1er après Pâques

1er DIMANCHE APRÈS PÂQUES

QUASIMODO

Père Marc-Antoine COSTA de BEAUREGARD
Mai 1986
JOIE n° 4

Passé et présent

En ce dimanche de Quasimodo appelé aussi dimanche de saint Thomas, nous sommes à huit jours du Huitième Jour, celui de la Résurrection. Depuis le samedi de Lazare déjà, huit jours avant le saint et grand Samedi, la liturgie de l’Eglise nous a proposé de suivre rigoureusement la chronologie des faits rapportés par le Saint Evangile. Nous avons ainsi vécu au présent, dans le temps sacré du rite chrétien, un ensemble de faits par lesquels nous sommes sauvés. Plus qu’à n’importe quel moment de l’année liturgique, la réalité des actions divines est affirmée dans cette chronologie vécue non sur le mode seul du passé – du mémorial – mais aussi sur le mode du temps absolu – de l’actuel. L’Eglise, par la sainte Liturgie, affirme ainsi à la fois l’historicité des faits – ils ont eu lieu en vérité, et l’actualité des faits, ils ont lieu en vérité ici et maintenant.

La Résurrection est un fait

L’Evangile du huitième jour après Pâques affirme plus que tout autre le fait de la Résurrection. Il est bon pour nous de revenir à la réalité tangible. La Résurrection n’est ni une légende, ni une belle histoire, ni une manière de dire ou d’exprimer une réalité spirituelle d’ordre général, ni un symbole de renouveau, ni une splendide métaphore littéraire. Quand nous disons – et nous le disons constamment en ce temps – que le Christ est ressuscité nous ne voulons pas dire autre chose que cela : le Christ est ressuscité. Nous parlons d’un fait. Nous délivrons une information, comme lorsque nous disons qu’il a plu ce matin, que nous avons rencontré Untel en faisant nos courses ou que notre petit dernier a eu cinq ans lundi passé. Nous parlons de quelque chose qui est arrivé. C’est un fait. Il ne se discute pas. Nous affirmons :« En vérité, Il est ressuscité! »

Vérité universelle

Un fait est vrai pour tous. Cet arbre debout devant moi est irréfutablement là. Si je ferme les yeux, il est là quand même. Je peux demander à mon voisin de venir constater qu’il est là. Le fait de la Résurrection n’est pas seulement une information qui regarde les chrétiens. Ce n’est pas une manière de penser des chrétiens, purement relative à l’idéologie, à la culture ou au langage d’un groupe appelé « Eglise ». Que l’on soit croyant ou pas, cela ne change rien au fait. Que l’on soit athée, ou bouddhiste, ou hindouiste, cela ne change rien. Le Christ est ressuscité, que vous le croyiez ou non, que cela vous intéresse ou non. Pardonnez-moi si cela vous dérange, mais c’est un fait : le Christ est ressuscité. C’est à prendre ou à laisser. Et l’on peut nous couper les bras ou les jambes, nous ne pouvons pas dire qu’il fait nuit quand il fait jour. Nous ne pouvons donc pas laisser relativiser cette affirmation. La Résurrection de Jésus, le Christ, Jésus de Nazareth, personnalité historique connue par les écrivains de l’Antiquité, n’est pas une figure mythique valable pour les seuls baptisés. C’est un fait historique et objectif comme la prise de la Bastille, dont l’information regarde tous les hommes, quelles que soient par ailleurs la culture ou la famille religieuse auxquelles ils appartiennent. Et quand nous les chrétiens ne transmettons plus cette nouvelle, le christianisme s’affadit et devient simplement une religion parmi d’autres, sur le même plan que n’importe quelle autre tradition spirituelle. Or ceci est faux. Le christianisme n’est pas une religion parmi d’autres tout aussi valables. Le christianisme ou plutôt l’Eglise est la famille, le peuple de ceux qui savent que le Christ est ressuscité, qui acceptent cette nouvelle et qui informent à leur tour. Les non chrétiens sont ceux qui ignorent cette information, ou qui, en ayant entendu parler, n’y croient pas ou la rejettent.

Dans tous les peuples du monde, il y a eu, il y a et il y aura des personnes auxquelles cette information est parvenue, qui la reçoivent, qui en vivent et en répondent devant les hommes et devant toute la création. Que l’Esprit Saint nous donne le courage d’annoncer la Résurrection non seulement aux chrétiens (qui en principe sont au courant !) mais à tous les hommes, aux anges et aux démons, aux animaux, aux plantes et aux minéraux. Que le savant dise à l’atome : Christ est ressuscité ! Il serait ridicule de ne pas annoncer la Résurrection par un prétendu respect des opinions d’autrui – non seulement ridicule mais diabolique. Quand on enseigne que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515, on ne se soucie pas des opinions, parce que ce n’est pas non plus une opinion. C’est un fait objectif. C’est tout. L’opinion de l’athée, du bouddhiste, de l’hindou, du juif ou du musulman – ou même du chrétien ! – n’a rien à faire ici. On ne vous demande pas pour le moment ce que vous en pensez. On vous dit seulement : le Christ est vraiment ressuscité, pour information !

