « Humiliate vos benedictioni ». Elle était suivie de la bénédiction du prêtre : « Pax et caritatis Domini nostri Jesu Christi et communicatio sanctorum omnium sit semper nobiscum ». Il y avait aussi d’autres formules[17]. L’évêque employait une formule plus riche composée de plusieurs phrases :

« Deus, qui adventum tuae majestatis per angelum Gabrihelem priusquam descenderes nuntiare jussisti.

Qui dignanter intra humana viscera ingressus, ex alvo virginis hodie es mundo clarificatus.

Tu, Domine, benedic hanc familiam tuam, quam hodierna solemnitas in adventu tuo fecit gaudere.

Da pacem populo tuo, quem pretiosa nativitate vivificas et passionis tolerantia a morte perpetua redemisti.

Tribue eis de thesauro tuo indeficientis divitias bonitatis ; reple eos scierut. impollutis actibus et puro corde sequantur te ducem justitiae, quem suum cognoscunt factorem.

Et sicut in diebus illis advenientem te in mundo perfidia Herodis expavit et periit rex impiusa facie regis magni, ita nunc praesenti tempore celebrata solemnitas peccatorum nostrorum vincla dissolvat.

Ut cum iterum ad judicandum veneris, nullus ex nobis ante tribunal tuum reus appareat ; sed discussa de pectoribus nostris caligine tenebrarum, placeamus conspectui tuo et perveniamus ad illam terram quam sancti tui in requiem possidebunt aeternam ».

Cette bénédiction se retrouve en Afrique et à Rome. « C’était une sorte d’absolution avant la communion »[18]. D’autres bénédictions pontificales étaient plus courtes :« Pax, fides, spes, caritas et communicatio et Consecratio corporis et sanguinis Domini nostri Jesu Christi, et benedictio patris et filii et spiritus sancti sit super nos, et Dominus sit semper vobiscum. Amen ». Le fond de toutes les formules rappelle les bénédictions des liturgies orientales : « Que la bénédiction du Seigneur et sa miséricorde descendent sur vous par sa grâce et son amour pour les hommes, en tout temps, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ».

Communion. Le chœur exécutait le Trecanum :

« Gustate et videte quam suavis est Dominus. Alléluia Alléluia Alléluia.

Benedicam Dominum in omni tempore, semper laus eius in ore meo Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !

Redimet Dominus animas servorum suorum et non derelinquet omnes qui sperant in eum. Alleluia ! Alleluia ! Alleluia ! »

« Gloria et honor Patri et Filio et Spiritui sancto in saecula saeculorum. Amen. Alléluia ! ». La première phrase est tirée du Psaume 33. Le Psaume 33 est le chant de la communion, selon les liturgies des Constitutions Apostoliques, et Saint Cyrille de Jérusalem : « Audistis deinceps divina qua dam melodia psallentem, atque ad sacrorum mysteriorum communionem vos adhortantem : gustate et videte, quod Chritus est Dominus… »[19]. Des hymnes remplaçaient parfois le chant que nous venons de donner. Mgr Duchesne cite un exemple tiré de l’Antiphonaire de Bangor :

« Sancti venite, Christi corpus sumite, Sanctum bibentes quo redempti sanguinem. Salvati Christi corpore et sanguine, A quo refecti laudes dicamus Deo. Hoc sacramento corporis et sanguinis, Omnes exuti ab inferni faucibus. Dator salutis Christus, Filius Dei, Mundum salvavit per crucem et sanguinem. Pro universis immolatus Dominus, Ipse sacerdos existit et hostia, Lege praeceptum .immolari hostias, Qua adumbrantur divina mysteria, Lucis indultor et salvator omnium, Praeclaram sanctis largitus est gratiam… »[20].

En Gaule, les fidèles recevaient la communion à l’autel. En Espagne, les prêtres et les diacres communiaient seuls à l’autel ; les fidèles, dans la nef. « Les hommes recevaient l’hostie sur la main nue, les femmes sur la main revêtue d’un linge appelé Dominical »[21].

Action de grâces : l’action de grâces comporte la prière des fidèles et celle du pontifie. Le Missale Gothicum en donne, pour le jour de Noël les formules suivantes :

« Post communionem. Cibo caelesti saginati et poculo aeterni calicis recreati, Fratres carissimi, Domino Deo nostro laudes et gratias indesinenter agamus, petentes ut qui sacrosanctum corpus Domini Nostri Jesu Christi spiritaliter sumpsimus, exuti a carnalibus vitiis, spiritales effici mereamur, per Dominum Nostrum Jesum Chritum Filium Tuum ».

Collectio sequitur. Sit nabis, Domine, quaesumus, medicina mentis et corporis quod de sancti altaris Tui benedictione percepimus, ut nullis adversitatibus opprimantur qui tanti remedii participatione munimur, Per Dominum Nostrum Jesum Christun Filium Tuum ».

[1]. Au début du Ve siècle, la liturgie romaine régnait à Rome, dans l’Italie méridionale et en Afrique. La liturgie gallicane était par contre d’un usage courant à Milan et dans les pays transalpins. Mgr Duchesne, dans son beau livre sur Les Origines du Culte chrétien pose en principe l’identité de la liturgie ambrosienne de Milan et de la liturgie gallicane. La liturgie ambrosienne, dans son état actuel, est très différente de la liturgie gallicane, mais c’est à cause des remaniements excessifs qu’elle a subis et de l’influence de la liturgie romaine, qui avait commencé à se faire sentir avant Charlemagne. La liturgie gallicane est « une liturgie orientale introduite en Occident vers le milieu du IVe siècle », et à Milan tout d’abord, à l’époque où cette église eut à sa tête le cappadocien Auxence (355-374). Milan était d’ailleurs en relations directes avec Constantinople et l’Asie Mineure. Le rite gallican s’est longtemps maintenu en Espagne tandis qu’en Italie, en Gaule et en Angleterre, il dut céder progressivement la place au rite romain. L’église de Metz adopta la liturgie romaine en 754. Pépin le Bref abolit la liturgie gallicane ; L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, pp. 93-109 ; 162-163 ; 200 et suiv.

