Situation 1962

SITUATION CANONIQUE
DE L’EGLISE CATHOLIQUE ORTHODOXE DE FRANCE

Cahiers Saint-Irénée n° 37 – 1962

1. Des sources canoniques

La conférence de Rhodes a posé la question de la codification des règles canoniques. Il existe, en effet, des contradictions dans les sacrés canons, des différences assez sensibles dans leur interprétation, selon les époques et les pays. De plus, ainsi que le métropolite Antoine l’a fort bien remarqué, certaines règles ne sont plus appliquées depuis longtemps, d’autres ne correspondent plus aux nécessités actuelles. Il écrit : « Le problème de l’obéissance d’une manière absolue et permanente, aux canons de l’Église, demeure malheureusement irrésolu jusqu’à nos jours, aussi bien dans la science ecclésiastique que dans la pratique administrative est connu de tous que nombre de canons, exprimés pourtant sous forme très catégorique, ne sont nullement appliqués : telles, par exemple, les règles ordonnant à chaque province de réunir deux fois par an le concile des évêques, la communion de tous les clercs présents dans l’Église, la privation de la communion : sept ans pour l’adultère, deux ans pour celui qui a rompu le jeûne, l’interdiction à l’évêque de quitter son diocèse plus de quatre mois…

« Nous pensons que les canons ont force inébranlable en tant qu’ils manifestent les vérités de la Révélation et non dans leur application aux différentes circonstances, selon le temps et le lieu.

« Il fut une époque où l’Église distribuait le Saint-Sacrement après le repas ; actuellement, elle considère ceci comme un péché grave, l’homme étant devenu, charnel.

« La loi juridique, dans la vie de l’État, précède la pratique ; la vie de l’Église, porteuse de la sainteté de l’Esprit Saint, précède sa jurisprudence, cette dernièreconstate la vie. » (« Vie de Sa Béatitude Antoine, métropolite de Kiev et de Galicie », par l’évêque Nicon, New York, 1956, t. I, p. 201.

Le désir de la conférerez de Rhodes de mettre de l’ordre dans la législation de l’Église est légitime, mais, jusqu’à convocation d’un concile œcuménique, l’Église Orthodoxe universelle doit se conformer à la sainte Tradition, aux saintes Écritures, aux recueils canoniques de l’Église des neuf premiers siècles.

En outre, les Églises locales tiennent compte, dès décisions des conciles et synodes locaux, des coutumes locales, de l’économie (voire l’harmonisation de la vie de l’Église avec la législation de l’État et, en général, avec les conditions extérieures dans lesquelles doit vivre l’Église).

Il est indispensable pour la restauration de l’Église Orthodoxe occidentale, l’Église de France incluse, de préciser que la Tradition et les Écritures saintes demeurant la base universelle du Droit Canon, les recueils de l’Église des neuf premiers siècles, composés progressivement, présentent des variantes. Nous possédons des recueils grecs, latins, syriens… Tous contiennent des règles d’Autorité apostolique, des conciles œcuméniques et des conciles locaux, mais diffèrent néanmoins dans les détails. Ainsi, par exemple – laissant de côté les recueils orientaux -, le recueil latin n’a que 50. Règles dites apostoliques, cependant que le grec en rassemble 85. Les canons des 1er, 2ème, 3ème, 4ème et 7ème conciles œcuméniques se trouvent dans les deux recueils ; les canons du concile « In Trullo » n’ont jamais eu cours dans l’Église d’Occident. Les canons des conciles locaux, tels que ceux de Laodicée, Gangres, Elvire, Antioche, Sardes, etc. sont adoptés universellement. Par contre, le recueil latin ajoute des conciles, par exemple celui d’Arles, ignorés des Grecs. Cette mise au point est absolument nécessaire à ceux qui, avec le respect de l’authentique tradition de l’Église primitive, se consacrent à la restauration de l’Orthodoxie occidentale, sous peine d’être accusés d’ignorance ou d' »à peu près ».

Illustrons cet exposé de trois exemples :

1 – La 52ème règle du concile « In Trullo » ordonne que l’on ne célèbre pas la messe pendant le carême, excepté le samedi et le dimanche, les « présanctifiés » étant célébrés les autres jours de la semaine. Bien que le nom de saint Grégoire le Grand soit attaché, selon la tradition orientale, à la liturgie des présanctifiés, cette dernière ne fut jamais célébrée à Rome ; depuis la plus haute antiquité, les papes, durant les quarante jours de carême, disaient quotidiennement des messes spéciales, allant en procession d’une église à l’autre. Ces « stations » romaines de quadragésime sont une des particularités de carême du rite romain, si différent des carêmes quasi-monastiques de l’Orient. Milan avait la messe des présanctifiés les vendredis de carême et la messe les autres jours. La Gaule et l’Irlande célébraient les présanctifiés pendant le carême et les quatre-temps de l’année, mais ignoraient la défense de célébrer la divine liturgie pendant les semaines quadragésimales.

2 – Le canon 55 du même concile est encore plus significatif. Il reproche à Rome le jeûne du samedi, en contradiction avec les Règles apostoliques, et décide de l’obliger à cesser cette pratique. Certes, si d’une part ce canon prouve à quel point le papisme était absent de l’esprit de l’Église indivise, il ne peut d’autre part avoir force de loi en Occident, car le 64ème canon apostolique, qui défend le jeûne du samedi et sur lequel s’appuie le concile, ne se trouve pas dans le recueil latin. Dès le commencement, cette différence existait entre l’Orient et l’Occident ; saint Cassien, formé dans le monachisme oriental, estime ces deux coutumes fort antiques et donne l’explication de cette divergence : L’Occident, écrit-il, jeûne le samedi, non par mépris du jour du Seigneur, mais pour se mieux préparer à la solennité du dimanche. Ces deux exemples sont plus théoriques que pratiques pour l’Église de France actuelle. Tout d’abord, le jeûne du samedi, n’est plus pratiqué en Occident ; ensuite, nous avons introduit, en harmonie avec l’Orient et faute d’indications précises, la célébration des messes des « présanctifiés » les jours de semaine de carême, le samedi et le dimanche exceptés. Cependant si l’Église orthodoxe était restaurée à Rome, il y aurait lieu de tenir compte de sa tradition locale et antique.

3 – La liste des livres canoniques : l’Orient, jusqu’à la Renaissance, ne cite pas l’Apocalypse parmi les livres du Nouveau Testament (il n’est pas mentionné dans les conciles) et ne l’emploie jamais dans ses services divins. Par contre, en Occident et surtout en Gaule, l’Apocalypse, dès les premiers siècles, a une place d’honneur.

Le clergé de l’Église Catholique Orthodoxe de France apprend, à l’Institut orthodoxe français de Paris, la législation grecque aussi bien que latine. L’Institut compte éditer incessamment, en langue française, les Règles apostoliques avec commentaires.

Les législations locales des Églises d’Occident se distinguent entre elles ; nous avons Rome, l’Italie (Milan), l’Afrique, les Gaules, l’Irlande et l’Espagne. Ainsi, cependant que les décrets des évêques romains revêtaient pour l’Église de Rome la même autorité que ceux des Pères grecs pour les Églises d’Orient (st. Denys d’Alexandrie, st Grégoire de Néo-Césarée, st Basile le Grand, etc.), jusqu’au IXe siècle environ ils n’étaient pas obligatoires dans les Églises-sœurs d’Occident. De même, les conciles de Tolède, d’autorité canonique absolue pour l’Espagne, ne l’étaient nullement dans les Gaules ou l’Italie, en dépit des rapports intimes qui liaient ces Églises. L’Église d’Irlande, célèbre par la sévérité de sa discipline pénitentielle et son influence monastique sur l’Europe entière (st. Colomban, st. Gall, etc.), n’a pas vu, néanmoins, ses canons de pénitence s’imposer dans les autres Églises.

