RESTAURATION DE LA LITURGIE
DE L’ANCIEN RITE DES GAULES DITE
ÉDITORIAL
SUR L’HISTOIRE DE L’ÉTUDE ET DE LA RESTAURATION DANS L’ORTHODOXIE
DE LA LITURGIE DE L’ANCIEN RITE DES GAULES
DITE «LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS»
Monseigneur Germain de Saint-Denis
INTRODUCTION
1ère Partie : LES PRINCIPES DE LA RESTAURATION
1) De la diversité des rites et ses corollaires
2) De deux ou trois témoins
2ème Partie : HISTORIQUE DE L’ÉTUDE DU RITE
1) Depuis Alcuin jusqu’au Père Pierre Lebrun
2) Dissertation du Père Pierre Lebrun
3) Du Père Pierre Lebrun jusqu’aux temps actuels
3ème Partie : HISTORIQUE DE LA RESTAURATION DU RITE
1) Du Père Wladimir Guettée à l’Archiprêtre E. Kovalevsky
2) Conclusions de la Commission Liturgique de 1961 (Saint archevêque Jean de San Francisco)
4ème Partie : LES SOURCES DE LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
1) Des sources en général
2) Les documents
3) Trois ouvriers liturgistes et les documents
4) Conclusions
5ème Partie : CONCLUSIONS
1) Réponses à six questions
2) Les particularités essentielles
3) Présentation des emprunts
ÉPILOGUE
Nous remercions l’institut de Recherche et d’Histoire des Textes d’avoir autorisé la reproduction du folio n° 114 du manuscrit b III, à partir de son microfilm (début de la Première Lettre de Saint Germain) p.110.
La Deuxième Lettre de Saint Germain de Paris a été traduite par Marc-Antoine Costa de Beauregard.
Imprimé par nos soins – Dépôt légal : 2ème trimestre 1978
Les opinions exprimées dans la revue n’expriment que leurs signataires
ÉDITORIAL
Ce numéro, qui précède la bibliographie générale (n° 31), présente l’étude synthétique de la «Liturgie selon Saint Germain de Paris», telle qu’elle est actuellement célébrée au sein de l’Église orthodoxe de France.
Malgré son caractère nécessairement érudit, cette étude ne s’adresse pas uniquement aux spécialistes mais aussi et surtout à tout fidèle conscient. Elle se veut un témoignage d’Église vivante et non d’Église «musée» : la science liturgique est ici au service de la Tradition qui a sa source dans l’œuvre continuelle de l’Esprit aussi bien dans l’Écriture Sainte que dans l’Église qui la continue.
A ceux qui nous reprocheraient de faire œuvre d’archéologie, nous répondrions par ces paroles du Christ : «De ces pierres mêmes, Dieu peut susciter des fils à Abraham» (Mt. 3, 9). Ces pierres d’attente qu’étaient les textes liturgiques qu’étudie ce numéro ont retrouvé la vie de la Tradition par l’action de l’Esprit dans la communion de l’Église orthodoxe.
Elles sont redevenues la nourriture des fidèles orthodoxes d’Occident. Car ce travail de chercheurs s’est fait au creuset même de l’expérience ecclésiale.
Mais la portée de cette résurrection de ce qui était mort, dépasse le cadre visible des communautés qui en vivent actuellement. La concordance entre cette liturgie et les liturgies orientales et les autres liturgies d’Occident rappelle l’unité foncière du culte chrétien, l’unité foncière de l’Église. Cette liturgie rejoint les racines orthodoxes de ce pays ; elle constitue le témoignage, par excellence, de l’Église apostolique dans les pays d’Occident. Mais son témoignage ne porte pas seulement sur le passé commun des chrétiens. Il porte aussi, en ces temps d’œcuménisme sur l’avenir commun des chrétiens. Car en retrouvant les racines de sa Foi, sa filiation en Abraham, Isaac et Jacob et dans le Christ, l’Église retrouve la tension eschatologique vers la fin des temps. Œcuménique en son fond par le Premier Avènement, l’Église est tendue vers l’œcuménicité du Christ dans son Second Avènement. Et ce n’est pas en relativisant la Foi et la Tradition qu’on réalise l’œcuménisme. L’œcuménisme se reçoit de la Tradition. C’est le Christ Lui-même qui Se transmet en plénitude dans la Tradition, mais un Christ qui laisse l’Esprit de Pentecôte susciter dans la plénitude l’offrande personnelle de chaque culture, de chaque peuple, de chaque génération. Ainsi ce que l’on reçoit, on le donne à son tour avec sa marque propre, dans un large mouvement eucharistique.
Loin de l’uniformité totalitaire de l’une ou de l’autre Rome, loin de l’individualisme et de l’éclatement que cette uniformité provoque, trouver l’apport personnel et varié de pierres vivantes à l’édification de l’Unique Corps du Verbe Incarné…
R. P. M.-A. Costa de Beauregard
SUR L’HISTOIRE DE L’ÉTUDE ET DE LA RESTAURATION DANS L’ORTHODOXIE
DE LA LITURGIE DE L’ANCIEN RITE DES GAULES DITE
« LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS »
INTRODUCTION
Nous souhaitons, dans cette étude, tendre à la justification de l’utilisation actuelle de la Liturgie du rite des Gaules. Il n’est pas question de procéder, ici, à la reconstitution liturgique, ni d’examiner la méthode et la manière d’opérer des auteurs compétents à travers l’histoire. Nous voulons établir les principes de cette restauration liturgique suivre la lignée des apports historiques et décrire quelques uns des documents et des sources utilisés lorsque l’évènement capital et final de la célébration nouvelle du rite anciennement abandonné, se produisit.
Il est des connaisseurs, spécialistes ou non, parmi les Orientaux orthodoxes et parmi les Occidentaux orthodoxes ou non orthodoxes. Certains approuvent sans réserve l’œuvre délicate et historique de la restauration de l’Ancien rite des Gaules, d’autres, cependant, parmi les critiques, les étonnés, les adversaires… posent une série de questions qu’il n’est pas permis d’ignorer. Nous jugeons utile de citer les principaux aspects de ces questions.
1. Pourquoi, dit-on, ne célèbrerait-on pas, chez les Orthodoxes occidentaux et français, le rite de Saint Jean Chrysostome puisque, sans conteste, la majeure partie des Églises orthodoxes orientales le célèbre ? Outre la simplicité concrète d’utiliser un rite vivant, cet emprunt ne consacrerait-il pas une unité ?
2. Si l’on désire un rite occidental, pourquoi ne pas utiliser le rite actuel de l’Église de Rome en y apportant les correctifs orthodoxes ? Ceci aurait un avantage œcuménique et, de plus, éviterait le piège archéologique !
3.Est-il pensable et réalisable de restaurer un rite demeuré à l’abandon total durant un millénaire ? A le faire ne se risquerait-on pas à la fantaisie et comme dit précédemment, à l’archéologie ?
4.A l’époque œcuménique de recherche de l’unité, convient-il de rechercher un rite occidental et de paraître ainsi uniate, prosélyte…?
5. N’y a-t-il pas ici, malgré tout le soin, l’honnêteté, la science, le génie… apportés à la rénovation, le risque de créer un rite mélangé d’éléments occidentaux et orientaux ?
6. Savez-vous, enfin, si votre restauration est véridique, exacte ? Êtes-vous capables de livrer des sources et des documents avec appareillage critique pour ne pas proposer des inexactitudes.
Si notre étude, pour laquelle nous demandons quelque indulgence dans le choix des thèmes et des textes, se révèle efficace, elle répondra progressivement à ces questions sans pour autant y faire référence expressément.
Avant d’examiner les principes, précisons la nature des documents sur lesquels nous allons nous fonder
Deux Études de la Commission Liturgique permanente de l’Église catholique orthodoxe de France, en date de 1961 pour la première[1], réunie sous la présidence de l’Archevêque Jean de San Francisco, membre du Concile de l’Église Russe Hors frontières et en date de 1968, pour la deuxième[2], réunie sous la présidence de Monseigneur Jean de Saint-Denis (Eugraph Kovalevsky) évêque et éminent liturgiste ; et toutes les sources[3], qu’elles se trouvent indiquées ou non dans les deux documents susnommés.
1ère partie : LES PRINCIPES DE LA RESTAURATION
Ils ont été, et ils le sont toujours – puisque cette œuvre se poursuit – envisagés sous deux aspects principaux. La pénétration dans le cœur du sujet fonde le premier principe « de la diversité des rites dans l’unité de la Foi[4]», avec ses corollaires : l’enracinement et la Tradition. D’autre part, la citation des documents orthodoxes élaborés et transmis à travers tous les siècles exprime le deuxième principe « de deux ou trois témoins pour déclarer une vérité», pour permettre de passer de la theoria à la praxis, du concept à la réalisation.
1. DE LA DIVERSITÉ DES RITES ET SES COROLLAIRES
Pour approcher, pour entrouvrir la porte des mystères en évitant de les limiter, de les appauvrir ou d’en stériliser le contenu, il faut disposer de plusieurs approches, de plusieurs chemins. Saint Grégoire de Nazianze, par exemple, scrutait le mystère de la Sainte Trinité dans ses fameux Sermons Théologiques. Pour essayer de percevoir la réalité de la Personne du Père, du Fils ou du Saint-Esprit, à propos de chacune, il énumère et étudie des listes de noms : lucarnes, lueurs sur ce qui dépasse toute définition. Lorsque la Scolastique médiévale s’attacha, dans son analyse, à l’unique terme de « Transsubstantiation », elle enserra la réalité insaisissable et vivifiante dans une définition desséchante, caduque, rétrécissante bien que philosophiquement intéressante et utile.
« De même qu’il n’y a qu’un seul Esprit et une multitude de dons, un seul Seigneur et une multitude de ministères, un seul Dieu et une multitude d’actions, un seul Corps composé de différents membres, une seule Église rassemblant les Églises-sœurs, un seul Évangile écrit par quatre évangélistes, une seule Jérusalem céleste avec douze portes ouvertes, une seule race nouvelle, peuple royal unissant les nations avec leurs Archanges et leurs cultures, un seul épiscopat coordonné par un grand nombre d’évêques, de même il n’y a qu’une seule Eucharistie se manifestant dans les temps et les lieux par différents rites et coutumes[5] ».
Ainsi l’Esprit Saint dirige l’Église. S’il existe bien un seul Évangile de Jésus-Christ, Il en a pourtant donné quatre formes complémentaires, car une seule forme eut diminué la réalité du Verbe Incarné. Il n’y a qu’une seule Incarnation du Christ, une seule Bonne Nouvelle, une seule Pierre Angulaire, mais il y a quatre témoins, quatre auteurs, quatre livres, et chaque livre donne un aspect pour compléter et éclairer les autres. Précisons cette assertion par un exemple.
Les trois Synoptiques relatent la Transfiguration du Christ sur la montagne. Cependant saint Matthieu dit la frayeur des trois Apôtres en entendant la Voix sortant de la nuée ; saint Marc rattache l’effroi à la vision de la Lumière resplendissante et saint Luc à la Nuée qui vient les couvrir ! Celui qui lirait un seul des trois évangélistes aurait l’impression, devant la manifestation de la Gloire divine, que la crainte des Apôtres est liée soit à la manifestation du Père, soit à celle du Fils, soit à celle de l’Esprit, mais pas aux trois conjointes. Les trois évangélistes se complètent. Et saint Jean ne parle pas de la Transfiguration, de la Gloire divine sur la montagne, car il complète les trois ensemble en mettant l’accent sur l’Incarnation, sur l’humanité du Christ qui cache, par humilité, Sa gloire divine, afin qu’il apparaisse en fin de compte, dans le Christ, et la Gloire de Dieu et la gloire de l’homme.
L’unité mystérieuse dans l’Église, dans la Tradition, est sauvegardée par la multiplicité des manifestations concordantes. Cette multiplicité extérieure exprime et garantit la catholicité de l’unité intérieure, tandis qu’au contraire une unification extérieure, en matière de constitution ou d’administration, en matière rituelle, ou en toute autre matière se fera toujours au détriment de l’unité intérieure, essentielle et catholique. La Jérusalem céleste (Ap. 21, 12) a douze portes : les douze Apôtres ; s’il n’existait qu’un seul évangile, un seul don universel, un seul ministère, un seul rite, la ville sainte de l’Apocalypse aurait une seule porte d’entrée ! La profondeur de l’Église du Christ réside dans l’unité intérieure avec la multitude des expressions et manifestations extérieures, la quantité des portes d’entrée vers l’unité dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Il est donc indispensable pour le rite, pour la louange liturgique, de disposer dans l’Église universelle de la multiplicité des formes. La floraison des formes rituelles fonde la véracité de l’Église ; l’unification prouve, à l’inverse, un manque et peut devenir mortelle. Cette multiplicité contrôlée par l’Esprit de Dieu et par l’Église échappe à l’anarchie – piège possible – par la concordance des témoignages dont nous parlerons plus loin. En Orient orthodoxe le rite byzantin a couvert toutes les Églises ; en Occident romain le rite romain a envahi également l’Église entière. Et nous constatons dans cette unification une cassure en place d’unité intérieure; en ce domaine, les Églises orthodoxes ont seulement pour avantage d’être plusieurs, ce qui diversifie leur expression rituelle de la liturgie, mais leur unité intérieure s’affaiblit de leur rite unique.
Le principe de l’unité intérieure alliée à la multiplicité extérieure, principe issu de la Source Théologique, doit s’appliquer au rite – notre sujet d’étude – mais aussi au monde extérieur. A concevoir, par exemple, une humanité abstraite sans tenir compte des traditions, des cultures, des nationalités, des provinces, l’on entrerait dans une vision artificielle et non catholique de l’homme. Car chaque peuple, chaque province, comme chaque civilisation, chaque culture apportent des pierres précieuses à la construction de la Jérusalem céleste, formant la catholicité avec les douze Apôtres, les quatre Évangiles etc. Certes, la lutte contre le chauvinisme est bonne et il ne faut pas bénir l’exaltation d’un seul face aux autres. Mais si quelqu’un professe l’humanité cosmopolite, ajoutant qu’il n’y a pas, dans l’Église, de valeur de chaque peuple, de chaque lieu, de chaque civilisation, de chaque culture, de chaque élément sacral, celui-là ne voit pas en catholique. L’Apocalypse, chère aux peuples qui forgèrent l’Ancien rite des Gaules, dit expressément (15, 4) : « Toutes les nations viendront et se prosterneront devant Toi, parce que tes jugements ont été manifestés», et surtout (21, 24) : « Les nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre y apporteront leur gloires ».Cet apport de la gloire et de l’honneur des nations est fait à la Jérusalem nouvelle. L’Église, ainsi, ne sauve pas seulement les individus ; tous sont destinés à entrer dans la Ville où il n’y aura plus ni Juifs, ni Grecs, ni Français… mais où, simultanément, se trouvera la gloire des Juifs, celle des Grecs, des Français…
L’unité dans la Vérité, l’unité divine procurée par l’Esprit divin mais dans la pluralité des formes de manifestations, doit s’exprimer dans toutes les couches de la vie, dans tous les plans.
Attention, cependant ! Il existe une autre unité qui n’est pas en rapport avec la multiplicité mais qui est basée sur l’Incarnation. Il ne s’agit plus de l’unité dans la foi avec la coexistence des différentes coutumes et la multiplicité des rites. Nous essayerons de l’exprimer ainsi : L’Église, dont le Christ est le chef, est universelle pleinement ; elle dépasse et transcende le temps et l’espace. L’Évangile est destiné au dernier comme au premier siècle, au passé comme à l’avenir et au présent. Ce message global, total, universel, qui récapitule tout, doit pourtant s’incarner, se marier, épouser le temps et l’espace. Une Église doit savoir s’incarner dans le sol de tout pays et en tous temps, sinon elle ressemblerait à un ciel sans terre, à une graine sans sol pour se semer, et elle donnerait l’image d’un époux sans épouse. Cette comparaison signifie la nécessité d’une rencontre entre l’Évangile, l’universel proposé et la réponse localisée dans un temps et un espace ; la théologie nomme cette rencontre la synergie. La semence universelle entre dans le lieu réel, tel qu’il est en un temps donné. De ce point de vue, l’unique et éternel message évangélique – transmis sous ses quatre formes – rencontre une époque et un lieu : ceci oblige à tenir compte non seulement du rapport entre l’unité et la multiplicité, comme précédemment, et non seulement d’un seul Esprit dans une multitude de formes ou des douze portes de la Jérusalem céleste, mais aussi du rapport entre l’universalité et les éléments constitutifs. Puisque nous nous sommes attachés à la question des rites nous concluons de ce deuxième principe (de l’incarnation universelle) que le problème des rites orientaux ou occidentaux, grecs ou français, n’est pas le seul problème qui se pose mais que la question de ces rites se pose aussi par rapport à une époque et dans un espace. L’Évangile est éternel, mais il existe par exemple, la vision du quatrième siècle, et dans cette vision celle, sublime, des Pères Cappadociens. Saint Grégoire le Théologien est éternel et universel en tant qu’il scrute la profondeur de la théologie, mais il la sème et l’enracine dans la mentalité dans la vision du quatrième siècle. Pour notre part nous vivons au vingtième siècle et l’Église s’incarne aussi en ce siècle ; il nous faut donc considérer l’orthodoxie de la foi et le rite en ce siècle et en France puisque nous y vivons.
En résumé, la Vérité s’exprime dans la multiplicité des formes et en même temps elle s’adresse à l’humanité et aux hommes réels dans le temps et dans l’espace. S’il y a diversité des rites dans l’unité de la Foi, il y a aussi mariage de la Foi avec les mentalités dans la diversité des rites. Cette incarnation ne signifie pas que l’Église doive changer avec la mode afin d’être à la page et courir derrière les dernières nouveautés idéologiques ou politiques. Cette dernière attitude révèle la peur de n’être pas compris ou de n’être pas à la mode ou de n’être pas respecté dans certains milieux. Ceci n’est pas ce que nous voulons souligner ; nous voulons contempler la Vérité libre, au-delà du temps et de l’espace, et lui permettre de s’enraciner ensuite dans le temps et l’espace.
Deux exemples pourront éclairer ce domaine. L’Église de saint Cyprien de Carthage et de saint Augustin, l’Église d’Afrique du Nord, vivant d’une vie incomparable entre le 2ème et le 6ème siècle, a totalement disparu. Simultanément l’Église d’Arménie, malgré les exils de son peuple et les persécutions atroces et presque incessantes, est en vie. Pourquoi cette différence ? Parce que le christianisme a su en Arménie épouser profondément la civilisation et la culture arménienne et son lieu, tandis que l’Église d’Afrique, malgré saint Cyprien et saint Augustin, malgré des légions de saints plus africains que latins, était plus latine qu’africaine. Les racines de cette Église n’ont pas profondément pénétré le sol ; alors les fleurs sont venues sur les arbres, mais faute de racines enfoncées, ceux-ci sont morts.
L’autre exemple est cité par Monseigneur Jean de Saint-Denis comme fait de son expérience. Visitant l’Afrique durant l’été de l’année 1966, il visita, à Alexandrie, le Patriarcat orthodoxe et le Patriarcat copte. Il discerna et éprouva très vivement que l’Église locale, vraiment enracinée, était l’Église copte malgré sa doctrine monophysite tandis que l’Église orthodoxe, ayant depuis longtemps, sous l’influence de l’empire gréco-byzantin, abandonné les coutumes du lieu pour épouser les coutumes byzantines, était devenue grecque, cessant totalement d’être égyptienne. L’Église orthodoxe ne s’est pas incarnée en Égypte, et ceci n’est pas à mettre au compte exclusif des évènements politiques.
Nous discernons vraisemblablement mieux, maintenant, les deux principes de l’unité dans la multiplicité et de l’enracinement, indispensable pour un christianisme vivant et conscient.
Il manque encore un principe indispensable à notre étude sur l’essence des choses sans lui notre présentation de la restauration liturgique serait faussée. Dans les Lettres de saint Germain de Paris, dans les Commentaires de saint Césaire d’Arles, saint Isidore de Séville, Grégoire de Tours, comme dans le Liber ordinum[6]oudans le Missale Mixtum[7], l’Ancien rite des Gaules chante en présentant l’Évangile à la lecture solennelle : Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu Tout Puissant Qui était, Qui est, Qui vient» (Apo 4, 8). Ce chant appliqué à notre sujet, montre et fixe le critère de la Tradition : que l’on ne peut s’enraciner réellement dans le présent et marcher véridiquement vers l’avenir prophétique si l’on ne respecte et ne vit pas le passé. Le respect des coutumes, respect ni archéologique ni folklorique, mais respect de la paternité, est contenu dans le respect du passé.
Une personne écrivait aux restaurateurs de l’Ancien rite des Gaules : «Vous voulez reconstruire artificiellement l’Église romane tandis que nous vivons au 20ème siècle ; votre œuvre ne sera pas vitale ». Certes, personne n’a besoin de l’Église romane et si l’on peint parfois des fresques dans le style roman, cela tient simplement à ce que l’époque romane était un sommet dans l’art et l’iconographie occidentale. Si quelqu’un construisait une église à la manière des peintres « abstraits », église à caractère sacral, contenant à la fois le respect du passé, la réalité du présent et le prophétisme de l’avenir, il conviendrait de le bénir. Mais tel n’est pas le cas et en l’occurrence les restaurateurs se sont enracinés dans le passé afin de reposer sur le fondement des Pères, sur la paternité de ce sol christianisé depuis les origines. Ils ne se sont pas contentés de ce respect, car ils auraient manqué au présent et à l’avenir, mais ils en ont tenu grand compte. Le christianisme a trois mouvements : une source qui introduit le passé, le respect de ce qui fut (jusqu’aux lieux géographiques : exemple les anciens sièges épiscopaux !), puis la présence réelle, aujourd’hui et pas demain, ce que l’Évangile exprime en disant : « à chaque jour suffit sa peine », et enfin la tension ou la poussée prophétique, dynamique, eschatologique vers l’avenir. Dans la question du rite, ces trois éléments doivent être respectés. Ils ne sont, d’ailleurs, pas autres que les trois ancres de la Tradition, portée et communiquée par l’Esprit Saint. Le respect, entre autre, fut montré par le Christ : s’Il dépasse la loi en instituant le rite nouveau de la Sainte Cène, Il respecte la loi en envoyant les impurs auprès des prêtres après leur guérison, en étant circoncis, en fêtant la Pâque, en suivant les fêtes légales.
Ramassons les trois principes qui vont sous-tendre le travail des restaurateurs de la liturgie :
– le principe de l’unité dans les formes multiples, qui s’exprimera par l’unité de la Foi dans la diversité des rites ;
– le principe de l’enracinement ou de l’Incarnation, qui s’exprimera par la relation entre la Foi communiquée par le rite en un temps et un lieu donnés ;
– le principe de la Tradition qui se manifestera par l’apport au rite de l’apport du passé dans la situation actuelle afin de révéler dans l’avenir les pensées divines et humaines cachées.
Ces trois principes, on le voit aisément sont le reflet des trois mystères de la Trinité, de l’Incarnation, de la Pentecôte. Il est nécessaire de souligner dès maintenant qu’ils ont présidé à la restauration du rite utilisé par l’Église catholique orthodoxe de France.
2. DE DEUX OU TROIS TÉMOINS
Nombre de documents aussi bien de l’Église orthodoxe des derniers siècles que de l’Église indivise des premiers temps viennent témoigner en faveur de la multiplicité des formes, des rites, des coutumes, en faveur de la différence des rites liés aux époques de l’histoire et aux lieux, et en faveur du respect du passé nécessaire pour que le présent puisse préparer l’avenir. Nous laissons, ici, la place au Rapport de la Commission Liturgique de 1968[8].
«Saint Athanase le Grand, saint Basile le Grand, saint Hilaire de Poitiers, saint Ambroise confessant unanimement le Verbe divin incarné, luttaient ensemble contre l’hérésie arienne et formant l’Église unique du Christ par leur enseignement, célébraient chacun la divine Liturgie selon le rite de leur pays ; Athanase : celui d’Alexandrie, Basile : celui d’Asie Mineure, Hilaire : celui des Gaules et Ambroise celui d’Italie. Aucun des quatre ne célébra la liturgie dite de saint Jean Chrysostome les quatre ignoraient le Typicon byzantin formé tardivement. Étaient-ils moins orthodoxes que nous ? Étaient-ils désunis dans la foi ? Étaient-ils séparés par différentes confessions ? N’étaient-ils point orthodoxes ?
Le rite romain en sa forme traditionnelle – pour ne citer que lui – est aussi orthodoxe que le byzantin, car il fut celui de saint Grégoire le Grand, de saint Léon le Grand, de saint Benoît, de la nuée des Martyrs et des Saints inscrits dans le calendrier orthodoxe. Sa non-orthodoxie réside en certaines déviations survenues ultérieurement, telles que l’ajout du Filioque, la négation de l’action du Saint-Esprit dans la transformation du pain et du vin en Corps et en Sang du Seigneur, la privation de la Coupe pour les fidèles, l’introduction d’éléments rituels et de fêtes liturgiques que la Tradition ininterrompue peut contester etc. Un problème analogue se pose pour les rites copte, arménien et autres. Notons que celui des Gaules échappe théologiquement à ces difficultés.
… L’Église orthodoxe étant l’Église vraie du Christ, la continuatrice de l’Église indivise reconnaît la diversité des rites et des coutumes dans l’unité de la Foi.
La voix apostolique
Le divin Paul, ayant enseigné avec vigueur aux fidèles les dogmes de la Révélation les exhorte au chapitre 14 de son épître aux Romains : «Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange, car Dieu l’a accueilli… Tel met de la différence entre les jours, tel autre les estime tous pareils… Celui qui observe tel ou tel jour, l’observe en vue du Seigneur; et celui qui mange, mange en vue du Seigneur, car il rend grâces Dieu; et celui qui ne mange pas, c’est en vue du Seigneur qu’il ne mange pas, et il rend aussi grâces à Dieu». Saint Paul demande de ne pas «discuter les opinions» sur les questions qui peuvent varier suivant les individus et les groupes. «Le même cœur, la même bouche pour glorifier Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ». Tolérance dans le reste, c’est-à-dire : manière de jeûner, de fêter, tout ce qui concerne la pratique liturgique.
Dans le chapitre 2 de son épître aux Colossiens, après avoir édifié les chrétiens sur Celui en Qui habite corporellement la plénitude de la divinité, il écrit : «Dès lors, que nul de vous ne juge sur le manger et le boire, ou au sujet d’une fête, d’une nouvelle lune ou d’un sabbat ; ce n’est là que l’ombre… la réalité se trouve dans le Christ». Il est certain que Paul ne parle pas ici des rites divers – à cette époque, une large place était laissée à l’improvisation du célébrant – mais le principe est le même : distinction du contenu et de l’expression.
Et que dire, dans l’épître aux Galates, des paroles tracées en gros caractères par sa main inspirée, sur les circoncis et les incirconcis ! «Car la circoncision n’est rien, l’incirconcision n’est rien ; ce qui est tout, c’est la nouvelle créatures. Paix et miséricorde sur tous ceux qui sont entés sur ce canons» (6, 15-16).
Nous pensons donc qu’il n’est pas raisonnable de vouloir circoncire l’Occident par des rites orientaux, mais qu’il faut nous enter sur le canon principiel, la nouvelle créature en Christ ressuscité, par la puissance insaisissable et infinie de l’Esprit, à la gloire du Père. En effet, il existe une certaine analogie entre les Occidentaux qui retournent à l’Orthodoxie et les Grecs des temps apostoliques qui se convertissaient : ne pas réclamer des païens la circoncision était une des exigences de l’Apôtre des nations pour que sa mission universelle puisse procurer une récolte abondante.
Le Premier Concile, prototype de tous les conciles de l’Église du Christ, se réunit précisément pour distinguer ce qui est indispensable à tous, de ce qui ne l’est pas : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d’autres charges que celles qui sont indispensables» (Actes 15, 28).
La voix patristique
Les Pères, à la suite des Apôtres, proclamèrent l’unité dans la foi et la coexistence de coutumes différentes. Trop de textes connus expriment cette pensée, il serait fastidieux de les citer tous. Que plusieurs témoins prennent la parole !
En premier lieu, notre père en Orthodoxie : saint Irénée, petit-fils spirituel de saint Jean le Théologien. La polémique autour de la date pascale et du jeûne s’envenime entre Rome et l’Asie Mineure. L’évêque de Rome, dans son zèle immodéré, tenté par la puissance plus que par la charité, excommunie l’Église de Smyrne. Saint Irénée qui vécut sa jeunesse dans le rite de l’Asie Mineure et qui, venu prêcher en Gaule, accepta le rite d’Occident, supplie Rome d’éviter le schisme et de tolérer les différentes coutumes locales. Soulignons la phrase irénique qui semble paradoxale mais qui contient une vérité profonde : «La dissonance rassemble la concorde de la foi ».
Dans la même lettre, il raconte la rencontre d’Anicet et de Polycarpe qui communièrent ensemble en dépit de leurs divergences liturgiques. La paix régnait malgré le fait que «lesuns observent une coutume, les autres ne l’observent pas».
Le sage Denys d’Alexandrie, qui nous laissa de précieux conseils canoniques, prêche la même tolérance en citant le Deutéronome (19, 14) : «Tu ne déplaceras pas la borne de ton prochain, posée par les ancêtres».