Un fait accessible

L’Evangile du dimanche de Thomas nous montre que le fait objectif de la Résurrection du Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu est accessible de plusieurs façons. Il y a d’abord un document écrit qui nous le rap­porte dans quatre versions différentes. Il y a des personnes vivantes qui le disent. Le culte de l’Eglise en entretient l’actualité. On peut aussi « toucher », comme voulait le faire sainte Marie Madeleine et comme l’a fait saint Thomas. Trois voies d’accès en somme s’offrent à nous : l’écrit, la parole et l’expérience.

La foi : du fait au charisme

Le Christ lui-même souligne l’importance de la foi. Elle est première. Historiquement, elle précède l’établissement des écrits. C’est la foi qui nous relie à l’événement. Elle consiste à croire que le fait est vrai. Plus profondément elle consiste à croire en quelqu’un qui nous dit que c’est arrivé. L’Eglise repose sur la confiance mise dans la parole de quelqu’un : le Christ lui-même, les saints et les martyrs dont le nom signifie « témoins ». Depuis deux mille ans des gens croient sur parole des témoins dignes de foi. Il y a des personnes dont l’expé­rience est très petite, qui n’ont rien lu, mais qui croient sur parole. Jusqu’à la fin des temps il y aura des hom­mes et des femmes de foi – en dignes fils d’Abraham qui lui aussi crut Dieu sur parole. C’est important de croire sur parole, parce qu’on ne peut ni tout lire ni tout expérimenter. La foi absolue se passe d’ailleurs de vérification. Tu me dis que tu m’aimes : je te crois et je t’aime…

Mais la foi est un don de l’Esprit, un charisme, comme le montre l’exemple du saint apôtre Pierre à qui ni la chair ni le sang n’ont pu révéler la divinité de Jésus, seul le Père lui a révélé cela par l’Esprit Saint. Père céleste, révèle-nous par Ton Esprit que Jésus Ton Fils et notre Dieu est ressuscité !

L’expérience : toucher le Ressuscité

Si la foi est un charisme qui ne se force pas, si elle seule nous réunit en l’Eglise corps et sang du Christ ressuscité, l’expérience consciente ou non est à la portée de tous. C’est l’expérience du fait de la Résurrection dans l’histoire universelle et dans l’histoire personnelle, à une échelle ou à une autre. Il n’y a pas un homme, pas un animal, pas une plante, pas un minéral – pas un atome – qui n’ait aujourd’hui, consciemment ou non, l’expérience de la Résurrection : c’est à dire une participation corporelle, psychique ou spirituelle à la puissance résurrectionnelle. On peut , pour se limiter ici à l’humanité, distinguer trois types d’expériences de la résurrection.

L’expérience mystique,proposée à tous, est celle de Marie-Madeleine le matin du Premier jour de la semaine : Rabbouni ! Maître ! C’est Toi ! Dans la prière personnelle nous pouvons dès maintenant, le coeur brisé de gratitude, être appelé par Jésus de notre nom : Marie ! Nous pouvons dès aujourd’hui, comme Thomas, toucher le Ressuscité, avoir de Lui une expérience sensible : mon Seigneur et mon Dieu ! C’est Toi! Et Jésus nous invite a cette expérience de Lui : Mets ta main… L’Esprit Saint est « partout présent » pour nous faire vérifier palpablement l’Incarnation et la Résurrection. Et Jésus est apparu à bien d’autres. Saint Paul en est tombé de cheval !

L’expérience ecclésiale et liturgiqueest proposée à tous les baptisés. La mystique se coordonne à la mystagogie. Les mystiques sont des membres de l’Eglise. Les premiers mystiques chrétiens – de Marie Madeleine à saint Paul – ont été membres de l’assemblée des croyants établie définitivement à la Pentecôte. L’Eglise est le lieu de l’expérience par l’Esprit Saint du Christ ressuscité. Notre « vécu » liturgique est un vécu résurrectionnel : enthousiasme de la Nuit pascale ! Les sacrements ou « mystères nous font toucher le Ressuscité : expérience de résurrection de l’âme dans la Pénitence, de résurrection du corps dans l’Onction des mala­des, de la victoire du Ressuscité sur les démons dans l’Exorcisme et, par-dessus tout, expérience de la vie nouvelle et éternelle dans l’Eucharistie. Si nous appartenons à l’assemblée chrétienne, c’est du Christ ressuscité que nous vivons, consciemment ou non. Et nos actes seront les fruits d’une telle vie :« Voyez comme ils s’aiment ! »L’Eglise est le fait de la Résurrection indéfiniment prolongé par l’Esprit Saint dans l’Histoire.