Cette individualité des Églises d’Occident n’était pas dictée par désir d’originalité ; ainsi, le concile de Vaison (VIe siècle) procède à quelques réformes liturgiques dans le but de s’accorder aux coutumes des Églises d’Orient, d’Italie et de la Chaire Apostolique (Rome). Pourtant, en cherchant l’unité, elles n’osaient bouleverser les traditions du lieu. Un Grégoire le Grand se défendra contre l’accusation de vouloir introduire les rites de la nouvelle Rome dans la Rome antique.

Il revient à la hiérarchie, auprès de la législation canonique, de tenir compte aussi des coutumes éprouvées, chères au peuple. Le droit coutumier est rarement ratifié par un concile, il se forme organiquement. Toutes les coutumes ne sont pas sacrées et, ainsi que l’écrit saint Cyprien, il faut savoir les distinguer des mauvaises habitudes. Mais ne point connaitre et ne point estimer le droit coutumier d’une Église locale, c’est vouer l’œuvre pastorale à un échec.

Envisageons maintenant, vis-à-vis des conditions historiques, l’économie d’une Église locale. Elle doit respecter la législation de l’État, le sentiment national des croyants, la situation sociale-économique du pays,le niveau culturel du peuple, le voisinage des autres confessions et idéologies. Ces-aspects complexes de la question sont particulièrement délicats et réclament une attention spéciale.

Ainsi, les Règles canoniques proposèrent de conformer l’organisation administrative de l’Église à celle des provinces civiles de l’Empire. Les Pères de l’Église couvrirent les fêtes païennes par les fêtes chrétiennes. Les calendes, fêtes de la lumière, devinrent, par exemple, la fête de la Nativité du Christ, Soleil de Justice, dans la viepaysanne, les saints protecteurs remplacèrent les divinités.

Le calendrier du pays joue un rôle très important : en de nombreuses régions de France, le lundi de Pâques est la fête du village, avec sespropres réjouissances, la veille de l’Ascension (les Rogations) est le jour où l’on bénit la terre, la veille du dix-huitième dimanche après la Pentecôte, celui où l’on bénit le raisin, les olives, etc. L’Église, en poursuivant son œuvre de salut, est aussi appelée à sanctifier la vie des peuples.

En conclusion, l’Église Catholique Orthodoxe de France a pour bases canoniques :

– la Sainte Tradition orthodoxe,

– lesÉcritures saintes,

– la législation canonique des neuf premiers siècles, avec les particularités du recueil latin,

– la législation locale des conciles et des Pères de France,

– le droit coutumier.

Enfin, elle doit tenir compte des conditions extérieures dans lesquelles vit l’Église.

Cette brève mise au point, d’ordre général, serait incomplète si l’on n’insistait pas sur la déviation canonique qui se produisit en Occident et, malheureusement, influença même la science canonique orientale ; déviation que l’Église orthodoxe de France désapprouve avec franchise et combat avec énergie.

En effet, après la réforme de Grégoire VII et la création de l’école de droit canon de Bologne, au XIIe siècle, l’Occident s’éloigne de la tradition orthodoxe, éclairée par le Saint-Esprit, et s’enfonce dans les ténèbres de la jurisprudence païenne. Depuis lors, la législation canonique de l’Église de Rome est radicalement faussée. Par le truchement des universités, elle pèse lourdement sur le droit canonique orthodoxe. L’influence du protestantisme (réforme de Pierre le Grand en Russie), les « idées éclairées » des encyclopédistes, l’idéalisme allemand, le romantisme maçonnique du XIXe siècle, le progressisme socialiste compliquent la situation.

Il importe, afin de demeurer fidèle à la sainte tradition canonique, de garder le dépôt en le purifiant de tout alliage impur venu du dehors.

2. Constitution canonique.

L’Église catholique orthodoxe de France tire son origine des temps apostoliques et sa restauration doit tenir compte de cette apostolicité.’

Un rapide aperçu historique de sa constitution est nécessaire si l’on veut mesurer exactement sa place’ au sein de l’Église orthodoxe universelle.

Son histoire canonique se partage en trois périodes :

– des temps apostoliques jusqu’au schisme du XIe siècle,

– du XIe siècle jusqu’aux temps modernes, son retour actuel vers la pureté orthodoxe et sa réunion aux Églises d’Orient.

Arrêtons-nous sur la première période.

Les meilleurs connaisseurs de la structure de l’Église primitive, tels que Hefele, Leclercq, S. Troïtsky, nous indiquent que vers le IVe siècle, l’Église était composée d’une centaine d’Églises-sœurs autocéphales et que chacune, comprenant plusieurs diocèses, avait son primat (règle apostolique 34) ou son métropolite (concile d’Antioche).

Les conciles locaux de ces multiples Églises jouissaient de la plénitude du pouvoir canonique.

Le premier Concile Œcuménique de Nicée (325) accorde un privilège d’honneur aux évêques de Rome, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, le deuxième Concile Œcuménique de Constantinople (381), à l’évêque de la Nouvelle Rome. Ces privilèges ne signifiaient nullement que l’Église du Christ fût partagée en cinq patriarcats, comme certains canonistes le prétendirent beaucoup plus tard. Auprès des cinq patriarcats, plusieurs Églises « autocéphales » demeuraient indépendantes. Le troisième Concile Œcuménique d’Éphèse, dans sa 8ème règle – au sujet de l’indépendance de l’Église de Chypre vis-à-vis de celle d’Antioche – le démontre sans équivoque et hausse cette règle en un principe éternel, en témoignage de la liberté que le Christ acquit pour Son Épouse par Son Sang précieux.

Pourtant, nous devons noter que, tout en respectant le principe, les métropoles « autocéphales » se groupent progressivement autour des centres patriarcaux-exarchaux, formant des unités plus vastes et plus complexes. Il faut préciser que le titre d’exarque couvre différents pouvoirs. L’exarque duquel nous parlons ici est tout à. fait différent des exarques modernes nommés par les patriarches pour administrer les Églises de la « diaspora » et représenter leur Église. Les diocèses correspondaient aux préfectures de l’Empire romain, les métropoles aux provinces et plusieurs provinces étaient réunies en exarchat. En un mot, exarque, patriarche, primat n’étaient que différents titres disposant du même pouvoir canonique.

L’Église catholique orthodoxe des Gaules, au IVe siècle, ne fait pas exception à la règle. Elle se compose d’une quinzaine de-métropoles « autocéphales »,nombre variable d’ailleurs, ainsi que dans d autres Églises certaines métropoles naissant, d’autres se soudant.

Ces métropoles des Gaules coïncident à peu près avec les métropoles civiles.

Nous trouvons, dans « Gallia christiana nova » la liste suivante : Vienne, Narbonne, Arles-Aix, Éluse (Eauze), Bourges, Bordeaux, Embrun, Tarentaise, Besançon, Lyon, Rouen, Tours, Sens. Et dans la Gaule belge : Trèves, Reims. Et dans la Gaule germanique : Mayence, Cologne. La métropole de Marseille est tantôt indépendante, tantôt rattachée à Arles.

