8ème après Pentecôte

 

8ème DIMANCHE APRÈS PENTECÔTE

L’ÉCONOME INFIDÈLE

Mgr Germain, évêque de Saint Denis

Savez-vous quelle est l’action la plus parfaite que l’homme puisse accomplir dans l’univers ? Celle que nous accomplissons maintenant : l’action liturgique ! L’action liturgique est une action parfaite car on y associe le physique, le psychique et le spirituel sans donner de contour supérieur à l’un des éléments par rapport à l’autre. On y découvre progressivement le mystère auquel tous aspirent, mystère décrit par l’évangile que nous venons d’entendre (Lc 16, 1-8).

Cet évangile est difficile à comprendre. Pour compléter votre entendement, je vais vous lire la fin (Lc 16, 9-13). Après avoir donné la parabole de l’économe infidèle, le Christ poursuit :«Et moi Je vous dis(n’oubliez pas qu’Il veut dévoiler l’un des plus extraordinaires mystères que Dieu a déposé dans l’univers, mystère que nous nous efforçons de manifester dans l’action liturgique) :faites vous des amis avec les richesses injustes, afin que lorsqu’elles viendront à vous faire défaut, ils vous accueillent dans les tentes éternelles. Qui est fidèle en peu est fidèle aussi en beaucoup, qui est malhonnête en peu est malhonnête aussi en beaucoup. Si donc vous ne vous êtes pas montrés fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera le bien véritable ? Et si dans le bien étranger vous ne vous êtes pas montrés fidèles, qui vous donnera le vôtre ? Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres ; en effet ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.»

Que découvre-t-on dans cet évangile ? Que Dieu est fidèle ! Et Il est fidèle aussi bien dans l’histoire générale de l’humanité que dans les moindres détails de la vie d’un être humain. Le Créateur de tout a procuré l’autonomie à chaque détail de l’univers, et Il fait confiance que chacun de ces détails mènera sa vie en exerçant tout le talent qu’Il a déposé en lui.

Autrement dit, chaque créature a été faite par Lui pour être ce qu’elle est : le moustique pour être un moustique (même s’il est horripilant pour nous), l’homme pour être un homme… Sa fidélité divine consiste à compter que chaque créature, quel que soit son comportement, fera en sorte de devenir vivante. Nous sommes les dépositaires de notre âme, de notre corps et de notre esprit. Elles sont les richesses que Dieu a déposées dans l’univers en faisant confiance que l’homme les utilisera de manière vitale, sans même en référer à Lui. Le Créateur espère que l’homme employant les richesses qui lui sont données à profusion acceptera en même temps l’amitié que Dieu lui propose.

Quand le Christ dit:«Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité», les richesses dont il s’agit sont celles dont on vient de parler, c’est-à-dire tout le patrimoine de la création et de l’homme, patrimoine physique, psychique et spirituel. Elles deviennent injustes parce que l’homme, tout en se servant de ce patrimoine, ne recherche pas l’amitié de Dieu. C’est en cela qu’elles sont injustes. L’injustice consiste à aller se
montrer aux génies humains plutôt qu’à se présenter devant la Divine Trinité. Ici apparaît une chose tout à fait prodigieuse, à savoir que Dieu fait confiance à l’homme de pouvoir utiliser les richesses pour grandir, et parvenir progressivement à l’amitié de Dieu, quel que soit le comportement juste ou injuste de l’être humain au cours de l’histoire.

Prenons l’exemple de Joseph. Il a été fait prisonnier, puis il devient le plus grand personnage de l’Égypte après Pharaon. Joseph est serviteur du Dieu vivant, le plus grand des douze fils de Jacob et fils de Dieu par l’élection d’Abraham. Et que fait cette préfigure du Christ? Il devient l’économe des richesses d’iniquité en se mettant au service de la civilisation égyptienne, civilisation la plus extraordinaire de toute l’histoire qui a précédé la venue du Christ. Ces richesses résident avant tout dans la métaphysique que l’Égypte a prodigieusement développée. Ainsi Joseph sert Pharaon avec une fidélité totale, comme le prophète Daniel chez Nabuchodonosor. Il se fait des amis avec ces richesses qui ne mènent pas à louer Dieu ! Et, pourtant, après qu’arriva-t-il ? Moise apparaît. Il emmène les Hébreux au pied du Sinaï. Ceux qui en Égypte se sont montrés fidèles dans les choses non destinées à servir Dieu ni à Le louer, reçoivent au Sinaï les biens véritables. Nous pouvons fonctionner de même dans notre existence.

Il se produit un autre phénomène, non moins étonnant. Quand nous nous servons de notre corps, de notre âme et de notre esprit de manière injuste, c’est-à-dire sans nous diriger vers la connaissance et l’amitié de Dieu,les anges qui vivent dans les tentes et les tabernacles éternels compensent notre détournement en présentant dans ce même temps ces offrandes, ces mêmes richesses, à l’autel de Dieu, de même que durant la liturgie, se substituant à nous, ils présentent les saints dons au moment de l’épiclèse. Alors que nous les utilisons, les anges présentent nos richesses à Dieu. Et siun jour ces richesses se dérobent, l’homme entre dans une expérience désertique. Alors, à ce moment de désert, ce que les anges ont accompli viendra servir de richesse à l’homme et il sera élevé, au moins intérieurement, dans la vie céleste, dans le mouvement vivifiant des esprits angéliques.

