12ème après Pentecôte

12ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE

LE BON SAMARITAIN
Sens moral, spirituel et sotÉriologique

Mgr Jean, évêque de Saint Denis

Au nom du Père, du Fils et du Saint‑Esprit. Amen :

La signification immédiate de cette parabole du Christ est difficile peut-être à réaliser, mais aisée à comprendre.

Qui est notre prochain ? Ce n’est pas notre frère par le sang, les idées ou la confession, par la nationalité ou d’autres liens ; il peut être étranger à nous sous tous les rapports, car le Samaritain était dans la vie normale séparé des Juifs, sa vie coupée de la leur. Mon prochain n’est pas celui qui m’est bénéfique, mais à qui je fais du bien.

Les chrétiens ont donc pour frère: l’humanité. Elle est notre prochain. Non point qu’elle nous aime ! l’Église a été persécutée, les croyants sont souvent méprisés dans leur milieu. Non point qu’elle nous comprenne ! Chaque siècle déforme la doctrine du Christ, la haine de la religion fut forte et peut toujours augmenter… Certains pays, des sociétés entières s’efforcent de la détruire.

L’humanité est notre prochain parce que nous sommes destinés à l’aimer et que nous l’aimons. Ceci est le sens direct, indiscutable de la parabole du Bon Samaritain; tout esprit en dehors même de l’Église peut le comprendre. Notre Sauveur nous demande d’être des soleils. De même que le soleil brille sur les méchants et les bons, Il veut que nous agissions non selon le monde extérieur, ce qui est ou ce qui n’est pas, Il veut que nous rayonnions la compassion sur l’univers.

Nous voici parvenus au deuxième sens: la compassion.

Dieu Se met en mouvement pour sauver notre terre, Il vient chez nous pour guérir les malades, tout comme le bon Samaritain. Cherche-t-Il à satisfaire Sa justice, relever Sa propre gloire ? A-t-Il besoin de gloire! Le mouvement intérieur de Dieu est la compassion. Lorsque ce sentiment éclôt dans l’âme d’un homme, son oreille s’ouvre à la vie divine. Compassion pour le pauvre, l’ignorant, le sourd, le persécuté, le malade, l’homme demi-mort… Admirables, les qualités de la compassion ! Elle est le moteur du monde nouveau, car c’est le respect qui pousse le compatissant vers le malheureux. Elle n’est pas charité extérieure, bien qu’il soit bon d’aider même extérieurement. L’homme qui souffre est sacré pour le compatissant, non par nature mais parce que le sentiment de compassion a pour racines la vénération et la délicatesse. Elle désire le bonheur des souffrants, elle bande les plaies, conduit à l’hôtellerie, paye à l’avance la chambre et se retire. Elle est la base de la véritable culture chrétienne. La compassion met en mouvement Dieu immuable, inclinant les cieux afin que le Bon Samaritain, notre Seigneur Jésus-Christ, descende parmi nous.

Cette parabole nous présente un troisième sens, magnifiquement développé par les Pères de l’Église : le Bon Samaritain, c’est le Christ.

L’homme demi-mort symbolise, pour saint Ambroise de Milan, Adam, l’humanité tombée entre les mains des brigands. L’humanité est demi-morte et demi-vivante. Un regard attentif le discerne immédiatement : mi-morte, ni vivante. Que de fois avons-nous l’impression devant certains êtres – beaucoup d’êtres – qu’ils ne sont plus tout à fait vivants. Certes, ils bougent, ils parlent, ils désirent, tout « cela » tourne, s’accomplit comme si c’était des ombres, des mannequins réalisant un mécanisme précis. Certes, ils naissent, font carrière, amassent de l’argent, puis ils meurent. Entrons dans la vie spirituelle et nous prendrons de suite conscience de ce quelque chose de mortel. Nous constaterons soudain que notre âme est appesantie, qu’elle dort, enchaînée à un rêve. Combien il est difficile, alors, de se redresser, d’abandonner cet état demi-mort et demi-vivant.

Ni morte, ni vivante, voici la situation de l’humanité après le péché, tombée entre les mains des brigands diaboliques.

Les lévites et les prêtres voient le blessé et passent outre. L’ancienne loi divine, les métaphysiques et les religions d’avant le Christ voyant l’humanité demi-morte passent outre, car il aurait fallu, pour soigner un tel dénuement, S’abaisser. Seul, le Christ par Son incarnation, pliant les cieux, Se penche vers nous, devient proche de nous. Il a reconnu dans l’humanité Son enfant, agissant envers nous comme envers Son prochain.