Chaque métropole renferme environ cinq à huit diocèses, par exemple : celle de Narbonne comprend les diocèses de Toulouse, Béziers, Nîmes, Lodève, Uzès et Agde.

Deux métropoles s’imposent peu à peu comme patriarcats-exarchats : Arles (siège apostolique de saint Trophime et résidence impériale) et Lyon-Vienne, deux villes très proches l’une de l’autre et, depuis saint Irénée (IIe siècle), honorées comme capitales du christianisme en Gaule. Nous groupons Lyon-Vienne car, si Lyon prédomine durant les premiers siècles, du IVe au VIIe siècle Vienne devient le centre ; plus tard, Lyon reprend la place primatiale. Ces deux centres de France rappellent, d’une certaine manière, l’existence, aux XVIe et XVIIe siècles, des deux métropoles russes : Moscou et Kiev.

Les évêques d’Arles et, suivant les périodes, ceux de Lyon ou de Vienne réuniront des conciles généraux de plusieurs provinces et même de toute la France. Ces évêques seront appelés primats et, au VIe siècle, patriarches ou exarques. Au VIIe siècle, rappelons-le, le titre de patriarche est appliqué, en Occident, aux archevêques de Milan, Lyon, Tolède et Canterbury, sans parler de Rome ; on retrouve leurs signatures au bas des procès-verbaux des conciles généraux.

Les deux centres gallicans Arles et Lyon-Vienne, le premier rassemblant les métropoles du Sud et le second celles du Nord, ne vivent pas néanmoins isolément. Ils se réunissent souvent en conciles généraux de toute la Gaule. La conscience de l’unité de l’Église des Gaules est très forte malgré l’absence d’un centre canonique unique.

Au VIe siècle, saint Hilaire d’Arles veut unifier l’Église des Gaules sous sa juridiction apostolique unique, mais il ne réussit pas, saint Léon le Grand de Rome soutenant l’indépendance du primat de Vienne.

Au VIIe siècle, Arles perd son influence et, sans heurts, le patriarche de Lyon devient le seul chef de l’Église des Gaules.

Quelle est la constitution de cette Église ?

L’évêque diocésain est élu par le clergé et le peuple ; son élection doit être approuvée par le métropolite, qui, avec d’autres évêques, sacre alors le candidat.

Le métropolite est élu par le peuple et le clergé, et son élection doit être ratifiée par le concile métropolitain et le patriarche ou exarque.

Le patriarche ou exarque est élu par le peuple et le clergé, et son élection doit être approuvée par les métropolites et archevêques du patriarcat ou exarchat. Le nouveau patriarche ou exarque annonce lui-même sa nomination au pape de Rome et aux autres patriarches d’Occident (voir 2ème concile d’Arles, canons 4 et 7 ; le 3ème concile d’Arles, canon 3 ; le 4ème concile d’Arles, canon 5 ; le 1er concile de Clermont, canon 2, et le 2ème concile de Paris, canon 8).

A propos des élections des évêques, le concile d’Orléans (VIe siècle) dit : « Toute élection d’évêque sans le consentement du peuple est nulle ». Léon le Grand écrit à l’évêque de Narbonne : « On ne saurait tenir pour évêque quiconque n’est pas élu par le clergé et demandé par le peuple ».

Quels sont les rapports de l’Église des Gaules avec les-autres Églises d’Occident, en particulier celle de Rome ?

Ils sont exactement semblables à ceux des Églises d’Orient à la même époque. L’Église de Rome, appelée la « Chaire Apostolique », jouit d’un prestige moral incontestable. On lui demande souvent conseil, mais canoniquement elle ne détient aucun pouvoir spécial sur une quelconque Église. Certes, il existe le « droit d’appel » du concile de Sardes, et nous voyons parfois des évêques des Gaules, tels que, par exemple, Chelidonius de Besançon et Coutuméliosus de Riez, profiter de ce droit et en appeler à Rome. Cependant, on fait plus souvent appel au Patriarcat de Milan, ainsi que le constate: le célèbre historien Duchesne. D’autre part, la majorité des décisions prises par les conciles des Gaules ne tient pas compte des opinions romaines. Saint Hilaire d’Arles ira même personnellement à Rome pour signifier à saint Léon le Grand, que la décision du concile général des Gaules qui a eu lieu sous sa présidence est irrévocable et définitive. Le « droit d’appel » n’est pas le droit, pour l’Église à laquelle on s’adresse, de se mêler de sa propre initiative des affaires intérieures d’une autre Église autocéphale. Nous devons attendre le IXe siècle pour constater cet empiètement vivement critiqué. Rome ne jouit pas plus de droit sur les Églises autocéphales d’Occident (Gaules, Espagne, Irlande, Italie même…) qu’actuellement le patriarche de la Nouvelle Rome sur les Églises orthodoxes autocéphales.

Par conséquent, l’Église catholique orthodoxe de France des premiers siècles est une Église indépendante, jalouse de son indépendance, et elle correspond canoniquement à ce que l’on appelle actuellement Église autocéphale.

***

La deuxième période débute au XIe siècle, avec la rupture entre l’Orient et l’Occident.

Consciente de son indépendance canonique, l’Église de France, malgré les violentes réformes de Grégoire VII, marquées par une centralisation monarchique et un papisme absolutiste, résistera désespérément jusqu’au XXe siècle. Sa lutte sera inégale, car, ayant cédé sur l’essentiel, il lui sera difficile de défendre sa liberté. Longue et douloureuse histoire qui créera dans le peuple français une sensibilité et une irascibilité très vives. Cette défense prend, au XIVe siècle, le nom de « Libertés de l’Église Gallicane » et, plus tard, s’appellera le « Gallicanisme« . La littérature qui traite de cette question est très vaste.

Les historiens citent, en général, comme premier gallican, Hincmar, archevêque de Reims (+ 882). C’est absurde, car le gallicanisme ne survint qu’après la formation de la centralisation romaine qui ne se manifesta que deux siècles plus tard. Certes, rompant la communion avec Rome, Hincmar s’opposa, violemment aux papes Nicolas et Adrien, lorsque ces derniers se mêlèrent des affaires de son Église, abusant ainsi du droit d’appel. C’est la première attaque de Rome contre l’autonomie française. Nous sommes à l’époque des « Décrétales » du pseudo-Isidore, dont le but était de saper les droits des métropolites et patriarches en faveur du pouvoir papal ; le IXe siècle n’est que la préparation du schisme du XIe. Un des traits saillants du schisme est l’effacement total de la vision de l’Église catholique, communion d’Églises-sœurs, vision si chère à l’ecclésiologie d’un saint Augustin. Le Moyen Âge amplifie le combat contre le système métropolitain et, à partir du pape Grégoire VII, même les évêques diocésains cessent d’être évêques par la grâce de Dieu, pour devenir évêques par la grâce de Dieu et la volonté du Siège apostolique. Leur élection continue à être réalisée par les clercs (les chanoines) – le peuple est écarté -, mais l’approbation n’est plus réservée au métropolite, au patriarche et au concile, elle revient au pape seul. Un abîme se creuse entre l’Église primitive et celle du-Moyen Age ; Mgr Battifol, célèbre historien romain du XXe siècle, avoue qu’il est impossible à un catholique romain moderne de considérer l’Église primitive sans « les lunettes du Moyen Age ». Les titres d’archevêque, métropolite et patriarche subsistent encore, mais sont vidés de leur pouvoir.