Lorsque saint Augustin parle des communions fréquentes ou rares selon les Églises question plus importante que le rituel – il nous lègue une formulation heureuse : « les coutumes sont librement observées, et pour un chrétien grave et prudent, le mieux est de faire ce qu’il voit faire où il se trouve. Car il faut regarder comme indifférent ce qui n’est pas contre la foi ou les mœurs, et juger les choses du point de vue du milieu où l’on vit».
Voilà des paroles mesurées ! En effet, la foi et les mœurs – au sens moral – sont identiques dans la catholicité, mais en face des formes liturgiques «un chrétien grave et prudent» doit tenir compte du milieu.
En posant la question du rite occidental en sa forme gallicane, nous avons tenu compte précisément du milieu. On ne peut arracher le peuple français de sa tradition chrétienne, et lui imposer globalement une autre civilisation : on doit lui apporter la richesse de la foi orthodoxe et sa spiritualité vivifiante. « In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas», dit le même Augustin.
Et que dire de saint Photius, défenseur intrépide de la pneumatologie orthodoxe, qui déclare en sa troisième Épître[9] : «Si les différences, et même les déviations, ne touchent pas la foi et les décisions conciliaires universelles, par exemple lorsque les uns se tiennent à telle règle canonique ou tradition liturgique, les autres à telle autre, réfléchissant justement et logiquement, on doit reconnaître que ceux qui gardent une coutume particulière ne font rien d’injuste et ceux qui ne l’ont pas ne pèchent pas contre l’Église».
Le Schisme entre Rome et l’Orthodoxie est consommé, et pourtant les Pères de l’Église grecque continuent de reconnaître la validité du rite romain. Nicolas Cabasilas qui nous a laissé un des meilleurs commentaires de la liturgie de Saint Jean Chrysostome de son temps[10] – nous disons de son temps, car plusieurs éléments furent introduits postérieurement – et dont l’œuvre demeure classique jusqu’à nos jours, n’a pas hésité à traiter la liturgie romaine de liturgie légitime. Sa critique et ses remarques visent non le rite en soi mais l’absence del’épiclèse dans la doctrine latine de la transsubstantiation. Monseigneur Jean de Saint-Denis a ramassé le problème dans son ouvrage «Le Canon eucharistique[11]» (pages 84-85). Une semblable attitude patristique se prolonge sans interruption jusqu’aux temps modernes. Lorsqu’au 18ème siècle l’Église anglicane s’adressa aux Patriarches orientaux, ces derniers, fidèles à la Tradition de 18 siècles, répondirent par leur célèbre épître de 1723 qui réclamait comme fondement de l’union, l’unité des dogmes de l’Église indivise, et ils ajoutèrent : «En ce qui concerne les différentes coutumes et rituels ecclésiastiques ainsi que la manière de célébrer la Sainte Liturgie (Messe), tout cela, l’union étant réalisée, il sera, avec l’aide de Dieu, facile et simple de le modeler, car selon l’histoire de l’Église, le fait est connu de tous, certaines coutumes diffèrent selon les lieux et les Églises, mais l’unité de Foi, l’unité d’Esprit dans les dogmes doit rester inébranlables».
Un siècle plus tard, en 1825, le Patriarche de Constantinople Anthime, envoyait une encyclique aux évêques, clercs et fidèles de son Patriarcat à propos de l’encyclique de Léon XIII Pape de Rome : «Chaque chrétien doit être rempli du désir ardent de l’union des Églises, et par excellence les fidèles orthodoxes sont brûlés par l’ardeur de retrouver l’unité dans la Foi avec à la base l’enseignement des Apôtres et des Pères, Jésus-Christ ‘Lui-même étant la Pierre angulaire’» (Eph. 2, 20). Et il ajouta : «… Nous n’avons nullement en vue les différences concernant le rituel et les rites sacrés, c’est-à-dire les textes liturgiques, hymnes, ornements, etc. Les différences existaient bien dans l Antiquité et ne peuvent nuire à l’essence et à l’unité de la Foi». Par cette phrase Anthime résume tout le passé de l’Église et sa stabilité dans l’économie ecclésiale.
Les pourparlers de l’Église orthodoxe avec l’Église vieille-catholique, suivent la même ligne. Les difficultés surgies ne provinrent pas du rite mais d’imprécision dogmatique et de questions canoniquement discutables par exemple le mariage des prêtres après l’ordination, les évêques mariés. Ces deux faits ne pouvaient économiquement être admis sans la décision d’un nouveau Concile œcuménique (panorthodoxe) ou, du moins, le consentement unanime de toutes les Églises autocéphales.
A la fin du 19ème siècle, une communauté persane de Nestoriens, ayant demandé d’entrer dans la communion orthodoxe, le Saint-Synode de Saint-Pétersbourg l’acceptait avec son rite propre, ses particularités canoniques, n’imposant que le dogme du Christ : une Personne, deux natures et, dans le rite, ne modifiait que ce qui touchait ce dogme.
En 1872, le même Saint-Synode permettait à des communautés d’Amérique de célébrer le rite occidental et proposait un texte du rite romain avec les rectifications suivantes : l’introduction du Trisagion au début de la messe, emprunté au rite gallicano-oriental, l’effacement du terme «mérites des Saints» dans les collectes (écartant ainsi toute possibilité de la théorie des indulgences), la disparition du «Filioque» dans le Credo, la suppression de l’agenouillement et de l’adoration des Saints Dons après les paroles de l’Institution, introduits dans le rite romain aux 12ème, 13ème siècles, l’intercalation de «l’Épiclèse» dans la prière : Supplices Te, l’élévation des Dons et la prosternation, le canon eucharistique terminé, la communion sous les Deux Espèces et la pain levé à la place de l’hostie. Parallèlement, le Saint-Synode bénissait le rite des Gaules restauré à la même époque par l’archiprêtre Wladimir Guettée (1875).
Entre les deux guerres, l’Église autocéphale de Pologne accueillait les Polonais dans l’Orthodoxie en leur laissant leur rite et coutumes, ceci avec le consentement du Patriarcat de Constantinople qui lui avait accordé l’autocéphalie. Malheureusement, après la guerre et à la suite de la démission du Métropolite Dionissios, sous la pression d’éléments russes et la russification intense de l’Église de Pologne, les Orthodoxes polonais se joignirent à l’Église vieille-catholique. L’Église autocéphale polonaise est devenue une Église russe en territoire polonais.
Terminons cet exposé des témoignages des Pères à travers les siècles, par le Décret du 16 juin 1936 du Patriarche Serge de Moscou, adressé à Monseigneur Irénée Winnaert, décret qui ouvrait la porte de l’Orthodoxie occidentale. Voici les passages essentiels :
Tout en conservant ses particularités occidentales consacrées par une tradition antique, la communauté agréée ne peut rester étrangère, en marge de la vie commune du Corps ecclésiastique dans l’unité duquel elle entre ; il faut donc éviter les diversités qui seraient à tel point importantes qu’elles pourraient empêcher les ouailles russes orthodoxes de s’adresser au nouveau clergé pour l’accomplissement de leur vie sacramentelle.
En conséquence la dite communauté est admise dans l’unité de la Sainte Église orthodoxe aux conditions suivantes :
Art. 3 – La communauté devra suivre fidèlement l’enseignement de l’Église orthodoxe.
Art. 4 – Dans ses offices ainsi qu’on général dans tout le caractère extérieur du culte, la communauté pourra conserver le rit occidental qu’elle pratique ; toutefois les textes des offices devront être expurgés des expressions et pensées qui seraient inadmissibles pour l’Orthodoxie.
Art. 5 – La communauté adoptera dans son calendrier tous les saints canonisés par l’Église d’orient et surtout gardera ceux d’entre les saints occidentaux qui ont été canonisés avant la séparation de Rome et de l’Église orthodoxe.
Art. 6 – Dans la Liturgie il est indispensable : a) de ne faire usage que de pain levé ; b) de placer l’Épiclèse non pas avant, mais après les paroles de Notre Seigneur afin d’écarter tout malentendu à propos du moment de la transsubstantiation ; c) de conférer la Sainte Communion aux laïcs sous les deux Espèces ; d) en signe d’unité canonique avec le diocèse, la Liturgie devra être célébrée sur un antimension consacré et délivré par l’évêque gouvernant.
Art 7 – Le baptême devra s’effectuer de préférence par trois immersions et, à titre d’exception, par l’ablution et l’aspersion. Pour la confirmation, on utilisera le Saint Chrême délivré par l’évêque. Dans l’administration des Saintes Huiles, on soulignera son vrai caractère, non seulement d’extrême onction, mais aussi de guérison du corps et de l’âme du malade.
Nous pouvons conclure, en conséquence, que la «nuée des témoins» pendant les vingt siècles d’Orthodoxie a confessé sans interruption, ni variation la légitimité des différentes traditions et coutumes locales, en particulier celle de l’Occident, dans l’unité de la Foi.
La «Messe de Saint-Pierre»
Il est intéressant de produire ici un document-témoin de la pratique de la liturgie romaine en Orient : la Liturgie de Saint-Pierre que l’on trouve dans des manuscrits orientaux : grecs, slavons et géorgiens. Ces manuscrits s’étendent du 9ème au 19ème siècles.
La Liturgie de Saint-Pierre occupe la troisième place dans les manuscrits orthodoxes ; elle est transcrite après celles de Saint Jean-Chrysostome et de Saint-Basile. Quelquefois, elle porte le nom de Liturgie de Saint Grégoire du Dialogue (Grégoire le Grand, Pape de Rome) ou simplement Liturgie latine. Remarquons qu’il eût été plus naturel pour l’Orient – et ceci est précieux pour l’Occident – d’avoir à sa place la Liturgie de Saint-Jacques. Sa présence au sein de textes orientaux expliquerait la raison du nom de saint Grégoire, tardivement attaché à la Messe des Pré-Sanctifiés qui est étrangère à l’Église de Rome.
Deux manuscrits grecs renfermant ces trois liturgies sont à la Bibliothèque Nationale[12], quatre sont à la Vaticane[13], un à Grotto Ferrare[14], un à Athènes[15] et enfin, un au Mont-Athos au Monastère de Saint-Pantaléimon[16] ; ceci ne regarde que les manuscrits grecs sans compter les slaves et les géorgiens.
Que présente la Liturgie de Saint-Pierre, troisième liturgie orthodoxe ? Elle n’est rien d’autre que la messe romaine traduite en grec (ou en slavon et géorgien), avec une épiclèse qu’on appelle ordinairement dans la littérature liturgique : épiclèse de la Messe de Saint-Pierre, et enrichie d’éléments orientaux. Notons que les manuscrits de la Bibliothèque Nationale et de la Vaticane ne sont pas d’origine occidentale ; ils sont dus à la main pieuse de copistes orthodoxes et nous parvinrent en Occident avec tant d’autres trésors. Ils ne sont pas non plus œuvre d’Uniates ou de missionnaires romains, car la griffe orthodoxe est visible. Tout porte à croire que les Orthodoxes la célébrèrent, à l’instar des deux autres grandes liturgies. Dans quelles circonstances ? Nous l’ignorons. Bien que respectueuse de la liturgie romaine, la Messe de Saint-Pierre ne la suit pas aveuglément, elle la rectifie dogmatiquement et la complète par le génie spirituel de l’Orient.
7. La voix des Conciles
Les témoignages que nous avons donnés seraient suffisants, mais peut-être existe-t-il des décisions conciliaires universelles qui empêcheraient de reconnaître les différents rites ? Saint Photius, déjà cité, n’écrivait-il point : «… Si les différences et même la déviations ne touchent pas la foi et les décisions conciliaires… on doit reconnaître que ceux qui gardent une coutume particulière ne font rien d’injuste[17]».
Ni les Règles Apostoliques, ni les Conciles œcuméniques et locaux ne procédèrent jamais à une codification du rituel (typicon), ni à l’unification universelle de la liturgie. Ainsi, les Règles Apostoliques qui président à la législation canonique orthodoxe, ordonnent trois immersions au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit pour le baptême[18], sans préciser les détails et les formes liturgiques entourant ce sacrement. Elles ne soufflent mot des exorcismes, de l’imposition des mains, de la confession de la foi, du renoncement à Satan, de l’onction avec l’huile des catéchumènes. De plus, elles laissent la porte ouverte aux diverses coutumes : les uns emploient le sel incorruptible de la sagesse et le souffle «d’Epheta», les autres la procession autour du baptistère etc.
Examinons deux conciles orientaux entrés dans le Pédalion[19](gouvernail), qui s’occupèrent plus que les autres de problèmes liturgiques : le Concile de Laodicée (380) et le Concile «in Trullo» (691).
Le Concile de Laodicée promulgua 60 règles dont la majorité traite – comme les autres conciles – de questions disciplinaires, tels que les rapports avec les hérétiques, le culte des faux martyrs, le mariage, l’élection des évêques etc. Cependant, plusieurs de ses canons envisagent la liturgie. Énumérons-les :
Le canon 14 parle «d’eulogie», coutume disparue.
Le canon 15 insiste pour que les chantres soient ordonnés ; actuellement dans la plupart des Églises orthodoxes ou romaine, les chantres ne le sont plus.
Le canon 16 prescrit de lire l’évangile le samedi, en plus du dimanche ; cette prescription prouve qu’à Laodicée (4ème siècle) il n’existait pas encore de lectionnaire quotidien dont se sert depuis l’Église orthodoxe. Cette règle nous indique le progrès de la liturgie.
Le canon 17 est intéressant pour l’histoire de la liturgie. Il commande de ne plus chanter les psaumes de manière ininterrompue pendant l’office divin, mais désire qu’une leçon soit intercalée après chaque psaume, luttant ainsi contre la monotonie de la prière en équilibrant le rythme. L’Occident a gardé presque formellement ce précepte ancien. Aux matines, il coupe le psautier de leçons de l’Ancien Testament et des Pères de l’Église (rite romain : 3 psaumes, 3 leçons ; rite bénédictin : 4 psaumes, 4 leçons). Par contre, l’Orient a perdu sur la route historique les leçons quotidiennes de l’Ancien Testament et des Pères de l’Église. Il ne garde l’Ancien Testament qu’aux vêpres de Carême et aux vigiles de fête. La leçon patristique n’a lieu que la nuit de Pâques. Si les leçons sont tombées dans l’oubli, la riche poésie ecclésiale est née pour donner la réplique au psautier. Le principe du 17ème canon a donc abouti à une nouvelle solution.
Le canon 18 prescrit de dire la même prière à none et à vêpres, sans préciser pour autant quelle est cette prière. Plusieurs hypothèses ont eu cours. Celle qui nous semble la plus naturelle est que le jour liturgique débutant, on le sait, à vêpres, none pouvait être englobé soit dans le jour précédent, soit dans le jour suivant, coupant la journée à l’heure de la Mort du Christ. Cette coutume est demeurée.
Le canon 19 est le plus célèbre liturgiquement, car il nous indique en grandes lignes la structuration de la messe : la prière des catéchumènes après l’homélie, suivie de la prière des pénitents et des trois prières des fidèles ou d’offrande, une à voix basse, deux à haute voix. Certes, il ne fournit pas le texte (les prières à cette époque, variaient et s’improvisaient ou étaient transmises par tradition orale), mais donne grosso modo l’ordonnance. L’homélie après l’évangile, de tradition indiscutablement universelle, est rapportée dans maintes Églises orientales à la fin de la Divine Liturgie ; c’est une anomalie, car la prédication fait partie intégrale de la liturgie des catéchumènes. La prière pour les pénitents n’existe plus, celles des catéchumènes sont restées dans les textes liturgiques d’Orient, les uns les omettent, vu l’absence des catéchumènes d’autres les gardent en souvenir du passé. L’intérêt principal de ce canon réside dans les trois prières d’offrande et le balancement entre les prières à voix basse et à voix haute. De quelles prières s agit-il ? Il est difficile de le préciser. Sont-ce les trois prières précédant l’anaphore ? Nous les trouvons, en effet, dans les liturgies de Saint Jean-Chrysostome et de Saint-Basile, deux avant la grande entrée, une après (nous ne parlons pas de la belle prière : «Personne n’est digne de s’approcher de Ton saint autel…» introduite postérieurement et qui rencontre de l’opposition ; elle est un enrichissement). Dans la liturgie des Gaules, les trois prières sont présentes : collecte de l’offertoire, post-nomine et collecte de paix. Le rite romain n’a conservé qu’une prière : la secrète ; «l’oremus» isolé d’avant l’offertoire, pris par les liturgistes de Vatican II pour un vestige de litanie indique les prières disparues. Peut-être le concile voulait-il englober l’anaphore (le canon eucharistique) dans ces trois prières, à la manière de saint Isidore qui partage la messe des fidèles en sept prières, allant de l’offertoire jusqu’à la communion ? Le concile instaure la règle d’or de prier à voix haute et à voix basse. L’Église romaine pratique les deux extrêmes : la messe basse et la messe réformée par Vatican II, tout à haute voix. En Orient, à part les doxologies, la prière devant l’ambon et les litanies, tout se dit à voix basse, même la préface de l’anaphore[20]. Sur ce point, le Rite oriental s’éloigne du Concile.
Le canon 22 prive les sous-diacres de l’orarion (étole). L’Occident est fidèle à cette règle tandis que l’Orient laisse aux sous-diacres et même aux enfants un orarion croisé.
Le canon 24 énumère les ordres mineurs à la manière occidentale et non orientale.
Le canon 49, par contre, ordonne de ne célébrer l’eucharistie que le samedi et le dimanche pendant le Carême, pratique orientale suivie par les Gaules et inconnue du Rite romain.
Les canons 50 et 51 traitent du jeûne et de la suppression des fêtes pendant le Carême. Sauf exception, ces règles sont observées partout. Le Concile «in Trullo» reviendra sur ce sujet.
Le canon 59, enfin, s’oppose aux psaumes composés. Pourtant saint Ambroise en occident, saint Ephrem en orient furent initiateurs de psaumes composés. Et longtemps avant eux, l’Église primitive fleurissait d’hymnes ses heures de prières ; saint Paul, lui-même en cite plusieurs : «Ô profondeur insondable…» (Ro 11, 33). «Éveille-toi, toi qui dors…» (Eph 5, 14). Théodoret connaissait cet hymne en entier. Le Phos Hilarion – Lumière joyeuse – et tant d’autres sont parvenus jusqu’à nous. Le Sermon pascal de saint Jean Chrysostome n’est rien d’autre qu’une périphrase d’un hymne chrétien du 3ème siècle. En avançant dans la liturgie, l’Église s’éloigne de plus en plus de cette règle, et la psalmodie ecclésiastique de génies tels que Roman le Mélode et Jean Damascène, enguirlande abondamment les psaumes. En Orient, pratiquement, le psautier recule devant l’abondance des strophes, des tropaires et des odes.
Cette rapide analyse du Concile de Laodicée qui prêta attention à la liturgie, nous amène à la conclusion suivante : nous sommes loin des codifications, fixations ou unifications liturgiques. Quelques décisions touchant tels ou tels détails (même le 19ème canon est loin d’exposer une structure générale de la liturgie eucharistique) sont énoncés. Certains canons sont plus ou moins observés par l’Occident, d’autres par l’Orient. L’évolution organique de la liturgie transforme, omet, complète de ci, de là.
Considérons à présent le Concile in Trullo (691), concile plus désireux que les autres de codifications. Il promulgua 102 canons, dont 13 ont trait à la Liturgie[21].
Ce concile se pencha sur le rite arménien – en vue d’une possible réunion à l’Orthodoxie de cette Église monophysite – et sur les coutumes romaines. N’oublions pas que les Arméniens étaient déjà en schisme avec l’Orthodoxie tandis que Rome demeurait dans l’unité. Trois canons se rapportent à la liturgie arménienne.
Le 33ème réclame pour la célébration eucharistique, le vin mélangé d’eau – les Arméniens négligeaient l’eau -. Nous sommes devant un cas théologico-rituel ; ainsi que le disent saint Cyprien et la prière du Rite antique romain, le mélange du vin et de l’eau symbolisent les deux natures en Christ. L’absence rituelle de l’eau – si puissante est la réalité du symbole – conduit au monophysitisme.
Le 81ème s’oppose à l’ajout au Trisagion: «crucifié pour nous» car ces paroles crucifient le Père avec le Fils, introduisant la confusion anti-chalcédonienne de l’humanité et de la divinité. Le concile accepte implicitement le rite arménien; il corrige simplement ce qui s’oppose à la foi orthodoxe ou qui peut faire naître une déviation dans la mystagogie liturgique.
Le 99ème critique la coutume locale arménienne d’apporter de la viande dans l’église. Cette règle rappelle celles des Apôtres (3, 4) ainsi que les règles 28 et 57 du concile que nous étudions qui défendent de déposer sur l’autel du miel, du lait, des raisins… afin de sauvegarder la sainteté des lieux et ne point mêler le profane au sacré.
En face de Rome, la situation est autre. Les Pères n’avaient pas de problèmes rituelo-dogmatiques.
Le 52ème ordonne les Pré-Sanctifiés pour chaque jour de carême, à l’exception de l’Annonciation, du samedi et du dimanche. Ce canon ne pouvait être accepté de Rome. Les Pré-Sanctifiés célébrés dans le rite ambrosien (les vendredis de carême) et dans le rite gallo-mozarabe, étaient ignorés de Rome; ainsi que nous l’avons dit plus haut : l’Évêque de Rome chantait les messes stationnaires, allant d’une église à l’autre les jours de Carême. En Orient, cette règle dans la majorité des Églises, ne fut pas suivie à la lettre. Les uns célébraient les Présanctifiés du lundi au vendredi, les autres le mercredi et le vendredi.
Le 55ème blâme Rome pour son jeûne du samedi, s’appuyant sur la 66ème règle apostolique. Le concile, composé d’évêques grecs, oublie que le recueil latin ne possède que 50 règles, et que celles dépassant le nombre de 50 étaient entièrement inconnues des Églises latines. Déjà saint Cassien de Marseille, qui avait longtemps vécu en Orient, ordonné diacre par saint Jean Chrysostome, connaissait les deux disciplines. Il expliqua, alors, dans ses Conférences que les Orientaux ne jeûnent pas le samedi par respect du jour du Seigneur et que les Occidentaux jeûnent le samedi pour se préparer (vigiles) au dimanche de la Résurrection. Venu d’Orient, il s’incline, néanmoins, dans ses règles monastiques, devant la coutume occidentale. Ajoutons que le jeûne du samedi est tombé en Occident.
Ces deux canons montrent que l’Église indivise ignorait le papisme et qu’un concile pouvait donner des instructions au pape de Rome comme à l’un de ses membres, égal aux autres ; ils nous dévoilent aussi que les pratiques rituelles occidentales étaient peu connues de l’Église de Byzance.
L’Église catholique orthodoxe de France suit à la lettre ces deux règles.
Disons quelques mots des autres canons.
Le 29ème est précieux, car tout en ordonnant le jeûne eucharistique, il respecte les coutumes locales d’Afrique (voir le canon 32 du concile d’Hippone de 393).
Le 56ème ordonne le même carême dans toutes les Églises. Ici encore, il n’est pas strictement suivi.
Le 66ème prescrit de fêter la semaine de Pâques.
Le 75ème nous instruit de chanter les psaumes recto tono, sans vocifération, veillant au style sobre de la liturgie.
Le 78ème invite les catéchumènes à réciter le Symbole le Jeudi Saint. En Occident il était récité le Mercredi de l’Illumination (4ème semaine de Carême). Les pratiques du catéchuménat variaient selon les Églises.
Le 89ème parle du jeûne de la Semaine Sainte.
Le 90ème renouvelle l’ordre du Premier Concile œcuménique de ne pas se prosterner le dimanche, ni aux fêtes du Seigneur. En général, cette règle est oubliée. L’Église catholique orthodoxe de France s’y conforme.
Enfin, le canon 101 prescrit de recevoir le Corps sur les mains jointes, posées l’une sur l’autre en forme de croix. Ce mode de communion n’est resté que pour les clercs.
Le contexte historique de Laodicée (4ème siècle) diffère de celui du Concile in Trullo (691). On ne peut parler de rites établis au 4ème siècle, tandis qu’au 7ème les formes sont déjà précisées. L’arménien diffère sensiblement du byzantin, encore plus le rite latin du rite grec. Les Arméniens et les Romains ne sont pas présents au Concile in Trullo, et pourtant aucune allusion à une unification des rites, ni le désir d’imposer un typicon quelconque ne sont exprimés. Les Pères conciliaires, en fait, disaient aux Arméniens : Gardez vos traditions, vos coutumes, votre liturgie, vous en avez le droit, sauf trois points, et l’union sera parfaite.
En conclusion, le Concile in Trullo garde la même disposition d’esprit que celui de Laodicée. Par ces deux conciles-tests, nous constatons que les conciles ne s’occupent nullement d’unification et de codifications liturgiques, et qu’ils respectent la diversité des rituels. L’évolution de la prière publique de l’Église suit son chemin, en dépit, parfois, de certaines rectifications conciliaires. Que l’on étudie les autres conciles qui ne sont pas, par excellence, liturgiques et nous atteindrons le même résultat.
Y a-t-il unité de rite dans l’Église d’Orient ?
Les Églises autocéphales contemporaines, bien que plus unies fraternellement qu’au 19ème siècle, où elles ne possédaient qu’un calendrier, suivent de nos jours trois calendriers ; Jérusalem et les Églises slaves : l’ancien calendrier solaire et lunaire, les Églises grecques, roumaine, syrienne etc. : le nouveau calendrier solaire et l’ancien calendrier lunaire, les Églises de Finlande, de France et plusieurs communautés du Patriarcat de Moscou en Europe (hollandaise, suisse alémanique, parisienne) : le nouveau calendrier solaire et le nouveau calendrier lunaire[22]. Ces formes de calendrier font que les grandes fêtes sont célébrées par les uns et les autres à des dates différentes. Sa Béatitude Timothée, Patriarche de Sion, grand voyageur entre la Palestine et l’Hellade, déclarait il y a quelques années, qu’il célébrait les fêtes selon la date fixée par les Églises où il se trouvait, rejoignant, ainsi, l’attitude d’un saint Augustin.
Le jeûne, semblable dans les lignes générales, est diversement pratiqué dans les Églises autocéphales. Et que dire des langues liturgiques nationales qui se multiplient ! A ces distinctions s’ajoute une série de coutumes locales que les Églises ignorent entre elles, telles que la slave serbe, les prosphoras individuelles des Russes, inconnues des Grecs, les mégalynaires («nous magnifions»), exaltation de la fête avec les versets choisis de psaumes chez les Slaves, instants culminants festials pour eux pendant les matines. Les titres des clercs, l’habillement des prêtres en ville, les détails dans les ornements sacerdotaux varient. Le Typicon, base en principe des Églises autocéphales d’Orient, est appliqué de façon particulière, au point qu’un pèlerin se rendant d’une contrée à l’autre, s’y retrouve difficilement. Les uns abrègent une partie des services, les autres une autre; les uns sautent des litanies, les autres omettent des strophes ; les uns célèbrent les matines la veille au soir, les autres le matin. Le psautier est presqu’absent des paroisses grecques, moins abandonné dans les paroisses russes. Et le sacrement de pénitence ! La belle prière : «Mon enfant, le Christ est invisiblement présent, je ne suis qu’un témoin…» est absente chez les Grecs ; même les absolutions varient : les unes sont personnelles : «Moi, prêtre indigne, par le pouvoir… je te délie», les autres sont a-personnelles et s’adressent à Dieu afin que, Lui, pardonne et délie.
Dans la Divine Liturgie, apparaissent aussi des changements. Citons-en trois : l’Église grecque laisse tomber les litanies après l’Évangile et passe tout de suite à la grande entrée, tandis que les autres Églises gardent sinon toutes les litanies du moins une grande partie de celles-ci dans l’anaphore, les uns répondent : «Il est digne et juste d’adorer le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible», les autres «Il est digne et juste» ; les uns amplifient l’épiclèse par les tropaires de tierce, les autres ne le font pas etc.
Si certaines Églises autocéphales préservent une unité de calendrier et de rite, les Églises de Constantinople, Antioche, Moscou englobent, par contre, plusieurs calendriers et plusieurs rites.
L’Orthodoxie occidentale
Monseigneur Irénée Winnaert, qui après une rupture millénaire, ouvrit la porte de l’Orthodoxie aux Occidentaux, écrivait avant sa mort :
«En dépit de la malheureuse séparation de l’Orient et de l’Occident chrétiens, l’Orthodoxie n’est pas en droit orientale ; de même l’Orthodoxie ne consiste pas essentiellement en tels rites déterminés, ou telle tradition liturgique particulière. Les orthodoxes d’Orient disent parfois que leur liturgie exprime toute l’Orthodoxie, et cela est vrai si on considère l’esprit de la liturgie plutôt que les cérémonies proprement dites. Cela n’est pas lié nécessairement à telle ou telle ordonnance du service, mais bien à l’esprit qui l’anime. Une liturgie inspirée de cet esprit, tout en ayant une forme extérieure occidentale, serait une liturgie orthodoxe, tandis qu’une liturgie même à forme et à rites orientaux, qui serait centrée sur des conceptions romaines, n’aurait rien d’orthodoxe[23 ».