Regardez par exemple ce qui se passe à notre époque. Nous profitons de nombreux biens, mais le cœur de l’homme commence à se dessécher. Il y a une immense crisedes valeurs, particulièrement patente dans le pays où nous vivons car les Français ont le sens de l’histoire. Et voilà que le monde angélique affleure, il vient redonner utilité et richesse spirituelle en disant :«Courage, tout ce que vous avez fait n’est pas perdu ni dépourvu de présence divine. Simplement reprenez votre œuvre et tournez la vers Dieu, et votre vie va repartir.»Alors n’hésitez pas. Au lieu de faire les choses tristement, utilisez les richesses que Dieua mises dans la vieet tirez-en du bonheur. C’est le caractère du démon que d’attraper tout sans en tirer aucun bonheur.

Pour parler d’une manière un peu paradoxale et qui peut choquer, si vous péchez, au moins péchez avec bonheur. Car, si vous êtes capables de pécher, c’est parce que vous êtes vivants. Et s’il y a de la vie en vous, elle vient de Dieu. Le péché est une utilisation frauduleuse de ce que Dieu a déposé dans l’être. En résumé, ce que Dieu a mis de plus extraordinaire dans la création est : à l’origine, le désir de vivreet à l’extrémité, l’amitié de Dieu, qui fait de nous des fils de Dieu.

Et l’histoire pourra tire- bouchonner à l’infini – l’homme pèche et le péché n’a vraiment pas beaucoup d’imagination car le démon n’est qu’un grimaceur de Dieu ! – la fin de tout viendra pourtant et nous serons déifiés. Le Christ semble toujours dire : dans quelque condition que tu sois, agis comme un fils de Dieu et Je t’admirerai.

On voulait, au XIXèmesiècle, attribuer le péché à l’acte charnel. Il fallait le salir et non l’oser. Et même quand l’homme rencontrait sa femme l’événement était suspect. On tournait alors parfois la statue de la Vierge face vers le mur afin qu’elle ne voit pas.Étrange… Comme si Dieu n’était pas vivant. Pourtant Il voit les actes des êtres humains et Il les permet. S’Il les a permis, à nous de les transformer de telle manière que nous devenions comme Lui des vivants.

À notre Dieu la gloire et l’honneur aux siècles des siècles. Amen.

HUITIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE.

EVANGILE : Luc, 6, 1-12
HOMELIE DE SAINT AUGUSTIN

Ne vous amassez pas des trésors sur la terre où mites et rouilles détruisent, où les voleurs percent et dérobent. Amassez-vous des trésors dans le ciel où ni mites ni rouille ne détruisent, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car où est ton trésor, là aussi sera ton coeur (Mt. 6, 19-21).

Qu’est-ce que tu attends de plus ? La chose est claire. Le conseil est net. Mais ton désir au fond demeure, et non seulement il demeure, mais il est intact et vivant. La rapine ne cesse de te gonfler, l’avarice ne laisse pas de t’entraîner à la fraude ; la malice ne cesse de te faire du mal. Et tout cela pour quoi ? Pour thésauriser ! Et où mettras-tu ce que tu thésaurises ? Dans la terre. Oui, de terre en terre tout cela ira.

N’est-ce pas à l’homme pécheur par la faute duquel le travail nous fut infligé qu’il a été dit : Tu es terre, et tu retourneras à la terre (Gn 3, 19) ? Tu as raison de mettre ton trésor dans la terre puisque ton cœur est dans la terre. Mais où est donc ce cœur que nous devons tourner vers le Seigneur ? Pleurez, vous qui avez compris, et corrigez-vous, si vous avez pleuré. Pourquoi chanter la louange de Dieu et ne pas y accorder sa vie ? Ce que nous chantons est vrai, rien n’est plus vrai. Alors, faisons ce qui est vrai. Louons Dieu seul. Et ne nous en départissons pas, afin qu’en le louant nous ne soyons pas également troublés.

Ne vous amassez pas de trésors sur la terre… Celui que les paroles ne peuvent corriger, l’expérience le fera. Aucun raisonnement n’est fait ici, c’est un avertissement universel qui nous est adressé : malheur à nous, le monde court à sa ruine. S’il court à sa ruine, pourquoi ne déménages-tu pas ? Si l’architecte te disait : ta maison va tomber, ne déménagerais-tu pas avant même de commencer à murmurer ? Le maître du monde te dit : le monde va à sa ruine. Il n’est pas celui à qui tu peux contredire. Écoute donc ce qu’Il te dit.

Celui qui te donne un tel conseil n’a pas d’abord l’intention de te faire perdre ce que tu as, Il t’avertit au contraire de ne pas perdre ce que tu as de plus précieux. Pourquoi ne l’entendrais-tu pas ? Et ne viendrais-tu pas habiter dès maintenant dans le ciel ? (Sermon 60).

A Dieu soit la gloire aux siècles des siècles !