Jusqu’au XIVe siècle, ce sont les empereurs, les rois et les princes qui s’opposeront surtout à l’empiétement romain et, dès le XIVe siècle, des voix s’élèvent de plus en plus en faveur des libertés canoniques des Églises locales, surtout de celle des Gaules, et de la primauté du concile sur le pape. Des personnalités marquantes par leur courage et leur sainteté se dressent pour défendre les droits canoniques de l’Église des Gaules. Nommons, en premier lieu, Jean-Charles de Gerson, « Doctor christianissimus » (1363-1429) ; s’il n’est pas canonisé malgré l’éclat de sa sainteté, c’est uniquement parce qu’il demeura fidèle aux canons de l’Église primitive. Puis le concile de Florence, ou plutôt le « brigandage de Florence », assène un coup quasi mortel à la résistance gallicane. La lutte contre le Protestantisme et la Contre-réforme de Trente durcissent encore la position romaine. En, France, la sourde résistance continue, le Gallicanisme se fortifie, s’alimente et, suivant la juste remarque de Brentano, c’est grâce à lui que la France n’est pas devenue protestante.

La Sorbonne, de la Renaissance à la Révolution française, est en tète de la résistance à Rome.

En résumé, le Gallicanisme peut être basé sur les thèses suivantes :

– L’Église doit être régie par les canons (la règle apostolique 34 étant au centre de la polémique),

– L’Église et le pape n’ont reçu que le pouvoir spirituel (lutte contre la papauté qui veut dominer les problèmes politiques et nationaux).

– Les canons ecclésiastiques du Royaume de France doivent être maintenus inchangés (contre le Vatican qui ne cesse de faire des réformes qu’il veut imposer à la France). Les décrets et les jugements des papes ne sont irréformables qu’autant que le consentement de l’Église est intervenu (primauté de l’Église sur la papauté, dont l’autorité dépend du « consensum ecclesias », consentement de l’Église universelle). En France, les encycliques ne prennent force de loiqu’après que l’Église de France les a étudiées et acceptées.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Gallicanisme passe à l’attaque. Voici quelques noms de défenseurs canoniques :

L’abbé C. Fleury (1640-1723), historien éminent, infatigable lutteur pour l’indépendance de l’Église de France. Voir surtout son discours sur l’Église gallicane.

Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), surnommé « l’Aigle de Meaux », célèbre par ses « Quatre Propositions ».

Ajoutons le cardinal de la Luzerne (1738-1821) et le cardinal de Bouisset (1798-1824).

Malgré la chute de la monarchie et la Révolution française, si tragique pour le Gallicanisme, la lutte continue au XIXe siècle, dans des conditions beaucoup plus difficiles. En effet, auprès de l’athéisme qui va se répandant, naît en France un mouvement ultramontain dont le but est de soutenir l’absolutisme papal. La société catholique se partage alors en deux parties violemment opposés l’une à l’autre. Lee ultramontains n’ont aucune unité idéologique ; leur seul point commun est le renforcement du pouvoir papal. La première grande figure papolâtrique est Joseph de Maistre, monarchiste, franc-maçon, ennemi de la Russie et de l’Orthodoxie,qu’il traitera de « cadavre frigorifié ». Il sera suivi de la brillante personnalité de Lamennais, qui soutiendra la thèse du mariage de la papauté avec la démocratie. Le gallicanisme et la monarchie apparaissent comme des hérésies. Les idées socialistes prenant de plus en plus corps dans le monde romain, le- mépris du gallicanisme s’accentue au nom de l’idéal d’une Église internationale dirigée par un pape « père des peuples ». On opposera alors, en politique, l’idée païenne du patriotisme à l’idée chrétienne de l’internationalisme romain. Cette tendance s’est développée jusqu’à nos jours ; le progressisme flirte avec le communisme au nom de la papauté. Paradoxalement, après la dernière guerre, une certaine partie de la « droite » deviendra crypto-papiste par opposition aux idées communistes.

Néanmoins, le Gallicanisme poursuit son chemin. Citons l’abbé Fraysinnus (1765-1842) et son œuvre, « Vrais principes de l’Église gallicane » (1818), Mgr Grillon (1760-1847), célèbre patrologue, traducteur des Pères grecs et latins, adepte de l’ecclésiologie de saint Cyprien, ami de l’abbé Grégoire.

Indiquons ici un fait significatif qui illustre la psychologie du peuple français : l’apparition de la « petite Église ». Napoléon Ier, sapant tous les droits de l’Église des Gaules, conclut personnellement le Concordat avec Rome. A la suite de ce Concordat, les évêques légitimes, en majorité émigrés à l’étranger en raison des persécutions religieuses de la Révolution, sont déposés sans jugement. Le nouvel épiscopat de France est tout simplement nommé par le pape avec le consentement de l’empereur. En Vendée et dans le centre de la-France, une partie des populations, surtout la rurale, rompt alors la communion avec Rome, considérant le nouvel épiscopat illégitime et ses sacrements nuls. Ce schisme prend le nom de « petite Église ». Cet événement typique dévoile à quel point l’instinct d’indépendance et le respect des droits sacrés de l’Église de France sont profondément enracinée dans la mentalité française.

En outre, même dans le nouvel épiscopat, post-concordataire, nous verrons des figures telles que le martyr de la Commune, l’archevêque de Paris, Denis Affre, qui, dans son « Traité de l’Appel comme abus« , défend les droits sacrés de l’Église de France en faisant le procès serré des prétentions illégitimes du Vatican.

Notons que, le Vieux-Catholicisme, né par opposition à l’infaillibilité papale du concile du Vatican (1870) et qui et qui s’unit à l’Église janséniste d’Utrecht, n’eut aucun succès en France. Les Français avaient la nostalgie de la tradition, de l’Église des Pères des premiers siècles et non d’une Église romaine sans Pape. Le concile du Vatican rencontra chez les Français une opposition très vive, préparant ainsi l’avenir de la renaissance de l’Église orthodoxe de France.

Deux personnalités doivent être nommées ici, afin de souligner l’ampleur tragique de la situation : le Père Gratry, célèbre orateur et théologien, et V. Guettée. Le Père Gratry éleva sa voix puissante contre l’infaillibilité papale. La contradiction que sa conscience déchirée dut supporter, entre le devoir de confesser la vérité et l’obéissance à la hiérarchie qui l’obligeait non à croire à l’infaillibilité, mais à se taire pour ne pas scandaliser les foules, le brisa et il en mourut. L’autre, le Père V. Guettée, choisit franchement l’Orthodoxie, écrivit des livres, édita des revues, mais, en devenant archiprêtre de l’Église russe, perdit assez rapidement contact avec son ancien milieu.

Un des plus grands saints de l’Église catholique romaine, François de Sales, a laissé un témoignage de cette lutte inégale et poignante : « Rome est intraitable, elle n’écoute pas. Il ne nous reste qu’à prier et à pleurer ».

Ces prières, ces pleurs, cette aspiration tenace à restaurer l’Église des Gaules selon l’enseignement des Pères, malgré les échecs, malgré l’ultramontanisme, demeure une exigence ineffaçable du peuple chrétien de France. Se tournant enfin vers l’Orthodoxie, il désire effacer les neuf cents ans d’oppression et trouver au sein de l’Église Orthodoxe un soutien efficace et vrai, lui permettant de restaurer l’Église des premiers siècles avec ses droits sacrés, si longtemps piétinés.