Nous ajouterons à ce témoignage celui de Monseigneur Jean de Saint-Denis[24] :
«Les Saintes Écritures nous apprennent qu’un seul témoin est insuffisant à rendre le témoignage véridique ; il est indispensable de disposer, au moins, de deux ou trois témoins Le Christ Lui-même n’a pas témoigné seul pour Lui-même. Il fit approuver Son enseignement par le témoignage du Père et par celui de l’Esprit Saint : ‘Pendant Ton baptême dans le Jourdain, ô Christ, fut manifestée l’adoration due à la Trinité. Car la voix du Père Te rendis témoignage en Te nommant le Fils bien-aimé. Et l’Esprit Saint sous forme de colombe, confirmait la vérité de cette parole, Christ-Dieu, Qui es apparu et Qui as illuminé le monde, Gloire à Toi’[25]»
Le témoignage d’un seul est nul.
Les ennemis de la Trinité, éloignés dans leurs âmes des divins oracles, ces nouveaux sectaires prônent l’unique témoignage. Brisant la Trinité, ils se joignent à ceux qui détruisent la vraie catholicité et conciliarité, professant que le seul témoignage ex cathedra du Pape suffit à l’infaillibilité dogmatique, ou que le seul témoignage des Écritures suffit à l’infaillibilité de la doctrine, au lieu de proclamer à voix haute, sans équivoque, qu’un seul témoignage ne peut suffire, mais qu’il est indispensable d’ajouter à celui du successeur de Pierre ceux des autres évêques, et au témoignage des Écritures le témoignage de la Tradition.
Au moins deux témoins. Là où est un seul témoin, il n’y a point d’Église ni de Vérité. Là où sont réunis deux ou trois au Nom du Christ, le Christ est présent ; où est le Christ, là réside la Trinité inséparable de Lui, là aussi se dresse l’Église à l’image de la Trinité.
Est-ce mépriser Pierre que de dire : il est un des témoins, et sa prédication n’est infaillible que lorsqu’il parle en concorde avec les autres Apôtres ?
Est-ce mépriser le Pape que de dire : il est un des témoins, infaillible seulement lorsqu’il parle solennellement, en accord avec les autres Patriarches-Évêques ?
Est-ce mépriser la Bible que de dire : elle n’est qu’un des témoins et le témoignage de la Tradition est aussi nécessaire pour la connaissance de la Révélation ?
Est-ce mépriser l’épiscopat que de dire : l’Évêque est un des témoins et le peuple royal témoigne avec lui ?
Est-ce mépriser la Liturgie de Saint Jean Chrysostome que de dire : elle n’est qu’un des témoignages de la plénitude de la tradition orthodoxe, et les autres liturgies en sont aussi les témoins ?
Est-ce mépriser la tradition orientale que de dire : elle n’est pas unique et les traditions extrême-orientales ou occidentales sont aussi présentes dans l’Église ?
Nullement !
On ne diminue pas le Père en confessant qu’Il est égal au Fils et au Saint-Esprit, en divinité, majesté et gloire !
Ceux qui enseignent que les Églises locales doivent être unies par la Liturgie de Saint Jean Chrysostome qui seule exprime pleinement l’Orthodoxie, au lieu d’enseigner que la diversité des rites est propre à l’Église du Christ, qu’ils soient écartés ! Cette tendance nouvelle, sous couvert de piété, mutile la tradition intègre et universelle de l’Orthodoxie.
Ceux qui prétendent, en leur folie, que l’Église orthodoxe n’est qu’orientale et qu’une Église orthodoxe occidentale ne saurait exister, que les peuples occidentaux sont condamnés à être des chrétiens de confession romaine ou réformée, au lieu de confesser que vers l’Église fondée par le Christ, ‘accourent de tous côtés, de l’occident, de l’aquilon, de la mer et de l’orient, ses fils tels des astres allumés par Dieu[26]‘ et que ‘toute nation, toute race, toute tribu’ (Apocalypse) ont leur place dans son unité, qu’ils soient écartés ! En effet, cette tendance nouvelle se propage avec une progression inquiétante clans les milieux orthodoxes, séduisant les simples, offensant les paroles du Christ : ‘Allez, enseignez toutes les nations… jusqu’aux extrémités de la terre’. Elle déchire le filet apostolique et laisse retourner à l’abîme des eaux une multitude de poissons parmi les 153 peuples de la Pêche miraculeuse. L’aberration de ces gens, oublieux de la nécessité du témoignage de deux ou trois au moins, va si loin qu’ils préfèrent la Liturgie de Saint Jean Chrysostome célébrée par des Uniates au rite occidental célébré par des Orthodoxes. Ils imposent l’unité où devrait être la distinction et mutilent en morceaux ce qui doit être un. Quelques uns, plus subtils, inventent la théorie suivante : `Nous sommes d’accord en principe. L’Église primitive embrassait diverses liturgies, l’Église orthodoxe n’y est pas opposée, nous le reconnaissons, mais pratiquement nous n’en voyons pas l’opportunité. Il est préférable dans la situation actuelle de n’avoir qu’un seul rite’.
Étrange opportunité qui contredit la Vérité ! Peut-on servir la Vérité à l’aide du mensonge ? Quelle est la valeur d’une affirmation théorique si elle n’est pas mise en pratique ! Peut-on dire : ‘Je t’aime en principe, mais je te rejette en pratique’ ? ils veulent que le Logos ne S’incarne pas et nous rappellent ceux qui crient : Seigneur ! Seigneur !’ sans accomplir Sa volonté. Ils se vantent d’être dans la Vérité orthodoxe en agissant comme des hérétiques.
La liturgie est orthodoxe non dans l’unité d’un rite mais dans l’orthodoxie de son contenu. Elle est orthodoxe quand ses textes, ses chants et ses gestes communiquent la foi inaltérée. Elle est orthodoxe lorsqu’elle est enracinée dans le sol apostolique, nous disons : enracinée, car elle se transforme, varie, évolue au cours des temps et des pays, tout en demeurant inchangée en son essence comme un arbre planté près des cours des eaux qui donne son fruit en sa saison et dont le feuillage jamais ne se flétrit! (Psaume 1, 3».
Après ce témoignage, et nous reposant sur saint Augustin disant «on doit tenir compte du milieux» oùl’on prêche, abordons la deuxième partie de cette étude.
2ème partie : HISTORIQUE DE L’ÉTUDE DU RITE
1. Depuis Alcuin jusqu’au Père Lebrun
L’empereur Charlemagne, poursuivant l’œuvre de son prédécesseur et père Pépin le Bref, cherche à unifier son empire. Il veut remplacer les rites enracinés dans cet empire – et particulièrement le rite des Gaules – par le rite romain. Il y parvient, mais un grand nombre de textes et de particularités du rite des Gaules vont survivre en France et même entrer dans la liturgie de la ville de Rome, comme il arrive souvent entre vaincu et vainqueur, à l’image de l’influence des Grecs conquis sur les Romains conquérants.
La première figure à évoquer, ici, est celle du diacre Alcuin[27]. Il fut chargé par Charlemagne, outre la réforme de l’enseignement, d’imposer le rite romain en tous lieux et il accomplit cet ordre avec obéissance. Il aimait cependant la prière dans les textes anciens et dans ses recueils de prières pour la piété privée il les introduisit, les sauvant ainsi de l’oubli et de la perte irrémédiable. Sa méthode, pour garder les textes liturgiques gallicans et les anciennes prières de la France, consista à les employer comme prières de rechange, à les transmettre sous forme de messes votives… La messe votive de la Trinité, qui se trouvait au Missel romain pour le premier dimanche après la Pentecôte jusqu’à la dernière réforme due au Deuxième Concile de Vatican, était l’œuvre d’Alcuin; elle contient les éléments de l’ordinaire gallican : la bénédiction trinitaire du début de la messe gallicane devient l’introït (prælegendum), le chant du Benedicite : «Tu es béni Seigneur, Dieu de nos pères», placé normalement après l’épître[28], devient le graduel etc. Monseigneur Jean de Saint-Denis dans Le Canon eucharistique de l’Ancien rite des Gaules cite (page 8) l’exemple d’une anamnèse-épiclèse très répandue dans les anciens rites gallican et mozarabe, à peine retouchée par Alcuin et transmise par lui sous forme d’oraison prière privée de rechange – sans autre but que de transmettre ce texte très vénérable[29] aux générations futures.
Le diacre Florus de Lyon, dans le De actione Missae[30] introduit et guide dans le cérémoniaire de la messe sous sa forme gallicane. Il vécut au 9ème siècle, après la réforme de l’empereur Charlemagne. Il parle, en particulier, de l’acclamation diaconale : «Mystère de foi» et en situe l’origine dans la 1ère Épître à Timothée (3, 9).
Les liturges épris des textes du rite gallican ne sont pas seuls à les recopier, à glisser et transmettre l’esprit de ce rite sous des formes diverses. En effet, l’élan créateur de l’ancien rite de France, en dépit de la suppression, animera le Moyen-âge. Les théologiques et admirables antiennes : « Ô… », qui annoncent Noël et qui datent vraisemblablement du 12ème siècle, continuent l’esprit et l’originalité individualiste de la France. Pendant la Renaissance le cardinal Ximenes de Cisneros († 1517), archevêque de Tolède, fondateur de l’université d’Alcala, en 1500 imprime le Missel (hétéroclite) – et le Bréviaire – mozarabes dont la parenté avec les Missels gallicans (l’interpénétration des rites gallican, mozarabe et celtique montre que ces trois rites frères sont des variantes de la même tradition) n’est plus à prouver. Un curieux auteur, liturgiste œcuménique, Georges Cassandre († 1566) publie des œuvres inédites de l’époque mérovingienne qui ont retenu l’attention des restaurateurs modernes de l’Ancien rite des Gaules.
La fin du 17ème siècle et surtout le 18ème siècle constituent, ensemble, une période de grand et heureux travail pour la Liturgie des Gaules. Le célèbre Jean Mabillon (†1707) et Dom Germain éditent le Missel de Bobbio, le Lectionnaire de Luxeuil (ou Luxeu) et dans le «De liturgia Gallicana» ils établissent l’ensemble des documents connus à cette époque. J.-J. Tommasi († 1713) publie le Missale Gothico Gallicanum[31], le Missale Francorum[32], source de la Liturgie romaine, le Vetus Missale Gallicanum[33] et le Libellus orationum(mozarabe). Dom E. Martène († 1739), élève de Mabillon, et Dom U. Durand retrouvent les Lettres de Saint Germain et laissent une vaste littérature liturgique. Le Père Pierre Lebrun, de l’Oratoire, enfin, († 1719), défenseur ardent de l’épiclèse et liturgiste «non dépassé» selon l’expression de Dom Cabrol, reconstitue, dans son œuvre Explication littérale, historique, dogmatique des prières et des cérémonies de la Messe, le rite gallo-mozarabe.
Nous cédons à ce témoin et étudiant loyal de la Liturgie gallicane le soin d’exposer sa Dissertation sur l’Ancienne Liturgie des Églises des Gaules. Et nous le faisons précéder par sa très courte biographie.
Pierre Lebrun (1661-1719), né à Brignoles, appartient à une famille aisée. Le 13 novembre 1678, il entre à Aix dans la Congrégation de l’Oratoire. Le 30 août 1684, il est nommé professeur de philosophie au Collège de Toulon et en septembre de la même année ordonné prêtre à Fréjus. Prédicateur éminent, il se destine pourtant à l’histoire ecclésiastique et ses supérieurs l’envoient à la Maison Saint-Magloire de Paris. Son œuvre la plus remarquable, Explication de la Messe, contenant les dissertations historiques et dogmatiques sur les liturgies de toutes les Églises du monde chrétien, luiconfère une réputation d’historien et de grand savant liturgiste. Comme il s’était fait défenseur de l’épiclèse en s’appuyant sur l’autorité des Pères et en se dressant contre les fausses affirmations des Jésuites et des Chanoines Réguliers de Sainte-Geneviève, ses adversaires essaient de le faire condamner par Rome, mais ils échouent. Il s’épuise dans son labeur, souvent sur les routes pour recueillir les documents et après trente ans d’enseignement, il meurt à Saint-Magloire le 6 janvier 1719[34].
2. Dissertation du Père Pierre Lebrun
«Ancienne Liturgie des Églises des Gaules[35]»
Article Premier
ORIGINE ET DURÉE DE CETTE LITURGIE
1. Liturgie gallicane en usage jusque vers la fin du 8ème siècle.
L’Ancienne liturgie des Gaules a été, dès les premiers siècles, différente de la Romaine. Elle devait venir des Églises d’Orient, et elle a été en usage jusqu’au temps de Pépin et de Charlemagne vers la fin du 8ème siècle. Les grandes relations que Pépin eut avec le Pape Étienne III, qui vint en France, et ensuite avec le Pape Paul 1er, l’an 758, lui inspirèrent d’introduire le chant romain dans toute la France. En 754, le Pape Étienne lui donne des chantres, et le Pape Paul 1er lui envoie l’antiphonaire et le responsorial. Charlemagne fut encore plus zélé que son père Pépin pour faire suivre en France le chant romain et tout le Rite de l’Église de Rome. Le Pape Adrien 1er lui envoya pour ce sujet le Sacramentaire de Saint Grégoire. Les Livres Carolins composés en 790 supposent tous ces faits[36] et ils nous font entendre que l’Office romain était alors reçu dans tous les pays de la domination de Charlemagne. C’est pourquoi on mit dans les Capitulaires de France que «chaque prêtre célébrerait la Messe selon le Rite romain avec des sandales».
2. Antiquité de la Liturgie gallicane.
La Liturgie gallicane, qu’on abandonna alors, avait tant d’antiquité qu’en remontant jusqu’aux premiers siècles, nous ne trouvons aucun vestige de changement dans l’Ordre de la Messe.
1- Hilduin, après la mort de Charlemagne, dans la préface sur les Aréopagites adressée à Louis le Débonnaire, parle de quelques anciens Missels Gallicans, comme de livres de la plus haute anti-quité, et il dit qu’il contenait l’ordre de la messe des Églises des Gaules depuis qu’elles avaient repu la foi : antiquissimi et nimia pene vetustate consumpti missales libri continentes missae ordinem more Gallico, qui ab initio receptae fidei usu in hac occidentali plaqa est habitus, usque quo tenorem, quo nunc utitur, Romanum susceperit[37]. Telle était alors la persuasion que l’on avait dans l’antiquité de l’ordre gallican.
2 – L’abbé Augustin, envoyé en Angleterre l’an 596, fut surpris de voir dire en France la messe d’une manière différente de celle de Rome. Il demanda à saint Grégoire d’où pouvait venir cette diffé-rence : Cum una sit fides, cur sunt ecclesiarum diversae consuetudines, et altera consuetudo missarum in sancta romana ecclesia, arque altera in Galliarum renetur[38] ? Cegrand pape ne répond pas qu’on y avait introduit de nouveaux usages, mais qu’il pouvait suivre ce qu’il y avait de bon dans les différentes Églises.
3 – Un peu avant cette époque l’ordre des lectures qu’on faisait en France à la Messe, était regardé comme très ancien. Saint Grégoire de Tours appelle cet ordre le Canon Sacerdotal, l’Ancienne Règle : «Après qu’on eût lu les leçons prescrites par l’Ancien Canon, et que l’on eût offert les présents consacrés à l’autel[39]» et «on avait achevé les autres leçons introduites dans le Canon ecclésiastique[40]».
4 – Saint Césaire d’Arles, qui fut archevêque l’an 501, appelle divines ces lectures, et il les marque en cet ordre, des Prophètes, des Apôtres et des Évangiles. IInous apprend aussi que la bénédiction épiscopale se donnait à la Messe avant la communion immédiatement après le Pater. Tous ces usages qui étaient selon l’Ordre Gallican, diffèrent de celui de Rome, sont distinctement exprimés dans les Homélies 80 et 81 de saint Césaire, qui sont les 281 et 282 dans l’Appendix des sermons de saint Augustin.
5 – Avant saint Césaire, saint Sidoine Apollinaire composa quelques messes auxquelles saint Grégoire de Tours ajouta une préface[41]. Musée, prêtre de Marseille, fit un recueil de leçons et de répons pour plusieurs fêtes de l’année, et il composa des oraisons[42] pour un sacramentaire. Mais c’étaient là des pièces dont on ne pouvait se servir que lorsqu’elles avaient été approuvées par les évêques, et qui supposaient toujours l’ancien ordre de la Messe ; et les termes mêmes dont Gennade se sert en parlant de l’ouvrage de Musée, marquent l’usage gallican ; car pour dire qu’il avait fait des préfaces, il se sert du mot contestatio qui était l’expression des Églises des Gaules : Sed supplicandi et contestanti beneficiorum ejus[43]».
6 – Jean Cassien[44], disciple de saint Jean Chrysostome, qui le fit diacre à Constantinople, établit le Monastère de Saint-Victor à Marseille, et il y écrivit les livres des Institutions Cénobitiques, où il expose et loue les usages d’Orient qu’il suivait en sorte qu’il regardait le samedi comme une fête au lieu qu’on le jeûnait à Rome.
7 – On peut juger dans ce même temps que le Rite gallican n’a pas été celui de Rome, quand on considère que saint Innocent 1er, écrivant à Decentius, s’applique à justifier non seulement le jeûne du samedi, mais encore l’usage particulier de Rome de ne donner la paix qu’immédiatement avant la communion[45]et de ne réciter les noms des fidèles que dans le Canon, au lieu que l’usage des Églises des Gaules a été de donner la paix et de réciter les noms au temps de l’oblation avant le Canon, et de ne pas jeûner le samedi.
8 – On a enfin tout lieu de regarder l’ancien Ordre de la Messe gallicane comme venant des Églises d’Orient.
a) Par la conformité qu’on y trouve avec les Liturgies orientales.
b) Parce que nos premiers Évêques des Gaules ont été presque tous orientaux.
Saint Trophime, premier évêque d’Arles était le disciple de saint Paul[46] ; les Pères du Concile de Turin en 430 n’en doutaient pas. Saint Crescent, aussi disciple de saint Paul vient de l’Orient dans les Gaules, selon le témoignage de saint Épiphane et de Théodoret qui assure que dans l’Épître de saint Paul où on lit en Galatie[47], il faut lire en Gaule, ou entendre constamment la Gaule qui avait été une colonie de Galates[48]. Saint Pothin, évêque de Lyon, était Grec. Saint Irénée, son successeur, l’était aussi. Saint Saturnin, l’Apôtre de Toulouse, où il consomma son martyre, et qui est nommée Rome de la Garonne[49] ; et sans citer en particulier plusieurs autres Saints, La Lettre des Églises de Vienne et de Lyon aux Églises d’Asie et de Phrygie, donnée par Eusèbe[50], l’unique monument que nous ayons de la victoire de ces célèbres Martyrs qui souffrirent à Lyon l’an 177 de Jésus-Christ sous Marc-Aurèle, nous fait assez voir la grande relation qu’il y avait entre les Églises des Gaules et celles de l’Orient[51].
Tout cela peut suffire pour faire apercevoir l’origine de la Liturgie des Églises des Gaules ; car quand tous nos premiers apôtres auraient passé par Rome, d’où ils nous auraient été envoyés par les successeurs de saint Pierre, comme on le dit sur quelque tradition, cela ne les aurait pas empêchés de faire la Liturgie selon la Liturgie des Églises orientales, à laquelle l’Église de Rome ne s’opposait nullement.
Article Deuxième
DES LIVRES DE LA LITURGIE GALLICANE
QUI SONT VENUS JUSQU’À NOUS
1. Six monuments de la Liturgie gallicane
Nous avons six monuments de la Liturgie gallicane, savoir quatre missels, un lectionnaire et une exposition de la Messe.
Le Cardinal Bona avait indiqué deux de ces missels. Le Père Thomasi (depuis cardinal) en trouva un troisième, et il les fit imprimer tous trois à Rome en 1680 dans un même volume avec le Sacramentaire de saint Gélase ; et le Père Mabillon les fit réimprimer à Paris l’an 1685, dans son livre De la Liturgie gallicane.
Le premier de ces trois missels, que ces deux savants ont fait imprimer, était à Rome dans la bibliothèque de la Reine de Suède Christine[52]. Cette princesse l’avait acheté à Paris des héritiers d’Alexandre Pétau, conseiller au Parlement, qui l’avait eu lui-même des débris de la bibliothèque de l’Abbaye de Fleury, nommée communément Saint-Benoît-sur-Loire, laquelle avait été ravagée par les Huguenots en 1562. Il est à présent dans la bibliothèque du Cardinal Ottoboni. Une ancienne main inconnue, mais beaucoup plus récente que le manuscrit, l’avait intitulé Missale Gothicum, le Cardinal Thomasi l’a intitulé gothicum, soit gallicanum, et le Père Mabillon gothico-gallicanum, etavec cette raison que ce missel a été à l’usage de la Gaule Narbonnaise dont les Goths étaient les maîtres. Il dut par là être nommé gothicum, et l’on voit qu’il est gothico-gallicanum par les Saints des Gaules qui y sont, à savoir saint Saturnin de Toulouse, saint Ferréol et saint Ferjeux, martyrs de Besançon, saint Symphorien, martyr d’Autun, saint Léger, évêque de cette ville, et saint Martin de Tours. Il est encore plus clair que ce missel est gothique-gallican, et non pas espagnol, par les trois jours des Rogations avant l’Ascension. Il n’y a rien de plus récent dans ce missel que la fête de saint Léger, qui mourut en 678.
Le second missel a été intitulé Missale Francorum[53] par le Cardinal Thomasi après la remarque que le Père Morin avait faite longtemps auparavant. Ce missel était passé comme le premier de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire dans celle de M. Pétau; et la Reine de Suède qui l’acheta, le porta à Stockholm, et de là à Rome. Le Père Morin avait vu ce missel à Paris chez M. Pétau, et il l’inséra dans son savant traité des ordinations, ce qui est à la tête de ce manuscrit sous ce titre «Ici commence les saintes ordinations». On ne prie dans ce missel que pour les Rois de France[54], et il n’y a que des Saints de France ; ce qui ne permet pas de douter qu’il soit gallican. Il met la collecte après la prophétie, et l’oraison avant l’oblation suivant le rite des Églises des Gaules. Mais on peut dire qu’il est encore plus romain que gallican. On y voit des oraisons gélasiennes. Les préfaces, à la vérité, y sont appeléescontestatio comme au gallican; mais elles finissent comme au romain.
La prière Hanc igitur de la première Messe qui est pour les Rois de France, finit par les mots Placatus accipias («Reçois, donc, cette oblation») comme elle finissait avant que saint Grégoire eut ajouté ceux-ci Diesque nostros («Et de nos jours») ; et le Canon qui est à la fin, contient l’addition de saint Grégoire Diesque nostros
Le Père Morin avait cru que ce missel était du 6ème siècle, mais le Père Mabillon l’a placé au 7ème, et cela pour deux raisons, dont la principale est qu’on y prie pour plusieurs rois et princes des Francs[55]. Quelque respect que j’ai pour ces savants, je pense qu’il faut le reculer jusqu’au milieu du 8ème siècle, sous Pépin, ou au commencement du règne de Charlemagne. Les évêques de France pour lesquels le rite de l’ordination a été mis à la tête de ce manuscrit, ne s’avisaient pas avant cette époque d’emprunter tant de choses au Rite romain; et la prière pour plusieurs rois convient aux premières années du règne de Charlemagne, parce qu’il régna durant trois ans avec son frère Carloman, à savoir depuis 768 jusqu’en 771.
Le troisième missel aussi indiqué par le Cardinal Bona[56] est à Rome dans la Bibliothèque Vaticane[57] où il fut porté avec beaucoup d’autres livres à la Bibliothèque Palatine ; et il y a lieu de croire que ce missel vient, comme les précédents, de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire ; car les débris de cette bibliothèque furent partagés entre Jacques Bongars et Paul Pétau, conseiller au Parlement de Paris, père d’Alexandre Pétau, dont nous venons de parler, qui vendit ces manuscrits à la Reine de Suède : Bongars mourut à Paris en 1612 ; et Jean Gruter, bibliothécaire de l’Électeur palatin acheta pour ce prince de l’héritier de Bongars tous ses livres qui avaient déjà été transportés à Strasbourg avant sa mort[58] mais la bibliothèque de l’Électeur palatin ayant été enlevée par le duc de Bavière, qui se rendit maître de la ville d’Heidelberg, l’an 1622, il donna la plus grande partie des livres de cette bibliothèque au Pape Grégoire XV. C’est ainsi que cette bibliothèque est passée à celle du Vatican, où il y a par conséquent un grand nombre de manuscrits qui sont venus de France. Celui dont il s’agit a été intitulé par le Cardinal Thomasi et par le Père Mabillon Gallicanum Vêtus, et il est véritablement gallican, quoique mêlé du Romain-grégorien au Vendredi-Saint. Il est dans le même ordre que le Gothico-gallican. On y voit des oraisons après les noms (post-nomine), après la paix au temps de l’Oblation des préfaces intitulées contestatio ou immolatio des oraisons entre le Canon et le Pater, et les bénédictions avant la communion. Tout cela est du Rite gallican, et paraît antérieur à la réception du Rite romain en France; mais on dit aux oraisons du Vendredi-Saint : «Prions pour les rois très chrétiens»; ensuite : «Jette dans Ta bonté un regard favorable sur l’Empire romain» ; j’apprendrai volontiers comment la prière pour l’Empire romain a pu convenir aux Français[59] avant que Charlemagne eut été couronné empereur, c’est-à-dire avant l’an 801.
Le quatrième monument de la Liturgie gallicane est un lectionnaire écrit depuis plus de mille ans, que le Père Mabillon trouva dans le Monastère de Luxeuil en Franche-Comté, et qu’il a donné avec des notes dans les livres sur la Liturgie gallicane[60].
Le cinquième monument est le missel que ce savant bénédictin trouva au Monastère de Bobbio. Ce manuscrit est de pareille antiquité, il n’a pas de titre, et il contient les messes de l’année ; il crut devoir l’intituler Liber Sacramentorum Ecclesia Gallicana, ou plus simplement Sacramentarium Gallicanum[61], et il le donna dans le premier tome de son Museum ltalicum[62].
Bobbio en Lombardie dans le duché de Milan, est le célèbre monastère bâti par saint Colomban, dont l’église sert de cathédrale à l’évêque de ce nom qui est suffragant de Gênes. Le manuscrit est en lettres mérovingiennes, et il est écrit, comme l’on croit, vers le milieu du 7ème siècle. Ce pourrait être une copie d’un semblable livre porté par saint Colomban de Luxeuil à Bobbio, où il alla se retirer et finir ses jours ; mais il n’est pas possible d’assurer dans quelle église ce sacramentaire a été en usage, quoiqu’il contienne beaucoup de choses communes au Rite ambrosien et gallican, comme la prophétie avant l’Épître, les noms des fidèles et la paix annoncée au temps de l’Oblation, il a cependant des marques spécifiques du gallican, telles que les oraisons «après l’Agios», après la prophétie», «après la bénédiction», «après la prière» et les préfaces qui sont toujours intitulées contestatio et immolatio ; mais le Canon est entièrement romain grégorien, si ce n’est qu’aux communicantes[63](participants à une même communion) après Cosme et Damien, on lit «Hilaire, Martin, Ambroise, Grégoire, Jérôme, Benoît et tous Tes Saints qui à travers le monde entier ont souffert le martyre à cause de Ton Nom, Seigneur». Je ne sais comment on pouvait accommoder ce Canon romain qui renferme les deux memento des vivants et des morts, avec le Rite gallican qui plaçait la récitation des noms avant l’Oblation ; aussi quelquefois ces oraisons intitulées post nomina etad pacem ne sont-elles autre chose que des secrètes semblables à celles du Missel romain.
Quoi qu’il en soit, il faut conclure de là qu’avant Pépin et Charlemagne, il y eut des monastères qui prirent le Canon romain-grégorien sans abandonner le reste du Missel gallican. Il convenait assez à saint Colomban d’emprunter quelque chose de Rome : il avait été ami de saint Grégoire le Grand, et il ne le fut pas moins de Boniface IV qui tint le Saint Siège en 607, et à qui il écrivit des lettres et donna des avis solides avec beaucoup de force et de liberté. On a encore une de ses lettres à saint Grégoire, et deux à Boniface IV.
Le sixième monument est une Exposition de la Messe par saint Germain de Paris, ou plutôt un extrait de deux lettres de ce saint évêque[64] qu’on a trouvé dans le Monastère de Saint-Martin d’Autun[65], et que dom Edmond Martène et dom Ursin Durant ont donné dans le 5ème tome du Trésor des anecdotes. On ne voit rien jusqu’à présent qui nous exposât dans un si grand détail l’ordre de la Messe gallicane. Saint Germain écrivait au milieu du 6ème siècle ; il était d’Autun[66] et saint Agrippin, évêque de la ville le fit diacre l’an 533, prêtre l’an 536, et ensuite abbé de Saint-Symphorien.