[2]. Saint Germain, évêque de Paris, de 555 à 576.

[3]. L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, pp. 200et suiv. Pour faciliter l’étude des monuments illustrés, nous donnerons aussi les particularités des liturgies mozarabique et ambrosienne.

[4]. La liturgie mozarabique donne à l’Ingressa le nom d’officium.

[5]. Livre de Daniel 3, 52.

[6] Les livres irlandais et le missel mozarabique donnent la préparation des oblats en détail. Cette dernière comprend le lavement des mains, le signe de la croix sur l’autel et le baiser de l’autel, et des prières prononcées par le célébrant au moment de revêtir chacun des ornements qui composent son costume liturgique. On a aussi une apologie, la récitation d’un psaume et l’antienne.: Introibo ad altare Dei.

[7]. Ce vase reproduit la forme du tombeau du Christ, tel qu’il est connu d’après les monuments des premiers siècles.

[8]. A Milan, la prière que nous venons de donner porte le nom d’Oratio super sindonem. Un rite intéressant caractérise la liturgie ambrosienne : « L’Eglise métropolitaine nourrit 10 vieillards laïques appelés vecchioni et 10 vieilles femmes. Ils portent un costume spécial, les hommes une robe noire, une toque et un surplis, les femmes, une robe noire, un tablier blanc et un voile noir ». Au moment de l’offertoire, deux vieillards et deux vieilles femmes, les fanones, apportent au célébrant l’offrande du pain et du vin pour le sacrifice.

[9]. On rencontre le même rite dans les liturgies byzantines pendant la récitation du symbole de la foi.

[10]. L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, pp. 222-223. – Voy. aussi Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie 11, Ière partie, col. 651 et suiv.

[11]. La première oraison est précédée de l’invitation : « En haut ayons les cœurs… » « Nous les avons vers le Seigneur ». « Rendons grâces au Seigneur ».

[12]. Le canon de la messe du rite ambrosien comporte trois passages intéressants. Le premier se trouve au début du canon dans la contestatio : « Vere quia dignum et justum est, aequum et salutare, nos tibi semper hic et ubique gratias agere, Domine sancte… Per Christum Dominum nostrum. Per quem majestatem faim laudant Angeli, venerantur Archangeli, Throni, Dominationes, Virtutes, Principatus et Potestates adorant. Quem Cherubim et Seraphim socia exultatione concelebrant… Sanctus, Sanctus, Dominus, Sanctus… » Le second fait mémoire de la Vierge Marie, des apôtres et des martyrs : Pierre et Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Simon et Thaddée, Laurent, Hippolyte, Vincent, Cornelius, Cyprien, Clément, Chrysogon, Jean et Paul, Côme et Damien, Appollinaire, Vital, Nazaire, Celse, Protais et Gervais, etc. Le troisième passage mentionne les dons d’Abel, le sacrifice d’Abrabam et Melchisédech : « Unde et memores sumus, Domine, nos servis tuis, sed et plebs tua sancta Domini nostri Jesu Christi passionis, necnon et ab inferis mirabilis resurrectionis, sed et in caelos gloriosisslmae ascensionis : offerimus praeclarae majestati tuae de tuis dons ac datis hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam, hune panem sanctum vitae aeternae; et calicem salutis perpetuae. Supra quae propitio ac sereno vultu tuo respicere digneris, et accepta habere, sicuti accepta habere ,dignatus es munera justi pueri tui Abel, et sacrificium patriarchae nostri Abrahae, et quod tibi obtuht summus sacerdos tuus Mcichisedech, sanctum sacrificium, immaculatam hostiam. Supplices te rogamus, omnipotens Deus ; jube haec perferri per manus sancti Angeli tui in sublime altare tuum ante conspectum tremendae majestatis tuae : ut quotquot ex hoc altaris sanctificatione sacrosanctum Corpus et sanguinem Domini nostri Jesu Christi sumpserimus, omni benedictione caelesti et gratta repleamur. Per Christum Dominum nostrum. » Nous retrouvons cette oraison dans la liturgie de saint Basile.

[13]. Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie 11, 1ère partie, col. 665.

[14]. L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, p. 230. Voici le début d’une épiclèse mozarabique : « Memores sumus, aeterne Deus, Pater omnipotens, gloriosissimae passions domini nostri Jesu Christi Filii tui, resurrectionis etiam et eius ascensionis in caelum ; petimus ergo majestatem tuam, Domine, preces humilitatis nostrae in conspectu tuae clementiae, et descendat super hune panem et super hunc calicem plenitudo tuae divinitatis. Descendat etiam, Domine, illa sancti Spiritus tui incomprehensibilis majestas, sicut quondam in Patrum hostiis mirabiliter descendebat, ac praesta, Domine, ut huius panis vinique substantia sanis custodiam adhibeat… ».

[15]. L. Duchesne, Origines du Culte chrétien, p. 232.

[16]. L. Duchesne, Op. 1. p. 233.

[17]. « Pax et communicatio Domini nostri Jesu Christi sit semper vobiscum »

[18]. Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie 11, Ière partie, col. 671.

[19]. 23e Catéchèse.

[20]. L. Duchesne, Origine du culte chrétien, p. 239.

[21]. Op. cit., p. 237.