La troisième période, avec ses multiples documents à l’appui, a été exposée dans le rapport présenté le 25 avril 1958 par l’Église Orthodoxe de France à S. E. l’Archevêque Jean et, plus tard, communiqué au Saint-Synode de l’Église Russe hors frontières. Ce rapport suit pas à pas les difficultés canoniques rencontrées par l’Église orthodoxe occidentale dans son travail de restauration. Il démontre que, malgré son intense désir de stabilité canonique et malgré l’immutabilité de ses principes, l’Église Orthodoxe de France fut contrainte de s’adresser à diverses juridictions sans parvenir à obtenir ses droits légitimes. En dépit d’apparente instabilité, elle est toujours restée fidèle à sa vocation.

Dans la Décision synodale du 16-29, et 17-30 juin 1960 (décision qui approuva les statuts de’ l’Église Orthodoxe de France), Son Éminence le Métropolite Anastase résumait admirablement, en deux phrases, la situation :

« Cette communauté (la Communauté de Mgr Winnaert) considérait son entrée dans l’Orthodoxie non comme une conversion à une nouvelle confession, mais comme le retour à la foi de ses pères, c’est-à-dire comme la renaissance de l’Église des Gaules absorbée en son temps par Rome et arrachée par elle au monde orthodoxe ».

En effet, il ne s’agit point de conversions d’individus ou de groupes à l’Orthodoxie orientale, mais de la ferme résolution de faire renaître sur le sol de France, et même en Occident, l’Église Orthodoxe des premiers siècles.

Les conversions individuelles, telles que celle de l’abbé Jubé d’Asnières, au XVIIIe siècle, et du père Vladimir Guettée au XIXe siècle – tous deux devenus sujets de l’Empire russe – (d’une vingtaine de prêtres et une cinquantaine de laïcs au XXe siècle, témoignent certes d’une nostalgie de l’Orthodoxie, mais ne peuvent être prises en considération. Quelques-uns des convertis s’adaptent si bien à leur nouveau milieu russe, grec… qu’ils perdent le contact organique avec leur pays, incapables d’accomplir un apostolat auprès des Occidentaux. La majorité subit un sort tragique, dépaysée des deux côtés, et plusieurs sont brisés moralement. L’Église orthodoxe de France reçoit de plus en plus, ces derniers temps, leur demande d’être accueillis par elle. Le motif qu’ils répètent inlassablement est qu’ils se sentent étrangers dans l’émigration et qu’ils désirent travailler pour leur propre pays et leur propre culture.

Le Père Patrick Gérard écrivait, par exemple, il y a un an, en octobre 1961 au « T.R. Archiprêtre Eugraph, Président de l’Église Catholique Orthodoxe de France :

« Je vous demande instamment, par les présentes, à être reçu dans la Juridiction de l’Église Catholique Orthodoxe Occidentale et à reprendre la mission pour la restauration de l’Église de Bretagne dans l’orthodoxie de la Foi Catholique et Apostolique-

« Voilà quatre ans, j’ai, en quittant notre Église, abandonné le combat pour le retour de l’Occident à la Sainte Foi Orthodoxe. Tout cela m’a permis d’admirer votre immense dévouement et votre courage intrépide pour une cause que moi-même j’ai abandonnée, ne sachant pas lutter contre les forces adverses ; d’ailleurs, cette issue fut un manque de prudence de ma part.

« De tout cela, je vous demande pardon et, par vous, à tous nos chers Frères et Sœurs de l’Église Occidentale. Cet exil fut pour moi, depuis son début, une souffrance, souffrance de devoir renoncer à l’idéal de ‘ma vie, souffrance d’être, d’une certaine manière, séparé de ceux que j’aime.

« Je fus vicaire dans la nouvelle paroisse franco-russe de Rennes avec célébration du rite byzantin en français, d’abord dans l’Exarchat russe de Constantinople, puis dans le Patriarcat de Moscou.

« Si, dans le Patriarcat de Moscou la compréhension envers l’Occident est plus grande, il n’en reste pas moins vrai que, en dehors de l’Église Occidentale Orthodoxe, toute situation est fausse. Nous devons être l’Église Occidentale Orthodoxe, nous Occidentaux, pleinement l’Église occidentale, possédant notre organisation canonique propre, sans confusion avec nos Sœurs et Mères de l’Église d’Orient ; l’expérience que je viens de faire, m’en rend pleinement conscient et convaincu. Plusieurs personnes m’ont dit : « Devenir orthodoxes, oui, mais dans l’Église Occidentale. Nous ne sommes ni russes ni grecs et ne voulons pas le devenir ».

Et le diacre Jean Lévêque adressait la lettre suivante, en juillet 1962, à « Monseigneur l’Archevêque Georges, Métropolitain de Paris et Légat du Patriarche Œcuménique :

« Monseigneur, en vous présentant mes profonds respects, je viens faire appel à votre haute bienveillance pour vous demander par la présente missive de bien vouloir autoriser ma mutation au Diocèse de Monseigneur l’Archevêque Jean et d’adhérer à l’Église Orthodoxe de France sous la conduite de l’Archiprêtre Eugraph Kovalevsky.

« Cette Église étant en pleine évolution et extension, et ayant des habitudes, coutumes, usages et langue de mon pays, la France. C’est pour cette raison que je vous prie donc d’autoriser mon changement. »

« La renaissance de l’Église des Gaules », selon la définition du métropolite Anastase, ne pouvait s’accomplir qu’à une double condition : l’union canonique avec les Églises orthodoxes actuelles de l’Orient, gardiennes de la Tradition, et la sauvegarde de son autonomie locale et de sa fidélité à ses origines apostoliques. Cette double condition, simple en théorie, a rencontré et rencontre encore de nombreuses difficultés.

Il eut été normal que l’Église Catholique Orthodoxe de France reprît sa place ancienne d’Église-sœur (autocéphale) et s’adressât à ce titre aux autres Églises orthodoxes, mais l’absence d’épiscopat et son nombre restreint l’obligeaient à rechercher, en plus de la reconnaissance, une juridiction canonique susceptible de la mener jusqu’à la maturité. Et le problème se posait : à quelle juridiction se soumettre ? Aucune Église orthodoxe actuelle n’a de droit sur les Églises d’Occident. Ce fait donnait à l’Église Catholique Orthodoxe de France la liberté de choisir la juridiction la mieux appropriée à son cas, mais le choix était difficile.

On aurait pu croire que n’importe quelle Église aurait été heureuse de l’accueillir et de lui témoigner sa sollicitude. Plusieurs pourtant se dérobèrent. L’habitude millénaire des orthodoxes de vivre dans des cadres orientaux, de confondre l’Occident avec l’hétérodoxie et, dès l’époque des croisades, de lutter contre les attaques et les influences de ce même Occident afin de sauvegarder le dépôt orthodoxe, cette habitude millénaire avait formé, un climat de méfiance ; la garantie de l’Orthodoxie organique était soudée, aux yeux d’un grand nombre, aux traditions orientales, d’où la difficulté de définir, au sein de l’Église universelle orthodoxe, la place autonome de l’Église locale d’Occident

Et le métropolite Anastase pouvait écrire avec justesse : « L’autonomie des communautés françaises n’était pas précisée canoniquement de façon claire au temps de leur appartenance au Pouvoir Ecclésiastique de Moscou, ni par la suite, lorsqu’elles passèrent sous la juridiction- du métropolite Wladimir en tant qu’exarque du Patriarche Œcuménique en Europe Occidentale ».