Il fut, enfin, évêque de Paris l’an 555 : il allait souvent faire des voyages à Autun, et il est assez naturel qu’on y ait trouvé ces manuscrits plutôt qu’ailleurs. Il n’y a rien dans cet écrit qui ne convienne au temps de ce Saint, à ce qu’on voit dans les cinq monuments dont on vient de parler, et à ce que dit saint Grégoire de Tours des usages de son temps. On peut aussi remarquer pour preuve de son antiquité, que le symbole qu’on dit à la Messe en Espagne en 589, et quelque temps après en France, n’y est pas, que la consécration se faisait dans la patène, et que la fraction de l’hostie y est marquée avant le Pater, ainsi qu’elle se faisait dans toutes les Églises d’Occident avant saint Grégoire le Grand[67]. L’extrait de ces deux lettres contient beaucoup de sens allégorique, et la seconde revient de temps en temps à ce qui a été dit dans la première[68]. C’est pourquoi pour mieux apercevoir l’ordre du Rite gallican, nous mettrons ici ce que cet extrait contient de littéral, sans les allégories et les répétitions ; et pour le faire plus fidèlement, on y laissera presque tous les solécismes qui s’y trouvent par l’ignorance de l’abréviateur ou du copiste[69].
Article Troisième
ORDRE DE LA MESSE GALLICANE[70]
Ce petit traité de saint Germain nous apprend plusieurs particularités de la Messe gallicane qu’on ignorait, et nous donne lieu de regarder plus exactement ce que nous en connaissons.
COLLECTE APRÈS LA PROPHÉTIE
1 – Dom Mabillon et dom Thierri Ruinart, qui se sont appliqués à la recherche et à l’éclaircissement des monuments de la Liturgie gallicane, prenaient toujours le mot de prophétie pour signifier la première leçon, et l’on voit ici que ce mot signifie le cantique du Benedictus, qui se dit avant les lectures.
2 – Ces mêmes auteurs plaçaient après la leçon la collecte après la prophétie, au lieu qu’elle se disait après le cantique du Benedictus. C’est pourquoi les termes mêmes du Benedictus entraient dans la collecte comme une espèce de paraphrase, ainsi qu’on le voit à la Messe de Noël :
«Tu nous as suscité un Sauveur, étant né dans la maison de David… C’est pourquoi, maintenant, nous Te supplions, dans les entrailles de Ta miséricorde, de Te montrer à nos esprits… afin que nous puissions en suivant le droit chemin trouver la voie de la paix, et Te servir avec sagesse !»
et à la Messe de Pâques[71] :
«Ô Dieu souverain et tout-puissant, Toi qui as suscité pour nous une corne de salut par le mystère de Ta Croix afin de nous élever jusque dans les hauteurs de la maison royale de David… accorde-nous de Te servir, Seigneur, dans la sainteté de la justice…»
On peut voir la même chose dans plusieurs autres Messes des dimanches[72] :
3 – Le Père Mabillon[73] a cru que par ces mots collectio post precem[74], il fallait entendre «après l’hymne : Benedicite», mais ce cantique n’est pas une prière. Et saint Germain nous apprend qu’après l’Évangile et l’homélie les diacres faisaient sur le peuple et sur les catéchumènes des prières qui sont intitulées de prece, après lesquelles le prêtre disait une collecte.«Les Lévites prieront pour eux, et le prêtre dira une collecte», et voilà ce qu’on entend par collectio post-precem.
Avec ces monuments comparés ensemble, et ce qu’on trouve dans les ouvrages de saint Grégoire de Tours, qui écrivait peu d’années après saint Germain de Paris, on peut exposer assez exactement l’ancien ordre de la Messe gallicane, et c’est ce qu’on va faire.
INTROÏT
La messe commençait par une antienne. Saint Germain donne ce nom à l’introït ; et il l’intitule de praelegere, parce que sans doute c’était l’antienne qui précédait les lectures. On voit par le Concile d’Agde tenu en 506 que les Églises des Gaules chantaient des antiennes : «Le service divin doit se célébrer partout de la même manière. Après les antiennes, les évêques ou les prêtres doivent lire les collectes[75]». Il semble que c’est l’antienne de l’introït que le premier des chantres[76] entonna, lorsque les envoyés de Clovis, qui marchait contre Alaric, entrèrent dans l’église de Saint-Martin de Tours : «Pendant qu’ils entraient dans la basilique, le primicier entonna tout-à-coup cette antienne : Seigneur, Tu m’as revêtu de force pour la guerre, et Tu as abattu sous moi ceux qui s’élevaient contre moi[77]. Ce qu’entendant le chant du psaume[78]…».
GLORIA
Saint Germain fait entendre qu’on disait le Gloria Patri après l’antienne de l’introït : « L’on ajoute gloire en l’honneur de la Sainte Trinité, et l’on doit l’inférer de ces paroles de saint Grégoire de Tours : «Et voici qu’un chœur de voix s’avançait dans la basilique en chantant des psaumes Et lorsque après le Gloria Patri en l’honneur de la Sainte Trinité, le chant eut cessé[79]…»
Le Gloria Patri se disait dans les Gaules comme à présent selon saint Grégoire de Tours : le «Comme il était au commencement» sedisait aussi suivant le canon 5 du Concile de Vaison tenu en 529.
Selon saint Germain le diacre indiquait, ici, le silence ; saint Grégoire de Tours parle aussi du silence du diacre, sans marquer en quel endroit de la Messe et saint Césaire d’Arles fait entendre que le diacre avertissait plusieurs fois de garder le silence, ou de se mettre à genoux[80].
Le prêtre saluait le peuple en disant : «Le Seigneur soit toujours avec vous», et tous lui répondaient : «Et avec ton esprit».
AGIOS
Saint Germain place, ici, le titre des Aius. On lit Aios dans le Sacramentaire de Bobbio[81], et l’on voit bien que c’est ainsi qu’on prononçait le mot Agios. On chantait en grec et en latin Agios o Theos, Sanctus Deus.
KYRIE
Trois enfants de chœur chantaient ensemble Kyrie eleison que le 2ème Concile de Vaison avait ordonné de répéter plusieurs fois : «Selon la pratique de Rome, d’Orient et de toute l’Italie, on chantera souvent dans nos églises le Kyrie eleison afin d’exciter la contrition. On le chantera à la Messe, aux laudes et aux vêpres On doit de même, dans toutes les Messes du matin, dire trois fois Sanctus, ainsi que cela se pratique pour les Messes solennelles[82]».
BENEDICTUS
Après l’Agios et le Kyrie onchantait le cantique du Benedictus Dominus Deus Israël, qui est appelé la Prophétie de Zacharie. Le célébrant évêque ou prêtre l’entonnait : «Commel’évêque Palladius commençait à entonner la prophétie[83]» dit saint Grégoire de Tours, et le clergé à deux chœurs continuait les versets alternativement : «L’Église chantait à voix alternées» dit saint Germain.
Le Sacramentaire de Bobbio met le Gloria in excelsis, avec ce titre Gloria ad Missam decantanda («Le Gloria doit être chanté à la Messe», mais ce ne devait être que dans quelques églises où l’on avait pris le Canon romain[84] Saint Césaire d’Arles[85] et saint Aurélien d’Arles[86] nous apprennent qu’on le chantait aux laudes, et selon saint Grégoire de Tours, on le chantait à la Messe après l’Oblation, à cause qu’un paralytique recouvra tout à coup la santé[87] et on le chanta en d’autres occasions pour de semblables sujets de joie[88].
COLLECTE APRÈS LA PROPHÉTIE
Tous les missels ou sacramentaires gallicans marquent une collecte que le prêtre devait dire après le Benedictus : collectio post prophetiam («collecte après la prophétie») et cette collecte paraphrasait quelques mots du Benedictus, ou y faisait allusion, comme on vient de le remarquer.
LEÇONS DE L’ÉPÎTRE
La collecte était suivie de deux leçons, l’une était tirée des Prophètes et l’autre des Épîtres de saint Paul : «Les clercs ayant placé trois livres sur l’autel : les Prophètes, l’Apôtre, les Évangiles, convinrent de lire chacun à la Messe le passage qu’ils auraient trouvé à l’ouverture du livre[89]»
Au temps pascal, elles étaient tirées des Actes des Apôtres et de l’Apocalypse et aux fêtes des Saints on lisait leurs actes, qui semblent tenir lieu d’une leçon, à en juger par divers endroits de saint Grégoire de Tours : «On avait achevé la lecture de la passion du grand martyr Polycarpe[90]». Le four de la fête, comme le peuple était présent et qu’on lisait les miracles de sa vie[91]». «Un jour qu’assis sur sa cathèdre, il écoutait les leçons prescrites par le saint canon[92]».
A en juger aussi par le Lectionnaire de Luxeuil et par le Sacramentaire de Bobbio, où l’on ne voit aux fêtes des Saints qu’une leçon avant l’Évangile, au lieu qu’il y en a deux aux autres Messes.
Selon saint Germain de Paris on ne chantait rien entre la leçon et l’Épître. Le Micrologue témoigne qu’aux églises où l’on avait retenu l’usage de lire une prophétie avant l’Épître, on ne chantait rien entre les deux : «On lit deux lectures à la suite, comme à Noël[93]».
Il faut qu’il y ait eu quelque variété sur ce point dans les églises des Gaules, car le Lectionnaire de Luxeuil marque à la Messe de Noël[94] entre la leçon d’Isaïe et le Cantique de Daniel, c’est-à-dire le Cantique des Trois Enfants dans la Fournaise[95], mais cela ne se trouve qu’à cette Messe[96] et saint Germain marque le cantique Benedicite, qu’après les leçons, et il ajoute qu’entre cette hymne appelée bénédiction et l’Évangile, il n’y avait que le répons[97].
A Paris le répons était chanté par les enfants de chœur : «Qui est chanté par trois petits enfants» et il paraît qu’à Tours un diacre l’avait chanté à la Messe à laquelle le Roi assistait[98]. On finissait le répons, en chantant agios en signe de la joie qu’allait donner la lecture de l’Évangile. En Espagne, au contraire, le 4ème Concile de Tolède voulut qu’on chantât l’Évangile immédiatement après l’Épître.
PROCESSION DE L’ÉVANGILE
L’Évangile était porté processionnellement par le diacre[99] et dès qu’il l’annonçait les clercs chantaient «Gloire à Toi, Seigneur» oucomme on lit dans Grégoire de Tours «Gloire au Dieu Tout-Puissant[100]». Il était accompagné quelquefois de 7 céroféraires et quelquefois de 5[101]. On peut remarquer à ce sujet qu’on distingue à Saint-Martin de Tours les principales fêtes par sept et par cinq chandeliers. Et le chœur chantait de nouveau le Sanctus[102], et l’évêque prêchait, ou bien on lisait des homélies des Saints, pour expliquer l’Évangile qui avait été lu[103].
LITANIES
Après l’homélie les diacres faisaient des prières pour les assistants et en particulier pour les catéchumènes, de même qu’on le voit dans la liturgie des Constitutions Apostoliques, et ces prières étaient suivies de la collecte que faisait le prêtre, intitulée dans tous les missels gallicans : collectio post precem (pour le peuple[104]).
RENVOI DES CATÉCHUMÈNES
Le diacre indiquait le renvoi des catéchumènes. Saint Grégoire de Tours n’en fait aucune mention ; peut-être n’y en avait-il point dans son église, mais il dit qu’on faisait sortir ceux qui étaient privés de la communion : «Après que l’on eut offert les dons sur l’autel, l’évêque Nizier dit : ‘On n’achèvera pas ici, aujourd’hui, le sacrifice de la Messe à moins que ne sortent ceux qui sont privés de la communion’[105]». Le Concile de Lyon vers l’an 517 mettant en pénitence un homme et une femme, leur permet d’assister aux offices jusqu’à l’oraison du peuple qu’on lit après l’Évangile. Cette prière désigne, me semble-t-il; la collecte post-precem.
LA MESSE DES FIDÈLES
Les seuls fidèles demeuraient dans l’église, et l’on indiquait de nouveau le silence : «l’ordre est donné de faire spirituellement silence» dit saint Germain.
La messe des fidèles commençait par une monition faite par le célébrant, intitulée Prefatio Missae (Préface de l’offertoire). Le Père Mabillon a parlé de cette préface comme du commencement de tout l’office et il l’a placée ensuite après le Kyrie et l’hymne des Anges – il devait dire l’hymne prophétique : Benedictus – : «A ces choses succédait la préface». Mais il est évident que cette préface doit être placée plus bas et qu’elle est le commencement de la messe des fidèles. Cela est clair par les messes de Noël et de Pâques qui sont dans le Missel gothique-gallican qu’il a données lui-même, où tout l’ordre de la Messe est exposé plus en détail que dans les autres : «Ordre de la Messe du Jour de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, collecte post-precem» c’est celle qui se faisait après l’Évangile et l’homélie, comme on vient de le voir. On voit ensuite la préface ou le commencement de la messe des fidèles qui est une monition pour les porter à demander la grâce du Mystère du Jour.
«Jour sacro-saint de la bienheureuse Nativité.., où le Dieu Tout-Puissant, Qui a endossé notre nature terrestre et fragile, prions-Le instamment, bien-aimés frères, de nous instruire par sa parole et sa présence, nous qu’Il visite par sa Naissance corporelle[106]». Cette monition était suivie de la collecte qui y répondait : «Ô Dieu, riche en miséricorde, Tu nous joins à la vie de Ton Fils, nous qui étions morts par nos péchés». Après viennent les collectes post nomina et ad pacem.
Ce qui a trompé le Père Mabillon, c’est qu’à quelques Messes, telles que celle de Saint-Étienne, il n’y a rien avant la préface de la messe, mais il est visible que ces messes-là ne contiennent que les parties de la messe des fidèles. Cette préface ou monition accompagnée d’une collecte qui y répond et qui est quelquefois intitulée collecte ant nomina (avant les noms), précédait immédiatement l’oblation.
SONUS
Les fidèles devaient offrir du pain et du vin tous les dimanches ainsi que le 2ème Concile de Mâcon l’ordonnait et dès qu’on portait sur l’autel ce qui devait y être offert, on chantait une antienne ou un cantique que saint Germain appelle sonus, peut-être à cause qu’il en compare le chant au son des trompettes d’argent qu’on faisait retentir dans l’Ancienne Loi au temps de l’oblation.
On voit dans l’écrit de ce Saint porter l’oblation à l’autel en chantant avec pompe : «Le Sonus qui est chanté pendant la procession des Dons». Un diacre portait aussi de la sacristie à l’autel une boîte en forme de tour, dans laquelle était la Sainte Eucharistie : «Le diacre, ayant pris la tour qui renfermait le Mystère du Corps du Christ afin de le porter à l’autel[107]». Dom Ruinart a remarqué qu’on lisait dans tous les manuscrits mysterium et non pas ministerium, comme dans les imprimés, ce qui ne laisse pas lieu de douter qu’on ne portât à l’autel l’Eucharistie, ainsi que saint Germain le fait entendre ; et c’est là, peut-être, la vraie cause de la grande vénération que le peuple fait paraître dans les Églises d’Orient, au temps de l’Oblation.
Les Dons offerts étaient couverts d’un voile assez grand pour couvrir et les Dons et tout le dessus de l’autel : «Lorsqu’après avoir déposé sur l’autel les Saints Dons on eut couvert d’un voile, suivant l’usage, le Mystère du Corps et du Sang du Christ[108]» dit saint Grégoire de Tours, «déjà l’autel, chargé des offrandes, était couvert d’un voile». Saint Germain ajoute qu’il était orné d’or et de pierreries, il ne devait pas être transparent, mais assez épais pour dérober absolument aux assistants la vue des Dons sacrés.
Saint Grégoire de Tours rapporte qu’un homme ayant donné un voile précieux, il fut défendu de s’en servir à cause qu’il était transparent : «Quant au voile, comme il est mince et transparent, qu’il ne soit pas placé sur les offrandes de l’autel, parce qu’il ne peut couvrir suffisamment le Mystère du Corps et du Sang du Christs[109]».
INVOCATION
On invoquait la Toute-Puissance de Dieu sur les Dons. Saint Germain dit que l’Ange de Dieu y descendait : «L’Ange de Dieu descend sur l’autel, comme sur un tombeau». Selon quelques anciens missels manuscrits de France, on invoquait l’Ange du Grand Conseil. On lit dans les missels manuscrits de Clermont et dans les premiers imprimés : «Qu’il descende, nous T’en prions, Père Tout-Puissant, Ton Verbe consacré, que descende l’Esprit de Ta gloire inestimables[110]». Et le Micrologue dit qu’on a tiré de l’Ordre gallican la prière Veni Sanctificator[111].
DIPTYQUES
L’Oblation finie on faisait mémoire des vivants et des morts, dont les noms étaient écrits sur des tables (qu’on appelait diptyques) et ces noms étaient suivis de la prière intitulée collecte post nomina.
BAISER DE PAIX
Les fidèles se donnaient le baiser de paix et le prêtre faisait sur eux la prière collecte ad pacem. Une lettre de saint Loup, évêque de Troyes et de saint Euphrone, évêque d’Autun écrite vers l’an 454 à Talaise, évêque d’Angers, nous donne lieu de remarquer, touchant la paix, que les sous-diacres devaient se la donner à la sacristie (apparemment à la porte où ils se tenaient) et non pas à l’autel, où il ne leur était permis d’aller que pour présenter les palles au diacre ou pour recevoir ce qu’il fallait remporter.
PRÉFACE
La collecte ad pacem était suivie de la préface qui était intitulée contestatio, et quelquefois immolatio. IIy en avait de propres pour toutes les fêtes, et même pour toutes les Messes.
SANCTUS
Le Sanctus terminait la préface comme dans le Rite romain. Le Concile de Vaison[112] ordonna de le chanter à toutes les Messes, soit de carême, soit des morts et il était chanté par tout le peuple : «La préface terminée, tout le monde chante Saint, Saint, Saint ! à la louange du Seigneur[113]», dit saint Grégoire de Tours.
LE CANON
Le canon était intitulé collecte post sanctus. Il était ordinairement fort court, et composé sur quelque circonstance qui amenait «Qui la veille» ou «Lui-même, en effet, la veille du jour…». A une Messe des dimanches qu’on répétait souvent, on lit simplement sous le titre post sanctus, ces mots : «Il est saint parmi les Saints, Il est béni sur la terre Notre-Seigneur Jésus-Christ, Lui qui la veille». Les autres paroles ne sont point écrites dans aucun des quatre missels gallicans. On sait seulement qu’en les lisant on faisait le signe de la Croix sur les Dons suivant la coutume universelle de l’Église : «Lorsqu’arriva le moment où, suivant la coutume catholique les Saints Dons devaient être bénis par le signe de la Croix[114]». C’est tout ce qu’on sait des paroles que le même auteur appelle sacrées[115].Elles sont suivies du titre post secreta ou post mysterium, qui contient quelquefois une invocation de l’opération du Saint-Esprit : «Dès qu’il eût prononcé les paroles sacramentelles… Jette un regard favorable sur les Dons posés sur Ton autel et couvre tous ces Dons de l’ombre de l’Esprit de Ton Divin Fils[116]» quelquefois une simple prière : «Tu es le mystère pour notre salut, notre récompense, enseigne-nous la persévérance, comme Tu nous as enseigné Ta doctrine, pour nous libérer par cette Oblation» quelque fois la mémoire des Mystères : «Faisant mémoire de la Passion du glorieux Seigneur, de Sa Résurrection des enfers, nous T’offrons, Seigneur, cette Offrande sans tache, cette Offrande raisonnable, cette Offrande non sanglante» et quelquefois un acte de foi : «Nous croyons, Seigneur, que nous avons été rachetés dans cette fraction de Ton Corps et par l’effusion de Ton Sang. Nous croyons, Seigneur, en Ta venue et proclamons Ta Passion. Ton Corps a été rompu pour la rémission de nos péchés». Ces mots «Tu es le Mystère», pouvaient faire entendre que dans la formule des paroles sacrées on lisait «Mystère de foi», comme à présent, et ce qu’on lit dans saint Germain ne laisse aucun lieu de douter qu’on ne prononçât ces mots. Ces autres : «Dans la fraction de Ton Corps, il a été rompu pour la rémission de nos péchés» donnent lieu de croire qu’après «Ceci est Mon Corps», on disait «Qui est rompu pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés» comme dans plusieurs Liturgies orientales.
FRACTION DU PAIN
Après le post secreta on faisait la fraction de l’Hostie et le mélange dans le calice. Saint Germain nous avertit que cette fraction et ce mélange renfermaient de grands Mystères :«Dans les temps anciens les saints Pères tenaient la fraction et l’immixtion du Corps du Seigneur pour de très grands Mystères[117]».
Ce Saint ajoute que pendant que le prêtre faisait la fraction, le chœur chantait une antienne.
NOTRE PÈRE
Les Mystères étaient terminés par l’oraison dominicale précédée d’une petite préface semblable à la nôtre, mais dont les termes étaient variés presque à toutes les Messes :«Enseignés par le Divin Magister et instruits par Ses enseignements salutaires, nous osons dire», ou «Non, par nos mérites, Père Saint, mais obéissant à Jésus-Christ Ton Fils, nous osons dire».
LIBERA NOS
Après l’Oraison dominicale, le libera nos est aussi en divers termes presque à toutes les Messes : «Délivre-nous, Dieu Tout-Puissant de tous les maux et établis-nous dans les œuvres bonnes. Éloigne-nous des vices et remplis-nous de vertus» ou «Délivre-nous, Dieu Tout-Puissant, des maux présents et futurs. Délivre-nous des périls, des infirmités, des scandales et prépare-nous à toute œuvre bonne, par le Bon et Béni Notre Seigneur».
BÉNÉDICTION DES FIDÈLES
Ici les évêques donnaient la bénédiction solennelle à l’Assemblée, de la manière qu’ils la donnent encore, aujourd’hui, à Auxerre, à Sens, à Paris, et comme ils la donnaient il y a 150 ans dans toutes celles dont j’ai vu les pontificaux. Saint Germain nous apprend que de tous temps les prêtres la donnaient aussi, mais avec une formule beaucoup plus courte. Plusieurs années avant saint Germain, les évêques ne permettaient pas aux prêtres de bénir le peuple dans l’église. Le Concile d’Agde en 506 le leur défendit : «Il est absolument interdit au prêtre de donner la bénédiction au peuple dans l’église[118]».
C’est pourquoi le Concile d’Orléans en 511 ordonnant que le peuple ne sortirait point de l’église qu’après la solennité de la Messe, c’est-à-dire après le Pater, comme on le voit par ces paroles : «Que le peuple ne se retire pas avant que la Messe soit terminée», ajoute que : «Si l’évêque y est, le peuple recevra la bénédiction sacerdotale», mais il faut que quelques conciles particuliers qui ne sont pas venus jusqu’à nous, considérant que les prêtres ont l’honneur du Sacerdoce de même que les évêques, aient réservé seulement aux évêques la bénédiction solennelle, telle qu’elle est dans les pontificaux, et permis aux prêtres de donner une bénédiction moins solennelle. C’est ce que nous devons conclure des paroles de saint Germain qui viennent d’être citées.
COMMUNION
Après la bénédiction on donnait la communion. Il était permis aux laïcs[119], aux femmes mêmes[120], d’aller la recevoir au sanctuaire auprès de l’autel : «La jeune paralytique parvint toute seule jusqu’au saint autel pour communier, sans avoir personne pour la soutenir». On donnait encore, au temps de saint Grégoire de Tours, une particule de l’Eucharistie à la main[121] : «Prends une parcelle de l’Eucharistie et porte-là à ta bouche». Les femmes la recevaient aussi à la main. Le Synode d’Auxerre tenu vers l’an 578 exigeait trois choses des femmes qui voulaient communier : 1) De ne pas recevoir l’Eucharistie la main nue : canon 36, 2) De ne pas ce servir des palles de l’autel : canon 37, 3) De ne pas se présenter à la sainte table sans le dominical (c’était un voile que les femmes devaient porter sur la tête) : canon 42. Le Pénitentiel de Théodore que le pape Vitalien fit archevêque de Cantorbéry, l’an 668, dit que ce voile peut être noir[122].
Pendant la communion on chantait un psaume ou un cantique. Saint Aurélien qui fut archevêque d’Arles l’an 546 recommande cet usage : «Que tous communient pendant qu’on chante un psaume[123]». Mais on ne sait pas distinctement si l’on chantait quelques versets d’un psaume, ou un psaume entier, ou quelque cantique. Saint Germain de Paris contemporain de saint Aurélien, nous apprend seulement qu’on appelait tricanon ce qui se chantait pendant qu’on communiait : «On chante le tricanon signe de Foi universelle qui procède de la confession de la Trinité». Ce mot que je ne trouve nulle pet ailleurs, signifie apparemment un cantique en l’honneur des Trois Divines Personnes. Peut-être ne faut-il entendre par ce cantique que le Gloria Patri chanté après le psaume de communion. En effet, selon l’ancien usage de l’Église de Rome on chantait alors un psaume (du moins en partie) auquel on ajoutait Gloria Patri, addition qui ne se faisait pas pendant l’Offrande, quoiqu’on chantât aussi alors quelques versets de Psaumes.
POST-COMMUNION
La Messe finissait par une oraison appelée consummatio Missae ou post communio, et cette oraison était quelquefois précédée d’une monition, comme on le voit dans l’exemple suivant[124] : POST COMMUNION.
POST-COMMUNION
«Nourris des mets spirituels, prions le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, afin qu’après avoir mortifié les désirs de la chair, notre conversion spirituelle se fasse en toutes choses, par…»
CONSUMMATIO MISSAE
«Garde-nous, Seigneur, le don de Ta gloire, afin que, contre tous les traits du siècle présent, nous soyons munis des grâces de l’Eucharistie que nous recevons».
RENVOI
Après l’action de grâces le peuple était renvoyé par la formule qui était commune à la fin des assemblées de l’Église, du Palais et du Prétoire, comme nous l’apprend saint Avit, archevêque de Vienne, qui écrivait l’an 500.
Ceux qui se donneront la peine de comparer l’Ordre de cette Liturgie avec celles des Constitutions Apostoliques et les autres Liturgies orientales, seront persuadés que cet Ordre gallican ne vient pas de l’Ordre romain, mais de l’Ordre des Églises d’Orient, qui avaient tant de rapports avec nos Églises dès le second siècle, que nous ne connaissons les Martyrs de Lyon et de Vienne que par la lettre que ceux-ci avaient écrite en Orient, comme il a été déjà remarqué dans le premier article de cette dissertation.
Article Quatrième
DE QUELQUES USAGES DE L’ANCIENNE LITURGIE GALLICANE
QUI SUBSISTENT ENCORE A PRÉSENT
Quelque soin que prît Charlemagne après son père Pépin, pour faire recevoir dans tout son Empire le Missel romain purement et simplement avec autant d’exactitude qu’il le faisait suivre dans sa chapelle, il n’a pu empêcher que plusieurs Églises n’aient joint quelques usage du Rite gallican au Missel romain qu’elles prirent.
1. Bénédiction épiscopale avant la communion
Le plus considérable de ces usages est la Bénédiction solennelle que les Évêques donnaient en plusieurs Églises de France avant la Communion, entre l’Amen du Pater et le : «Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous». On ne peut pas douter que cette bénédiction ne soit un reste de l’ancienne Liturgie gallicane par les raisons que nous avons eu occasion de rapporter au premier tome de cet ouvrage et dans l’article précédent.
Il ne faut pas croire que cette Bénédiction vienne de l’ancien usage de l’Église de Rome, parce qu’on en voit les formules dans la plupart des exemplaires du Sacramentaire de saint Grégoire ; car ces formules ne furent insérées dans ces Sacramentaires qu’à cause qu’ils furent écrits pour servir à des Églises où elles étaient en usage. C’est ce que nous voyons clairement par les manuscrits du Sacramentaire grégorien que Grimoldus, Abbé de Saint-Gall en Suisse nous a donné dans sa collection au 9ème siècle ; car ce savant abbé, ayant voulu de son temps donner le pur Sacramentaire de saint Grégoire, n’inséra dans aucune Messe de ce Sacramentaire cette Bénédiction solennelle, mais il en renvoya toutes les formules dans le troisième livre de sa collection lequel ne contient rien qui n’eût été ajouté au Sacramentaire de saint Grégoire par les Églises de France ou d’Allemagne.
Une seconde preuve est qu’il n’y a point eu d’Églises qui se soient conformées plus exactement et plus fidèlement au Rite romain du temps de Charlemagne que l’Église de Lyon, parce que Leirad que ce prince mit sur le siège de cette Église, lui était tout à fait dévoué, et qu’il se fit un devoir et un mérite de ne rien admettre dans les Offices de l’Église de Lyon, que ce qui se pratiquait dans la chapelle royale, ainsi qu’il l’écrivit expressément à Charlemagne[125].
Or dans les anciens Pontificaux de Lyon écrits depuis Charlemagne il n’y avait point de Bénédiction épiscopale avant le Pax Domini. Feu M. de Saint George, Archevêque de Lyon, avait un de ces Pontificaux. M. Sigau, Évêque de Sinope qui a été longtemps Grand Vicaire de M. de Saint George à Lyon, et qui s’était parfaitement instruit du Rite lyonnais, m’apprit ce fait lorsque j’eus l’honneur de le voir à Vienne où il réside. On ne sait pas précisément depuis quel temps on a repris dans l’Église de Lyon les Bénédictions épiscopales ; mais on peut assurer qu’elles n’y ont pas été en usage durant plusieurs siècles, parce qu’on avait voulu se conformer entièrement au Rite romain dans cette Église.