L’expérience de l’humanité nouvelleest universelle. Il ne faut jamais oublier que c’est par Son humani­té que Dieu touche les hommes. Les tout-premiers disciples de Jésus ont été saisis par Son humanité exceptionnelle. C’est une humanité inouïe, une humanité parfaite et, comme telle, signe de Sa divinité, comme l’a souligné le Père Staniloé. Seul Dieu peut être aussi humain. Saisi par cette humanité divine on progresse jusqu’à la découverte de la Personne divine. C’est une humanité qui mène à Dieu. Là est l’originalité de l’Eglise par rapport à toutes les formes d’humanisme, lesquelles ne conduisent l’homme qu’à l’homme. Cette humanité nouvelle, manifeste chez tous les saints et les vrais chrétiens, est aujourd’hui omniprésente, à un degré ou à un autre, sous forme d’idées, de valeurs, de comportements. En dépit des faiblesses des chrétiens, et grâce au témoignage de chrétiens dignes de ce nom et à l’action de l’Esprit Saint, l’ensemble de l’humanité a été touché par la puissance de l’Evangile. Ce n’est pas que tous soient baptisés et disciples conscients du Christ, mais la puissance résurrectionnelle du Christ a envahi l’univers.

Nous connaissons tous de ces athées qui sont des justes et qui accomplissent sans le savoir les com­mandements évangéliques. Des valeurs aussi universellement évoquées ou défendues que la personne humaine n’ont pas d’autre référence en dernière analyse que le Christ Lui-même. Si nous nous révoltons aujourd’hui, que nous soyons chrétiens ou non, contre l’esclavage, contre la prostitution, contre la torture, c’est parce que le Christ est ressuscité. Ces choses ne révoltaient pas nos ancêtres vivant avant l’Incarnation et la Résurrection. Et même après, combien il a fallu de temps pour que la pénétration de la Résurrection dans les sociétés révèle comme faute ce qui était admis !

C’est le Christ qui a donné au monde l’amour et le respect de l’enfant, même handicapé, considéré comme une personne unique. C’est le Christ qui a donné au monde le respect de la femme à l’égal de l’homme. Et nous voyons qu’un Gandhi a été le véhicule des valeurs évangéliques dans l’Inde. Il est même mort à cause de cela. Loin de tout syncrétisme religieux, une conscience s’est éveillée qui rend insupportable à l’homme même athée l’oppression ou l’avilissement de l’homme, parce que le Christ est ressuscité. La Résurrection agit dans les nations non comme une idéologie, non comme une religion, non comme une doctrine, mais comme une puissance. Bien sûr ce n’est pas encore parfait ; l’Histoire n’est pas achevée ; il y a des résistances à la Résurrection, des anachronismes comme l’avortement légal… Mais la Résurrection est à l’œuvre dans le monde.« Courage, J’ai vaincu le monde »,dit le Ressuscité.

Il est normal de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Le monde est plus humain parce que Dieu S’est incarné. Notre responsabilité de chrétiens est de veiller à ce que gloire soit rendue à Dieu : que le christianisme ne tourne pas à l’humanisme ; que l’homme ne se contente pas de l’humanisme ; que tous sachent un jour que s’ils défendent les droits de l’homme, la liberté, l’enfance, si l’homme est aimé, c’est parce que le Christ est res­suscité. Le Christ n’est pas venu dans le monde pour fonder un humanisme, mais pour rendre possible la connaissance du Père céleste à travers l’expérience de l’humanité nouvelle. Nous ne laisserons pas réduire l’Evangile à une vision purement humaine. Mais nous nous réjouirons de ce que la Résurrection, sur laquelle nous n’avons aucun droit, appartienne à tous les hommes sincères : que partout des hommes et des femmes qui connaîtront au Dernier Jour le Maître qu’ils servent, se dévouent avec l’abnégation et l’amour que le Christ a pour l’homme.

Témoins de la Résurrection, c’est par nous l’Eglise que la Résurrection est donnée tous les jours au monde. Grande est notre responsabilité : que cette expérience inconsciente de la Résurrection conduise à Dieu et que les hommes ne soient pas détournés de Lui par nous.« Que voyant vos œuvres, ils glorifient le Père qui est dans les cieux ».

Seigneur Jésus Christ Fils de Dieu, gloire à Ta sainte Résurrection, gloire à Toi ! Alléluia !