Les paroles du métropolite Anastase éclairent l’épreuve de la troisième période, que nous tracerons le plus brièvement possible.

Cette dernière période se partage en trois étapes : de la Grande Guerre jusqu’en 1936, de 1936 jusqu’en 1958, de 1958 -à 1962.

La première étape se caractérise par deux mouvements parallèles, l’un émanant du milieu orthodoxe ouvert aux problèmes occidentaux, l’autre issu du milieu occidental et évoluant vers l’Orthodoxie ; la deuxième étape, par la rencontre de ces deux courants et, au travers de mille difficultés, par la réalisation de l’Église Orthodoxe de France sous la direction de l’Église d’Orient ; la troisième étape se caractérise, enfin, par la clarification de la situation canonique et par l’évolution de l’Église.

Deux figures ressortent de la première étape : un Occidental en marche vers l’Église indivise, Monseigneur Winnaert, et un Oriental se vouant à la restauration de l’Orthodoxie Occidentale, Monsieur E. Kovalevsky.

L’abbé Louis Winnaert, ordonné prêtre dans l’Église romaine en juin 1905, quitte son Église-mère pour raisons de conscience en 1918.

Dès son départ de l’Église de Rome, il confesse la catholicité traditionnelle et professe, sur la base des sept Conciles Œcuméniques, l’ecclésiologie orthodoxe. Il reproche à Rome d’être plus « héritière de l’Empire romain que de l’Église primitive conciliaire ». Le but qu’il poursuit est la renaissance d’une Église catholique libre de l’autoritarisme « qui comprime les consciences et ne dilate pas les cœurs », Bien que sa doctrine soit déjà d’essence Orthodoxe, il ignore, à cette époque, l’universalisme de l’Orthodoxie. Les Églises d’Orient lui semblent exclusivement orientales et nationales, étrangères à l’esprit français. Voulant rester fidèle à la tradition occidentale, il cherche alors un appui dans le catholicisme non romain (anglicanisme, vieux-catholicisme). Il ne trouve pas là le souffle de l’Église indivise et se voit obligé d’organiser une vie ecclésiale parallèle en devenant évêque de ses communautés. Il souffre cruellement de son isolement, et, le 11 novembre 1929, rencontre le Père L. Gillet, hiéromoine orthodoxe français de rite oriental, qui lui découvre la possibilité de devenir orthodoxe tout en sauvegardant l’autonomie canonique et liturgique de l’Occident. En 1932, Mgr Winnaert écrit : « L’Église Catholique Évangélique prit définitivement conscience que son vrai chemin était de s’unir à l’Église orthodoxe orientale, non seulement dogmatiquement, mais aussi canoniquement ».

Afin d’écarter les difficultés créées dans l’Église de l’émigration russe par trois juridictions dont les rapports réciproques étaient tendus, le Père Lev Gillet, sur le conseil de Monsieur Eugraph Kovalevsky, proposa à Mgr Winnaert de s’adresser au patriarcat de Constantinople, ce qu’il fit à la fin de 1932, par l’intermédiaire du métropolite Euloge. Le métropolite Euloge, évêque du Père Lev Gillet, très bienveillant à la création de l’Église orthodoxe occidentale, chargea les professeurs de l’Institut Saint-Serge de donner leur opinion sur l’affaire.

L’Institut Saint-Serge répond par un rapport au métropolite Euloge ; nous en extrayons les passages suivants :

« Au mois de septembre 1932, Mgr L. C. Winnaert évêque et chef de l’Église Catholique Évangélique en France, s’est adressé, par l’intermédiaire du métropolite Euloge, au Patriarche de Constantinople, avec prière de réunir sa Communauté à l’Église orthodoxe.

« Nous avons ici un cas de réunion à l’Orthodoxie non d’une personne individuelle, d’un ecclésiastique ou d’un laïc, mais d’une communauté entière avec son évêque. La réunion d’une communauté s’accomplit par la réunion de son hiérarque, mais de façon que la communauté elle-même, soumise à son évêque, soit sauvegardée, c’est-à-dire que le chef de la communauté puisse être reçu seulement avec sa communauté, de même que, dans le cas contraire, le refus de- recevoir le hiérarque a comme suite le refus de recevoir la communauté. En d’autres termes, la possibilité d’un compromis, par exemple d’une réunion séparée et indépendante de l »évêque et de son troupeau, avec désignation de nouveaux pasteurs pour ce dernier, est principalement exclue. »

Concernant le rite occidental, le rapport dit : « Ce dernier ne peut être considéré comme un empêchement décisif, car le rite catholique occidental est aussi ancien que le rite orthodoxe et a existé avant la séparation des Églises, correspondant aux particularités de la psychologie occidentale ».

Enfin, en conclusion, les professeurs de-Saint-Serge portent un jugement historique :

« Les grands événements croissent imperceptiblement. Certes, il est impossible do prévoir l’avenir. Après la réunion avec l’Église Orthodoxe de la communauté de Mgr Winnaert ; mais il est aussi impossible d’exclure la possibilité du fait que la réunion de cette communauté sera le commencement d’un mouvement nouveau, celui de l’Église Orthodoxe Occidentale. Les possibilités historiques sont diverses, mais elles sont-pour la plupart uniques, et, il le semble, il ne faut pas négliger ce que nous offre l’histoire. L’Église Orthodoxe Occidentale ne sera-t-elle pas le premier pas vers la réunion de l’Occident et de 1’Orient chrétiens ? ».

Ce rapport est signé par l’archiprêtre S. Boulgakoff, le hiéromoine Cassien, les professeurs A. Kartachov et N. Afanassieff.

Le Patriarche Œcuménique Photius II est consentant, mais il meurt. Malgré le voyage du Père Gillet comme ambassadeur à Constantinople, la bonne volonté du métropolite Gennadios, président de la Commission canonique, malgré l’acceptation en principe, les pourparlers traînent. Mgr Winnaert, très gravement malade, craint de mourir en dehors de l’Église sans avoir pu assurer l’avenir de son troupeau. Une autre solution s’impose.

Parallèlement au cheminement de l’Église Catholique Évangélique vers l’Orthodoxie, une recherche de l’Orthodoxie de la vieille France s’est manifestée parmi les jeunes orthodoxes dans l’émigration. M. E. Kovalevsky est l’âme de ce mouvement. Arrivé avec ses parents en 1920 en France, il se consacre immédiatement au culte des saints locaux, organise des pèlerinages dans les lieux saints. Tout en faisant ses études de théologie à Saint-Serge, Institut de théologie russe de Paris, il fonde avec un groupe de camarades la Confrérie de Saint-Photius, dont le but, est la gloire universelle de l’Orthodoxie (le patronage de saint Photius leur est conseillé par le métropolite Antoine). M. Kovalevsky est nommé par la Confrérie chef de la province Saint-Irénée, dont la tâche est la restauration de l’Église orthodoxe des Gaules. A la -même époque, entouré d’une vingtaine de Français, il fonde aussi la première paroisse orthodoxe française.

Les statuts de cette paroisse, approuvés par le métropolite Euloge, lui donnent un certain caractère d’autonomie ; elle est soumise au métropolite Euloge en tant qu’évêque le plus proche, sans se confondre avec l’administration diocésaine de l’Église russe. M. Kovalevsky est simultanément membre de la « Commission française » qui travaille sous la présidence de l’archiprêtre N. Sakharoff ; cette commission étudie le rite des Gaules et tache de l’introduire dans la vie de l’Église. La liturgie des Gaules est célébrée pour la première fois, avec la bénédiction du métropolite Euloge, en. 1929, à Saint-Cloud.