Une troisième preuve que cette Bénédiction ne vient pas originairement du Rite romain, c’est qu’on n’en voit pas une seule formule dans le Sacramentaire gélasien.
On doit donc regarder cette Bénédiction solennelle que les Évêques donnent dans plusieurs Églises de France, comme un vrai reste de l’ancienne Liturgie gallicane.
La plupart des Évêques de France eurent si fort à cœur la conservation de cet usage si ancien et si respectable, que Drogon, Évêque de Metz, fils naturel de Charlemagne, fit insérer ces Bénédictions dans le beau Sacramentaire dont nous avons parlé, qui se conserve encore dans le trésor de la Cathédrale de Metz. Si un fils de Charlemagne en usa ainsi, les autres Évêques doivent être encore bien plus portés à conserver cet usage : aussi est-il très rare de trouver des Pontificaux de nos Églises jusqu’au temps de saint Pie V où cette Bénédiction ne soit pas. Si elle ne se donne pas à présent dans beaucoup d’Églises de France, ce n’est que parce qu’elles ont pris le Missel romain imprimé par ordre de ce saint Pape, ou qu’en faisant imprimer leur Missel, elles ont abandonné la plupart de leurs propres pratiques qui ne se trouvaient pas dans le Missel romain, ou enfin (et c’en est la cause la plus vraisemblable) que les Évêques de France se sont insensiblement accoutumés à se servir du Pontifical romain publié par les Papes successeurs de saint Pie, et à ne rien faire de tout ce qui n’était pas prescrit dans ce Pontifical.
Cette Bénédiction subsiste, cependant, en plusieurs Églises, comme à Sens, à Paris, à Auxerre, à Troyes, à Meaux, etc. On vient de voir qu’elle fut rétablie à Lyon. Elle l’a été depuis peu à Orléans par feu M. le Cardilan de Coaflin, lequel même, pour mieux conserver cet usage qui est si honorable aux Évêques, fit imprimer un Bénédictionnel exprès à ce sujet, c’est-à-dire un livre qui contient les formules de cette Bénédiction solennelle de l’ancienne Liturgie gallicane ; et il y a lieu d’espérer que plusieurs Évêques de France suivront un si louable exemple.
2. Lecture de la Prophétie
Un autre usage de l’ancienne Liturgie gallicane qui subsiste encore à présent, c’est de lire une Prophétie, c’est-à-dire une leçon tirée de l’Ancien Testament, avant l’Épître. On ne peut pas douter que cet usage ne soit véritablement gallican par tout ce que nous avons dit ci-dessus ; il subsiste encore à présent aux quatre Messes de Noël dans les Églises de Reims, de Besançon, de Lisieux, d’Auxerre, de Soissons et de Limoges, ainsi que chez les Chartreux, les Prémontrés, les Carmes et les Dominicains ; et il a subsisté dans la plupart des Églises de France, ainsi que dans l’Ordre de Cîteaux jusque vers le commencement du 16ème siècle, comme on le voit dans leurs Missels. A la vérité, il y avait quelques Églises qui ne disaient pas la Prophétie à la dernière Messe de Noël, comme Embrun, Glandève, Autun et Langres et tel est encore à présent l’usage de l’Église de Sens. Dans l’Église de Vienne on en disait aux quatre Messes mais elles s’y disaient après l’Épître ; ce qui s’observe encore à présent dans cette Église, quoiqu’elle ait admis le Missel romain.
Cet usage certainement ne venait pas de l’Église de Rome, cette Église n’ayant jamais admis plusieurs lectures avant l’Évangile qu’aux Quatre-Temps et à quelques Féries du Carême, comme on le voit par tous ses livres liturgiques, soit anciens, soit nouveaux[126]. Aussi l’Église de Lyon qui, comme nous l’avons montré, prit entièrement le Rite romain sans y faire aucune addition, n’a point eu l’usage de ces Prophéties depuis Charlemagne.
3. Prières : annonces du Prône
On peut regarder le Prône qui se fait si exactement en France aux grandes Messes de paroisse, comme un autre reste de la Liturgie gallicane, du moins quant aux prières qui s’y font pour toutes sortes d’états et de besoins, et quant à l’annonce des Fêtes et des Jeûnes[127]. Nous ne voyons par aucun des anciens monuments de l’Église de Rome qu’après l’Évangile et son explication ou l’homélie, on ait jamais fait de prières générales ; et nous voyons clairement par le Sacramentaire Gélasien que l’annonce des Fêtes, des Jeûnes, et même des autres choses qu’on voulait faire savoir à l’Assemblée, s’y faisait immédiatement avant la Communion. Selon la Liturgie de Saint-Germain on faisait des prières avant l’Offrande : cesprières sont, donc, celles qui se font aujourd’hui au Prône.
4. Suspension du Saint-Sacrement
Nous pourrions joindre au Rite gallican la coutume de suspendre le Saint Sacrement au-dessus du grand autel. Cet usage qui se conserva dans un grand nombre de Cathédrales et d’autres célèbres Églises de France, ne vient certainement pas de Rome où cela ne s’est jamais fait, mais plutôt de quelques Églises d’Orient ; car Énée, Évêque de Paris au 9ème siècle dans sa Réponse aux Grecs, rapporte l’endroit de la Vie de saint Basile, où il est dit que ce Saint, divisant l’Hostie en trois parties, en mettait une dans la colombe d’or qui était sur l’autel. C’est pour un semblable usage qu’on a lieu d’entendre que saint Perpétue, Évêque de Tours, laissa, parmi plusieurs autres vases, une colombe d’argent. Les anciennes coutumes de Cluny marquent plus clairement l’usage de ces colombes pour la suspension des saintes Hosties. Le P. Mabillon[128] vit dans la sacristie de Bobbio une ancienne colombe de métal qui servait autrefois pour conserver le Viatique et cet usage devait venir du Monastère de Luxeuil en Bourgogne, d’où saint Colomban passa à Bobbio. Mais ceci appartient plutôt au Rite gallican en général, qu’à la Liturgie gallicane.
5. Conclusion
Il est fâcheux qu’il soit resté si peu de choses d’une Liturgie si respectable par son antiquité, par ses auteurs et par les Églises qui l’ont observée ; mais en récompense, on peut dire qu’elle subsiste encore presque entièrement – du moins pour la forme par le moyen du Missel mozarabe : et c’est ce qu’on va voir clairement et en détail dans la Dissertation suivante…
3. Du Père Lebrun aux temps actuels
Après cette magistrale et sobre démonstration du Père Lebrun, les dix-neuvième et vingtième siècles apportent un ensemble de documents nouveaux, découverts par hasard ou fruits d’une recherche patiente, et de nombreuses études[129]. Laissant la présentation des documents-sources qui ont servi à la restauration pour notre chapitre suivant, après l’étude rapide de la restauration du rite, nous voulons donner quelques appréciations sur les œuvres annoncées. Nous ne pouvons les analyser toutes ni même les situer dans leur cadre historique et dans les préoccupations liturgiques des deux derniers siècles. Contentons-nous de préciser quelques aspects significatifs de ces œuvres quasi contemporaines et saluons, au passage, les auteurs principaux.
1. Aspects généraux de l’œuvre des liturgistes des 19ème et 20ème siècles, en relation avec le Rite ancien des Gaules
Comme en tous autres domaines scientifiques, ces siècles se caractérisent par la présentation des textes, par des analyses de plus en plus précises de ces textes et par une critique stricte des sources et des documents. L’analyse et la critique provoquent l’émission de nombreuses hypothèses en ce domaine comme dans les domaines biblique, théologique, canonique, etc.
Une méthode historique capable de libérer des «diktats» scientifiques et des routines religieuses se met alors en place, faisant appel à la Tradition et aux témoignages (deux ou trois témoins), les plus anciens de préférence, pour assurer une vérité. Mais auprès d’elle se dresse l’individualisme où chacun émet, avec une passion apparemment objective; une opinion qui détruit celle du voisin. Ces passions exigent une purification pour que la source primordiale de la Liturgie – l’Esprit Saint -, agisse dans les liturgistes et dans l’Église ; et la purification s’est faite par un retour à la Patristique, trop encombrée et dominée d’ailleurs en Occident par le seul génie de saint Augustin. Ce retour vers les Pères s’est fait lentement ; il n’y a pas si longtemps, le Pape Pie XII mettait encore en garde, en disant de ne pas se précipiter vers eux ; il estimait que la vraie théologie était scolastique, les pensées des Pères représentaient seulement les prémices de cette théologie scolastique.
Le 19ème siècle, en Liturgie, est caractérisé par la nécessité d’une «renaissance», semblablement à la nature qui renaît au printemps. A travers les tâtonnements normaux de l’Histoire, il se révèle, pour les liturges du 19ème siècle, que la tradition liturgique ne meurt pas. Les éléments liturgiques peuvent certainement s’estomper, disparaître même, mais ils reviennent postérieurement et purs ! L’on peut, alors, connaître et sentir exactement ce qui fut, si l’on se purifie, répétons-le, car, en un lieu, la source liturgique demeure traditionnelle et apostolique.
La remarquable personnalité de Dom Guéranger[130] prépare, à travers son œuvre l’Année Liturgique, àla fois le renouveau du siècle suivant et la restauration de l’Ancien rite des Gaules dont il fut un grand admirateur avant de devenir ultramontain. L’Année Liturgique comporte, en effet, àcôté des textes purs romains, de nombreuses prières séquences, hymnes, préfaces et strophes du Rite des Gaules dont le moine de Solesmes ne pouvait se priver.
Le 20ème siècle va déployer les puissances surgies au 19ème siècle, élargir encore le champ d’action des chercheurs et des liturges. Et malgré la tendance unifiante autour du rite dans les Églises orthodoxes d’Orient, comme malgré la faillite concrète des réformes liturgiques au sein de l’Église de Rome – quoi qu’il en soit de l’excellence des schémas liturgiques du Concile de Vatican II -, l’évènement essentiel et bouleversant de la restauration de l’Ancien rite des Gaules, au sein de l’Église orthodoxe, va se produire.
Une telle réalisation est le fruit des nécessités internes àl’Église de ce temps et des œuvres dont nous donnons une certaine liste avant de renvoyer le lecteur àla bibliographie qui constitue le numéro spécial Saint-Germain n° 3.
2. Quelques œuvres des 19ème et 20ème siècles, en témoignage pour l’historique de l’étude du Rite des Gaules
Au 19ème siècle :
Neale et Forbes : «The Ancient liturgies of the Gallican Church» (1855).
L. Marchesi : «La Liturgie Gallicane des huit premiers siècles de l’Église» (1869).
J.F. Mone mort en 1871, découvre et publie àKarlsruhe en 1850 le plus ancien des missels gallicans connus.
Le Père Wladimir Guettée publie en 1874 la Messe des Gaules, dans sa revue «l’Union chrétienne». Devenu orthodoxe, le Père Guettée est l’un de nos plus valeureux précurseurs ; avec le Père Lebrun et Monseigneur Duchesne, il est l’un des trois restaurateurs du Canon Eucharistique du rite avant l’achèvement proposé par l’Archiprêtre E. Kovalevsky et devenu réalité dans toute l’Église orthodoxe de France.
R. Buchwald : «De Liturgia Gallicana» (1890).
Le Père H. Lucas : «The Early gallican Liturgy» (1893-94).
F. Probst : «Abendländische Messe von V bis VIII Jahrhundert» (1896).
Le Père P. Lejay : «La Messe latine» (1897).
Au 20ème siècle :
Mettons en tête de nos citations quatre auteurs remarquables : les témoins de notre «fait» liturgique (cf. Deutéronome 17, 6).
1) Monseigneur Duchesne : «Les origines du Culte Chrétien» (1925), thèse magistrale et indispensable (lère éd. en 1889 ; 3ème éd. en 1902).
2) Dom Marius Férotin qui publia en 1904 «Le ‘Liber Ordinum’ en usage dans l’Église Wisigothique et Mozarabe d’Espagne du Vème au XIème siècle», et, en 1912, le «Liber Mozarabicus sacramentorum».
De ces études et de ces textes du rite frère «mozarabe» l’on a pu tirer de très nombreux renseignements[131].
3) Monseigneur Batiffol : «L’Expositio liturgiae gallicanae attribuée à Saint Germain de Paris», dans «Études de Liturgie et d’Archéologie chrétiennes», Paris (1919).
4) Le Père J.B. Thibaut : son œuvre en 1919, «L’Ancienne Liturgie Gallicane», guida précieusement l’Archiprêtre E. Kovalevsky, entre les années 1930 et 1940,tandis qu’il inspirait, pour restaurer l’Ancien rite des Gaules, les travaux de la Confrérie Saint-Photius[132], dont il était l’âme pour tout ce qui touchait l’Occident chrétien. Le Père Eugraph Kovalevsky vérifia de nombreuses hypothèses grâce à cette œuvre du Père J.B. Thibaut. Les influences de saint Cassien de Marseille et de saint Césaire d’Arles sur la Liturgie gallicane y sont fort bien analysées.
Bien d’autres auteurs ont participé durant ce siècle à l’étude du rite. Nous pouvons nommer particulièrement :
Dom Germain Morin, qui publie d’importantes études dans la «Revue Bénédictine» (1910), par exemple, n° 27) et dans la revue «Ephemerides Liturgae» (1935).
Dom Cabrol et Dom Leclercq qui dirigent la publication du célèbre «Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie», (DACL) et qui écrivent eux-mêmes d’importants articles, surtout Dom Leclercq : «Gallicane» (liturgie), en 1924, dans le t. V1[133].
Dom Cagin : partagé entre le 19ème et le 20ème siècles, qui publia «L’Antiphonaire ambrosien de Londres» dans la «Paléographie musicale» (1896).
Après la dernière guerre mondiale paraissent d’autres noms, parmi lesquels nous retiendrons :
Dom Capelle : «La Messe Gallicane de l’Assomption» dans «Mélanges Mohlberg» (1949).
Chanoine E. Griffe : «Aux origines de la Liturgie Gallicanes» dans le «Bull. de Litt. Ecclés.» (1951).
Dom Pierre Salmon : «Le Lectionnaire de Luxeuil» (1949 et 1953 ; éd. et études).
A. Baumstarck : «Liturgie Comparée» (1963).
J.A. Jungmann : «Missarum Sollemnia» (lère éd. en 1953).
W. S. Porter : «The Gallican Rite» (1958).
A. King : «Liturgie ancienne» (1961).
Dom O. Casel et Dom B. Botte complètent cette bibliographie, en tant qu’ils participent au discernement dans les sources. Nombre de nouvelles études sont parues depuis 1960 ; lelecteur pourra les retrouver dans la bibliographie générale133.
3ème partie : HISTORIQUE DE LA RESTAURATION
DU RITE DES GAULES DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE
Les principes soulignés en exergue de cet article ont donné réponse à la question paradoxale, en apparence seulement : pourquoi l’Orthodoxie s’est-elle intéressée à la résurrection d’un rite occidental ?
La continuité séculaire et, en France, l’intérêt constant dans l’étude du Rite des Gaules, comme nous venons de l’exprimer, ont permis d’aboutir concrètement à sa restauration «au sein de l Église orthodoxe» !
Voici maintenant les étapes essentielles de cette restauration pratique du rite, du saut par dessus onze siècles de silence liturgique aboutissant à la première célébration réelle et non archéologique, au 20ème siècle, de cette Liturgie aimée de nos Pères. Elle fut, aussi, comme nous l’avons vu, particulièrement aimée d’Alcuin, diacre, ami de Charlemagne, qui préserva tant de ses textes en les plaçant dans des Collectes privées et publiques du Rite de Rome qu’il se chargeait d’universaliser dans l’Empire.
1. Du Père Wladimir Guettée à l’Archiprêtre E. Kovalevsky
La restauration du Rite des Gaules est réalisée pour la première fois par le Père Wladimir Guettée. En 1874, il publie une version de la Messe dans sa revue «L’Union chrétienne».Et l’année suivante, avec la bénédiction du Saint Synode de l’Église Russe, il célèbre cette version «première» dans l’église de l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg. Cet évènement significatif n’aura pas de suite immédiate car le Père W. Guettée, malgré son génie et sa puissance de travail, sera progressivement coupé du milieu occidental et français du fait de son inévitable enracinement au sein de l’Église russe. Il n’existe pas encore, en cette fin du 19ème siècle, un mouvement orthodoxe et occidental capable de recevoir ce germe, de le perfectionner et de l’utiliser pour ses besoins spécifiques.
En 1925, le Métropolite russe émigré Euloge bénit la formation d’une «Commission française» placée sous la présidence de l’Archiprêtre Sakharoff. Cette commission d’études prépare la naissance de la Confrérie Saint-Photius ; elle est formée d’orthodoxes russes, de l’émigration, prêts à chercher et à forger, s’il y a lieu, les rapports liturgiques, théologiques et canoniques entre le génie universel de l’Orthodoxie et le génie particulier du christianisme en Occident.
Deux idées profondes inspirent les membres de la commission :
1) L’universalité de la Foi chrétienne orthodoxe et son esprit peuvent alimenter les Chrétiens, ou même plus largement «tout» homme de l’Occident, à condition de respecter, de connaître et de garder profondément les traditions, mœurs, coutumes de ces Occidentaux.
2) Là où cela est «juste et bon» l’enrichissement de thèmes liturgiques, de pensées théologiques, de modes canoniques portés par la Tradition orthodoxe orientale, sera offert au patrimoine occidental au nom de la charité fraternelle.
Cette commission, dont un membre, Eugraph Kovalevsky, deviendra Monseigneur Jean de Saint-Denis, premier Évêque de l’Église Orthodoxe de France, élabore le texte de la Liturgie des Gaules. Elle se base sur les travaux de W. Guettée et sur les documents dont nous donnons la liste plus loin (Les Lettres de Saint Germain, les Pères des Gaules, les Conciles des Gaules, les Missels-sacramentaires, les Lectionnaires et Antiphonaires et les rites frères : ambrosien et mozarabe).
En 1929, cette Liturgie est alors célébrée par le Père Lev Gillet, à Saint-Cloud, dans la chapelle de la Confrérie Saint-Photius. Œuvre partielle, ce texte sert, néanmoins, de canevas aux liturgistes «missionnaires» de l’émigration russe.
En 1935, Monseigneur Irénée Winnaert, proche de voir aboutir sa quête de «l’Eglise» commencée au sein de l’Église Romaine en 1918, exprime au Métropolite Serge de Moscou – «locum tenens» du trône patriarcal – son désir de restaurer le Rite des Gaules. Il meurt, orthodoxe, le 3 Mars 1937.
En 1939, Serge de Moscou conseille, dans une lettre adressée à la Confrérie Saint-Photius, «d’entreprendre l’étude approfondie de la liturgie occidentale selon la tradition gallicane». Alors le «Centre Saint-Irénée», centre fondé au sein de la Confrérie Saint-Photius pour l’étude et l’élaboration de la mission orthodoxe occidentale, entreprend immédiatement le travail liturgique préconisé par le Patriarche de Moscou. Dirigé par le Père E. Kovalevsky et aidé par l’Institut orthodoxe français de Paris Saint Denys, fondé en 1944, durant la guerre, le Centre Saint-Irénée ne cessera de poursuivre l’étude liturgique de l’Ancien rite des Gaules.
La méthode concrète de restauration appliquée par les liturgistes est triple :
1) Chaque terme est analysé dans la lumière des textes qui leur sont parvenus et face à la Liturgie Orthodoxe universelle.
Un exemple témoignera de la mise en œuvre de cette méthode. Selon saint Germain (Première lettre : Expositio brevis antiquae Liturgiae Gallicanae), on chante l’Agios, en grec et en latin, après le Praelegendum (Introït) et la Bénédiction. Les restaurateurs ont alors introduit l’Agios dans leur œuvre par esprit de communion orthodoxe universelle et en respect des Lettres de saint Germain : cet Agios est chanté en latin mais, par souci de l’esprit orthodoxe, un troisième Trisagion est ajouté dans la langue du pays. L’indication de saint Germain est confirmée par des témoignages tels que le «Post-Agios» du Missel de Bobbio (P.L. t. LXXII) ; celui de saint Géry, évêque de Cambrai au 7ème siècle (Ann. boll. VII, p. 393) ; celui de saint Avit, évêque de Vienne, condamnant l’ajout monophysite au Trisagion : «crucifié pour nous, dans sa lettre au roi de Bourgogne, Gondebaud ; et enfin, le témoignage du Troisième Concile de Vaison (529) qui ordonne de toujours chanter le Trisagion.
2) A ce travail de documentation et au discernement dans les documents s’ajoutent la création d’un français liturgique, à partir de la traduction des textes grecs et latins, et la création d’un chant, ressuscité des huit tons grégoriens, pour épouser le verbe français.
3) Et tout le caractère scolaire, archéologique, de ces œuvres, a été vivifié et dépassé grâce à la référence constante à la tradition ininterrompue du rite oriental et du rite occidental, alliée à la prière et à la célébration quotidiennes.
Il en fut appelé à des spécialistes tels que Dom Lambert Bauduin, «patriarche» du renouveau liturgique en Occident[134] (selon l’expression de Monseigneur Jean de Saint-Denis) et l’Archimandrite, actuellement évêque, Alexis Van den Mensbrugghe[135].
Cette somme énorme de travaux et d’efforts aboutit, en 1944, à la célébration initiale puis régulière dans l’Église Orthodoxe de France de la « Liturgie de l’Ancien rite des Gaules, selon saint Germain de Paris».
En 1956 paraît l’édition de la «Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules». Dans son introduction[136] l’Archiprêtre E. Kovalevsky répond aux questions suivantes :
1. SAINT GERMAIN, PATRON DE NOTRE LITURGIE
Les Lettres de Saint Germain
De l’authenticité de ces lettres
Du patronage des Saints
Du patronage de noire liturgie par saint Germain de Paris
Conclusion
II. LA SAINTE MESSE SELON L’ANCIEN RITE DES GAULES
De l’unité universelle de la Liturgie
De la multitude des rites dans l’unité
Du principe formel ou structural
Critère de l’unité spirituelle
Remarque sur l’hymne de l’offertoire
III. COMPÉNÉTRATION DES DIVERS RITES
Du même auteur paraît, en 1957, «Le Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules», œuvre issue de trente-cinq années de travaux – longue période pour un liturge et liturgiste, aussi éminent que Monseigneur Jean de Saint-Denis. Cette étude sert de référence scientifique et d’instrument vivifiant pour les célébrants actuels de la liturgie selon saint Germain de Pais. Les matières suivantes y sont examinées :
1) Du terme Canon Eucharistique
2) De l’abondance de la matière pour la restauration du Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules.
3) Du discernement dans le choix des textes du Rite des Gaules
4) De la structure du Canon universel et de la structure de l’Ancien rite des Gaules.
et enfin l’essentiel de l’ouvrage produit une analyse dogmatique, historique et liturgique de chaque mot du Canon Eucharistique.
Ces deux dernières études de Monseigneur Jean (l’Archiprêtre E. Kovalevsky) furent écrites à la demande du clergé et des fidèles de l’Église «Catholique Orthodoxe» de France qui souhaitaient posséder une explication historique, pastorale et dogmatique de leur rite. Cette analyse commente ainsi une liturgie vécue, vivante, célébrée et non un texte archaïque. Et telle est sa valeur unique et originale : derrière un labeur personnel exceptionnel, qui allie aux connaissances liturgiques, théologiques, spirituelles et canoniques, comme au discernement des esprits et des source, la capacité rare de passer de l’étude à la réalisation, en faisant abnégation des thèses individualistes, derrière tout cela l’on trouve ici «le porte-parole de la tradition vivante de notre pays».
2. Conclusions de la Commission Liturgique de 1961
Deux ans après la publication du «Canon Eucharistique» par l’Archiprêtre Kovalevsky, l’Archimandrite Alexis Van den Mensbrugghe défend l’authenticité des «Lettres de Saint Germains[137] et propose plusieurs variantes de la Liturgie occidentale, la dernière étant le «Missel Orthodoxe gallican et italique». La Commission Liturgique de 1961, sous la direction de l’Archevêque Jean de San Francisco, examine ces travaux et donne cette appréciation :
«La Commission salue l’apparition de l’œuvre de Monseigneur Alexis Van den Mensbrugghe comme un témoignage affirmant que la restauration de l’Ancien rite des Gaules est possible, désirable et approuvée par la hiérarchie. Il paraît à l’examen de cette œuvre identique dans sa structure et ses principaux éléments à la Liturgie célébrée dans l’Église Catholique Orthodoxe de France, des déficiences… elle est nettement inférieure à celle que célèbre l’Église Catholique Orthodoxe de France ; en outre elle est écrite en une langue difficile à chanter et inadaptée au langage français».
Après la bénédiction du Rite des Gaules par le Patriarcat de Moscou, à travers les œuvres successives des Pères W. Guettée, E. Kovalevsky et A. Van den Mensbrugghe et dans des conditions canoniques dépassant le cadre de cette étude, le Concile de l’Église Russe Hors Frontières le reconnaît aussi, le 11 Novembre 1959, fête de saint Martin qui préside invisiblement à toutes les dates importantes de l’histoire de l’Église de France.
Malgré ces deux «sceaux» hiérarchiques sur l’Ancien rite des Gaules, des rumeurs malveillantes circulent dans les milieux orthodoxes, russes principalement, suggérant que cette liturgie serait «l’œuvre personnelle et fantaisiste» de l’Archiprêtre E. Kovalevsky. Devant cette allégation l’Archevêque Jean Maximovitch forma la Commission Liturgique spéciale qui, en 1961, étudia le texte mot à mot pour son propre compte et en l’absence de l’Archiprêtre E. Kovalevsky, afin de n’être pas accusé d’influencer cette commission.
La Commission vérifia d’abord les sources et conclut :
«La vérification du texte de la Divine Liturgie célébrée actuellement permet de constater que les sources (susdites) ont été exploitées avec grande fidélité, tant dans les prières que dans les moindres détails. Notre comparaison de la Divine Liturgie avec «Les Lettres de Saint Germain» et l’analyse que nous avons faite du «Canon Eucharistique» fournissent les références essentielles».
Après la vérification des sources, la Commission examina les travaux des quatre restaurateurs précédents : Lebrun, Guettée, Duchesne, Leclercq, et elle concluait :
«La comparaison de la Liturgie célébrée actuellement avec les textes des quatre restaurations fait apparaître la similitude de la construction chez les cinq auteurs (quatre, plus l’Archiprêtre E. Kovalevsky) dont les versions ne diffèrent que dans les détails et mettent en évidence que le texte étudié ici a mis en œuvre plus de matériaux que ne l’ont fait les quatre autres auteurs».
Puis, ayant constaté les emprunts orientaux[138], la Commission termine son étude par la conclusion :
«De tout ce qui précède, des études et des comparaisons auxquelles il a été procédé, il appert avec évidence que la Divine Liturgie, telle qu’elle est célébrée actuellement dans l’Église Orthodoxe de France, est entièrement basée sur les sources antiques. Les restaurateurs ont fait preuve non seulement d’une vaste érudition historique et liturgique, mais aussi de fidélité à la tradition, évitant scrupuleusement tout élément d’improvisation personnelle et s’effaçant humblement devant l’héritage des Pères».
Nous ajoutons à cette conclusion la «Décision» de la même Commission afin de souligner, avec toute l’honnêteté possible, la qualité de son investigation.
DÉCISION DE LA COMMISSION LITURGIQUE DE 1961
«La Commission, réunie sous la présidence de l’Archevêque Jean, décide d’apporter au Canon Eucharistique les quatre rectifications suivantes :
1) Malgré la légitimité théologique des mots «dans l’Esprit Saint» et «En Lui», introduites dans la Préface pour souligner le dogme Trinitaire, la Commission les omet car ils ne figurent dans aucun manuscrit.
2) Elle conserve dans l’institution l’épithète «vénérable» qui ne figure pas dans le texte ambrosien mais dans les Liturgies romaine et arménienne. Elle diffère sa décision sur la troisième épithète «Magnanime».
3) Elle retient, dans le Mémorial, les mots «avec gloire», appliqués au retour du Christ, bien qu’ils ne se trouvent pas dans la totalité des textes.
4) Dans l’Offrande, la Commission décide de supprimer les termes «Pain de Vie et Calice du Salut», bien qu’ils soient présents dans le texte ambrosien ; cette suppression a pour but d’éviter toute équivoque sur le rôle de l’Épiclèse dans la consécration des Dons.
La Commission confirme que le texte de la liturgie célébrée actuellement dans l’Église Orthodoxe de France est fidèle aux sources antiques conservées jusqu’à nos jours. La restauration est guidée par les travaux des autres liturges et répond aux critères de Tradition et d’Orthodoxie.
Célébrée régulièrement dans toutes les paroisses de l’Église Orthodoxe de France, la Liturgie selon l’Ancien rite des Gaules suscite chez les fidèles une participation profonde correspondant à leur désir de prier selon la tradition de leurs Pères».