« Il était en voyage, arriva près de lui, et, le voyant, fut touché de compassion », S’approcha de la misère… Il n’a pas craint les blessures, les laideurs du péché, Il S’approche, bande les plaies, verse l’huile et le vin. Nous sommes en face des trois grands sacrements : le baptême panse les plaies de nos péchés avec ses bandelettes mouillées d’eau baptismale ; l’huile de la confirmation nous fortifie et nous console, l’Esprit Saint Se donne à nous et au monde par la Pentecôte, Il vient en nous ; le vin, le Sang du Christ dans l’Eucharistie, nous purifie et nous vivifie.

Le Bon Samaritain veillant sur l’homme demi-mort est le Fil s de Dieu qui S’incarne par compassion, pour être tout près de nous, semblable à nous. Dieu avec nous, comme nous. Il nous apporte trois sacrements : le baptême, la confirmation et l’eucharistie.

« Puis il le mit sur sa propre monture, le mena dans une hôtellerie ». Ainsi commence le salut de l’humanité après l’Incarnation. Le Christ place l’humanité sur Sa propre monture et la mène à l’hôtellerie : à l’Eglise.

« Il le mena dans une hôtellerie, et prit soin de lui ». Au début de la vie spirituelle, lorsque le Christ nous introduit dans l’Église, nous sentons réellement que c’est Lui qui nous soigne, c’est la grâce d’appel. Sa main est posée sur nous, Il nous dirige, mais ensuite Il repart. Il passe et ne Se fait plus sentir. Il est venu nous chercher, Il S’est courbé sur nous, Il nou a soignés avec les trois sacrements, Il nous a conduits dans cette Eglise où nous pouvons tout recevoir. L’âme a été touchée par la main bénie du Christ, puis, tout à coup, il ne lui reste que le souvenir. La grâce d’appel semble s’achever.

L’autre épreuve, l’autre étape s’avance. « Le lendemain », dit l’évangile, « tirant deux deniers, il les donna à l’hôte et lui dit: « Aie soin de lui, et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour ». Les paroles du Christ sont faciles à comprendre , elles parlent à notre âme, mais quels sont ces deux moyens, ces deux deniers remis par notre Sauveur à l’hôte ? Saint Ambroise répond : ces deux deniers sont l’enseignement du Christ et les sacrements. Inépuisable enseignement de l’Evangile, inépuisable vie sacramentelle.

Mais pourquoi le Christ ajoute-t-Il :  » Tout ce que tu dépenseras de plus, Je te le rendrai à Mon retour »? Comment, la Tradition et les sacrements ne suffiraient-ils point ? Qu’est-ce, ce dépensé en plus ? La parabole ne le dit pas. Et « je te le rendrai »? Si le Christ le rend, c’est qu’Il ne l’a pas donné ? D’où viennent ces deniers non versés par la main divine ?

Notre Seigneur prévoit que l’Evangile et la Tradition subiront au cours des siècles de nombreuses déformations et que, chargés d’infirmités, ils pourront perdre de leur puissance. Ne fermons pas les yeux. De même que pour l’humanité, notre vie personnelle contient des périodes où malgré les richesses célestes et terrestres de l’Evangile et de la Tradition, nous sommes pauvres et désemparés. Quels seront alors ces deniers que l’Église dépensera en plus et que Dieu lui rendra ? Ce sont la prière et le cri de l’Église elle-même pour toute l’humanité. Et le Christ « rendra », compensera cette dépense de force par la plénitude de la vie du Saint-Esprit. La liturgie appelle ce don ineffable : l’Epiclèse. L’Eucharistie symbolise les deux pièces déjà offertes par le Christ : « Prenez et mangez, prenez et buvez, ceci est Mon Corps, ceci est Mon Sang ». Cela, le Christ nous l’a accordé, ainsi que la puissance du sacrement de lier et de délier au ciel et sur la terre. Mais l’autre denier, celui que l’Église apporte, celui que nous apportons, c’est notre prière, l’Epiclèse, l’ardente Prière. Cette pensée soulève encore un voile de la parabole, montre un nouveau chemin… Mais si mes paroles ont pu éveiller votre désir d’aller plus avant, que Dieu soit loué

Amen.