Providentiellement et naturellement, les deux mouvements, l’un dirigé par Mgr Winnaert, l’autre par M. E. Kovalevsky, devaient se rejoindre.

Dès le début, M. E. Kovalevsky pose comme principe immuable la pureté dogmatique de l’Orthodoxie, d’où sa lutte contre le « Filioque », la « Grâce créée » la sophiologie, etc., et proclame que l’Église Orthodoxe n’est pas limitée à l’Orient, elle est universelle. Il en découle une double action : la défense de la Vérité orthodoxe sans compromis et la restauration de ses formes canoniques et liturgiques en Occident.

Que se passe-t-il ensuite, de 1936 à 1958 ?

En 1936, Mgr Winnaert remet son œuvre entres les mains de M. E. Kovalevsky et de la Confrérie de Saint-Photius.

Devant l’absence d’une réponse définitive du patriarche dé Constantinople et la crainte de la mort de Mgr Winnaert, la Confrérie ; par l’intermédiaire de M. E. Kovalevsky, adopte la dernière solution, particulièrement difficile : le 22 avril 1936, Mgr Winnaert envoie un mémorandum, accompagné d’un, rapport de la Confrérie de Saint-Photius, au métropolite Serge, « locum tenens » du patriarche de Moscou. Le 16 juin de la même année, parait le célèbre décret de Moscou n° 1249. Soulignons, dans ce décret :

1) la sagesse du métropolite Serge qui, dans les limites possibles des règles canoniques, sauvegardait le prestige du pasteur vis-à-vis de ses ouailles ;

2) la délimitation nette des organisations occidentale et orientale. L’expérience a montré que, toute confusion était nuisible aux deux ;

3) la reconnaissance de la tradition liturgique occidentale sans imposer prématurément un texte définitif.

Le 7 février 1937, étant déjà reçu personnellement dans l’Orthodoxie, Mgr Winnaert, au cours de la fête de la Sainte Rencontre, réunit son troupeau à l’Orthodoxie.

Le 10 février 1937, il fait profession monastique et reçoit le nom d’Irénée ; le même jour, le métropolite Éleuthère, exarque du Patriarcat de Moscou, lui remet les insignes épiscopaux occidentaux, c’est-à-dire la mitre, la crosse et l’anneau.

Au cours des pourparlers qui suivent le décret plusieurs points sont précisés :

– la célébration de Pâques selon le calendrier occidental,

– et la possibilité du sacre ultérieur de Mgr Winnaert.

Le premier acte d’Irénée, de son clergé et de ses fidèles est alors de demander l’ordination immédiate de M. E. Kovalevsky, dans le but d’en faire le successeur de Mgr Winnaert et l’intermédiaire entre les Églises orientales et les orthodoxes occidentaux, assurant de cette manière l’avenir de l’Église.

Le 3 mars 1937, Mgr Irénée Winnaert naît au ciel.

La 6 mars 1937, le diacre Eugraph Kovalevsky est ordonné prêtre par le métropolite Éleuthère.

Dès la mort de Mgr Irénée, bien que la date pascale et le rite occidental ne soulèvent, et ne soulèveront jamais, aucune difficulté dans le Patriarcat de Moscou (la lettre de 1939 du métropolite Serge à la Confrérie est nettement favorable), l’autonomie de l’Église Orthodoxe de France est sapée progressivement par le clergé et les fidèles de l’émigration. L’administration autonome glisse en un Doyenné sans droits précis, puis, profitant de la guerre ainsi que de la captivité prolongée du Père Kovalevsky, le Doyenné russe supprime même le Doyenné français.

Après la guerre, les Français protestent auprès du métropolite Nicolas de Kroutitsk, de passage à Paris ; en 1946, ils demandent au patriarche Alexis le vicariat français, avec le sacre de leur chef, le Père Kovalevsky, mais les émigrés russes de France s’y opposent vivement et, au contraire, essayent de supprimer totalement l’existence propre de l’Eglise de France en faisant entrer les paroisses françaises dans l’Union des paroisses russes. Les Français refusent et le Patriarcat de Moscou résiste encore à l’incompréhension de ses représentants en France.

Le 8 juin 1952, le Père Kovalevsky demande au Patriarche Alexis la permission de démissionner du Conseil exarchal.

Le 8 juillet 1952, a lieu la première assemblée de la Mission Orthodoxe Française, qui fait part de cette réunion au Patriarcat de Moscou.

Ce dernier continue de prendre à cœur les problèmes de l’Église de France et, le 14 juillet 1952, au cours de, la réunion du Saint-Synode, confère au fondateur et recteur de l’Institut Saint-Denys, l’archiprêtre E. Kovalevsky le titre de docteur en théologie ; et décide d’avoir deux Vicariats, un pour les Russes, l’autre pour les Français, prévoyant comme candidat pour le deuxième l’archiprêtre E. Kovalevsky.

A la même époque, dans le milieu du Patriarcat de Moscou à Paris, l’opposition contre l’Église Orthodoxe Française se fortifie ; elle essaye de supprimer tout vestige d’autonomie des paroisses françaises et, pour ce faire, d’écarter, du moins pour un temps, l’archiprêtre E. Kovalevsky.

Le 24 décembre 1952, pressé par les Français, le Père Kovalevsky met au courant de la situation le métropolite Nicolas de Kroutitsk, lui expliquant la difficulté pour l’Église de France de demeurer dans la juridiction du Patriarcat de Moscou.

L’année 1953 voit la rupture de l’Église Orthodoxe de France avec le Patriarcat de Moscou.

En janvier 1953, le Conseil exarchal de Paris essaye de remplacer le Père Kovalevsky par quelqu’un d’autre. Le Père Kovalevsky se soumet, mais le clergé et les fidèles français refusent catégoriquement et demandent au Patriarcat de Moscou de les libérer de sa juridiction en leur donnant la possibilité’ de s’adresser à une autre Église orthodoxe.

Le 27 mars 1953, le Saint-Synode de Moscou raye de la liste de son clergé le Père Kovalevsky et les prêtres français.

Le Patriarcat de Moscou, se basant sur de multiples rapports émanant de Paris, reproche à l’Eglise, de France :

« de disposer arbitrairement, à l’insu du Conseil, des prêtres ;

« l’organisation sans contrôle de paroisses dans diverses villes ;

« la législation indépendante des paroisses. Ces trois reproches découlent, selon l’expression pertinente du métropolite Anastase, du refus de respecter l’autonomie de l’Église de France.

Le Père Kovalevsky, bien qu’ayant tous les droits, en tant que responsable de l’Église de France, de disposer de ses prêtres et d’ouvrir des paroisses avait toujours prévenu le Conseil exarchal qui, sur ce point, informa faussement le Patriarcat de Moscou, et ceci dans le but d’absorber l’Église Orthodoxe de France. Quant à la « légalisation indépendante des Paroisses », elle était approuvée depuis 1948 par l’exarque, Séraphin.

En 1953, sortie du Patriarcat de Moscou, l’Église de France se tourne vers le Patriarcat œcuménique ; mais, craignant que les pourparlers ne traînent en longueur, le Père Kovalevsky propose de demander une protection provisoire au métropolite Wladimir {Exarchat russe de Constantinople). Ce dernier charge Mgr Sylvestre de s’occuper de l’Église de France. Mgr Sylvestre célèbre dans ses églises, ordonne des prêtres, préside les réunions annuelles, signe les procès-verbaux où l’on demande le sacre du Père Kovalevsky, mais, en réalité, ne transmet aucun document à Constantinople.