Tout ce qui précède a trait au Commun (parties fixes) de la Liturgie. Il ne faut pas ignorer, pourtant, le Propre, les très nombreux textes adaptés aux vingt-huit parties variables dans la Divine Liturgie. Aucune messe occidentale ne peut être célébrée sans référence à cette variabilité des prières selon les Temps et les Fêtes. Les Missels et les Sacramentaires contiennent ces prières et il a fallu les étudier, dans les sources et documents, avec autant de précision que le Commun de la messe. Ces travaux indispensables, sans lesquels la liturgie demeurerait un squelette inanimé, ne seront jamais terminés car le génie liturgique de l’Occident s’exprime et crée perpétuellement dans ces prières variables ; cependant la publication du texte du Propre, commencée dès 1944 avec la célébration de la première liturgie entièrement restaurée, se poursuit inlassablement et couvre actuellement l’essentiel des cycles de l’Avent et de Pâques et du cycle des fêtes fixes, moins riche dans le Sanctoral. La Commission liturgique permanente élabore ou contrôle les travaux des restaurateurs et des créateurs dans ce domaine où se donne cours le goût liturgique et théologique de tout un peuple et où l’on risque à chaque instant de trouver, malgré la richesse, le style que certains auteurs légitimement épris de Liturgie romaine (Dom R. H. Connolly et Dom Wilmart, par exemple) ont taxé «d’ampoulé, précieux, prolixe, compliqué, trop sensible, extérieur, dramatique, symbolique, loin de la sobriété, austérité, simplicité des formules romaines !»
Ce rapide survol de l’historique de la restauration de la Liturgie selon Saint Germain de Paris serait incomplet si l’on omettait de signaler le regard et la sanction récente apportée sur cette œuvre par l’Église Orthodoxe de Roumanie. Dès 1967 les documents fournis au Patriarcat roumain furent l’objet d’études critiques par les professeurs compétents de l’Académie de Théologie de Bucarest ; parmi eux, le Père E. Braniste fut le bienveillant et principal censeur. Lorsqu’au mois de Juin 1972 le Patriarche Justinien[139] et le Saint Synode de l’Église Roumaine accordèrent la bénédiction canonique et le sacre épiscopal à l’Église Orthodoxe de France, la Liturgie – cœur éternel de l’Église Orthodoxe universelle – avait reçu l’agrément de l’aréopage universitaire et celui du Concile des évêques ratifiant ainsi l’œuvre liturgique dans les statuts canoniques accordés (Article 4.)
«L’Église Catholique Orthodoxe de France célèbre l’Ancien Rite des Gaules et le Rite byzantin, contribuant par cela même à l’unité et à l’amour fraternel avec l’Église Orthodoxe Universelle».
4ème partie : LES SOURCES DE LA LITURGIE
SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
1. Des sources en général.
Nous abordons cette quatrième partie de notre démonstration sans oublier les multiples significations du mot «source».
La première distinction à apporter dans la compréhension de ce terme, comme l’enseignait sans se lasser Monseigneur Jean de Saint-Denis, réside en ce que la Source primordiale de tous les rites, en particulier de notre Liturgie, est la même que celle de l’Écriture Sainte. Cette source est «l’Esprit Saint et la Tradition vivante de l’Église».
Après «Lui» et après «Elle» viennent les «documents-sources» auxquels nous allons nous attacher maintenant, en donnant un certain aperçu de ceux qui ont servi à la restauration du Rite des Gaules.
Il existe une équivoque dans les documents. Nous pouvons disposer, en effet, d’une grande abondance de ces sources pour étudier une époque, présenter une cause ou découvrir un homme. Mais cette abondance n’offrira pas de garantie de pénétrer le cœur de la dite époque, de comprendre la cause ou de communier à la vie de cet homme. L’on peut ainsi, faute d’inspiration ou d’intuition ou, encore, de sollicitude, – sans même parler d’amour – demeurer totalement étranger, éloigné de la Source vivifiante : seule capable, à travers les documents, de greffer loyalement à une époque, à une cause, à un personnage historique.
Il ne suffit pas non plus de rassembler les documents mais il incombe de les situer, de les analyser dans leur contexte historique. Les manuscrits, par exemple, sont des êtres vivants avec lesquels l’historien doit entrer en relation, autant que possible, sans s’en tenir exclusivement aux éditions et présentations postérieures.
Quoi qu’il en soit il convient de savoir aussi la valeur de l’apport des documents, sans les obscurcir par l’intuition démesurée et l’inspiration, et d’admirer et de connaître la science et le travail des auteurs anciens et modernes.
Les paroles de l’Apôtre Paul s’appliquent parfaitement à l’art et à la science des sources (1 Thes 5, 19-20) : «N’éteignez pas l’Esprit, mais examinez toutes choses, retenez ce qui est bon».
2. Les documents[140]
Comme nous avons déjà présenté l’historique de l’étude du rite et l’historique de la restauration, nous ne reviendrons pas sur le témoignage des auteurs qui ont recopié les documents ni sur celui des personnes qui ont travaillé les sources.
Les sources primitives sont sous-jacentes, connues de tous ceux qui ont étudié les documents de la Liturgie des Gaules. Nous entendons par sources primitives : la Didachè, la Tradition Apostolique (saint Hippolyte), les Constitutions Apostoliques, la Didascalie, etc. tout comme les œuvres patristiques de saint Ignace d’Antioche, de saint Irénée, de saint Cyprien de Carthage…, et la familiarité des rites antiques d’Orient aussi bien que d’Occident. La connaissance de ces trois types de sources primitives est indispensable à la restauration d’une liturgie.
Les «sources mêmes» du Rite des Gaules sont nombreuses, plus riches qu’on ne le pense généralement. Cet ensemble de manuscrits, de textes, d’auteurs, privilégie ce rite et permet de le ressusciter concrètement. Voici les documents :
a) LES LETTRES DE SAINT GERMAIN : elles furent découvertes en 1709 dans le Monastère d’Autun par Dom Martène et Dom Durand. Dom Martène, moine bénédictin, était établi à Saint Germain des Prés au commencement du 18ème siècle. Les deux lettres furent publiées par les deux moines, en 1717, dans leur «Thesaurus novus anecdotorum», et reproduites dans Migne, P.L.t. LXXII Col 89-98. Il est inscrit en tête des lettres : «Germanus episcopus Parisius scripsit de missa». Monseigneur Duchesne qualifie ce manuscrit : «le plus précieux document pour le Rite des Gaules». Comme nous l’indiquons précédemment, le Père Pierre Lebrun, contemporain de Dom Martène et de Dom Durand, restaura la Liturgie des Gaules sur la base de ces lettres.
Les «Lettres de Saint Germain» contiennent une explication symbolique – à la manière de Nicolas Cabasilas – du déroulement de la Liturgie. Sans former l’Ordo, au sens strict de ce mot, elles nous fournissent pourtant des fondements solides.
Nos liturgistes ont vu et compulsé sur place, dans la Bibliothèque Municipale d’Autun où elles sont conservées, le manuscrit de ces deux lettres. Cette étude leur a permis de discerner quelques détails inconnus des autres spécialistes dépourvus des mêmes préoccupations qu’eux. Ils ont remarqué, par exemple, le soin pris par le copiste pour dessiner la majuscule S du «Sonus», indiquant ainsi la valeur de la Grande Entrée àune époque ou le Rite romain commençait déjà à s’imposer.
b) LES PÈRES DES GAULES
Le témoignage précieux de saint Germain doit être complété par ceux des Pères des Gaules de la même époque. Leurs écrits, en effet, traitent fréquemment de questions liturgiques.
Saint Sulpice Sévère (5ème siècle) : «Vie de Saint Martin».
Saint Jean Cassien de Marseille (5ème siècle) : «Conférences», «institutions cénobitiques».
Saint Gennade de Marseille (5ème siècle) : «Les dogmes ecclésiastiques».
Saint Faust de Riez (5ème siècle) : lettres et homélies, écrites sous le pseudonyme d’«Eusebius gallicanus».
Saint Grégoire de Tours (6ème siècle) dont les ouvrages historiques et hagiographiques content les cérémonies : «Vie des Pères», «Histoire des Francs» et son «Cursus ecclésiastique» qui témoigne d’un grand intérêt pour la liturgie.
Saint Venance Fortunat de Poitiers (6ème siècle), ami de saint Germain. Son éloge de ce dernier et ses autres ouvrages fournissent d’intéressants éléments de la vie de son temps.
Saint Avit de Vienne (6ème siècle) : lettres et homélies.
Saint Sidoine Apollinaire de Clermont (6ème siècle) : lettres.
Saint Césaire d’Arles (6ème siècle) et son successeur, saint Aurélien, dont les œuvres amplifient la connaissance liturgique de cette période (Homélies ; règles pour les moines et les vierges).
Saint Géry de Cambrai (7ème siècle) : Vie.
Saint Isidore de Séville (7ème siècle) : «Les offices ecclésiastiques». La liturgie d’Espagne est si proche de celle des Gaules que les liturgistes, du 18ème siècle jusqu’à nos jours, considèrent qu’ils peuvent s’en servir pour combler ce qui manque dans les manuscrits mérovingiens.
c) LES CONCILES DES GAULES
Les Conciles des Gaules des 6ème et 7ème siècles nous offrent d’autres témoignages. Nommons-les :
Les Conciles : d’Agde (509), de Lyon (517), de Vaison (529) – ce dernier impose, par exemple, le «Trisagion» indiqué par les Lettres de saint Germain -, de Mâcon (585), de Rouen (650), de Nantes (658), etc. (sur ces Conciles voir Hefele et Leclercq, Histoire des Conciles, t. II2 et iii1).
d) LES MISSELS SACRAMENTAIRES
Nous avons signalé, à travers le «Propre», la variabilité des prières durant la Messe. Aucune Messe occidentale ne peut être célébrée sans recourir au Missel. Les missels ou sacramentaires, contiennent les prières selon les temps, les fêtes, et indiquent aussi, indirectement, le Commun de la Messe. Citons en exemple :
Les missels gallo-mozarabes donnent :
a) des «Collectes post nomina» et des «Collectes du baiser de paix» entre le Sonus» (Grande Entrée) et le «Canon Eucharistique. Ceci prouve que les diptyques, dans ce rite, étaient placés en cet endroit et suivis du «Baiser de paix».
b) des «Prières post-pridie» (prières«après la veille»), qui nous montrent que les paroles de l’Institution commencent par : «Qui, la veille de Sa Passion», et non «la nuit où Il fut livré» comme dans la Liturgie orientale.
Les missels sacramentaires gallicans
Voici une liste des principaux missels parvenus jusqu’à nous :
– Parmi les missels typiquement gallicans nous avons, tout d’abord, les «Missale gothicum gallicanum» (nommé par certains «Missel d’Autun») et «Missale Gallicanum vetus». Ces manuscrits du 7ème siècle renferment aussi des textes du 4ème siècle, dont le célèbre Exultet. Ilsfurent édités pour la première fois par Thomasi et repris par Migne (P.L.t. LXXII).
– En 1850, Mone découvre et publie un Missel gallican de la fin du 5ème siècle. Ce Missel est probablement d’origine auxerroise et il s’achève par la Messe de Saint Germain d’Auxerre ( P. L. t. CXXX VIII).
– Le Missel de Stowe, découvert en Allemagne au 18ème siècle, fut publié par Warren en 1881. Tout en contenant des particularités celtes et en mélangeant le Canon romain et le Canon gallican, il nous fournit, entre autres, des Litanies (Ecténies) dites de saint Martin («Supplicatio S. Martini») auxquelles les «Lettres de Saint Germain» font allusion sans en donner toutefois le contenu. Ce Missel, cependant, n’est pas le seul à nous les transmettre. Nous les lisons aussi dans le Missel de Fulda, aujourd’hui perdu, mais transcrit en partie par Georges Witzel en 1555 et publié par Thomasi dans le Sacramentaire de Bergame (10ème siècle), et dans le Sacramentaire de Biasca (10ème siècle). Cette série de documents appuie les litanies de la Messe selon saint Germain de Paris.
– Le Missale Francorum, œuvre provenant probablement de Poitiers ou de ses environs, contient des éléments gallicans. Monseigneur Duchesne le classe parmi les sources de la Liturgie romaine et il a raison en ce qui concerne le Canon Eucharistique.
– Le Sacramentaire de Bobbio (11ème siècle), découvert à Bobbio et publié par l’infatigable Mabillon, est un document utile possédant des prières antiques.
– Le Missale mixtum (P.L.t. LXXXV). Sa nomination vient de ce qu’il est un mélange de l’ancien Rite de Tolède avec celui de Rome. Il fut publié en 1500 par le Cardinal Xiemenes de Cisneros.
– La grande reconnaissance des liturgistes va vers Marius Férotin qui publia en 1904 le «Liber ordinum» et, en 1912, le «Liber mozarabicus sacramentorum». Cette publication, ainsi que celle de Bianchini (1746) sur la liturgie espagnole, amplifie largement notre connaissance du Rite gallican, agrandit le champ des recherches. Soulignons, encore, que les rites gallican, mozarabe et celte, malgré quelques variantes, forment un même rite. La concordance de leurs témoignages nous permet de revivre la Liturgie des 6ème et 7ème siècles de la France et de l’Occident.
– Les Sacramentaires romains : les Gélasiens (l’un d’eux est classé par plusieurs liturgistes parmi les manuscrits gallicans) le Léonien, le Grégorien, ne sont pas à négliger ; il existe (cf. Ap. E. Kovalevsky) des exemples de pénétration des Sacramentaires romains dans le Missale Gothicum gallicanum.
– Les Missels-sacramentaires qui nous sont parvenus en grand nombre, s’échelonnent du 10ème siècle au 12ème siècle. Ils procurent des éléments intéressants.
e) LES LECTIONNAIRES
Le précieux manuscrit du 6ème siècle, spécifiquement gallican, est le «Lectionnaire de Luxeuil» (ou Luxeu), découvert par Mabillon en 1683. Remarquons en passant qu’il fortifie le témoignage de saint Germain sur le chant, dans la Liturgie de «Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos Pères».
Semblable à lui est le «Lectionnaire d’Autun» ou de «Würzburg», découvert par l’infatigable ouvrier liturgiste : Dom Morin (20ème siècle). Consulter les articles de ce dernier dans la «Revue bénédictine» de1911.
f) LES ANTIPHONAIRES
Les antiphonaires, les séquentiaires, les tropaires, les prosaires se multiplient à partir du 9ème jusqu’au 13ème siècles. Le cadeau en est précieux pour celui qui regarde le Rite des Gaules comme un courant vivant de la prière liturgique et non comme une noble antiquité de musée[141].
g) LE RITE AMBROSIEN
Monseigneur Duchesne a vu juste, lorsqu’il écrivait que le Rite ambrosien, bien que se distinguant du Rite des Gaules, fait partie de son étude. Voici les principaux manuscrits :
Les Sacramentaires de Bergame et de Biasca (déjà cités au sujet des litanies dites de Saint Martin), l’Ordo de Berold, le Missel ambrosien édité par Ratti et Magistretti, de même que les œuvres de saint Ambroise, principalement le «De Sacramentis[142]».
L’on a retrouvé dernièrement des fragments d’anciens livres gallicans : lectionnaires, antipho-naires, sacramentaires ; la bibliographie la plus complète en est donnée par Dom Leclercq dans le D.A.C.L. sous le nom de «Gallicane (Liturgie)[143]».
3. Trois ouvriers liturgistes et les documents
Notons pour terminer que les trois principaux restaurateurs de la Liturgie gallicane, avant Monseigneur Jean de Saint-Denis, se basèrent sur les documents suivants :
1) Le Père Lebrun : sur six documents ; soit quatre Missels (Missale Gothicum Gallicanum, Missale Gallicanum-vetus, Missale Francorum, Missel de Bobbio appelé par lui : liber Sacramentarium gallicanum), un Lectionnaire (celui de Luxeuil) et l’Exposé de Saint Germain de Paris.
2) Le Père W. Guettée : sur trois documents : le Missale gothicum-gallicanum, la liturgie mozarabique, et le «Vieux Missel» gallican (gallicanum-vetus).
3) Monseigneur Duchesne : surneuf documents : le Missale Gothicum Gallicanum, le Missale Gallicanum-vetus, le Missel de Mone (inconnu du Père Pierre Lebrun), le Lectionnaire de Luxeuil, les lettres de Saint Germain, les livres bretons et irlandais (surtout le Missel de Stowe), le Missel de Bobbio, les livres ambrosiens et les livres mozarabes.
4. Conclusions
«Il est intéressant de noter que le Père Lebrun se contente des sources gallicanes, que le Père Guettée ajoute les sources mozarabes et que Monseigneur Duchesne exploite les traditions jumelles de Gaule, d’Espagne et de Bretagne, introduit en plus les documents ambrosiens comme faisant partie du patrimoine commun[144]».
Il reste à citer une source non manuscrite, inattendue peut-être, mais spirituelle et assurance d’authenticité pour «l’Ancien rite des Gaules» restauré. Il s’agit du témoignage de plusieurs évêques orthodoxes de différentes Églises russe, grecque et roumaine qui présidèrent la Liturgie dans notre Cathédrale, tels l’Archevêque Jean de San Francisco. Mais tout particulièrement l’ancien Primat de l’Église Russe Hors-Frontières le Métropolite Anastase : assistant à la Liturgie avec dix-huit autres évêques, il s’écria : «Elle est, en vérité, orthodoxe !»
L’utilisation actuelle de la Liturgie du Rite des Gaules, nécessité vitale pour une Église attachée à son sol, est posée sur un plan universel, non seulement à cause des racines apostoliques et antiques du Christianisme en France, mais à cause de l’universalité de la Foi orthodoxe qui doit être exprimée en toutes langues par tous les peuples, «Ce problème est posé aussi pour les autres rites occidentaux : romain, celte, mozarabe, etc. Et le temps actuel ne serait-il point favorable à ce que le Pape d’Alexandrie, par exemple, ce Patriarche de toute l’Afrique, restaurât les vénérables rites d’Alexandrie, d’Éthiopie, montrant ainsi qu’il est le père des divers peuples d’Afrique et leur racine apostolique. Nous aimerions tenir le même langage au Patriarche d’Antioche, Patriarche de tout l’Orient, depuis l’Asie Mineure jusqu’aux Indes. L’unité du rite est accidentelle dans l’Orthodoxie et non l’expression de son génie universel. Le Rite byzantin est l’incomparable chef d’œuvre de la deuxième Rome et de l’Hellade ; il est normal qu’il soit employé par la Russie, la Roumanie, issues de Constantinople, mais il ne peut devenir l’expression de tous les peuples[145]».
Bénissons la Divine Providence qui amena jusqu’à ce temps les matériaux intacts et riches de la Tradition des Anciennes Gaules, qui suscita les ouvriers liturgistes pour les rassembler à nouveau et qui passa l’anneau d’or au doigt du Fils prodigue la Liturgie antique aux Français – avant de le remettre à sa Mère l’Église.
5ème partie : CONCLUSIONS
Après avoir dégagé, croyons-nous, à la mesure de ce seul et bref article, les principes, la ligne historique et les documents suivis et utilisés par les restaurateurs de La Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules, nous osons ajouter trois courts chapitres tout en renvoyant le lecteur aux très remarquables travaux de Monseigneur Jean de Saint-Denis[146] pour l’exposé définitif, liturgique et scientifique de ces chapitres. Une très courte réponse aux six questions critiques indiquées en tête de notre étude formera le 1er chapitre. Nous pensons pouvoir faire comprendre au lecteur la valeur de cette réponse après connaissance des textes précédemment présentés et nous estimons utile pour beaucoup, et honnête pour nous-mêmes, de savoir répondre à ces questions.
1. Réponse à six questions[147]
Première question :
«Pourquoi, objecte-t-on, voulez-vous avoir un rite autre que celui de Saint Jean Chrysostome au sein de votre effort pour ressusciter l’Église orthodoxe occidentale ? Si vous célébriez la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, vous allieriez à la simplicité d’un rite célébré sans interruption et utilisé par la très grande majorité des Églises orthodoxes la garantie de l’unité avec celles-ci ?»
Sans reprendre les principes énoncés au commencement de notre étude où il apparaît que l’unité, en ce domaine, s’appuie sur la multiplicité des expressions et des génies locaux, nous répéterons sans nous lasser quelques évidences oubliées non par les spécialistes mais par les juges hâtifs et les enquêteurs lointains.
Aucun rite, maître de son génie, de son style et de son esprit, animateur de ses formes, ne brise l’unité universelle liturgique. Il l’enrichit au contraire d’une ou plusieurs formes uniques, évitant à l’Église de tomber dans le piège de l’unification. « Les différences de structure et de forme dans les rites ne sont nullement le fruit du hasard mais elles procèdent d’une nécessité organique : elles manifestent l’esprit intérieur propre à chacun[148]»
La Tradition liturgique ne s’interrompt jamais ; elle ne meurt pas ; même si elle disparaît parfois durant des siècles, elle est porteuse de germes de la Résurrection. Comme aussi l’Esprit Saint travaille sans S’essouffler, où Il veut, coopérant et avec l’Église et avec le monde, sans exclusion. Il a porté jusqu’à nous, à travers les auteurs et les événements indiqués plus haut, la personnalité unique de cet Ancien rite des Gaules. Ce faisceau d’arguments : le souffle de l’Esprit de Dieu, l’unité liturgique universelle dans la richesse des rites, les nécessités organiques du rite en un lieu, les événements culturels et politiques alliés aux vicissitudes de l’Église de ce même lieu, tout ceci autorisa et même obligea à franchir le pas entre la discussion théorique sur la question posée et la réalisation concrète. L’Ancien rite des Gaules, malgré mille années de suspension, fut célébré à nouveau afin de vivifier et l’unité liturgique universelle de l’Église orthodoxe et l’Église orthodoxe occidentale, en France même, par son esprit propre incarné dans son sol spirituel et matériel.
La simplicité apparente qui eut consisté à recevoir en bloc l’héritage liturgique de Byzance aurait comporté et manifesté plusieurs erreurs : craindre ou ignorer l’efficacité du dogme de la mort et de la Résurrection ; priver l’Église universelle d’un rite traditionnel, orthodoxe et de racines apostoliques et patristiques ; ignorer le lieu où l’on prêche l’Évangile et dévier l’Église orthodoxe de France vers l’unification, vers une forme d’uniatisme. L’unité vraie, non seulement ne craint pas, outre l’inspiration, la variété des formes et des structures liturgiques, mais elle les recherche et s’en nourrit.
Deuxième question
«Pourquoi, si vous souhaitez un rite d’Occident, ne prendriez-vous pas le rite romain dont la vie malgré ses nombreuses et nécessaires réformes, n’a pas présenté d’interruption ? Et vous y ajouteriez, certes, les indispensables retouches orthodoxes ?»
L’Esprit de l’Église, comme l’esprit des liturges et des liturgistes, aime le passé dans le but de procéder vers l’avenir. Cette attitude est conforme à la phrase de l’Évangile où le Christ dit (Mat. 13, 52) : «Tout scribe instruit de ce qui regarde le Royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes». Or le passé de la France, enraciné dans la Tradition de l’Église indivise, a produit le Rite gallican dont vécurent les Chrétiens de ce sol jusqu’à la réforme carolingienne du 8ème siècle (Concile de Francfort en 794).
Conscients, vis à vis de ce passé, de l’attitude traditionnelle de l’Église orthodoxe, à savoir qu’un même Esprit anime les temps apostoliques et les temps d’aujourd’hui, nos fondateurs, les restaurateurs du Rite des Gaules n’eurent pas le choix. Ils durent accepter la primauté de la Tradition, entrer en elle sans fausse mesure, sans faux-fuyant, sans céder aux puissants liturgiques de ce temps et ils durent s’attacher à la rude tâche de scruter la Tradition organique locale. Celle-ci leur révéla, à travers les documents et le cheminement de l’histoire que nous avons décrit précédemment, l’existence du travail liturgique séculaire des anciennes Gaules et de leur génie, à côté et indépendamment de celui de la Rome ancienne. Persuadés alors, avec la valeur et la richesse latente des sources et des œuvres gallicanes insérées jusque dans les liturgies romaines et byzantines actuelles, de parvenir à un plus grand avenir s’ils plongeaient de profondes racines dans le passé, nos liturgistes contemporains n’hésitèrent plus. Sans aucunement entrer dans l’isolement sectaire du refus de la Liturgie romaine puisqu’ils la célébrèrent afin d’en mesurer l’apport intérieur éventuel, ces courageux investigateurs ressuscitèrent la Liturgie selon l’Ancien rite des Gaules[149]. Ceci promet une très grande vigueur à l’arbre liturgique de notre Église.
Troisième question
«Puisque vous avez décidé de cette résurrection, pensez-vous qu’il soit possible de restaurer un rite dont la célébration est interrompue depuis plus de mille ans ? Ne vous exposez-vous pas à la fantaisie et au risque de faire de l’archéologie ?»
L’on ne peut aucunement nier le danger, très réel en revenant vers le passé, de franchir arbitrairement la limite du possible et de tomber dans la fantaisie et le décor archéologique.
Certes, nous invitons les critiques à venir expérimenter le résultat de la restauration, mais surtout nous rappellerons que celle-ci présente les mêmes réalités, les mêmes avantages et difficultés, que le retour aux sources de la patristique ou de l’art sacré, effectué dans d’autres Églises et milieux que le nôtre. Cet effort est aussi légitime, dans son domaine limité, que celui du retour aux sources de l’ecclésiologie que le Patriarche Serge de Moscou a fait au début de ce siècle, par exemple.
En plus de la confiance absolue dans la puissance du dogme de la Mort et de la Résurrection, il convient de bien poser que ce n’est pas parce qu’il y a danger de réaliser faussement que l’on ne doit pas se mettre en route.
Nous soulignons, à cet égard, une réponse à la même question donnée par l’expérience orthodoxe, en particulier russe, au début du 20ème siècle dans un autre domaine. Au 19èmesiècle les écoles de théologie orthodoxe enseignaient une théologie d’influence scolastique et, qui plus est, de la mauvaise école issue des 17ème et 18ème siècles. L’on ignorait tout, par exemple, de saint Grégoire Palamas, de sa doctrine salutaire des Énergies incréées et de son anthropologie en défense des hésychastes ! Des hommes courageux, tels le Métropolite Antoine de Kiev en Russie, puis l’Archiprêtre Eugraph Kovalevsky et Vladimir Lossky en France, se sont tournés vers le passé et ont ressuscité la patristique, tandis que d’autres personnalités arrachaient le voile d’imagerie populaire qui couvrait l’iconographie traditionnelle et que d’autres encore retournaient vers le passé biblique à travers la philologie, la valeur des mots, la science des symboles etc. Tous ces mouvements portant en eux-mêmes la possibilité et la force purificatrice d’un retour aux sources ont projeté la théologie patristique, l’iconographie, l’exégèse biblique, l’ascèse… dans un dynamisme vers l’avenir dont l’Église orthodoxe vit actuellement. Comme dans la nature, avec les saisons, en tous les domaines il existe la réalité, la nécessité impérieuse de la renaissance, du renouveau. Et la Tradition liturgique, qui ne meurt pas, produit aussi de ces purifications et retours des choses – renaissances – momentanément estompées, disparues.
L’on peut connaître et scruter avec exactitude ce qui fut vécu autrefois, en un lieu, grâce à la continuité latente de la Tradition enfouie, certes, mais aussi désireuse de ressusciter et de renaître que les pousses d’un arbre au printemps après l’extinction hivernale. Les travailleurs liturges des siècles passés, depuis Alcuin jusqu’au père Wladimir Guettée, avaient tous la possibilité de retrouver, de connaître, de transmettre la structure et les formes de l’Ancien rite des Gaules. Ils le firent, et nous avons certainement, par eux, le droit strict et le devoir non seulement de produire une étude scientifique du rite mais de passer de la théorie à la pratique.
Demeurer dans la discussion théorique et l’étude, face aux nécessités de la vie de l’Église, eut justement correspondu à une installation dans un décor archéologique et à une sorte de mono-physitisme psychologique disant : l’on s’accorde sur la théorie mais la réalisation n’aura pas lieu.
Passer à la pratique sans l’étude humble, précise, des témoins et des sources, eut été faire œuvre individuelle et fantaisiste, mais non traditionnelle. Il semble que les restaurateurs aient au contraire, compte tenu de leur enracinement dans la Tradition liturgique universelle, examiné chaque principe, structure, forme, esprit… dans le respect intime de cette sève montante des amants historiques du rite qui plonge ses racines dans le sol apostolique – patristique.
Le passage du possible au réel a été qualifié d’orthodoxe par les témoins autorisés c’est-à-dire par les spécialistes de la Tradition ecclésiastique qui en ont pris connaissance. Quant aux fidèles – ne sont-ils pas les premiers concernés ? – ils expérimentèrent et exprimèrent la conformité de la réalisation avec leur propre esprit et leur goût d’Occidentaux. Ce rite recevait ainsi deux qualificatifs : orthodoxe et occidental ! Il demeure à montrer qu’il se nomme légitimement «l’Ancien rite des Gaules[150]», mais tout reproche d’archéologie et de fantaisie se trouvaient écartés.
Quatrième question
«N’est-ce pas une forme ‘d’uniatisme’ que d’adapter un rite occidental de telle sorte qu’il ne contredise pas le dogme de l’Église orthodoxe ? N’y a-t-il pas une intrusion orientale dans le monde occidental »
Non seulement l’Ancien rite des Gaules ne contredit pas, par volonté canonique, l’essentiel dogmatique de l’Église orthodoxe universelle, mais de par son origine et sa tradition antique il est déjà pur de toute déformation théologique. Il ne peut aucunement être taxé d’adaptation au bénéfice d’une pénétration de type uniate de l’Occident chrétien puisqu’il naquit antérieurement à toutes ces questions dont le fondement est politique, et que son emploi actuel est entièrement dépourvu de ce caractère.