En 1954, l’Église de France reçoit de l’Exarchat de Constantinople les contre-propositions à ses statuts, contre-propositions inacceptables, qui tendent à transformer l’Église de France en œuvre missionnaire de l’Exarchat, lui enlevant ainsi sa personnalité. L’Assemblée Générale de l’Église Orthodoxe de France refuse et essaye en vain d’avoir un dialogue avec l’Exarchat, qui se dérobe.

Le 25 octobre 1954, elle envoie une délégation à Constantinople. Le patriarche Athénagoras la reçoit paternellement et prononce des paroles historiques :

« Eh bien voici un grand événement. C’est une chose merveilleuse pour Nous d’apprendre la renaissance de l’Orthodoxie en Occident. Mais Nous ne sommes pas étonnés que ce mouvement vienne de France, de cette France qui nous a déjà donné tant de belles et douces choses. C’est un moment historique pour toute la chrétienté et ce serait une grande faute de Notre part, si Nous ne comprenions pas que Nous devons travailler à sa réalisation.

« Nous savons qu’il y a en Occident une grande soif de retour à la vraie tradition chrétienne. Nous savons aussi que le climat de l’Église de Rome, par son autoritarisme très difficile à supporter, ne peut pas permettre une vraie renaissance au sein de sa tradition. Puissiez-vous être le pont qui sera jeté entre l’Église Orthodoxe dépositaire de la vraie Lumière, et l’Église Romaine que nous aimons ».

Et, s’adressant au Père Kovalevsky : « C’est un honneur pour Nous de vous apporter une aide, à vous qui avez consacré toute votre vie à cette œuvre historique de l’orthodoxie Française. »

Le Saint-Synode de Constantinople désigne Mgr Gennadios pour s’occuper de l’Église de France. Le 16 novembre 1955, le métropolite Gennadios écrit :

« Je n’ai pas oublié votre requête : la reconnaissance de l’Église de France et la consécration du Père Eugraph. La Commission canonique que je préside a étudié la question dans son ensemble et a décidé en principe d’accepter votre demande. Les conclusions de la Commission canonique ont été acceptées hier par le Saint-Synode du Patriarche. »

Mais l’Exarchat russe de Constantinople s’oppose très violemment.

Malgré les « souffrances canoniques », l’Église de France se fortifie, et, en 1956, l’Assemblée générale envoie à tous les patriarches et primats ses Décisions en implorant la Providence divine de lui indiquer à quelle Église s’adresser.

Du Mont-Athos lui parvient la réponse de s’adresser à l’archevêque Jean.

Le 27 novembre 1957, a lieu la première rencontre avec Mgr Jean. Un contact paternel s’établit Mgr Jean visite l’Église, fait connaissance du clergé et des fidèles ; l’archiprêtre Kovalevsky lui présente plusieurs rapports concernant différentes questions liturgiques et canoniques, et enfin, le 25 avril 1958, lui est remis le Rapport complet avec documents joints.

Le 9 février 1959, Mgr Jean remet le Rapport au Saint-Synode, qui décide de confier l’affaire de l’Église Catholique Orthodoxe de France au concile de novembre 1959.

L’Assemblée générale du 4 juillet 1959 de l’Église de France demande officiellement à l’Église Russe hors frontières l’autonomie, le rite des Gaules et le sacre de l’archiprêtre Kovalevsky, réélu à l’unanimité.

Le 11 novembre 1959, fête de saint Martin, le Saint-Concile place l’Église de France sous la juridiction de Mgr Jean, en acceptant son existence propre. Dès le début, Mgr Jean comprend que l’Église de France ne peut âtre mélangée et confondue avec l’Église russe de l’émigration.

Le 4 Mars 1960, l’archiprêtre Kovalevsky explique aux fidèles, par une lettre pastorale, la Décision conciliaire et l’entrée de l’Église de France dans l’obédience de l’archevêque Jean.

Le 4 mai 1960, S.E. l’archevêque Jean célèbre pour la première fois la messe pontificale du rite des Gaules et les prêtres français concélèbrent avec lui. Cet acte liturgique solennel confirme la communion eucharistique.

En juin 1960, une délégation composée de l’archiprêtre E. Kovalevsky et du professeur N. Minézac se rend à New York auprès lu métropolite Anastase. Le Saint-Synode approuve los statuts de l’Église de France (cf. Cahiers n° 25).

De plus, l’Ordonnance du Saint-Synode reconnaît la légitimité historique de l’appellation « Église Orthodoxe de France » et estime, qu’il est « de son devoir de lui apporter un soutien total dans sa vie constructive, intérieure et extérieure ».

Le-20 octobre 1960, l’archiprêtre Kovalevsky est nommé « Administrateur de l’Église Orthodoxe de France ».

Le 11 novembre 1960, l’Assemblée Générale de l’Église Orthodoxe de France, sous la présidence de Mgr Jean, conformément aux statuts approuvés par le Saint-Synode, réélit à l’unanimité comme son évêque l’archiprêtre E. Kovalevsky et vote d’ajouter à « Église Orthodoxe de France » le qualificatif « catholique ».

En 1961, obéissant à la Décision conciliaire, les-Pâques sont célébrées avec l’Église orientale. Le Père Kovalevsky, dans une lettre pastorale publiée dans lesCahiers Saint-Irénée donne des explications et exhorte à l’obéissance. Pourtant le procès-verbal du Conseil épiscopal du 9 mars 1961 constate :

« Bien qu’obéissant à la Décision conciliaire, une multitude de fidèles a écrit au Conseil épiscopal pour l’informer des incalculables difficultés que présente pour les Français la célébration des Pâques antiques ; cela suscite des troubles dans tous les milieux et l’on craint de voir les Rameaux, la Semaine Sainte, Pâques, l’Ascension et, la Pentecôte non suivis, cette année, comme à l’ordinaire, provoquant ainsi une chute et une grave désorientation dans la mission orthodoxe. »

Les troubles s’accentuent après les fêtes de Pâques, à tel point que, craignant des schismes, le Conseil épiscopal décide, afin de pacifier les esprits, de célébrer les Pâques avec l’Occident, au moins en 1962.

Notons que, les 4 et 5 novembre 1961, l’Assemblée Générale, sous la présidence de Mgr Jean, étudie les problèmes canoniques.

En mars 1962, une délégation composée de deux prêtres et de deux laïcs se rend à New York auprès du métropolite Anastase. Le Saint-Synode entend le rapport des prêtres, et le séjour de la délégation se termine par la célébration de la divine liturgie dans la cathédrale, selon l’ancien rite des Gaules.

Ces dernières années passées dans la juridiction de S.E. l’Archevêque Jean ont été très fructueuses : augmentation du clergé, ouverture de paroisses, construction d’églises, inauguration du premier monastère orthodoxe français (11 novembre 1961) et l’avenir s’annonce fécond.

Ce bref exposé démontre avec éclat l’apostolicité et l’indépendance de l’Église des Gaules, sa lutte-pour maintenir ses droits et la stabilité des deux « ouvriers » de sa restauration au XXe siècle :

Monseigneur Irénée Winnaert et l’Archiprêtre Eugraph Kovalevsky.