L’uniatisme visait à créer un lien canonique et juridique avec le siège de Rome pour des populations jusqu’alors orthodoxes sans toucher à leurs coutumes et à leur rite. Mais il ne s’agit pas, en restaurant le rite ancien des Gaules, de créer un lien canonique avec un siège oriental pour des populations jusqu’alors catholiques. En fait, à travers ce rite, des Français orthodoxes cherchent à se ré-enraciner dans leurs traditions ancestrales, en particulier liturgiques, compte tenu de toute l’histoire chrétienne comprise entre l’arrêt de cette tradition et les temps actuels. L’Orient orthodoxe n’impose rien et ne s’immisce pas en Occident par cette initiative dont le fondement sûr est le courant du Saint Esprit soucieux de ressusciter le rite local.
Ces travaux eussent pu être d’inspiration uniate si, au lieu de préparer la restauration de la Liturgie selon Saint Germain de Paris, leurs auteurs s’étaient contentés de prendre la Liturgie romaine et d’y introduire quelques retouches orthodoxes, en leur ajoutant même un esprit de sage tolérance.
Il y aurait presque lieu de définir ces études et leur réalisation comme anti-uniates puisqu’ils ressuscitent la Tradition des Gaules, par la forme et par l’esprit, soulignant la personnalité claire d’une Eglise orthodoxe de France. Celle-ci ne cherche ni à s’introduire dans les Églises d’Orient, ni à orientaliser l’Occident mais à communier avec les Anciennes Églises dans la Foi universelle, marque de l’Église indivise du millénaire durant lequel naquit et se forgea l’ancien rite.
L’Église orthodoxe doit éviter le piège d’un uniatisme à rebours, mais elle risque d’y glisser de plusieurs manières. D’abord par une «tolérance» du rite occidental adopté comme pis-aller, en place d’aider les Occidentaux à restaurer dans l’Église orthodoxe la plénitude de leurs rites. Ensuite elle peut – et quelques essais se font jour actuellement paradoxalement jusque dans les milieux de l’Église romaine – introduire l’Orthodoxie française de rite oriental. Au premier regard, cette solution peut sembler opposée à l’uniatisme. Il n’en est rien, car des groupes de Français de rite oriental seront toujours des orthodoxes de «seconde zones, détachés de leurs racines nationales. Et si Rome trahit la catholicité par le latinisme, l’Orthodoxie la trahira, alors, par l’orientalisme.
Cinquième question :
«Sans même poser la question des intercalations éventuelles d’éléments des rites romain, milanais… dans votre rite, ne peut-on pas le considérer comme un mélange de rites d’Orient et d’Occident ?»
Le lecteur a pu se convaincre précédemment de la richesse et de la précision des apports anciens et actuels pour l’étude de ce rite des Gaules, emprunts qui en font un rite véridiquement et solidement ancestral et vivant. Nous donnerons et justifierons les douze emprunts faits aux liturgies orientales (Saint Jean Chrysostome et Saint Basile) dans notre restauration[151]. Mais nous soulignons ce que nous considérons comme une maladie de l’Église : l’absence de compénétration des rites ! L’Église antique ignorait cette maladie tandis que bon nombre de liturgistes contemporains considèrent comme péché le moindre emprunt, surtout lorsqu’il s’agit de résoudre les questions posées par une étude basée sur l’antiquité chrétienne. La présentation, au long de cet article, de nos méthodes et de nos emprunts nous justifient vraisemblablement au regard de la Tradition liturgique au niveau de l’Église mais sûrement pas au regard des censeurs superficiels et surtout de ces «racistes» rituels «transformant le corps universel de l’Église en un composé de monades leibniziennes privées de communications entre elles[152]».
Lorsqu’un rite s’attache historiquement à une confession il aboutit à l’isolement. Heureusement les emprunts ont toujours existé entre rites, historiquement. La fixation des rites, leur cristallisation équivaudrait à la création de schismes par exaltation d’une forme et d’un esprit particulier et rupture de l’esprit de communion.
A l’inverse, d’ailleurs, il convient de veiller à ce qu’il ne s’introduise pas dans l’Église un rite uniforme et unificateur.
Nous confessons un Dieu Trinitaire ; les deux attitudes, l’isolement et l’unification, sont la négation implicite de ce Dieu et la contradiction «de la conciliarité et de la catholicité de l’Orthodoxie[153]».
Les principes de la restauration de l’Ancien rite des Gaules n’ont cédé ni à la tentation de la pureté isolée, ni à la tentation du mélange uniformisateur et confus. Soucieux de ne pas briser sa propre forme et son propre esprit, afin de lui donner et garder sa place légitime dans la symphonie liturgique de l’univers, l’on a veillé sur la nature des emprunts et sur leur valeur, afin de communier sans séparation ni confusion avec les autres rites.
L’exemple le plus sensible d’un apport enrichissant est celui du très célèbre Agios ô Theos (Trisagion). Toutes les Églises d’Orient. et d’Occident (Rome, Espagne, Gaules…) s’empressèrent de l’emprunter à Constantinople où il apparut et de l’insérer dans leur liturgie. Peut-on dire que cet emprunt permit le «mélange», la «fantaisie», «l’imitation», «le nivellement», des rites parmi les Églises, et qu’il détruisit les structures des rites locaux ? Certes non, et chaque Église s’en servit à sa manière spécifique. La Tradition est vivante.
Sixième question :
«En quoi votre liturgie est-elle véridique ? Donnez-nous les sources et la garantie de leur pureté !»
Les documents, leur description, leur classification et leur emploi, décrits plus haut, répondent à cette question mais ils ne doivent jamais faire oublier une distinction : la source de tous les rites est l’Esprit Saint de Dieu. S’il existe des documents-sources, et nous en avons un très grand nombre pour la liturgie ancienne des Gaules, ils doivent, pour devenir utilisables, être sertis par cet orfèvre qu’est l’Esprit sur le joyau du rite.
Nous voulons simplement dire ici qu’en approchant de la Liturgie universelle nous concevons son unité orthodoxe qui la sépare des éléments hétérodoxes. Cette unité de la Liturgie a autant besoin de la plénitude de l’enseignement et de la spiritualité orthodoxe que de sources et de l’authenticité de ces sources. Alors seulement, dans cette unité apparaissent les rites locaux qui se distinguent par leur esprit et leur forme. Le travail des sources a été et est accompli selon cet esprit, piédestal de véracité.
2. Les particularités essentielles, uniques et authentiques de l’Ancien rite des Gaules
Nous ne voulons pas décrire, ici, la structure particulière, la forme individuelle du rite mais éveiller l’intérêt sur le génie, l’esprit qui vivifie cette structure et qui aboutit à les distinguer dans la communion des autres rites.
Quel est donc l’esprit intérieur, le style qui procurent – à travers le temps et l’espace – l’unité à ce rite ? En quoi cette liturgie communique-t-elle avec le sol où elle est née ? Et correspond-elle avec l’âme dont elle doit exprimer la mentalité ?
Monseigneur Jean de Saint-Denis[154] relève, pour répondre à cette question, trois qualités du rite :
La confession de la Victoire du Christ ;
L’influence de la Liturgie céleste décrite par l’Apocalypse ;
La pénétration de l’éternel dans le temporel.
Les expressions telles que : «Le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David est vainqueur, alléluia», ou «Toi qui vis, règnes et triomphe», introduites à l’élévation des Dons et dans les doxologies, révèlent constamment la force de la victoire du Roi des rois dans le rite. Nulle autre liturgie ne proclame avec autant de puissance le Christ Vainqueur.
Cette liturgie extrait aussi de nombreux textes hors du livre de l’Apocalypse, contrairement à la liturgie de Byzance qui ne l’utilisa jamais, et elle se les approprie. Elle accroît et confirme cette détermination en basant nombre d’éléments architecturaux, symboliques, gestuels, iconographiques sur les descriptions de ce même livre ; par exemple en disposant sept chandeliers sur les autels, en donnant sept bénédictions, en admettant au service sept acolytes. Le triple «Saint, Saint, Saint» retentit, inspiré de l’Apocalypse, après la lecture solennelle de l’Évangile, comme dans la Liturgie mozarabe. La prière aime «exalter Jésus-Christ comme le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga[155]».
Le dévoilement de la destinée divine-historique», enfin, constitue un troisième caractère de la liturgie. Le témoin de cette qualité est le monument liturgique de l’Avent ! Œuvre authentique de l’ancienne Église des Gaules accueillie par l’Église de Rome et inconnue de l’Orient. Cette œuvre soude le premier et le deuxième Avènement du Christ ; elle emmène vivement, rapidement, à Noël et au Dernier Jugement les fidèles attentifs, également, à Sa venue en esclave et à Sa venue en Gloire.
Le rythme, la ligne, le parcours intérieur du rite sont liés à Celui «qui était, qui est, qui vient», à la flèche qui part de l’Orient et pénètre jusqu’en Occident, à la justification Divine et Humaine de l’Histoire. Le Christ «Premier et Dernier», «bondissant sur les collines pour tout accomplir, répond au génie de la Liturgie gallicane, à la contemplation et à l’action liturgiques intimes des habitants de ce lieu qui se sanctifient dans l’espoir d’atteindre «la liberté glorieuse des enfants de Dieu».
1. PRÉSENTATION DES EMPRUNTS FAITS A LA LITURGIE DE BYZANCE DANS L’ANTIQUITÉ ET DANS LA RESTAURATION MODERNE PAR LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
Il serait plus exact de dire, au lieu d’emprunt, enrichissement. Saint Grégoire le Grand, principal réformateur du rite de Rome et conseiller de saint Augustin, apôtre de l’Angleterre, discernant le caractère provincial de la liturgie de la ville de Rome, lui écrivait en réponse aux questions sur la liturgie :
«Votre fraternité connaît la coutume de l’Église romaine… mais si vous trouvez dans toute autre Église quelque chose qui puisse être agréable à Dieu, choisissez avec soin… car nous ne devons pas aimer les choses à cause des lieux, mais les lieux à cause des choses[156]». Et saint Grégoire écrivait aussi : «Si l’Église de Constantinople ou toute autre a quelque chose de bon, je suis prêt à les imiter dans ce qu’elles ont de bon. Ce serait folie de mettre la primauté à dédaigner d’apprendre ce qui est le meilleurs[157]».
Inspirés par cet exemple illustre, et adressant les questionneurs et les intéressés aux études déjà citées de Monseigneur Jean de Saint-Denis[158], examinons successivement les douze enrichisse-ments essentiels apportés à la Liturgie selon l’Ancien rite des Gaules et faisons état de sept emprunts secondaires pour terminer Nous espérons faire apparaître combien ces emprunts ont été «choisis avec soin» et comment ils ont été utilisés, au point d’être devenus organiques dans cette liturgie.
Parmi ces choses reçues et agréables à Dieu» certaines furent empruntées dès l’Antiquité et non pas introduites par les artisans modernes du rite ; nous le précisons. Et nous n’hésitons pas, enfin, à citer longuement et in extenso Monseigneur Jean de Saint-Denis, soulignant que nous donnons ici les emprunts attachés au commun de la liturgie, c’est-à-dire à ses parties fixes (ou presque fixes). La Messe du rite gallican est, en effet, remarquablement variable. Elle possède vingt-huit éléments qui varient plus ou moins complètement avec lePropre, depuis le Prælegendum jusqu’au renvoi, et cette particularité en fait un rite occidental par excellence. Nous ne pouvons aborder le cadre du Propre, mais ce sont bien les emprunts insérés au Commun qui forment notre présent sujet. Pour situer avec précision la place de ces enrichissements dans l’Ordo, le lecteur pourra se reporter aux p. 93 et sq.
Le premier enrichissement[159]
«Dans l’oratio ad prælegendum, nous proposons au célébrant de dire la prière Roi du Ciel, Consolateur, Esprit de Vérité[160]. A vue superficielle, ceci peut paraître un emprunt à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, mais peut-on affirmer sérieusement que cette prière fait partie de cette liturgie ? Pour nous conformer à l’expression des liturgistes modernes occidentaux, nous dirons qu’elle est «paraliturgique». L’Orient la dit actuellement avant tous les services divins, de même que depuis le Moyen-Age on récite en Occident : «Je te salue, Marie» avant chaque office. Nous avons mis en lumière cette prière, non par imitation de la liturgie orientale, mais parce qu’aussi bien que le célèbre «Agios ô Theos» elle est un chef d’œuvre spirituel, embellissant d’esprit orthodoxe l’âme du priant, disposant son cœur à l’humilité et le préparant à l’inspiration féconde. Qui la composa ? Quand s’imposa-t-elle au Rite byzantin ? Son origine reste obscure, la critique historique n’a pu l’éclaircir. Le fait demeure : l’Église orthodoxe possède un diamant et nous ne pouvons, ni ne voulons, sous prétexte de respect formel ou de sauvegarde sectaire de l’intégrité du rite, l’éliminer de notre liturgie, privant l’Occident de cette beauté. Cette prière détruit-elle l’unité structurale et l’esprit de la liturgie gallicane ? Certes non ! Elle l’enrichit au même titre que celle de Saint Jean Chrysostome. Le grand Patriarche ne la connaissant pas plus que notre patron, saint Germain de Paris».
Le deuxième enrichissement
Il s’agit du Trisagion : «Avant la prophétie, on chante ‘l’Aius’ en grec, car c’est par la langue grecque que renseignement du Nouveau Testament s’est répandu dans le monde»dit la Première Lettre de Saint Germain de Paris[161]. Aius est le premier mot d’Agios o Theos, ce sublime Trisagion, né à Constantinople et inséré très rapidement, dès son apparition, dans toutes les liturgies d’Orient, de Rome, des Gaules et d’Espagne. Il est chanté en grec, puis en latin et, de nos jours, répété dans la langue française. Sa place dans le déroulement du rite n’est pas celle que lui donne la Liturgie de Saint Jean Chrysostome ; et cette place est initiale, en respect du caractère et de l’esprit apocalyptique de l’Ancien rite des Gaules. Voici une acquisition de l’Antiquité.
Le troisième enrichissement
Dans la Préface de l’offertoire (ou Préface aux fidèles), préface ordinaire, l’on a inséré : «C’est Lui qui offre et qui est offert, qui reçoit et qui distribue». Cette formule se trouve, dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, à la fin de la sublime prière dite par le prêtre durant l’Offertoire : «Aucun de ceux qui sont liés par les désirs…». Les textes classiques des liturgies antiques ne connaissaient pas les trois termes : «… Celui qui reçoit » car elles considéraient le Père comme recevant l’offrande et le Fils offrant et étant offert. Cette insertion rencontra l’opposition, mais le Concile de Constantinople la fit admettre définitivement.
Il s’agit, ici, d’un développement dogmatique, d’une précision de l’enseignement, analogue au contenu des textes des préfaces aux fidèles dans les Missels Gallicanum Vetus, Gothico-Gallicanum… Les analogies de cette précision s’imposèrent en Gaule dans les préfaces exposant aux fidèles les mystères, pour renforcer, au temps de l’arianisme, la Consubstantialité du Père et du Fils.
Il était, donc, légitime de discerner le joyau de cette formule et de l’insérer à cette place dictée par les anciens missels et dans cette formulation nette, tenant compte ainsi de l’âme du rite, du développement dogmatique historique en Occident et en Orient : conjoints.
Le quatrième enrichissement
Nous chantons, aux Messes dominicales, l’hymne «Que toute chair humaine fasse silence…», chant réservé dans le rite byzantin au Samedi Saint. Pourquoi[162] ?
«Nous le chantons parce qu’il est entré sans violence dans notre rite avant la dernière guerre, aucun hymne n’étant, d’ailleurs, imposé pour l’Offertoire dans les rites romain, gallican et l’ancien rite de Byzance. Cet hymne change suivant les fêtes et les circonstances. Les offertoires des dimanches et fêtes sont si brefs dans l’Église romaine actuelle que même les monastères de «stricte observance» se voient obligés de les prolonger par quelques accords d’orgue. L’hymne de l’Offertoire dans la majorité des églises paroissiales est laissé au choix du curé ou du chef de chœur, à l’instar du chant pendant la communion du clergé dans les paroisses russes. Le chant «Que toute chair humaine …» fut préféré aux autres sans exclure ces derniers, tout comme l’hymne du «Cherubicon…» acquit, sur l’initiative de l’empereur Justinien III, une place prépondérante dans la liturgie byzantine. Le rite byzantin a gardé trois offertoires : «Cherubicon…», «Que toute chair humaine…» et «A Ta Cène mystique…». Il est difficile de définir ces chants admirables. «A Ta Cène mystique…» est, avec une légère variante, aussi milanais que byzantin et employé en Occident (rite milanais), comme le Te Deum et le Gloria in excelsis, depuis la plus haute antiquité. Le «Cherubicon» et «Que toute chair humaine…», bien que nés en Orient, se confondent de telle sorte avec l’esprit mozarabe et gallican que nous pouvons les admettre comme conformes à la vie de ces deux rites. Remarquons, toutefois, que le second correspond mieux à la liturgie gallicane et que le «Cherubicon…» appartient davantage à la liturgie byzantine. En effet, la première phrase : «Queloure chair humaine fasse silence et se tienne dans la crainte et le tremblement», n’est que le développement biblique du bref appel du diacre répété à tous les instants solennels de la liturgie gallicane : «Face silentium ! », appel diaconal analogue aux paroles : «Sagesse, soyons attentifs ! » de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome. Le Christ dans notre hymne « Que toute chair humaine…» est nommé «Roi des rois et Seigneur des Seigneurs», cette appellation étant directement tirée de l’Apocalypse (17, 14 et 19, 16) livre ignoré, comme nous l’avons déjà indiqué, de la liturgie orientale sauf dans ce cas qui fait exception à la règle et tendrait, précisément, à montrer l’inspiration occidentale et gallicane de ce chant».
Le cinquième enrichissement
Pendant le chant d’offertoire (le dimanche : «Que toute chair humaine …») le prêtre dit la prière : «Aucun de ceux qui sons liés par les désirs et les passions charnelles n’est digne de se présenter devant Toi…», elle provient de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome[163].
Cette prière correspond très intimement à la description du contenu et des gestes de la procession de l’Offertoire par saint Germain de Paris. Il était alors intéressant de l’introduire dans notre liturgie pour marquer, par son contenu, la précision théologique au sein de la liturgie et pour ressusciter la liturgie gallicane loin du fixisme dans le passé, pour en faire une œuvre vivante, unie à l’esprit réel de la Tradition orthodoxe sans trahir son propre génie liturgique et sa forme personnelle.
Le sixième enrichissement
En déposant la patène et le calice sur l’autel, à l’issue de la procession d’Offertoire, le prêtre, en les recouvrant du voile et en les encensant, peut dire, au lieu de la prière citée par saint Grégoire de Tours : «Il règne le Seigneur notre Dieu, ettirée de l’Apocalypse (19, 6-8), les deux prières orientales : «Le noble Joseph descendit au Bois Ton Corps très pur, l’enveloppa d’un linceul immaculé, le déposa couvert d’aromates dans un sépulcre neuf» et «Ton sépulcre, ô Christ, est plus resplendissant que les demeures angéliques, chambre nuptiale et source de résurrection[164]».
Pour les mêmes raisons que la prière du cinquième emprunt, ces deux prières peuvent être dites dans notre liturgie actuelle. Il s’agit d’exprimer pleinement l’Orthodoxie en confessant la Résurrection. Cette attitude vitale est celle d’un maximalisme dogmatiques qui se soumet à l’évolution historique et tient compte des événements survenus progressivement depuis l’extinction du rite jusqu’à sa résurrection dans des circonstances précises. Parmi ces circonstances l’on peut citer la rencontre merveilleuse, mais cachée, à l’image de la Naissance du Christ, entre la Foi orthodoxe et les aspirations de l’Occident au 20ème siècle.
Le septième enrichissement
Le Dialogue initial du Canon Eucharistique ne s’ouvre pas, comme dans le Rite romain, par : «Le Seigneur soit avec vous» mais par le souhait paulinien : «Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient toujours avec vous», comme dans les liturgies d’Orient[165].
Mais est-ce vraiment un emprunt ? Monseigneur Duchesne, en effet, partage les liturgies en deux groupes : le groupe syro-gallican (la Liturgie byzantine entrant dans ce groupe) ou eurasien et le groupe eurafricain (les Liturgies romaine, milanaise, copte entrent dans celui-ci) ou alexandrino-romain. Le premier groupe ouvre le Dialogue par la Bénédiction Trinitaire tandis que le deuxième offre le souhait biblique : «Le Seigneur soit avec vous».
Cette distinction de Monseigneur Duchesne permet de s’orienter dans les textes liturgiques d’Occident et de distinguer la Liturgie gallicane pure et la liturgie gallo-romaine. Avec l’argument du génie commun aux trois rites frères, gallican, mozarabe et celtique, cette distinction de Duchesne confirme de manière indiscutable que dans le Rite des Gaules, le souhait ouvrant le Canon Eucharistique était trinitaire.
Avons-nous le droit d’affirmer que ce souhait était d’inspiration paulinienne ? Malgré la variation de ce souhait, privé de sa forme scripturaire (2 Cor 13, 13) dans certains textes liturgiques traditionnels, il semble que nous ayons effectivement toute possibilité de recourir ici au «taxis» trinitaire de l’apôtre Paul. «Aucun document, aucune décision synodale des Gaules, aucune autorité n’obligent à adopter une périphrase sous condition de renoncer au texte sacré, supérieur par son contenu théologique et sanctifié par son emploi dans les liturgies orthodoxes actuelles[166]».
L’inspiration paulinienne étant universelle dans la famille liturgique eurasienne, dont notre liturgie est un membre pur, l’emploi de ce souhait étant constant dans les liturgies orthodoxes de ce temps, et ce «taxis» trinitaire étant parfaitement à sa place pour la consécration des mystères, il semble que notre solution de l’adopter soit la meilleure possible. Et l’on peut juger ainsi qu’il n’y a pas vraiment emprunt ni même enrichissement mais conformation aux sources et au génie du rite.
Le huitième enrichissement
Nous voulons indiquer les Noms Apophatiques ounégatifs (Indescriptible, Invisible, Insaisissable, Immuable…) introduits dans la Préface. Ces Noms furent eux-mêmes intercalés dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome qui ne les comportait pas originellement ; les messes antiques du rite gallican en sont imprégnées, les mêlant étroitement avec les Noms Cataphatiques ou positifs (Créateur, Seigneur, Tout-Puissant, Saint[167]…).
«Il est digne… ô Dieu Caché, Incomparable, Infini, Père de notre Seigneur Jésus-Christ[168]»
«Ineffable, Indescriptible, Invisible, Immuable» sont les Noms que nous avons introduits dans l’omnibus de notre liturgie, le plus fréquemment afin de rester dans l’esprit gallican et de combattre aussi l’excès des noms positifs tendant à produire une certaine définition de Dieu.
Cet enrichissement de notre commun (ou omnibus) est parfaitement fidèle aux Propres antiques des préfaces gallicanes et sa nécessité est «orthodoxe» profondément, pour pallier à un manque liturgique et théologique en cas d’absence des Noms négatifs.
Nous avons eu nous-même l’occasion de vérifier la valeur de ces noms en célébrant la liturgie en présence d’un représentant – non chrétien – des traditions hindoues. L’âme de ce «Swami» fut touchée, émue et communiante dans l’invocation d’un Dieu Ineffable et Invisible.
Le neuvième enrichissement
Dans l’Anamnèse (mémorial) nous avons intercalé cette phrase : «Nous qui sommes à Toi, nous T’offrons ce qui est à Toi[169]».
«Notre souci était, là aussi, de rendre la pensée théologique avec pureté et clarté. Quelques-uns s’en indignent, alléguant que cette phrase n’est point dans le texte du mémorial gallo-milanais parvenu jusqu’à nous et qu’elle représente un emprunt à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome ! Nous avons déjà répondu : un emprunt qui ne déforme pas l’esprit et poursuit un but d’enseignement théologique est légitime. Mais s’agit-il d’un emprunt ? Que cette réaction irréfléchie nous serve à montrer combien une thèse émise hâtivement est battue par ses propres armes, car si ses auteurs avaient, au préalable, procédé à une courte enquête et profité des avis autorisés des Hopp, Cabrol…, ils se seraient aperçus que toute liturgie aussi bien latine que grecque contient des paroles analogues : «De Tuis Bonis ex datus», ou «dona ex Tuis», ou encore «Tua de Tuis», etc. : différentes formules relevées dans les textes antiques… Pourquoi ces paroles ne figurent-elles plus dans le Mémorial du rite occidental ? Parce que ce rite les perdit sur sa route historique ; la liturgie ne s’enrichit pas obligatoirement, parfois elle s’appauvrit. Cette formule fut-elle perdue à jamais ? Non, puisqu’elle naît dans les Secrètes et les diverses prières, en particulier dans le Sacramentaire léonien. Celui qui est quelque peu familier du sacramentaire antique et de l’histoire des secrètes, sait que ces dernières sort des périphrases du Mémorial ou de l’Épiclèse, issues avec de légères modifications des Canons eucharistiques. La meilleure littérature que l’on puisse consulter sur ce sujet sont les œuvres du vieil Alcuin et du célèbre Cassandre de la Renaissance. Les apparences trompent parfois. L’enrichissement ne provient pas toujours d’un ajout postérieur mais quelquefois d’une restauration des formes antiques les plus pures. Il faudrait, pour être encore plus exact, s’arrêter sur le problème de la centonisation si bien étudié liturgiquement par Dom Havard et Dom Cagin[170]»
Le dixième enrichissement
Pendant la Communion des fidèles le chœur chante cette prière : «Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux», Psaume 34, 9, dont l’usage est fait à divers moments de la Liturgie orientale[171].
Le chant de communion est connu depuis l’antiquité chrétienne ; les liturgies du quatrième siècle l’utilisent sous la forme même où la liturgie actuelle selon Saint Germain de Paris l’a reçue. Un ou deux solistes chantent les versets d’un psaume en l’occurrence le psaume 34 – et le chœur, et les fidèles aussi, répondent par un refrain, reprise constante du même verset. Saint Jean Chrysostome témoigne de la répétition d’un verset du psaume 144 pendant la Communion et saint Jérôme relate le chant de notre verset du psaume 34 par le peuple durant la Communion[172].
Cet emprunt actuel à l’Orient n’est donc pas étranger aux traditions anciennes de l’Occident : romaine, africaine, mozarabe – comme en témoigne le Missale Mixtum – et gallicane. Par l’usage oriental, en particulier durant la Distribution du pain bénit et la purification des vases sacrés, il était légitime de remonter à l’utilisation ancienne de l’Occident. Cet emprunt rejoint aussi les dispositions du 6ème siècle, en Orient et en Occident, où l’on trouve que les communiants chantaient eux-mêmes les versets «refrains» du chant de communion.
Le onzième enrichissement
Le vieux chant de communion de la Messe gallicane est nommé Tricanon par saint Germain de Paris lui-même dans sa Première lettre sur l’ordre de la Messe. Ilprécise que ce chant procède de la confession de la Divine Trinité : sceau Trinitaire qui est la marque insigne de cette liturgie[173]. Nous avons emprunté, pour l’enchâsser dans le Tricanon de notre omnibus actuel, l’hymne de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome : «Nous avons vu la Vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la Foi véritable. Adorons l’indivisible Trinité, car c’est Elle qui nous a sauvés[174]».
Cet hymne, emprunté aux hymnes de la Pentecôte par la Liturgie byzantine, est un enrichissement pour l’Ancien rite des Gaules au même titre que pour celui de saint Jean Chrysostome. Le saint Patriarche de Constantinople ne connaissait pas cet hymne qui apparut, dans la liturgie, seulement au 14ème siècle, au temps où l’Orthodoxie luttait pour la confession du dogme de l’Esprit Saint, à travers la notion de la Lumière Incréée.
«Cet enrichissement réalisé avec discernement, en tenant compte de la structure et de l’âme du rite – âme d’empreinte trinitaire – et de la lutte nécessaire contre les déformations du dogme au Moyen-Age, était indispensable pour que notre Liturgie gallicane ressuscitât, au lieu de rester figée dans les formes d’un passé reculé, et devînt œuvre vivante[175]».
Le douzième enrichissement
Sans tenir compte du déroulement logique de la liturgie, nous avons réservé cet emprunt pour cette dernière place afin de sceller notre humble étude par ce que nous estimons le plus important.
Il s’agit de l’introduction du triple Amen : «Amen, Amen, Amen !», à la fin de l’Épiclèse, comme le font les liturgies de Saint Jean Chrysostome et de Saint Basile[176].
L’on sait que les «Amen» de l’Épiclèse sont entrés tardivement dans les rites. Le peuple ne prononçait primitivement que l’Amen clôtural (universel et indispensable dans les liturgies), après la Doxologie finale du Canon Eucharistique.
Nous avons voulu, par cette approbation de la célébration orthodoxe du célébrant par tout le peuple et les clercs réunis, amener et justifier les exigences de la théologie patristique et orthodoxe. «Par trois Amen, l’Église totale confesse que tout s’achève, s’accomplit, selon l’expression des deux Grégoire, de Nazianze et de Nysse, par l’action sanctifiante de la Troisième Personne de la Trinité[177]».
Nous rejoignons par cet aspect, après une Épiclèse occidentale par excellence, les Canons Eucharistiques des liturgies orientales actuelles et nous nous greffons et associons à l’Église totale, celle qui était, qui est toujours, et qui sera connue dans l’Esprit Saint de Dieu.
Nous ajoutons à ces douze emprunts, ainsi décrits et justifiés, sept autres enrichissements à caractère moins essentiel, empruntés de l’Orient, sans donner tout le détail justificatif[178].
1) A l’Entrée, la prière à voix basse du prêtre. La Tradition occidentale nous laissant la liberté du choix, nous avons préféré la prière orientale qui souligne la communion avec les Armées angéliques[179].
2) Dans la litanie, nous avons adjoint :
a) «De notre Souveraine, la Mère de Dieu». L’antique litanie de Saint-Martin, qui est la nôtre, n’avait pas d’invocation à la Mère de Dieu.
b) Le mot «orthodoxe», complétant «la Foi catholique»[180].
3) Dans les Diptyques, l’on a remplacé «et toute fraternité universelle» par «et pour tous et pour tout». Cette deuxième expression a un sens identique à la première mais celle-ci a une résonance profane pour l’oreille française[181].
4) Dans l’Épiclèse : «Que descende sur nous et sur cette coupe», les deux termes «sur nous», ont été empruntés à la Liturgie de Saint Jean Chrysostome «envoie Ton Esprit Saint sur nous et sur les Dons ici présents[182]».
5) La réponse des fidèles : «Un Seul est Saint, un Seul est Seigneur» àl’exclamation du Prêtre : «Les Choses Saintes aux saints» est ajoutée de l’Orient. Si cette réponse manque dans les manuscrits elle s’impose d’elle-même, ayant existé dans les Liturgies apostoliques[183].
6) Une partie de la prière «avant» la communion : «Je crois et je confesse… Accepte-moi» est empruntée dans le but de donner la même prière à tous les orthodoxes, orientaux et occidentaux. L’on note, pourtant, que cette prière se trouve dans le Rite ambrosien[184].
7) Pour la Communion des fidèles le Diacre proclame comme en Orient: «Approchez avec crainte de Dieu, foi et amour[185]».
Tous ces emprunts furent dictés par désir d’un développement théologique d’une part, et d’autre part, par celui d’avoir des points communs avec la Liturgie orientale. Les douze premiers enrichissements, plus longuement décrits, s’imposent pour des raisons multiples et se découvrent à l’étude, loin d’être véritablement empruntés à l’Orient. Les sept derniers enrichissements sont, par contre, vraiment empruntés, mais là aussi, l’on a agi de manière légitime en concordance avec la Tradition vivante de l’Église et en esprit d’équilibre entre l’universel et le local.
ÉPILOGUE
Nous espérons avoir ouvert à nos lecteurs les chemins par lesquels la Providence Divine, les témoins historiques et les artisans modernes, ont porté jusqu’à nous le joyau unique de la Liturgie selon saint Germain de Paris.
Malgré la lumière théologique éclairant constamment ces chemins, nous avons pu et nous avons du, cependant, laisser de côté beaucoup d’éléments intéressant aussi bien les spécialistes que les non-initiés. Mais nous souhaitons avoir amené nos lecteurs à la bienveillance envers une œuvre à la fois traditionnelle et audacieuse, antique et moderne, dont les bénéficiaires – ceux qui célèbrent cette liturgie et qui en vivent – savent bien qu’elle est liée au christianisme le plus pur sur le sol de France depuis l’Antiquité.
En mettant en exergue et en louant le plus éminent artisan actuel de la restauration de ce rite, l’Évêque Jean de Saint-Denis (Eugraph Kovalevsky), cédons lui le mot final en reprenant sa propre clôture dans son étude sur le Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules :
«Que le Seigneur accepte notre labeur ‘comme Il a reçu les offrandes de nos Pères‘, et qu’Il daigne procurer la grâce incréée à tous les fidèles qui participent et qui participeront au ‘Mystère Eucharistique’ célébré selon l’Ancien rite des Gaules».
GERMAIN, Évêque de Saint-Denis
[1]. Imprimée dans ce livret p. 92 et suivantes.
[2]. Voir nombreux passages dans cet article.
[3]. Qui sont répertoriées et analysées dans la Bibliographie constituant le vol. 3 de ce numéro spécial.
[4]. Rapport de la Commission Liturgique 1968, Chap. 1, p. t et sq.
[5]. Rapport de la Commission Liturgique 1968 Chap. 1 p. 4-5.
[6]. Publié par Dom Férotin (Paris 1904).
[7]. Publié par le Cardinal Ximenes de Cisneros, P.L. t. LXXXV.
[8]. La suite de ce texte (jusqu’à la page 25) est une citation «in extenso» de ce rapport.
[9]. Paragraphe 6.
[10]. P.G. t. CL col. 368-492.
[11]. Mgr Jean de Saint-Denis Le Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules, Éd. Présence Orthodoxe 1974 (nouvelle édition).
[12]. Grec 322 st supplément grec 476.
[13]. Vat. graeci 1970, Vat. Borg. série 1, n° 506, Vat. Ottob. 189 et 387
[14]. Grotta Ferrata Fβ7.
[15]. col. A. Kolybos.
[16]. Mont Athos: St Pantaléimon, ms. no 5924.
[17]. 3ème Épître, 6.
[18]. Règle n° 50.
[19]. Recueil des textes canoniques reçus par l’Église d’Orient, comprenant : les Règles Apostoliques, les canons des Conciles Oecuméniques, régionaux et locaux et les préceptes des Pères.
[20]. A l’exception des réformes liturgiques réalisées par le mouvement « Zoï »
[21]. Si le Concile de Laodicée prit place dans le recueil latin, ce n’est pas le cas de «in Trullo» qui ne fut jamais accepté entièrement par l’Occident, malgré son aspect œcuménique.
[22]. Depuis 1968, d’autres Églises ont adopté le nouveau calendrier solaire.
[23]. Message de l’Orthodoxie à des Occidentaux 1936.
[24]. Rapport Moral de l’Assemblée Générale de l’Église catholique orthodoxe de France 1960.
[25]. Tropaire-Grande Antienne de la Théophanie.
[26]. Saint Jean Damascène, Tropaire de Pâques.
[27]. Alcuin, originaire d’York, vers 735, fut appelé en France par Charlemagne. Placé à la tête de l’École Palatine, il fut chargé de la réforme liturgique.
[28]. voir p. 95, par. 10 : Hymnum Trium puerorum.
[29]. P.L. t. LXXXV et vol. 3 du n° spécial St Germain (bibliographie) p. 36.
[30]. P.L. t. CLXII.
[31]. P.L. t. LXXII.
[32]. P.L. t. LXXII.
[33]. P.L. t. LXXII.
[34]. Bibliothèque Nationale, mss latins n° 16796 à 16818.
[35]. Tirée de «l’Explication littérale, historique et dogmatique des cérémonies de la Messe…», t. II, Éd. Veuve F. Delaulne, 1716-1726. Il s’agit de la Quatrième Dissertation, p. 196 et s.
Les «Notes de la Rédaction» sont en grande partie empruntées aux 2 ouvrages suivants : Thibaut : L’Ancienne Liturgie gallicane… et Des Graviers : La Liturgie dans les œuvres de Grégoire de Tours. Cf. Bibliogr., vol 3 de ce numéro spécial, St Germain, p. 32 et 43.
[36]. Notes des Livres Carolins touchant l’Eglise des Gaules : «Elle (cette Église) depuis les premiers temps de la Foi demeurait dans la lien de la sainte religion, et se distinguait d’elle un peu – ce qui n’est pas contraire à la Foi – par la célébration des offices. Par le soin et l’activité de notre glorieux roi Pépin de bienheureuse mémoire et par la venue dans les Gaules du très révérend et très saint évêque de la ville de Rome Étienne, elle fut liée à cette dernière par la forme de la psalmodie, pour qu’il n’y eût pas de disparité dans ce domaine, puisqu’on avait une même ardeur à croire. C’était afin que celles (les Églises) qui étaient unies par la lecture sainte d’une seule et même sainte foi, fussent aussi unies par la tradition vénérable d’une seule et même psalmodie et que la diversité de la célébration ne sépare pas celles qu’avait unies dans la piété la foi unique…» L. 1, c. I 132 et 133. (NDLR)
[37]. «Des Missels très anciens et presque détruits par l’âge contenant l’Ordre de la Messe suivant la coutume gallicane, coutume qui a été en usage depuis les débuts de la Foi dans cette région occidentale jusqu’au moment où la coutume romaine – actuellement en usage – fut acceptée». (NDLR)
[38]. «Puisque la Foi est une, pourquoi des coutumes ecclésiastiques diverses ? Pourquoi une coutume pour la Messe dans la sainte Église romaine et une autre dans les Gaules ?» (NDLR)
[39]. De la Vie des Pères, chap. 17.
[40]. De la Gloire des Martyrs 1.I, chap. 86.
[41]. Histoire des Francs, 1; II chap. XXII.
[42]. Appelées souvent supplications dans les écrits des Papes saint Célestin, saint Léon et Virgile.
[43]. «Mais suppliant Dieu et éprouvant Ses bienfaits…»
[44]. Le Père Lebrun le fait naître à Athènes, alors que d’autres auteurs le font naître en Provence, ou bien en Palestine ou en Roumanie, alors que selon Gennade de Marseille, il est né à Serta en Gordyène (Des hommes illustres, LXIII) (NDLR).
[45]. Voici le texte de la lettre du Pape (chap. 1) : « Tu dis donc que certains requièrent que la paix soit donnée au peuple, ou que les prêtres se la donnent entre eux avent la confection des Mystères, lorsque de nécessité, la paix doit être indiquée (allusion è la formule : Que la paix du Seigneur etc.) après toutes les choses que je ne puis découvrir ; car par le baiser de paix, le peuple témoigne de son adhésion à tout ce qui a été fait dans l’accomplissement du Mystères». On trouve dans la déclaration du Pape un écho de la pensée de Tertullien, à savoir que le baiser de paix est le sceau de la Prière eucharistique, c’est-à-dire le sceau du sacrement de l’unité chrétienne qu’est l’Oblation de la Divine Liturgie (De la Prière, XIV). (NDLR).
[46]. Actes 20, 4 ; 21, 29. 2 Tim 4, 20.
[47]. 2 Tim 4, 9.
[48]. 2 Tim 4, 9. Également par saint Grégoire de Tours. C’est aussi l’interprétation des exégètes modernes, le Père C. Spicq, Joachim Jeremias, la Traduction Oecuménique de la Bible : au temps de saint Paul et jusqu’au 2ème siècle, les écrivains de langue grecque désignent la Gaule par le mot «Galatie» et pour désigner la Galatie ils disent «la Galatie qui est en Asie». (NDLR)
[49]. Missel gothico-gallican, fête de saint Saturnin. (NDLR)
[50]. Citée également par saint Grégoire de Tours. (NDLR)
[51]. Cf. La note de Baronius sur le Martyrologe Romain du 27 juin, la lettre de Marca à la tête de l’Eusèbe des Valois, et la 16ème Dissertation du Père Alexandre sur le 1er siècle. «On pourra voir quelque jour» écrit le Père Lebrun en note «une Dissertation sur l’origine des Églises des Gaules, si Dieu me permet que je donne les Dissertations que j’ai faites sur l’Histoire Ecclésiastique».
[52]. Conservé à la Bibliothèque Vaticane Cod. Reginae lat. 317. Cf. Bibliogr., vol 3 de ce numéro spécial, p. 16. (NDLR)
[53]. Conservé à la Bibliothèque Vaticane : Cod. Reginae lat. 857. Ce manuscrit ne contient que les prières de l’ordination, la bénédiction des vierges, celle des veuves, la consécration des autels, une messe pour les rois, une de saint Hilaire (apparemment pour l’église de Poitiers), trois du commun des Martyrs et une autre appelée «prières communes et oraisons avec canon». Cf. Bibliogr. vol 3 de ce numéro spécial, p. 18
[54] Il est à remarquer que «dans les diverses prières, il n’est jamais fait mention de l’Empire romain». (NDLR)
[55]. L’autre raison est de demander «la bénédiction pour plusieurs rois et non pour un seul». (Mabillon, Liturgie Gallicane, t. III p. 178). (NDLR)
[56]. Des Choses Liturgiques, t. I, c. II.
[57]. Conservé encore sous la cote : Palat. lat. 493. Édité par Mabillon dans sa Liturgia Gallicana (Paris 1685), par PL t. 339-382 ; Muratori, Liturgia romana velus (Venise, 1748, 2 vol. in-fol ; par Neale et Forbes The ancient Liturgies of the Gallican Church (Bunrtisland 1855). Cf. Bibliogr. vol. 3 de ce numéro spécial, p.16. (NDLR)
[58]. Le Père Mabillon avait appris ces particularités de Jacques de Givès homme fort intègre, Avocat du Roi à Orléans. Cf. la préface de ses livres sur la Liturgie gallicane. (Note de l’auteur).
[59] Le Père Mabillon s’est contenté de dire (1.3, p. 179) : «A cette époque où les provinces des Gaules existaient ‘de par la droit romain’» ; mais on ne connaît aucun temps auquel tous tes rois de France les provinces des Gaules aient été soumises à l’Empire romain.
[60]. Le Lectionnaire de Luxeuil. Ce manuscrit n° 9427/ du fonds latin de la Bibliothèque Nationale, a été édité incomplètement par Mabillon dans son traité «De la Liturgie gallicane», liv. II. Il a été imprimé tel quel dans Migne, P.L. t. LXXII, 171 sq. Cf. Bibliogr., vol 3 de ce numéro spécial, p. 18 (NDLR)
[61]. Conservé à la Bibliothèque Nationale n° 13426 du fonds latin ; puis publié par Muratori, Liturgie Romaine, t. II, p. 775, puis Neale et Forbes, op. cité, p. 205 et par Migne, P.L. t. LXXII : p. 447-580, Cf. Bibliogr., vol 3 de ce numéro spécial, p.18 (NDLR)
[62]. Publié à Paris en 1687.
[63]. «Le mot communicantes» nous dit Pierre Lebrun dans un de ses ouvrages «signifie sans doute, ‘étant en communion’ ou ‘entrant en communion avec tous les fidèles’ puisque c’est ici le sacrement de l’unité. Mais comme ce termecommunicantes n’est pas restreint, il signifie aussi la communion avec les Saints ; puisqu’il est de foi que nous avons l’usage d’être en communion avec eux, et d’être les membres d’un même corps. ‘L’Apôtre’, disait saint Hilaire de Poitiers à l’Empereur Constance nous ordonne de communier aux mémoires des Saints, mais toi, tu nous contrains à les condamner’. Communier aux mémoires des Saints, c’est en second lieu honorer leurs reliques et leurs tombeaux, qui sont souvent appelés leurs mémoires, parce qu’on les regardait comme autant de mémorials de leur sainteté, et autant d’autels sur lesquels on offrait la Divine Victime, pour y renouveler leur mémoire, en renouvelant celle du Christ, pour qui ils ont été immolés, et entrer en communion avec dans ce Saint Sacrifice».
[64]. Voir dans Présence Orthodoxe n° 20-21 et 34-35, leur étude critique et leur authenticité par Monseigneur Jean de Saint-Denis (Eugraph Kovalevsky) et Monseigneur Alexis Van den Mensbrugghe. (NDLR)
[65]. Autun, Bibli. Muni, Ms. (anciennement 184), fol. 114-122v. (NDLR)
[66]. Le Cointe, Ann. Eccl. Franc.; Dubois, Hist EccL Paris, t. II, c.5.
[67]. «A ces marques d’antiquité, je voudrais pouvoir ajouter celles que donne le PèreMarlène du renvoi des catéchumènes et de la prière que faisait sur eux le diacre ; mais on voit encore durant longtemps le renvoi des catéchumènes avant le Canon dans plusieurs Églises. (Annal. Eccl . off. 3.c. 36)
[68]. Cf. Présence Orthodoxe n° 34-35, p. 21 sq. (Traduction R.P. Théologue de Foucauld et Agnès Darmar). (NDLR)
[69]. Pour la vie de saint Germain, cf., entre autres, Vie de saint Germain de Paris, par saint Fortunat, Présence Orthodoxe n° 34-35 p. 11 sq. (NDLR)
[70]. «Cet ordre que nous tirons principalement de saint Germain de Paris et de saint Grégaire de Tours ne doit pas être regardé comme tellement propre è toutes les églises de France, qu’il n’y eut entre elles quelque différence. Car on voit des oraisons différentes dans les quatre missels gallicans, il pouvait, par conséquent, y avoir aussi quelque rite particulier en diverses églises. On a soin de marquer ici ce qu’on peut en savoir à présent jusqu’à ce qu’on découvre quelque nouveau manuscrit qui apprenne d’autres particularités»
[71]. Liturgie gallicane p .190.
[72]. Sacramentaire gallican (Museum ltalicum) pp. 285, 287, 365, 370, 373.
[73]. Liturgie gallicane, pp. 190 et 251.
[74]. Post precem .(«Après la prière»), le Père Mabillon, Liturgie gallicane p. 190 et 251, entend par là l’Hymne des Trois Enfants, et il ajoute dans ses notes sur le Sacramentaire Gallican (p. 282), qu’il valait mieux entendre par Precem l’Hymne des Anges, mais cette conjoncture n’est pas plus heureuse, le Gloria et le Benedictus ne sont pas des prières (Note de l’auteur).
[75]. Canon 30.
[76]. Saint Grégoire de Tours l’appelle plus loin le primicier ; de nos jours nous le nommons le préchantre. (NDLR)
[77]. Psaume 7, 39-40.
[78]. Histoire des Francs, liv. II, chap. 37. Ce mot Psallentium signifie en cet endroit comme en plusieurs autres, le chant d’un psaume ou d’une partie d’un psaume, comme on le voit par le mot Psallentii, qui est dans le passage suivant. Cf. le Glossaire latin de Ducange sur ce mot, et le Glossaire de Pithou au tome II des Capitulaires de France donnés par Balure p. 736.
[79]. Gloire des Martyrs, liv. 1, chap. 24.
[80]. Appendice de saint Augustin, Sermon 282.
[81]. Museum Italicum pp. 281-282.
[82]. Canon 3.
[83]. Histoire des Francs, liv. VII, chap. VIII.
[84]. Il faut dire qu’on ne le chantait pas à la Messe, si on l’avait fait à l’office des laudes.
[85]. Règle p. 93.
[86]. Règle p. 110.
[87]. Miracles de saint Martin, II, 25.
[88]. Gloire des Martyrs, I. 63. (NDLR).
[89]. Histoire des Francs, liv. IV, chap. XVI.
[90]. Gloire des Martyrs, I, 86.
[91]. Gloire des Martyrs, 11, 49 (NDLR).
[92]. Vies des Pères, XVII 1 et 2 (NDLR).
[93]. Micrologue : célèbre traité de liturgie attribué à Yves de Chartres ou à Bernold de Constance, éd. pour la 1ère fois en France en 1510 et repris par Migne dans P. L. 151, col. 973-1022. Bonne éd. de Pamelius en 1565. Pour le passage cité cf. col. 52 (NDLR).
[94]. p.107
[95]. Ce cantique est en usage dans le Rite romain depuis un temps immémorial aux seuls samedis des Quatre-Temps, comme l’ont remarqué Walfrid et Bernon, et comme il paraît par les plus anciens antiphonaires ou graduels romains. Cf. le recueil de ces livres que le Cardinal Thomasi fit imprimer à Rome en 1691 sous ce titre : Anciens Missels, etc.
[96]. Dans son Ancienne Liturgie Gallicane, le Père Thibaut fait remarquer cependant que ce même lectionnaire le mentionne encore au dimanche dit de la Clôture des fêtes de Pâques (notre dimanche de Quasimodo) ; «Daniel avec la bénédiction, comme au premier Saint Jour de Pâques» (NDLR).
[97]. Sup. p. 125.
[98]. Grégoire de Tours : Histoire des Francs, L VIII, c.III : «Le Roi Gontran m’ordonna de faire chanter mon diacre, qui, la veille à la Messe, avait entonné le répons des psaumes».
[99]. Grégoire de Tours, loco citato, l. VIII, c. IV.
[100]. Ibid.
[101]. Les sept luminaires symbolisent les sept dons de l’Esprit-Saint. Quant au chiffre cinq, il symbolise les cinq plaies du Christ, symbolisés par les cinq clous que l’on place sur le Cierge Pascal, dans la nuit de Pâques. (NDLR).
[102]. La lecture terminée, l’Évangéliaire revient processionnellement au chant de «Saint, Saint, Saint» que chantent les clercs à la manière des Saints acclamant le Christ à la sortie des Enfers, ou à la manière des 24 Vieillards, jetant leurs couronnes devant l’Agneau en proclamant sa gloire, son honneur, sa puissance (Apocalypse 4, 10-11, cf. Lettre de Saint Germain) (NDLR).
[103]. Concile de Vaison en 529, canon 2. (NDLR).
[104]. Appelée aussi prière catholique. (NDLR).
[105]. Grégoire de Tours, Vies des Pères, XVII, 2
[106]. Notre secrète de la Messe actuelle de Noëla repris certains termes de cette préface aux fidèles. (NDLR).
[107]. Grégoire de Tours, De la Gloire des Martyrs, c. 86.
[108]. Grégoire de Tours, Miracles de saint Martin, 1. 2, c. 25.
[109]. Grégoire de Tours, Vies des Pères, c. II.
[110]. Imprimés en 1493.
[111]. Chap. 21.
[112]. Canon 3.
[113]. Grégoire de Tours, Miracles de Saint Martin, c. 14.
[114]. Grégoire de Tours, Vies des Pères, c. 16.
[115]. Grégoire de Tours, De la gloire des Martyrs I., c. 87.
[116]. Voir les six Messes des dimanches du Missel gothico-gallicanum.
[117]. Grégoire de Tours, De la gloire des Martyrs, I. 1, c. 87.
[118]. Canon 44.
[119]. Grégoire de Tours, Histoire des Francs, I. 9, c. 3.
[120]. Grégoire de Tours, Des miracles de Saint Martin, 1. 2, c. 14.
[121]. Grégoire de Tours, Histoire des Francs, I. 10, c. 8.
[122]. Chap. 7, p. 7
[123]. Cod. Reg. part. 2. p. 112.
[124]. Missel gothico-gallicanum.
[125]. «Avec l’aide de Dieu, et sous réserve de votre accord, voici ‘l’Ordo’ liturgique établi dans l’Église de Lyon : conformément à nos pouvoirs, tout ce que l’Ordo exige pour la célébration de l’Office divin doit paraître, dans toutes ses parties, accompli suivant le rite du sacré palais».
[126]. Le P. Mabillon : «Liturgie gallicane» p 25 a cru voir au chapitre 52 du Micrologue que l’usage des deux lectures aux Messes de Noël venait de l’Église de Rome. Le Micrologue dit, à la vérité, dans ce chapitre qu’on fait deux lectures avant l’Évangile à la Fête de Noël, mais il ne dit pas que cela se fit à Rome. Au reste, cet ancien auteur décrit le Rite romain tel qu’il s’observait dans l’Église ou dans le Paris où il écrivait, et non pas tel qu’il s’observait à Rome même.
[127]. Cf. Place du Calendrier liturgique dans l’usage de l’Église orthodoxe de France. (NDLR).
[128]. Iter. Ital. p. 217.
[129]. Voir Présence Orthodoxe, numéro spécial St Germain vol. 3, Bibliographie.
[130]. Voir Présence Orthodoxe 1975 n° 31, p. 39 et sq.
[131]. Cf. lesabréviations «Lo» et «LM» dans le «Tableau comparatif des principales sources de la Liturgie selon Saint Germain de Paris» p. 93-109.
[132]. Confrérie formée à Paris vers 1927par de jeunes théologiens russes émigrés, généralement étudiants à l’Institut Saint-Serge, afin de promouvoir l’universalité de la Foi orthodoxe et étudier son enracinement dans le siècle, d’abord, et en toutes nations, selon le commandement évangélique (Mat. 28, 19-20).
[133]. Numéro spécial Saint Germain n° 3.
[134]. voir Présence Orthodoxe n° 18, 1972, p. 122-127, «Lettre à Dom Lambert Bauduin».
[135]. Voir Présence Orthodoxe, Numéro spécial Saint Germain de Paris, vol. 1, n° 34-35, 1976, p. 38-70
[136]. Reprise dans Présence Orthodoxe n° 20-21, 1972-73, art. cit. p. 19-46.
[137]. Voir Présence Orthodoxe, Numéro spécial Saint Germain de Paris, vol. 1, n° 34-35, p. 38-70 : «L’Expositio Missae Gallicanae est-elle de St Germain de Paris ?» (Éd. revue et corr.)
[138]. Voir la fin de cet article p. 82 et suivantes.
[139]. Né au ciel le 28 Mars 1977.
[140]. Tous les documents cités ici sont répertoriés, avec leur référence exacte, dans la bibliographie qui constitue le 3ème vol. de ce numéro spécial, aux p. 5-26.
[141]. Parmi les antiphonaires gallicans, indiquons spécialement l’Antiphonaire de Bangor (P.L. t. LXXII).
[142]. Cf. E. Kovalevsky «Le Canon Eucharistique» p. 50.
[143]. Cf. E. Kovalevsky «Le Canon Eucharistique» p. 7.
[144]. Cf. E. Kovalevsky « Le Canon Eucharistique » p. 7.
[145]. Extrait de l’exposé liturgique fait à la réunion annuelle de l’Église orthodoxe de France, par l’Archiprêtre E. Kovalevsky, le 30 juin 1956. Dans «Contacts» n° 13, 9ème année. Janvier-Février 1957, p. 3-4.
[146]. Voir : Présence Orthodoxe n° 20-21 (4ème trimestre 1972 et 1er trimestre 1973) Étude critique des Lettres de Saint Germain de Paris p. 19 sq. et Commentaire sur la Sainte Messe selon l’Ancien rite des Gaules et la compénétration des rites p. 31 sq. Voir aussi : «Le Canon Eucharistique de l’Ancien rite des Gaules» Paris, 1957
[147]. Voir la présente étude p. 5 et 6.
[148]. Présence Orthodoxe no° 20-21, art. cité. p. 38.
[149]. La Liturgie romaine (ancienne) est encore célébrée une fois par an, pour la fête de la Chaire de l’Apôtre Pierre à Rome (18 janvier).
[150]. Cf. Les études de Monseigneur Jean de Saint-Denis et la première partie de cette étude.
[151]. Voir le 3e chap. de cette 5ème partie, p. 82.
[152]. Présence orthodoxe n° 20-21, art. cit. p. 42
[153]. Présence orthodoxe n° 20-21, art. cit. p. 42
[154]. Présence Orthodoxe n° 20-21, art. cité. p. 38 et 39
[155]. Voir note précédente.
[156]. Epistl. LXIV; ad August I, IX. P.L. t LXVI1. Col 1186.
[157] Idem.
[158]. Ajoutons l’Avant-Propos de la lère éd. des Matines Pascales (Librairie Œcuménique Setor, collection Liturgie 1948.
[159]. Monseigneur Jean de Saint-Denis Présence orthodoxe n° 20-21, p. 43.
[160]. Cf. p. 93 par. 2.
[161]. Présence orthodoxe n° 34-35, p. 21.
[162]. Monseigneur Jean de Saint-Dénis Présence orthodoxe n° 20-21, p. 41.
[163]. Cf. p. 97 par. 18 (1) et Présence Orthodoxe n° 34-35. 1ère Lettre de St Germain, trad. p. 24.
[164]. Cf. p. 98-99 par. 20.
[165]. Cf. p. 104 par. 2.
[166]. Monseigneur Jean de Saint-Denis, le Canon Eucharistique, p. 23.
[167]. Cf. p. 104-106 par. 3.
[168]. Exemple tiré d’une Messe de rechange du Missel Gothico-Gallicanum.
[169]. Voir Présence Orthodoxe n° 20-21, p. 44 et 45. Cf. p. 107 par. 7.
[170]. J.A. Jungmann, Missarum Solemnia III, p. 330.
[171]. Voir note Présence Orthodoxe n° 20-21, p. 45.
[172]. Cf. p. 102 par. 29 (2)
[173]. La Tradition apostolique de St Hippolyte témoigne de l’usage très ancien du Psaume 34pendant la communion.
[174]. Cf. p. 103 par. 30.
[175]. Monseigneur Jean de Saint-Denis, Présence Orthodoxe n° 20-21, p. 44.
[176]. Cf. p. 108 par. 8.
[177]. Monseigneur Jean de Saint-Denis, Le Canon Eucharistique, p. 116.
[178]. Voir le Rapport de la Commission Liturgique 1968, p. 65 et 66.
[179]. Cf. p. 93 par. 2.
[180]. Cf. p. 96 par. 16.
[181]. Cf. p. 100 par. 23.
[182]. Cf. p. 108 par. 8.
[183]. Cf. p. 101 par 28 (2).
[184]. Cf. p. 102 par 29 (1).
[185]. Cf. p. 102 par. 29 (2).